(Paru en 1925 à Bruxelles, chez A. De Wit)
(page 33) Né à Schoenbrunn le 6 juillet 1832, l'archiduc Ferdinand Maximilien était le frère de François-Joseph, qui devint empereur d'Autriche en 1848. D'une santé délicate, le prince montre, dès sa jeunesse, un goût prononcé pour les voyages. A dix-sept ans, il visite la Grèce et l'Asie Mineure et, à son retour, il exprime le désir d'entrer dans la marine.
Embarqué comme lieutenant sur la frégate « La Novara », il navigue presque continuellement pendant les années suivantes. Ses hautes qualités, le zèle avec lequel il remplit ses fonctions, décident l'empereur d'Autriche à le nommer, le 10 Septembre 1854, amiral et commandant en chef de la flotte. Cette arme avait été négligée. L'archiduc s'établit à Pola, où il trace des plans de chantiers et combine un système de fortifications destiné à transformer ce port en place militaire. Ensuite, il propose à son frère une réforme complète des services de la flotte.
En 1856, il se rend à Paris, puis à Bruxelles. Ce grand (page 34) jeune homme élancé, pâle, au front élevé, à la barbe et aux cheveux blonds, aux yeux bleu mélancoliques, jouit déjà d'un certaine renommée.
Pendant son séjour à Laeken, il eut l'occasion de voir la fille du Roi des Belges ; de ces entrevues naît une idylle et, le 8 novembre 1856, sont annoncées les fiançailles de l'héritier présomptif d'Autriche avec la princesse Charlotte. C'est une grande et belle femme, très instruite, parlant avec facilité toutes les langues européennes, écrivant d'un style clair et concis. (Léopold Ier avait voulu qu'elle fît les mêmes études que ses frères.)
Douée d'une volonté presque virile, elle a reçu de son père de grandes leçons dans l'art de gouverner et semble marquée pour jouer dans l'histoire le rôle d'une Marie-Thérèse ou d'une Catherine de Russie. Son amour l'aveugle sur les qualités de l'archiduc. Maximilien est plein de bonnes intentions, laborieux, loyal, prêt à tous les dévouements ; mais son esprit rêveur, épris d'art et d'idéal, examine les questions à un point de vue théorique plutôt que pratique. Elevé au milieu d'une cour imbue de préjugés, il a su rompre avec les idées arriérées de son entourage et s'est montré avide de progrès. On le disait libéral ; il est, en réalité un conservateur sensé. Malheureusement sans expérience et toujours indécis, il subit l'influence de celui qui lui parle le dernier. S'il montre parfois de la volonté, ce n'est que par intermittence et il manque d'esprit d'ordre et de conduite. Néanmoins, l'archiduc, dans l'intimité, est séduisant au plus haut degré, sa voix, ses manières fascinent ; un fluide sympathique attire à lui les caractères les plus rétifs, si bien qu'on songe à lui pour le trône de Pologne. Lors de la dernière insurrection, M. de Mensdorf-Pouilly, vice-roi de (page 35) Galicie, harangue, du balcon de son palais de Cracovie, la populace assemblée sous ses fenêtres et qui crie : « Vive Maximilien, roi de Pologne. »
Depuis 1815, les populations lombardo-vénitienne se montraient mécontentes d'avoir été réunies à l'Autriche, François-Joseph charge son frère de rallier ces provinces à l'Empire et le désigne le 28 février 1857, comme gouverneur du royaume lombardo-vénitien. Par son amabilité, par ses opinions modérées et conciliatrices, le prince gagne l'affection d'une grande partie du peuple, de sorte qu'en 1859, aux négociations de Villafranca, Napoléon III proposa à François-Joseph de constituer la Vénitie en royaume indépendant pour son frère Maximilien. L'Empereur d'Autriche refusa.
Quand commencèrent les hostilités entre le Piémont, la France et l'Autriche, Maximilien fût remplacé ; le gouvernement de Milan, devenu militaire, passa aux mains du feldzeugmeister comte Guilay. Bien que ce rappel affecte vivement l'Archiduc, il obéit sans observations et reprend ses fonctions d'amiral.
Après la guerre, les partis avancés d'Autriche reprochèrent à Maximilien d'avoir par sa tolérance, par sa faiblesse, permis à Cavour d'organiser une propagande révolutionnaire parmi la population lombarde. Méconnu, calomnié, le prince quitte Vienne et se consacre entièrement à son métier de marin. Il effectue avec sa femme, sur la frégate « La Fantaisie », une série d'excursions, dont une relation charmante, écrite par l'Archiduchesse, se trouve dans la bibliothèque de S. M. le Roi Albert.
Le 10 novembre 1859, accompagnés de M. de Tegethoff, du docteur Illek et de Mademoiselle Beauvais, l'archiduc et l'archiduchesse partent pour le Brésil à bord de l'« Elisabeth ». Des tempêtes si violentes les assaillent que Charlotte s'arrête à Madère et que le prince continue seul son voyage. A son retour, il retrouve Charlotte et, le 25 mars 1860, ils s'installent à Miramar.
Dans ce magnifique château de style gothique, situé (page 36) sur les bords de l'Adriatique, à 6 kilomètres de Trieste, le prince consacre l'été à la publication de brochures, montrant les défectuosités de la marine autrichienne. Ses réformes sont combattues par la presse. Il insiste et finit par triompher : le ministère doit agir.
C'est alors que s'ouvre pour lui la question mexicaine. Le moment est bien choisi. Il est découragé par les critiques émises contre son gouvernement de Lombardie et par l'opposition qu'ont rencontrée ses tentatives d'améliorations militaires.
Ses actes, ses écrits sont l'objet de la censure de l'Empereur, de moins en moins tolérante à son égard. Bientôt, de même que les autres archiducs, il sera réduit au rôle de prince fainéant. Il considère l'offre du trône mexicain, non à un point de vue ambitieux, mais comme un but donné à sa vie, comme une œuvre grandiose à exécuter. Il part pour le Mexique comme à une « croisade sacrée » entreprise contre le vol, l'anarchie, l'athéisme.
Si Maximilien accepte la couronne impériale, sans se rendre compte de la grandeur des difficultés qui l'attendent, s'il juge les évènements avec optimisme, de hautes personnalités telles que Napoléon III, François Joseph, Pie IX partagent son erreur. Léopold II, alors duc de Brabant, manifeste pour le projet un vif enthousiasme :
« L'affaire du Mexique est curieuse, écrit-il à Charlotte le 1er novembre 1861. C'est un pays magnifique et où il y aurait beaucoup de bien à faire. Si j'avais un fils en âge, je tâcherais de le faire roi du Mexique. Sur cette terre, tout cœur courageux doit aimer à se dévouer. En Amérique, il y a tant de grandes choses à réaliser. Je voudrais que les Cobourg revendiquassent cette tâche. »
Et le 23 janvier 1862, il mande à son beau frère :
« Si mes souhaits sont exaucés, la Providence te réserve un bel avenir. Je désire de toute mon âme qu'au (page 37) moment où les ennemis de l'Autriche prophétisent sa décadence et sa ruine prochaine, tu puisses en travaillant au bonheur du Mexique, prouver au monde que les Habsbourg unis aux Cobourg voient au contraire de nouveaux horizons s'ouvrir à leur légitime passion de faire le bien aux peuples les plus divers.
« Tous les journaux ayant parlé de cette nécessité d'appeler au trône du Mexique un prince jeune et intelligent, je te donne librement par la poste mon sentiment à ce sujet.
« Une fois établi au Mexique, il est probable qu'une grande partie de l'Amérique viendrait se ranger sous vos lois. Tout cela est difficile, tout cela est au futur, mais j'espère vivre assez longtemps pour vous voir tous deux à la tête d'un grand état américain intimement lié avec la Belgique.
« Adieu, mon cher, j'espère ne pas m'être abandonné à de vains rêves. En attendant, quel que soit l'avenir, je suis ton dévoué frère.
« Léopold. » (Archives de Vienne.)
Mais le principal conseiller de l'Archiduc est Léopold Ier, son beau père. Quand Maximilien parle pour la première fois au Roi de sa candidature, le vieux souverain éclate de rire : « Voilà, s'écrie-t-il, une bien belle position. » Remarquant que cette plaisanterie attriste son gendre et sa fille, Léopold Ier examine les chances de réussite du projet. Des personnages, qui ont participé aux troubles du Mexique, qui sont au courant des désirs du peuple, de ses mœurs, de son caractère, voyagent entre Paris, Bruxelles et Miramar et renseignent le Roi.
D'autre part, Napoléon expose à Maximilien ses sentiments :
«... Jamais œuvre à mes yeux, écrit-il le 14 janvier 1862, n'aura été plus grande dans ses résultats, car il s'agit d'arracher tout un continent à l'anarchie et à (page 38) la misère, de donner l'exemple à toute l'Amérique d'un bon gouvernement, enfin de relever en face d'utopies dangereuses et de désordres sanglants le drapeau monarchique fondé sur une sage liberté et sur un sincère amour du progrès.
« Les idées que V. A. I. veut bien me communiquer me paraissent très justes et quand le moment sera venu, je ferai tout ce qui dépendra de moi pour en faciliter la réalisation.
« D'ici là, je serai très impatient d'apprendre comment les choses se seront passées au Mexique. Au début, je n'ai pas osé, en présence des méfiances de l'Angleterre, envoyer plus de troupes au delà des mers. Je le regrette maintenant. Cependant j'expédie de nouveaux zouaves et je ne crois pas qu'il y ait là-bas une sérieuse résistance.
« Cette lettre vous sera remise par le général Almonte, c'est un très brave homme et de plus un homme très capable et très estimé. Je crois que V. A. I. Vera bien de lui donner ses pleins pouvoirs et de le choisir comme centre d'action et agent principal. Il va partir pour le Mexique et sa présence là-bas sera, je crois, d'une grande utilité. »
On doit reconnaître que dans les négociations préliminaires, de même qu'aux ouvertures de l'Empereur des Français, l'archiduc répond avec autant de prudence que de dignité. Le 29 janvier 1862, il expose en ces termes ses sentiments au Roi Léopold :
« Une lettre de Napoléon m'invite, après l'avoir soumis à l'approbation de l'Empereur mon frère, à lui exposer par écrit mon avis sur quelques points de l'affaire mexicaine.
« Les principaux de ces points concernent les finances et l'armée. Quant aux premières, j'ai fait remarquer que le nouveau gouvernement monarchique, afin de donner satisfaction aux réclamations des puissances intervenantes et afin de supporter les dépenses de l'administration, serait obligé de contracter un emprunt, garanti si possible par la France et par l'Angleterre. J'acceptais, avec reconnaissance, les offres du gouvernement français pour faciliter la conclusion de cette (page 39) opération, tout en signalant que la collaborations des banquiers anglais serait fort à désirer. Le cas échéant votre influente intervention, très cher père, amènerait un résultat rapide.
« Quant à la question militaire. Napoléon avait exposé à mon frère que la force armée serait constituée par des troupes légionnaires, qui porteraient le drapeau et la cocarde mexicaines, se compléteraient petit à petit par des indigènes, et formeraient ainsi le noyau d'une armée appartenant au nouveau souverain. Seulement, jusqu'à ce que cette armée soit devenue suffisamment forte pour assurer l'ordre à l'intérieur et la paix à l'extérieur, j'exigeai naturellement l'assistance des troupes alliées d'occupation. C'est ainsi que je me prononçai sur ces deux points et j'eus la satisfaction de constater que l'empereur des Français approuvait ma manière de voir dans une réponse extrêmement aimable, dont le porteur était l'ancien ambassadeur, le général Almonte. En même temps, il m'assurait de son appui quand le moment opportun serait arrivé. Il approuvait, de plus, certaines suggestions que je lui avais transmises. Par exemple, je lui indiquai que l'Europe ne devrait reconnaître l'indépendance des Etats confédérés du Sud de l'Amérique du Nord qu'à la condition que ce nouvel Etat s'engageât à garantir l'intégrité et l'indépendance de l'Empire du Mexique.
« Comme il pourrait arriver que le gouvernement mexicain actuel consente, moyennant finances, à des cessions de territoires, ou autorise le passage de troupes étrangères, spécialement de celles d'un des belligérants de l'Amérique du Nord, il me semblait important que les puissances signataires de la Convention de Londres décident de protester contre une vente ou une autorisation de passage, dont la conclusion fournirait l'argent nécessaire à la résistance contre l'intervention européenne. Si vous ne trouviez pas, cher Père, ces observations indignes d'attention, je vous serais extrêmement reconnaissant de vouloir bien user de votre puissante influence pour les faire admettre par l'Angleterre.
« Je me permets de revenir encore sur la question militaire que j'ai traitée à Paris seulement dans les grandes lignes. L'Empereur, mon frère, m'a donné la permission de recruter, éventuellement, un corps de volontaires dans ses Etats, et, en outre, il a eu la bienveillance d'autoriser les officiers autrichiens en service (page 40) actif à entrer dans ce corps, leur assurant à leur retour dans l'armée impériale, les grades acquis par eux.
« Comme il sera presque impossible de réunir avec des Autrichiens seulement un corps de 10.000 hommes et que, d'autre part, on ne peut admettre que des catholiques, à cause des circonstances spéciales où se trouve le Mexique, vous m'obligeriez beaucoup si vous consentiez à m'accorder, en son temps, la permission d'opérer aussi en Belgique des recrutements pour le dit corps de volontaires.
« J'ose espérer que vous voudrez bien me dire, qu'en principe, cette autorisation se donnera sans difficulté. Il me sera très agréable de voir la patrie de ma femme contribuer au soutien et à la défense de mon trône. Plus forte sera la puissance militaire mise à la disposition de la nouvelle dynastie, plus vite arrivera le moment désirable, où les corps auxiliaires pourront quitter le pays sans inconvénients.
« J'ai fait la connaissance dans ces dernières semaines de plusieurs Mexicains très importants, réfugiés en Europe par suite des troubles qui règnent dans leur patrie. Si l'on peut juger leur nation d'après eux, ce jugement ne peut être que favorable. Apres que Gutierrez, qui se réjouissait de votre bienveillant accueil, cher Père, et qui donne l'impression d'un homme très capable et rempli de patriotisme, eût séjourné plusieurs jours à Miramar avec son fils, le général Almonte, un diplomate très expérimenté, et l'archevêque de Mexico, Mgr. Labastida, la personnalité la plus éminente de l'épiscopat mexicain, se rencontrèrent ici.
« Cette réunion avait une grande importance, car diverses questions touchant l'exécution de l'entreprise purent être discutées. Tous les deux se rendront sous peu au Mexique. Un autre Mexicain bien connu de vous, l'ancien ambassadeur Murphy, m'annonce aussi sa visite. Nous devons attendre le résultat de l'intervention européenne. La pression qu'exerce une minime, mais audacieuse et bruyante faction sur la majorité passive du peuple étant écartée, celui-ci pourra élever sa voix librement, car la condition que j'avais posée dès la première heure et que j'ai accentuée dans ma lettre à Napoléon, c'est que seule la volonté du pays énoncée librement, me décidera à accepter la couronne. » (Archives de Vienne.)
(page 41) Léopold IIe réplique à Maximilien que sa manière d'envisager les choses est conforme à la sienne et qu'il approuve sa ligne de conduite. Gutierrez de Estrade s'était rendu à Bruxelles pour convaincre le Roi de la possibilité de réaliser sa combinaison monarchique. Il lui annonce que les émigrés mexicains de France, ont expédié une adresse à Maximilien, exprimant le désir de placer le destin de leur pays entre ses mains.
Conseillé par son beau-père, l'archiduc se tient sur la réserve, il préfère laisser le peuple même du Mexique se prononcer. Il craint de froisser la fierté nationale de ses futurs sujets et ne veut pas avoir l'apparence d'un souverain imposé par Napoléon.
A la demande de ses enfants, le Roi avait sondé les dispositions de l'Angleterre. Il les trouve peu favorables :
« Ce pays, explique-t-il, ne prend jamais d'engagements pour des éventualités. Il n'a nulle envie de s'associer matériellement à l'entreprise, qu'il croit très difficile, mais il verrait avec plaisir l'ordre et la prospérité régner au Mexique. L'esprit de contradiction qui s'éveille tout de suite quand les Français sont en question, a été la cause de la conduite stupide du ministre anglais à Mexico. C'est du reste « a secundary individual ». Son nom même m'est inconnu. Une occupation par les Français serait le seul moyen de rétablir de l'ordre ; un individu quelle que puisse être son intelligence n'y réussirait pas. » (Archives de Vienne. Lettre du Roi Léopold à l'Archiduc, du 13 novembre 1862.)
Au mois de mai 1862, l'archiduchesse Charlotte passe quelques jours à Bruxelles. De là, elle compte se rendre à Paris, afin de réaliser le souhait qu'elle a exprimé si souvent, de faire la connaissance de l'impératrice. Des considérations politiques empêchent ce voyage, qui aurait provoqué des commentaires. Dans une lettre du 18, (page 42) Charlotte exprime tous ses regrets à Eugénie, qui lui envoie cette réponse encourageante :
« Les nouvelles sont excellentes. Le général de Lorencez se croit, dès à présent, maître du pays ayant dépassé le Chiquihuite. Les adhésions des généraux et des villes nous parviennent tous les jours, le pays est las des discordes et ne rêve qu'un gouvernement st ble qui lui donne le pouvoir de se développer et, par conséquent, fonde tout son espoir dans la monarchie. Le pauvre général Almonte a beaucoup souffert dans ces derniers temps de la mauvaise foi du général Prim et de Sir Charles Wycke. Le premier voulait travailler pour lui-même et le commissaire anglais l'encourageait, sachant très bien qu'en dernier ressort, il serait facile de le jouer, mais le sort en a décidé autrement et nous voilà, grâce à Dieu, sans alliés.
« Un fait significatif, c'est que tant que nous avons agi à trois, pas un seul Mexicain n'a été pour nous, pas même Juarez pour qui, le traité, ou pour mieux dire les préliminaires étaient un triomphe, mais depuis que notre action a été délivrée d'entraves, le pays se sent assez sûr pour exprimer ses vœux ; et tous les hommes se groupent autour d'Almonte, proscrit hier, et aujourd'hui dictateur des provinces que nous venons de parcourir. Le prochain courrier nous apportera probablement la nouvelle de l'arrivée à Mexico. L'Empereur donne sans doute les mêmes détails à l'archiduc. Malheureusement, bien des fautes ont été commises au commencement, mais je n'ai jamais douté du succès de l'entreprise. » (Archives de Vienne : Lettre du 7 juin 1862)
L'impératrice se fait illusion, quand elle déclare que les nouvelles sont excellentes ! En réalité, voici quelle est la situation : à l'extérieur, les Etats-Unis sont hostiles à une intervention qui présente pour eux de graves inconvénients et qui est contraire à la doctrine de Monroe. L'envoyé américain La Reintrie notifie aux membres du corps diplomatique à Mexico, que son gouvernement ne dénie pas aux puissances européennes le droit (page 43) de demander justice pour les dommages infligés à leurs sujets respectifs et même, si besoin est, à l'imposer par la force. Mais il leur dénie celui de s'ingérer dans l'organisation politique de la république mexicaine : il défendra de tout son pouvoir la nationalité et l'indépendance de cette nation. (E. Ollivier : ouvrage cité. p. 43.)
Prêtant à Napoléon des mobiles intéressés, le gouvernement de Washington décline l'offre de l'action commune, qui lui est proposée. A Paris, on ne s'inquiète nullement de ce refus, car la guerre qui éclate à ce moment, à propos de l'esclavage, entre le Nord et le Sud des Etats-Unis rend inefficace cette opposition.
En Espagne, la reine Isabelle a le caractère aimable et généreux, ce qui la rend populaire, quoiqu'elle néglige parfois les affaires. Malheureusement elle hait la France. Pour cette raison ou bien parce qu'elle a confiance dans le projet de protectorat espagnol imaginé par Prim, elle approuve sa manière d'agir au Mexique. Par contre, quand le ministère espagnol reçut par la voie d'Angleterre, la nouvelle de la conduite du commandant en chef, il décida que Prim serait traduit en conseil de guerre. O'Donnel, le premier ministre, et ses collègues se rendent au palais pour soumettre cette résolution à la reine. Voilà qu'ils rencontrent à la porte de la chambre d'Isabelle II, un secrétaire qui se frottait les mains et qui leur dit : « Oh ! la belle chose qu'a faite Prim ! La reine est si contente, elle dit que c'est un bon Espagnol, qu'elle ne l'aurait pas cru, mais qu'elle le voit maintenant. » A l'instant, les ministres sont transformés : ils ne (page 44) soufflent pas mot de leur décision à la reine, tout entière à sa joie des mécomptes de la France. (Archives de Vienne. Notes de l'Archiduchesse Charlotte.)
Enfin, les hommes d'Etat anglais, n'envisageant que le côté pratique de l'expédition, ne vont au Mexique que pour recouvrer les sommes qui leur sont dues. Ils ne s'associent pas aux combinaisons de la cour de France, dont ils prévoient l'échec, ainsi que le prouve cette lettre du ministre Russel, à lord Bloomfield, ambassadeur à Vienne :
« J'ai reçu la dépêche de Votre Excellence au sujet du projet de placer l'archiduc Maximilien sur le trône du Mexique, et vous observez que ce projet a été imaginé par des réfugiés mexicains à Paris. Cette sorte de gens est fameuse par ses calculs sans fondements sur la force de ses partisans dans son pays natal, et par l'extravagance de ses espérances de secours.
« Le gouvernement de Sa Majesté n'accordera aucun appui a un pareil projet. Il faudra longtemps pour consolider un trône au Mexique, aussi bien que pour rendre le souverain indépendant de tout soutien étranger... Si le soutien étranger venait à être retiré, le souverain pourrait être chassé par les républicains du Mexique. Cette position ne serait ni digne ni sûre... »
Examinons maintenant ce qui se passe au Mexique. Les historiens ont accusé M. Dubois de Saligny, ministre de France, d'avoir à dessein inexactement renseigné son gouvernement. On lui prête même ce mot : « Mon seul mérite est d'avoir deviné l'intention de l'Empereur d'intervenir au Mexique et d'avoir rendu l'intervention nécessaire. » (P. Gaulot : L'expédition du Mexique, Paris 1906, t. I. p. 30.)
Je n'examinerai pas la question de savoir si ce diplomate a péché par optimisme ou s'il possédait des intérêts dans la créance Jecker, ce qui le détermina à affirmer que la marche sur Mexico serait un triomphe. Je (page 45) me bornerai à donner des extraits des rapports du chargé d'affaires de Belgique :
« Tout le monde est d'accord, écrit t' Kint de Roodenbeke le 27 août 1862, que l'administration de Juarez ou plutôt de ceux qui ont ruiné le pays en son nom, sont tout à fait incapables d'offrir la moindre garantie pour l'avenir, qu'ils doivent par conséquent disparaître de la scène politique ; que l’intervention doit s'appuyer sur la partie honnête de la population, sans exception de partis et que dès que le pays sera pacifié, on pourra sans crainte faire appel à l'opinion publique.
« Enfin, on ne doute pas que, si les représentants de la France suivent la sage ligne de conduite qui leur est tracée, ils n'obtiennent les résultats que désire S. M. l'Empereur, c'est-à-dire l'établissement d'un gouvernement régulier et stable au Mexique.
« A cette fin, tous les hommes sensés à Mexico ont mis leur espoir dans le général Forey qui, croit-on, sera investi de pouvoirs extraordinaires. Ces opinions sont surtout celles des Mexicains, qui n'ont pas pris part aux guerres civiles et qui souffrent le plus de la situation présente...
« Le fait le plus saillant de la politique mexicaine est la retraite du chef de cabinet de M. Juarez, qui réunissait entre ses mains les portefeuilles des relations extérieures, de l'intérieur et des finances. M. Doblado envoya sa démission le 13 de ce mois au soir et partit le même jour, au milieu de la nuit, pour se rendre dans l'Etat de Guanajuato, dont il est gouverneur. Il s'est fait accompagner des troupes de cet Etat qui se trouvaient à Mexico, au nombre d'environ 1.000 hommes....
« On croit généralement que M. Doblado s'est retiré du gouvernement de Juarez, parce qu'il considère celui-ci comme tout à fait perdu, qu'il ne pouvait désormais en tirer aucun profit et qu'il craignait au contraire d'être entraîné dans sa chute. S'étant mis depuis long temps d'accord avec M. Comonford, le gouverneur de Guanajuato voudrait se présenter à l'intervention française comme parfaitement innocent des maux dont le pays a souffert et comme capable d'organiser avec l'ancien président de la République un gouvernement convenable.
(page 46) « Comme M. Doblado est parfaitement impopulaire, il se flatterait peut-être d'imposer son autorité à l'aide des troupes françaises.
« Il est vrai que M. Doblado est arrivé au pouvoir en décembre dernier, longtemps après la suspension des payements des conventions diplomatiques et après que les légations de la Grande Bretagne et de la France avaient rompu leurs relations avec le gouvernement mexicain. Mais pendant les huit mois qui viennent de se passer, il a été l'âme du gouvernement et il a exercé une véritable dictature. Or, jamais on n'a vu au Mexique plus d'exactions et de dilapidations, jamais le désordre, l'anarchie, le brigandage et la dévastation n'ont régné plus ouvertement que sous l'autorité despotique du premier ministre. »
M. 't Kint de Roodenbeke donne ensuite des renseignements sur les forces mexicaines :
« On calcule, que les généraux Doblado et Comonford peuvent disposer ensemble d'environ 12.000 hommes armés, répartis dans les Etats de Guanajuato, de Queretaro, de Nuovo Léon et de San Luis ; on donne à peu près le même nombre de troupes à Juarez ou au parti dit « puro », dont environ 9 à 10 mille hommes se trouvent à l'armée d'Orient, sous les généraux Zaragoza, Gonzales, Ortega, Berriozabal, O'hran, Mejia etc., et 3.000 hommes dans le district fédéral et dans la capitale. »
« Les réactionnaires qui paraissent tous obéir, en ce moment, au général Almonte, comptent aussi à peu près 12.000 hommes, dont 4.000 sont avec le général Marquez entre Vera Cruz et Orizaba. Outre ces trois factions principales, il y a plusieurs chefs de bandes et de guerillas, dont il est difficile de distinguer la couleur politique, mais qui, de même que les réactionnaires, les constitutionnels ou les Dobladistes ne font que saccager et piller.
« Les principes que les uns et les autres invoquent ne sont que des prétextes pour parcourir le pays, les armes à la main, et y commettre toutes espèces de crimes, de désordres et de dévastations...
« En somme, il n'y a point de partis politiques au Mexique, il n'y a que des ambitieux, qui se disputent (page 47) le pouvoir, dans le but de pressurer le peuple et de voler le fisc. Tous les subordonnés ou employés publics suivent cet exemple. La partie honnête de la population sont les propriétaires dans les villes et les campagnes, les mineurs, les fabricants, les agriculteurs et les commerçants. C'est le parti, sur lequel devra s'appuyer l'intervention française et cette portion laborieuse de la population pourra lui être d'un grand secours, si l'on réussit à se l'attacher. » (Archives de Vienne. Rapport à M. Ch. Rogier, Ministre des Affaires Etrangères de Belgique.)
Après la retraite de Doblado, Juarez constitue un nouveau cabinet qui, chose remarquable, parvient encore à dépasser les exactions des ministères précédents.
« La situation déplorable du pays, rapporte M. t' Kint de Roodenbeke le 14 septembre 1862, ne fait que s'aggraver de jour en jour, sous le gouvernement dit constitutionnel, et explique les aspirations du peuple mexicain. Il peut être utile de citer quelques fait caractéristiques qui ont eu lieu depuis le mois de juillet dernier. A la fin du même mois, la division du général constitutionaliste Negrete, arrivant au village de Flaxco, à l'heure du marché, cerna la place, arrêta tous les hommes valides et les envoya en prison.
« Negrete donna ensuite aux uns le nom de libéraux et aux autres celui de réactionnaires ; il rendit la liberté aux premiers et mit les seconds à rançon. Ceux qui ne purent pas payer furent gardés comme prisonniers. Presque en même temps, un autre officier constitutionaliste, Felipe Hernandez, entrait avec 400 soldats à San Juan del Rio : il força pendant la nuit plusieurs portes de maisons et emmena une soixantaine des principaux habitants de ce village, dans le but de les rançonner. Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire, ces. enlèvements de personnes, (...) que l'on ne délivre (page 48) ensuite que contre de fortes rançons, sont devenus plus fréquents depuis quelques temps et ces crimes sont surtout commis par plusieurs chefs des troupes du gouvernement actuel. Il n'y a du reste rien de surprenant à ceci, quand on songe que parmi les généraux constitutionalistes figurent des anciens assassins et bandits fameux, tels que les Carbajal, les Leiva, les Cuellar, les Rojard, etc., et quand le gouvernement lui-même donne l'exemple des spoliations les plus audacieuses. » (Note de bas de page : Parmi les personnages arrêtés et qui durent payer une forte rançon pour recouvrer la liberté, on cite les chanoines Mariano. Meza et Carpena. le curé M. Carrillo, Don José Aguirre, etc.)
A la lecture de ces documents officiels, mes lecteurs s'étonneront sans doute que de tels brigandages aient pu continuer tant d'années. Ils accorderont certainement leur sympathie à l'impératrice Eugénie, qui se laissa toucher par les lamentations des Mexicains réfugiés en Europe, dont l'un pleurait la mort, l'autre l'emprisonnement des siens. Elle poussa Napoléon à accomplir une œuvre, qui lui parut digne de lui, digne de la France. Elle avait trouvé dans l'archiduchesse Charlotte une âme prête à se dévouer, à se sacrifier même, et la correspondance échangée entre les deux princesses montre que pendant des années, elles consacrèrent leur diplomatie et leur peine à la pacification du Mexique. Des fautes furent commises, des obstacles imprévus surgirent. Leur projet échoua lamentablement. Malgré ce triste résultat, en jugeant les créatrices de l'Empire du Mexique, il faut considérer qu'elles obéirent au plus noble des sentiments : à la pitié ! Elles tendirent la main à des opprimés, elles cherchèrent à soulager des souffrances, leur acte charitable souleva une réprobation générale : les libéraux blâmèrent une expédition qui restaurait l'Eglise ; les catholiques s'émurent des plaintes du Pape, qui criait à la spoliation ; enfin l'opinion publique s'indigna des manœuvres de la bande Jecker, qui sous le couvert du drapeau français, se livrait à des opérations illicites