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La tragédie mexicaine. Les impératrices Charlotte et Eugénie
BUFFIN Camille - 1925

BUFFIN Camille, La tragédie mexicaine. Les impératrices Charlotte et Eugénie

(Paru en 1925 à Bruxelles, chez A. De Wit)

Chapitre premier. La situation du Mexique au XIXème siècle et les causes de l'intervention. Rôle de l'impératrice Eugénie

(page 7) Quand Cortez découvrit le Mexique en 1519, cette contrée, sous la dynastie aztèque des Montezuma, avait atteint un degré élevé de civilisation et de richesse. Sa prospérité déclina pendant la domination espagnole, qui imposa sa religion, sa langue et son régime aristocratique, sans égard pour les traditions, les usages et les coutumes du peuple mexicain. De là naquit une lutte, dans laquelle les vaincus opposèrent une résistance passive aux mesures préconisées par les vainqueurs, résistance que les rigueurs ne purent briser et qui mena le pays à une décadence intellectuelle et financière.

Le gouvernement hispanique, appuyé par de faibles garnisons, dure cependant deux siècles. Ce n'est guère qu'en 1789 que se révèlent des aspirations d'indépendance. La première conspiration est promptement réprimée, mais l'exemple de l'émancipation des colonies anglo-américaines, et les difficultés politiques de l'Espagne, (page 8) envahie par les Français et divisée par les querelles de Charles IV et de son fils Ferdinand, donnent des encouragements aux tendances séparatistes du parti national mexicain. Si bien qu'en 1809, une nouvelle conspiration fut ourdie, dans le but de former une junte, destinée à gouverner la contrée. Finalement, le 16 septembre 1810. don Miguel Hidalgo, curé de Dolorès, provoque un soulèvement. Tenant d'une main une épée, de l'autre un crucifix, il marche sur Mexico à la tête de 40.000 Indiens ; indisciplinés et mal armés, les révoltés sont dispersés par les troupes du 58ème vice-roi, don Francisco de Venegas. Hidalgo, livré par les siens, est fusillé.

Morelos, curé de Caracuaro, qui le remplace comme général en chef des insurgés, remporte de nombreux succès. Il inaugure une guerre de partisans, harcelant les régiments royaux et coupant leurs communications. Une méprise tragique amène sa défaite. Dans un combat nocturne, le 7 janvier 1814, deux divisions mexicaines combattent l'une contre l'autre et s'anéantissent. Le général espagnol Llanos profite de cet incident pour vaincre ses adversaires. Morelos, capturé à Atocama, est dégradé de la prêtrise, mené à San Cristobal et fusillé par derrière comme un traître, le 22 décembre 1815. (Biographie universelle ancienne et moderne, Bruxelles, 1843-1847, art. Morelos.)

Un débarquement de Mina, neveu du célèbre général espagnol, à la tête d'une bande d'aventuriers, échoue et ce n'est qu'en 1821 que le Mexique acquiert son indépendance, grâce à Iturbide. Ce créole appartenait à une famille distinguée. Sa beauté, le charme de sa parole, son amabilité lui gagnaient tous les cœurs. Il était arrivé tout jeune au grade de colonel au service de l'Espagne, chose très rare et qui le mit en évidence. Tombé en disgrâce, il se prononce en faveur de l'indépendance, prend le commandement de l'armée des Mexicains, chasse les (page 9) troupes espagnoles et, le 24 février 1821, à Iguala, il lance un plan ou constitution, érigeant le Mexique en monarchie indépendante, sous un prince de la Maison de Bourbon. Le vainqueur entre triomphalement à Mexico et devient régent. Peu après, les Cortès, ayant refusé d'approuver le traité de Cordoba, qui stipule le départ de la garnison espagnole, Iturbide, est proclamé empereur, sous le nom d'Augustin I. Son couronnement, copié sur le sacre de Napoléon 1er, est splendide, et suscite parmi les Mexicains un enthousiasme indescriptible.

Au bout de quelques mois, ses compagnons d'armes se soulèvent. Quoique la popularité d'Iturbide soit considérable, ne voulant pas renouveler la guerre civile, il cède la place et se retire en Italie. (Archives de Vienne. Note de l'Archiduchesse Charlotte.)

La république est proclamée. Au milieu de troubles continuels, divers présidents se succèdent. Le pays tombe dans l'anarchie. Deux partis se disputent le pouvoir : les conservateurs dominés par le clergé et les grands propriétaires ; les libéraux, dont le programme peut se résumer en trois mots : nationalisation des biens d'Eglise, organisation fédérative, affermissement des institutions républicaines (P. de la Gorce : Histoire du second empire, Paris 1899, t. IV, p. 7). Chaque parti achète les chefs de l'armée et organise des pronunciamentos, sorte de révolte militaire, dont le coût varie de 50,000 à 200.000 piastres De 1821 à 1857, le Mexique a 6 formes de gouvernements, 55 ministères et 250 révolutions, dont je ne parlerai pas. Je m'arrêterai cependant à Lopez de Santa Anna, extraordinaire personnage de sens moral qui, appuyé par le parti libéral, remplit dès 1853 les fonctions de président de la République avec le pouvoir absolu et le titre d'Altesse Sérénissime. Etant à court (page 10) d'argent, il vend en 1854 aux Etats-Unis (qui ont déjà acquis en 1845 le Nouveau Mexique et la Californie), la vallée de Mecilla pour 25.000.000 de frs., somme partagée entre les négociateurs : le président, la banque Lizardi, Mr d'Arrangoiz, consul à la Nouvelle-Orléans, et le général Almonte, ancien ministre de la guerre, plus tard chargé des affaires du Mexique à Paris.

Discrédité parmi les libéraux, Santa Anna se tourne vers le clergé, qui possède le tiers des biens du pays et jouit par là d'une influence prépondérante. Il charge Gutierrez de Estrada, ancien ministre des Affaires Etrangères, proscrit pour ses opinions royalistes, de proposer aux cours de Londres, de Paris, de Vienne et de Madrid, d'établir une monarchie au Mexique, sous un prince européen. (L’Intervention française au Mexique, Paris 1868, p. 51.)

Deux anecdotes peindront le singulier caractère de Santa Anna. Lorsque le Texas se déclara indépendant et réclama son annexion aux Etats-Unis, Arrangoiz engagea Santa Anna à reconnaître cette indépendance, disant : « C'est une triste nécessité, mais si vous ne cédez pas le Texas, vous sacrifierez bien davantage, car nous aurons une guerre sur les bras, que nous ne sommes pas en état de soutenir avec succès. »

Santa Anna répondit : « Je serais assez disposé à reconnaître le Texas, mais vraiment je n'en vois pas la possibilité avec la canaille qui m'entoure et que je dois ménager. On dit qu'il y a de fort beaux coqs dans le Tennessee, faites-moi le plaisir de m'en procurer. » (Archives de Vienne, notes de l’archiduchesse Charlotte.)

Les combats de coqs étaient le seul plaisir de Santa Anna, et un jour qu'il était dans son cabinet, un évêque, alors ministre, entra son portefeuille sous le bras. Survint un aide de camp.

(page 11) « - Monsieur le Président, Lola de Plata est là qui attend. »

« - Excusez-moi Monseigneur, s'écria Santa Anna une affaire importante m'appelle, je reviendrai immédiatement. »

Une heure se passe, deux heures, le Président ne reparaît pas. L'évêque, dont la patience est à bout, questionne l'aide de camp : « Dites-moi, je vous prie, quel est ce señor Lola de Plata qui absorbe exclusivement l'attention de Santa Anna ? »

« - Ah ! c'est le coq favori du Président ! »... Coup de foudre pour l'évêque ; il s'assied au bureau et écrit :

« Général, quelqu'un qui est capable de s'oublier de la façon impardonnable dont vous venez de le faire, ne mérite pas d'avoir un caballero pour ministre. » Ainsi dit, ainsi fait, Santa Anna empocha la leçon et l'évêque retourna chez lui. (Archives de Vienne, notes de l’archiduchesse Charlotte.)

Les procédés de gouvernement du président dépassèrent la mesure de ce qu'on tolérait, même au Mexique : Une révolution éclata. Son altesse sérénissime fut expulsée et se retira à la Havane. Une nouvelle constitution est promulguée le Ier février 1857, établissant le suffrage universel et ordonnant la vente des biens de main morte, dont la contre-valeur sera remise aux congrégations. Cette dernière prescription détruit l'influence du clergé, qui résiste par tous les moyens : protestations, pétitions, rebellions militaires. Parmi les agitateurs se distinguent Zuloaga, croupier devenu général ; Miramon, jeune officier d'origine française ; le P. Miranda, qui sous tous les déguisements se montre partout et reste toujours insaisissable.

Comonford, le premier président élu par le nouveau système électoral, essaye d'amender la Constitution et (page 12) d'amener ainsi une entente entre les deux partis rivaux. Il échoue et démissionne. A l'instant, le général Zuloaga, chef des réactionnaires, s'établit à Mexico et assume la dictature. D'après la Constitution, la présidence de la République incombe au président de la Cour suprême, fonction exercée par Benito Juarez.

Cet indien, gardien de troupeaux jusqu'à 12 ans, était entré en service chez un relieur qui, frappé de son intelligence, l'envoya au séminaire. Devenu avocat à Oaxaca, il se distingue tellement par ses travaux juridiques qu'il est nommé député. Jeté en prison par Santa Anna, il s'évade et gagne la Nouvelle-Orléans. Rappelé par le président Alvarez, il est successivement ministre de la justice, de l'intérieur, président de la Cour Suprême. Petit, large de carrure, d'un visage brun où brillent des yeux noirs puissants, tout dans son attitude, dans son langage, dénote une indomptable énergie. (E. Ollivier : L'expédition du Mexique, Paris, Nelson p. 22.)

Chose extraordinaire, il ne prend jamais part aux opérations militaires. Tandis qu'on se battait aux portes de Mexico pour et contre lui, un de ses amis vient lui dire : « Président, montez donc à cheval et courez soutenir par votre présence le courage de vos soldats. »

« - Je ne sais pas monter à cheval, répond flegmatiquement Juarez, étendu sur un canapé et en continuant à fumer. »

Lors de la retraite de Comonfort, Juarez, en vertu de la Constitution, se proclame président de la République, mais comme toute l'armée est passée à Zuloaga, il transporte son gouvernement à Guadalajara. Là, il court un danger sérieux. Un de ses généraux, Landa, le trahit et le fait prisonnier avec tout son ministère. Des soldats sont amenés :

« - Feu », ordonne le traître.

(page 13) Juarez s'avance avec un air d'autorité, les soldats baissent leurs armes. Landa, effrayé, se contente d'une forte rançon. Fuyant de ville en ville, le président avec l'aide des Américains gagne Vera Cruz-par la Nouvelle-Orléans.

ce temps, à Mexico, Zuloaga réunit une assemblée de notables et se fait élire président. L'année suivante, deux de ses généraux font un pronunciamentos. Le général Miramon part à leur rencontre et les écrase. A cette nouvelle, une révolution éclate à Mexico : Zuloaga est renversé et Miramon est proclamé président. Celui-ci décline cet honneur ; il revient dans la capitale et y rétablit son chef. Cependant les troubles continuent. Zuloaga est enlevé à la sortie d'un bal. Le général est beaucoup plus mortifié de la toilette, sous laquelle il se trouve que de l'attentat exécuté contre sa personne.

« Laissez-moi rentrer dans ma maison prendre un vêtement convenable, disait-il à ses ravisseurs, ne voyez- vous pas que je suis ridicule dans ce costume » ?

Pauvre président ! Il doit se résigner à quitter sa capitale avec un habit à queue de morue et une cravate blanche, pendant que Miramon consent à occuper sa place (2 février 1859).

Après quelques mois de campagne, une armée libérale, sous les ordres du général Ortega, bat Miramon et s'empare de Mexico, où Juarez rentre le 11 janvier 1861. Immédiatement, il applique les « lois de réforme » qu'il a édictées à Vera Cruz au mois de juillet précédent et qui établissent : la tolérance des cultes, l'abolition des ordres religieux, la nationalisation des biens écclésiastiques, le mariage civil. (G. Niox : L'expédition du Mexique, Paris 1874. p. 12.)

Ensuite, il exile l'archevêque de Mexico, Mgr Labastida, et cinq évêques ; puis, sans se soucier des (page 14) conséquences de cet acte, il expulse l'ambassadeur d'Espagne, M. Pachéco.

L'impératrice Eugénie, étant aux Eaux-Bonnes pendant que Napoléon faisait une cure à Vichy, se promena un jour avec Hidalgo, ancien secrétaire de la légation du Mexique à Madrid. Elle lui dit :

« - Il paraît que les affaires s'embrouillent en Espagne et que l'on songe à une intervention au Mexique. »

« - Madame, je voudrais que les affaires s'embrouillassent bien davantage. »

« - Pourquoi ? »

« - Parce qu'alors c'est la France qui serait forcée d'intervenir, et elle le pourrait, car elle a contre le Mexique les mêmes griefs que l'Espagne. »

L'impératrice accueille l'idée avec transport et télégraphie à l'Empereur. « Quelle est votre opinion sur une intervention de la France au Mexique ? » Napoléon répond : « Je m'en occupe. »

En effet, depuis des années, l'Empereur avait eu son attention tournée vers le Mexique. Déjà en 1853, il avait dit à un agent secret de Santa Anna : « que votre Président ne fasse pas de folies, qu'il ne provoque pas les Américains et qu'il se tienne pour assuré que j'interviendrai dans les affaires de son pays. » Or, en 1861, le hasard avait voulu que le général Prim (homme politique espagnol, qui contribua à renverser la Reine Isabelle. (1814-1870)) se trouvât à Vichy. Par son esprit et son caractère insinuant, il avait complétement abusé l'Empereur, et l'avait assuré d'un dévouement à la vie et à la mort. Ce ne fut cependant pas cette raison qui décida le ministère espagnol à mettre cet homme remuant à la tête de l'expédition contre le Mexique. Ce fut le désir de s'en débarrasser (Archives de Vienne. Note de l'Archiduchesse Charlotte).

A son retour à Paris, Eugenie interroge divers (page 15) réfugiés mexicains et se passionne pour les malheurs d'un pays espagnol par la langue et les mœurs. En outre, très religieuse, elle s'indigne des persécutions dont les catholiques sont l'objet. A ce moment, la souveraine fait de la politique. Elle en fait comme on ferait un roman et « court volontiers, dit Metternich, ambassadeur d'Autriche à Paris, à travers le labyrinthe des rêves et des châteaux en Espagne. » (Revue de Paris du 1er février 1924. - H. Salomon : Le prince R. de Metternich.)

Tout de suite, elle patronne la candidature de l'Archiduc Maximilien, qu'elle a connu à Paris et qui lui a plu par sa culture intellectuelle et l'aménité de ses manières. Le prince lui a d'ailleurs été vivement recommandé par Hidalgo, en qui elle a grande confiance, car ce diplomate vient de lui rendre un service signalé. Calderon Collantes, ministre des Affaires Etrangères d'Espagne, avait envoyé une espèce d'espion chez la comtesse de Montijo, la m !re de l’impératrice Eugénie, pour tâcher de savoir ce que faisait l'impératrice. Cet homme s'appelait le comte de Rio Molin. Il dit un jour à Hidalgo :

« - Mon cher, vous faites fausse route avec votre prince étranger, c'est un Espagnol qu'il vous faut et une bonne place à Madrid vous conviendrait bien mieux. Je me fais fort de vous la procurer.

Hidalgo répartit : « - Mon cher Rio Molin, si c'est là votre diplomatie, elle est vraiment peu habile. Mais le fut-elle davantage, que vous n'auriez pas mieux réussi. »

Et il répéta à l'impératrice les offres de Rio Molin. (Archives de Vienne. Notes de l'Archiduchesse Charlotte.)

Impétueusement, la souveraine poursuit son but. Elle parle à Metternich à Etioles et lui fait écrire de Biarritz par le comte Walewsky, son confident.

« On serait tout disposé ici à soutenir moralement, bien entendu, la candidature de l'archiduc Maximilien, (page 16) si cela convenait à Vienne. Dans ce cas, on serait prêt, Je crois, même à prendre l'initiative, au moment opportun, avec l'Angleterre, l'Espagne, etc. »

La proposition est accueillie par François-Joseph avec empressement. Il est désireux d'éloigner son frère, qu'on accuse de convoiter la couronne de Hongrie, et il entame des négociations.

« Au mois d'octobre 1861, l'Empereur François-Joseph, écrit Charlotte à l'archiduchesse Sophie, sa belle-mère, envoya à notre grande surprise le comte de Rechberg à Trieste, pour faire des ouvertures pressantes à Maximilien, au sujet du trône qui allait se fonder au Mexique et l'engager à l'accepter. Maximilien fit dépendre son consentement éventuel de plusieurs conditions clairement définies, dont il ne s'est jamais écarté et qu'il a renouvelées depuis en toute circonstance. C'était, entr'autres, l'appui efficace des grandes puissances maritimes, le libre choix des Mexicains et des garanties contre les Etats-Unis. Outre le désir de l'Empereur de voir Max s'engager dans une entreprise dont la grandeur, le caractère religieux et social semblent promettre de la gloire à notre famille, et procurer des avantages immédiats à l'Autriche, en resserrant ses relations amicales avec la France, c'est aussi le vœu ardent du Saint-Père, qui en a plusieurs fois écrit chaudement à Max. » (Archives de Vienne.)

La réponse de son candidat satisfait Napoléon, qui au mois de novembre 1861, confie à Metternich : « J'avoue que mille appréhensions naturelles, que j'entrevoyais de la part de l'Empereur d'Autriche comme chef de la Maison impériale, nous faisaient craindre un refus, et que j'ai été vraiment heureux d'apprendre avec quelle bonne grâce l'empereur François-Joseph avait répondu à mes vœux. J'ai été très touché aussi de voir l'Archiduc, pour lequel j'ai une très grande estime, accepter un tel (page 17) sacrifice, et je suis prêt à me mettre entièrement à sa disposition et à accueillir immédiatement toute demande de votre part. » (Revue de Paris de 1er février 1924. - Article cité.)

Charlotte, prévenue par Gutierrez de Estrada des dispositions bienveillantes de l'impératrice à l'égard du Mexique, et de Maximilien, lui écrivit, le 22 janvier 1862 :

« Votre Majesté qui toujours favorise le bien, semblait visiblement désignée par la Providence pour commencer une œuvre qu'on pourrait appeler sainte, par la régénération qu'elle est destinée à opérer et surtout par le nouvel essor qu'elle doit donner à la religion chez un peuple, où les discordes civiles n'ont encore pu éteindre la foi ardemment catholique de ses ancêtres. La bonté compatissante de V. M. ne lui a pas permis d'oublier que les Mexicains sont de race espagnole. C'est donc à Elle que cette nation infortunée sera redevable de la première perspective d'avenir, qui lui ait été offerte depuis 40 ans, aussi ne séparera-t-elle jamais dans ses actions de grâces le nom de son auguste bienfaitrice et celui de l'Empereur... » (Archives de Vienne.)

L'impératrice lui répond le 3 février 1862 :

« La Providence aidant, comme elle l'a fait jusqu'à ce jour, nous espérons que le moment est proche, où les vœux des Mexicains ainsi que les désirs des nations civilisées seront accomplis. Je sais d'avance quelle bienfaitrice V. A. I. sera pour toutes ces populations livrées aujourd'hui à la démoralisation, mais qui sont pourtant prêtes à se rallier à ceux qui vont désormais unir leur sort au leur ; leur dévouement sera, j'en suis sûre, la récompense du Prince qui quitte sa patrie et sa famille pour leur porter la régénération et la vie. Il y a tout à faire dans l'ordre moral comme dans l'ordre matériel. C'est la grandeur de la tâche qui a trouvé un si noble écho dans vos cœurs et, avec une volonté ferme, que d'obstacles on peut vaincre ! » (Archives de Vienne .)


(page 18) Pendant ce temps, que se passait-il au Mexique ? M. t' Kint de Roodenbeke, chargé d'affaires de Belgique, décrit ainsi l'état des choses et son appréciation est confirmée par ses collègues du corps diplomatique (à l'exception du consul d'Angleterre à Vera-Cruz, Mattews) :

« La situation politique de ce pays si sombre déjà, s'est encore compliquée davantage. D'une part, les bandes réactionnaires de Marquez et de Zuloaga tiennent toujours la campagne dans la partie centrale du pays. Elles, et les brigands de grand chemin qui s'y multiplient, rançonnent et pillent les villages, les fermes, et les voyageurs. Ils entretiennent un manque de sécurité presque absolu dans le district fédéral et les Etats de Mexico, de Puebla et de Queretaro. La plupart des autres Etats, où le calme n'est point troublé, regardent froidement ces désordres.

« L'ineptie qui caractérise tous les jours davantage le gouvernement, et les nombreuses difficultés qui l'entourent et qu'il est incapable de surmonter, le rendent de plus en plus impopulaire. On avait pensé d'abord, pour remplacer Juarez, au général Ortega, élu à cet effet vice-président de la République par le Congrès ; mais ce dernier vient également de se dépopulariser dans la campagne actuelle, où il n'a fait preuve jusqu'à ce jour que de continuelles fanfaronnades. »

Même les étrangers ne sont pas exempts des épreuves communes. On n'a plus aucun égard pour le corps diplomatique ; le consul de France Lacroix est emprisonné ; les portes de la légation d'Angleterre sont forcées par le général Marquez, lieutenant de Miramon, qui s'empare de 660.000 piastres, soit 3.300,000 frs., destinés au paiement des intérêts des emprunts contractés à Londres.

Traduit devant un tribunal mexicain, cet officier (page 19) supérieur est acquitté, « le fait imputé, d'après le juge, ne constituant pas un vol, mais une extorsion politique. »

L'Espagne, l'Angleterre et La France ne pouvaient admettre un tel manque d'égards. Des pourparlers s'engagent. Cependant l'entente ne se conclut pas immédiatement, car si les nations intéressées sont décidées à défendre la vie et les biens de leurs sujets, elles considèrent les événements à des points de vue différents. L'Espagne surveillait jalousement son ancienne colonie ; le projet d'Iturbide de placer ce pays sous un prince de la maison de Bourbon plaisait à la reine Isabelle II, qui songe à réclamer ce trône pour sa fille, après lui avoir fait épouser le comte de Flandre, second fils de Léopold Ier. (Archives de Vienne. Notes de l'Archiduchesse Charlotte.)

L'Angleterre garde une attitude circonspecte, craignant de s'attirer des difficultés avec les Etats-Unis et se méfiant des projets de Napoléon. Quant à la France, les mobiles de son intervention ont été discutés. Voici comment Napoléon les expose dans une lettre adressée au Comte de Flahault, grand chancelier de la Légion d'honneur, en ce moment à Londres :

« Palais de Compiègne, le 5 octobre 1861.

« Mon cher comte de Flahault,

« Comme j'apprends par les Thouvenel que notre convention au sujet du Mexique ne marche pas, je veux vous exprimer franchement mes idées, afin que vous les communiquiez à Lord Palmerston. Lorsque le (page 20) premier ministre sera au fait des intentions que j'apporte dans cette affaire, j'espère qu'il voudra bien aussi vous dire clairement le fond de sa pensée et qu'il en résultera une entente et une action communes. Il est inutile de m'étendre sur l'intérêt que nous avons en Europe à voir le Mexique pacifié et doté d'un gouvernement stable. Non seulement ce pays, doué de tous les avantages de la nature, a attiré beaucoup de nos capitaux et de nos compatriotes, dont l'existence se trouve sans cesse menacée, mais par sa régénération, il formerait une barrière infranchissable aux empiètements de l'Amérique du Nord, il offrirait au commerce anglais, espagnol et français un débouché en exploitant ses propres richesses et il rendrait de grands services à nos fabriques, en étendant ses cultures de coton. L'examen de ces divers avantages, comme le spectacle d'un des plus beaux pays du monde, livré à l'anarchie et menacé d'une ruine prochaine, sont les raisons qui m'ont toujours vivement intéressé au sort du Mexique.

« Depuis plusieurs années, des personnages importants de ce pays sont venus me trouver pour me dépeindre leur état malheureux et me demander mon appui, disant qu'une monarchie seule pouvait rétablir l'ordre dans une contrée déchirée par les factions. Ils se sont également, je crois, adressés à l'Angleterre, mais à cette époque je ne pouvais faire des vœux stériles. Malgré ma sympathie, je leur répondis que je n'avais aucun prétexte pour intervenir au Mexique, qu'en Amérique surtout, ma conduite était étroitement liée avec celle de l'Angleterre, que dans le but qu'ils proposaient, je croyais difficile d'établir un accord avec le cabinet de Saint-James, que nous risquerions de nous brouiller avec les Etats-Unis et qu'ainsi, il fallait attendre de meilleurs jours.

« Aujourd'hui, des évènements imprévus sont venus changer la face des choses. La guerre d'Amérique a mis les Etats-Unis dans l'impossibilité de se mêler de la question et les outrages des journaux mexicains sont venus donner des raisons légitimes à l'Angleterre, l'Espagne et la France d'intervenir au Mexique. Dans quel sens cette intervention doit elle être dirigée? Voilà la question. Je conçois très bien que la Convention entre les trois puissances qui enverront des forces en Amérique, n'établisse comme but ostensible de notre (page 21) intervention que le redressement de nos griefs légitimes, mais il faut prévoir ce qui peut arriver et ne pas bénévolement se lier les mains pour empêcher une solution qui serait dans l'intérêt de tous.

« D'après ce que j'ai appris, dès que les escadres paraîtront devant Vera-Cruz, une partie considérable du Mexique est prête à s'emparer du pouvoir, à convoquer une assemblée nationale et à proclamer la monarchie.

« On m'a demandé confidentiellement, dans ce cas, quel serait mon candidat. J'ai déclaré que je n'en avais pas encore, mais que, le cas échéant, il faudrait choisir un prince animé de l'esprit du temps, doué d'assez de fermeté et d'intelligence pour fonder dans ce pays, ruiné par tant de révolutions, un ordre de choses durable, qu'il fallait enfin que ce choix ne blessât pas la susceptibilité des grandes puissances maritimes et j'ai mis en avant le nom de l'archiduc Maximilien.

« Cette idée a été acceptée avec bonheur par le petit comité mexicain résidant en France. Les qualités du prince, son alliance par sa femme avec le Roi des Belges, lien naturel entre la France et l'Angleterre, le fait d'appartenir à une grande puissance maritime, tout cela m'a paru répondre à toutes les conditions désirables. Et moi de mon côté, je vous l'avoue, j'ai cru de bon goût de proposer comme candidat éventuel un prince appartenant à une dynastie avec laquelle j'étais récemment en guerre. Les Mexicains qui prennent naturellement les choses plus vivement que moi et qui sont impatients de voir les évènements se précipiter, ont fait sonder le cabinet de Vienne qui, à ce qu'on m'a dit, avait accepté l'ouverture sous deux conditions : d'abord que le Prince aurait l'appui de la France, et secondement que les vœux du peuple mexicain seraient franchement et loyalement exprimés. Voici où en sont les choses.

« Vous voyez bien, mon cher M. de Flahault, que je n'ai dans toute cette question qu'un but, celui de voir les intérêts français protégés et sauvegardés pour l'avenir par une organisation, qui arracherait le Mexique à une dévastation indienne ou à une invasion américaine. Je suis bien aise enfin de montrer que, loin d'avoir des préférences égoïstes ou des répugnances injustes, je ne cherche que le bien, convaincu que (page 22) tâcher de rendre un peuple prospère, c'est travailler efficacement à la prospérité de tous.

« En résumé, je ne demande pas mieux que de signer avec l'Angleterre et l'Espagne une convention, ou le but ostensible de notre intervention sera le redressement de nos griefs, mais il me serait impossible, sans manquer à la bonne foi et, connaissant l'état des choses, de m'engager à ne pas appuyer, moralement au moins, un changement que j'appelle de tous mes vœux, puisqu'il est dans l'intérêt de la civilisation toute entière.

« Croyez...

« Napoléon. »

L'Empereur communiqua la copie de cette lettre à Léopold 1er, qui lui répondit que les Mexicains avaient toujours eu des opinions monarchiques et lui avaient même jadis proposé le trône ; mais Canning, alors premier ministre, s'était opposé à ce qu'il l'acceptât, craignant qu'on n'accusât l'Angleterre de dissimuler des pensées d'annexion. Le Roi remerciait ensuite Napoléon de la façon, dont il introduisait la candidature de Maximilien, et affirmait ne pouvoir préjuger des intentions de son gendre. (Arch. de Vienne. Lettres de Léopold Ier à l'archiduc Maximilien, des 20 et 25 octobre 1861 et 23 août 1865.)

Il est à remarquer que Napoléon, tout en déclarant qu'il ne présente pas de candidat français et qu'il n'agit pas dans l'intérêt exclusif de la France, avoue que son intervention ne se bornera pas à l'obtention de dommages et intérêts. Ses conceptions politiques sont beaucoup plus vastes : « La grande pensée du règne », suivant les mots prononcés à la tribune par le ministre Rouher, est la substitution à la république mexicaine d'un empire latin, organisé à l'européenne, destiné à contrebalancer en Amérique l'influence des Etats-Unis.

Doit-on croire aussi, comme l'affirme Ollivier, qu'en (page 23) dehors de ce but avoué. Napoléon entrevit dans l'octroi d'un trône à l'archiduc, un acheminement à l'affranchissement de la Venétie ? Espéra-t-il que, satisfait du don offert à sa famille. François Joseph consentirait à lâcher cette province, en échange d'un agrandissement sur le Danube. « Le spectre de Venise erre dans les salles des Tuileries » écrivait Nigra, ambassadeur d'Italie au Ministre Ricasoli.

Quoi qu'il en soit de ces combinaisons politiques, Napoléon compte obtenir un avantage immédiat pour la France. Il exige, en effet, à titre de garantie du remboursement de ses frais de guerre et de ses avances au trésor mexicain, le droit d'exploitation de toutes les mines et terres cultivables, non exploitées ou non occupées, dans la partie du territoire mexicain située entre le 26e de latitude et la frontière du Nord, y compris la presqu'ile de la Basse Californie. Cette contrée, d'une richesse minérale unique au monde, serait devenue pour la France, la plus belle de ses colonies. (Papiers de M. Eloin : projet d'un article additionnel la Convention de Miramar.)

Pour atteindre ces résultats, il faut qu'un prétexte justifie une occupation militaire du Mexique : Napoléon ne tarde pas à l'acquérir.

La dette mexicaine se divisait en dette extérieure et en dette intérieure. La première consistait surtout en emprunts anglais à 3 p.c., la seconde était composée de capitaux souscrits dans le pays et avait été augmentée à plusieurs reprises par Miramon ; ensuite, n'ayant plus aucun crédit, celui-ci frappa d'impôts exorbitants la fortune mobilière, immobilière et même morale des nationaux, ainsi que celle des étrangers. Les représentants des puissances ayant protesté, la faillite semblait imminente, quand le banquier suisse Jecker fit adopter par Diaz, ministre des finances de Miramon, la combinaison suivante : le gouvernement émettait 75 millions de francs en bons 6 p.c., remboursables en 8 ans, qui seraient (page 24) acceptés à concurrence de 20 p. c. dans les paiements dus à l'Etat ; de plus, moyennant une soulte de 25 p.c. en argent, ils seraient échangeables contre les anciens titres discrédités de la dette intérieure. C'était donc une conversion qui rapporterait à l'Etat, en numéraire, le montant de la soulte versée de 25 p.c. et donnerait aux détenteurs des anciens titres, un bon négociable. (Comte E. de Keratry : La créance Jecker, Paris 1868. p. 21.) Jecker garantissait la moitié de l'intérêt de 6 p.c. pendant 5 ans. et, retenait comme commission 5 p.c. sur l'ensemble de l'émission, soit 3.750.000 fr.

L'émission échoua : le gouvernement de Miramon ne reçut que 7.452.000 fr. et la maison Jecker devint propriétaire de 68 millions de bons, devenus sans valeur, car Juarez, dès son retour à Mexico, annula l'emprunt contracté par Miramon. Alors Jecker, dont les affaires périclitent, s'entend avec Almonte, représentant de Miramon à Paris et promet au duc de Morny, président du Corps législatif, 30 p.c. sur les bons qui seront remboursés par le Mexique. (Lettre de M. Jecker à M. Conti, chef du cabinet de Napoléon III, du 8 décembre 1869.)Subissant l'influence de cet homme d'Etat, le ministre des Affaires Etrangères, Thouvenel, impose à Juarez la reconnaissance de la créance Jecker.

Bien que le gouvernement mexicain ait mis en vente pour 80 millions de piastres de propriétés ecclésiastiques, cette mesure ne remplit pas ses caisses, car les acheteurs manquent et le désordre administratif est à son comble.

« Le ministre des Finances, Gonzales Echeverria, rapporte t'Kint, avoue qu'il ne trouve pas un employé de confiance. Les sommes provenant des biens du clergé, des contributions ordinaires et extraordinaires, ainsi que des emprunts forcés, qui ont été dilapidés depuis 15 mois dépassent toute croyance. Et le trésor est toujours épuisé et la suspension de toute espèce de paiement reste toujours décrétée. Mais les concussions, loin de s'arrêter au milieu de la pénurie générale, s'exercent plus ouvertement que jamais. Depuis peu, une ferme de la valeur de 400.000 piastres (2 millions de francs) a été vendue presque gratuitement à un membre du gouvernement actuel ; l'hôpital de Tercelos, à Mexico, valant 150.000 piastres, a été adjugé à un ami intime du ministre pour 10.000 piastres ; le couvent de Santa Clara, à Mexico, valant 100.000 piastres, a été donné en propriété au chef de la police pour 17.000 piastres, payables en papier. » (Archives du ministère des Affaires Etrangères de Belgique. Rapport de t'Kint de Roodenbeke du 26 mars 1862.)

Pour remédier à cette gabegie, Juarez réunit un Congrès qui suspend le paiement des intérêts de la dette intérieure, puis, le 17 juillet 1861, il ajourne à deux ans tous les remboursements stipulés par les contrats financiers passés avec les puissances étrangères.

Dubois de Saligny, ministre de France, et Sir Charles Wycke, ministre d'Angleterre, aux noms de leurs pays, protestent et, n'obtenant pas satisfaction, rompent les relations diplomatiques. Des manifestations populaires éclatent. Le 14 août, à 8 heures du soir, pendant que l'on célèbre la victoire que les troupes du gouvernement viennent de remporter sur les forces de Marquez et de Zuloaga, une balle est tirée dans la galerie extérieure de la légation de France, où se promenait M. de Saligny. Deux heures après, une des sérénades improvisées qui parcourent la ville, s'arrête pendant 15 minutes devant la légation, en criant : « Mort au ministre de France. »

Les envoyés des Etats-Unis, de Prusse, de Belgique adressèrent une note collective au ministre des Relations Extérieures, exigeant une enquête sévère et la (page 26) punition des coupables. Ils profitèrent de cette circonstance pour se plaindre de l'indifférence avec laquelle le gouvernement tolère les assassinats d'étrangers qui se commettent presque journellement. Les autorités mexicaines répliquent que la balle qui a pénétré dans la légation de France provient d'un ricochet et ne se donnent même pas la peine d'exprimer des regrets de ces incidents. (Archives du ministère des Affaires Etrangères de Belgique, Rapport de t'Kint du 27 août 1861.) Au contraire, la presse se répand en articles injurieux contre Dubois de Saligny, que des caricatures représentent une bouteille de cognac à la main. Trait caractéristique du personnage. (Ch. Mismer : Souvenirs de la Martinique et du Mexique, Paris, 1890, p. 115.)

Cette attitude et l'insuffisance des mesures nécessaires à la sauvegarde des étrangers, décident les gouvernements français, anglais et espagnol à signer à Londres le 31 octobre 1861, une Convention par laquelle les trois puissances expédient les troupes nécessaires à l'occupation des forteresses et ports du Mexique (Moniteur belge, 1862, p. 690.)

Le but de l'intervention est d'obtenir la réparation des dommages subis par les résidents étrangers et chacune des puissances s'engage à n'exercer aucune influence de nature à préjudicier au droit de la nation mexicaine de choisir librement la forme de son gouvernement. (Moniteur belge, 1862, p. 852.)

Au mois de décembre, la flotte espagnole paraît devant Vera Cruz. A l'instant, le général Prim fait débarquer 7000 hommes et occupe la ville et le fort de San Juan de Uloa. Marié à une Mexicaine, soutenu par le journal Eco de Europa, publié à Mexico, il vise à devenir vice-roi, sous le protectorat de l'Espagne. La (page 27) venue des navires de guerre français et anglais interrompt ces menées. Les commissaires alliés, le général Prim, Sir Charles Wycke et l'amiral Jurien de la Gravière, se concertent et présentent les réclamations de leur gouvernement respectif, qui s'élèvent à 40 millions pour l'Espagne, 80 pour l'Angleterre, 60 pour la France, plus la reconnaissance des bons Jecker.

Si les commissaires alliés avaient pris une attitude plus décisive et s'étaient rendus immédiatement à Mexico, ils n'auraient rencontré aucune résistance dans leur marche et auraient obtenu satisfaction sur toutes les questions. Au lieu de cela, ils traitent avec Doblado, ministre de Juarez, homme fort habile, qui cherche à gagner du temps et réussit parfaitement. Il signe le 19 février 1862, à la Solédad, une convention préliminaire, par laquelle les représentants des puissances s'engagent à ne porter aucune atteinte à l'indépendance, à la souveraineté et à l'intégrité du territoire de la république. En retour, les troupes européennes pourront s'établir dans les trois villes de Cordova, Tehuacan et Orizaba, situés dans une région salubre. Elles y demeureront pendant tout le temps des pourparlers relatifs aux réparations, qui s'ouvriront à Orizaba le 15 avril.

Utilisant ce délai, le gouvernement mexicain prépare sa défense et négocie avec les Etats-Unis l'envoi d'un contingent de troupes et une avance de 15 millions de piastres, contre la garantie des terrains vagues de la République et l'abandon de la partie encore disponible des revenus des douanes maritimes.

Mais au mois de mars, l'arrivée au Mexique du général français de Lorencez avec 4.000 hommes de troupes de renfort, accompagné du général Almonte et de réfugiés mexicains de Paris, annonçant hautement leur volonté de renverser Juarez et de lui substituer l'archiduc Maximilien, soulève les protestations du gouvernement (page 28) mexicain, protestations qui sont appuyées par les commissaires anglais et espagnols. (Moniteur Belge, 1862, pp. 1755 et 2364.)

Almonte, diplomate avisé et retors, persona grata auprès de Napoléon T Il, jouit dans son pays d'une considération particulière, car on le considère comme le fils de Morelos. Pendant sa lutte pour l'indépendance, l'illustre patriote était suivi d'une femme et d'un enfant, qu'il était souvent obligé de cacher. Et quand on lui demandait où était son fils, il répondait : « Al monte », dans la montagne. D'où naquit ce nom.

Il aurait été odieux pour les Français d'amener des émigrés et de les aider à assaillir un gouvernement avec lequel ils avaient pris jour pour une conférence, s'ils n'avaient eu de nombreuses plaintes à formuler, entre autres : l'exécution à San Andréa par les Juaristes du général Manuel Robles, qui se rendait auprès des alliés ; l'attaque et la prise d'un convoi de vivres ; l'assassinat de plusieurs militaires sur la route de Vera Cruz ; enfin de nouveaux vols et meurtres commis sur leurs nationaux. (Archives du ministère des Affaires Etrangères de Belgique. Rapport de t'Kint de Roodenbeke du 28 avril 1862)

De plus, on avait saisi une lettre, en date du 25 mars, adressée par le ministre de la Guerre, le général Minojosa, au gouverneur de Nuevo Leon ainsi conçue :

« Des événements imprévus, comme l'exécution de M. Manuel Robles, vont donner lieu inévitablement au commencement des hostilités. ... Veuillez, par conséquent, faire partir les 1.000 soldats de votre Etat et les faire parvenir à marches forcées ... Il est très urgent que ces forces viennent et davantage si possible, car la guerre est imminente. »

Dans ces conditions les commissaires français (page 29) déclarent ne plus vouloir traiter qu'à Mexico et refusent d'expulser le général Almonte. Ses incidents, relatés en Europe, amenèrent des résultats différents.Lord Russel, premier ministre anglais, ratifia la conduite de Sir Charles Wycke, tandis que le gouvernement français repoussa la Convention de la Toledad, en insérant son désaveu au Moniteur. L'Amiral Jurien de la Gravière fut disgracié et replacé au commandement de la division navale, Saligny resta seul chargé des négociations diplomatiques.

Dans une lettre à Maximilien du 7 mars 1862, Napoléon III, juge ainsi les événements :

« Mon Frère,

« Je n'ai pas répondu plus tôt à V. A. I. parce que j'attendais pour le faire d'avoir reçu des nouvelles du Mexique. Celles qui sont arrivées ne sont pas très bonnes, parce que le général Prim paraît animé de vues ambitieuses personnelles et qu'il a fait faire à l'Amiral Jurien bien des démarches inconsidérées ; heureusement l'arrivée de mes troupes de renfort avec le général de Lorencez changera la situation. Mais nous ne pourrons avoir de ses nouvelles que dans un mois.

« Le général Prirn, au lieu de marcher en avant et de parler en maître, s'est pour ainsi dire humilié devant le gouvernement de Juarez. Son aide de camp, envoyé à Mexico, a répondu aux personnes qui manifestaient le désir du retour de la monarchie, que bientôt il n'y plus aurait élus de monarchies même en Europe. Malgré cela le ministre de Prusse écrit à M. de Saligny que le parti monarchique fait de notables progrès ; une dépêche plus récente de l'Amiral Jurien, à la date du 9 février, annonce que l'expédition va enfin marcher en avant.

« Les éléments dans le pays paraissent tout disposés, il faut seulement savoir en profiter et je suis désolé de voir que mon amiral se laisse jouer par le général Prim. C'est bien malheureux que l'Espagne ait chargé un tel homme de cette grave mission, je vais envoyer encore un général pour examiner la situation et voir si l'amiral Jurien ne doit pas se retirer. Enfin j'espère beaucoup de l'effet moral qu'aura fait l'arrivée du général de Lorencez, car d'après tous les avis que (page 30) je reçois, autant on déteste les Espagnols, autant on aime les Français. »

Dans une réunion au Mexique, les divergences de vues entre les commissaires alliés s'accentuent, une discussion s'élève entre Prim et Saligny :

« Vous avez prétendu, dit l'Espagnol, avoir la preuve que je m'opposais à la candidature de Maximilien, par ce que j'aspirais à me faire couronner moi-même. Produisez cette preuve. »

« - Je n'ai fait, riposte le Français, que répéter ce qui se dit en public. »

Bref, Prim et sir Charles Wycke se retirent. Leurs troupes se rembarquent. Ce contretemps n'arrête pas Napoléon, il s'entête malgré les lettres que lui envoie Prim, dans lesquelles le général dépeint admirablement la situation, qu'il résume en disant au sénat espagnol le 10 décembre 1862 : « Les Français ne possèderont au Mexique que la parcelle de terrain sur laquelle ils poseront les pieds. » Mais l'Empereur ne croit pas à la sincérité de Prim et il défend sa politique dans une lettre à Maximilien du 4 juin 1862 :

« Il n'y a sorte d'intrigues que Prim n'ait faites pour tâcher de faire échouer nos projets, mais heureusement cela tournera à sa honte. J'ai toujours été droit mon chemin. Etant en guerre avec le gouvernement mexicain, je n'ai pas voulu traiter avec lui, j'ai dit à mes représentants qu'il ne s'agissait nullement d'imposer aux Mexicains un gouvernement quelconque, mais d'appuyer la monarchie, si elle avait des partisans dans le pays et des chances de stabilité. Cette conduite était très simple et très loyale et, cependant, on a voulu défigurer mes intentions et dénaturer le caractère de l'intervention. »

Quoiqu'en France l'opinion publique désapprouve la guerre, que Jubinal et Jules Favre aient protesté au sein du Corps législatif, Napoléon entreprend donc sa funeste campagne, cédant à l'influence de l'impératrice, qui est tout feu, tout flamme pour le Mexique.

« Elle m'a fait de ce pays, écrit Metternich le 9 février 1862, une description ravissante. Cette expédition lointaine, chevaleresque et aventureuse, qui rappelle la grande époque de sa patrie, sourit à son imagination méridionale. Elle m'a donné tous les détails des négociations, de l'expédition française, des différentes candidatures repoussées par la France, qui forme des vœux pour l'archiduc Maximilien, de la conduite imprévoyante de l'Espagne, des difficultés à vaincre et des espérances d'une bonne et prompte solution. »

« L'arrivée du général de Lorencez, disait-elle, et de nos renforts a mis fin aux intrigues du général Prim. Les Espagnols n'ont fait que des embarras. Les Anglais au moins nous laissent faire, en étant, il est vrai, aussi désagréables que leurs représentants seuls savent l'être toujours et partout ; mais enfin, ils ne nous gênent pas et bientôt, je l'espère, l'affaire sera menée à bonne fin. » (Revue de Paris du 1er février 1924, article déjà cité.)