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Léopold Ier, oracle politique de l'Europe (partim)
BUFFIN Camille - CORTI Egon - 1927

BUFFIN C. - CORTI R, Léopold Ier, oracle politique de l’Europe

(Paru à Bruxelles en 1927, chez Albert Dewit)

Chapitre III. L'élection au trône de Belgique et les secondes noces

La Révolution française de 1830 et sa répercussion en Belgique - La Belgique sous le règne de Napoléon - La séparation entre la Belgique et la Hollande - L'Angleterre entrave le plan annexionniste de la France - Disposition des autres puissances - Indépendance de la Belgique - Election de Léopold - Son projet d'union avec une fille de Louis-Philippe - Les négociations de Londres - Mariage de Léopold - Attitude de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie dans la question belge

(page 67) Dès que le prince Léopold eut décliné la couronne de Grèce, la Conférence de Londres, composée des représentants des cinq grandes puissances, chercha un autre candidat pour ce trône éphémère.

Pendant que les diplomates délibèrent, se répand la nouvelle qu'une révolution a éclaté à Paris : Charles X est en fuite et Louis-Philippe d'Orléans a accepté la couronne « des mains du peuple ». Aussitôt la question grecque, qui, jusqu'à ce jour, avait tenu en haleine les chancelleries de l'Europe, est reléguée au second plan, pour faire place à d'autres préoccupations plus urgentes.

Ces événements causèrent une impression profonde sur le prince Léopold : « Quel redoutable orage vient de se déchaîner, écrit-il, à l'archiduc Jean. Pendant mon séjour à Paris, l'automne dernier, j'avais vu clairement que le gouvernement ne suivait pas une bonne voie, mais mes avis ne furent pas écoutés. Au printemps, lors de mon dernier voyage, je constatai que les nuages s'amassaient et que la tempête était proche. Quand j'avouai franchement mes inquiétudes à Polignac, celui-ci m'assura que je pouvais être tout à fait rassuré sur l'heureuse issue des événements.

(page 68) « La Révolution française peut être admise, puisque le gouvernement a commis la maladresse de se mettre dans son tort, mais ce qu'il faut envisager, ce sont les suites désastreuses qu'elle aura sur tous les peuples et dans tous les pays. En particulier, ce qui me cause le plus de soucis, ce sont les troubles survenus en Belgique, qui pourraient déchaîner une guerre entre les puissances. » (Le prince Léopold à l'archiduc Jean, le 2 novembre 1830. Archives de Méran.)

En effet, les événements de France avaient eu leur répercussion immédiate à Bruxelles, par suite des relations étroites qui avaient existé entre les deux pays.

En 1792 la victoire de Jemappes avait mis toute la Belgique entre les mains de la France. Les idées égalitaires, malgré la rigueur avec laquelle elles furent imposées, suivies de la division en départements, de la centralisation du gouvernement, de l'introduction du code napoléon, de la liberté de l'Escaut eurent une grande influence sur le pays et contribuèrent à son développement économique. A cela s'ajoutaient la liberté des cultes et l'égalité des droits civiques, remplaçant la suprématie de la noblesse, principes demeurés les bases de la Constitution belge et qui excitaient chaque citoyen à contribuer par son travail à la prospérité générale. Ces avantages étaient si importants que les vexations des conquérants pour franciser la Belgique ne. parurent qu'une légère contrainte.

Un parti français considérable se forma dans le pays et son influence ne s'affaiblit que lorsque la conscription et le blocus continental commencèrent à peser lourdement sur la contrée. Peu à peu les exigences toujours croissantes de Napoléon, ses guerres incessantes qui consommaient de plus en plus de sang et d'or, éteignirent la reconnaissance, qui avait jeté le peuple belge dans les bras des Français. Néanmoins quand, en 1815, les Belges, pour des raisons politiques, furent unis aux Hollandais qu'ils détestaient, le souvenir de la France se réveilla. Et quand Guillaume Ier essaya d'amalgamer ses deux peuples et, par une pression administrative, imposa la religion et la langue hollandaises, les charges imposées par Napoléon furent vite oubliées. On ne songea plus qu'à une séparation d'avec la (page 69) Hollande, moins dans le but de devenir un Etat indépendant que dans l'espoir d'être économiquement et politiquement réincorporé à la France.

Etant donné cet état d'esprit, la Révolution de 1830 eut un contre-coup immédiat sur la Belgique, courbée sous un joug étranger. Aux journées de juillet de Paris succédèrent en août les émeutes de Bruxelles. Le soulèvement de la capitale belge ressembla point par point à celui de la capitale française. Le parti français et ceux qui souhaitaient un gouvernement indépendant s'unirent d'abord contre l'ennemi commun : la Hollande, mais dès que le résultat souhaité fut obtenu, des divergences de vues se produisirent.

La France mit tout en œuvre pour aider à la réussite du plan de ses agents ; cependant, dans le cas où les partisans d'une monarchie nationale l'emporteraient, une autre solution avait été envisagée à Paris : c'était de proposer la candidature au trône du duc de Nemours, fils du roi Louis-Philippe ; ce qui aurait eu pour conséquence, tout en gardant les formes extérieures de l'indépendance, d'entraîner la Belgique sous l'influence française. Et, en effet, au mois de février 1831, le duc fut élu roi par le Congrès national belge.

Une question de la plus haute importance se posait ? Comment l'Angleterre envisagerait-elle cet événement ?

Au XVIIIe siècle, ce pays, malgré son voisinage, n'avait soulevé aucune objection contre l'assujettissement des Pays-Bas à la domination autrichienne, la force principale de l'Autriche était trop éloignée de ses nouvelles acquisitions pour être un danger pour l'Angleterre. Il en serait tout autrement si la Belgique était annexée à la France, qui possédait déjà la côte orientale de la Manche avec Calais, tant désirée par l'Angleterre au moyen-âge et pour laquelle elle s'était longtemps battue. Par cette conquête toute la région sud-est de la Grande-Bretagne aurait été entourée, sa capitale surveillée, le trafic continental de ses villes commerciales les plus importantes contrôlé. De là la nécessité à cette époque pour l'Angleterre de défendre nos provinces contre la France, comme elle les protégea de nos jours (page 70) contre l'Allemagne, leur possession donnant à chacun de ces pays une puissance trop grande et constituant une menace pour l'avenir.

Ce fut à cause de la conquête des Pays-Bas que l'Angleterre devint l'ennemi le plus acharné de Napoléon Ier et qu'elle lutta contre lui pendant toute la durée de son règne.

A la chute de l'empire français, elle se prononça en faveur de la réunion de la Belgique à la Hollande. C'était moins pour placer un gardien à la frontière française du Nord, que pour intéresser un autre peuple, plus petit et moins dangereux, à la possession de la Belgique. De cette façon, une barrière se dressait contre les convoitises de la France.

La Révolution belge, sœur de la Révolution française de juillet, remit tout en question. Ce fut un affront pour la légitimité et une atteinte portée au respect des traités ainsi qu'à l'œuvre de Metternich et du czar. Ces considérations engagèrent aussi la Prusse à se montrer hostile à ces bouleversements.

Mais demandera-t-on, pourquoi l'Angleterre, qui craignait que la Révolution ne poussât trop la Belgique vers la France, ne se plaça-t-elle pas au point de vue de la légitimité et n'exigea-t-elle pas par la force le maintien du traité de 1815 ? C'est parce que, en créant la neutralité belge, elle prit une mesure très adroite, dont les suites se font encore sentir à l'heure actuelle. Par cette solution, l'Angleterre, vis-à-vis du monde, respectait le droit à l'indépendance d'un petit peuple et lui laissait disposer de son sort. Ainsi elle faisait montre de générosité, tandis qu'en réalité elle n'agissait que dans son intérêt, estimant que la centralisation tentée par la Hollande et l'essor que prenait la marine du nouveau royaume étaient inquiétants. Deux petits Etats indépendants et hostiles, comme la Belgique et la Hollande, ne seraient jamais des rivaux dangereux tandis qu'une réunion de ces deux pays comprenant d'importantes industries, des mines, des régions agricoles, des colonies, et, par conséquent, doués d'une puissance économique réelle, aurait suscité sur les marchés une (page 71) concurrence sérieuse, car si la politique, la religion, le caractère des deux peuples ne s'accordaient pas, les ressources de la Hollande et de la Belgique se complétaient admirablement.

Depuis 1815, l'Angleterre avait suivi attentivement les luttes politiques et religieuses des Pays-Bas. Elle avait constaté que, en dehors des considérations économiques, la réunion des deux pays, dont la population était si différente, augmentait les sympathies de la Belgique pour la France et par là même accroissait l'influence française. Ce résultat était tout l'opposé de celui qu'on attendait de la fusion, destinée à former une barrière contre la France. Il était donc à craindre, si on maintenait la Belgique enchaînée à la Hollande, que les mécontents ne finissent par appeler les Français à leur aide et ne les accueillissent en libérateurs.

Le parti libéral (whig), qui, après la mort du roi Georges IV, domina dans le ministère anglais, eut également une influence dans la question. On commençait aussi à découvrir les plans de Polignac, qui, en septembre 1829, avait lu un mémoire au conseil des ministres, dans lequel la France réclamait la Belgique jusqu'aux embouchures de l'Escaut et de la Meuse, sous prétexte que ce territoire était indispensable pour préserver Paris contre une invasion.

Polignac projetait d'opposer à l'Angleterre une fédération continentale, dont le point essentiel du programme était d'assurer la liberté des mers. Si, depuis lors, le gouvernement s'était modifié, il n'en avait pas moins continué à nourrir vis-à-vis de la Belgique des sentiments de convoitise.

Cette constatation décida l'Angleterre à appuyer les revendications de ce pays et à la réunion de la Conférence de Londres, le 20 décembre 1830, malgré l'opposition de Metternich, elle obtint que l'indépendance belge fût admise en principe.

Il restait à trouver l'homme qu'on placerait à la tête du nouvel Etat.

En aucun cas, ce ne serait le duc (page 72) de Nemours, malgré l'offre de la France de le fiancer à la fille du duc de Cambridge. L'Angleterre le fit savoir à Paris d'une façon catégorique, sans tenir compte de ce que le prétendant avait été élu à Bruxelles. Cette opposition eut comme conséquence que Louis-Philippe refusa la couronne pour son fils.

On ne pouvait davantage imposer un Anglais. Il fallait choisir un prince indépendant, doué d'une autorité suffisante pour se défendre contre tout compétiteur. On pensa au prince Léopold de Cobourg. En France, depuis son attitude dans la question grecque, on savait qu'il ne se conduirait jamais comme un simple agent de l'Angleterre. Envers tous et en toute circonstance, il garderait son individualité et combattrait quiconque menacerait son autorité ou son royaume.

En Angleterre, on espérait que le prince, naturalisé Anglais et apparenté à la famille royale, en relations avec des personnages marquants de la Grande-Bretagne, continuerait à subir l'influence de la politique anglaise. D'autre part, il y avait un certain nombre de gens qui désiraient son éloignement parce que si le roi Guillaume IV venait à mourir, la jeunesse de Victoria, héritière du trône et nièce du prince, nécessiterait la nomination d'un régent et que Léopold, appelé ou non à cette charge, exercerait sur la souveraine une influence trop considérable. Enfin, comme disait le baron de Wessenberg, délégué par l'Autriche à la Conférence de Londres, on connaissait le penchant de Léopold pour une couronne royale et l'on désirait donner une direction à ce désir, avant qu'il ne trouvât sa réalisation en Angleterre.

Toutefois, on jugeait en Grande-Bretagne que le futur roi aurait, au début, une position très délicate, puisqu'il serait placé. entre la colère du roi de Hollande au nord et la désillusion de Louis-Philippe au sud. Et l'on crut obtenir une garantie pour Léopold, en faisant suggérer, par le Congrès belge, la combinaison de son mariage avec la fille du roi des Français.

De tout temps le prince Léopold avait été en relations (page 73) avec la famille d'Orléans, cependant, si une union de ce genre était séduisante d'un côté, de l'autre elle liait les mains du gouvernement français, en l'empêchant de rien entreprendre contre le nouveau roi. Tant que Louis-Philippe conserva l'espoir de voir élire son fils, il déclina le projet. Quand il reconnut que l'opposition de l'Angleterre était irréductible et qu'une guerre était imminente, guerre d'autant plus dangereuse que l'Autriche, la Russie et la Prusse partageaient le mécontentement de l'Angleterre, il laissa espérer son consentement.

Ainsi le plan de l'Angleterre réussissait et l'on pouvait déjà en commencer l'exécution.

La Belgique joua un rôle plutôt passif dans l'élection de son roi. Elle avait choisi le duc de Nemours ; l'Angleterre, après avoir refusé cette candidature, patronnait le prince de Cobourg. L'Autriche, la Russie et la Prusse continuaient à montrer leur hostilité à la révolution. Il ne restait qu'à suivre la voie indiquée, d'autant plus que Guillaume Ier, roi de Hollande, par ses armements menaçait même de mettre fin à la séparation.

Grâce à sa puissance, l'Angleterre domina les événements : l'invasion brusquée du roi des Pays-Bas et l'intervention française. Elle maintint Léopold sur son trône chancelant. Le roi, qui avait fait son entrée à Bruxelles le 21 juillet 1831 , comprit parfaitement son rôle et le but de la politique anglaise. Quand, en 1832, il écrivit à Metternich pour lui demander plusieurs avantages pour son pays, il lui dit purement et simplement : « Enfin, je suis pourtant venu ici pour empêcher que la Belgique ne tombe en tout ou en partie aux mains de la France. Pour que j'atteigne ce but, on ne doit pas enlever à mon pays tous ses moyens d'existence, en mettant à sa charge les dettes de la Hollande. Toutes les puissances, sans même excepter la Russie, ont intérêt à ce que la (page 74) Belgique se développe dans l'indépendance et le bonheur, car, en ce cas, ni aujourd'hui ni dans l'avenir elle ne songera jamais à devenir française.

« Si, au contraire, on lui impose son indépendance comme une charge, elle cherchera naturellement à s'en dégager. »

D'un autre côté Léopold était trop clairvoyant pour ne pas comprendre que le roi de Hollande n'admettrait jamais une solution qui lui enlèverait la Belgique contrairement à la convention de 1815. Il était encouragé dans sa résistance par la Russie, par l'Autriche et aussi par la Prusse, qui regardaient d'un œil méfiant une séparation effectuée par la volonté du peuple et favorisée, pour des motifs différents, par l'Angleterre et par la France.

Quand la question belge se transforma en crise par l'attaque hollandaise du mois d'août 1831, Metternich déclara que la cause de la guerre qui venait d'éclater, provenait en partie de la France, en partie du libéralisme, qui servait de base la politique anglaise, et qui équivalait en quelque sorte à une complicité avec les révolutionnaires. En outre, dans un mémoire sur la Révolution belge, le chancelier d'Etat disait :

« Malgré toutes ses sympathies libérales, l'Angleterre a gardé vis-à-vis de la France un sentiment de jalousie, qui se réveille chaque fois que certains intérêts matériels entrent en jeu. Le point de départ de l'affaire belge repose sur une théorie révolutionnaire condamnable. L'Angleterre est blâmable parce qu'elle l'a admise. »

Cette appréciation du ministre qui gouvernait l'Autriche, alors si puissante sur le continent, parvint à la connaissance du roi de Hollande et le fortifia dans l'attitude qu'il conserva jusqu'à son abdication en 1840. Il ne voulut admettre ni les dix-huit articles de la Conférence de Londres, qui ébauchaient la division des Pays-Bas, ni les vingt-quatre articles du traité du 15 novembre 1831, conclu après sa tentative d'invasion, et qui était beaucoup plus onéreux pour la Belgique.

Léopold, devenu par sa position l'ennemi naturel de Guillaume Ier, s'expliquait fort bien ses sentiments et il (page 75) résume ainsi son opinion dans une lettre Metternich :

« De jour en jour, il devient plus évident que le roi Guillaume songe toujours à reconquérir la Belgique et que son action politique personnelle est dirigée en ce sens. Je trouve cela très naturel. Autant il lui aurait été aisé de la conserver par une conduite intelligente, autant il sera difficile soit à lui, soit à sa famille, d'en reprendre possession et de la garder contre la volonté bien déterminée des masses. »

Ce fut par surprise qu'en août 1831, les Hollandais attaquèrent et défirent la jeune armée belge à peine organisée.

Voici comment Léopold, le 3 septembre, explique ces événements à son beau-frère Mensdorf : « Si j'avais prévu une telle attaque, j 'aurais, dès mon arrivée, pris des dispositions pour effectuer une défense convenable. Mais d'après ce que je savais et avais entendu, je ne pouvais m'y attendre. Ce n'est qu'à 2 heures de l'après-midi, que je fus prévenu, le jour même, que les hostilités avaient commencé.

« Ce gouvernement d'avocats, qui ne fait que brailler, aurait dû mettre le pays de défense, en entourant les points les plus importants de fortifications de campagne, ce qui aurait pu s'établir facilement. On n'a rien fait que bavarder et se vanter. Si le général Daine m'avait écouté et si le bon sens ne lui avait pas manqué, il aurait marché le 5 sur Diest ou sur Beeringen et se serait réuni à la division Tiecken. Le 5 j'ai envoyé le général de Failly le lui dire et il l'atteignit le lendemain dans la matinée. Si Daine avait obéi tout de suite, il était encore temps, mais ce ne fut que le 7 qu'il se mit en marche. Il rejeta les Hollandais dans le terrain accidenté de Kermpt et se trouva à 2 lieues de Diest. Alors, au lieu de pousser en avant, puisqu'il n'était plus qu'à cinq ou six heures de marche de l'autre division, et de chercher à la joindre, il revint sur ses pas. Si je n'avais pas été si souffrant en ce moment, j'aurais essayé de l'atteindre, quoique nous eûmes contre nous quatre divisions hollandaises de près de dix mille hommes chacune et de plus, en flanc, la garnison de Maestricht.

(page 76) « La cause du désastre du 8 fut une panique, toujours à craindre chez les jeunes troupes. Mes généraux, suivant leur manie, mirent toutes leurs forces en une colonne sur la chaussée. Cette disposition offre l'inconvénient que la moindre confusion jette la colonne entière en désarroi. L'arrière-garde, composée de cavaliers, suivait la colonne pas à pas sur la même chaussée. Quelques coups de mitraille assaillirent la cavalerie et comme le terrain, sur les côtés de la chaussée est accidenté, elle se jeta sur l'infanterie qui prit la fuite, sans être poursuivie heureusement, ce qui fait que nous ne perdîmes que très peu de canons.

« Cette affaire m'obligea à marcher le plus vite possible sur Louvain avec la division Tiecken. C'est un homme à moitié fou et tout à fait incapable. En dehors de cela, un brave vieux colonel de cavalerie qui, en temps normal, ne commande qu'un régiment. Le 11, je fis une reconnaissance vers Bautersern, près de Tirlemont. Je voulais habituer un peu mes troupes au feu et chasser les Hollandais du village, pour rentrer ensuite au bivouac, qui se trouvait près de Louvain. Le soir, je retournai à Louvain, où une dépêche de Haag annonçait la suspension des hostilités. En même temps, je donnai ordre à Tiecken de rentrer à son bivouac. Le lendemain, à la fin de la matinée, je demandai à Tiecken, qui venait à moi, s'il avait ses troupes au bivouac. Quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre qu'elles étaient encore éloignées d'une heure à une heure et demie de la ville. C'était le comble ! Voilà comment s'exécutaient les ordres ! Cependant il faut reconnaître que, même dans un pays organisé, il n'est pas facile de discipliner une armée a. bout de huit jours. Que dire donc d'ici ? »

L'Angleterre vit avec terreur l'armée française pénétrer en Belgique et menacer Anvers. Palmerston et le premier ministre lord Grey exercèrent une pression vigoureuse, menaçante même sur la France, afin d'amener la retraite de ses troupes. Leur désir était partagé par Léopold, qui, après avoir sollicité le secours des Français, croyait aussi que leur présence menaçait son indépendance. Il souhaita leur départ dès le rétablissement de la paix et il insista, (page 77) à la satisfaction des Anglais, auprès de Louis-Philippe afin que ses troupes évacuassent le pays.

Après l'attaque de la Hollande, on se rendit compte qu'il fallait céder sur quelques points aux réclamations du roi Guillaume. Et les vingt-quatre articles qui remirent des parties du Limbourg et du Luxembourg à la Hollande furent une concession réelle à cet Etat.

Quand la France s'aperçut de l'attitude menaçante de l'Angleterre, personnifiée par Palmerston, Talleyrand essaya d'obtenir le partage de la Belgique entre la France, la Hollande et la Prusse, Anvers devenant ville libre ; mais la Prusse, qui soutenait la Hollande, nourrissait des rancunes contre la France et ne voulait à aucun prix son agrandissement du côté du Rhin. Elle confia sa manière de voir à Palmerston, qui, fort de cet appui, menaça la France de la guerre si elle ne retirait pas ses troupes de Belgique.

Guillaume de Nassau, lui, ne songeait nullement à reconnaître les décisions de la Conférence de Londres. Quoiqu'elles lui fussent beaucoup plus favorables, il les jugeait cependant inacceptables après sa campagne victorieuse. Sans se soucier de lui, à Londres, on déclara que les décisions du 15 novembre étaient définitives et irrévocables. Et ainsi la Hollande acquit le grand-duché de Luxembourg et la rive droite limbourgeoise de la Meuse. Cette solution ne satisfait personne, ni Léopold, qui pensa même à abdiquer et qui était irrité de voir combien on avait oublié les promesses qui lui avaient été faites ; ni Guillaume qui voulait recouvrer complètement la Belgique.

Cependant les Chambres belges se soumirent et Léopold, qui se sentait toujours menacé par son voisin du Nord, s'efforça d'arriver à une entente avec la France, de façon à être garanti contre la rancune des Hollandais.

Dans ce but, il entama de nouvelles négociations pour la conclusion de son mariage avec la princesse Louise d'Orléans. Pour vaincre les résistances, car en France on comprenait parfaitement que cette alliance était une renonciation à l'annexion si souhaitée de la Belgique, Léopold (page 78) avait orienté sa politique d'une manière agréable à la France, de façon à amener son souverain à donner le consentement qu'il n'avait encore fait qu'espérer.

Une occasion se présenta. A Paris, on désirait la suppression de la soi-disant barrière, c'est-à-dire de la ligne de forteresses élevées en 1815 sur la frontière franco-belge à la demande de l'Angleterre. Wellington, le créateur de cette mesure, s'en montrait le défenseur et en exigeait le maintien. Déjà, lors de l'intervention française, Léopold avait refusé de signer une convention au sujet de ces fortifications, mais, afin d'atténuer ce refus, il avait déclaré à Louis-Philippe qu'il était disposé à démolir cinq de ces places fortes, avec l'autorisation des puissances qui les avaient fait construire. Léopold se trouvait donc dans une situation difficile. Le général belge Goblet, envoyé en mission à Londres, parvint à obtenir un compromis. Cinq des places fortes devaient être démantelées. Quoique ce ne fussent pas celles que la France avait désignées, une certaine satisfaction était cependant donnée à sa demande.

incident vint tout compromettre. A la Chambre des communes s'élevèrent des protestations contre l'emploi d'environ quatre cents officiers français dans l'armée belge. En voici la raison : au mois de septembre 1831, l'armée belge comprenait quatre-vingt-cinq mille hommes (dont dix-huit mille gardes civiques) et possédait nonante-huit canons. Les soldats étaient forts, robustes, pleins d'intelligence et de courage, mais les officiers laissaient à désirer. Sur trente-huit généraux, pas un n'avait la moindre connaissance stratégique. Il n'y avait ni officiers d'état-major, ni officiers du génie ; les officiers d'artillerie étaient rares. Cela tenait au nombre infime de Belges servant dans l'armée hollandaise avant la révolution. Pendant les émeutes, les grades avaient été donnés d'une façon ridicule : des maréchaux des logis avaient été faits capitaines ; un d'entre eux avait été momentanément général. (Note de bas de page : Niellon (Charles), ancien sous-officier dans l'armée française, dirigeait, à Bruxelles, un théâtre d'enfants. Il prit le commandement des volontaires en septembre 1830.)

Dans la cavalerie, la plupart des hommes et des chevaux n'avaient jamais entendu un coup de canon, de sorte qu'il était impossible qu'ils tinssent à la première attaque sérieuse : les chevaux épouvantés se cabraient, désarçonnaient les cavaliers ; les cavaliers eux-mêmes, ne sachant ni conduire ni diriger leurs chevaux, se laissaient emporter et mettaient le désordre dans les rangs.

Sur la demande du roi, le gouvernement français envoya un général de chaque arme à Bruxelles pour réorganiser l'armée. Ces officiers, réunis en commission, siégèrent dans une salle du palais royal et, d'après leur avis, Léopold sollicita de la France qu'un certain nombre d'officiers et de sous-officiers vinssent faire un stage dans divers corps, ce qui lui fut accordé. Les officiers français portaient l'uniforme et la cocarde belges, seuls les généraux pouvaient conserver la tenue française,

Grace à des mesures énergiques, l'infanterie fut convenablement habillée, la comptabilité mise en ordre, des approvisionnements furent effectués, des parcs de voitures pour le transport des blessés constitués, neuf mille fusils fournis chaque mois par la Manufacture de Liége. (Ministère de la Guerre de France : Rapports des généraux Grundler, Billard et Evain. Lettre du lieutenant général Polet du 23 septembre 1831.)

Mais l'Angleterre s'agita : Wellington déclara que « les officiers d'une armée sont le cerveau et l'âme de cette armée et que les Français influenceront certainement la conduite politique des troupes. » (Duc de Wellington, Mémoire sur les officiers français au service du roi des Belges). Lord Elgin fut encore plus violent : « Cet essai du gouvernement français, écrit-il, de s'assurer une influence prépondérante dans l'armée belge, est peut-être la tentative la plus cynique qui ait encore été faite sur la naïveté de nos ministres. » (Lettre de Lord of Elgin à Wellington, du 27 septembre 1831.)

L'embarras de Léopold était extrême. Par suite de l'attitude de l'Angleterre, il se voyait dans l'obligation de mécontenter la France, ce qui reculerait indéfiniment son mariage. Heureusement, ce moment, la puissance mondiale de l'Angleterre était telle que la France, épuisée par les (page 80) guerres de Napoléon, ne pouvait résister à sa rivale, qui dans la débâcle impériale, avait récolté d'importants territoires.

De plus, la France se trouvait complètement isolée, car sa dynastie populaire était considérée comme révolutionnaire par l'Autriche, la Russie et la Prusse, et son intervention en faveur de la Belgique, dont l'existence aux yeux des puissances avait également un caractère anarchique, était mal interprétée.

L'isolement du roi des Français et de son cabinet servait ainsi les plans de Léopold, puisqu'il les poussait à montrer de meilleures dispositions à l'égard de son projet d'union avec la princesse d'Orléans. Cette solution avait été préconisée par l'Angleterre à la fois comme une concession à la France et comme une entrave à son ambition. De même que les hommes d'Etat anglais, Léopold pensait que ce mariage serait une garantie contre les désirs de conquête de son puissant voisin ; d'un autre côté, il estimait que cette alliance avec la famille royale de France lui servirait d'appui contre les prétentions de l'Angleterre, si celles-ci devenaient excessives et limitaient sa liberté d'action. Ainsi la politique du roi consistait à rendre sa position indépendante, en opposant, suivant les circonstance, l'Angleterre à la France ou la France à l'Angleterre.

Dans ce dernier pays, on s'aperçut vite de cette tactique, mais il était difficile de la combattre. La méfiance de Palmerston et de ses collègues envers le nouveau souverain provenait autant de la crainte qu'il n'acquit un jour, par sa nièce Victoria, héritière du trône, trop d'influence en Grande-Bretagne que de l'appréhension qu'il ne s'éloignât trop des intérêts anglais, en suivant son penchant personnel vers l'indépendance.

Les démarches de Léopold aboutirent enfin : les dernières difficultés ayant été aplanies lors d'un voyage qu'il fit à Paris au mois de mai, sa demande en mariage fut agréée par la Cour de France dans les premiers jours de juin. Ainsi la patience du nouveau souverain avait obtenu un grand succès diplomatique et sa couronne se trouvait affermie.

Le mariage eut lieu à Compiègne le 9 août 1832. « J'ai (page 81) trouvé la reine plus petite et plus délicate que je ne m y attendais, écrit van Praet, le 17 août, à Devaux. Tout le monde ne peut s'empêcher de lui trouver une expression d'amabilité extrême, de bonté, de douceur dans la physionomie. Elle a un son de voix charmant et beaucoup de grâce dans tous ses mouvements, particulièrement en dansant. Elle n'est pas faite à la représentation royale et ne répond à toutes les félicitations que par des remerciements très simples et sans prétention.

« La réunion des personnages qui se trouvaient à Compiègne, était fort intéressante à connaître et à voir. Depuis M. Dupin, qui a l'air d'un clerc de village, jusqu'à M. Apponyi, qui ressemble à un de ces petits hussards en bois peint qu'on vend deux sous ; depuis le maréchal Soult et l'amiral de Rigny jusqu'au vieux et excellent Martin, il était fort curieux de coudoyer ce monde-là, huit jours de suite, depuis 9 heures du matin jusqu'à minuit ; la chaleur, la poussière et surtout nos uniformes ont failli nous étouffer.

« Louis-Philippe fait boire et manger son monde d'une manière incroyable. On déjeune à quatre-vingts personnes à 10 heures, puis on se promène et les mêmes quatre-vingts collationnent. Les mêmes dînent vers 7 heures et boivent du thé jusqu'à minuit. Deux rois et une dizaine de ministres ne se regardent pas longtemps sans parler d'affaires. S'il y a eu séduction diplomatique à Compiègne, je crois pouvoir assurer que l'esprit malin était de notre côté. » (Papiers inédits de P. Devaux.)

Dès que Léopold eut prémuni son royaume contre toute attaque du côté du sud, il entreprit de calmer le mécontentement des puissances de l'est, afin de leur faire (page 82) admettre l'indépendance du nouvel Etat et de nouer avec lui des rapports diplomatiques. Il s'occupa surtout de gagner l'Autriche, la plus importante des puissances continentales après la Russie, et il entama une correspondance avec Metternich. A ce moment, les relations qu'avec une sage prévoyance, il avait établies avec ce ministre, lui furent d'une utilité considérable. Dans une longue lettre personnelle au chancelier autrichien, il s'efforça de dépeindre les sentiments de son petit pays et d'exposer, de la manière la plus avantageuse, la marche des événements. Il espérait affaiblir les renseignements défavorables et souvent inexacts qui étaient parvenus à l'empereur et à son ministre :

« Je ne peux que me réjouir, disait-il, d'avoir institué dans ces provinces un régime monarchique et religieux, plus sincère et plus respecté que dans beaucoup d'autres Etats.

« Plusieurs Cours ont cru que la Belgique se serait de nouveau réunie à la Hollande ; tout agent diplomatique sérieux vous assurera que cette solution est fort difficile. Des deux côtés l'irritation est trop grande ; à cela s'ajoute la question religieuse : le catholicisme occupe actuellement une position prépondérante, aussi ses adeptes tiennent-ils de toute leur âme à l'indépendance et sont-ils prêts aux plus grands sacrifices pour rester Belges.

« Jadis, l'empereur Joseph dut lutter contre cette religiosité. Le roi Guillaume essaya de la ruiner indirectement, cela lui fit plus de tort qu'une attaque ouverte. Malgré la fermeture de l'Escaut, contraire au traité de Vienne, et malgré la situation précaire d'Anvers, le commerce et l'industrie se sont développés considérablement. Le pays est aussi tranquille et aussi raisonnable que possible. Quand je me suis absenté dernièrement pendant une semaine, pas le moindre désordre ne s'est produit, malgré l'arrivée d'une foule de Français, animés d'intentions semblables à celles qui se sont manifestées depuis chez eux. Rien n'est plus curieux que la différence qui existe entre la France et la Belgique, ici la religion exerce une influence salutaire et il n'y a aucune trace de républicanisme. » (Archives de l'Etat autrichien, 2 juin 1832.)

(page 83) Le roi Léopold connaissait le point faible de la Belgique, de là son insistance sur ses idées monarchiques, de là aussi, ses efforts pour présenter sa couronne comme légitime. De cette manière, il espérait lever l'interdit que les puissances orientales avaient mis sur son royaume.

« La Belgique, écrivait le roi, existe. Elle peut devenir un pays florissant et, sous la garantie de sa neutralité, constituer une barrière utile entre ses voisins. Il est donc de l'intérêt des Cours de ne nuire en rien à son indépendance en faveur d'un autre Etat. »

Quand, plus tard, Léopold envoya un ministre belge à Vienne, il le présenta à Metternich en ces termes : « Je recommande le baron de Loe à votre bienveillance ; il n'a rien eu de commun avec la révolution ou les révolutions et ne sera jamais que l'envoyé de son souverain. » (Archives de l'Etat. Le roi Léopold à Metternich, Bruxelles, le 25 juillet 1832.)

Par ces déclarations, le roi comptait gagner Metternich et, avec lui, l'opinion autrichienne. Il suivait aussi le conseil que le chancelier lui avait formulé, le 23 juin 1832, en disant qu'à Vienne son plénipotentiaire devait entrer en scène avec tact et ne pas donner prétexte à ce qu'on le considérât comme le représentant d'une révolution. (Archives de l'Etat, Metternich au roi Léopold, le 23 juin 1832.)

En même temps, le roi essayait d'amadouer la Prusse, qui s'était considérée comme insultée par la Révolution belge, non seulement en sa qualité de signataire du traité de 1815, mais par suite de la parenté de son roi, qui était le beau-frère de Guillaume Ier. Avec elle également, il parvint à rétablir des relations diplomatiques, après que Frédéric-Guillaume III se fut mis d'accord avec Metternich et que la Prusse et l'Autriche eurent ratifié, en avril 1832, les vingt-quatre articles du 15 novembre.

A cette époque, le souverain prussien intervint auprès de Léopold, afin que celui-ci consentît quelques sacrifices en faveur du roi Guillaume Ier, à qui les circonstances en avaient imposé « de si grand et même de si cruels. » (Archives de l'Etat. Lettre du roi Frédéric-Guillaume III au roi Léopold, 5 juillet 1832.)

(page 84) Seule la Russie, qui avait lutté contre l'insurrection polonaise, se tenait à l'écart. Le czar, voyant dans ce mouvement la conséquence des troubles de Paris et de Bruxelles, ne voulait reconnaître ni le roi des Français, ni le roi des Belges. Il y avait, en outre, des raisons de famille qui pesaient sur ses décisions : le prince d'Orange était son gendre. Par égard pour la maison de Nassau, il refusa de ratifier le traité de novembre.

Entre-temps, la Conférence de Londres s'efforçait d'aplanir par d'innombrables protocoles les différends territoriaux qui existaient entre la Belgique et la Hollande. Le roi Léopold craignait, qu'en plus des vingt-quatre articles, on n'exigeât encore d'autres sacrifices de sa part : aussi jugeait-il sévèrement le travail des diplomates. « Les décisions de la Conférence, écrivait-il à Metternich le 25 juillet 1832, sont semblables au mouvement d'une vis sans fin. C'est dommage, car elle se rend ridicule aux yeux de l'Europe et j'aurais souhaité que les peuples eussent considéré ce tribunal avec respect et crainte. Cela devient impossible, quand on fait soixante-neuf protocoles pour une affaire, qui en est restée à peu près à son état primitif. »

En tous cas, les effets du mariage de Léopold se firent bientôt sentir à la Conférence. Tandis qu'en août 1831, on regardait avec la plus grande méfiance la première intervention française en Belgique et qu'on réclamait immédiatement la retraite des troupes sous une menace de guerre à peine déguisée, on agit tout autrement en 1832.

Devant l'attitude intraitable de Guillaume Ier, refusant de reconnaître les décisions prises à Londres, la France et l' Angleterre combinèrent une action commune par terre et par mer, appuyant les actes de la Conférence. L'Angleterre ne croyait pas possible que Louis-Philippe détrônât son gendre, d'autant plus qu'il devait se rappeler l'effet produit sur les puissances par sa tentative d'août 1831 ; néanmoins, on exigea que l'armée française ne passât point par les places fortes, telles que Mons, Tournai, Ath, etc. (Papiers du maréchal comte Gérard.) (page 85) lorsque, le 3 décembre 1832, Anvers, après une résistance héroïque, fut enlevé aux Hollandais, on chercha renvoyer immédiatement les Français chez eux. Et de nouveau, la France et l'Angleterre, toujours méfiantes et hostiles, se trouvèrent dans la question belge en opposition l'une avec l'autre.

Metternich avait raison quand il déclarait au roi Léopold : « Il restera encore à Votre Majesté à accomplir une mission difficile, qui, en fin de compte, dépendra plus des destinées de la France et de l'Angleterre que de celles de la Belgique elle-même. » (Archives de l'Etat. Metternich au roi Léopold, Baden, 21 août 1832.)

Le roi Guillaume persista dans son refus de reconnaitre les résolutions de la Conférence et, comme il n'abandonnait pas deux forts d'Anvers que, d'après les stipulations, ses troupes auraient dû évacuer, Léopold, de son côté, conserva les parties du Limbourg et du Luxembourg qui avaient été cédées la Hollande. Cela établit une situation provisoire, qui dura jusqu'en 1839 et causa beaucoup de soucis.

En résumé, l'indépendance du nouvel Etat, sa possibilité de se développer d'une façon paisible, furent établies à la fin de 1832, lors de la seconde évacuation des troupes françaises. Ce n'était pas à la France que la Belgique devait la liberté, mais à l'Angleterre qui agissait dans son intérêt personnel.

C'est donc inexactement que, dans son histoire politique de l'Europe moderne, Seignobos assure : « L'indépendance de la Belgique fut proclamée par les Belges révolutionnaires et, en fait, réalisée par la France. » Non, elle fut réalisée par l'Angleterre, en dépit de la France, qui se plia enfin à l'inévitable et, en acceptant le mariage de Léopold avec la fille de Louis-Philippe, sauva en Belgique de son influence ce qui était possible et ce que l'Angleterre, avec ses arrière-pensées, voulait bien admettre. L'élévation de Léopold était due à la fois aux visées de la France et de l'Angleterre, qui se faisaient contrepoids ; sur leur rivalité reposait, et repose encore aujourd'hui, l'indépendance de la Belgique.