(Paru à Bruxelles, en 1880, chez Bruylant-Christophe et Cie, comme introduction à « La Belgique et le Vatican. Documents et travaux législatifs concernant la rupture des relations diplomatiques entre le gouvernement belge et le Saint-Siège »)
(page V) Le Saint-Siège a été, parmi les puissances de l'Europe, l'une des premières à reconnaître l'indépendance de la Belgique. La part importante que le clergé catholique avait prise à la Révolution de 1830 et les avantages exceptionnels, la liberté absolue qu'assura à l'Eglise la Constitution du nouveau royaume sont l'explication naturelle de cet empressement. A la tête du gouvernement belge ne cessèrent d'ailleurs de figurer presque sans interruption pendant les premières années de notre émancipation politique, soit des libéraux unionistes, soit des hommes profondément dévoués aux intérêts de l'Eglise catholique. Ces circonstances eussent dû rendre prompt et facile l'établissement de rapports diplomatiques réguliers et actifs entre la papauté et la monarchie belge. Il n'en fut rien.
De part et d'autre on parut hésiter à établir ces rapports. Les hommes d'Etat belges étaient sous l'empire des idées qui avaient prévalu au Congrès national et que défendaient les membres du clergé lui-même sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat. M. J.-B. Nothomb les avait exprimées d'une manière saisissante. C'est lui qui, discutant, le 22 décembre 1830, au Congrès, l'article 16 de la Constitution, prononça ces paroles mémorables : « Nous sommes arrivés à une de ces époques qui ne reviennent pas deux fois dans la vie des peuples ; sachons-en profiter. Il dépend de nous d'exercer une (page VI) glorieuse initiative et de consacrer sans réserve un des plus grands principes de la civilisation moderne. Depuis des siècles, il y a deux pouvoirs aux prises entre eux, le pouvoir civil et le pouvoir religieux ; ils se disputent la société comme si l'empire de l'un excluait celui de l'autre. L'histoire entière est dans ce conflit que nous sommes appelés à faire cesser, et qui provient de ce qu'on a voulu allier deux choses inconciliables. Il y a deux mondes en présence : le monde civil et le monde religieux ; ils coexistent sans se confondre ; ils ne se touchent par aucun point et on s'est efforcé de les faire coïncider. La loi civile et la loi religieuse sont distinctes, l'une ne domine pas l'autre ; chacune a son domaine, sa sphère d'action.
« M. Defacqz a franchement déclaré qu'il veut que la loi civile exerce la suprématie. Il pose nettement le principe qui lui sert de point de départ. Nous adoptons un principe tout opposé : nous dénions toute suprématie à la loi civile, nous voulons qu'elle se déclare incompétente dans les affaires religieuses. Il n'y a pas plus de rapport entre l'Etat et la religion qu'entre l'Etat et la géométrie. Comme partisans de l'une ou de l'autre opinion religieuse, vous êtes hors des atteintes de la loi, elle vous laisse l'existence absolue de la nature... Maintenant que le principe est connu, j'en énoncerai les principales conséquences. Celle qui se produit immédiatement est la suivante : Plus de concordat. Deux pouvoirs qui n'ont rien de commun ne peuvent négocier entre eux. »
Lorsque, quelques années plus tard, l'initiative de la cour de Rome décida le gouvernement belge à sortir de son abstention, il se heurta d'emblée à des difficultés de toute nature. Sur aucun point de l'Europe, un seul excepté, l'établissement de nos rapports diplomatiques ne donna lieu, dès le début, à plus d'objections et de conflits. Ce n'est guère qu'à partir de 1855, vingt-cinq ans après la Révolution, (page VII) que nos relations officielles avec le Saint-Siège prennent une physionomie stable et normale.
Pour se rendre compte d'un fait aussi étrange, aussi peu en harmonie à première vue avec les intérêts comme avec les vœux réciproques, il faut considérer séparément les trois phases principales qu'ont traversées, de 1832 à 1880, nos rapports diplomatiques avec Rome. Ce coup d'œil rétrospectif, en expliquant le résultat final, fera discerner en même temps la source profonde des difficultés qui devaient le rendre inévitable.