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Exposé historique des rapports qui ont existé la Belgique et le Vatican depuis 1830
- 1880

Exposé historique des rapports qui ont existé la Belgique et le Vatican depuis 1830

(Paru à Bruxelles, en 1880, chez Bruylant-Christophe et Cie, comme introduction à « La Belgique et le Vatican. Documents et travaux législatifs concernant la rupture des relations diplomatiques entre le gouvernement belge et le Saint-Siège »)

II. Deuxième période (1847 à 1855)

(page XXV) Le cabinet du 12 août, dans ses rapports avec le Saint-Siège, débuta par un conflit. La suite des événements a montré qu'il n'avait rien fait pour le provoquer et que la responsabilité ne lui en incombait en aucune manière.

C'est le 8 juin qu'avaient eu lieu les élections qui donnèrent la majorité dans les Chambres à l'opinion libérale. Quatre jours après, le cabinet catholique offrait sa démission et les pourparlers s'engageaient pour la formation d'une administration nouvelle. Le 7 juillet, alors qu'il était démissionnaire depuis près d'un mois et que nul doute ne subsistait sur l'avénement prochain d'un ministère libéral, M. Dechamps nomma M. le comte Th. Van der Straten-Ponthoz ministre plénipotentiaire auprès du Saint-Siège.

Cette mesure, qui aurait été peu correcte en tout temps, empruntait aux circonstances une si haute gravité que les chefs de la majorité parlementaire firent de son retrait une des conditions de leur arrivée au pouvoir. « Le cabinet, disait plus tard M. d'Hoffschmidt, attachait une importance toute spéciale à ce que le poste de Rome fût occupé par un homme de son choix. On conçoit, en effet, de quel haut intérêt il est pour le ministère sorti des rangs de l'opinion libérale que le véritable caractère de sa politique soit parfaitement connu, expliqué et apprécié à la cour de Rome ; que l'on ne s'y méprenne point sur ses principes, sur ses intentions, sur ses tendances ; qu'en un mot, on y ait une (page XXVI) juste idée de son respect sincère pour la religion et pour les libertés consacrées par la Constitution (séance de la Chambre des Représentants, 12 novembre 1847).

Le 12 août, le jour même de la constitution du cabinet, M. d'Hoffschmidt informait notre chargé d'affaires à Rome que la mission confiée par son prédécesseur à M. le comte Van der Straten-Ponthoz n'aurait pas lieu. « Des considérations dont nous ne saurions méconnaître l'importance », disait-il, et qui ont été parfaitement comprises par Mgr le nonce apostolique auquel j'ai eu l'honneur de les exposer, déterminent le gouvernement du Roi à charger de cette importante mission un homme dont le nom ne puisse servir d'aliment aux incriminations des partis. Ses vues se sont portées sur un ancien ministre, placé au premier rang de la magistrature, et qui occupe une place non moins haute dans l'estime publique. Je veux parler de M. Leclercq, procureur général à la cour de cassation, qui a dirigé avec éclat le département de la Justice et a fait partie du Congrès national et de la Chambre des Représentants. M. Leclercq est, par ses antécédents, sa position et son caractère, un des hommes les plus considérables et les plus considérés du pays. Toutes les opinions s'accordent à rendre hommage à sa modération et à ses lumières. Peu de noms sont entourés d'une sympathie aussi marquée. »

Cette dépêche devait être communiquée au cardinal secrétaire d'Etat, Mgr Ferretti, et fut, à sa demande, transmise au Saint-Père. Le nonce à Bruxelles reçut une communication dans des termes analogues. On poussa jusqu'au scrupule l'observation des formalités d'usage, car la nomination de M. Leclercq fut tenue en suspens, contrairement à celle du prince de Chimay, qui avait suivi de trois jours la notification. La cour de Rome montra d'abord (page XXVII) quelque hésitation ; elle avait connu et approuvé le choix de M. le comte Van der Straten, et se laissa influencer, semble-t-il, par des considérations personnelles. Au bout de trois semaines, elle n'avait pas fait connaître ses intentions ; ce ne fut que le 13 septembre que Mgr de San Marsano annonça au gouvernement que Sa Sainteté n'avait pas agréé le choix de M. Leclercq.

Au ministre des Affaires étrangères qui lui demandait le motif de ce refus, le nonce opposa d'abord le défaut d'instructions à ce sujet ; il finit toutefois par en communiquer la phrase suivante : « Tout bien considéré, il a été facile à Sa Sainteté de décider que, dans les circonstances graves où Elle se trouve, Elle ne pouvait, en aucune manière, accepter comme ministres de la Belgique que des personnes qui auraient offert, par leurs antécédents, beaucoup plus de garanties que celles que lui offre M. Leclercq. »

Ces paroles, qui faisaient valoir contre l'honorable magistrat des motifs personnels d'exclusion, étaient plutôt de nature à aggraver le conflit ; la réalité d'une pareille objection paraissait inadmissible en Belgique, et le ministre des Affaires étrangères s'en expliqua en ce sens avec le nonce : « Je fis sentir, dit-il, combien était grave la non-agréation d'un homme tel que M. Leclercq, et l'impression fâcheuse ou, pour parler plus correctement, l'irritation qu'elle produirait dans le pays qui y verrait une sorte d'interdit lancé contre l'opinion qui préside aujourd'hui au gouvernement. En effet, M. Leclercq jouit d'une haute considération dans le parti libéral, auquel il appartient, et il est également estimé du parti catholique. En sa qualité de ministre de la Justice, il a eu les cultes dans ses attributions. Or, loin d'avoir fourni de ce chef des motifs de plainte à l'opinion catholique, il a été, en maintes circonstances, de la part de celle-ci, l'objet d'éloges non suspects. Témoin les discussions politiques au Sénat, en 1841, et les efforts qui, depuis sept ans, ont été faits par les (page XXVIII) deux opinions, à chaque crise ministérielle, pour faire entrer M. Leclercq dans les combinaisons projetées. De plus, M. Leclercq est un homme religieux, et on ne peut citer de lui ni une publication ni un discours qui soient de nature à porter ombrage au Saint-Siège. Quant à sa mission en elle-même, elle n'avait évidemment d'autre but que de faciliter et de consolider nos bons rapports avec la cour de Rome. Nous ne voulions que faire connaître et apprécier l'état des esprits et des opinions en Belgique, et empêcher qu'on ne se méprît sur les intentions et les vrais sentiments du nouveau cabinet à l'égard de la religion. Ces considérations ont paru frapper Mgr le nonce » (Dépêche à M. de Meester de Ravenstein, 29 septembre 1847).

La veille même du jour où il faisait tenir ce langage à Rome, le ministre des Affaires étrangères informait le nonce qu'il ne pouvait admettre le fondement d'objections présentées sous une forme vague et s'adressant personnellement à l'un des hommes les plus honorables du pays. Il ajoute qu'en conséquence, dans l'état actuel des choses, le ministère se trouve dans l'impossibilité de proposer au Roi la désignation d'un autre agent pour le poste d'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près le Saint-Siège apostolique. Le nonce répondit le 29 septembre : « Je puis assurer Votre Excellence que le Saint-Père apprendra avec un sensible regret cette résolution qui doit le priver provisoirement de la vive satisfaction qu'il aurait éprouvée en accueillant bientôt à Rome un successeur de M. le prince de Chimay. L'attachement sincère et les profonds sentiments d'estime de Sa Sainteté pour l'auguste personne du Roi, sa cordiale et toute paternelle bienveillance pour la Belgique doivent lui faire vivement désirer que cette vacance et les pénibles circonstances qui l'ont occasionnée, ne se prolongent pas longtemps. »

(XXIX) L'incident de la non-agréation de M. Leclercq devait présenter un caractère d'autant plus étrange qu'à cette époque Pie IX était en pleine fièvre de réformes libérales. Il organisait un gouvernement mixte, préparait la réunion d'une représentation nationale, créait une force armée, instituait une garde civique, etc., accomplissait, en un mot, une véritable révolution dans les Etats romains.

La résistance, il est vrai, était très vive au sein du Sacré-Collège ; elle avait à sa tête le cardinal Lambruschini, l'ancien secrétaire d'Etat de Grégoire XVI ; mais la réaction à ce moment était contenue, et le Pape, en repoussant le ministre belge, s'infligeait comme un démenti à lui-même. Tout porte à croire que les considérations religieuses, ou même politiques, eurent un rôle assez secondaire dans cette imprudente détermination du Saint-Siège. Le silence obstiné qu'on persista à garder sur les motifs qui l'avaient dictée en était un indice assez significatif. Quand notre agent interrogeait à cet égard le cardinal Ferretti, celui-ci déclarait ne rien savoir lui-même ; mais, sur de nouvelles instances, il répliquait, non sans une certaine irritation, par un triple jamais (Dépêches de M. de Meester, 28 octobre et 26 novembre 1847.). A l'ambassadeur de France, qui s'enquérait des raisons de ce refus, le secrétaire d'Etat répondit « que, dans toute autre circonstance, on n'aurait rien eu à objecter contre cet honorable magistrat, mais que la presse belge l'ayant posé comme adversaire du parti clérical, la cour de Rome ne pouvait pas l'agréer, surtout quand on lui avait proposé et qu'elle venait d'accepter comme ministre de Belgique M. van der Straten, qui était destitué pour être remplacé par un homme qu'on mettait en avant comme étant du parti anticlérical » (Dépêches de M. de Meester, 8 décembre 1847).

Cet argument, tiré du langage de la presse, n'était évidemment qu'une défaite. Il circulait bien d'autres rumeurs dans les régions du (page XXX) Vatican. On représentait M. Leclercq comme un joséphiste ; on le disait inféodé aux idées de Portalis ; on lui attribuait des publications hostiles à la liberté de l'Eglise ; on le comparait à l'ambassadeur de France. « Ce ministre de Belgique, disait un prélat à notre chargé d'affaires, eût été pire que M. Rossi, et la cour de Rome et la société romaine ont bien assez d'un diplomate de ce genre » (Dépêches de M. de Meester, 1er novembre 1847). » On rappelait enfin l'incident de la non-agréation de Mgr Garibaldi, comme si le Saint-Siège avait pu vouloir prendre sa revanche sur une administration libérale du refus que lui avait opposé jadis un ministère catholique.

Plus tard, quand le conflit était déjà en voie d'apaisement, on laissa entendre que la bonne foi du Saint-Père avait été surprise. On avouait que c'était une communication du nonce à Bruxelles qui avait déterminé la non-agréation de M. Leclercq, et que c'était en Belgique qu'il fallait chercher l'origine de l'incident (Dépêches de M. de Meester, 4 novembre 1847 et 26 janvier 1848).

Quelles qu'aient été les influences qui se soient exercées dans ce sens, il n'est guère douteux que le clergé n'y ait joint la sienne. De profonds dissentiments régnaient à cette époque au sein de l'épiscopat ; deux tendances diamétralement opposées se disputaient la direction de l'enseignement de l'Université de Louvain. Les Jésuites, qui personnifiaient l'une d'elles, cherchaient ou à s'emparer de cet établissement ou à lui susciter une concurrence. Plusieurs de nos évêques résistaient avec énergie, et, soucieux de concentrer entre leurs mains la représentation exclusive des intérêts religieux, ils en vinrent à envisager avec défiance tout ce qui pouvait affaiblir et contrarier leur influence. Parmi les indices les plus significatifs que notre chargé d'affaires fut à même de recueillir de cet état des esprits dans les hautes sphères de l'Eglise belge, il (page XXXI) convient de signaler le fait caractéristique qu'il rapporte dans sa dépêche du 26 octobre 1847, comme venant d'une source sûre :

« Votre Excellence sait que l'épiscopat belge veut depuis longtemps deux choses :

« 1° La suppression de la légation du Roi à Rome, ainsi que celle de la nonciature à Bruxelles, et

« 2° La suppression en Belgique de tous les ordres religieux qui correspondent directement avec le Saint-Siège.

« Tel a toujours été le désir de nos évêques ; ils veulent être maîtres sans aucun contrôle ; ils ne veulent pas que la position toute spéciale dans laquelle ils se trouvent soit bien connue par Rome.

« Dans une conversation que j'ai eue avec M. l'abbé X..., j'ai pu m'apercevoir qu'on ne voyait pas de si mauvais œil qu'on en avait l'air l'incident Leclercq ; on semblait déjà espérer qu'il pourrait aboutir à une suppression des relations diplomatiques. »

Aussitôt qu'il connut le refus d'agréation dont il était l'objet de la part de la cour de Rome, M. Leclercq prit la seule résolution qu'il crut compatible avec sa dignité. Dans une lettre qu'il adressa, le 23 septembre, au ministre des Affaires étrangères, il déclara qu'il déclinait désormais, quelque explication qui pût intervenir ultérieurement, la mission qu'il avait d'abord acceptée ; il protestait en même temps avec énergie contre l'injure qui lui était faite. Cette lettre fut publiée quelques jours après par l'Indépendance.


C'est en cet état que la question arriva devant les Chambres à l'ouverture de la session de 1847 à 1848. Elle avait trop préoccupé les esprits depuis deux mois pour que le discours du Trône pût la passer sous silence. « Un incident, disait-il, est survenu dans nos rapports avec la cour de Rome. Des explications vous seront données sur ce fait qui a ému l'opinion publique. »

Dès le 12 novembre, le ministre des Affaires étrangères rendit compte des communications (page XXXII) officielles qui avaient eu lieu à ce sujet entre le gouvernement belge et le Saint-Siège. L'adresse, rédigée par M. Lebeau, répondit en ces termes : « L'incident survenu dans nos rapports avec la cour de Rome ne pouvait manquer d'émouvoir l'opinion publique. Les explications fournies à la Chambre par votre gouvernement prouvent que cette complication regrettable ne peut lui être attribuée. - Malgré notre désir de voir les meilleurs rapports régner entre la Belgique et la cour de Rome, désir que rendent plus vif encore de grands événements qui tiennent l'Europe attentive, nous reconnaissons que le gouvernement ne pouvait se dispenser de prendre la résolution dont il nous a fait part, sans blesser les plus légitimes susceptibilités d'une nation indépendante. »

Dans la discussion qui s'engagea sur ces déclarations, il se manifesta au sein de la Chambre un remarquable accord des opinions. Sauf tout au plus quelques réserves sur la procédure, il ne se trouva personne parmi les membres de la droite, excepté peut-être M. de Mérode, pour contester 1° que le gouvernement avait le droit et le devoir de ne pas maintenir une nomination faite par un cabinet démissionnaire ; 2° qu'il n'aurait pu faire un choix plus irréprochable que celui de M. Leclercq ; 3° que la dignité nationale lui commandait de suspendre pour le moment nos rapports réguliers avec le Saint-Siège. Cette dernière déclaration ne préjugeait pas la possibilité d'une entente ultérieure ; le gouvernement était d'accord sur ce point. Les discours prononcés à cette occasion par MM. de Decker, Vilain XIIII, Malou, de Haerne furent particulièrement significatifs. Les trois paragraphes de l'adresse obtinrent l'unanimité des voix, moins celle de M. de Mérode.

En présence de cette approbation explicite de sa conduite, le gouvernement, par une circulaire diplomatique du 11 décembre 1847, fit savoir à nos agents qu'il ne reprendrait (page XXXIII) officiellement ses relations avec la cour de Rome que moyennant l'agréation pure et simple de M. Leclercq.

Mgr Fornari, alors nonce apostolique à Paris, offrit ses bons offices et chercha à faciliter un rapprochement : « Je suis tout à fait de l'opinion disait-il au prince de Ligne que la cour de Rome a été induite en erreur au sujet de M. Leclercq. Je comprends la position du cabinet belge ; il n'a pu agir autrement qu'il n'a fait. J'ai acquis pendant mon séjour en Belgique la plus profonde estime pour M. Leclercq » (Dépêche du prince de Ligne, 9 janvier 1848).

Quelques jours après, sous l'impression du vote unanime du Parlement belge et sous le coup des graves événements qui se préparaient en Italie, un prélat de la secrétairerie d'Etat avouait à notre chargé d'affaires qu'on avait agi à Rome avec quelque précipitation. Des pourparlers s'engagèrent et se prolongèrent pendant un mois ; la révolution de février qui s'accomplit dans l'intervalle et l'admirable exemple que donna à ce moment la Belgique en face de la conflagration générale, dissipèrent bien des préventions. Le Vatican céda, non sans essayer de couvrir sa retraite. Dans les premiers jours de mars, le Saint-Siège fit savoir à Bruxelles « qu'il verrait avec plaisir M. Leclercq remplir la mission temporaire qu'on avait l'intention de lui confier ». Le gouvernement n'accepta pas cette demi concession ; il exigea et obtint une satisfaction complète. Le 27 mars, M. de Meester, notre chargé d'affaires, mandait que le cardinal Antonelli lui avait annoncé « que le Saint-Père verrait avec beaucoup de plaisir M. Leclercq à Rome comme représentant de la Belgique ; que c'était une agréation pure et simple et sans commentaire, comme nous l'avions demandée ; que c'était la meilleure solution d'un incident qui n'avait été causé que par un malentendu ». (page XXXIV) Quelques jours plus tard, le nonce faisait à Bruxelles une communication dans les mêmes termes.

Le conflit était dès lors aplani, mais les événements extérieurs retardèrent l'envoi d'un ministre régulièrement accrédité auprès du Saint-Siège. M. Leclercq, à qui on offrit derechef cette mission, la déclina pour des motifs auxquels il déclarait qu'aucun ressentiment personnel n'avait la moindre part. Le gouvernement proposa alors le prince de Ligne, avec le grade d'ambassadeur. La cour de Rome accueillit ce choix avec une satisfaction toute particulière ; le titre d'ambassadeur donna lieu toutefois à quelques réserves de préséance qui furent admises sans difficulté. Le nomination eut lieu le 30 septembre ; une note insérée au Moniteur du 3 octobre annonça l'aplanissement définitif du conflit.


Ce résultat coïncidait avec l'un des plus grands mouvements politiques qui se soient accomplis au cours de ce siècle. Les esprits étaient vivement surexcités dans toute l'Europe ; parmi les questions qui les préoccupaient le plus, figurait celle des rapports de l'Etat et de l'Eglise, de leurs droits et de leurs devoirs réciproques. L'opinion publique réclamait depuis plusieurs années chez nous la solution d'un certain nombre de problèmes relevant de cet ordre d'idées : tels étaient l'organisation de l'enseignement de l'Etat, l'intervention du clergé dans les élections, les rapports du clergé inférieur avec l'épiscopat et leurs droits respectifs vis-à-vis de l'Etat, l'administration du temporel des cultes, etc. En présence des graves événements qui renouvelaient l'aspect de l'Europe et imprimaient un puissant élan aux esprits, il sembla que l'heure était également venue d'assigner à notre mission auprès du Saint-Siège un but sérieux et pratique.

Les instructions du prince de Ligne portent la date du 3 novembre 1848 ; elles sont conçues dans cette pensée. Au sujet des rapports entre l'autorité civile et les influences (page 35) ecclésiastiques, notre ambassadeur devait donner au Saint-Siège l'assurance que le gouvernement, si des obstacles ne devaient entraver sa marche, ferait œuvre de conciliation réelle et durable. A des défiances regrettables, il veut substituer des rapports de bienveillance et de sympathie, en soustrayant à la fois l'autorité religieuse et le pouvoir civil à des soupçons mutuels d'envahissement et de domination. Le prince de Ligne veillera à ce que sur ce point Sa Sainteté ne soit pas induite en erreur. Il ne faut pas qu'Elle se méprenne sur le caractère de nos luttes intérieures, qui sont exclusivement politiques, malgré la dénomination de catholique donnée à l'un de nos partis. L'intérêt le plus évident de la religion est de tenir ses ministres en dehors des luttes de parti. N'était-ce pas le sentiment de Pie IX lui-même qui, dans sa première entrevue avec le prince de Chimay, le 6 novembre 1846, lui disait que « la religion ne doit jamais se mettre au service d'un parti sous peine de s'amoindrir ».

Ces instructions générales devaient recevoir et reçurent en effet des applications pratiques ; mais la marche des événements en entrava constamment l'exécution. Dans les premiers jours de novembre, le mouvement insurrectionnel prit le dessus à Rome. Le comte Rossi fut assassiné, et le 25 novembre, Pie IX s'enfuit de sa capitale. Deux jours après, le cardinal Antonelli invitait, au nom du Saint-Père, le corps diplomatique à le rejoindre à Gaëte, où il s'était retiré. Le prince de Ligne se trouvait alors à Turin ; mais notre chargé d'affaires, M. de Meester, obtempéra, comme tous ses collègues, à cette invitation, et le gouvernement approuva sa conduite. L'ambassadeur lui-même, arrivé le 7 à Naples, présenta dès le lendemain ses lettres de créance à Gaëte ; son empressement toucha beaucoup le Souverain Pontife. Bien que le prince eût devancé à cet égard ses instructions, le cabinet de Bruxelles approuva pleinement sa démarche.

(page XXVI) Lorsque, à la fin de janvier, Pie IX adressa de Gaëte à tous les gouvernements avec lesquels il était en rapport un exposé des motifs qui l'avaient contraint à s'éloigner de Rome, le ministère belge répondit à cette communication dans les termes les plus sympathiques. La République romaine fut proclamée le 9 février 1849 ; mais il ne fut pas un moment question de reconnaître le gouvernement insurrectionnel de Rome.

La mission du prince de Ligne n'eut qu'une durée de dix mois ; elle lui fournit l'occasion de soulever, dans ses rapports avec le Saint-Siège, la question de l'intervention du clergé dans les affaires politiques et celle de la position des desservants à l'égard des évêques. Les négociations qu'il ouvrit à ce sujet n'avaient pas atteint leur terme au moment de son départ ; nous y reviendrons. La réduction du traitement de l'archevêque de Malines, qu'un vote de la Chambre fit descendre de 30,000 à 21,000 francs (10 février 1849), donna lieu à des observations assez vives de la part du Saint-Siège. Dès le 11 janvier, le gouvernement prévoyant l'adoption de cette mesure dont il n'avait pas pris l'initiative, s'attacha à en expliquer la portée au prince de Ligne et lui enleva toute signification hostile. Le Pape n'en protesta pas moins avec une amertume qui avait lieu de surprendre en présence du langage tenu au Parlement belge, en cette circonstance, par des députés catholiques ; il ne cessa à diverses reprises de demander le rétablissement du chiffre de 30,000 francs (Dépêche du prince de Ligne, 14 février 1849). Le nonce reçut l'ordre de protester, de son côté, contre une mesure qu'il présenta comme la violation d'engagements contractés en 1838, lors de l'élévation de Mgr Sterckx au cardinalat (Dépêche du nonce à M. d'Hoffschmidt, 20 mars 1849). Le ministre des Affaires étrangères se contenta de lui donner des explications (page XXXVII) verbales ; il ne lui fut pas difficile de montrer qu'aucune administration n'aurait pu prendre d'engagement de cette espèce. Les réclamations ne s'arrêtèrent pas là ; une dépêche datée du 17 juin revient sur cette affaire ; elle démontre que la mesure dont on se plaignait n'était que la conséquence d'un système général d'économies, pratiqué à cette époque sur tous les budgets. Il avait paru, d'ailleurs, à la législature, qu'un devoir de convenance interdisait d'attribuer à un dignitaire ecclésiastique une rémunération supérieure à celle des plus hauts fonctionnaires de l'ordre civil.


Au mois de septembre, le prince de Ligne témoigna le désir d'échanger l'ambassade de Rome contre le siège qui venait de lui être conféré au Sénat. Le gouvernement lui donna pour successeur M. Henri de Brouckere. La cour de Rome vit arriver ce ministre avec une certaine défiance ; elle hésita un moment à l'accueillir. Le cardinal Antonelli affecta de regretter beaucoup son prédécesseur. Les mêmes influences officieuses qui, de Bruxelles, avaient entravé la nomination de M. Leclercq se firent de nouveau sentir à Rome. Mais les circonstances étaient bien changées ; ce ne fut qu'un nuage passager.

La mission que M. H. de Brouckere remplit en 1850 à Rome offre une importance exceptionnelle ; par la position et le talent du négociateur, par l'étendue et la portée de ses instructions, enfin par le dénouement aussi étrange qu'imprévu de ses efforts, elle constitue un des épisodes les plus caractéristiques de notre histoire diplomatique et, en particulier, de nos relations avec le Saint-Siège.

Les instructions de M. de Brouckere portent la date du 30 octobre 1849 ; elles visent directement trois ordres de questions 1° l'indépendance du pouvoir civil, notamment sur le terrain de l'enseignement ; 2° la transformation du clergé en corps politique ; 3° le règlement de certaines matières de droit public d'un caractère mixte, concernant les (page XXXVIII) rapports de l'Eglise avec l'Etat. C'est à ce triple point de vue que nous aurons à constater le résultat de cette mission.

Un exposé général des principes qui dirigent notre politique extérieure et de l'application qui en a été faite aux Etats du Saint-Siège forme l'introduction des instructions du ministre belge. Le gouvernement n'a pas reconnu le pouvoir issu de la révolution romaine ; son représentant a suivi le Saint-Père à Gaëte, et c'est là que le prince de Ligne est venu lui remettre ses lettres de créance. Cette attitude n'était pas seulement dictée par les règles du droit international, elle était l'expression des profonds sentiments de sympathie qu'avaient éveillés en Belgique les généreux efforts du Pontife et ses douloureuses épreuves. Elle n'a pu manquer d'être comprise à Rome ; ainsi que l'affirmait, du reste, le prince de Ligne, dans une de ses dernières communications, elle a dû dissiper bien d'anciennes préventions. Le gouvernement n'a rien négligé pour empêcher toute fausse appréciation des principes de sa politique intérieure, toute erreur au sujet des dispositions qui l'animent à l'égard de la religion et de l'Eglise.

Après avoir déclaré que la seule chose qui pourrait compromettre désormais les bons rapports établis avec la cour de Rome, c'est le développement croissant de l'action politique du clergé, et signalé les inconvénients de cette confusion des intérêts spirituels et temporels, les instructions poursuivent en ces termes :

« Il est une conviction dont il est essentiel que le Saint-Siège soit pénétré : c'est qu'en Belgique, tout ce qui a l'apparence d'un empiétement sur le domaine civil inquiète et blesse les esprits, et, par une réaction naturelle, menace les intérêts religieux eux-mêmes.

« Qu'on s'en afflige ou qu'on y applaudisse, il est un fait qu'il faut bien reconnaître : c'est qu'aujourd'hui s'achève parmi nous un long travail de sécularisation. Plusieurs attributions confiées jadis au clergé ont passé à l'autorité laïque. (XXXIX) Celle-ci jouit des unes sans partage et sans contestation ; mais il existe, pour les autres, dans les rangs des corps qui se sont vus dépossédés, certains regrets, certaines répugnances, certaines espérances peut-être qui éveillent les susceptibilités et les craintes de la société nouvelle. Que ces susceptibilités soient légitimes ou non, que ces craintes soient bien ou mal fondées, peu importe ; toujours est-il qu'elles existent et qu'il serait d'une haute imprudence de n'en pas tenir compte.

« Or, tout le monde ne paraît pas être suffisamment convaincu d'un danger qui est, à nos yeux, évident. De là, les controverses auxquelles nous assistons tous les jours sur l'application des lois relatives à la gestion des biens légués aux pauvres et sur les questions autrement importantes de l'enseignement primaire et de l'enseignement supérieur et moyen.

« Je n'ai pas besoin de préciser l'objet et la nature des débats auxquels je fais allusion. Vous connaissez parfaitement les vues du gouvernement en ces matières. Il ne vous sera pas malaisé de les défendre, car elles ont pour base des principes vrais et empreints d'une incontestable modération.

« Vous rappellerez que raisonnablement l'Eglise n'a plus rien à demander en fait de libertés. Notre pays jouit sous ce rapport d'un régime bien autrement libéral, bien autrement large que celui que se sont donné des Etats voisins, malgré leur prétention de consacrer toutes les libertés. Et ces droits si complets dans l'ordre religieux et dans l'ordre civil, il y a bientôt vingt ans que nous en avons le paisible exercice, car ils sont dus à cette noble assemblée dont vous avez fait partie, Monsieur le ministre, à ce Congrès national auquel la Belgique reconnaissante érige un monument, symbole de patriotisme et d'union. »


Quand le gouvernement tenait ce ferme et digne langage, il se préoccupait avant tout de la loi sur l'enseignement (page XL) moyen qu'il allait bientôt soumettre aux délibérations du Parlement. Ce n'était pas une question neuve ; depuis seize ans elle attendait une solution, toujours ajournée dans l'intérêt du clergé qui s'était assuré dans ce domaine une espèce de monopole.

Le cabinet formé en 1846 par MM. de Theux et Malou avait lui-même préparé un projet de loi et soulevé à Rome la question du concours du clergé. « Le cardinal Gizzi, écrivait alors notre Ambassadeur, comprend comme le Saint-Père, que la conciliation et la modération peuvent seules aujourd'hui sauvegarder une position compromise par des exigences imprudentes ou intempestives. Le Saint-Siège se plaignait d'être mal renseigné sur la vraie nature de la difficulté ; le prince de Chimay la formula en ces termes : « En cas de refus de concours du clergé, l'établissement de l'Etat fermera-t-il ou devra-t-il continuer ? » Le cardinal se récria devant ce dilemme ; on devait s'entendre, il était impossible, suivant lui, qu'on ne s'entendît pas. Hélas ! répliqua le prince, la question ne se discute pas à Rome » (Dépêche du prince de Chimay à M. Dechamps, 11 décembre 1846). » L'expérience allait bientôt montrer qu'à Rome même elle ne serait pas mieux comprise.


Quand M. de Brouckere arriva à Rome, Pie IX n'y était pas rentré ; il présenta ses lettres de créance à Naples, le 17 janvier 1850. Dès cette première audience, notre ministre put s'assurer que les anciennes préventions étaient loin d'être dissipées. Le Pape croyait la liberté d'enseignement menacée en Belgique par les projets du cabinet ; il regrettait les dispositions relatives aux legs pieux et la réduction du traitement de l'archevêque de Malines ; il désirait que les partis se rapprochassent : « Vous avez, disait-il, deux partis, l'un, qu'on appelle catholique, et l'autre... qui porte une autre qualification, mais dans lequel il y a de bons (page XLI) catholiques ; j'espère qu'ils se rapprocheront ; cela est dans l'intérêt de tous. »

Quelques jours après, M. de Brouckere entrait plus avant dans la question au cours d'un entretien qu'il eut avec le secrétaire d'Etat. Le cardinal Antonelli protesta que Pie İX était animé des meilleurs sentiments envers le gouvernement belge ; mais que, d'après certaines informations qui lui étaient parvenues, il n'avait pu se défendre de craintes sérieuses au sujet de la liberté d'enseignement, « liberté à la conservation de laquelle Sa Sainteté attache le plus haut prix ». M. de Brouckere répond que cette liberté n'est aucunement menacée ; que le gouvernement ne pense pas à y porter atteinte, mais qu'il considère comme un devoir d'améliorer l'enseignement donné par l'Etat, et que les mesures prises à cet effet « soulèveraient nécessairement des questions de concurrence que l'on cherchait parfois à dénaturer, à envenimer ». Mgr Antonelli s'est empressé alors de reconnaître qu'en effet aucun acte portant atteinte à la liberté d'enseignement n'avait été signalé au Saint-Siège, que l'on s'était borné à exprimer des appréhensions qu'il avait dû plus ou moins partager. Son Eminence a ajouté, dans des termes qui marquaient sa satisfaction, que, rassurée par mes explications, Elle était convaincue que ces appréhensions étaient sans aucun fondement. Quant à la concurrence, Son Eminence a proclamé qu'elle devait être libre pour le gouvernement comme pour les particuliers, puisqu'elle est le résultat nécessaire de la liberté » (Dépêche de M. H. de Brouckere, 22 janvier 1850).

Tels furent les préliminaires de la négociation qui allait s'ouvrir au sujet de la loi sur l'enseignement moyen.


Le projet de loi fut déposé à la Chambre le 14 février 1850. La presse catholique, en Belgique et en France, dirigea aussitôt contre lui les attaques les plus violentes et les moins (page XLII) justifiables. Le gouvernement les fit signaler à Rome ; il réitéra l'assurance que le projet de loi ne s'inspirait d'aucun sentiment hostile à la religion, qu'il n'avait d'autre but que d'appliquer les principes constitutionnels de la séparation des pouvoirs. Malheureusement, ajoutait-il, l'épiscopat belge paraît placé sous l'influence de préventions qui lui ôtent en partie la liberté de son jugement, s'il faut s'en rapporter au langage des journaux qui passent pour recevoir ses inspirations. Il importe, concluait-il, aux intérêts du bon ordre, de l'union, de la religion surtout, que des hommes ardents qui s'inquiètent sans cause et hors de propos ne soient pas écoutés, et que tout au moins la cour de Rome s'abstienne de les approuver et reste neutre dans le débat » (Dépêches de M. d'Hoffschmidt, 8 et 11 mars 1850).

Malgré ces explications, le Saint-Siège, qui n'articulait au surplus aucun grief précis, persistait néanmoins dans ses craintes : « Ce projet de loi, disait Pie IX, me fait beaucoup de peine ; je crois qu'il va établir une lutte permanente entre le gouvernement et le clergé. Je désirerais beaucoup que l'on pût parvenir à une composition, à un arrangement entre le gouvernement et le clergé ; l'un et l'autre doivent chercher à unir leurs forces au lieu d'établir des luttes entre eux. Je vous prie instamment de faire connaître ce vœu à Bruxelles » (Dépêche de M. H. de Brouckere, 15 mars 1850).

Le gouvernement répondait : « Le vœu que vous a exprimé l'auguste et vénérable Pontife est aussi le nôtre. Nous désirons vivement que la bonne entente subsiste entre l'autorité temporelle et l'autorité spirituelle. Ce n'est pas de nous, quoi qu'on en puisse dire, qu'est parti le signal de la lutte ; ce n'est pas nous qui cherchons à lui donner un caractère irritant et de grandes proportions... Si les passions sont excitées, si des récriminations violentes (page XLIII) enveniment la polémique, si des calomnies la rendent odieuse, ce n'est pas au gouvernement que la responsabilité de ce fait si regrettable doit revenir. Il n'a rien fait pour le provoquer, et il le déplore plus que personne » (Dépêche de M. d'Hoffschmidt, 29 mars 1850).

Jusqu'à ce moment, l'attitude du Saint-Siège ne pouvait donner lieu à aucune équivoque. Le Pape recommandait la conciliation, et ce conseil pouvait s'adresser aussi bien aux adversaires qu'aux partisans du projet de loi. Il en regrettait l'introduction ; il y désirait des modifications, mais il ne spécifiait pas plus ces modifications qu'il ne jugeait à propos de préciser ses griefs.


Un incident imprévu vint changer cette situation.

A la veille du jour où allait s'engager à la Chambre la discussion du projet de loi, le 8 avril 1850, le Journal de Bruxelles publia les lignes suivantes sous le titre : Le projet de loi sur l'enseignement moyen jugé à Portici : « Un auguste témoignage est venu justifier les appréhensions des pères de famille et les encourager à persévérer dans les sentiments qui peuvent seuls arrêter la désorganisation dont la société est menacée. Nous savons de science certaine que Sa Sainteté, s'entretenant tout dernièrement avec les personnes de sa cour des questions d'enseignement agitées en même temps en France, en Irlande et en Belgique, a dit que le projet de loi présenté à la Chambre belge est une véritable déclaration de guerre à l'influence de la religion, mais que c'est à la société que les blessures seront faites.’

Cette manifestation constituait un encouragement direct à l'opposition implacable organisée contre le projet de loi ; c'était la rupture de la neutralité que le Saint-Siège s'était imposée jusqu'ici. Le gouvernement en fut vivement ému : « Il est évident, écrivait-il à Rome, que les passions et les (page XLIV) intrigues qui se développent ici ont agi ou agissent près du Saint-Siège en vue d'obtenir une déclaration susceptible d'ébranler les consciences timides. Jamais, je pense, on ne s'est laissé aller à de pareils excès. Vous ne manquerez pas, Monsieur le ministre, d'en faire ressortir la haute gravité. Ils sont bien coupables les hommes qui se servent d'un nom vénéré pour agiter le pays en vue de leurs intérêts et de leur amour-propre. » Le ministre désire être mis à même de démentir les paroles publiées par le Journal de Bruxelles, et il répète que le moins qu'on puisse réclamer, c'est que la cour de Rome s'abstienne d'encourager l'opposition et reste neutre dans le débat (Dépêche de M. d'Hoffschmidt, 8 avril 1850).

M. de Brouckere s'empressa de s'adresser au cardinal Antonelli, qui lui donna des explications qu'il jugea pleinement satisfaisantes. « Aucun mot de blâme, déclarait le cardinal, n'a été écrit en Belgique, ni par lui, ni par ses subordonnés ; il oserait presque ajouter l'assurance que la cour de Rome continuera à user de la même réserve. » Quelques jours après, le secrétaire d'Etat transmettait la réponse que voici de Pie IX au sujet de l'article du Journal de Bruxelles : « Cet article n'est pas officiel ; dès lors, il n'a pas assez d'importance pour que je doive l'avouer ou le démentir. Dernièrement, un journal a publié que j'avais accordé des indulgences plénières à ceux qui suivraient les instructions du P. Ventura ! J'ai gardé le silence. Jamais je n'interviendrai dans ce que disent de moi ou me font dire les journalistes. Je me suis expliqué au sujet du projet de loi sur l'enseignement moyen du gouvernement belge vis-à-vis de M. le ministre de la Belgique ; c'est dans le langage que je lui ai tenu que l'on doit chercher mon opinion, mon sentiment sur ce projet. » Après (page XLV) avoir transcrit ces paroles, M. de Brouckere en fit constater l'exactitude par le cardinal Antonelli.

Ce n'était certes rien moins qu'un démenti catégorique ; mais le ministre de Belgique était d'avis qu'il fallait s'en contenter. Si le Pape, disait-il, regrette la présentation du projet de loi et y désire des modifications, il n'a jamais prononcé une parole menaçante, aigre ou seulement désobligeante pour le gouvernement belge.

On sut depuis que cette réserve n'avait pas dépassé les limites strictement officielles. Les paroles attribuées à Pie IX étaient vraies, elles avaient été dites dans un entretien privé et étaient arrivées à la presse par une voie indirecte. On regretta beaucoup à Rome cette indiscrétion qui donnait une publicité inattendue à des paroles confidentielles (Dépêches de M. H. de Brouckere, 16, 20 et 30 avril 1850).


La discussion de la loi approchait alors de son terme au sein de la Chambre des Représentants. Le ministère avait souscrit à des modifications auxquelles les membres de la droite attachaient une haute importance ; par l'article 8, il avait inscrit l'enseignement religieux comme matière obligatoire au programme ; il avait donné les assurances les plus formelles que la loi serait exécutée dans un esprit bienveillant et conforme aux intérêts religieux. Nombre de députés catholiques paraissaient rassurés au sujet de l'application de la loi. Le vote eut lieu le 4 mai ; soixante-quinze voix, contre vingt-cinq et une abstention, se prononcèrent en faveur de la loi. Ces faits furent portés sans retard à la connaissance de la cour de Rome.

A ce moment, rien dans le langage du Vatican ne faisait pressentir des intentions hostiles. M. de Brouckere était convaincu que le Saint-Siège ne publierait rien et même n'écrirait rien contre le gouvernement. La cour de Rome partage à la vérité, disait-il, les sentiments du clergé belge ; (page XLVI) elle n'approuve pas la loi, mais elle s'abstient. Seulement, si elle n'encourage pas l'opposition du clergé, elle ne fera rien non plus pour la faire cesser. Cette attitude indécise correspondait parfaitement au caractère vague et mal défini des appréhensions qui se manifestaient au Vatican. On s'y faisait l'écho de réclamations dont on ne paraissait pas avoir sérieusement examiné l'objet (Dépêches de M. H. de Brouckere, 22 avril et 7 mai 1850).

Le 14 mai parut la requête des évêques au Sénat. En appelant sur ce document l'attention du Saint-Siège, le ministre des Affaires étrangères persiste à témoigner les dispositions les plus conciliantes : « Il suffira aux ministres des cultes, écrivait-il, de se montrer disposés à prêter à l'exécution de la loi un concours sincère, pour que tout le monde ait pour eux les plus grands égards et la plus grande condescendance. Le gouvernement tout le premier fera, ainsi qu'il en a été donné l'assurance au Saint-Père, toutes les concessions conciliables avec ses devoirs et sa dignité. Le ministre ne suppose pas que la démarche des évêques ait fait l'objet d'une entente avec le nonce ; mais elle a dû donner lieu à des explications, et sans doute des instructions ont été demandées à Rome sur la suite qu'il convient d'y donner. Le gouvernement espère que le nonce à Bruxelles recevra des directions analogues à celles transmises vers le même temps à Mgr Fornari, son collègue à Paris. A l'occasion de la loi sur l'enseignement primaire qui venait d'être votée dans ce pays et qui imposait au clergé français des sacrifices bien autrement considérables que n'en demandait au nôtre la loi sur l'enseignement moyen, ce prélat avait adressé, le 15 mai, aux évêques, une circulaire où il déclarait, au nom de la cour de Rome, que quelques prescriptions de la loi s'éloignaient de celles de l'Eglise ; que (page XLVII) d'autres semblaient peu convenables à la dignité épiscopale, que telle disposition inspire des inquiétudes aux consciences des familles catholiques toutefois, malgré les imperfections graves qu'elle y trouve, la cour de Rome engage personnellement les évêques à coopérer activement et dans des vues conciliantes à l'application de la loi » (Dépêche de M. d'Hoffschmidt, 24 mai 1850).

Au lendemain même du jour où l'épiscopat belge, par sa requête au Sénat, prenait une attitude radicalement hostile, M. de Brouckere avait à Rome un entretien très explicite avec le cardinal Antonelli. Le secrétaire d'Etat ne déguisait pas l'impression favorable que produisaient sur lui les explications de notre ministre ; il redoutait seulement que les établissements officiels ne fissent à ceux du clergé une concurrence écrasante ; mais il avait reconnu lui-même quelque temps auparavant que cette considération ne pouvait être opposée à l'Etat comme un motif d'exclusion. Au sortir de cet entretien, le diplomate belge concluait « que la cour de Rome persistera dans le silence et l'abstention qu'elle a observés jusqu'ici, et que ses relations avec le gouvernement continueront à être aussi bienveillantes qu'elles l'ont été à aucune époque. » Il est convaincu que le nouveau nonce, Mgr Gonella, arrivera à Bruxelles avec des instructions très conciliantes (Dépêche de M. H. de Brouckere, 15 mai 1850).


Un consistoire secret était annoncé pour le 20 mai ; le Pape devait y prononcer une allocution. La veille de ce jour, M. de Brouckere ignore absolument qu'il doive y être question de la Belgique. Le lendemain de la tenue du consistoire, alors que le discours pontifical n'était pas encore publié, il a un entretien avec Pie IX sur la loi de l'enseignement moyen. Il s'attache de nouveau à rassurer le Saint-Père (page XLVIII) sur la nature de la loi et l'esprit de modération avec lequel elle sera exécutée. Le Pape lui répond qu'il a appris avec une satisfaction réelle les modifications que le projet de loi a subies ; elles ne suffisent pas toutefois pour le rassurer entièrement. M. de Brouckere annonce à cette occasion que son départ est prochain ; mais Pie IX n'ajoute rien et garde un profond silence sur ce qui s'est fait la veille. « On assure que l'allocution a été très modérée, même sur les affaires du Piémont » : c'est l'impression finale que notre ministre emporta de cette entrevue (Dépêche de M. H. de Brouckere, 22 mai 1850). Le cardinal Antonelli ne se départit pas d'une attitude semblable ; pas un mot ne mit notre ministre en garde contre le coup de théâtre qui se préparait.

Le 24 mai, M. de Brouckere quitta Rome ; le 25, l'allocution du Pape était publiée dans les journaux. On y lisait ce passage :

« Nous ne pouvons nous défendre, dans notre sollicitude paternelle envers l'illustre nation des Belges qui s'est toujours fait remarquer par son zèle pour la religion catholique, de témoigner notre douleur à la vue des périls qui menacent chez elle la religion catholique. Nous avons la confiance que désormais son Roi sérénissime et tous ceux qui dans ce royaume tiennent le timon des affaires, réfléchiront dans leur sagesse combien l'Eglise catholique et sa doctrine servent à assurer même la tranquillité et la prospérité temporelle des peuples ; qu'ils voudront conserver dans son intégrité la force salutaire de cette même Eglise et s'attacheront à protéger et à défendre les saints prélats et les ministres de cette Eglise et à les seconder dans leur œuvre bienfaisante. »

Cette manifestation coïncidait avec la discussion du projet de loi par le Sénat et avait évidemment pour but de l'influencer. Elle manqua sous ce rapport son but, mais elle n'en (page XLIX) produisit pas moins une émotion profonde en Belgique. Pendant cinq mois, le gouvernement n'avait épargné aucun effort pour éclairer le Saint-Siège et le rassurer sur ses intentions. Il lui avait envoyé à cette fin l'un des hommes politiques les plus considérables du pays. Les explications de notre ministre avaient été bien reçues. Si on lui avait témoigné certains regrets, exprimé certains désirs, on n'avait formulé aucune demande précise, et on ne lui avait pas ménagé les paroles les plus conciliantes. On avait fait naître et entretenu ainsi des illusions qu'on s'était promis d'avance de dissiper brusquement à l'heure voulue, sans égards pour les avances du gouvernement belge ni pour la dignité de son représentant.

Le ministre des Affaires étrangères répondit, le 14 juin, par un office diplomatique, à l'allocution pontificale. Il exprime la surprise que ce document a produite en Belgique, il renonce à discuter les accusations aussi graves que vagues et indéterminées qui y sont contenues et que l'examen des faits ne saurait justifier. Nul ne sait les périls qui menacent la religion catholique en Belgique ; nul ne sait comment, pourquoi, contre qui il faut défendre ses ministres. L'Eglise a chez nous une situation privilégiée qu'elle ne trouve nulle part ailleurs. La nouvelle loi ne tend nullement à proscrire l'enseignement religieux des établissements publics ; si le clergé y prête son concours, elle aura plutôt pour effet d'y faire rentrer cet enseignement. Le Saint-Siège eût-il eu quelque grief particulier à faire valoir, ce ne saurait être un motif « pour concevoir et propager des craintes sur la situation générale d'un pays où règne sous le régime le plus libre et le plus tolérant une tranquillité profonde. Le gouvernement du Roi en appelle au Pape mieux informé et se voit à regret dans l'obligation de protester dès à présent contre des allégations en complet désaccord avec la réalité des faits. » "

Une déclaration dans le même sens et presque dans les mêmes termes parut le 7 juin au Moniteur.

(page L) Mise en présence de cette protestation, la cour de Rome se refusa tout d'abord à atténuer la portée de son acte. Le cardinal Antonelli n'admettait pas que le Pape eût été induit en erreur ; son opinion s'était faite d'après les débats parlementaires. Sans doute, l'article 8 améliorait la loi ; mais ce n'était pas une garantie suffisante. Au surplus, ajoutait le secrétaire d'Etat, une allocution pontificale est un acte irrévocable ; on n'y revient jamais (Dépêche de M. de Meester, 27 juin 1830).

La démonstration faite par le Saint-Siège avait aggravé la situation des choses en Belgique. On était à la veille des élections ; le clergé se jeta avec passion dans la lutte. Cependant le gouvernement n'avait pas renoncé dès lors à tout espoir d'un arrangement amiable ; il était résolu à réclamer le concours du clergé pour l'exécution de la loi : si un accord intervenait, le Saint-Siège aurait pu faire une déclaration ultérieure qui rectifiât le sens de l'allocution du 20 mai. Le nonce, Mgr de San Marsano, se rallia à cette combinaison et promit de faire officieusement tous ses efforts auprès des évêques pour amener sur ce terrain une entente entre le gouvernement et l'épiscopat. En confiant à notre chargé d'affaires à Rome la mission de communiquer ces vues au cardinal Antonelli, le ministre des Affaires étrangères affirma de nouveau en termes solennels que les paroles du Pape ne dépeignaient pas le véritable état des choses en Belgique (Dépêche de M. d'Hoffschmidt, 8 juillet 1850).

Une note verbale du Saint-Siège, qui porte la date du 9 juillet, parut faire une avance dans ce sens. Cette note, qui répondait à notre protestation du 14 juin, déclare que l'allocution pontificale n'a en vue que les périls qui menacent (page LI) la religion catholique elle-même. Ces périls, Sa Sainteté les voit principalement dans la loi sur l'enseignement moyen. Toutefois, il est certain que la religion jouit en Belgique d'une grande liberté et que la loi a été en partie améliorée dans la discussion ; néanmoins les dangers signalés subsistent. « Malgré ses craintes, le Saint-Père n'a pas laissé d'exprimer encore son espoir de voir ces dangers écartés, et il se repose spécialement sur la sagesse de Sa Majesté le Roi des Belges et sur le bon esprit de la nation pour voir se vérifier les espérances qu'il a conçues. »

Le gouvernement trouva cette explication insuffisante. « Il est évident, porte une dépêche du 15 août, que la situation respective des deux parties restera la même aussi longtemps qu'une manifestation publique dans un sens conforme à la réalité des choses n'aura point effacé l'impression pénible produite sur le gouvernement du Roi et dans le pays par l'allocution du 20 mai dernier. »

Notre chargé d'affaires répond le 4 septembre : « D'après une conversation que je viens d'avoir avec le cardinal pro-secrétaire d'Etat, je puis vous assurer que le Saint-Siège n'a jamais eu l'intention, dans la note verbale du 9 juillet, de témoigner une sorte de défiance ou de mécontentement à l'égard du ministère ou des Chambres belges. Si, dans la note dont il s'agit, il est dit qu'on attend un heureux résultat de la sagesse de Sa Majesté le Roi des Belges et du bon esprit de la nation, on entend aussi par là la sagesse du ministère choisi par le Roi et le bon esprit des Chambres élues par la nation.

« Son Eminence désire vivement qu'une entente au sujet de la loi sur l'enseignement moyen ait lieu entre le gouvernement et le clergé ; c'est là un vœu que le Saint-Père a toujours manifesté. A Rome, on fera tout ce qu'il est possible de faire pour atteindre ce but, et quand on l'aura atteint, le Saint-Siège ne se refusera pas de s'applaudir (page LII) d'un accord qui mettra fin à des dissentiments si regrettables.

« Tel est, Monsieur le ministre, le résumé de ce que le cardinal Antonelli m'a dit quand j'ai fait connaître à Son Eminence le contenu de votre dépêche du 15 août. »

A la demande du ministre des Affaires étrangères, le cardinal Antonelli confirma ces déclarations et leur prêta un caractère authentique (Dépêche de M. de Meester, 14 octobre 1850).

La négociation se prolongea encore plusieurs mois dans ces termes, sans que le résultat final en ait été sensiblement modifié. La cour de Rome n'accorda pas de réparation plus complète au sujet de l'allocution pontificale du 20 mai. Quant au concours du clergé pour l'exécution de la loi sur l'enseignement moyen, elle ne cessa de protester qu'elle désirait vivement une entente entre le gouvernement et l'épiscopat. Le Pape et son secrétaire d'Etat exprimaient la conviction que les évêques feraient toutes les concessions que leur permettrait leur conscience pour obtenir ce résultat. Mais, aux demandes réitérées de notre agent pour que des instructions en ce sens fussent envoyées au nonce, on répondait par des défaites : c'était chose inutile ; Mgr Gonella connaissait les intentions du Saint-Siège (Dépêches de M. de Meester, 4 septembre 1850, 30 novembre 1850, 14 avril 1851). Il y avait longtemps alors que durait la correspondance du ministre de l'Intérieur avec l'Archevêque de Malines relativement à l'intervention du clergé. Ouverte le 31 octobre 1850, elle s'arrêta le 15 mai 1851 sur une lettre de l'archevêque qui formulait des exigences inadmissibles puisqu'elles étaient contraires aux termes de la loi. Tout demeura donc en suspens. Jamais on n'eut l'occasion de constater au cours de cette longue et stérile négociation qu'une démarche (page LIII) quelconque eût été faite par le Saint-Siège en vue d'une solution conciliante.


L'échec de la mission de M. H. de Brouckere ne se borna pas à la question capitale de l'enseignement ; le même résultat négatif intervint au sujet des autres buts assignés à ses efforts. La transformation qui s'accomplissait dans le caractère du clergé catholique, son intervention croissante dans les affaires politiques, le rôle actif qu'il s'attribuait dans les élections formaient à ce point de vue un objet essentiel.

Depuis plusieurs années cet abus allait en s'aggravant ; il s'était produit pour la première fois avec éclat aux élections de 1841, avec la complicité même du Saint-Siège.

Après le renversement violent du cabinet libéral de 1840, alors que l'administration qui lui succéda était à peine formée, il se trouva des agents diplomatiques qui prirent sur eux d'engager la cour de Rome à intervenir activement dans nos affaires intérieures. Prenant texte de la vivacité de la foi religieuse de nos populations, dociles, disait-on, aux conseils qui partent de leurs chefs spirituels, alors surtout qu'il s'agit de décider des questions de morale et d'instruction religieuse, ils pressèrent le Souverain Pontife d'exhorter les chefs des diocèses belges à prêter leur concours à l'acte important des élections qui se préparait. Ces suggestions avaient lieu au mois d'avril 1841, à l'insu du cabinet qui se constituait en ce moment même ; elles eurent un succès complet. Le 15 mai de cette année, l'archevêque de Malines invitait par une circulaire les prêtres électeurs à se rendre au scrutin et à voter pour des hommes dévoués aux intérêts de l'Eglise. Au scrutin du mois suivant, les chefs les plus éminents de l'opinion libérale furent combattus avec acharnement, au nom de ce cri de guerre formulé par le clergé : « Il nous faut vaincre les libéraux en masse ! »

Aux luttes électorales qui suivirent, les mêmes faits ne cessèrent plus de se renouveler. La participation du clergé (page LIV) aux élections devient en quelque sorte régulière et publique, mais elle soulève en même temps une irritation grandissante. Même sous l'administration catholique de MM. de Theux et Malou, en 1846, les dangers de cette situation frappaient tous les yeux. C'est alors que Pie IX déclare au prince de Chimay que la religion, sous peine de s'amoindrir, ne doit jamais se mettre au service d'un parti ». ».

Deux années plus tard le même Pontife manifestait au prince de Ligne sa ferme intention de rappeler à son devoir tout évêque belge qui se laisserait entraîner sur le terrain des luttes politiques par un zèle mal entendu. « La cour de Rome, disait de son côté à un de nos agents, l'ancien nonce à Bruxelles, Mgr Fornari, ne veut pas que les évêques interviennent dans ce qui est du domaine du gouvernement temporel. » (Dépêches du prince de Chimay, 8 novembre 1846 ; du prince de Ligne, 11 décembre 1848 ; de M. H. de Brouckere, 14 décembre 1849). Ces déclarations n'étaient qu'un écho des sentiments de répulsion qui, de 1846 à 1848, n'avaient cessé de se manifester au sein des Chambres belges, même sur les bancs de la droite, contre l'emploi abusif des influences religieuses en matière politique.

Mais si, à Rome, on reconnaissait le mal, on ne semblait guère songer à y porter remède. C'est alors que le cabinet de 1847 résolut de traiter explicitement cette grave question avec le Saint-Siège. Dans les instructions qu'il donna, le 20 octobre 1849, à M. H. de Brouckere, il s'exprime en ces termes :

« Vous ne devez laisser échapper aucune occasion de faire remarquer quelles garanties efficaces sont données chez nous à tout ce qui se rattache à la religion et au culte. Ces garanties, qui trouvent une sanction puissante dans les mœurs et les sentiments des populations, ne pourraient être compromises que si un zèle mal entendu et l'esprit de parti venaient en abuser. Avec nos idées actuelles et sous (page LV) l'empire de nos institutions, fort différentes de celles que semble comporter l'état de l'Italie, toute immixtion du clergé, comme corps, dans les luttes politiques créerait des défiances nouvelles et de nouveaux éléments d'irritation qui nuiraient profondément à sa considération et à son influence. L'expérience d'un passé près de nous démontre que là est un péril sérieux. La cour de Rome peut aider à le conjurer en recommandant la circonspection et une prudence extrême aux évêques, en les engageant à tenir les prêtres éloignés d'un terrain qui n'est point celui où leur mission est appelée à s'exercer. Des élections auront lieu en 1850. Ce sera une épreuve décisive. Selon qu'elle sera sage ou imprudente, la conduite du clergé servira à raffermir ou bien à ébranler pour longtemps le respect et l'ascendant qui lui sont dus. »

Le 6 décembre 1849, le ministre des Affaires étrangères revient sur ces instructions et les signale à M. H. de Brouckere comme un des points les plus importants de sa mission. Rappelant les déclarations antérieures de Pie IX, il l'invite à raffermir le Saint-Siège dans sa résolution de ne pas laisser le clergé supérieur s'égarer dans des voies imprudentes et dangereuses. Dès son premier entretien avec le cardinal Antonelli, notre ministre souleva cette grave question. Le secrétaire d'Etat, et bientôt après Pie IX lui-même, lui déclarèrent qu'ils ne pouvaient que confirmer le langage qu'ils avaient tenu au prince de Ligne comme au prince de Chimay (Dépêche de M. H. de Brouckere, 22 janvier 1850).

Un mois plus tard, le Saint-Père ajoutait : « Des instructions toutes spéciales seront données à Mgr Gonella, afin qu'il s'applique à prévenir tout empiétement de la part du clergé sur ce qui rentre dans les attributions du pouvoir civil et aussi afin qu'il l'engage à se conduire en toute occasion vis-à-vis du (page LVI) gouvernement et particulièrement dans les élections, avec modération et avec réserve » (Dépêche de M. H. de Brouckere, 27 février 1850).

Des élections devaient avoir lieu le 11 juin 1850. A l'ouverture de la période électorale, le 14 mai 1850, le gouvernement écrivait à notre ministre : « La lutte sera vive. J'aime à penser qu'elle sera loyale et qu'on ne verra pas se renouveler ces écarts de zèle qui, à d'autres époques et récemment encore, ont nui si profondément à la considération du clergé. Je me persuade que, sous l'influence des conseils bienveillants et éclairés de la cour de Rome, l'épiscopat belge suivra la seule ligne de conduite qui soit compatible avec ce principe proclamé par Pie IX et rappelé dans ma dépêche du 6 décembre dernier : que la religion ne doit jamais se mettre au service d'un parti, sous peine de s'amoindrir. "

Six jours après la date de cette lettre, le Pape prononçait contre le gouvernement belge, et à l'insu de notre ministre, l'allocution du 20 mai. Ce document, rendu public le 25, donna le signal d'une lutte ardente contre l'administration libérale. Le clergé s'engagea dans la polémique électorale avec une vivacité inouïe ; il ne se contenta plus de prêter le concours de son influence, il prit l'initiative et la direction de l'attaque. Les établissements qui relevaient de son autorité devinrent autant de centres d'opérations : depuis l'évêque jusqu'au simple prêtre, la participation aux élections fut aussi véhémente que générale. Personne ne se souvint des conseils que, de 1846 à 1850, le Saint-Siège prétendait avoir donnés au clergé, et lui-même évidemment ne les lui rappela pas.


Un dernier point des instructions de M. H. de Brouckere se rapportait à des questions d'une nature mixte intéressant (page LVI) à la fois le pouvoir civil et l'autorité ecclésiastique. Une seule de ces questions prit dans les desseins du gouvernement une forme arrêtée : c'était celle des rapports du clergé inférieur avec les évêques, ou, en d'autres termes, celle de l'inamovibilité des desservants.

Des incidents graves avaient attiré de ce côté l'attention publique et prêté à cette matière un puissant intérêt d'actualité. En 1839, deux prêtres français, les frères Allignol, dans un écrit pathétique intitulé : Etat actuel du clergé, avaient dépeint les misères et les humiliations du clergé inférieur. Ils avaient fait voir combien l'autorité épiscopale avait gagné depuis le concordat de 1801 en étendue, combien elle était devenue absolue et arbitraire. (Note de bas de page : Il y avait en France, sous l'ancienne monarchie, 36,000 curés au titre inamovible et seulement 2,500 desservants ou succursalistes dont les titres étaient révocables. Le concordat a renversé ces proportions : il y a maintenant 5,400 curés inamovibles et 34,000 desservants révocables à la volonté de l'évêque.) L'opinion s'était émue de ces révélations ; les évêques s'effrayèrent, en France, de l'effet que cette protestation produisait dans les rangs des ecclésiastiques. Le Saint-Siège, saisi par eux, consentit à tolérer le statu quo, mais refusa de trancher la question de principe contre les desservants (1844).

Un mouvement considérable se manifesta à la suite de cette décision parmi le bas clergé, qui espéra un moment son émancipation. Il donna naissance à plusieurs conflits en Belgique ; le plus remarquable fut celui qui surgit, en 1844, dans le diocèse de Liége. L'évêque, Mgr Van Bommel, avait suspendu de ses fonctions et, peu après, révoqué le desservant de la paroisse de la Xhavée, M. Van Moorsel. Encouragé par un certain nombre de prêtres qui partageaient ses idées sur leur droit à revendiquer l'inamovibilité canonique, soutenu par ses paroissiens, M. Van Moorsel résista. Après avoir essayé divers recours, notamment au Saint-Siège (page VVIII) par l'intermédiaire du nonce, il s'adressa au ministre des Affaires étrangères, M. Dechamps, et le pria de transmettre sa réclamation à Rome. Le ministre s'y refusa ; il ne crut pas pouvoir, aux termes de la Constitution, intervenir entre un évêque et son subordonné, le premier se trouvant dans l'exercice de sa juridiction spirituelle. Au surplus, M. Van Moorsel était Hollandais. Néanmoins, le conflit s'aggravant, il s'en entretint avec le nonce, Mgr Pecci. Le nonce déclara que le recours au Saint-Siège restait ouvert, mais qu'il ne pouvait se constituer intermédiaire dans cette circonstance, « parce que, n'ayant à remplir en Belgique que des fonctions diplomatiques, il ne se croyait pas qualité pour prendre une semblable initiative » (Lettre de M. Dechamps au Gouverneur de Liége, 23 décembre 1845).

En présence de cette double abstention, l'abbé Van Moorsel saisit la juridiction civile en réintégration de son traitement. Il fut débouté en première instance et en appel. Energiquement soutenu néanmoins par ses ouailles, il se maintint pendant plus de deux ans encore en possession du presbytère et de l'église, jusqu'à ce que, le 29 juillet 1848, un jugement du tribunal de Liége le contraignit à faire place à son successeur.

Cependant l'évêque de Liége avait, de son côté, demandé à Rome la sanction par le Saint-Siège du droit absolu de révocation dont il venait d'user à l'égard de l'abbé Van Moorsel. Grégoire XVI, qui approchait alors du terme de son existence, hésita à trancher une question d'une telle portée ; il fit répondre à l'évêque de Liége que,« pour des motifs graves, il consentait à laisser subsister le régime actuel des églises succursalistes, jusqu'à ce que le Saint-Siége en eût ordonné autrement » (1er mai 1845). Cette solution réservait la question de principe ; elle n'apportait aucun (page LIX) remède à la situation présente, mais elle laissait une perspective ouverte sur l'avenir. Des vœux réitérés et pressants se manifestèrent en ce sens au sein du clergé inférieur, et c'est ainsi que l'inamovibilité des desservants en arriva à devenir l'un des articles du Congrès libéral de 1846.

Sur ces entrefaites, le cabinet libéral était arrivé au pouvoir. Invité à son tour à intervenir en faveur du curé de la Xhavée, il se mit en rapport avec le nonce. Mgr de San Marsano lui fit savoir que le Pape avait condamné l'attitude de l'abbé et lui avait enjoint de se soumettre aux ordres de ses supérieurs. Malgré cette décision, M. Van Moorsel envoya une nouvelle supplique au Saint-Siège et demanda au gouvernement de la transmettre à Rome par la voie diplomatique. Le ministre des Affaires étrangères n'y consentit qu'à titre officieux, après s'être assuré préalablement de l'assentiment du nonce (Dépêche de M. d'Hoffschmidt, 14 mars 1848). Le cardinal secrétaire d'Etat reçut la supplique et promit de la soumettre au Saint-Père.

Ces faits furent la préface de l'introduction, dans nos communications diplomatiques avec Rome, de la question des desservants. Dès le 18 janvier 1848, le gouvernement avait nettement défini son point de vue en ces matières devant la Chambre des Représentants : « Il ne s'est jamais agi, dit le ministre de l'Intérieur, dans l'intention du cabinet, de négociations qui devraient aboutir à ce qu'on appelle un concordat. Notre droit public ne comporterait pas des négociations qui devraient amener un pareil résultat. Mais ce dont il peut s'agir avec Rome, c'est d'obtenir une déclaration favorable aux prétentions raisonnables du clergé inférieur. Une pareille déclaration pourrait servir de base à la conduite du gouvernement dans ses rapports avec le clergé, (page LX) chacun d'ailleurs, le clergé et le gouvernement, restant libre, aux termes de la Constitution. »

Ces paroles servirent de norme aux instructions remises successivement sur ce point à nos agents. Aucun traité, aucun engagement bilatéral ne devait être le but ni le terme de leurs efforts ; les principes constitutionnels en matière de rapports de l'Etat et de l'Eglise ne le permettaient pas. Mais il s'agissait pour eux d'exposer une situation, de signaler les inconvénients et les abus qu'elle faisait naître, de réclamer les remèdes qu'elle pouvait comporter. Sur ce terrain et dans ces conditions, leur intervention, légitime en droit, pouvait paraître utile et n'excédait pas, en tout cas, les limites de leur mandat. C'est dans cet esprit que le prince de Ligne reçut la mission de s'expliquer sur ce point avec le Saint-Siège. Sans faire d'ouvertures directes, en se bornant à signaler les difficultés et à sonder le terrain, il devait suggérer la promulgation d'un règlement, ou même d'une simple déclaration qui prévînt à l'avenir les abus et les conflits (Dépêche de M. d'Hoffschmidt, 1er août 1849).

Le Saint-Siège n'opposa pas d'abord à ces ouvertures un refus catégorique ; il les accueillit toutefois avec beaucoup d'hésitation. Le cardinal Antonelli craignait que les évêques ne considérassent tout accord intervenant à ce sujet entre le Saint-Siège et le gouvernement comme une mesure dangereuse, comme une atteinte portée à leur indépendance (Dépêche du prince de Ligne, 17 septembre 1849). Quelques jours après, au moment même du départ de notre ambassadeur, le cardinal Antonelli, revenant sur ces ouvertures, attira son attention sur « les termes précis du concile de Trente qui autorise tout prêtre quelconque soumis à la juridiction d'un évêque à en appeler à Rome des abus de pouvoir et des injustices dont il croirait avoir à se plaindre (page LXI) de la part de son chef spirituel ». Son Eminence déclara que, s'en référant à ces mêmes termes, « Sa Sainteté... ne pouvait admettre aucune intervention de la part du gouvernement en cette matière, comme étant de nature, bien que bienveillante et conciliatrice, à porter atteinte à l'autorité épiscopale, en s'immisçant dans des questions ayant un rapport plus ou moins direct avec les règles de discipline et de hiérarchie ecclésiastiques. »


Le gouvernement, en intervenant en faveur des desservants, s'était placé au point de vue du droit canonique en vigueur dans l'Eglise. En signalant les déviations abusives de ce droit, il ne faisait appel qu'à l'autorité du Saint-Siège lui-même et ne revendiquait pour l'Etat aucune extension de pouvoir, aucun partage d'attributions dans le règlement du conflit.

Fort de cette situation complètement désintéressée, il ne crut pas devoir clore le débat sur la dernière déclaration du cardinal Antonelli. Dans les instructions dont il munit M. H. de Brouckere pour sa mission auprès du Saint-Siège, le ministre des Affaires étrangères suggéra, à défaut d'une déclaration de la cour de Rome sur cette matière, l'établissement, dans chaque diocèse, d'une juridiction d'appel, à l'exemple de l'officialité instituée à Digne par Mgr Sibour, devenu alors archevêque de Paris.

Dans l'entretien qu'il eut à ce sujet avec notre ministre, le cardinal Antonelli opposa à chacun des deux moyens indiqués par le gouvernement belge une fin de non-recevoir absolue. « Tout desservant, disait-il, tout prêtre qui croit avoir à se plaindre de son évêque peut, par l'intermédiaire du nonce, adresser son recours au Saint-Père, qui examine toujours attentivement ces sortes d'affaires. Il est arrivé plus d'une fois que Sa Sainteté, ayant trouvé le recours fondé, s'est prononcé en faveur du simple prêtre contre l'évêque ; dans certains cas, en outre, le nonce peut et doit prononcer de sa propre autorité. Tout au plus annonça-t-on (page LXII) l'intention de donner au nonce des instructions spéciales pour que son intervention ne fût pas inefficace dans les différends qui pourraient surgir à l'avenir entre les évêques et les desservants (Dépêche de M. H. de Brouckere, 22 janvier 1850).

Le Saint-Siège n'alla pas plus loin dans cet ordre d'idées. Il ne cachait pas l'impression que le cabinet belge, en l'abordant, s'avançait sur un terrain qui n'était pas de sa compétence. Quelque faible espoir qui lui restât dès lors d'aboutir à un résultat sérieux, le gouvernement crut devoir expliquer de nouveau ses intentions de façon à écarter toute suspicion d'ingérence inconstitutionnelle dans les affaires des cultes. « Au point de vue du principe de la liberté des cultes et de leur libre exercice, il est en effet certain que l'autorité civile ne peut aucunement prétendre à régler les rapports de hiérarchie ou de subordination qui doivent exister entre les chefs diocésains et le clergé inférieur : elle ne le pourrait pas plus qu'elle ne peut intervenir dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque (Constitution, article 16). Mais comme l'Etat salarie les ministres des cultes (ibid., article 117), il peut demander qu'on lui fasse connaître à quelles conditions l'on devient ministre du culte, quand et comment cette qualité peut se perdre. Les curés succursalistes sont nommés et institués par les évêques ceux-ci en informent le gouvernement, qui les inscrit sur ses registres et leur paye le traitement fixé par la loi. Sur ce point il n'y a aucune difficulté. Mais il y a contestation entre le clergé supérieur et inférieur en ce qui concerne le mode de révocation. Les chefs diocésains prétendent avoir, à cet égard, un droit illimité ; les curés succursalistes invoquent, au contraire, les lois de l'Eglise, et notamment le concile de Trente, pour dénier aux évêques le droit (page LXIII) de les révoquer sans un jugement canonique. Sur ce point, a donc un doute sérieux, et le gouvernement doit tenir à ce que ce doute soit levé. Le Saint-Siège est seul compétent pour le faire, et, dans sa haute sagesse, il aura à juger s'il ne devrait point s'entendre avec l'épiscopat belge pour introduire spontanément quelques garanties (Dépêche de M. d'Hoffschmidt, 11 mai 1850).

Les explications provoquées à cet égard par le gouvernement belge s'arrêtèrent là. Le Saint-Siège n'entreprit pas de nier le fondement des observations qui lui étaient faites ; mais il craignit, en se prêtant aux désirs qui lui étaient exprimés, de s'engager dans un conflit avec l'épiscopat, dont il refusa toutefois de sanctionner les prétentions. Pour sortir de la difficulté, il imagina un moyen terme qui devait tourner au profit de sa propre prérogative. En légitimant et développant les recours du clergé inférieur au Pape, il chercha à attirer à lui une partie de l'omnipotence épiscopale. Le pontificat de Pie IX a fait ressortir les conséquences de ce système.


A la même époque, plusieurs autres questions se rattachant à l'administration des cultes dans ses rapports avec la loi civile, furent souvent agitées. Le gouvernement était pénétré de l'utilité de résoudre les difficultés qui naissaient fréquemment sur ce terrain ; il ne s'agissait pas de restreindre les droits de l'Eglise, mais de prévenir les conflits en s'entendant sur certaines règles qui eussent pu servir de base à une législation sur la matière. Les longues études auxquelles on se livra dans ce but n'aboutirent à aucun projet arrêté. Les instructions que M. de Brouckere reçut à ce sujet étaient d'une teneur fort vague ; elles ne prévoyaient que des entretiens préliminaires. Quand elles arrivèrent à Rome, M. de Brouckere avait quitté cette ville, et l'allocution pontificale du 20 mai était rendue publique. Dans ces (page LXIV) conditions, notre chargé d'affaires reçut l'ordre de n'y donner aucune suite.


Tels furent les divers épisodes de cette mémorable négociation, l'une des plus importantes que la Belgique ait suivies avec le Saint-Siège. La mission de M. H. de Brouckere aboutissait à un triple échec. Des trois objets qu'il avait poursuivis, il avait essuyé un refus sur l'un ; il n'avait recueilli, quant aux deux autres, que des promesses vaines immédiatement démenties par les faits, et cela dans des conditions particulièrement blessantes pour la dignité du gouvernement belge et celle de son représentant.

Le cabinet libéral de 1847 avait voulu inaugurer, dans nos rapports avec la cour de Rome, des traditions nouvelles ; soutenu par le courant des idées générales de cette époque, encouragé par l'attitude courageuse qu'avait su prendre Pie IX au début de son règne, plein de déférence et d'estime pour ce Pontife qui semblait vouloir introduire, dans les relations entre l'Etat et l'Eglise, des principes de paix et de conciliation, il assigna à la mission qu'il lui envoyait un caractère élevé, une portée vraiment politique. Il ne s'agissait plus de traiter simplement des questions de personnes, de régler à l'amiable et comme dans une espèce d'intimité, quelques incidents particuliers, quelques difficultés passagères. Le gouvernement libéral partit d'un autre point de vue. Fermement attaché au principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, résolu à ne rien sacrifier de l'indépendance du pouvoir civil, il voulut traiter diplomatiquement, c'est-à-dire de puissance à puissance, avec le Saint-Siège, tout en lui témoignant les plus grands égards, la plus respectueuse sympathie, et en repoussant sans cesse et avec énergie l'accusation gratuite de nourrir des desseins hostiles à la religion. L'œuvre qu'il voulait accomplir, d'accord avec le Souverain Pontife, était d'une haute importance et conçue dans l'intérêt réciproque de la société religieuse et de la société civile.

Pour la conduire à bonne fin, le cabinet (page LXV) choisit successivement trois hommes ayant acquis dans le pays une position. exceptionnelle par leur caractère, leur talent, leur position sociale. C'était encore un hommage à la cour pontificale, une preuve de déférence et de respect. On a vu le résultat de ce puissant effort il fut absolument négatif. Des trois hommes éminents que le gouvernement envoya à Rome, l'un ne fut pas reçu, le second, accueilli avec bienveillance, n'obtint aucune concession, et le troisième non seulement échoua dans toutes ses démarches, mais fut mis dans l'impossibilité d'épargner à son pays et à lui-même une offense publique.

Après cette triple et infructueuse expérience, les relations officielles cessèrent de fait avec la cour de Rome jusqu'au terme de cette période. M. H. de Brouckere resta encore deux ans accrédité auprès des Etats italiens, mais il ne reparut plus à Rome. Un chargé d'affaires y géra les intérêts belges, mais n'eut plus de négociation nouvelle à suivre avec le Saint-Siège.

Après la retraite du ministère libéral de 1847, cette situation ne fut pas modifiée. De 1852 à 1855, années pendant lesquelles M. de Brouckere exerça les fonctions de ministre des Affaires étrangères, il ne crut pas devoir envoyer un ministre à Rome. Le nonce apostolique accrédité en 1850 à Bruxelles, Mgr Gonella, ne cessa pas d'y résider ; mais la Belgique, jusqu'en 1856, ne fut plus représentée auprès du Vatican que par un agent d'un grade inférieur.