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Histoire du parlement belge 1848-1857
ADNET Amédée - 1862

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Amédée ADNET, Histoire du Parlement belge : 1847-1858

(Paru à Bruxelles en 1862, chez Bruylant-Christophe et Compagnie)

Chapitre VI. Le déficit

(page 131) Dès son entrée au pouvoir, le ministère libéral s'était trouvé en présence d'un déficit de quarante-trois millions. (Au 1er janvier 1848, ce déficit peut être estimé à 42,937,839 fr. 27 c. Discours de M. le ministre des finances, Frère-Orban. Séances du 8 et du 13 mai 1851, Annales, 1850-1851, p. 1295, 1355 et 1356), déficit provenant non pas des dépenses extraordinaires, qui laissaient au contraire un boni de deux millions (Tableau des dépenses extraordinaires de 1830 à 1847, inséré à la suite de la situation pour 1850, Annales, 1850-1851), mais de l'insuffisance des ressources régulières du budget. Pour empêcher cette situation de s'empirer encore, le premier et le plus naturel des remèdes qui s'offrit à l'administration, consistait non pas dans l'augmentation des recettes par le moyen de l'impôt, mais dans la diminution des charges de l'État par (page 132) l'économie des deniers publics. Le discours du trône de 1848 appelait l'attention des Chambres sur la situation financière, en annonçant des réductions aux budgets. L'adresse en réponse au discours du trône félicitait le gouvernement de faire droit à l'une des réclamations les plus vives de l'opinion. Et en effet le mot économies se trouvait alors dans toutes les bouches. Selon l'expression de M. H. de Brouckère, il avait été le mot d'ordre des élections (Séance du 5 décembre 1848. Annales, 1848-1849, p. 157). Chacun croyait à de nombreux abus, perpétués par les administrations précédentes et qui allaient disparaître, comme d'un coup de baguette, par le seul effet du bon vouloir des nouveaux ministres. Telle ne fut pas cependant la réalité. Après comme avant 1848, la plupart des administrations publiques sont restées desservies par un très grand nombre d'agents et de fonctionnaires, à qui l'on continue à reprocher leur manque d'activité et leur amour pour la routine ; ils pourraient répondre en accusant l'administration d'une parcimonie qui les force à se créer des ressources extraordinaires pour parer à l'insuffisance de leurs traitements (Discours de M. L. Hymans, séance du 5 décembre 1861). Sauf dans les bureaux du ministère des finances, les économies de 1848 et de 1849 n'ont guère amené la simplification permanente des services (Discours de M. Delfosse, séance du 30 mars 1857, Annales, 1856-1857, p. 1195. Discours de M. le ministre des finances, 17 avril 1858, Annales, 1857-1858, p. 720). Partout ailleurs les budgets momentanément diminués se relèvent bientôt et reprennent leur ancien niveau dès 1854, pour le dépasser de (page 133) beaucoup en 1861. Si l'opinion publique, aidée par des circonstances exceptionnelles de gêne où se trouvait le trésor, a obtenu certaines réductions dans le personnel des bureaux, elle est restée impuissante à provoquer une mesure systématique contre l'abus des écritures administratives, et contre le grand nombre des employés qui en est la conséquence inévitable. A ce point de vue, la réforme est encore à faire. Aux ministres qui l'entreprendront, et l'initiative ne peut venir ici que des ministres, il faudra beaucoup de persévérance et de modération ; nul changement ne peut s'opérer qu'avec de grands ménagements pour les positions acquises. Il leur faudra de plus ce rare courage, qui consiste à savoir sacrifier l'intérêt direct et l'avenir de quelques-uns, à l'intérêt indirect et toujours assez peu sympathique de l'être moral appelé l'État.

En matière administrative, une innovation importante a déjà été accomplie par les arrêtés royaux de 1846, lesquels exigent des garanties d'instruction de la part des fonctionnaires publics. Pour être admis en qualité de surnuméraire dans une administration centrale, il faut, ou bien produire un diplôme universitaire accepté comme preuve de capacité, ou bien se soumettre à un examen spécial, devant une commission (page 134) nommée par le ministre de chaque département et sur un programme qu'il détermine. Avant d'obtenir le grade de commis ou de chef de bureau, les employés sont en outre soumis à un second examen réglé de la même manière que le premier (Arrêtés d'organisation du 21 novembre 1846. Ministère de l'intérieur, art. 15 et 17 ; des finances, art. 46 et 49 ; de la justice, art. 11 et 12 ; des affaires étrangères, art. 17, 18 et 19 ; des travaux publics, art. 20 et 22. Arrêté du 30 novembre 1849, art. 54, 58 et 63, pour le ministère des finances. Arrêté du 1er mars 1852, art. 60, 76, 84 et 86, pour le ministère des travaux publics).

Ces dispositions ont mis un terme à l'invasion de l'ignorance dans les services publics, mais elles ne pouvaient avoir pour effet d'y attirer le mérite ni d'y exciter l'amour du travail. L'extension exagérée de la bureaucratie n'étant pas en rapport avec les ressources d'une nation, doit avoir pour suite nécessaire l'insuffisance du traitement de la plupart des employés : ce trop dans le nombre des fonctionnaires se compense, et c'est là une cruelle compensation, par le trop peu dans les émoluments de chacun d'eux. Un tel état de choses n'attire évidemment que l'infériorité intellectuelle ou la paresse ; il a pour résultat certain la médiocrité d'un travail mal rétribué, et les lenteurs énormes qu'éprouvent la plupart des affaires, parce qu'elles doivent passer par un trop grand nombre de mains.

Outre la simplification des rouages administratifs, qui est une question de justice pour les employés, de dignité pour l'État et de célérité pour tous ceux qui entretiennent des rapports avec l'administration, il est un autre devoir (page 135) incombant encore au gouvernement, celui de mettre en œuvre tous les moyens qui paraissent propres à favoriser l'intelligence et le zèle chez les fonctionnaires publics.

Aujourd'hui, sauf quelques exigences d'ancienneté requises en général pour chaque grade, l'avancement des employés dépend du ministre d'une manière complète et pour ainsi dire arbitraire. Celui-ci, absorbé par les préoccupations politiques de chaque jour, par la préparation des projets de loi et par leur défense devant les Chambres, n'a pas le loisir d'observer son personnel, souvent considérable, et de le connaître bien. En fait, et sans qu'il soit juste d'en accuser personne, les nominations dans les ministères n'ont d'autre base que l'ancienneté dans la généralité des cas, les recommandations puissantes, quelquefois, et le mérite, trop rarement. Pour qu'il cessât d'en être ainsi, il faudrait que le ministre pût s'appuyer dans ses résolutions sur une autorité compétente et impartiale. La mise au concours de toutes les places qui exigent certains efforts intellectuels de la part de l'employé, l'établissement dans chaque département central d'une commission administrative, chargée spécialement d'examiner le résultat des concours et de déterminer le rang des candidats, tel est le moyen qui nous paraît éminemment propre à faire cesser le découragement dans les bureaux, en appelant à coup sûr les premiers au premier rang.

Afin que l'activité de chaque fonctionnaire pût, comme il est juste, influer sur son avancement, la même commission veillerait à ce que des rapports périodiques sur le travail des employés lui fussent régulièrement expédiés. Le résultat des (page 136) examens, modifié dans certains cas par la combinaison de ces rapports, servirait de base aux propositions d'avancement par la commission administrative et, à moins de motifs spéciaux, déterminerait les nominations par le ministre. Le conseil administratif, outre la faculté de présenter les candidats aux places vacantes, pourrait être investi du droit de proposer certaines primes pécuniaires à distribuer entre les employés, comme récompense pour des travaux extraordinaires. Cette pratique d'encouragements est usitée depuis quelques années dans un grand nombre d'établissements privés et paraît y produire les meilleurs résultats. A côté du pouvoir ministériel, soumis par nature aux fluctuations de la politique, le conseil administratif présenterait ainsi pour les bureaux l'avantage de la permanence et de la durée, en un mot de la véritable justice.

Tandis que les réductions administratives de 1848 abaissaient momentanément les dépenses de l'État, d'importantes modifications aux impôts étaient consenties par le ministère et amenaient globalement une assez forte diminution dans les recettes.

L'impôt étant un sacrifice nécessaire réclamé par l'État à la communauté des citoyens pour prix des services qu'il leur rend, il en résulte que l'idéal à atteindre en cette matière, c'est une contribution qui soit à la fois la plus productive possible pour le trésor, la moins vexatoire et la moins onéreuse possible pour les administrés. Parmi les impositions pesant sur un pays, il en est donc qui doivent à coup sûr disparaître, ce sont celles qui sont demandées spécialement aux classes pauvres, sans avoir même l'excuse d'être très (page 137) productives pour les caisses de l'État. Tel était le caractère reproché à certaines dispositions de la loi sur les patentes. Ne se contentant pas de frapper le commerçant, dont les opérations supposent un certain capital et par suite une certaine aisance, elle atteignait jusqu'à l'artisan, dont le capital ne consiste guère que dans ses outils et dans son adresse à en faire usage. Elle prélevait ainsi une contribution directe sur le travail de l'ouvrier, ce qui se rapprochait singulièrement d'une prime accordée à l'oisiveté. Outre qu'elle était immorale, cette contribution avait le défaut d'être difficilement recouvrable et par conséquent de demeurer peu productive : l'État ne pouvait user de rigueur pour se faire payer des cotes très minimes, en les exigeant d'une classe que le malheur ou l'imprévoyance rend presque perpétuellement insolvable. La nouvelle loi du 22 janvier 1849 (présentée le 24 novembre 1848. Rapport par M. Moreau à la Chambre des représentants, le 13 décembre 1848, Annales, p. 326 ; adoption par 64 voix contre 12. Rapport par M. Cogels, au Sénat, le 29 décembre, p. 88 ; adoption par 34 voix contre 6), ), en supprimant toutes les cotes inférieures, a eu pour effet d'étendre l'exemption de la patente à environ soixante mille artisans, travaillant seuls ou assistés de leur famille. Le déficit qui résultait de ce dégrèvement a été comblé : 1° par une augmentation de 5 pour cent sur toutes les patentes, sauf celles des trois degrés inférieurs, d'après les tarifs du 6 mai 1823 (article 2 de la loi du 22 janvier 1849) ; 2° par un supplément de 1/3 pour cent imposé aux sociétés anonymes sur leurs bénéfices annuels (articles 2 et 3 de la même loi). La contribution sur ces sociétés, fixée (page 138) d'abord à 2 pour cent, par la loi du 21 mai 1819, avait été réduite à 1 1/3 pour cent, par celle du 6 avril 1823. Ramenée à 1 2/3 pour cent, elle n'est nullement empreinte d'exagération. La société anonyme jouit d'une position exceptionnelle dont l'État lui confère le titre et dont les profits sans aucune charge seraient une offense à l'équité. En effet, bien que cette société puisse posséder des immeubles, ses actionnaires ne doivent subir aucun droit de mutation en acquérant leur part de propriété. Ils jouissent en outre de l'avantage de pouvoir prétendre à des bénéfices illimités, en ne s'exposant qu'à des risques très restreints ; ils n'engagent ni leur avoir, ni leur personne, comme les commerçants ordinaires, mais seulement cette fraction déterminée de leur patrimoine qu'il leur a plu de convertir en actions.

La loi sur les patentes commençait la réalisation du programme ministériel en matière d'impôts. « Il faut, disait M. le ministre des finances, que les classes pauvres de la société soient dégrévées ; elles ne peuvent l'être que par un sacrifice imposé aux classes supérieures (Séance du 23 décembre 1848, Annales, 1848-1849, p. 351). » La loi sur la contribution personnelle, conçue dans le même esprit et présentée dès 1849, ne put être discutée qu'en 1854, à une époque où les préoccupations généreuses, réveillées par le canon d'alarme de 1848, avaient eu le temps de se rendormir dans la quiétude et dans l'amour du statu quo. Malgré l'appui du nouveau ministre des finances, M. Liedts, la loi fut ajournée à une assez forte majorité (L'ajournement fut voté par 47 voix contre 26, 1 abstention ; séance du 6 mars 1854, Annales, 1853-1854, p. 971).

(page 139) Des modifications importantes, opérées à l'égard de certains impôts indirects, ont un caractère d'opportunité non moins grand que celles concernant les patentes. Ces réformes intéressent surtout le mouvement intellectuel et le mouvement commercial de la nation. D'une part, la législation sur le timbre des effets de commerce se modifie par la substitution de droits modérés aux droits excessifs, dont l'effet avait été la transgression presque générale de la loi (De l'état du crédit et de l'organisation financière en Belgique, par DEPOUHON, p. 107). Ce que le fisc perd sur la hauteur des droits à percevoir, se trouve amplement compensé par la certitude qu'il acquiert d'atteindre tous les effets de commerce créés dans le royaume (Loi du 20 juillet 1848. Rapport à la Chambre par M. d'Huart, 48 mai ; adoption par 47 voix contre 14, 5 abstentions. Rapport au Sénat par M. Van Schoor, 25 mai ; adoption par 27 voix contre 2). Une forte amende est encourue par tous ceux qui apposent leur signature sur des effets non timbrés, ou bien qui, en qualité de courtiers et d'agents de change, prêtent leur ministère à la négociation de pareils effets (Amende du 20o de l'effet. (Art. 3 de la loi du 20 juillet 1848 ; art. 10 et 14 de la loi du 24 mars 1839.)). D'autre part, la presse périodique, ce pain quotidien d'une nation qui se gouverne elle-même, est affranchie de tout droit de timbre (Loi du 25 mai 1848. Rapport à la Chambre par M. d'Huart, 18 mai ; adoption, le 19 par 65 voix contre 6. Rapport au Sénat, par M. de Royer, 25 mai ; adoption, le 25 par 20 voix contre 10). Une proposition de la section centrale de la Chambre, tendant à maintenir une perception sur les annonces, à cause de leur caractère commercial, est repoussée par cette raison que, (page 140) surtout en province, le journalisme puise dans les annonces la plus forte portion de ses ressources financières.

La réforme postale révèle la même intention de favoriser la presse, en lui reconnaissant en quelque sorte le caractère d'une institution d'utilité publique. Par la loi du 24 septembre 1847, le port des journaux, livres et imprimés quelconques, est réduit pour tout le royaume, à un centime la feuille d'impression (Annales, 1847-1848, p. 121). La réforme postale, commencée en 1847, se complète par la loi du 22 avril 1849 (Loi du 24 décembre 1847. Présentation, le 15 janvier 1847 ; rapport par M. de Corswarem, 27 avril ; adoption par 71 voix, 1 abstention. Au Sénat, rapport par M. de Waha, 18 décembre 1847 : adoption par 30 voix contre 1. Loi du 22 avril 1849. Présentation, le 8 novembre 1848 ; rapport par M. Cools, 27 janvier 1849 ; adoption, 12 mars, par 52 voix contre 17, 2 abstentions. Au Sénat, rapport par M. Cogels, 20 mars ; adoption par 28 voix contre 5. Renvoi à la Chambre. Adoption définitive, le 19 avril par 41 voix contre 26) : le port des lettres simples, qui était auparavant de trente-cinq centimes en moyenne (Rapport de M. Cools, Annales, 1848-1849, p. 725), est abaissé à dix centimes, lorsque la distance entre le bureau d'origine et celui de destination ne dépasse pas trente kilomètres ; à vingt centimes, pour le reste du pays (article premier. (5) article 10). Le gouvernement est autorisé à n'exiger qu'une taxe uniforme de dix centimes, dès que le produit net de la poste aura atteint deux millions par an (article 10). Les recettes de la poste, après être descendues de 3,625,000 fr., chiffre prévu pour 1848, à 3,200,000 fr. pour 1849 et 1850, sont remontées aujourd'hui à 4,580,000 fr., d'après le budget des voies et (page 141) moyens pour 1860. Au point de vue du développement des correspondances, l'abaissement du port des lettres a donc présenté en Belgique des résultats analogues à ceux qui se sont remarqués en Angleterre après le Penny postage act ; de 1838, dù à l'initiative de M. Rowland Hill. Seulement le trésor belge n'a pas eu à souffrir la perte énorme éprouvée pendant de longues années par le trésor du Royaume-Uni. En Angleterre les recettes de la poste, qui, avant 1838, étaient de cinquante-neuf millions, sont descendues à trente-quatre millions en 1841, et ne sont remontées depuis lors que très lentement, pour atteindre soixante-quatre millions en 1854 (P. CLÉMENT, Études financières, p. 318, 1859).

Arrivons aux moyens mis en œuvre par le ministère libéral afin de faire face aux difficultés financières qui l'entouraient, difficultés provenant tout à la fois du déficit sur les exercices précédents, des récentes réformes dans les impôts, et de la diminution dans les recettes de l'État, conséquence inévitable de la défiance que les événements extérieurs avaient fait naître. Ces moyens se réduisent à deux l'emprunt régularise la situation dans le passé et fait face aux nécessités du moment, l'impôt sur les successions pare au déficit prévu et protège l'avenir contre le désordre des finances.

Un premier emprunt, consistant en une avance des huit douzièmes de la contribution foncière et montant à douze millions, avait été voté d'enthousiasme dans la séance du 26 février 1848 (Loi du même jour. Adoption à la Chambre par 69 voix contre 3 ; au Sénat, à l'unanimité). Un second emprunt, proposé d'abord au (page 142) chiffre de quarante millions (40,670,010. Rapport de la section centrale, par M. Rousselle, Annales, 1847-1848, p. 1275), fut réduit à vingt-cinq millions, sur la proposition de la section centrale ; néanmoins le principe même de l'emprunt était loin, cette fois, de réunir l'approbation unanime. On vantait d'autres mesures au gouvernement. D'après les uns, il fallait suspendre le payement de la dette flottante et opérer le renouvellement des créances échues et exigibles. Mais c'était là un expédient repoussé d'avance par le respect des engagements contractés, respect qui constitue la clef de voûte de tout crédit. D'après les autres, l'État trouvait dans une nouvelle émission de billets de banque (Nous avons mentionné plus haut les émissions autorisées par les lois du 20 mars et du 22 mai 1848. Voir notre chapitre V) le moyen le plus facile de combler son passif. Mais au moment où la confiance commençait à peine à renaître, l'aide apportée au gouvernement par un établissement de crédit n'aurait fait que déplacer la difficulté sans pouvoir la résoudre. Les billets livrés en trop grande abondance au public risquaient de retourner très rapidement vers les banques pour se convertir en argent, et de ramener ainsi, sous une nouvelle forme, des embarras auxquels il était urgent de parer d'une manière définitive. En 1848, une forte circulation était si incompatible avec l'état des affaires, qu'au 31 décembre de cette année, la Société générale conservait encore dans ses caisses huit millions et demi de billets sur les quarante millions et demi de circulation autorisée (Le bilan de la Société Générale, présenté le 26 mai 1849, porte à son passif ,575,000 fr. de billets, à son actif 8,538,285 de billets restés en caisse). L'emprunt finit (page 143) par triompher des différents moyens présentés concurremment avec lui. Il avait l'avantage de solder une dette exigible et pressante par la création de nouveaux titres non remboursables à la volonté des prêteurs, et par suite affranchissant l'État de la tyrannie permanente de ses créanciers,

Dans la situation des esprits, il était à craindre que l'emprunt libre ne réussît pas à attirer des capitaux suffisants. Le gouvernement puisa dans la nécessité, le droit de joindre le système de l'emprunt forcé à celui de la souscription volontaire (article premier et 19 de la loi du 6 mai 1848). La loi du 6 mai 1848 (présentation, le 16 mars ; rapport par M. Rousselle, 6 avril ; par M. Mercier, 18 avril ; adoption par 72 voix contre 10, 9 abstentions. Au Sénat, rapport par M. Cassiers, adoption par 34 voix, 1 abstention) consacre cette double base, et fixe à 5 p. c. l'intérêt à payer aux prêteurs (article 18). Afin d'opérer l'équitable répartition des charges, la loi s'adresse au concours financier de toutes les classes aisées du pays. L'emprunt se compose 1° du montant de la contribution foncière, perçue que au profit de l'État (article 2) ; 2° du montant de la contribution personnelle, en prenant pour seules bases la valeur locative, les foyers, les domestiques et les chevaux ; il y a de plus exemption de concourir à l'emprunt pour les contribuables les moins imposés (article 7.) ; - 3° d'une perception de 5 p. c. sur le produit annuel des capitaux prêtés sur hypothèque (article 11) ; 4° de retenues sur les traitements et pensions, civils et militaires. (page 144). Ces retenues n'atteignent les traitements civils et les pensions qu'au-dessus de 2,000 fr., et s'élèvent par progression de 3 à 25 p. c. (article 14). En résumé, d'après les calculs du département des finances, le chiffre de l'emprunt par individu s'élevait à fr. 9,94 dans les villes, et à 6 fr. dans les campagnes (Discours de M. le ministre des travaux publics, séance du 18 avril 1848, Annales, 1847-1848, p. 1360). Grâce à la diffusion des charges sur un nombre énorme de contribuables, celles-ci devaient être assez facilement supportées deux mois après la promulgation de la loi, le ministre des finances constatait devant la Chambre l'empressement du pays à se libérer de l'emprunt, et le payement par certains intéressés de termes non encore exigibles (Discours du 4 juillet 1848. Annales, session extraordinaire de 1848, p. 28. En 1851, un troisième emprunt a été contracté par le ministère libéral, au chiffre de 26,964,600 fr., et affecté aux travaux publics, à l'hygiène et à la construction d'écoles. Loi du 20 décembre 1851).

L'impôt sur les successions allait soulever plus d'orages. Sur la nécessité de parer à l'insuffisance des recettes par le moyen de l'impôt, il n'existait guère de divergences d'opinions au sein du parlement ; d'après la droite elle-même, les économies ne suffisaient pas à combler le découvert (Les discours de MM. Osy, de Theux, Cools et David témoignent que telle était l'opinion générale. Séances des 8, 15 et 10 mai 1851, Annales, 1850-1851, p. 1300, 1538, 1519 et 1525). Quelle est donc la raison des résistances presque désespérées que la loi sur les successions eut à vaincre ? Ces résistances ont principalement leur origine dans la parenté compromettante qu'on a cherché à établir entre les propositions du ministère belge (page 145) et les entreprises des démagogues français contre la propriété. Accusée d'être la fille des théories socialistes, la loi sur les successions devait avoir à combattre les défiances de tous les esprits honnêtes, mais craintifs ou peu clairvoyants. Le rapport de la section centrale lui-même laisse apercevoir la préoccupation de rattacher la succession à la propriété, en les mettant l'une et l'autre au-dessus de toute atteinte « La succession, dit ce rapport, n'est pas un effet de la munificence de la loi, mais une suite du droit de propriété... Comme la propriété, la succession est dans l'ordre providentiel, dont la loi formule et ne crée pas les règles. » (Rapport au nom de la section centrale, par M. Deliége, Annales, 1850-1851, p. 640). De l'appui que la faculté d'hériter trouve dans le droit naturel, est-il permis de conclure à l'iniquité d'un impôt frappant la transmission de la propriété par succession en ligne directe ? Nulle conséquence ne nous paraît plus forcée. Le droit de propriété, avouons-le, ne nous semble pas plus entamé par l'impôt sur les successions, que la liberté des professions n'est attaquée par les patentes, ou l'égalité de tous devant la justice, par les lois fiscales sur le timbre. Étendu à l'extrême, il n'est à la vérité pas un seul impôt qui ne conduise à la spoliation de la propriété sur laquelle il frappe ; contenu dans des bornes modérées, le droit sur les successions n'est ni une injustice en lui-même, ni une perception odieuse à cause de la manière dont elle s'exerce.

La tranquillité générale se maintenant malgré ses ennemis du dedans et du dehors, l'autorité assurée à la loi sur la force, (page 146) en un mot le faisceau de garanties qui constitue l'organisation sociale, de tels avantages n'existent et ne peuvent exister que par un sacrifice permanent appelé l'impôt. Celui-ci est le prix dû par chacun pour jouir de la situation favorable que la communauté lui procure. - Mais comment ce prix doit-il être payé ? Il serait à la fois vexatoire pour les citoyens et inutile pour l'Etat de soumettre à l'impôt toutes les manifestations de la volonté humaine ; le législateur s'arrête donc à certaines de ces manifestations et concentre sur elles seules la nécessité de servir de base aux impositions publiques. L'acte qui consiste à acquérir par succession, a quelque chose de patent qui en rend la dissimulation presque impossible et par suite le recommande spécialement comme point de départ d'un droit fiscal. L'héritage amène d'ailleurs une augmentation de fortune rendant plus facile un léger sacrifice d'argent de la part de l'héritier. Toutefois est-il vrai que le droit de succéder, n'emprunte pas à l'État la raison de la facilité qu'il rencontre à se faire reconnaître et respecter ? Il y a alors, reconnaissons-le, maladresse législative à réclamer l'impôt à l'occasion d'un droit qui se passe, sans difficulté aucune, de l'appui de toutes les lois existantes, et qui par suite, ne profite en rien d'un état social dont cependant on prétend lui faire en partie payer les frais.

Mais est-ce bien là le caractère du droit de succéder ?

Imaginons, s'il est possible, un état d'anarchie dans lequel la protection exercée par l'État, sur la généralité des citoyens, vienne soudain à disparaître. Qu'arrivera-t-il de la succession ? Peut-être survivra-t-elle. Elle présente, en effet, un caractère (page 147) d'équité, d'utilité qu'il est difficile de révoquer en doute. Favorisant le goût pour l'épargne, elle sert de complément et de manifestation aux affections de famille. Mais, quoi qu'il en soit, personne ne pourra prétendre que la succession n'aura alors rien perdu de son caractère de certitude et de sécurité. Elle vivra, mais comment sera-t-elle réglée et quel moyen lui restera-t-il de se faire respecter, hors l'emploi de la force individuelle ? En faut-il plus pour démontrer que l'organisation sociale n'est pas sans utilité à l'égard du droit de succéder ?

L'impôt sur les successions étant légitime en général, existe-t-il quelque raison particulière pour en dispenser les successions en ligne directe ? Nous n'en apercevons aucune. Quels que soient les liens d'intimité qui unissent le père et l'enfant, quel que soit le secours que le fils apporte fréquemment au père pour l'augmentation de la fortune de la famille, l'héritage a toujours pour effet de transmettre la propriété d'une personne à une autre et l'avantage de cette transmission paisible peut, sans injustice, être payé par celui qui en profite. Tel est le point de départ de la loi du 17 décembre 1851. Le droit de mutation est une obligation à laquelle ni héritier, ni légataire ne peut échapper. Ce principe général met un terme à l'exemption que la loi du 27 décembre 1817 consacrait en faveur de l'héritier direct et, dans la plupart des cas, en faveur de l'époux légataire (articles 24 2° et 3° de la loi du 27 décembre 1817).

Il est certain cependant que plus la parenté est étroite entre l'héritier et son auteur, plus les droits réclamés par le (page 148) fisc doivent être modérés. Nous en voyons deux raisons. D'abord entre parents rapprochés, surtout entre ascendants et descendants, la succession est une éventualité toujours prévue et parfois même escomptée à l'avance. Il en est tout autrement quand l'héritage vient enrichir des collatéraux éloignés. Pour ceux-ci, la succession n'est, le plus souvent, qu'un heureux hasard ; et les réclamations du fisc doivent leur paraître d'autant moins pénibles à supporter, qu'elles sont la conséquence d'un accroissement de fortune presque inespéré. Le second motif de la modération de l'État, en cas de parenté rapprochée de l'héritier, prend sa source dans une vérité économique. Il réside dans la nécessité de ménager le capital, dont le rôle est indispensable à la production et qui, même en nous plaçant au point de vue exclusif des finances publiques, a le mérite de faire naître la richesse future, en d'autres termes la future matière imposable. Un droit assez élevé sur les successions collatérales porte peu de préjudice au capital, parce que ces successions ne sont guère fréquentes. Le même droit deviendrait dangereux s'il était perçu sur les héritages directs, qui sont la règle presque universelle dans la société. La loi de 1851 doit évidemment échapper au reproche de porter de dangereuses atteintes au capital. Le droit qu'elle établit en ligne directe, n'est que de 1 pour cent sur la propriété et de 1/2 pour cent sur l'usufruit. Une disposition finalement admise par le parlement, restreint ce droit aux immeubles et aux rentes ou créances hypothéquées (article 2).

(page 149) Rappelons par quelle suite de circonstances la loi s'est, sur ce dernier point, écartée d'une manière très sensible du projet présenté par le cabinet. Quoi de plus propre d'ailleurs à démontrer l'énergie et les ressources du régime parlementaire, que le récit d'une crise dont le bon sens de la nation et les concessions du ministère ont fini par triompher, et dans laquelle l'opposition a pu déployer toutes ses forces, sans que la tranquillité publique fût un seul moment troublée, ou le prestige de la couronne diminué en rien ? Le projet de loi, présenté le 7 novembre 1848, établissait le droit de succession sur les meubles et sur les immeubles indistinctement (article premier du projet, Annales, 1848-1849, p. 29 et suiv.). Soumis au droit pour toute espèce de biens, l'héritier était admis à faire entrer les dettes délaissées par le défunt en déduction de son actif ; c'était la consécration d'un principe d'équité incontestable. Toutefois, dans l'exécution, ce principe entraînait pour l'héritier la nécessité souvent pénible de dévoiler la situation financière de son auteur ; la déclaration des dettes exposait en outre la famille à de pénibles investigations de la part du fisc. A la suite d'une discussion très vive à la Chambre des représentants, le projet primitif fut retiré dans la séance du 15 mai 1851. En même temps, le ministère offrit au roi sa démission, déclarant que les votes émis par la majorité ne lui permettaient plus de compter sur elle pour le succès des mesures financières, dont le vote lui paraissait importer essentiellement à la bonne marche des affaires et aux intérêts du pays (séance du 17 mai 1851, discours de M. le ministre de l'intérieur, Annales, 1850-1851, p. 1377).

(page 150) La droite ne possédant pas la supériorité numérique dans le parlement, la gauche considérant l'opposition à la loi comme impuissante à déterminer la chute du cabinet, il ressortait de la situation même qu'aucune administration nouvelle ne pouvait réussir à se constituer. MM. Dumon-Dumortier, président du Sénat, Verhaegen, Lebeau et Charles de Brouckère, membres de la Chambre, déclinèrent successivement l'honneur de former un cabinet (Explications de MM. Verhaegen et Ch. de Brouckère, séance du 23 juin 1851. Annales, 1850-1851, p. 1442). Le ministère Rogier-Frère demeura donc au pouvoir, sans abandonner la loi des successions, mais en modifiant l'article premier de cette loi, de manière à en faire disparaître les inconvénients attachés à la déclaration du passif. D'après un amendement de M. le ministre des finances, l'héritier a désormais l'option entre le droit de 1 p. c. sur l'actif net, et le droit de 3/4 p. c. sur l'actif brut, c'est-à-dire sans déduction d'aucune dette (Séance du 23 juin, p. 1445). Modifié en ce sens, l'article premier fut adopté à la Chambre, ainsi que l'ensemble de la loi. (L'article premier par 61 voix contre 31, 4 abstentions, le 28 juin ; l'ensemble de la loi par 57 voix contre 26, 6 abstentions, le 1er juillet 1861 ; p. 1501 et 1524. (4) Sénat, séance du 2 septembre 1851, Annales, 1850-1851, p. 458) ; mais cette fois l'un et l'autre vinrent échouer au Sénat. Un amendement de MM. de Marnix et Forgeur, qui tendait à rendre la loi obligatoire pour trois ans seulement, et auquel se rallia le ministère, fut rejeté par 27 voix contre 24 ; l'article 1er de la loi eut le même sort à la majorité de 33 voix contre 18 (Sénat, séance du 2 septembre 1851, Annales, 1850-1851, p. 458).

La dissolution du Sénat fut la conséquence de ces (page 151) votes (arrêté royal du 4 septembre). La Constitution belge semblait indiquer spécialement ce moyen de ramener l'accord entre les deux branches du pouvoir législatif. Assemblée modératrice bien plus que spontanée, corps qui se recrute uniquement dans la classe des grands propriétaires, et ne peut se défendre de refléter une partie de leurs préventions, le Sénat n'avait aucun titre à faire prévaloir son avis sur celui de la Chambre des représentants, dans une question du genre de celle qui nous occupe. Notre charte fondamentale a du reste si bien distingué les tendances exclusives du Sénat, en matière d'impôts, que, suivant l'exemple donné par la Constitution anglaise à l'égard de la Chambre haute, elle a refusé à celle-ci le droit de présenter les lois qui portent sur les recettes ou sur les dépenses de l'État (Constitution, art. 27, § 2). Entre les deux Chambres, la seule volonté qui pût prononcer avec certitude, c'était celle de la nation elle-même, volonté dont le pouvoir législatif doit toujours demeurer l'expression fidèle, sous peine de se voir désavoué plus tard et de perdre ainsi de sa force.

Après des élections qui, chose digne de remarque, donnèrent raison à une loi d'impôt, loi qualifiée de révolutionnaire et d'antinationale, la section centrale du Sénat produisit, dans un nouveau rapport, le système qui devait définitivement triompher (Rapport par M. Dellafaille sur un amendement de M. Spitaels, 22 novembre 1851. Sénat, p. 77). Dorénavant les immeubles seuls étant atteints par le fisc (article 2), les dettes hypothécaires sont les seules qui (page 152) entrent en déduction de l'actif immobilier quant au payement du droit. Il devient dès lors facile de supprimer complétement l'inventaire et l'expertise dans les successions directes ; les immeubles et les hypothèques ont une valeur en quelque sorte publique, qui rend superflues toutes les investigations du fisc.

Après avoir établi le droit de mutation en ligne directe, la loi du 17 décembre 1851 introduit quelques autres changements à la législation de 1817. Elle porte de 4 à 5 p. c. le droit de succession entre frères et sœurs (article 9), et le ramène ainsi au taux primitif de la loi du 22 frimaire an VII. Elle répare en même temps quelques lacunes de la législation fiscale, quant aux biens délaissés par un absent, et quant à ceux recueillis par un adopté (article 6), ou par l'enfant naturel à défaut de parents au degré successible (article 10). Enfin, dans son article 22, la loi dénie à l'administration des finances la faculté de déférer le serment aux intéressés sur l'exactitude de leurs déclarations. C'est là une importante dérogation à l'article 14 du projet primitif, lequel, innovant en cette matière, autorisait l'emploi d'un pareil moyen. Le serment fut rejeté comme un encouragement à l'immoralité et au mensonge, parce qu'il soumettait les citoyens à une épreuve dans laquelle l'honneur devenait une cause de dommage, tandis que le manque de bonne foi semblait au contraire récompensé par l'exemption du droit. Lorsque devant les tribunaux et entre particuliers, la délation du serment paraît toujours une preuve assez inféconde dans (page 153) ses résultats, il en aurait été ainsi à plus forte raison dans les contestations avec le fisc. N'est-ce pas là un adversaire que des gens, même scrupuleux, le plus souvent ne se font aucun reproche de frustrer ? Si en Angleterre, l'affirmation des intéressés a pu devenir une aide efficace pour l'administration afin d'arriver à la connaissance des revenus qui forment la base de l'income-tax, nous en trouvons la raison dans ce fait, que l'income-tax est demandée seulement aux classes supérieures de la nation anglaise (Note de bas de page : Cet impôt se perçoit sur les revenus au-dessus de 150 livres (5,750 fr)), chez lesquelles le respect pour la parole donnée forme le premier principe de l'éducation. « Il n'est pas d'un gentleman de trahir la vérité, et un homme qui ment dans son intérêt, même au détriment du fisc, se déshonore . » (L. Faucher, De l'impôt sur le revenu. Revue des deux mondes, t. IV, 1849). Malgré cette rigidité dans les choses de l'honneur, rigidité qui tient assez probablement au caractère aristocratique ambitionné par toute la société anglaise, les économistes de la Grande-Bretagne s'accordent à reconnaitre que l'income-tax est répartie d'une manière inégale par suite des affirmations mensongères d'un certain nombre de contribuables (Principles of political Economy, John STUART MILL, t. II, p. 375 et suiv. ; Pierre CLEMENT, Études financières, p. 403)).

Le vote de l'impôt sur les successions (Adoption au Sénat, par 45 voix contre 6, 1 abstention, séance du 27 novembre. A la Chambre, nouveau rapport par M. Deliége, 13 décembre ; adoption le 16 décembre par 59 voix contre 24) fut suivi de près par la chute du ministère. Le renouvellement partiel de la Chambre (8 juin 1852) ayant donné comme résultat une perte de (page 154) quelques voix pour l'opinion libérale, le cabinet crut devoir déclarer qu'il considérerait la non-réélection de M. Verhaegen en qualité de président, comme un indice que la majorité faisait désormais défaut à l'administration existante. La nomination de M. Delehaye à la présidence, quoique suivie du refus de celui-ci (Séance du 28 septembre 1852), eut pour conséquence immédiate la retraite du ministère et l'ajournement des Chambres à un mois.

Bien qu'il soit souvent difficile de discerner avec certitude les motifs du déplacement de quelques voix dans une assemblée politique, nous croyons pouvoir assigner deux causes principales à la crise ministérielle de 1852. La première datait d'assez loin. Après l'admission de l'instruction religieuse dans l'enseignement moyen, ou pour mieux dire, par suite de cette admission, qui donnait au clergé une très haute idée de l'importance attribuée par les libéraux eux-mêmes à son intervention directe dans l'enseignement officiel, le parti catholique n'avait cessé de réclamer l'introduction des ministres du culte dans les athénées et dans les collèges. D'après lui, c'était là une obligation impérieuse, un acte de justice auquel le cabinet ne pouvait se soustraire qu'en violant ouvertement la loi. Peu de temps après le vote de la loi sur l'instruction moyenne, une allocution papale donnait la mesure des prétentions du clergé par l'exagération des plaintes dont elle se faisait l'écho. « Nous ne pouvons nous défendre, dit ce curieux document, dans notre sollicitude paternelle envers l'illustre nation des Belges, qui s'est toujours fait remarquer (page 155) par son zèle pour la religion catholique, de témoigner publiquement notre douleur à la vue des périls qui menacent chez elle la religion catholique. » L'allocution se termine par une recommandation « au roi et à tous ceux qui tiennent le timon des affaires, de protéger et de défendre les saints prélats et les ministres de l'Église catholique. » Cette protestation en faveur de prétendus persécutés n'était d'ailleurs appuyée d'aucun fait, ni d'aucune raison qui lui donnât l'apparence de la vérité. Le ministre des affaires étrangères y répondit en protestant du respect que le gouvernement belge avait toujours porté à la religion, et en rappelant les principes généreux de notre droit public à l'égard de l'Église (L'allocution était du 20 mai 1850 ; la lettre en réponse, du 14 juin. Explications de M. le ministre des affaires étrangères, 15 novembre 1851. « La Chambre approuvant le langage et la conduite du ministère, passe à l'ordre du jour. : Adopté par 48 voix, 26 abstentions. Annales, 1850-1851, p. 19 et 23). Mais la réponse importait peu, et le coup avait porté. Soit hasard, soit combinaison, la lettre encyclique était arrivée en Belgique très à propos quelques jours avant les élections de juin 1850 ; et il n'est pas douteux que l'échec subi à cette époque par les libéraux fut en grande partie la conséquence du solennel anathème lancé contre leur politique.

Les emprunts, et surtout l'impôt sur les successions directes, sont la seconde cause de la chute du ministère. C'est là une vérité triste à dire et cependant incontestable : il est fort rare que les lois ayant pour but de parer à des embarras financiers, ne deviennent pas la cause d'amers reproches pour les ministres qui ont eu le courage de les proposer. Par une (page 156) singulière injustice, on fait peser la responsabilité du déficit sur ceux-là seulement qui consacrent tous leurs efforts à le combler.

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