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(Paru à Bruxelles en 1862, chez Bruylant-Christophe et Compagnie)
(page 82) « Celui qui est maitre de l'éducation peut changer la face du monde, » a dit Leibnitz. C'est la meilleure réponse à ceux qui affirment qu'en matière d'enseignement, le seul devoir de l'État soit d'ouvrir la lice à tous les efforts, à toutes les concurrences de l'industrie particulière, sans prendre lui-même aucune part au combat. Le public des écoles n'est-il pas la société future, et par conséquent le régulateur futur de l'État lui-même ? En abandonnant au hasard l'instruction de ceux qui seront un jour des citoyens, un gouvernement commet la plus triste, la plus irréparable des imprudences, et parce qu'il n'a pas la certitude que l'instruction sera donnée dans le pays entier, et parce qu'il doit être sûr, au contraire, qu'elle sera donnée fort mal en beaucoup d'endroits, par suite à une grande partie de la nation.
En notre temps, où la liberté a eu ses triomphes, mais a eu (page 82) aussi ses débauches, il n'est pas de principe qui n'ait été contesté, il n'est pas de sophisme ridicule qui n'ait eu ses adeptes et ses défenseurs. Les antiques barrières de l'autorité et du droit divin ont été maintes fois franchies, et il ne sert plus à rien aujourd'hui de les proclamer infranchissables. La propriété et la famille elle-même, ces terrains sacrés, n'ont pas toujours eu le privilège de demeurer à l'abri des attaques. Contre les coalitions de l'ignorance et du mensonge, il serait triste que la société moderne fût demeurée sans moyen de défense. Par bonheur il n'en est rien. Elle conserve une arme irrésistible, et qui à la longue amène le triomphe certain de la vérité ; cette arme, c'est la science, le raisonnement, l'expérience des siècles passés mis à la disposition de tous, en d'autres termes l'instruction publique.
La nécessité de l'instruction publique est née tout naturellement de cette grande œuvre de rénovation générale qui s'appelle la Révolution française. D'une part, aux idées de faveur et de naissance, le mouvement de 1789 a substitué les idées de travail et de valeur personnelle ; d'autre part, il a remplacé la corporation exclusive et routinière par l'effort isolé des individus. L'instruction publique devenait le plus utile auxiliaire pour ces principes. Apportant au mérite la facilité de se développer et le droit de sortir de toutes les conditions, elle l'élevait véritablement par lui-même, montrait le ridicule et le suranné des privilèges, donnait enfin aux institutions nouvelles la certitude d'être pratiquées avec succès dans l'avenir.
Dès 1791, l'assemblée constituante décrétait « la création d'une instruction publique, commune à tous les citoyens, et (page 83) gratuite pour ce qu'il leur est essentiel de savoir. » (Constitution du 5-17 septembre 1791, titre premier, 3° § 12) En 1792, Condorcet exprimait cet axiome qui devait devenir la base de la législation sur la matière : « L'instruction publique est un devoir de la société à l'égard des citoyens. » « En général, disait-il, la portion pauvre de la société a moins des vices que des habitudes grossières et funestes à ceux qui les contractent. Une des premières causes de ces habitudes vient du besoin d'échapper à l'ennui dans les moments de repos, et de ne pouvoir y échapper que par des sensations, et non par des idées. » (Rapport sur l'organisation générale de l'instruction publique, par Condorcet (20 et 21 avril 1792) ; Bibliothèque de l'homme public, t. IX, 1re année. Paris, 1795). Nous doutons fort que depuis on ait pu dire mieux que Condorcet, afin d'établir cette noble nécessité morale de faire descendre l'instruction dans toutes les classes.
Le décret du 29 frimaire-3 nivôse an II (19-25 décembre 1793), continuant la pensée de la Constitution de 1791, met à la charge de la république le payement des instituteurs et des institutrices (article 4). Il établit en même temps l'obligation pour les pères, mères, tuteurs et curateurs d'envoyer leurs enfants et pupilles aux écoles du premier degré d'instruction (article 6). Le manquement à cette injonction est puni comme l'acte d'un mauvais citoyen (article 9). La république, ou le voit, sentait si impérieusement la nécessité de l'instruction publique, qu'elle y puisait jusqu'au droit de sanctionner d'emblée l'enseignement obligatoire. La Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795) (page 84) consacre son titre X à l'instruction publique. Outre les écoles primaires, elle établit des écoles supérieures (article 297). Un institut national est chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences (article 298). Deux mois après, la Convention nationale organise complétement l'instruction publique par les trois décrets du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795).
La république, tout en assumant l'obligation d'instruire la jeunesse, garantissait en partie les droits de la liberté de l'enseignement. La Constitution du 3-14 septembre 1791 proclame la liberté « de parler, d'écrire, d'imprimer et de publier ses pensées (Titre premier, 3° § 4). » Dans son article premier, le décret du 29 frimaire 5 nivôse an assure en termes exprès la liberté de l'enseignement (Le même principe est encore consacré par la Constitution du 5 fructidor an III, article 300.). Toutefois, dans son article 3, il exige de tout instituteur la production d'un certificat de civisme et de bonnes mœurs, nécessité qui, à cette époque de défiance à l'égard des amis de l'ancien régime, pouvait équivaloir pour eux à une interdiction presque complète du droit d'enseigner. La plus grave atteinte portée par le régime républicain à la liberté de l'instruction est celle qui résulte de la loi du 18 août 1792. Cette loi ordonne la fermeture de tous les établissements occupés par des corporations ecclésiastiques, sans en excepter celles qui s'occupent d'instruire la jeunesse (Préambule de cette loi, et son titre premier, article 4).
(page 85) Jetons un coup d'œil sur l'enseignement public pendant l'époque du consulat et de l'empire.
Le 11 floréal an X (1er mai 1802), Bonaparte décrète la réorganisation de l'enseignement. Au-dessus des écoles primaires et secondaires, viennent se placer les lycées, instituts supérieurs du second degré, destinés d'une manière particulière à l'enseignement des langues anciennes, de la rhétorique, de la logique, de la morale et des éléments des sciences mathématiques et physiques (article 10, titre IV) De nombreuses écoles spéciales pour l'enseignement supérieur sont créées ou complétées (titre V).
A partir du décret du 11 floréal, le caractère imprimé par Napoléon à l'enseignement n'est autre chose que le fidèle reflet de ses vues politiques. D'un côté, l'empereur veut précipiter la France dans tous les enivrements de la conquête. Aussi, s'emparant des jeunes intelligences, s'attache-t-il à développer chez elles l'amour de la guerre et de ses gloires bruyantes. Les lycées reçoivent une organisation militaire. (Arrêté du 23 prairial an XI (10 juin 1803), spécialement les article 66, 68, 78 et 95. Tableau historique de l'instruction secondaire en France, par Kilian, cité déjà par Tu. JUSTE, Histoire de l'instruction publique). Le signal de tous les exercices s'y donne au son du tambour, les collégiens apprennent à manier le fusil, tandis que la lecture solennelle des bulletins de la grande armée enflamme déjà leurs jeunes âmes, et les fait par avance aspirer aux batailles. D'un autre côté, en signant le concordat, l'empereur donne à la religion catholique une position privilégiée. (page 86) Devenue le protégé de l'Etat, le culte a sa place marquée dans l'instruction publique. Le décret du 11 floréal an x ne parle pas, il est vrai, de l'instruction religieuse dans les collèges, mais quelques jours avant la publication de ce décret, Portalis se rend le fidèle interprète de la pensée intime du souverain, quand il dit : « Il faut prendre la religion pour base de l'éducation.» En effet, le décret d'organisation de l'enseignement répare l'oubli du décret de floréal et porte : « Un aumônier sera attaché à chaque lycée, et sera chargé de tout ce qui est relatif aux exercices de la religion. » (Art. 100, décret du 21 prairial an x (10 juin 1803).
Enfin, la vive répulsion de Napoléon pour tout mouvement intellectuel qui ne fût pas le serviteur patient de ses volontés, lui fait jeter en 1806 les bases de cette université impériale qui est restée en France la tête et la directrice suprême de l'instruction. La nécessité d'un diplôme de l'université pour l'exercice de la profession d'instituteur est le dernier coup porté par l'empire à l'indépendance de l'enseignement (Décret du 17 mars 1808, art. 5, et décret du 17 septembre 1808).
Sous le gouvernement hollandais, la Belgique devait retrouver les mêmes défiances à l'égard de l'enseignement libre. L'article 226 de la loi fondamentale s'exprime ainsi : « L'instruction publique est un objet constant des soins du gouvernement. » Le roi Guillaume interpréta cet article en ce sens, que ses soins pour l'instruction publique devaient se marquer principalement par beaucoup d'ardeur à entraver l'instruction privée. L'arrêté du 25 juillet 1822 restreint aux (page 87) seuls agréés le droit d'ouvrir des écoles primaires (article 3 1°). Celui du 14 juin 1825 ne permet l'établissement d'aucune école latine, collège ou athénée qu'avec l'autorisation et sous la surveillance du département de l'intérieur (articles 2 et 4). Mais c'est contre l'enseignement par les corporations ecclésiastiques que le gouvernement accumule surtout les dispositions rigoureuses. Tandis que l'arrêté du 1er février 1824 étend aux membres des associations la nécessité de produire le diplôme imposé par les dispositions du 25 juillet 1822, l'arrêté du 14 juin 1825 s'attaque aux collèges du clergé, comme celui de 1824 s'était attaqué à son instruction primaire. D'une part, il ordonne la fermeture prochaine de tous les collèges non autorisés par l'État, et d'autre part il ne permet d'accorder une autorisation qu'à certaines écoles latines, et seulement à des écoles civiles (article 5). Enfin, un second arrêté du 14 juin 1825 termine la liste des hostilités du gouvernement hollandais contre la liberté de l'instruction, en décrétant l'établissement d'un collège philosophique. Cette création (arrêté du 14 juin 1825, article 14, paragraphe 2 ; arrêté du 14 août 1825) donnait à l'État et à lui seul, le droit de diriger l'éducation des ministres du culte catholique. Le clergé ne se méprit pas aux intentions du gouvernement à son égard : le collège philosophique n'était pas une marque de sollicitude exagérée pour le culte, c'était la mise en suspicion officielle du catholicisme et de ses prêtres. Le retour partiel à la liberté de l'enseignement, (page 88) consacré par l'arrêté du 27 mai 1850, ne parut plus qu'une concession tardive, impuissante à calmer les ressentiments que la maison d'Orange avait imprudemment excités.
A la Constitution du 7 février 1851 revient l'honneur d'avoir accueilli les deux principes de la liberté absolue de l'enseignement, et de l'instruction publique donnée aux frais de l'État et réglée par la loi (article 17). Quant au premier de ces principes, la Constitution belge, réagissant contre le système de Napoléon et contre celui de Guillaume, est retournée aux prescriptions les plus larges du droit naturel. Plus généreuse que la république de 1791, elle n'a conservé de rancunes ni de défiances contre aucune classe de citoyens. L'instruction publique donnée aux frais de l'État a été réglée par des lois successives ; l'organisation de l'enseignement. supérieur date du 27 septembre 1835 ; celle de l'enseignement primaire, du 23 septembre 1842, et celle de l'enseignement moyen, du 1er juin 1850. Cette dernière est par conséquent la seule que notre point de départ nous permette d'examiner en détail.
Au point de vue de l'influence de l'enseignement sur la direction des esprits, et, par suite, sur les idées politiques d'une nation, l'instruction moyenne est, à n'en pas douter, d'une importance majeure. Elle remplit en effet l'office d'instruction supérieure pour la plupart des citoyens à qui appartient le droit de vote, et pour une grande partie de ceux que l'élection appelle à diriger les affaires de la commune, de la province ou de l'État. Pour les jeunes gens même qui peuvent aborder l'instruction universitaire, l'enseignement moyen (page 89) constitue, non pas une simple préparation, mais un long précédent, qui règne sur l'avenir de l'esprit, devient presque forcément la base de toute son activité future et décide déjà de l'homme, en formant l'adolescent.
Si telle est l'importance de l'instruction moyenne, il est un fait capital qui doit fixer un moment notre attention : malgré le projet de loi sur l'instruction publique, déposé par M. Rogier en 1834 et qui comprenait l'instruction moyenne, malgré quelques mesures, qui en 1840 ont marqué l'intention des libéraux de restituer au gouvernement sa part d'influence sur l'enseignement moyen (revendication du droit d'inspection, circulaire du 4 juillet 1840 ; conditions imposées à l'octroi de subsides aux établissements d'instruction moyenne, circulaire du 31 mars 1841), cet enseignement est resté entre les mains de l'industrie privée jusqu'en 1850, c'est-à-dire pendant une période de vingt années. Quelles ont été les conséquences de cette longue abstention de la part de l'État ? Citons l'exposé des motifs de la loi de 1850 (Annales parlementaires, 1849-1850, p. 775). De 1830 à 1836, dit cet exposé, « la plupart des communes laissent à l'évêque la disposition de l'établissement qui leur appartenait sous le patronage du gouvernement. » De 1836 à 1840, « la commune et le clergé sont les seuls éléments actifs dans le champ de l'instruction moyenne et primaire. » Depuis 1840, « le clergé seul demande aux communes de l'admettre au partage de leurs droits sur l'instruction moyenne, et ce partage est presque toujours l'absorption de l'autorité communale. » Complétons ce tableau de l'instruction moyenne, (page 90) d'après un auteur catholique. « Vers la fin de 1830, dit M. Crétineau-Joly, quand la paix commença à renaître dans les esprits, les jésuites sentirent qu'ils devaient se rendre au vœu de la Belgique. » (CRÉTINEAU-JOLY, Histoire de la Société de Jésus, t. VI, p. 424.). » Le même auteur raconte avec enthousiasme comment, de 1830 à 1835, la compagnie de Jésus est parvenue à couvrir le pays de ses établissements. Il ajoute : « Les nonces du Saint-Siège, Fornari et Pecci, les évêques, la haute magistrature et les pouvoirs législatifs secondaient le mouvement imprimé par les jésuites. » (CRÉTINEAU-JOLY, t. VI, p. 425). C'est là une affirmation que nous n'avons pas le droit de contredire, puisqu'il est trop évident que le parti catholique n'a rien tenté de sérieux pour disputer aux jésuites le terrain de l'instruction moyenne. D'un côté, une partie des collèges communaux, découragés par le peu d'appui qu'ils trouvent chez le gouvernement, entravés par la faiblesse des ressources locales, se réfugient sous l'aile du clergé, en se mettant, ou peu s'en faut, à sa discrétion. D'un autre côté, les collèges de la société de Jésus prospèrent, il faut le dire, d'une façon merveilleuse. Qu'on ait pu quelquefois se tromper sur la conduite et sur les aspirations des jésuites, cela n'est pas impossible. Il est cependant fâcheux pour leur réputation d'amis du pouvoir civil, qu'ils se soient fait expulser, à toutes les époques, d'un grand nombre des pays où ils avaient fondé des établissements (Note de bas de page : Rapport du ministre des cultes, prince Galitzin, précédant le décret qui expulse les jésuites de Russie (15 mars 1820). La lettre du pape Clément XIV rappelle le fait pour les pays catholiques : « Quelques-uns des monarques catholiques, dit cette lettre, ne voyant pas d'autres moyens de détourner l'orage qui menaçait de destruction leur Église, se virent obligés d'expulser les jésuites de leurs États. ») En 1762 le parlement de Paris, les condamnant, après la (page 91) plupart des parlements de France, définit leur institut avec une grande netteté. « C'est, dit-il, un corps politique, dont l'essence consiste dans une activité continuelle pour parvenir par toutes sortes de voies, directes et indirectes, sourdes et publiques, d'abord à une indépendance absolue et successivement à l'usurpation de toute autorité. » (Arrêt du parlement de Paris, 6 août 1762).
En 1825, les catholiques belges, eux aussi, semblent se souvenir que certains ouvrages composés par des jésuites ont le tort d'avoir été condamnés par plusieurs papes comme portant atteinte à l'orthodoxie ou à la morale (DE RAVIGNAN, de la Compagnie de Jésus, De l'existence et de la société des Jésuites, p. 216, 7e édition). Peu rassurés sur une compagnie qui a pu s'approprier de semblables publications et s'en rendre responsable en les autorisant d'une manière spéciale (« Nos constitutions soumettent à un examen et à une autorisation préalables tous les livres qu'un religieux de la société voudrait publier. » DE RAVIGNAN, p. 140), les catholiques belges n'hésitent pas à qualifier les jésuites de dangereux (Histoire du royaume des Pays-Bas, par M. DE GERLACHE, t. II, p. 80 ; Histoire de la Société de Jésus, par M. CRÉTINEAU-JOLY, t. VI, p. 108). Nous n'avons pas besoin d'aller aussi loin : on ne se pardonne de pareilles duretés qu'entre intimes. Disons cependant que la loi de 1850 nous paraît avoir le caractère d'une véritable réparation accordée à l'influence civile. Nous conservons un inaltérable respect pour la liberté de l'enseignement ; mais si la (page 92) conséquence manifeste, inévitable, de cette liberté est de remettre l'instruction publique aux mains de la puissance religieuse, le gouvernement ne nous semble plus avoir le droit de s'abstenir. En définitive, il est le représentant d'une société qui ne veut plus et ne doit plus dépendre de la société ecclésiastique.
Arrivant aux principes de la loi sur l'enseignement moyen (Loi du 1er juin 1850. Présentation le 14 février 1850 ; rapport au nom de la section centrale, par M. Dequesne, le 6 avril ; adoption le 4 mai, par 75 voix contre 25, 1 abstention. Rapport au Sénat, par M. Dindal, le 21 mai ; adoption le 30 mai, par 32 voix contre 19.), constatons d'abord les distinctions qu'elle a cru devoir consacrer. Cette loi s'occupe de deux grandes catégories d'établissements, ceux du gouvernement d'une part, ceux de la commune ou de la province d'autre part. Les premiers comprennent les écoles moyennes supérieures ou athénées royaux, au nombre de dix et les écoles moyennes inférieures, au nombre de cinquante (Articles 1, 2 et 3. Exposé des motifs, Annales, 1849-1850, p. 777). Ces établissements sont dirigés par l'État, mais avec le concours de l'autorité communale, de la manière que nous verrons plus loin. Les seconds (établissements de la commune ou de la province) se subdivisent en trois classes, selon qu'ils dépendent de l'État d'une manière plus ou moins étroite : tantôt ils reçoivent des subsides du gouvernement, tantôt ils restent exclusivement à la commune ou à la province, tantôt enfin ils n'obtiennent qu'un simple patronage communal (Titre III, chap. I, II et III).
Ces trois classes d'institutions ont d'abord des obligations (page 93) communes vis-à-vis du gouvernement ; elles sont tenues de se soumettre au régime d'inspection établi par lui (articles 32, 33 et 34 sur l'inspection et le conseil de perfectionnement), et de prendre part à un concours général et annuel (article 36). De plus, les établissements communaux et provinciaux s'engagent à ne recevoir comme professeurs que les gradués admis dans les établissements de l'État (articles 10, 31 et 37.). En dernier lieu, pour être subsidiées, les institutions de la commune ou de la province se soumettent à des conditions plus strictes. Le programme d'études est le même que celui du gouvernement. Les livres, les règlements intérieurs, le programme des cours, le budget et les comptes sont forcément soumis à l'approbation supérieure (article 29).
Par une sorte de réciprocité, l'influence du pouvoir communal est loin de disparaître dans les établissements de l'État. La loi de 1850, par son article 11, établit un bureau d'administration près de chaque établissement du gouvernement. Par son article 12, elle arrête le personnel de ce corps administratif, de telle manière que la commune doit nécessairement y trouver la prépondérance. En effet, il se compose, d'abord du collège des bourgmestre et échevins au complet, ensuite de quatre membres au moins, et de six au plus, nommés par le gouvernement, mais sur la présentation du conseil communal (Le projet primitif faisait moins de concessions à la commune. Annales, 1849-1850, p. 781. Discours et amendements de M. Loos, p. 1587. Séance du 4 mai).
(page 94) Quant aux attributions du bureau administratif, elles sont d'une extrême importance. Outre qu'il a mission de dresser le projet de budget et les comptes dans chaque établissement, outre qu'il prépare le projet de règlement intérieur et en surveille l'exécution, il est investi de certains droits qui introduisent son influence permanente jusque sur la direction intellectuelle de l'enseignement. Il fait ses observations sur les livres à employer, donne son avis sur la nomination des professeurs et peut même se charger de faire des présentations au gouvernement (art. 13. Explications de M. le ministre de l'intérieur ; séance du 1er mai).
La loi de 1850, on l'aperçoit clairement, n'a en aucune façon déshérité la commune de la surveillance qu'elle est en droit d'exercer sur l'instruction moyenne. L'enseignement de l'État ne peut vivre prospère, qu'à la condition de ne jamais heurter l'esprit des localités dans lesquelles il s'établit. Il est certain du succès, s'il intéresse largement ces localités à la responsabilité de sa direction et, par suite, aux chances heureuses ou malheureuses de son avenir. De la part de l'État, c'est toujours une œuvre pleine d'habileté et de sagesse, que de rattacher ainsi les progrès, les nécessités, les efforts modernes, aux vigoureuses institutions d'un autre âge. A travers les temps, la commune belge nous apparaît comme l'organe autorisé, naturel de tous les griefs, comme le refuge perpétuel de la légalité contre les envahissements du despotisme. On peut lui appliquer avec exactitude ces paroles de Mirabeau sur les municipalités de l'ancienne France : « Elles sont, (page 95) disait-il, la base de l'état social, le salut de tous les jours, la sécurité de tous les foyers, le seul moyen possible d'intéresser le peuple entier au gouvernement et de garantir tous les droits. » Moins heureuse que nous, la France a sacrifié sa spontanéité et son existence communales à son fanatisme singulier pour la centralisation la plus absolue. La concentration de toute autorité entre les mains du pouvoir central, Paris absorbant la France entière et étendant sur elle l'unique volonté de ses agents, est-ce bien là le pouvoir fort, comme l'assurent quelques publicistes ? Ne pourrait-on pas dire avec plus de justesse que c'est le pouvoir isolé au milieu de la nation, c'est-à-dire agissant, parlant pour elle, obéi partout sans murmures ; jusqu'au triste jour où il se trouve abandonné, sans remords ni regrets, par un peuple déshabitué des affaires de l'État par l'oubli forcé des affaires de la commune, et qui tranquillement regarde agir la capitale quand il plaît à celle-ci de faire une révolution.
Il nous reste à traiter une question qui, en Belgique, a soulevé d'ardentes controverses, celle de l'instruction religieuse dans l'enseignement de l'État.
Dans tout pays où le gouvernement s'est associé le culte, soit d'une manière directe, en adoptant une religion d'État, soit d'une manière indirecte, au moyen, par exemple, d'un concordat avec le Saint-Siège, il y a, nous le reconnaissons volontiers, une sorte de présomption en faveur de l'instruction religieuse à donner par les soins de l'Etat dans son propre enseignement. La position dépendante de la religion vis-à-vis du pouvoir civil, rend d'ailleurs l'intervention des ministres (page 96) du culte facile à obtenir et d'une régularité assurée dans son exercice. La religion ne peut refuser son concours au gouvernement, qu'en rompant la convention qui l'attache à lui, et en s'exposant du même coup à perdre tous les avantages d'une position privilégiée.
Depuis 1830, la Belgique, entrant dans une voie nouvelle, a placé tous les cultes complétement en dehors de l'action du pouvoir. Le gouvernement n'a plus, ni le droit de connaître ou de contrôler leurs doctrines, ni la faculté d'être pour quelque chose dans la nomination ou dans l'installation de leurs, ministres (article 16 de la Constitution). Si la Constitution belge a laissé le traitement de ces ministres à la charge de l'État, c'est là, nous croyons l'avoir démontré, une mesure prudente que certaines circonstances expliquent et justifient, mais qui n'a pu avoir pour effet d'entraîner, en faveur d'aucun culte, l'approbation de ses doctrines et de sa conduite par le gouvernement (Voir notre chapitre premier). L'enseignement religieux donné au nom de l'État ne trouve donc dans notre Constitution aucun principe qui le rende naturel et le justifie par avance. D'un autre côté, la religion est évidemment tout à fait libre à l'égard de l'État. Les mandements de certains de nos évêques ont parfois eu soin de le prouver par la violence impunie de leurs protestations contre certains actes du gouvernement. En dehors de ses convenances personnelles, le culte n'est donc aucunement obligé de satisfaire aux désirs exprimés par l'État, bien qu'ils paraissent légitimes et utiles à la société. Il faut en conclure qu'en Belgique la (page 97) loi s'avance imprudemment si elle reconnait l'enseignement religieux comme partie essentielle de l'instruction publique. Elle s'expose à deux dangers : ou bien à rester inexécutée, dans le cas où, pour des raisons qu'ils peuvent garder secrètes, les membres du clergé refusent de donner l'instruction religieuse dans les établissements de l'État ; ou bien à faire enseigner la religion par des professeurs non ecclésiastiques, sans contrôle de l'autorité cléricale, ce que certains cultes désapprouvent, comme pouvant porter atteinte à la pureté de leurs doctrines (Voir la 2e lettre de S. E. le cardinal-archevêque de Malines à M. le ministre de l'intérieur, 8 janvier 1851), et ce qui expose le gouvernement à se faire condamner comme hérésiarque dans la personne de ses professeurs. En admettant l'instruction religieuse comme partie essentielle de l'enseignement de l'État, la loi se livre donc elle-même au bon vouloir absolu des ministres de la religion. Le pouvoir législatif subordonne le gouvernement, qui doit exécuter la loi, à la volonté peut-être poliment exigeante, peut-être mème obstinément négative d'une société particulière qui s'appelle le clergé. Quelle que soit l'influence légitime que l'on veuille supposer à cette société, quels que soient le désintéressement et l'amour du bien dont on veuille la croire animée, elle demeure une simple agrégation d'individus et la volonté légale ne peut s'exposer à dépendre d'elle, qu'en abdiquant, au profit de quelques-uns, une portion de l'autorité souveraine, de la suprématie exercée au nom de tous. Comment la loi de 1850 a-t-elle résolu le problème de (page 98) l'instruction religieuse ? Voici comment s'exprime son article 8 :
« L'instruction moyenne comprend l'enseignement religieux.
« Les ministres des cultes seront invités à donner ou à surveiller cet enseignement dans les établissements soumis au régime de la présente loi.
« Ils seront aussi invités à communiquer au conseil de perfectionnement leurs observations concernant l'enseignement religieux. »
L'article 8 primitif n'était formé que du second paragraphe de la disposition actuelle. Il avait donné lieu à de vives critiques de la part des catholiques. En section centrale, un membre de la minorité attaquait en ces termes l'insuffisance du projet « Contrairement à ce qui est proclamé et pratiqué dans tous les pays, les auteurs et les défenseurs du projet de loi n'entendent pas reconnaître que l'enseignement religieux fait partie intégrante et essentielle de l'enseignement public donné aux frais de l'État ; ils réservent même positivement pour le gouvernement la faculté de ne pas faire donner du tout l'enseignement religieux. Il en résulte que le gouvernement peut méconnaitre l'un des devoirs les plus sacrés qui lui soient imposés dans l'intérêt de la société, et cela dans l'organisation de l'instruction publique, c'est-à-dire au nom (page 99) de toute la société » (Observations sur le rapport de la section centrale, insérées dans le rapport de M. Dequesne. Annales, 1849-1850, p. 1059).Dans la discussion publique, M. Dechamps exprimait encore plus énergiquement l'opinion de son parti. « Nous voulons, disait-il, qu'au frontispice de la loi, l'enseignement religieux soit inscrit comme matière essentielle. » (Séance du 23 avril 1850. Annales, 1849-1850, p. 1245) Sans reconnaître la nécessité impérieuse d'un enseignement religieux dans l'instruction moyenne, le paragraphe premier de l'article 8 a évidemment eu pour but de donner une satisfaction partielle aux réclamations de la minorité. En effet, si « l'instruction moyenne comprend l'enseignement religieux, » le gouvernement est mis en demeure d'obtenir le concours de l'Église, à moins de négliger, sur un point, l'exécution de la loi. Pour amener le clergé à donner l'instruction religieuse dans les établissements de l'État, le gouvernement peut-il lui faire des promesses et des concessions ? Quelles concessions sont compatibles avec les devoirs de la puissance civile ? Questions irrésolues et qui devaient rester une des vives préoccupations de l'avenir. Dans la discussion de 1850, le gouvernement indiquait, il est vrai, la difficulté, mais sans en faire présumer la solution. « Supposons que le clergé refuse son concours, disait M. le ministre de l'intérieur, qu'arrivera-t-il ? Le gouvernement avisera. » En introduisant l'instruction religieuse dans la loi de l'enseignement moyen, le parti libéral cédait à un désir sincère de modération, et posait un acte de courtoisie à l'égard de ses adversaires politiques. Malheureusement l'expérience est venue (page 100) démontrer l'inutilité d'une concession, qui établissait la lutte permanente des prétentions religieuses contre l'indépendance et la dignité du pouvoir civil. Après de longs et vains efforts d'arrangement, la convention d'Anvers est enfin conclue ; mais elle se voit presque généralement repoussée, tantôt par les conseils communaux, tantôt par le clergé catholique, faisant du renvoi de certains professeurs, la condition de son entrée dans un établissement de l'État (Explications de M. le ministre de l'intérieur, séance du 23 novembre 1854. Annales, 1854-1855, p. 107 et 109. Discours de M. de Theux, séance du 13 février 1856. Annales, 1855-1856, p. 581). Née en 1854 (Convention d'Anvers ; arrêté du 5 avril 1854, no 142. Voir notre chapitre VII), cette convention peut être « considérée à peu près comme une lettre morte » dès 1859 (déclaration faite à la Chambre par M. le ministre de l'intérieur, Ch. Rogier, le 20 janvier 1859. Annales, 1858-1859, p. 361). Ne faut-il pas en conclure que l'article 8 se trouve dans la catégorie de ces dispositions législatives dont l'exécution est jugée presque impossible ?
Mais faisons abstraction des difficultés que l'enseignement religieux donné par l'État a pu rencontrer sur sa route, et demandons-nous si, considéré en lui-même, cet enseignement revêt le caractère de l'utilité générale, qui lui est indispensable pour figurer dans la loi.
Sans nous inquiéter du reproche d'être l'ennemi de la religion, reproche trop souvent encouru de droit, par ceux qui n'ont pas voulu admettre Dieu pour une question de politique, avouons que la religion ne nous paraît pas retirer le moindre avantage de la faculté de devenir un cours professé dans (page 101) une institution de l'État. De la part des prêtres, il est au contraire certaines répugnances et certains regrets qui nous sembleraient naturels. Pourquoi, pourraient-ils dire, nous faut-il sortir de nos églises pour enseigner notre loi divine ? Dans le temple, tout est silence et recueillement, tout rappelle le Dieu dont nous sommes les ministres, tout affirme la hauteur de notre mission. En pénétrant dans l'école, nous aliénons notre prestige et nous nous confondons volontairement avec les professeurs vulgaires, nous qui enseignons la science de l'éternité. La religion, qui s'appuie sur les mystères et sur les miracles, qui invoque la révélation divine, que vient-elle faire parmi les connaissances humaines, froides, rigoureuses, exactes, comme l'analyse et l'observation ? A la science, l'empire de la raison et de l'esprit ; à la religion, la mission de régner par la foi et de s'adresser au cœur de l'homme. Certes ce n'est pas de l'instruction publique que l'enseignement de la religion peut dépendre. Sa place est marquée dans une sphère plus intime, plus accessible à toutes les délicatesses, celle du foyer domestique. La famille conserve la mission de parler aux sentiments, de diriger la conscience de l'enfant et de prendre soin de son âme. En dehors de l'instruction proprement dite, l'État se reconnait sans puissance et sans utilité réelle. C'est là une vérité que la loi de 1850 consacre elle-même dans sa conséquence la plus rigoureuse, en déclarant que les institutions de l'État ne peuvent recevoir que des externes (article 4).
(page 102) La prospérité de l'enseignement religieux dépend-elle, du reste, de son adoption par l'État ? Qui oserait le prétendre en Belgique ? Le culte n'y possède-t-il pas et liberté et richesses ? Manque-t-il de prêtres, d'églises, de couvents ou d'institutions enseignantes ? Avec tant de moyens de se produire et de parler aux fidèles, le culte ne néglige pas, à coup sûr, son premier devoir, qui est en même temps son premier intérêt, le soin de propager ses doctrines. L'enseignement religieux existe partout. La religion se plaint-elle d'être trop peu suivie et de ne pas exercer assez d'influence sur les citoyens ? Mais alors on a le droit de lui demander quel est son but en pénétrant dans les institutions du gouvernement. Ce but n'est-il pas de rechercher le patronage officiel comme un moyen indirect d'agir sur les consciences ; n'est-il pas de produire le gouvernement comme le soutien de certaines doctrines religieuses et comme l'adversaire de l'indifférence qui se manifeste ou peut un jour se manifester à leur égard ? En prenant un pareil rôle, l'État accepterait une responsabilité d'autant plus lourde, qu'il ne conserverait contre elle aucune garantie ni aucune défense. Vis-à-vis des exagérations, des mensonges, des abus dont la religion est quelquefois le prétexte, le gouvernement reste muet. N'est-ce point assez ? Faut-il qu'il adopte et qu'il approuve aveuglément ce qu'il n'a point le pouvoir de connaître et couvre ainsi du pavillon national ce qu'il devrait condamner s'il avait le droit de s'ériger en juge ?
Pour entrainer l'État dans une telle entreprise, on en masque les dangers par un aphorisme ingénieux : « La religion, dit-on, est nécessaire à la société. » Si cet axiome est (page 103) admis avec toutes ses applications pratiques, s'il s'interprète en ce sens, que le corps social doit recourir aux ministres de la religion comme à des guides précieux, indispensables, sans lesquels rien ne peut prospérer sur la terre, une pareille conviction suffit amplement non pas à introduire la religion dans l'enseignement de l'État, mais bien mieux, à lui donner la première place dans toutes les institutions, et dans tous les actes de la puissance publique. On arrive ainsi directement et sans peine à la théocratie la mieux constituée. De la nécessité de la religion dans la société, il n'est possible de déduire raisonnablement qu'une seule conséquence : l'obligation pour l'État de n'entraver la religion en aucune manière, de la laisser librement s'adresser aux consciences. Ce devoir est évidemment rempli par l'État, lorsqu'il se conforme aux prescriptions généreuses de la Constitution belge.
Attribuer au culte l'honneur de certains avantages sociaux et de la prospérité morale d'un pays, c'est tomber dans une confusion, qui a toujours conduit aux erreurs les plus grossières, et parfois aux suites les plus sanglantes, quand les partisans de cultes différents réclamaient par les armes le droit exclusif de former les peuples à la vertu. Pourquoi chercher dans les religions, qui sont périssables et changeantes, le fondement de la morale, qui est éternelle ? A toutes les époques, il est juste de le dire, les cultes ont adopté un grand nombre de vérités morales en les appropriant à leurs préceptes particuliers ; mais la religion n'en demeure pas moins tout à fait distincte de la morale. Aspiration de l'homme vers un être supérieur, la première peut devenir la cause (page 104) d'une satisfaction intime, comme accomplissement d'un devoir de reconnaissance, elle peut apporter des consolations aux injustices de cette vie, par l'espoir de récompenses dans une vie future ; mais elle n'est utile au corps social qu'indirectement en quelque sorte, et pour autant qu'elle enseigne la morale, non pas au point de vue de la sainteté, mais au point de vue de la société, ce qui peut ne pas être la mème chose. Cela est si vrai, que personne aujourd'hui n'oserait soutenir l'utilité sociale d'une religion qui outragerait ouvertement la moralité publique, fût-ce sur un seul point. Qu'un culte paraisse l'émanation la plus certaine de la divinité, qu'il promette à ses fidèles des biens assurés dans un monde meilleur, qu'il adore le Seigneur dans les temples les plus magnifiques, avec les cérémonies les plus touchantes, ce culte n'échappera pas à la réprobation universelle, s'il s'avise de pratiquer l'impudicité, comme les bacchanales romaines, de recommander les sacrifices humains, comme l'ancienne religion des Gaulois, ou de vanter l'inquisition, comme le catholicisme à une époque où il avait perdu de vue ses véritables devoirs. Si c'est la connaissance et la pratique de la morale et non les croyances et les pratiques de la religion qui rendent à la société des services sérieux, pourquoi les établissements de l'État enseigneraient-ils la religion et non pas la morale ? Celle-ci paraîtrait-elle hostile à l'un des cultes pratiqués en Belgique ? L'admettre un moment, c'est prétendre qu'il existe dans notre pays une communion religieuse assez imprudente, assez audacieuse, pour préférer ouvertement à l'intérêt de la morale un intérêt personnel de vanité et de (page 105) concurrence. L'enseignement de la morale peut exister sans porter aucune atteinte à la religion ; deux faits nous en donnent la preuve assurée. En premier lieu, Napoléon lui-même a inscrit la morale au programme des cours donnés dans les lycées (Décret du 41 floréal an X (1er mai 1802), article 10.). A coup sûr, l'empereur ne voulait pas nuire à la religion, qu'il a restaurée en France et qu'il a mise au premier rang dans l'État. En second lieu, la morale est déjà enseignée en Belgique au nom du gouvernement. Les universités l'ont accueillie, et il n'est pas un clergé qui jusqu'ici ait trouvé juste de s'en plaindre. Appropriée à l'enseignement moyen, la science des devoirs ne peut nuire davantage à des principes religieux, qui bien au contraire doivent tous la prendre pour base de leurs efforts.
Y a-t-il nécessité actuelle que la morale soit l'objet d'un enseignement particulier dans l'instruction moyenne ? La réponse à cette question dépend tout à la fois de la manière dont on apprécie l'enseignement de la morale, tel qu'il existe aujourd'hui par les différents cultes ou par l'instruction privée et de l'importance qu'on veut réserver à la famille dans l'éducation générale de l'enfant. Sans aborder ces objets, qui. nécessitent de nombreuses appréciations de faits, contentons-nous d'avoir démontré que, dans les établissements de l'État, l'enseignement de la morale conserve trois grands avantages sur l'enseignement de la religion. Il est à la fois plus conforme aux principes de la Constitution belge ; plus logique, au point de vue de l'utilité sociale qui en résulte ; et enfin (page 106) plus pratiquement applicable, puisque, dans aucun cas, il ne peut donner lieu à la résistance systématique des personnes appelées à enseigner.