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Histoire du parlement belge 1848-1857
ADNET Amédée - 1862

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Amédée ADNET, Histoire du Parlement belge : 1847-1858

(Paru à Bruxelles en 1862, chez Bruylant-Christophe et Compagnie)

Chapitre V. La Banque nationale

(page 108) Le titre le plus sérieux de l'époque moderne à l'admiration des temps futurs sera le prodige de ses efforts industriels et commerciaux, prodige véritable, en ce que ce ne sont plus seulement quelques villes, quelques provinces courageuses qui s'attachent à fabriquer et à répandre des produits chez leurs voisins. Carthage, Venise, les Flandres ont brillé tour à tour d'une splendeur commerciale dont le souvenir est arrivé jusqu'à nous, mais cette splendeur était isolée et n'éclairait, pour ainsi dire, qu'un coin du monde : elle devenait bien plus un exemple fameux, qu'un exemple suivi. De nos jours toutes les nations semblent s'être choisi un point d'honneur nouveau, et le moins stérile des points d'honneur, celui de se vaincre l'une l'autre en activité productrice.

La production, qu'elle soit agricole, manufacturière ou commerciale, étant impossible sans le capital, le moyen (page 109) d'appeler le capital à la lumière, de le fixer dans la circulation, de le rendre profitable au travail, est devenu l'objet des préoccupations les plus générales et les plus utiles. Ces préoccupations s'expliquent facilement : ce serait commettre une erreur des plus graves, que de mesurer l'importance du capital, chez deux nations différentes, d'après le chiffre de la fortune générale chez chacune d'elles Le capital n'a de valeur qu'autant qu'il soit productif ; lorsqu'il ne sert à personne, bien loin de présenter quelque avantage, il est au contraire un embarras et même une source de dépenses ; -ainsi l'argent dans les coffres ou les marchandises invendues dans les magasins. Le grand mérite d'un pays consiste donc, non pas seulement à être très riche, mais surtout à ne pas garder sa richesse oisive, et à faire passer le plus rapidement possible l'argent ou les marchandises des mains du capitaliste, à qui ils sont inutiles, entre les mains de l'industriel, à qui ils sont indispensables pour produire. C'est aux institutions de crédit qu'il appartient de faciliter, de multiplier les rapports entre le capitaliste et le producteur. A ce dernier, les banques servent de garantie en acceptant sa signature comme équivalant à de l'argent ; au premier, elles remboursent les avances qu'il a faites au travail, et lui permettent par conséquent d'en consentir de nouvelles. Les banques développent largement ces avantages par le moyen des émissions de billets. L'expérience ayant appris que le chiffre des billets en circulation peut, sans aucun risque, dépasser de beaucoup les sommes gardées en réserve pour parer aux demandes de remboursement, il s'ensuit que ce surplus de billets est en réalité garanti par les (page 109) effets de commerce acceptés par les banques. Chaque particulier recevant un billet de banque au lieu d'argent, se trouve ainsi faire indirectement, sans y penser, une avance à l'industrie et au commerce nationaux.

S'il est certain que le crédit a la confiance pour base unique, s'il est vrai que « sa puissance, selon la belle expression de M. d'Audiffret, est en raison inverse de l'arbitraire qui préside à sa direction, » on comprend sans peine comment la plupart des États de l'Europe ont été amenés à couvrir de leur protection spéciale certains établissements financiers, en les entourant de hautes garanties de stabilité et d'honneur. La Banque de Londres et la Banque de France sont devenues les modèles des établissements de ce genre. Tout à la fois banques de dépôt et de circulation, d'une part elles prêtent de l'argent sur nantissement de valeurs, et reçoivent en compte courant les sommes versées par les particuliers ou les établissements publics, d'autre part elles escomptent les effets de commerce, et émettent du papier toujours remboursable ́en espèces (Banque de France. LAFERRIÈRE, Cours de droit public et administratif, p. 457 et suiv. - Banque de Londres. L. Faucher, Études sur l'Angleterre, t. I, p. 129 et suiv.). Telles sont aussi les principales fonctions que la loi belge du 5 mai 1850 a dévolues à la Banque nationale.

Avant d'examiner cette institution en détail, il nous faut jeter un coup d'œil sur les embarras financiers auxquels elle est venue mettre un terme.

La Société générale, fondée en 1822 (Formation de la Société Générale, arrêté du 28 août 1822. Approbation des statuts, arrêté du 15 décembre 1822. Elle est nommée caissier de l'État, arrêtés du 11 octobre 1825 et du 24 octobre 1824) par le roi de (page 110) Hollande, était restée notre banque la plus importante. Toutefois cet établissement s'était laissé aller à méconnaître sa véritable destination, et à perdre ainsi la plus grande partie de son utilité. Entraîné par le mouvement industriel qui se manifesta si puissamment en Belgique lors de la construction des chemins de fer, il avait disposé de la plus grosse part de ses capitaux, non pour aider les affaires au moyen de l'escompte, mais pour se lancer lui-même dans les entreprises, en créant, puis en soutenant certaines sociétés particulières qui avaient surtout pour but l'exploitation de charbonnages et de fabriques de fer (Note de bas de page : La Société Nationale d'Industrie et la Société de Commerce. Au 31 mars 1848, la Société Générale était créancière de 150 millions prêtés sur actions, et en comples courants. Bulletin sur la situation des banques de Belgique, Journal des Économistes, t. XXIII, 1849, p. 377.). Cette conduite formait obstacle au développement régulier d'une banque de circulation, une pareille banque étant obligée d'avoir toujours en portefeuille des valeurs promptement réalisables pour servir de garantie à ses émissions de billets. La Société générale s'exposait de plus à toutes les chances auxquelles une grande compagnie industrielle reste forcément soumise ; elle perdait sans retour ce caractère de sécurité parfaite qui doit rester l'apanage d'une banque centrale, alors surtout que les fonctions de caissier de l'État lui ont été réservées par la loi : le crédit d'une pareille banque ne peut en effet décroître, sans entraîner à sa suite celui de l'État lui-même.

Un second établissement financier s'était fondé à Bruxelles, (page 111) sous le nom de Banque de Belgique et s'était bientôt posé en rival constant de la Société générale, rival jusqu'en imprudence, puisque lui aussi avait immobilisé dans des entreprises assez hasardeuses une fraction très importante de son actif.

Agissant sur un même point du pays, la capitale, et dans un mème cercle d'opérations, par suite se jalousant l'une l'autre, les deux banques ne pouvaient pas présenter les avantages assurés au crédit par une circulation de billets que personne ne désire interrompre, et par des opérations que personne n'a un intérêt perpétuel à contrecarrer. Dès 1846, M. Malou, alors ministre des finances, avait compris le danger de cette inimitié incessante entre les deux établissements. Désirant y porter remède, il avait exprimé à la Chambre des représentants le projet de former une banque unique, par la fusion de la banque de Belgique et de la Société générale (De l'état du crédit et de l'organisation financière en Belgique, par Depouhon, décembre 1847, p. 85 et 148). La réorganisation du crédit sur des bases complétement nouvelles devait paraître une nécessité impérieuse, mais seulement au lendemain de grands désastres financiers.

Les années 1846 et 1847 avaient été cruelles pour la Belgique. A la disette s'était jointe sa compagne presque inévitable, la rareté de l'argent. L'année 1848 venait d'apporter le bruit d'une révolution, qu'on craignait d'autant plus, qu'elle affichait la prétention de s'attaquer aux inégalités sociales et promettait les réformes les plus hardies comme les plus imprudentes. C'en était trop pour notre crédit, déjà ébranlé par les embarras antérieurs. Le 18 mars 1848, la Société générale (page 112) s'avoue incapable de tenir tête à la situation et réclame l'assistance du gouvernement (Lettre de la Société Générale. Annales parlementaires, 1847-1848, p. 1092 et 1093). Le 20 mars, la Chambre des représentants décrète le dernier expédient des banques aux abois, le cours forcé des billets. Vingt millions de papier de la Société générale, dix millions de la banque de Belgique, quatre millions d'émission facultative reçoivent la garantie de l'État (Loi du 20 mars 1848. Présentation le 20 mars, Annales, 1847-1848, p. 1092 ; rapport de M. Malou et adoption le même jour, par 62 voix contre 2, p. 1097. Rapport au Sénat, par M. Desmanet de Biesme ; adoption le 20 mars, par 51 voix contre 3, p. 1145). En même temps, il est constitué un comptoir d'escompte au capital de huit millions pour aider le commerce à traverser ces temps de crise. Le comptoir, ainsi que les deux banques secourues, est soumis à une double surveillance, qui jusqu'alors avait été négligée comme superflue : d'abord celle du gouvernement, ensuite celle du public lui-même, lequel est au demeurant le principal intéressé à la bonne gestion des banques, puisqu'il est toujours la première victime de leurs erreurs et de leurs fautes (articles 8 et 9 de la loi du 20 mars. Annales. p. 1096). Le gouvernement intervient dans la direction des banques, et la situation de celles-ci est publiée périodiquement par la voie du Moniteur. Deux mois après ces mesures, la loi accorde de nouveau la garantie de l'État à vingt millions de billets émis par la Société générale, mais uniquement pour le service de sa caisse d'épargnes. Une émission facultative de douze millions est laissée à la (page 113) convenance du gouvernement comme moyen de trésorerie (Loi du 22 mai 1848. Présentation le 28 avril 1848 ; rapport par M. d'Elhoungne, le 8 mai, p. 1641 ; adoption par 61 voix contre 30, 2 abstentions, p. 1657. Rapport au Sénat, par M. Dumon-Dumortier, le 18 mai, p. 1715 ; adoption le 22, par 21 voix contre 8, 1 abstention, p. 1795. Voir le rapport, présenté par M. le ministre des finances, en exécution de l'art. 40 de cette loi. Annales, 1848-1849, p. 905).

On s'est demandé quel motif forçait l'État de porter secours à deux banques dont les opérations lui étaient restées étrangères, et dont la faillite serait demeurée, à son égard, une simple déconfiture de particuliers. Ce motif ne se trouve en effet dans aucun devoir de droit strict, ni d'équité ; rien n'obligeait l'État à accepter le fardeau des dettes, alors qu'il n'avait jamais eu aucune prétention à profiter de l'avantage des bénéfices. En accordant sa garantie, le gouvernement obéissait à l'une de ces injonctions qui ne sont écrites dans aucun code, ni exigées par aucune convention, mais auxquelles cependant ou peut se sentir contraint de céder. Le soin du crédit public, la réputation d'honneur commercial dont la Belgique est si fière, et qu'à tout prix il importait de lui conserver intacte, telles sont les raisons qui en 1848 ont entraîné l'État au-delà des limites de ses véritables obligations. Il subissait la solidarité fatale et irrécusable qui dans tous les esprits, au dedans comme au dehors, confond la solvabilité d'un pays avec celle de ses principaux établissements de banque. De cette confusion que tous les arguments possibles auraient peine à détruire, il ressort pour nous une vérité capitale. La dépréciation des billets de banque pouvant porter le trouble dans les (page 114) transactions, et en cas de crise nécessiter le secours du gouvernement, celui-ci obéit à un devoir impérieux, lorsqu'il maintient la circulation dans de sages limites et surveille soigneusement la conduite des banques auxquelles il a concédé le droit d'émission.

Tel est le principe fondamental consacré par la loi de 1850 (Loi du 5 mai 1850. L'arrêté du 4 septembre 1850 approuve les statuts de la Banque Nationale. L'arrêté du 20 décembre 1850 règle le service du caissier de l'État. Celui du 12 septembre 1853 approuve une modification aux statuts). La circulation des billets n'appartient qu'à une banque, qui prend le nom de Banque nationale, et dont la durée est fixée à vingt-cinq ans. La faculté d'émettre des billets, privilège émanant de la souveraineté, ne peut être accordée dans l'avenir qu'à une société anonyme et par l'effet d'une loi particulière (articles 12 et 25).

Quelques économistes ont contesté à l'État le droit d'apporter des restrictions à la liberté des banques (Charles Coquelin en France, Henry Parnell en Angleterre, et Carey aux États-Unis ont défendu cette opinion, à laquelle Joseph Garnier et Baudrillart semblent se rallier dans leurs traités d'économie politique). Examinons rapidement leur doctrine et les effets qu'elle a produits lorsqu'on l'a traduite en fait. Toutes les mesures, ont dit ces économistes, qui tendent à modérer les émissions, sont le résultat de la routine et du préjugé. Maintenues par quelques intérêts égoïstes, elles forment obstacle à la libre concurrence des prêteurs et cela au grand détriment des emprunteurs ; elles n'ont donc pas d'autre résultat que de nuire au développement industriel et commercial d'un pays. A un autre point de vue, (page 115) le droit exclusif de créer une banque de circulation constitue de la part de l'État une usurpation sur le domaine privé, une atteinte à la liberté des professions. Chacun doit avoir la faculté d'être banquier et de créer des billets de banque, de la mème manière que chacun a le droit d'être négociant et d'émettre des effets de commerce. Le billet de banque n'est pas autre chose que le titre d'un engagement commercial, titre dont l'échéance n'est pas fixée et qui passe facilement de main en main, sans avoir besoin de l'endossement, ni d'aucune formalité analogue. Cette assimilation complète du papier de banque avec le papier commercial ordinaire a été très habilement exposée par Charles Coquelin (CHARLES COQUELIN, Du crédit et des banques dans l'industrie. Revue des deux mondes, 1er septembre 1842). Elle est le point de départ de tous ceux qui avec lui préconisent la liberté des banques, et nous n'y voyons qu'un défaut, celui de manquer d'exactitude.

S'il existe certaines analogies entre le billet de banque et l'effet de commerce, ces rapports apparaissent bien plus dans les déductions de la théorie, que dans les réalités de la pratique. Ainsi le papier de commerce n'est en usage que parmi les négociants et n'est directement utile qu'à eux seuls ; le billet de banque au contraire passe dans les mains de tout le monde, fait partie de toutes les fortunes, est devenu l'instrument général des transactions. Certes nous ne prétendons pas que la monnaie de banque puisse aspirer à remplacer la monnaie véritable. A vrai dire, elle y supplée bien plus qu'elle ne la remplace. Sans valeur intrinsèque, la monnaie de (page 116) banque n'est autre chose qu'un signe, qu'une promesse de remboursement ; mais cette créance sur une banque est acceptée par chacun comme de l'argent, sans hésitation, ni défiance. C'est là précisément son utilité : à quoi servirait-il d'émettre des billets, si à peine en circulation ils revenaient se convertir en espèces, ramenés perpétuellement par les préoccupations craintives de leurs possesseurs ?

Autre différence entre le papier de banque et le papier commercial. Celui qui escompte un effet de commerce peut presque toujours se renseigner exactement sur la situation d'affaires du négociant à qui il confie ses fonds. Si le prêteur a manqué de pénétration et s'est trompé sur la valeur d'une signature, il ne subit encore qu'une de ces pertes en quelque sorte inhérentes à l'exercice de toute industrie et auxquelles ses bénéfices forment compensation. Quant au billet de banque, il ne s'adresse pas à une seule classe de personnes qui se connaissent et peuvent sans peine s'apprécier pour ce qu'elles valent au point de vue du crédit. Il est fait pour le gros de la nation, pour les lettres et pour les illettrés, pour ceux dont la prudence suffirait à surveiller la situation financière de nombreuses banques séparées d'intérêts, placées sur différents points du pays, et pour ceux aussi dont l'intelligence est si médiocre, que c'est à peine s'ils parviennent à bien gérer leurs affaires les plus ordinaires et les plus simples. Enfin le billet de banque ne donne pas, comme l'effet de commerce, un profit de commission à celui qui le reçoit. Il n'offre à son preneur qu'un seul avantage, celui d'être facile à manier et peu encombrant par nature, avantage, avouons-le, bien insuffisant pour (page 117) le faire accueillir dans la circulation, si l'établissement qui l'a émis n'est pas au-dessus de tout soupçon, soit d'improbité, soit d'inintelligence.

Telles sont pour nous les raisons principales de l'intervention de l'État en matière de banque. La plus grande partie de la nation n'a ni l'aptitude, ni le temps nécessaire pour se rendre un compte exact des garanties que présentent les institutions de crédit. Dès lors, il appartient à la loi de prémunir les citoyens contre des méprises qui sont doublement funestes, en premier lieu par la dépréciation des billets, qui occasionne une perte directe à leurs possesseurs ; en second lieu par la longue défaveur que cette perte prépare aux banques dans l'avenir, et par la diminution des affaires devenant la suite inévitable de la terreur des capitalistes.

Si nous nous arrêtons à considérer la liberté des banques dans un pays qui, à certaines époques, l'a pratiquée avec une sorte de fanatisme, nous ne pouvons nous défendre d'une très grande défiance à son égard. On a répété souvent que les États-Unis y ont puisé le principe de leurs progrès et de leur immense prospérité. Mais pourquoi rapporter à la liberté des banques l'honneur des succès éclatants remportés par un peuple qui a pris le travail pour devise unique, peuple dont les courageux efforts se sont produits sur une terre fertile, abandonnée pour ainsi dire gratuitement à ceux qui voulaient prendre la peine de la cultiver ? Le crédit organisé d'une manière plus stable et plus régulière aurait-il été moins favorable à l'Union américaine que ne l'a été le régime des banques libres ? On doit en douter, lorsqu'on se remet en mémoire une (page 118) époque où la banque centrale des États-Unis a disparu, sacrifiée à cet esprit d'envie et de radicalisme étroit qui peut s'emparer à certaines heures des démocraties les plus robustes. De 1811 à 1816 l'anarchie des banques n'a rencontré aucun obstacle dans l'Union américaine, et cette période y est restée proverbiale comme un exemple de gène universelle (Voy. le récit de cette crise dans MICHEL CHEVALIER, Lettres sur l'Amérique du Nord, t. I, p. 56. 1856.). Au milieu d'une confusion inouïe de billets, tous devenus inéchangeables en numéraire, quelques-uns dépréciés à la moitié de leur valeur d'émission, il fallut songer au rétablissement d'une banque modératrice. Le 1er janvier 1817, une nouvelle banque des États-Unis entra en fonctions. Quelques mois après, sous sa bienfaisante influence, le payement en argent se rétablissait de toutes parts dans les établissements de crédit.

En Angleterre, lorsque sir Robert Peel annonça l'intention de faire réviser la charte de la Banque de Londres, la liberté des banques fut vivement préconisée par un certain nombre de réformateurs dont le système s'est appelé à cette époque le système de Birmingham. S'appuyant sur l'énorme extension que les joint-stock banks (banques par association de capitaux) avaient prise en province, ils demandaient pour ces établissements le droit de se fonder à Londres même et dans le rayon de 65 milles autour de la capitale, zone jusque-là réservée à la circulation de la Banque d'Angleterre (Acte 7 de Georges IV, c. 46. Année 1826). Les joint-stock banks n'étaient astreintes, ni à l'autorisation du gouvernement pour se fonder, ni à son contrôle quant à (page 119) l'importance de leur capital ou de leurs émissions. (Note de bas de page : En général, les « joint-stock companies » (compagnies d'association de capitaux) non incorporées, c'est-à-dire non confirmées par charte royale ou par acte du Parlement, sont régies d'après les principes des « private partnerships » (associations particulières). Chaque associé y est tenu de toutes les dettes sociales, mais il peut transférer ses droits dans la société en se conformant à certaines conditions. L'administration de la compagnie est confiée à des gérants qui ont le pouvoir d'engager sa responsabilité. (Alexandre Laya, Droit anglais, t. II, p. 82 et suiv.). Elles différaient donc essentiellement de nos sociétés anonymes, lesquelles n'existent que par l'approbation du gouvernement et réalisaient, ou peu s'en faut, l'idéal des banques libres.

Que décida le Parlement ? Il refusa de livrer la fortune publique à une expérience dont les dangers apparaissaient comme certains, si l'on préjugeait l'avenir des banques par actions, d'après les émissions désordonnées qu'elles n'avaient pas su s'interdire dans le passé (Note de bas de page : Au mois de décembre 1833, ces émissions montaient à 1,315,301 liv. sterling. En juin 1836, elles étaient arrivées à 3,588,064 livres sterling. Document publié par ordre du Parlement. (LÉON FAUCHER, Organisation financière de la Grande-Bretagne. Revue des Deux-Mondes, p. 125, 15 octobre 1857.)). Loin de porter atteinte au privilège de la Banque de Londres, le Parlement traça une limite à la liberté des banques provinciales. L'acte du 19 juillet 1844 donne à la banque centrale l'héritage des deux tiers des billets émis par toute banque de province qui cesse ses opérations. Cette mesure, comme sir Robert Peel le disait lui-même, tend à centraliser chez un seul établissement la faculté d'émettre tout le papier-monnaie du pays. Le même acte du 19 juillet met un frein aux émissions des banques particulières en fixant leur circulation de billets à la moyenne des deux années précédentes. L'acte du 5 septembre 1844, (page 120) présente un caractère plus restrictif encore vis-à-vis des joint-stock banks. Deux conditions sont exigées d'elles et mettent un terme à leur existence indépendante d'abord les compagnies de banque doivent être autorisées par le gouvernement ; ensuite elles sont forcées de fournir la preuve qu'elles disposent d'un capital social d'au moins 100,000 livres sterling (Des lois de la circulation en Angleterre et du bill de renouvellement des privilèges de la banque. Revue britannique, t. II, p. 99, 1844).

En faveur de l'indépendance des établissements de crédit il est cependant un exemple heureux, exemple fréquemment invoqué, c'est la prospérité incontestable des banques d'Écosse. Mais, remarquons-le, cette prospérité dérive surtout d'un usage qui nous paraît praticable avec le monopole comme avec la liberté démission et n'appartient en propre ni à l'un ni à l'autre de ces deux systèmes, nous voulons parler de cet usage, très répandu chez les banques d'Écosse, de servir un intérêt de 2 1/2 à 3 pour cent pour tous les dépôts d'argent qu'on leur confie. Sollicités par cet appât, les capitaux ne restent pas un seul jour improductifs. Des mains des citoyens, les plus petites épargnes passent incessamment aux mains des établissements de crédit, qui les font fructifier sans retard en les transmettant au commerce. D'après un écrivain anglais, le montant de ces dépôts à intérêt était de plus de 750 millions de francs en 1847 (Capital, currency and banking, by J. WILSON. London, 1847) et les caisses des banques se trouvent être en même temps les caisses de la plupart des particuliers.

(page 121) Du reste l'organisation du crédit en Écosse repose sur des circonstances exceptionnelles, qui fort probablement ne se renouvelleraient pas dans un autre pays. La solidité des banques y réside tout d'abord dans ce fait, que par le grand nombre de leurs actionnaires et par la solidarité des dettes incombant de par la loi à chacun d'eux, elles embrassent une grande partie de la fortune mobilière et immobilière du pays. Il est naturel que la confiance ne puisse manquer à des établissements qui se sont pour ainsi dire identifiés avec la richesse nationale. De plus la liberté des banques écossaises, pour être entière vis-à-vis de l'État, n'en est pas moins limitée par les règles d'une véritable confédération républicaine. Entre les diverses banques, il existe un usage qui leur permet d'exercer les unes sur les autres une surveillance sévère.« Deux fois par semaine, les trente-six banques d'Écosse soldent entre elles par l'échange de leurs billets ; les différences sont couvertes par des remises sur Londres à dix jours de vue. » (L. FAUCHER, Études sur l'Angleterre, t. I, p. 132). Chaque établissement se trouve ainsi contenu, modéré par les relations étroites qui le lient à tous les autres, par la crainte de voir son papier refusé par eux à l'échange, et mis au ban du crédit par la finance tout entière. Avec un pareil système, il est peu à craindre que les excitations de la concurrence entraînent jamais les banques à des émissions exagérées. Mais où se trouve la sanction du système lui-même et comment se maintient-il en vigueur, sinon par un prodige de bon accord entre les banques, de prudence (page 122) et d'honnêteté chez chacune d'elles ? On ne peut guère compter ailleurs sur de pareils miracles. L'émission des billets est donc bien réellement en Belgique un monopole sous la direction de l'État, mais ce nous paraît être un monopole nécessaire. S'est-on jamais avisé de réclamer contre le privilège du machiniste qui surveille la chaudière d'un bateau à vapeur et l'empêche de voler en éclats avec tous ceux qu'il porte ?

L'unité de banque, tout en étant favorable à la solidité du crédit, serait nuisible à sa diffusion, si l'établissement privilégié n'était pas investi d'une mission expresse, celle de répandre partout ses bienfaits par la création de succursales en province. Dans son article 2, la loi de 1850 oblige la Banque nationale à fonder des comptoirs dans tous les chefs-lieux de province, et de plus, dans les localités où le besoin en sera constaté. La Banque de France compte cinquante succursales fondées successivement depuis les décrets de 1848 qui ont converti les banques de département en comptoirs de la banque de Paris (Décrets du 27 avril et du 2 mai 1848). La Banque de Londres doit son immense popularité et l'énorme extension de ses billets, non pas seulement aux douze succursales qu'elle possède dans les comtés, mais encore et surtout à son puissant entourage de banques particulières, auxquelles on peut appliquer le nom de branch-banks (Mot à mot : banques-branches, banques accessoires), puisqu'elles échangent à présentation les billets de la banque centrale et usent presque exclusivement de son papier pour opérer leurs escomptes. Il y a quelques années, (page 123) le nombre de ces établissements dépendant de la Banque de Londres était évalué à 957 (PAUL COQ, La monnaie de banque, p. 470. Guillaumin, 1857).

Examinons maintenant quelles sont les opérations de la Banque nationale ? Elles ont été sévèrement limitées aux affaires qui paraissaient être de l'essence des banques de circulation et de dépôt. La Banque émet des billets payables à vue, dont la contre-valeur réside principalement dans son portefeuille. Celui-ci se compose : 1° de bons du trésor, qui ont la garantie de l'État ; 2° d'effets de commerce, échéant dans les cent jours et cautionnés par trois signatures solvables (Note de bas de page : Les effets à deux signatures peuvent être reçus par la Banque, du consentement de quatre directeurs et du gouverneur. La même majorité est requise pour l'achat d'effets sur l'étranger. Pourra tenir lieu de troisième signature un gage en warrants ou en marchandises, suffisant pour répondre de la totalité de la créance. (article 9 des statuts.) ). Un encaisse métallique, égal au tiers et exceptionnellement (avec l'autorisation du gouvernement, article 13 des statuts.) au quart de la circulation et des dépôts effectués, protégé la Banque contre les demandes soudaines de remboursements, qui s'arrêtent d'ordinaire assez vite quand les porteurs de billets acquièrent la certitude qu'ils peuvent être intégralement payés à leur première demande. Si le public persiste à réclamer de l'argent contre des billets, les effets de commerce et les bons du trésor, échéant à une époque rapprochée, permettent à la Banque de faire face à tous ses engagements.

De plus la Banque reçoit des sommes d'argent en compte-courant, prend en dépôt des titres, des métaux précieux et (page 124) des monnaies (article 8, no 5, de la loi.). Elle fait des avances sur lingots, monnaies d'or et d'argent, effets publics nationaux ou valeurs garanties par l'État (article 8, nos 3 et 6 de la loi.). La Banque de France est plus large. Elle prête sur dépôt de titres de rente, actions de canaux, obligations de la ville de Paris, actions et obligations de chemins de fer (Institutions de crédit en France, par EUGÈNE FORCADE. (Revue des Deux Mondes, 1856, 2, p. 303 et suiv.)). La Banque d'Angleterre ne fait pas d'avances sur dépôt d'effets publics, mais elle donne de l'argent sur hypothèque et parfois même sur marchandises (L. FAUCHER, Études sur l'Angleterre, p. 138).

Après avoir parlé des diverses opérations qui sont du ressort de la Banque nationale, la loi prend soin de mentionner quelques-unes de celles qui lui restent interdites. L'établissement ne peut prêter, ni sur hypothèque ni sur dépôt d'actions de sociétés ; il n'a pas le droit de prendre une part directe ou indirecte dans des entreprises industrielles, ni de se livrer à un commerce quelconque autre que celui des matières d'or et d'argent ; il ne peut non plus acquérir d'autres immeubles que ceux réputés strictement nécessaires au service (article 8, no 2 et 9 de la loi ). Ces diverses restrictions ont un but facile à comprendre. Elles prémunissent la Banque contre une erreur commune à un grand nombre de ses devancières ; elles lui défendent d'accorder la préférence à des entreprises peut-être avantageuses en elles-mêmes, mais convenant mal à un établissement régulateur du crédit, parce qu'elles (page 125) absorbent ses capitaux pour un long espace de temps, et lui enlèvent précisément le caractère d'une institution dont le secours doit toujours se tenir à la disposition du commerce.

La même pensée de restriction et de sagesse se retrouve dans la fixation du capital de la Banque à vingt-cinq millions, somme qui n'a pas encore paru insuffisante comme garantie avec une circulation de billets dépassant généralement cent dix millions. Dans ces dernières années, la Banque de France a élevé son capital jusqu'à 182,500,000 francs, mais l'établissement français s'est donné une mission particulière qui immobilise évidemment une partie de ses ressources. Il fait des avances non seulement sur fonds publics, mais encore sur actions de compagnies industrielles. Ces avances montaient au-delà de trois cents millions, d'après son dernier bilan (311,259,150 francs. Bilan du 9 mai 1861). Le 30 avril 1861, c'est-à-dire à peu près à la même époque, les avances de notre Banque nationale sur fonds publics n'atteignaient pas quatre millions (Bilan du 30 avril 1861. Avances sur fonds publics 3,883,250 06). Le capital de la Banque d'Angleterre ne peut pas non plus servir de point de comparaison à celui de la banque belge. S'il s'élève à la somme de 14,555,000 livres sterling (365,825,000 francs), n'oublions pas qu'il est surtout absorbé par les énormes emprunts que le trésor a faits à la banque depuis le jour de sa fondation (MACAULAY, The History of England from the accession of James the 2d, t. IV, p. 498) et qu'il n'a pas cessé d'exiger d'elle comme la première condition au maintien de son privilège.

(page 126) En dehors de pareilles facilités accordées soit à des compagnies par actions, soit à l'État, des capitaux considérables restent inutiles à la marche comme au développement d'une banque de dépôt et de circulation. Or, en matière de banque, les capitaux inutiles deviennent bien promptement des capitaux dangereux. Ou bien ils demeurent au fond des caisses, et alors ils pèsent sur la situation de l'établissement, parce que, tout en restant improductifs, ils se présentent cependant pour concourir au partage des bénéfices ; ou bien ils sont lancés dans des opérations étrangères au but de l'entreprise et dans ce dernier cas ils changent le caractère et compromettent la sûreté de l'établissement financier. Le capital de vingt-cinq millions affecté à la Banque nationale, ne peut être d'ailleurs ni augmenté, ni diminué par elle d'une manière indirecte elle n'a le droit ni de contracter des emprunts, ni de prêter sur ses propres actions, ni d'en opérer le rachat (article 9 de la loi).

Quant aux moyens mis en œuvre par la loi du 5 mai 1850, afin d'appeler la confiance sur sa création, ils se résument en deux sortes de garanties. Les premières consistent en certaines obligations matérielles d'abord la possession par la banque d'un encaisse important, dont nous avons parlé plus haut ; ensuite la formation d'une réserve, par la mise à part d'une fraction des bénéfices annuels de l'établissement et par la conversion successive de ces diverses sommes en fonds publics (Cette réserve est actuellement de plus de 5 millions). Les secondes garanties réclamées de notre principal établissement (page 127) de crédit sont des garanties morales, qui concernent son administration, sa surveillance et la publicité de ses opérations.

L'administration de la Banque est confiée à un gouverneur nommé par le roi et à six directeurs élus par l'assemblée générale des actionnaires. Ils sont aidés dans leur mission par un conseil de censeurs, qui tiennent également leur mandat de l'assemblée générale (articles 17, 18, 19 et 20 de la loi ; articles 20, 34 et 37 des statut ). L'influence du gouvernement sur la Banque s'exerce par le droit de conserver auprès d'elle un commissaire, lequel connaît et surveille toutes les opérations, notamment les émissions de billets et les escomptes (articles 13, 21 et 24 de la loi). Ce contrôle de l'État se justifie, et par sa mission générale de veiller aux intérêts publics, et par une raison plus directe. A l'exemple du gouvernement anglais qui est demeuré l'associé de la Banque de Londres, le gouvernement belge s'est réservé une part dans les bénéfices de l'établissement qu'il a institué. Cette part est du sixième des bénéfices annuels excédant 6 p. c. du capital social (article 7 de la loi). Enfin la Banque nationale se voit soumise à une surveillance, devant laquelle les puissances financières sont aujourd'hui forcées de s'incliner comme les puissances politiques, la surveillance populaire ici maintenue en éveil par une publication obligée. Tous les mois, l'administration de la Banque adresse au gouvernement un état qui présente la situation de l'établissement et de ses comptoirs. Ce document est inscrit au Moniteur. Le résultat (page 128) des opérations de la Banque, ainsi que le règlement de ses dividendes, est publié chaque semestre par la même voie (article 22 de la loi et 17 des statuts. Les répartitions de dividendes se font le 1er mars et le 1er septembre.).

Telle est la loi qui institue la Banque nationale (Exposé des motifs de la loi, Annales, 1849-1850, p. 427 ; rapport au nom de la section centrale par M. Tesch, 19 février 1850. Au Sénat, rapport par M. Grenier, 13 avril 1850 ; adoption par 21 voix contre 1). Votée le 7 mars 1850 par la Chambre des représentants à l'immense majorité de 79 voix contre 2, cette loi se complète le surlendemain par les dispositions qui confient à la Banque le service de caissier de l'État (Séance du 9 mars, Annales, p. 905).

Malgré les critiques souvent acerbes dont la Banque a été l'objet jusque dans l'enceinte législative, il est difficile de révoquer en doute les excellents résultats qu'elle a produits. Quelques chiffres le prouveront mieux que les allégations. Avant la loi de 1850, le portefeuille belge montait à peine à quinze millions (Le 31 décembre 1848, le bilan de la Société Genérale accuse un portefeuille qui dépasse à peine 7 millions. A la même date le portefeuille de la Banque de Belgique est à peu près de 9 millions). En 1854, il s'élevait déjà à soixante-quatorze millions, et aujourd'hui il dépasse fréquemment cent trente millions. La demande de billets a suivi la même progression. Du chiffre de trente millions que les banques belges n'osaient guère dépasser, avant 1850, l'émission s'est élevée dès 1854 à celui de quatre-vingt-quatre millions ; aujourd'hui elle reste généralement au-dessus de cent dix millions. Quant au taux de l'escompte, la Belgique serait injuste en se plaignant (page 129) de la situation qui lui a été faite par la Banque. De 5 p. c., taux normal avant 1850, l'escompte est descendu à 2 et 3 p. c. en 1853. Depuis lors, il n'a guère dépassé 3 1/2 p. c. et est resté souvent inférieur à celui des Banques de France et d'Angleterre. En 1857, au plus fort de cette terrible crise financière qui ébranla toute l'Europe, la Banque belge procurait de l'argent à 5 1/2 p. c., lorsque les Banques d'Amsterdam et de Berlin ne pouvaient en donner qu'à 7 et 7 1/2. Vers la même époque, les Banques de Paris, de Londres et de Hambourg étaient contraintes d'exiger parfois jusqu'à 10 p. c. d'escompte (Tableau comparatif des escomptes, Annales parlementaires, session extraordinaire de 1859, p. 362 et 363).

Nous ne voulons pas prétendre que l'organisation de la Banque nationale soit parfaite et immuable. Dans un pays essentiellement industriel, les bienfaits chaque jour plus appréciés du crédit conduisent de toute nécessité à la recherche constante des moyens de l'étendre sans danger. Ce que personne ne pourrait nier, ce sont les immenses services rendus par la Banque au commerce et à l'industrie belges, non pas toujours directement, mais du moins comme le point d'appui presque général des banques particulières, comme la cause de la confiance du pays et du maintien d'une importante circulation, au milieu de circonstances presque constamment décourageantes pour les affaires.

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