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(Paru à Bruxelles en 1862, chez Bruylant-Christophe et Compagnie)
(page 5) Dans un pays qui se gouverne lui-même, où toutes les affaires publiques se dénouent chaque jour devant le public, il nous a semblé utile de remettre en lumière les discussions et les votes du corps électif qui représente le plus directement la nation, c'est-à-dire du Parlement. Appartenant à la fois au droit et à la politique, ces études osent à peine s'appeler de l'histoire. Quelque scrupule que l'on mette à n'affirmer que des faits exacts, quelque attention que l'on apporte à ne rien dire qu'avec mesure, on ne peut guère parler d'une époque encore vivante dans ses acteurs comme dans ses œuvres, sans conserver un reste de crainte d'avoir été trop près des hommes et des choses pour les juger toujours assez froidement.
La partie la plus moderne de notre existence parlementaire est la seule sur laquelle nous avons eu à fixer notre (page 6) attention d'une manière spéciale. M. Ernest Vanden Peereboom a présenté une brillante analyse des actes du Parlement de 1830 à 1848, dans un livre où la probité politique et le talent ont laissé leur marque à chaque page (V- Du Gouvernement représentatif en Belgique, par Ernest VANDEN PEEREBOOM. 2 vol in-8°. Bruxelles, chez Aug. Decq.).
Bien que notre travail ait pour but principal de résumer les débats qui se sont déjà produits dans les Chambres, débats dont la presse quotidienne n'a pas négligé de s'occuper assidûment, il nous paraissait difficile d'attendre d'elle quelque retour patient vers son propre passé. Nul plus que nous n'apprécie la grandeur du rôle dévolu au journalisme sous un gouvernement qui conserve assez de foi en lui-même, pour n'avoir jamais songé à mettre la franchise et la contradiction au rang des crimes politiques, en recherchant dans les conseils d'un journal le manifeste d'un parti et le prélude d'une conspiration. Mais malgré son importance, ou bien, pour parler avec plus d'exactitude, à cause de son importance même, la presse militante n'a le plus souvent ni la faculté, ni le temps de se souvenir la polémique du jour ou celle du lendemain l'absorbent forcément tout entière. Est-ce au soldat engagé dans une lutte qu'on peut demander le récit de ses victoires et de ses défaites d'autrefois ? L'ardeur du combat, la poursuite du succès bornent sa vue aux nécessités du moment, et son amour pour la cause qu'il défend se montre avant tout à la vigueur, à l'adresse, à la promptitude des coups qu'il porte.
Nous l'avouons d'ailleurs sans répugnance, il est un motif (page 7) qui nous a encouragé à écrire. Des théories et des principes qui semblaient avoir fait leur temps, ont été de nos jours remis en honneur dans un pays voisin du nôtre. Tantôt on s'y félicite hautement d'avoir su s'affranchir de l'incommode fardeau de la liberté politique ; tantôt on reproche à celle-ci d'être peu favorable au progrès matériel, de n'enfanter aisément que le désordre, et après l'avoir mis au monde, de se trouver impuissante à le dompter. Des accusations semblables se sont parfois adressées directement à notre régime parlementaire, et il n'est pas prudent de les dédaigner devant la persistance avec laquelle elles se reproduisent à chaque apparence d'agitation. Il nous a semblé qu'il y aurait peut-être quelque intérêt à leur opposer, non pas la voix éclatante, les hauts enseignements de l'histoire et de la philosophie, pour cette tâche nous aurions désespéré de nos forces, mais le récit et l'analyse de quelques-uns des actes du gouvernement représentatif en Belgique, pendant les années mèmes où ce gouvernement subissait, de la part de la presse étrangère, les critiques les plus acerbes, en même temps que les plus imméritées.