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(Traduit
de l’anglais par Mademoiselle A. SORRY), Paris, Librairie de Fournier, 1834.
(Tome I, pp. 1 à 137)
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CHAPITRE V
Aix-la-Chapelle - Charlemagne –
Napoléon - Reliques
(page 123) Peut-être fallait-il tout le respect
que je porte à la mémoire de Charlemagne, pour sentir le degré de satisfaction
que j'éprouvai en parcourant Aix-la-Chapelle, mon Guide des voyageurs à la main, et recherchant avec avidité les
moindres vestiges réels ou supposés que ce prince des paladins a laissés sur un
sol jadis témoin de sa grandeur.
Et
certes, l'amateur le plus passionné des temps merveilleux du moyen âge doit
trouver là de quoi nourrir son enthousiasme; et pour peu que sa tête soit
suffisamment meublée de légendes de saints et de chevaliers, il peut se croire
transporté au milieu d'eux pour quelques heures. C'est ce qui m'arriva pendant
ma visite aux diverses places consacrées par d'antiques souvenirs; je me sentis
alors dans un contact si intime avec les siècles passés, que mon imagination se
(page 124) représenta sous les
couleurs de la vie les anciens preux des poëmes romantiques. Rien ne diffère
plus des froides investigations d'un savant et consciencieux antiquaire que les
réminiscences poétiques dont mon esprit était empreint; mais je ne doute point
que sous le rapport du plaisir, produit en ces occasions, la docte science ne
reste fort en dessous du savoir féminin qu'on acquiert, comme M. de
Pourceaugnac avait acquis ses connaissances des lois « en lisant des
romans ». Sans cette délicieuse seconde vue qui me permit de voir bien au-delà
des choses visibles, j'aurais pu douter de la vérité de certaines
particularités intéressantes; tandis qu'en y ajoutant foi, ma satisfaction
augmentait infiniment. Je recommande donc aux voyageurs qui doivent visiter
cette vénérable cité, la lecture préalable de l'Arioste et du Berni.
Mais
la sensibilité modérée d'un antiquaire ou d'un historien pourrait encore être
suffisamment excitée, alors que, sous le dôme de la magnifique cathédrale d'Aix,
il entendrait ces mots: « Voici la chapelle bâtie par Charlemagne, et ses
restes furent déposés sous cette pierre. »
(page 125) J'aurais voulu pouvoir me
persuader qu'ils y étaient encore, mais c'était impossible. L'histoire
singulière de leur exhumation est une des légendes les plus remarquables du
lieu. Charlemagne avait été enterré dans cette église depuis trois siècles,
quand Frédéric Barberousse le tira de son tombeau. Dans l'histoire
d'Aix-la-Chapelle, cet étrange sacrilège est qualifié de fête touchante donnée
par l'empereur Frédéric à la ville, en
On le
trouva revêtu de ses habits royaux, assis sur un siége de marbre, avec
On
montre encore ce cercueil, mais il n'y (page
126) reste aucun vestige de l'illustre mort; Il paraît que tous les ossements
ont été successivement emportés comme de saintes reliques; et l'on prétend
qu'un seul fragment sauvé de ce trafic a été de nouveau enterré dans le caveau
d'où l'on avait tiré le corps.
La
grande pierre qui scelle ce caveau, directement placée au-dessous du centre du
dôme, porte cette inscription: Carolo Magno. Le sacristain qui nous
accompagnait me dit qu'il avait conduit Napoléon et Joséphine dans toutes les
parties de ce monument. « Ils étaient, me dit-il, suivis d'un brillant
cortége, d'officiers de l'état-major impérial. Quand Napoléon lut ces mots,
Carolo Magno, il se retira jusques sur le bord de la pierre, que cette
inscription rendait sacrée; puis, après avoir considéré un instant, il marcha
lentement tout autour, sans poser le pied au-delà des limites, mais les yeux
toujours fixés sur ce nom vénérable.
« Il
y avait quelque chose de bien frappant dans son regard, continua cet homme;
mais il y avait aussi quelque chose de bien drôle dans l'insouciance avec
laquelle ses officiers suivaient (page
127) ses pas, en évitant de toucher la pierre, mais sans avoir l'air de
partager le moins du monde le sentiment de leur souverain. »
Le
siége de marbre sur lequel le corps de Charlemagne fut trouvé, ainsi que les
symboles royaux enterrés avec lui, ont servi depuis au couronnement de onze
empereurs.
Une
vaste galerie circule autour de l'octogone de la chapelle de Charlemagne, et
sert de base à de grandes ogives, qui forment ce qu'on appelle le Hoch munster,
l'église haute. Dans la partie de la galerie octogone qui fait face au grand
autel, est placé le siége sépulcral dont nous avons parlé, et c'est là que les
empereurs se sont tous assis pour recevoir l'huile sainte, tandis que les
électeurs étaient rangés dans la galerie, entre les colonnes de porphyre par
lesquelles son toit est soutenu. De belles colonnes de marbre indiquent les
places jadis occupées par ces colonnes de porphyre, mais elles-mêmes ont pris
le chemin de tous les autres chefs-d'œuvre des arts, par l'ordre de Napoléon;
et bien que plusieurs objets précieux du trésor de cette église, qui ne sont
point de saintes (page 128)
reliques, aient été rendus après la bataille de Waterloo, on voit encore au
Louvre ces riches et rares pièces architecture.
Quand
notre guide eut enlevé la couverture de bois qui couvre le siége impérial, je
m'empressai de m'asseoir sur ce marbre où reposa pendant trois siècles le corps
d'un héros, où de nos jours Joséphine s'était assise, tandis que « l'Empereur,
debout à côté d'elle, les bras croisés sur sa poitrine, la regardait en
silence. » Ce fut d'un ton qui semblait demander grâce pour le défaut
d'antiquité, que l'on nous apprit que le chœur n'avait pas plus de sept cents
ans de date. Mais je lui pardonnai sa jeunesse comparative en faveur de sa
beauté. Il est simple, léger, élégant et noble.
Une
petite couronne et un sceptre d'or qui ornent la statue de
Au-dessus
de la pierre sur laquelle est inscrit le nom de Charlemagne, est suspendue une
(page 129) une énorme couronne d'argent doré, offerte par Frédéric Barberousse
: elle forme un lustre à quarante-huit branches, et présente un curieux
échantillon de l'orfévrerie du douzième siècle.
Le
pélerinage au munster de Charlemagne a été longtemps pour les chrétiens ce
qu'est le pélerinage de
L'Hôtel-de-Villc
occupe une partie de l'ancien emplacement du palais où naquit Charlemagne; (page 131) et l'on dit qu'une de ses
tours, appelée tour de Granus, a non seulement fait partie de la demeure de ce
monarque, mais date d'une époque bien plus reculée, étant décidément de
construction romaine. Une statue de ce puissant souverain s'élève au milieu de
la place du marché, en face de l'Hôtel-de-Ville. C'est, un ouvrage du XIVe
siècle.
Il
serait, je crois, difficile à l'antiquaire le plus persévérant de suivre les
traces des murs extérieurs du vieux palais. Ils s'étendent fort loin en
plusieurs directions, et font partie des clôtures de quelques maisons
particulières. Il paraît que Charlemagne était particulièrement attaché à cette
ville, qu'il avait déclarée la seconde de son empire; l'inscription placée sur
son palais était:
Hic sedes regni trans Alpes habentur
caput
Omnium provinciarum et civitatem
Galliœ
Indépendamment
de tous ses souvenirs historiques et romanesques, Aix-la-Chapelle est une belle
et intéressante ville. Ses sources d’eau (page
132) chaude sont abondantes et passent pour être extrêmement salutaires.
Celle dont la température est le plus élevée, surgit à Borcette, petit bourg
parfaitement distinct de la ville, mais contigu avec elle. L'eau de cette
source est trop chaude pour qu'on y puisse tenir la main; mais je doute qu'elle
aille jusqu'à bouillir, comme je l'ai entendu affirmer. Cependant nous vîmes
des femmes prendre des seaux de cette eau pour laver du linge, et l'on dit
qu'il n'est pas même nécessaire d'y ajouter aucun autre ingrédient, lorsqu'on
en fait cet usage. La grande chaudière fumante, ouverte au milieu de la rue de
Borcette, a le plus étrange aspect; la vapeur qui s'élève au-dessus d'elle s'
étend à une distance considérable.
Nous
fîmes une charmante promenade dans les environs, avec l'une des personnes pour
lesquelles nous avions des lettres de recommandation. Le Louisberg est une
colline singulière qui s'élève brusquement du milieu de la plaine, et commande
une vue magnifique. La forêt des Ardennes est le trait le plus intéressant de
ce beau paysage. Sur ce petit mont, et dans ses (page 133) alentours, on trouve divers souvenirs de Napoléon et de
sa famille. Joséphine et Pauline ont donné leur nom à des temples, des grottes,
des rues: La promenade publique commencée par Napoléon, et terminée par le roi
de Prusse, est d'une beauté remarquable.
Ce
fut là que, pour la première fois, j'entendis prononcer le nom du roi de Prusse
avec cet amour profond, ce respect, cette admiration qui se déployèrent ensuite
si souvent devant nous dans le cours de notre voyage à travers ses Etats. Je ne
parle point de l'attachement personnel des nobles; mais quiconque prendra la
peine de causer avec des gens des dernières et des moyennes classes en Prusse,
les entendra parler de leur sage et bon monarque comme du père de son peuple.
Il
est probable que si j'avais parcouru ce pays un demi-siècle plus tôt, de
semblables témoignages d'affection pour le souverain m'auraient beaucoup moins
frappée. Le royalisme n'était pas alors une plante aussi rare et aussi
précieuse qu'elle l'est devenue depuis; et sentir une joie sincère et vive
parce qu’un bon roi paraissait (page 134)
aimé et révéré de ses sujets, aurait été en ce temps aussi extravagant que si
l'on était tombé dans le ravissement en voyant un fils parler de son père avec
un tendre respect.
Cette
remarque sur l'attachement exprime par toutes les classes pour le roi de Prusse
me conduit naturellement à faire mention du résultat de mes efforts pour
connaître le véritable esprit politique des pays que nous avons traversés pour
parvenir à ce but, j'acceptai des lettres d'introduction qui me mirent en
rapport avec des personnes dont je savais les opinions très opposées à celles
qui me semblent d'accord avec la raison, désirant ainsi entendre discuter dans
tous les sens à l'étranger, des sujets qui occupent si souvent nos sociétés; et
dans l'espoir d'obtenir par ce moyen une plus juste idée des sentiments
populaires que je ne pouvais l'acquérir dans les gazettes, soit étrangères,
soit nationales. Mais, lancée comme je l'étais parmi ceux qui s'intitulent
libéraux, je n'ai jamais entendu, hors dans un seul cas, exprimer des pensées,
professer des principes, approchant le moins du monde de la folle licence des
doctrines (page 135) journellement
émises par la presse anglaise.
On
nous répète sans cesse qu'il existe en Allemagne un esprit qui doit, par la
suite des temps, amener des révolutions; que le massacre, la rapine, peuvent
engendrer la paix et la liberté; enfin que dans un petit nombre d'années toutes
les nations de la terre seront nivelées, et présenteront un vaste océan
d'égalité.
'Si
cette prophétie s'accomplit jamais, ce ne sera pas, du moins par l'Allemagne
qu'on verra commencer un semblable état de choses. Pas un des Etats, grands ou
petits, compris sous cette dénomination, ne renferme une population disposée à
chercher son bonheur ou sa gloire dans l’égalité universelle; on y trouve en
général une sorte d’ambition généreuse qui se montre plutôt par des efforts
pour élever leurs souverains respectifs au-dessus des autres puissances de la
terre, que par des tentatives pour les dépouiller de la moindre parcelle de
leur dignité. Au lieu d'écouter avec une foi aveugle des assertions aussi
fausses qu'absurdes, les Anglais feraient donc sagement de considérer avec
émulation, sinon avec crainte, les pas de géant par (page 136) lesquels ce pays nous dépasse tous les jours, dans les
arts, les sciences, le commerce, la richesse.
Tandis
que, la bouche ouverte, nous recueillons avidement d'emphatiques déclamations
sur la liberté, les Allemands étudient les théories les plus profondes de la
politique pratique; tandis qu'ouvertement nous nous efforçons de pousser sous
le torrent destructeur des émeutes populaires l'arche de notre gouvernement,
seule garantie de nos vies et de nos propriétés, les hommes sensés qui dirigent
les affaires germaniques voyant venir de loin les tempêtes, font usage des
lumières répandues en Europe pour conduire avec prudence leur noble vaisseau.
Je
remarquai avec infiniment de peine une différence sensible entre ma chère
patrie, telle qu'elle est devenue en dernier lieu, et la contrée dans laquelle
je voyageais. Chez nous, je m'étais accoutumée à entendre toutes les voix de la
classe si emphatiquement appelée le peuple,
exprimer, soit directement, soit par l'intermédiaire de la presse, des
sentiments de mépris et de malveillance pour leur pays, son gouvernement et ses
lois.
(page 137) Cette même classe, que je me
rappelle avoir entendue, dans ma première jeunesse, montrer par les plus bruyantes
acclamations la part qu'elle prenait à des triomphes qu'elle regardait comme
siens, cette classe maudit à présent l'Église de ses pères, et semble prête à
prononcer des imprécations contre le drapeau autour duquel elle se ralliait
autrefois avec tant d'orgueil.
Combien
l'esprit public est différent ici ! Demandez à un Prussien, non de ce rang qui
forcerait à rougir de l'absence des nobles sentiments, mais de l'une des
classes auxquelles l'éducation, les habitudes sociales, n'ont pas enseigné la nécessité
d'affecter au moins les bonnes dispositions; demandez à un tel homme ce qu'il
pense de son gouvernement, de son roi ? Il vous répondra par un hymne
d'admiration et d'amour, bien fait pour démontrer à quiconque a des oreilles
pour entendre, qu'un bill de réforme n'est pas le plus sûr moyen de gagner les
affections de la multitude.