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Note
d’intention
(Traduit de l’anglais par Mademoiselle A. SORRY),
Paris, Librairie de Fournier, 1834. (Tome I, pp. 1 à 137)
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CHAPITRE IV
Waterloo.
- Saint-Jean. - Belle-Alliance. - Monuments. - Route de Namur. - Namur. - Huy.
– Pensionnat - Citadelle. - Liége. - Quentin-Durward. - Églises. - Chaudfontaine.
- Politique belge.
(page 86)
Près de vingt années se sont écoulées depuis que Waterloo fut le théâtre d'un
événement qui influa sur la destinée de l'Europe entière; et cependant tous mes
sentiments patriotiques s'éveillèrent avec une telle vivacité à la pensée que
j'allais voir ce coin de terre, qu'il me semblait que sa gloire datait d'hier.
Ce sujet est épuisé, je le sais; il est décidément passé de mode; mais je
risquerai néanmoins d'ajouter quelques mots à tout ce qui en a été dit. Une
demi-lieue avant d'y arriver, des hommes vinrent de chaque côté de la voiture
nous offrir de nous servir de guides, et des femmes portant des paniers remplis
de reliques de la bataille s'empressaient de nous présenter des aigles, des
balles, des boutons (page 87)
d’uniformes. On aurait pu croire que le grand événement s’était passé un mois
auparavant. On nous avait avertis de ne point nous arrêter au village de
Waterloo, malgré la magie de son nom, parce que le champ de bataille en est
trop loigné pour qu’il soit possible de s'y rendre de là à pied. Nous
persuadâmes donc notre cocher, non sans peine, de nous mener jusqu'à
Mont-Saint-Jean, petit hameau dépendant de la paroisse de Waterloo. Nous
trouvâmes dans ce hameau, contrairement à l'assurance de notre conducteur, une
petite auberge fort décente, située à porté de tous les objets que nous
désirions voir, et nous acceptâmes immédiatement les services d’un guide qui
nous fut recommandé par l’aubergiste. Nous ne pouvions tomber en de meilleures
mains. Il était âgé de seize ans lors de l’affaire, et avait pris une part
active aux scènes qui la suivirent. Pendant une grande partie de la journée, il
fut employé à porter de l'eau aux blessés ; et vers le soir, il fournit
aux besoins des plus fortunés, auxquels un repas substantiel, quoique grossier,
suffit pour redevenir les plus satisfaits et les plus triomphants des mortels.
(page 88)
Le temps était d'une chaleur intense, et la plaine que nous devions parcourir
entièrement dénuée d'ombre; mais ce brave garçon trouva moyen de nous faire
paraître la route singulièrement courte. Je ne sais s'il avait assez de tact
pour deviner quelles anecdotes pouvaient nous paraître le plus agréables; mais
il nous conta les traits les plus touchants de générosité, de courage, de
sensibilité de nos Anglais. Toutefois, si notre bon ami le guide belge a
l'intention de plaire également à tous les voyageurs de notre pays, il faut
qu'il connaisse une page de notre politique du jour, dont il était évident
qu'il ne se doutait pas.
« Votre duc de Wellington était là, disait-il; je
l'ai vu, moi, entouré de ses généraux. Mon Dieu! quel homme! J'étais tout près
de lui, ici... justement ici,... et lui, il était là. Quel homme! Et comme tous
ses officiers le regardaient! Il est adoré en Angleterre, n'est-ce pas? »
Je me sentis rougir en me rappelant les fenêtres de
Apsley-House, et je n'aurais pas voulu dire à ce pauvre ho:m:me ce qu'il
verrait s'il venait contempler la demeure du héros de Waterloo.
(page 89)
« Oui, mon ami, oui, « fut ma réplique; et si je n’ai pas dit la
vérité, la honte doit tomber sur d’autres que sur moi. .
Dans le cours de notre exploration, nous vîmes le
monument élevé sur la place où tombèrent les Hanovriens, et celui qu'on a érigé
à la mémoire de sir Alexandre Gordon. Mais l'objet le plus frappant de la
plaine de Waterloo est la pyramide colossale que le roi de Hollande a fait
construire à l'endroit où son fils, le prince d'Orange, fut blessé : cette
pyramide a deux cent cinquante pieds de haut, et deux cents hommes y ont
constamment travaillé pendant trois ans. .
Quand on pense au nombre déplorable de ceux qui ont
expiré sur ce même champ de bataille, et sur les restes desquels il ne s'élève
pas le plus humble monument de, gazon, ce souvenir fastueux de la blessure d'un
prince paraît d'un orgueil révoltant. Je ne pus m'empêcher de penser que si la
bravoure vivante peut se voir ainsi honorée, il ne serait peut-être pas déplacé
de demander au roi Léopold la permission d'ériger une statue au duc de
Wellington sur le sol où il a gagné sa plus haute renommée. Dès que (page 90) l'idée de ce monument se fut
offerte à mon esprit, je cherchai et choisis l'emplacement propre à le
recevoir; c'était la petite éminence de laquelle son génie dirigea les
mouvements hardis et décisifs qui forcèrent le vainqueur du monde à douter
enfin de sa fortune. Là une puissante statue de bronze se détacherait
parfaitement bien sur le ciel, et je me la figurais classiquement drapée à la
manière de Cemble, et dans une attitude qui rappellerait le souvenir de
Coriolan.
Nous montâmes au sommet de la pyramide par des
degrés assez grossièrement taillés pour rendre cette entreprise difficile; mais
nous fûmes récompensés par le coup d'œil du champ de bataille. De cette hauteur
nous pouvions nous représenter la disposition des divers corps, beaucoup plus
clairement qu'il n'était possible de le faire à toute autre place. Notre guide
était un intelligent historien, et il nous indiquait avec des expressions très
animées les points où le combat avait été le plus actif.
Le lion de bronze fondu à Liége, qui surmonte la
pyramide, est un superbe monstre, long de vingt pieds; et, suivant
l'observation de notre (page 91)
guide, il tourne vers
Quand nous eûmes descendu cette montagne factice, ce
qui n’était rien moins difficile que d'y monter, nous parcourûmes la plaine en
tous sens, et malgré l'ardeur brillante d'un soleil de midi, nous ne laissâmes
pas un seul coin de terre, rappelant quelque souvenir, sans lui payer notre
tribut d’attention et d'intérêt.
Tout ce qu’on a dit, tout ce qu’on a écrit sur ce
sujet, toutes les années qui nous séparent de ce grand jour, rien ne pouvait
affaiblir la vice impression que produisit sur notre esprit un sol dont la renommée
nous était depuis si longtemps familière.
Qui pourrait entendre sans éprouver une noble
émotion d’orgueil : A cette place, où vous êtes maintenant, se tenait
votre Wellington; ses officiers étaient là; voici le point où Napoléon
s’arrêta, c’est de là qu'il prononça son dernier commandement : sauve qui peut!
Les ruines du château de Hougoumont me paraissent le
point le plus intéressant du champ de bataille. C’est peut-être là que le
combat fut (page 92) le plus
acharné; et les murs en ruines,la chapelle moitié brûlée, moitié démantelée,
qui s'élève au-dessus des débris, avec sa croix que l'on dit avoir été
plusieurs fois atteinte par le feu sans être consumée; les traces des charges,
plus d'une fois repoussées et réitérées, tout contribuait à rappeler la scène
sanglante avec une effrayante énergie. Dans le jardin de Hougoumont, une tombe
solitaire marque la place où le corps du capitaine Blachnon est enterré. Il fut
enseveli exactement où il tomba, « son manteau de soldat autour de
lui, » et ce monument est le seul ainsi érigé.
Enfin, suffisamment épuisés par la chaleur et la
fatigue pour nous rendre extrêmement agréable la vue de la petite auberge, nous
atteignîmes
Assise dans le petit salon, aux murs simplement
blanchis, entre lesquels les généraux victorieux passèrent les premières
heures, tristes, bien que triomphantes, qui suivirent la bataille, je croyais
les voir au milieu de leur état-major, (page
93) désirant et craignant d’appendre quels étaient ceux de leurs braves
compagnons qui vivaient encore pour partager leur gloire. Ce fut là qu’ils
entendirent nommer ceux qui avaient payé de leur vie l’inestimable avantage
remporté par leur pays, et ce fut là que le premier, le plus précieux tribut de
reconnaissance et de regret fut payé à leur mémoire.
Nous retournâmes à notre petite auberge vers trois
heures, et saluâmes avec joie l’ombre de son modeste salon. Notre course avait
été si longue et si pénible, que je fus obligé de prendre quelques heures de
repos avant de m’aventurer à sortir. Mais le soir, des masses épaisses de
nuages d’été voilèrent les rayons du soleil, et malgré la pesanteur de
l’atmosphère, je voulus revoir encore le champ fameux. Mes compagnons avaient
été plus loin, j’étais entièrement seule. Après avoir passé la matinée à
écouter le récit des actes sublimes, il est vrai, mais sanglants, qui s’étaient
accomplis en ce lieu, je tremblais presque de m’y trouver dans cette complète
solitude. Sur un sol ainsi consacré, on pouvait, sans un grand effort
d’imagination, le peupler d’images (page
94) terribles. Pour ajouter à l'effet de la scène, l'orage qui s'approchait
jetait sur les objets une teinte si sombre, qu'un poète aurait cru voir l'air
obscurci par les drapeaux flottants d'une armée de spectres. La journée se
termina par le plus violent orage de tonnerre que nous ayons vu pendant toute
la saison.
Le lendemain matin, ayant eu le bonheur de trouver
des places dans une des diligences qui vont de Namur à Bruxelles, nous en
profitâmes pour retourner au village de Waterloo. C'était un dimanche, et nous
entendîmes la messe dans la petite église dont les murailles sont couvertes
d'inscriptions à la mémoire des braves qui ont péri sur le champ voisin. Après
la messe nous fîmes un tour dans le village, pour voir divers endroits célèbres
par quelques rapports avec la bataille.
L'objet que l'on montrait avec le plus d'appareil,
était une espèce de mausolée portant cette inscription:
CI EST ENTERRÉE
DE L’ILLUSTRE ET VAILLANT COMTE
UXBRIDGE,
LIEUTENANT-GENERAL DE S. M. BRLTANNIQUE,
COMMANDANT EN CHEF
ANGLAISE, BELGE ET HOLLANDAISE;
BLESSE LE 18 JUIN 1815,
A
ET QUI PAR SON HEROÏSME A CONCOURU AU
TRIOMPHE
DE
GLORIEUSEMENT DÉCIDÉE PAR L'ÉCLATANTE
VICTOIRE
DUDIT JOUR.
De chaque côté de cette inscription, une tablette
portait un autre inscription; celle à droite est ainsi conçue :
« Cet endroit fut visité, le 1er
octobre 1821, par Georges IVn roi de
Et sur celle de gauche on lit :
« Cette endroit fut visité le 20 septembre
1825, par SM le roi de Prusse, accompagné des trois princes ses fils. »
On ne peut s’empêcher de penser, ce me semble, que
cette châsse n'était pas celle qui devait recevoir de préférence les noms des
royaux pèlerins (page 96) Cependant
c'est le seul monument qui montre des traces de leur visite à Waterloo. Il y a
quelque chose qui approche du burlesque, à passer debout devant les tombeaux
des héros pour s'arrêter au réceptacle d'un membre détaché. Si le brave et
noble guerrier qui l'a perdu, n'avait laissé aucun autre souvenir de sa présence
sur le champ de Waterloo, cette dévotion étrange paraîtrait moins déplacée.
Ceux qui ont voulu signaler leur admiration par ce singulier mausolée, auraient
mieux fait de s'en rapporter à la renommée que lord Anglesey s'est justement
acquise, pour conserver la mémoire d'un événement qui lui donna une occasion de
plus de faire briller son courage; et comme la jambe elle-même n'était pas la
partie de sa personne à laquelle ce seigneur dut les exploits qui le
distinguèrent dans cette journée, les honneurs rendus à ce lambeau pouvaient
sans doute être mieux appliqués.
Après avoir dîné à l'hôtel du roi d’Angleterre, nous
montâmes dans le coupé de la diligence de Namur, que nous avions retenu
d'avance. Nous passâmes par Quatre-Bras, où Blücher fut battu (page 97) le 17, la veille de la grande
bataille; et aussi par le village célèbre de Gennape. A environ deux lieues de
Namur, nos yeux furent réjouis par le premier paysage pittoresque que nous
ayons comtemplé depuis notre arrivée en Belgique
Une petite rivière brillante et sinueuse, un
majestueux rocher calcairé, s'élevant sur ses rives, et un vieux château à
L’aspect de Namur est superbe. La ville occupe le
centre d’un bassin au confluent de
En approchant de la ville on découvre, et la
cathédrale de Saint-Aubin, et l'église de Saint-Loup; mais les collines
agrestes qu'on aperçoit de tous côtés ne permettent pas à aucun édifice, sauf
l'imposante citadelle, de fixer les regards. Toutefois, même un examen plus
attentif ne donne pas une idée bien avantageuse de l'architecture de ces deux
monuments, et la ville n'est pas non plus très bien bâtie, ni ses rues très
remarquables par la propreté ou la bonne odeur. Nous avions vu trop récemment
de magnifiques églises, pour admirer celles de Namur. Saint-Loup est la plus
digne d'attention, à cause de son toit singulier orné de belles sculptures en
pIerre.
Namur avait cependant pour mon fils des attraits que
mon ignorance m'empêchait malheureusement de sentir. A son avis, la collection
(page 99) de M. Cauchy, pour lequel
M. Vandermeulen lui avait donné une lettre des plus parfaites que l’on puisse
voir en son genre: elle contient des specimen de tous les produits géologiques
de
Après avoir passé un jour à Namur, nous nous
embarquâmes sur un petit et sale paquebot, qui conduit de cette ville à Huy,
par
(page 100)
Tout voyageur, en ces quartiers, qui peut disposer d'un ou deux jours, ne peut
mieux les employer qu'en visitant la ville de Huy.
Les collines qui s'élèvent sur les deux rives sont
hardies et pittoresques, et sur l'une d'elles la citadelle d'Huy montre son
front massif, tantôt couronnant le rocher, d'autres fois laissant des corniches
rocailleuses s'intercaler dans les ouvrages de maçonnerie et contribuer à leur
force. Au-dessous de la citadelle, la cathédrale déploie, dans la direction du
nord-est, la noble étendue de ses ailes: cet édifice, un peu altéré par des
réparations réitérées, est encore imposant et vénérable; plus bas on découvre
le beau pont en pierres grises, avec ses sept arches gracieuses; enfin les yeux
rencontrent de tous côtes, soit une tour, soit un couvent, soit quelque vieille
et grotesque maison bourguignote, les uns et les autres colorés de ces
harmonieuses teintes rouges et ardoisées qui distinguent (page 101) généralement les dessins de Prout. Une des causes de cet
aspect si singulièrement pittoresque est que la petite ville de Huy, qui ne
contient pas plus de cinq mille âmes, possède seize églises ou monastères. Les
guides des voyageurs disent qu'aucune cité de la même dimension ne peut se
vanter d’un nombre égal d’édifices de ce genre, et qu’un nombre
d’ecclésiastiques proportionné y font leur résidence. Je demandais à un des
habitants avec lequel j’avais fait connaissance, si cela était vrai. « Ma
foi, oui, me répliqua-t-il, il n'y a rien à redire à cela, et le bon Dieu en
prend soin ; car tout le monde manquerait de main, que les prêtres ne
manqueraient de rien. »
Les deux rives de
Après avoir monté une colline sur la rive
occidentale du fleuve, nous découvrîmes un bâtiment (page 102) qui nous parut devoir être un couvent, au premier coup
d'œil jeté sur sa gothique chapelle, ses hautes murailles, son air de profonde
retraite. Nous en approchâmes avec empressement, et tirant une petite sonnette
placée à la porte extérieure, nous vîmes arriver une femme vêtue de noir, qui
vint demander ce que nous voulions. Elle n'avait pas tout-à-fait l'apparence
d'une religieuse, mais ce pouvait être une sœur converse: son linge était d'un
blanc éclatant, et ses cheveux entièrement cachés. Nous demandâmes la
permission de voir la maison, et la nonne supposée nous répondit très poliment:
« Entrez, s'il vous plaît, je vais voir si cela est possible. » Nous
avançâmes de quelques pas, et nous nous trouvâmes dans un cloître vénérable
dont le centre avait été converti en un joli parterre. Là nous attendîmes
quelques minutes, en nous félicitant mutuellement du bonheur que nous avions eu
de pénétrer dans un si saint asile.
La même femme en noir revint et nous invita à la
suivre à travers de longs passages voûtés, aussi retentissants que pouvait le
désirer notre goût romantique. Enfin, nous fûmes introduits (page 103) dans un salon ; mais,
hélas ! il n'y avait point de grille, et nous y fûmes reçus par une dame
que toute notre détermination à nous croire dans un couvent, ne put nous faire
prendre pour une religieuse. Elle nous accueillit cependant avec beaucoup de
civilité, nous dit que nous verrions assurément avec beaucoup de plaisir l’établissement,
nous montra quelques échantillons de broderies et de dessins, qui n’étaient
point sans mérite. Je me sentais un peu confuse de m’être ainsi
introduite ; et après avoir payé un juste tribut d'éloges aux élégants
travaux de pensionnaires, nous essayâmes de prendre congé. Mais la dame nous
pria si instamment de lui permettre de nous montrer sa maison, qu’il était
impossible de refuser ; et nous la suivîmes dans toutes les parties du
bâtiment qui avait été en effet, quelques années auparavant, un vaste et beau
couvent. Je m’arrêtai un moment, lorsqu’elle ouvrit la porte d’un long dortoir
garni d'un double rang de petits lits blancs, pour admirer leur extrême
propreté, et j’allais sortir de la galerie, honteuse de la peine inutile que je
donnais à cette dame, mais elle me prit par le bras et me (page 104) fit rentrer dans cette pièce, en disant: « Permettez-moi,
madame; messieurs, entrez s'il vous plaît, il faut voir tout. » Je craignis un
instant que, malgré toute sa politesse, elle ne songeât à punir, par quelque
petit châtiment, notre impertinente curiosité. Mais je lui faisais une grande
injustice: elle avait une intention bien différente; car lorsque nous fûmes a
l’extrémité de la longue galerie, elle ouvrit une porte battante, et dit d'un ton
qui semblait réclamer en même temps l'admiration et le respect, « Voilà notre
église! » Elle fit un signe de croix en prononçant ces mots, et se rangea
de côté comme pour examiner l'effet que la scène produirait sur nous.
Le coup d’œil était réellement frappant. La galerie
dans laquelle nous étions donnait sur une belle chapelle d'une grande
ancienneté. L'autel en face de nous était brillamment décoré et embelli, de
même que plusieurs petites châsses, par une profusion de fleurs fraîchement
cueillies. Le sol était presque entièrement pavé des pierres funéraires des
défuntes sœurs, variées çà et la par quelques dalles, dont les ornements (page 105) apparents indiquaient le lieu de repos d'une
abbesse. Je pensai que, si par hasard, quelqu'une des petites demoiselles qui
couchaient dans le dortoir qui ouvrait sur ces monuments de mort, était sujette
aux terreurs superstitieuses, elle se trouverait un peu agitée en pareil
voisinage. Mais, à l’exception de cette objection, tout à fait gratuite, le
pensionnat dans lequel nous nous étions introduits avec peu de cérémonie, me
sembla parfaitement propre à sa destination, offrant de plus le très rare
avantage de comprendre tous les frais d’éducation et de nourriture dans la
modique somme de quatre cents francs; et, comme le dit le prospectus : pas d'autre dépense sous quelque
dénomination que ce puisse être.
Après ce pèlerinage, nous revînmes à la ville et
obtînmes la permission de voir la citadelle. C’est une forteresse qui n’a
jamais été prise ; mais elle est, à vrai dire, de date récente, et le roi
de Hollande l’a fait bâtir, à ce qu’on nous a dit, sous la direction d’un
ingénieur anglais. Tous les ouvrages publics de ce monarque sont grandement
conçus et magnifiquement exécutés. Mille (page
106) ouvriers ont travaillé pendant huit ans à la citadelle de Huy. Je n'ai
pas eu assez d'occasions de comparer des édifices de ce genre les uns avec les
autres, pour parler du mérite de celui-ci; mais je ne vis jamais un ouvrage de
maçonnerie plus surprenant. Le roc vif s'est prêté aux dessins hardis de
l'architecte; et c'est par des excavations, autant que par des constructions,
qu'on a donné à cette forteresse des moyens de défense, qui la rendent presque
imprenable.
Sur l'un des porches massifs est gravée cette
inscription:
Etiam si
fractus illibatur orbis,
Impavidum
ferient ruinae.
La campagne de Huy à Liége, quoique belle à des yeux
qui n'avaient pas encore oublié les plaines de Flandre, l'était cependant
beaucoup moins que celle entre Huy et Namur. Je ne connais pas une ville dont
l'entrée soit moins engageante que celle de Liége. Tous les objets sont plus ou
moins enlaidis par la noire teinte du charbon. Mon fils éprouva cependant (page 107) beaucoup de joie, lorsqu’en
regardant par les portières il aperçut ces indices des mines de houille ;
et moi je ne sentis que la crainte d’être étouffée par la poussière de leurs
produits.
Nous vîmes en passant quelques maisons assez belles,
avec des jardins bien tenus ; mais les allées en étaient ptoprement
saupoudrées de petits charbons. Notre postillon fit claquer son fouet en
entrant dans la ville, et le craquement redoublé des charbons sous les roues
répondit à ce brui ; enfin tout le plaisir que je m’étais fait à l’avance
de voir un lieu si fameux dans l’histoire ne put m’empêcher de souhaiter
ardemment, à mesure que j’avançais dans la vieille cité, d’en sortir le plus
pormptement possible.
Cependant, le lendemain matin, mon imagination,
probablement rafraîchie par le sommeil, me fit oublier les désagréments
présents par les souvenirs des anciens temps. Je ne saurais dire quelle part de
cette effet devrait être attribuée à l’intérêt excité par les générations qui
nous ont précédé sur la scène du monde, et quelle part pouvait y réclamer
certain individu nommé Quentin Durward ; il est du moins certain (page 108) qu'il y avait à peine un coin
de la ville dans lequel des images liées à ce dernier ne vinssent s'offrir à
mon esprit. Je découvris avec un extrême délice, non seulement la place où
Gertrude Pavillon conduisit l'archer écossais à travers le jardin de son père,
au bateau qui l'attendait sur
A propos de cela, je m'amusai fort en feuilletant,
dans la boutique d'un libraire, une histoire moderne de la ville de Liége, d'y
trouver le passage suivant:
« C'est ici le lieu de faire un tableau de
l'état de
(page 109)
Le procédé de convertir l’histoire en roman est une délicieuse opération, dont
nous avons tous profité ; mais l’utilité de celui par lequel le roman est
reconstruit de nouveau en histoire, n’est pas encore bien reconnue.
L’église cathédrale, maintenant sous l’invocation de
saint Paul, et jadis dédiée à saint Lambert, à quelques belles peintures sur
verre, et son plafond est curieux par le style extraordinaire de ses ornements
coloriés.
Des ornements dans le même goût ont été admis dans
la cathédrale de Winchester, lorsqu’on a réparé une partie de ses plafonds, et
je me rappelle qu’on les a critiqués pour l’incongruité de leur style ;
mais leur ressemblance avec ceux de cette belle et ancienne église prouve
suffisamment leur convenance et le savoir du docte antiquaire qui les a
adoptés.
L’église de Saint-Martin déploie avantageusement sa
structure sur le flanc d'une colline par laquelle on monte à la citadelle.
L’intérieur, assez médiocre sous le rapport des ornements, est rempli d’une
profusion d’orangers, des myrtes et de lauriers-roses.
(page 110)
Une partie de sa décoration consiste en placards entourés de guirlandes de
fleurs, peintes en couleur, et d'autres enjolivements, et relatant une
multitude de miracles récents, chacun desquels est désigné par ce titre en
grandes lettres:
MIRACLE APPROUVÉ.
Sur l'un de ces placards, j'ai lu:
« Marie Cornélis ayant l'œil piqué et traversé
d'une épine recouvre la vue. »
Quand nous entrâmes dans cette église, cinq prêtres
étaient occupés à célébrer une messe devant une statue portative de
De là nous montâmes jusqu'au sommet du mont
Walburgis, et nous approchâmes, autant qu'il nous était permis de le faire, de
la citadelle. La rue pavée qui conduit à cette forteresse, le long du flanc de
la colline, est le chemin le plus escarpé que j'aie jamais parcouru; (page 111) mais la vue qu'on découvre de
la cime dédommage de la fatigue d'y monter.
Le Palais de Justice, anciennement palais épiscopal,
est vaste et beau; l'Hôtel-de-Ville, sur la place du Marché, et les trois
fontaines voisines, méritent aussi d’être vus ; mais l’air, chargé de sale
poussière noire, fait une espèce de supplice d’une promenade à pied dans la
ville, et ce fut avec un vif sentiment de plaisir que nous montâmes dans un
char-à-banc pour aller passer quelques hures à Chaudfontaine, où nous espérions
respirer une atmosphère pure et fraîche.
Je pense que ce lieu très remarquable est moins
connu des voyageurs anglais qu'il ne mérite de l’être, car je l'ai vu rarement
citer, excepté par les étrangers. Toutefois, la petite vallée dans laquelle les
bains, qui ont donné son nom à la place, sont établis, vaut à elle seule
infiniment plus que tant d'autres objets qui attirent chaque année des essaims
de nos compatriotes. Les bains, qui, d'après les renseignements que nous avons
eus, sont très fréquentés par les gens du pays, sont administrés par le
gouvernement, et tout y est parfaitement (page
112) confortable, élégant et même splendide. Jamais un bain ne m'a semblé
plus délicieux: la clarté exquise de l'eau, son agréable température naturelle
(26 degrés de Réaumur), et les belles proportions de la chambre de marbre dans
laquelle on descend pour se baigner, tout contribue à faire de Chaudfontaine la
perfection des places de bains. Je n'essaierai point de décrire les coteaux
boisés qui forment cette vallée enchanteresse, non plus que le brillant
ruisseau dont les petites vagues perlées se frayent un passage au milieu
d'elle; je dirai seulement: Ne passez point dans son voisinage sans la voir. La
distance de Liége à ce vallon est au plus de sept milles.
Il était réellement terrible de rentrer dans notre
hôtel après cette excursion, et ce fut avec un extrême plaisir que nous dîmes
adieu le lendemain matin à la ville charbonnée.
Aix-la-Chapelle était alors notre première station,
et nous devions passer la frontière de Prusse à mi-chemin de cette ville.
Avant de quitter
Il n'est pas aisé de se former une juste idée des
mœurs d'un pays pendant un séjour de quelques semaines, et en fréquentant les
seules sociétés accessibles aux étrangers bien recommandés, parmi lesquelles on
trouve la politesse, les bonnes manières, qui distinguent les gens bien élevés
dans toutes les parties de l'Europe, mais fort peu de ces petites
particularités qui constituent la physionomie nationale. Je pris donc quelque
peine, et non sans succès, pour jeter un coup d' œil derrière la scène, et ce
que j'ai pu observer ainsi m'a fait voir la plus grande conformité, sous le
rapport des habitudes et du caractère, entre la race présente et les portraits
que l'histoire a conservés de ses ancêtres.
On dirait que l'air et le sol étendent leur
influence jusque sur les tailleurs, les bonnetiers et les cordonniers, qui
reproduisent constamment les mêmes formes, emploient les mêmes couleurs,
travaillent sur les mêmes matériaux depuis un temps immémorial. L'ouvrier
lui-même, le robuste tisserand, bien vêtu, de (page 115) bonne mine, est encore ce qu'il était jadis; et l’on
reconnaît dans le paysan de Flandre, qui porte sur ses traits l'empreinte
nationale plus fortement marquée qu'on ne la trouve chez aucun peuple, le
modèle des personnages rendus avec tant de vérité dans les admirables tableaux
de l'école flamande.
Ce que j’ai vu des mœurs du peuple flamand a suffi
pour me prouver qu'il est laborieux, propre, gai et bon; et si la bière et le
tabac constituent une plus grande partie de son bonheur qu’il ne serait
désirable, n'oublions pas qu'il vaut mieux fumer que mâcher une plante
dégoûtante, et que l’orge peut être pris sous une forme plus pernicieuse que
celle de la bière.
Il était moins facile d'observer les classes
immédiatement au-dessus des artisans et des laboureurs; mais en m'abstenant de
nommer le lieu, je risquerai d'insérer ici la traduction d’une esquisse prise
par une jeune Française, fort spirituelle, dans une ville du second ordre
qu'elle avait habitée plusieurs années. Je ne puis répondre de la parfaite
exactitude du tableau en général; mais il est des traits qui sautent aux yeux, (page
116) et dont je puis certifier la
ressemblance frappante.
Journal
d’une Dame de province belge
Elle se lève ordinairement à sept heures, pourvu que
les enfants, qui couchent tous dans sa chambre, lui aient permis de reposer
aussi tard. Sa toilette n'est pas longue; un jupon noir étant la seule addition
qu'elle fait au bonnet et à la camisole de cotonnade brune qu'elle porte dans
son lit. Dans cet équipage, un enfant sur les bras, et suivie d'une
demi-douzaine d'autres, elle descend déjeuner: ce repas est pris dans la
cuisine, et ne dure que quelques moments, au milieu des cris et des disputes de
la marmaille pour les tartines de beurre et les tasses de café.
Ce tumulte apaisé, la dame commence la toilette de
sa petite famille, opération qu'elle accomplit toujours avec beaucoup de soin
et de propreté, et les enfants sont envoyés à l’école.
Une revue générale de la maison vient ensuite; et
malheur aux domestiques si quelque (page
117) bout de chandelle de la veille a brûlé trop longtemps, si un seul
grain de poussière paraît sur les meubles, ou s'il se trouve une tasse ou une
assiette cassée; car des crimes semblables deviennent souvent le sujet des
reproches les plus véhéments.
Enfin on entend sonner la messe, et un habit du
matin, assez peu élégant, succède au premier costume ; une mante noire à
capuchon recouvre le tout; et la dame, un panier au bras, s'achemine vers
l'église, et de là au marché et à d’autres affaires de ménage.
Cette période, la plus heureuse de sa journée, se
prolonge jusqu'au dîner. Pendant ses courses diverses, elle rencontre des
femmes de sa connaissance, et de petits commérages innocents se passent entre
elles. C'est alors qu'elle apprend que madame une telle a donné beaucoup plus
qu'il ne fallait pour un turbot, et qu'elle doit être, par conséquent, une très
mauvaise ménagère; tandis qu'au contraire madame telle autre est si minutieuse,
si tracassière, qu'elle a marchandé plus d'une demi-heure des petits pois.
Madame A... veut renvoyer sa bonne; madame (page 118) B.... a un enfant malade; et le curé a fait une visite de
plus d'une heure à mademoiselle C.....
Midi sonne, et le dîner rappelle tout le monde au
logis. On ramène les enfants de l'école, le tapage et les querelles
recommencent; et les petits vauriens font de leur mieux pour rendre ce repas
aussi fatigant que le déjeuner. Cependant le dîner est servi dans une belle
pièce ornée de glaces, de tapis, etc.; mais on n'y voit pas une seule de ces
petites inventions qui constituent l’élégance et la commodité d'un appartement.
Là tout est beau et décent, mais tout est massif et triste. On voit que les habitants
de cette demeure connaissent les besoins de la vie animale, et bien peu de
chose au-delà. Le repas est bon et abondant, la conversation nulle.
Le dîner fini, et le dessert distribué entre les
enfants, la paix est une seconde fois rétablie par leur départ pour l'école.
La dame se met alors à sa fenêtre, avec son ouvrage,
qu'elle continue sans interruption jusqu'à l'heure des vêpres, après lesquelles
elle donne à souper aux enfants et les met au lit; ensuite elle se déshabille,
met ses papillotes, fait (page 119)
sa prière, et en attendant le retour de son mari, elle s'amuse quelques
instants dans la cuisine, à babiller avec les servantes. Un mari de bonne
conduite ne rentre jamais plus tard que neuf heures ; dès qu'il paraît on sert
un souper solide, et à dix heures toute la maison est plongée dans un profond
repos.
Cette vie, a peu d'exceptions près, est celle de
toutes les dames de ....
Si leur esprit n'acquiert pas un grand développement
par cette façon de vivre, leur embonpoint et leur fraîcheur prouvent du moins
qu'elle convient à merveille à leur santé. Que peuvent-elles désirer de plus?
Un Flamand se marie pour avoir une ménagère qui ne le vole pas, son dîner
ponctuellement servi, ses enfants proprement tenus, et ses bas raccommodés;
c'est là tout ce qu'il demande; et s'il l'obtient, il est parfaitement content.
Le mari et la femme sont heureux. Que faut-il de plus? Rien; excepté de ne pas
être obligé d'être témoin d'un bonheur aussi insipide.
Les campagnes de
A ces attraits pittoresques, il faut ajouter
l'admirable fertilité de la terre, dans les cantons de grande culture. Quand
L'Angleterre a de beaux champs de blé, ses prairies
sont abondantes et riches; mais en Flandre les produits ruraux viennent à
profusion, et les épis, comme je l'ai déjà remarqué, forment une masse solide.
Bref
(page 121)
Si ses législateurs actuels se conformaient aussi parfaitement aux dispositions
morales de ses habitants, que son climat et son sol conviennent aux trésors
variés de ses champs, ce pays pourrait voir la paix lui sourire aussi longtemps
que l'abondance; mais le désir frénétique d'obtenir toujours de plus grands
changements, qui possède la plupart des conducteurs des affaires publiques, ne
promet rien moins qu'une permanente tranquillité.
Il existe en Belgique quelques esprits turbulents
qui voudraient amener les innovations politiques, non seulement par le procédé
ordinaire qui consiste à renverser les autorités constituées, mais encore en
ressuscitant une puissance depuis longtemps endormie en ce pays, et que l'on
peut regarder comme à jamais éteinte chez la plupart des autres peuples. Dans
plus d'une ville flamande on déplore ouvertement la destruction ou plutôt la
dispersion des Jésuites; et si je suis bien informée, des efforts ont été
tentés pour organiser de nouveaux ordres monastiques propres à augmenter
l'influence du clergé. Souvent, dans la société, j'ai entendu affirmer que si le
roi Guillaume eût (page 122) été
catholique, ou seulement protestant moins fanatique (je cite les propres
expressions),