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D'après le traité, les
ratifications devaient être échangées à Londres, le 31 mai
Le prince n'ignorait pas que sa
conduite à l'égard du gouvernement belge avait été jugée sévèrement en France
et en Angleterre et qu'à Berlin même on regrettait la promptitude - on disait
la légèreté - avec laquelle le chancelier avait pris une mesure aussi grave;
mais, malgré ces critiques, peut-être à cause d'elles, il se croyait engagé
d'honneur à maintenir toutes ses prétentions et à obtenir, par la démission du
général, une sorte de justification de sa conduite. A ce sentiment de vanité
assez puéril, s'ajoutait encore chez le chancelier la rancune contre un homme
qui lui avait donné un démenti public et le secret désir de compromettre
l'influence du premier inspirateur de l'affaire, le comte de Montalembert.
Metternich, en effet, quelques années auparavant, avait refusé de laisser
entrer en Autriche le jeune pair de France et il pensait découvrir (page 351)
une vengeance personnelle dans le projet conçu et réalisé par lui de placer
Skrynecki à la tête de l'armée belge. Cependant, après les déclarations si
formelles faites à Londres par le gouvernement belge, il était difficile
d'attribuer encore à la nomination de ce général une intention malveillante et
Metternich le comprit (Note de
bas de page : Déjà au mois de mars, M. de Senfft et de Bülow avaient avoué
qu'il n'était plus possible de voir dans la nomination de Skrynecki une offense
à la cour d'Autriche. Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 21 mars
1839). Aussi, abandonnant ce premier grief, prétendit-il ne plus voir
dans l'affaire une question belge, mais une question polonaise (De Lannoy, op. cit.).
2. Retour du baron
O'Sullivan à Vienne. Le chancelier exige l'expulsion du général polonais de
l'armée belge. Impossibilité légale de lui donner satisfaction. Note à ce sujet
du baron O'Sullivan.
Au commencement d'avril, alors que se
déroulaient à Londres les dernières phases des négociations de
L'accueil fut très amical. Le chancelier engagea son interlocuteur à mettre toute diplomatie de côté et à lui parler comme devaient le faire deux personnes qui se connaissaient, s'estimaient et avaient confiance l'une dans l'autre. Notre représentant profita de cette aménité pour exposer tous les détails de l'affaire: la position du général en Belgique, l'inutilité des démarches faites près de lui par voie indirecte pour l'amener à renoncer volontairement à sa position dans l'armée belge, et l'impossibilité légale où se trouvait le cabinet de Bruxelles de satisfaire aux exigences de l'Autriche en démissionnant d’office ou en révoquant Skrynecki. Il ajouta qu'on avait cru celui-ci libre d'accepter du service à l'étranger et il offrit de déclarer par écrit que le gouvernement du roi Léopold n'aurait fait aucune proposition au général, s'il avait eu connaissance d'un engagement pris par lui envers le gouvernement autrichien ou pris à son sujet par ce gouvernement.
M. de Metternich répondit au baron
O'Sullivan que ni ces assurances, ni la signature du traité de Londres ne
suffiraient pour le rétablissement des relations internationales du roi Léopold
avec les trois cours décidées à rester unies en cette circonstance; que le
cabinet de Bruxelles ne devait pas voir dans cette « détermination » positive
une marque de malveillance ni d'hostilité envers
« Ne croyez pas, ajouta le
chancelier, que. si nous. persistons sur ce point, ce soit par animosité contre
Le baron O'Sullivan combattit ces
raisons. Il fit observer au prince que c'était se servir de
Dès le 10, le baron O'Sullivan de
Grass remit au prince de Metternich la note que celui-ci avait demandée. Des
copies en furent immédiatement expédiées par le gouvernement autrichien à
Berlin à Saint-Pétersbourg (Lettre
du baron O'Sullivan de Grass au chevalier de Theux, 28 avril 1839). Elle
ne produisit aucun effet sur les dispositions (page 353) du chancelier. Il se
borna à dire au ministre belge, lorsqu'il le revit, qu'elle ne changerait rien
à l'affaire, que la question de l'uniforme resterait pleine et entière malgré
l'impuissance légale de
3. Vaine intervention des
ministres de France, d'Angleterre et du duc de Saxe-Cobourg. Menace de
Le représentant du roi Léopold nourrissait la conviction qu'il n'obtiendrait rien si son action restait isolée, aussi s'appliqua-t-il à obtenir l'intervention d'autres diplomates. Les ambassadeurs de France et d'Angleterre se trouvaient sans instructions de leurs cours.
Ils consentirent cependant à parler
au prince de Metternich de la reprise des relations de l'Autriche avec
L'action conciliatrice d'Ernest de
Saxe-Cobourg obtint le même résultat. Le prince ne fit pas au duc d'autre
réponse que celle adressée aux diplomates français et anglais ((Lettre du baron O'Sullivan de Grass
au chevalier de Theux, 28 avril 1839).
Convaincu que la cour de Berlin,
très intéressée à reprendre avec nous les rapports diplomatiques, pourrait
utilement peser sur les dispositions de celle de Vienne, le baron O'Sullivan
alla sonder les dispositions du comte de Maltzan, qui
représentait en Autriche le roi Frédéric-Guillaume. « J'allai le voir, écrit,
le 28 avril, le baron O'Sullivan, et je lui parlai avec une entière franchise.
Il me répondit de manière à confirmer toutes mes opinions sur les mobiles de la
conduite et de la persistance du chancelier autrichien. Il me dit que le
gouvernement prussien désirait vivement renouer avec nous, mais qu'il ne le
pourrait pas isolément, et il m'assura que, comprenant la difficulté de notre
situation, il ne ferait rien pour entraver le succès de mes tentatives. Il
parut trouver comme moi que l'initiative de la cour de Prusse près de celle
d'Autriche pourrait être la seule voie efficace, et je ne doute pas qu'il ne
rende compte à Berlin de notre conversation. » L'annonce que
(page 354) Le chancelier nia toute
espèce d'engagement ou de promesse contraire de la part des agents autrichiens
à Londres et prétendit que la menace de
Le ministre de Prusse, moins
conciliant, sans doute d'après des instructions nouvelles reçues de Berlin,
qu'il ne l’avait été dans conversations avec le baron O'Sullivan de Grass,
parla dans le même sens à Sir Frédéric Lamb (Lettres du baron O'Sullivan de Grass au chevalier de Theux,
des 29 avril et 1er mai 1839).
4. Intervention de lord
Palmerston. Action de
Le chevalier de Theux avait
communiqué à M. van de Weyer les rapports du ministre belge à Vienne et le
représentant à Londres du roi Léopold s'était empressé de donner à lord
Palmerston connaissance de ces documents. L'attitude des cours de Vienne et de
Berlin ne pouvait que provoquer un vif mécontentement chez le ministre
britannique, Celui-ci s'était en quelque sorte porté garant que la déclaration
demandée à M. van de Weyer constituerait une satisfaction suffisante pour MM.
de Metternich et de Werther, et c'était sur ses conseils ainsi que sur ses
assurances que le plénipotentiaire belge avait consenti à apposer sa signature
aux traités du 19 avril. Le refus des ministres autrichien et prussien
d'adhérer aux paroles conciliantes de leurs représentants à
(page 355) Le président .de
D'autre part, le ministre
britannique abordait la question avec les plénipotentiaires d'Autriche et de
Prusse. Il leur déclarait que si, après la signature du traité, les relations
diplomatiques n'étaient pas reprises par leurs cours avec
En même temps,
(page 356) Le 3 mai, lord Bauvale remit la lettre de lord Palmerston au chancelier
et, le même jour, le comte de Saint-Aulaire
représenta à ce dernier les graves complications que trop d'exigences
pourraient entraîner, en ajoutant que tout ministère entrant au pouvoir en
France ne pourrait que soutenir
5. Metternich demande une
démarche directe et officielle du roi Léopold et du gouvernement belge près de
l'empereur et de son gouvernement. M. de Theux y consent mais refuse de prendre
aucun engagement pour l'emploi dans l'avenir du général Skrynecki.
A la suite de cette triple
démarche, M. de Metternich cessa de se cantonner dans son intransigeance. Au
fond, il n'était peut-être pas mécontent de la pression exercée ainsi sur lui,
parce qu'il pouvait l'invoquer vis-à-vis de
Sa conversation avec lord Bauvale fut fort animée, mais il laissa percer des dispositions à la conciliation en se montrant prêt à céder sur la question de l'uniforme. Il fit entendre qu'il se contenterait d'une déclaration adressée directement au gouvernement autrichien par le gouvernement belge.
A la demande du prince-lui-même, le baron O'Sullivan de Grass qui, depuis quelque temps, avait cru bon d'interrompre ses relations avec lui, alla le trouver, le 6 mai, pour l'entretenir de la déclaration qu'il souhaitait. .
La conversation dura pendant deux heures. Après ces longs pourparlers, le chancelier déclara indispensable que le gouvernement belge fit une démarche directe et officielle près du gouvernement autrichien; que cette démarche fût faite par lettre ministérielle, c'est-à-dire par une missive du chevalier de Theux adressée au prince de Metternich. Elle ne serait pas publiée in extenso, mais l'Observateur autrichien insérerait un article annonçant la reprise des rapports diplomatiques en en donnant les motifs. Ceux-ci résumeraient la lettre ministérielle. M. de Metternich considérait aussi qu'il y aurait beaucoup de convenance à ce que le roi Léopold adressât à l'empereur une lettre autographe qui resterait confidentielle et dont aucune partie ne serait exposée à la moindre publicité.
Il aurait voulu que M. de Theux prît, au nom du gouvernement belge, l'engagement qu'un emploi actif ne serait jamais (page 357) donné au général Skrynecki; il prétendait qu'une assurance confidentielle et verbale ne pouvait avoir un caractère satisfactoire. Le baron O'Sullivan combattit vivement cette exigence. Il en fit ressortir l'incompatibilité avec les lois belges et avec la dignité d'un État indépendant. Il s'efforça de faire comprendre au chancelier que ce qu'il désirait pourrait peut-être être présenté, non sous la forme d'une promesse, mais sous celle d'une déduction, vu le changement des circonstances sous l'empire desquelles la pensée d'emploi avait été conçue. Le prince, tout en insistant, convint de la difficulté, mais il trouvait que la déduction lierait l'affaire du général polonais à la signature des traités, ce qu'il ne voulait pas admettre, les deux questions étant, à ses yeux, parfaitement distinctes. Le baron O'Sullivan lui dit alors que, sans parler des traités, on pourrait s'appuyer sur la neutralité perpétuelle. Le prince souleva encore des objections, mais le baron O'Sullivan, lui posant la question d'une manière positive, put se convaincre que des nuances de style ne seraient pas un obstacle à l'aplanissement de l'affaire. « Si notre gouvernement, écrivait le diplomate à M. de Theux, dans son rapport du 6 mai, se refusait à faire par écrit une allusion au non emploi futur du général, il m’a paru que votre lettre, Monsieur le chevalier, serait cependant prise en considération: que peut-être elle suffirait; mais le prince n'a pas voulu s'engager positivement sur ce point, et, sans m'ôter tout espoir, il ne m'a pas donné de garantie par ses paroles. »
Il fut convenu aussi que le prince répondrait à la missive de M.de Theux en lui annonçant la reprise des relations diplomatiques et que l'empereur écrirait au roi d'une manière aussi amicale qu'on pouvait le désirer.
Enfin, M. de Metternich souhaitait aussi l'envoi d'une lettre ministérielle à M. de Werther; mais elle pouvait ne contenir que des assurances courtoises, l'expression de l'espoir que les explications données le même jour au prince de Metternich paraîtraient au gouvernement impérial et royal de nature à le satisfaire, une analyse de ces explications et le vœu que le cabinet de Berlin ne tardât pas plus que celui de Vienne à renouer les rapports diplomatiques.
Le prince répéta à nouveau à M. O'Sullivan qu'il n'avait jamais vu dans l'affaire Skrynecki une affaire belge, mais une question polonaise dont les sujets du roi Léopold étaient victimes; qu'il n'avait pas voulu leur être hostile, « qu’il était Belge » et qu'il n'avait fait que poursuivre un parti ennemi de la paix de l'Europe.
Le baron O'Sullivan, en faisant
rapport de cette importante entrevue, engageait vivement M. de Theux à entrer
dans (page 358) la voie qu'on lui ouvrait à Vienne. « Nous avons tout à
gagner, disait-il, à satisfaire, autant que possible, le chancelier autrichien
lorsqu'il se montre conciliant et amical. » Le diplomate conseillait aussi au
ministre de ne pas s'appliquer à rédiger une lettre trop brève. « On ne
doit jamais, écrivait-il, craindre d'être trop long en écrivant à des
Allemands. Ils trouvent qu'il y a beaucoup plus de choses dans beaucoup de
paroles » (Lettre du baron
O'Sullivan de Grass au chevalier de Theux, 6 mai 1839).
Si le chevalier de Theux possédait
un caractère ferme et droit, il n'était cependant pas intransigeant et savait
se résoudre à des concessions lorsque, sans mettre en péril l'honneur du pays
dont il dirigeait le gouvernement, il les jugeait utiles à ses intérêts. Il
consentit donc à faire les démarches demandées par M. de Metternich. Il ne lui
en coûtait d'ailleurs pas de répéter à Vienne la déclaration qu'il avait
autorisé M. van de Weyer à faire à Londres. La lettre qu'il adressa au
chancelier reproduisait presque textuellement cette déclaration. Elle rappelait
que la nomination du général Skrynecki n'avait pas été considérée à Bruxelles
comme pouvant troubler la bonne intelligence qui existait entre
6. Lettre de Léopold ler à l'empereur et du chevalier de Theux au prince de
Metternich. Objection de ce dernier
Cette missive était accompagnée
d'une lettre autographe du Roi pour l'empereur d'Autriche. Léopold 1er y
affirmait que l'appel au général Skrynecki avait été fait dans des vues
exclusivement (page 359) militaires qui ne se liaient en rien à la situation de
L'envoi de ces lettres constituait
pour le chevalier de Theux le maximum des concessions à obtenir de
Le jour où M. de Theux envoyait à Vienne sa lettre au prince de Metternich, ainsi que celle du roi à l'empereur, il transmettait à Londres une copie de ces documents, en même temps qu'un résumé des rapports du baron O'Sullivan (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer. 14 mai 1839). Lorsque lord Palmerston eut pris connaissance de ces documents, il écrivit de nouveau à Vienne et à Berlin, de la manière « la plus forte et la plus pressante. »
« Il eut été impossible, disait,
le 18 mai, M. van de Weyer, dans un rapport adressé au chevalier de Theux, de
rédiger des dépêches plus complètes et plus satisfaisantes. Sa Seigneurie y
laisse de nouveau entrevoir que la prolongation de l'état actuel des choses
pourrait amener le refus de la part du roi des Belges de ratifier les traités
signés le 19 avril. Le cabinet de Saint-James, plein de confiance dans la
sagesse du gouvernement autrichien, exprime la conviction que l'on évitera ce
danger et que l'on ne donnera. point un si fâcheux résultat à une négociation
qui a duré plus de huit années, et dont la suspension a mis plus d'une fois la
paix de l'Europe en danger. Sa Seigneurie rappelle au prince de Metternich les
principes qui s'opposent à ce que
7. Le baron O'Sullivan
communique les instructions du chevalier de Theux. Article à publier dans
l'Observateur autrichien. Réponse du chancelier au chevalier de Theux. Hâte du
Baron O'Sullivan d'arriver à la conclusion de l'incident. Sentiment contraire
de Metternich
Lorsque la dépêche de lord
Palmerston parvint à Vienne, le prince de Metternich avait déjà reçu communication
des missives du roi Léopold et du chevalier de Theux. Dès le 22 mai, le baron
O'Sullivan pouvait mander au ministre des Affaires étrangères et de l'Intérieur
(page 360) que le chancelier se montrait satisfait de la lettre à son adresse,
cette satisfaction ne s'étant cependant manifestée immédiatement et
spontanément. Au contraire, après avoir lu ce que lui écrivait M. de Theux, le
prince avait marqué un vif déplaisir de n'y trouver aucune promesse de
non-emploi actif du général. Le diplomate belge lui répondit que le désir de
renouer les relations avec l'Autriche et la déclaration que l'appel de
Skrynecki n'eut pas eu lieu si l'on eût pu penser que cet appel devait
provoquer une rupture, constituaient des garanties que le général ne recevrait
pas d'emploi d'activité. M. de Metternich répondit au baron O'Sullivan qu'il
connaissait bien sa pensée à lui sur cette question, mais qu'il ne voyait écrit
nulle part que c'était aussi la pensée du gouvernement belge. En réalité, le
ministre du roi Léopold à Vienne n'avait fait que répéter, en répondant au
chancelier, textuellement ce que lui avait écrit M. de Theux dans une dépêche
particulière accompagnant l'envoi des lettres à l'empereur et au prince de
Metternich. Il tira cette dépêche de sa poche et donna lecture du passage qui
concernait le non emploi du général, ainsi que d'un autre dans lequel M. dé
Theux disait que Skrynecki ne pourrait se plaindre de sa position de
disponibilité, aucune autre ne lui avait été promise et il ne pouvait vouloir
que
Le prince demanda au baron O'Sullivan de lui laisser la lettre pour qu'il la montrât au conseil intime de l'empereur, promettant de n'en pas faire d'autre usage. Il ajouta que s'il ne pouvait établir par écrit, devant la conférence impériale, ce que jusque-là il n'avait fait qu'entendre, il lui était impossible de répondre d'une heureuse issue. Le ministre de Belgique refusa de lui laisser cette lettre, dont la fin d'ailleurs ne pouvait lui être lue (M. de Theux y recommandait au baron O'Sullivan de veiller sur la rédaction de l'article à insérer dans l'Observateur autrichien et lui prescrivait de ne pas remettre les lettres si la démarche qu'elles réalisaient était considérée comme un premier acte de condescendance et non comme la mesure entière des concessions belges). Mais, pensant que lorsque des intérêts aussi grands que ceux qu'il avait à défendre étaient en jeu, il pouvait prendre une initiative, il promit au prince de faire entrer les deux paragraphes dont il venait de lui donner lecture dans le corps d'une lettre confidentielle qu'il lui adresserait.
La concession, un peu excessive, du baron O'Sullivan amena le (page 361) gouvernement autrichien à se contenter de la missive de M. de Theux. Mais il feignit de considérer celle du ministre de Belgique comme constituant une promesse qui liait le cabinet de Bruxelles. Dans la résolution de la conférence impériale dont il fut donné lecture au baron O'Sullivan, il était dit que l'empereur acceptait comme un engagement solennel l'explication de la lettre officielle telle qu'elle était contenue dans la pièce confidentielle signée par le représentant à Vienne du roi Léopold. Cette rédaction constituait une violation de la promesse faite par M. de Metternich de ne pas faire d'autre usage de la dépêche confidentielle de M. de Theux que de la montrer au conseil de l'empereur. D'ailleurs, tout en laissant entendre que les circonstances rendaient improbable le changement de la situation de non-activité que le général Skrynecki possédait dans l'armée belge, le baron O'Sullivan avait eu soin de dire qu'on ne pouvait promettre formellement son non-emploi dans l'avenir, en ajoutant seulement que le gouvernement belge n'avait pas plus le désir que l'occasion d'appeler le général au service actif (Lettre du baron O'Sullivan de Grass au chevalier de Theux, 27 mai 1839).
Le chancelier soumit le texte de
l'article à insérer dans l'Observateur autrichien au baron O'Sullivan. Celui-ci
y demanda quelques changements qu'il obtint, puis déclara au prince que, ne
trouvant plus rien dans ce projet qui fût contraire au texte et à l'esprit des
communications faites officiellement par
« Vienne, le 27 mai 1839.
« Monsieur le chevalier,
« M. le baron O'Sullivan m'a remis la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser en date du 14 de ce mois, et il a ajouté, à l'appui de son contenu, toutes les explications ultérieures dont Votre Excellence l'avait chargé pour moi.
« Ayant placé sous les yeux de l'Empereur, mon Auguste Maître, l'ensemble de ces ouvertures, j'ai reçu de Sa Majesté l'ordre d'y faire la réponse suivante:
« Avant tout, Sa Majesté veut
que j'aie l'honneur de vous prévenir, Monsieur le chevalier, que Sa Majesté le
roi de Prusse ayant bien voulu s'unir à Elle dans les mesures qui ont été la
conséquence de l'appel du général Skrynecki au service belge, ce n'est que de
concert avec Sa dite Majesté que l'Empereur peut apporter maintenant un
changement à la position prise par l'Autriche vis-à-vis de
« Ceci formé, l'empereur m'a
ordonné d'informer Votre Excellence qu'eu égard aux explications fournies et
aux engagements (En marge d'une
copie de cette lettre, le chevalier de Theux avait écrit: « Quels sont-ils? On
ne pourra jamais en produire puisqu'il n'en a été pris aucun. Cette phrase est
donc sans valeur ») pris par le gouvernement belge, Sa Majesté est
disposée à faire reprendre les relations diplomatiques entre les deux cours.
Comme cet acte cependant doit être précédé par l'insertion d'un article
officiel dans nos feuilles faisant suite à celui par lequel nous avons annoncé
au public la rupture de nos relations avec
« L'empereur, c'est ainsi que
s'énoncerait
« Quoique je n'aie pas lieu de croire que le gouvernement belge puisse trouver à redire à ces termes, conformes d'ailleurs en tous points à ses propres explications, je n'ai pas voulu, néanmoins, les rendre publics avant de les avoir portés préalablement à votre connaissance, Monsieur le chevalier, et reçu de vous l'assurance que leur publication n'occasionnerait aucune réclamation de la part de votre cour.
« Dès qu'une réponse à ce sujet m'aura été donnée par Votre Excellence, rien ne s'opposera, je me flatte, à la reprise des relations que la cour d'Autriche a sincèrement regretté d'avoir été mise dans le cas de rompre.
« J'ai l'honneur d'être, avec une très haute considération, Monsieur le chevalier, de Votre Excellence, le très humble et le très obéissant serviteur.
« (s.) Metternich. » (Note de bas de page : En
envoyant au chevalier de Theux la lettre du prince de Metternich, le baron
O'Sullivan de Grass accompagnait cette missive de diverses
considérations :
« Le comte de Maltzan,
écrivait-il, m'a prêté son appui pour faire agréer au prince la dernière partie
du projet de rédaction. Il eut été impossible de ne pas laisser mettre dans
l'article quelque chose de relatif à l'avenir. Vous remarquerez, M. le chevalier,
qu'il y a un artifice dans la rédaction. Au commencement, c'est le roi, notre
Auguste Souverain, qui est censé parler, et plus bas, c'est l'auteur qui
considère et qui déduit les conséquences, ce qui ne nous compromet pas. J'ai eu
beaucoup à lutter même sur des mots en apparence insignifiants, mais qui
contrariaient la nuance que je voulais établir. Ma copie est faite sur une
minute de la main du baron de Werner, de son écriture, et que je garde entre
les mains. Aucun mot ne peut donc plus être modifié. Les garanties pour
l'avenir, dont il est question à la fin de l'article, se rapportent aux
conséquences de la neutralité perpétuelle et n'impliquent pas l'existence d'une
promesse. Lord Bauvale et le comte de Saint-Aulaire ont entièrement approuvé la rédaction
convenue. J'aurais voulu qu'on la publiât sans attendre une approbation de
Bruxelles, mais cela m'a été impossible, et j'attribue cette insistance du
prince de Metternich au désir de ne pas annoncer la reprise des rapports avant
que les ratifications aient été échangées. C'est une question d'amour-propre.
Nous remédierons à l'effet de ce retard en annonçant semi-officiellement que
ces difficultés sont aplanies. Il me paraîtrait très désirable, M. le
chevalier, si nous approuvons le projet de rédaction, de ne pas publier le
texte de notre lettre officielle. Cela ressemblerait à une réfutation. Quant au
projet d'article en lui-même, je ne sais en vérité comment je pourrais
actuellement parvenir à y faire modifier quelque chose; c'est après les plus longs
efforts que j'ai obtenu que l'on se contentât de cette déclaration. J'ai
toujours représenté la communication préalable que l'on nous faisait comme une
attention à laquelle nous ne pouvions qu’être sensibles, mais qui était
superflue. Ce sera à votre sagacité à décider, M. le chevalier, s'il convient
que votre réponse soit adressée au chancelier ou à moi. Il me semble qu'une
lettre à moi suffirait, à condition que je puisse la communiquer et, au besoin,
la laisser en copie. Entre une approbation et une absence d'objections, il y a
une nuance qui peut mettre tout à fait le gouvernement à couvert. Le comte de Maltzan a été on ne peut plus conciliant et je savais que
son gouvernement désirait vivement en finir. Le comte de Saint-Aulaire
a reçu du maréchal Soult des remerciements pour l'appui qu'il m'avait prêté, et
qu'il était invité à me continuer. »)
(page 364) Le baron O'Sullivan
consacra tous ses soins à ce que la réconciliation entre Bruxelles et Vienne
fût accomplie, malgré les efforts du prince de Metternich, avant qu'échût la
date fixée pour l'échange des ratifications. Il demanda à lord Bauvale une lettre pour lord Russel, ministre britannique à
Berlin, lettre engageant ce dernier à demander au baron de Werther si le
cabinet prussien adhérait à la détermination du cabinet autrichien. Le baron
O'Sullivan espérait que lord W. Russel obtiendrait une réponse avant même que
la notification officielle de la décision prise, notification que le prince de
Metternich était justement soupçonné de ne pas devoir mettre un bien grand
empressement à expédier à Berlin, ne fût arrivée dans cette dernière ville. Le
vicomte Vilain XIIII, attaché à
Le succès couronna ces démarches. Dès le 31 mai, le vicomte Vilain XIIII pouvait écrire de Berlin que le baron de Werther avait promis à lord .W. Russel l'adhésion du cabinet prussien à ce qui s'était fait à Vienne. En Prusse, on considérait la question comme résolue.
8. Échange des ratifications
du traité du 19 avril
(page 365) Le chevalier de Theux
reçut, le 3 juin, la lettre du prince de Metternich. L'assentiment du
gouvernement prussien aux décisions prises à Vienne étant certain, la
réconciliation de
La menace de M. de Theux de ne pas ràtifier le traité du 19 avril si les relations
diplomatiques de
Cette déclaration n'avait sans
doute pas été faite officiellement, mais la lettre du chancelier au chevalier de
Theux et le ralliement du gouvernement prussien à la décision autrichienne
donnaient à
Si M. de Theux était un esprit
ferme, il n'était pas intransigeant. L'Autriche et
Cet échange se fit le 8 juin (On trouvera le texte du protocole du
8 juin et le texte des ratifications à la page 665 du tome II de l'Histoire
parlementaire du traité de Paix du 19 avril 1839).
9. Vaine tentative de M. de
Theux de faire modifier l'article à insérer dans l'Observateur
L'incident provoqué par l'affaire
Skrynecki n'était cependant pas encore complètement terminé. L'article proposé
par le prince de Metternich et accepté par le baron O'Sullivan avait été conç:u assez habilement pour que rien de ce qui y était
contenu ne constituât, en fait, un sacrifice des droits d'Etat indépendant que
possédait
Beaucoup d'esprits, peu habitués au
style diplomatique, ne sauraient pas distinguer ce qui, dans la prose du
chancelier, constituait une déclaration du gouvernement belge, et ce qui était
une déduction ou une affirmation du gouvernement autrichien. Chez divers
lecteurs, l'article de l'Observateur autrichien devait produire l'impression
que
Quelque infondée et en
contradiction avec les faits et les documents que dût être cette impression, M.
de Theux ne se dissimulait sans doute pas qu'elle se produirait. A une
intelligence aussi soucieuse que la sienne d'une rigoureuse exactitude, il
devait répugner de laisser s'accréditer dans le public semblable opinion.
Aussi, tout en chargeant le baron O'Sullivan de remettre à son destinataire une
lettre dans laquelle il faisait savoir au prince de Metternich que le projet de
publication ne provoquait aucune réclamation de la part du gouvernement belge (Lettre du chevalier de Theux au
prince de Metternich, 8 juin 1839), demanda-t-il au représentant du roi
Léopold à Vienne de faire des démarches pour que l'article à publier se bornât
à exprimer en quelques mots la satisfaction éprouvée par l'Empereur en recevant
les explications envoyées de Bruxelles et n'entrât pas dans les détails à leur
sujet (3, Lettre du chevalier
de Theux au baron O'Sullivan de Grass, 8 juin 1839).
Mais le prince se refusa à tenir
compte de ce désir. Il avait surtout à cœur de publier des considérations sur
l'avenir et de faire connaître au public les explications données, parce
qu'elles constituaient les motifs déterminants de la reprise des négociations
diplomatiques (Lettres du baron
O'Sullivan de Grass au chevalier de Theux, 19 et 26 juin 1839) (Note de bas de
page : Le 30 juin, le baron O’Sullivan écrivait encore au chevalier de
Theux que le prince de Metternich avait déclaré que rien n’aurait pu le
déterminer à changer la rédaction de l'article publié par L'Observateur
autrichien, que le gouvernement belge avait, à son insu, servi le parti
polonais et une vengeance personnelle, celle du comte de Montalembert à qui il
avait dû interdire l'entrée de l'Autriche).
10. Reprise des relations
diplomatiques belges avec
(page 367) Le 22 juin,
l'Observateur autrichien publiait l'article tel qu'il avait été expédié à
Bruxelles et à Berlin. Il annonçait en même temps la rentrée en fonctions du
baron O'Sullivan et la nomination du comte de Dietrichstein
comme envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire d'Autriche à Bruxelles
(Lettre du baron O'Sullivan de
Grass au chevalier de Theux, 22 juin 1839). Complétant les formalités,
le prince de Metternich renouvelait cette annonce dans une lettre du 25 juin,
qu'il priait le baron O'Sullivan de transmettre au chevalier de Theux (Lettre du baron O'Sullivan au chevalier de Theux, 26 juin
La reprise des rapports diplomatiques avec la cour de Berlin ne tarda pas à suivre la réconciliation avec l'Autriche.
Lorsque, le 14 mai, le chevalier de
Theux avait écrit au prince de Metternich, il avait en même temps envoyé au
comte Bresson pour le baron de Werther une lettre analogue à celle adressée au
chancelier, mais destinée à être remise à sa destination seulement lorsqu'on
aurait appris à Berlin qu'à Vienne il y avait accord complet au sujet de la
procédure destinée à permettre la reprise des relations diplomatiques. Cette
assurance ayant été apportée par le vicomte Vilain XIIII, le ministre de France
s'empressa de faire parvenir la missive du ministre belge des Affaires
étrangères au baron de Werther
(Lettre du comte Bresson à M. Beaulieu, 31 mai 1839). Celui-ci répondit
à M. de Theux, le 4 juin, que le roi de Prusse accueillait les engagements pris
par le gouvernement belge ainsi que les assurances données et qu'il se montrait
disposé à renouer les relations rompues dès que l'Autriche y serait prête. Il
ajouta que lorsque les cabinets de Bruxelles et de Vienne auraient réglé la
rédaction de l'article à publier,
Le chevalier de Theux accusa
réception de cette lettre, le 8 juin, (page 368) en exprimant l'avis que
l'affaire Skrynecki pouvait être considérée comme terminée, le gouvernement
belge ayant accepté l'article proposé par le prince de Metternich et l'ayant
fait savoir à ce dernier (Lettre
du chevalier de Theux au baron de Werther, 8 juin 1839).
Comme nous venons de le voir, le
baron de Werther désirait publier dans
Le comte Bresson, ambassadeur de
France, qui gérait les intérêts belges en Prusse, s'employa activement à faire
accueillir les desiderata de M. de Theux (Lettre du baron O'Sullivan de Grass au chevalier de Theux, 17
juin 1839. - Lettre du comté Le Hon au chevalier de Theux, 8 juillet 1839).
Ses efforts reçurent l'appui de
l'Autriche et
Si le prince de Metternich appuya facilement dans cette circonstance les démarches de notre gouvernement, c'est un peu sans doute parce qu'il avait à se faire pardonner l'inexécution d'une promesse formelle. Lorsque le baron O'Sullivan de Grass offrit de lui donner officieusement communication par écrit du deuxième paragraphe de la lettre particulière écrite le 14 mai par le chevalier de Theux, le chancelier s'était engagé à ne faire d'autre usage de ce (page 369) paragraphe que de le soumettre au conseil impérial; or, il en donna connaissance au baron de Werther et celui-ci s'y référa dans sa lettre du 4 juin au chevalier de Theux. .
Froissé de ce manque de parole, le
baron O'Sullivan n'hésita pas à manifester son étonnement ainsi que son
mécontentement au chancelier impérial (Lettre du baron O'Sullivan au prince de Metternich, 16 juin 1839).
Celui-ci ne chercha pas à
s'excuser. Il trouva juste et fondée la plainte du ministre de Belgique. Il
assura qu'aucun usage officiel ne serait fait à Berlin de la lettre écrite par
le baron O'Sullivan le 21 mai et offrit de faire effacer de la dépêche
officielle du baron de Werther la citation qui avait donné lieu à la
réclamation (Lettre du baron
O'Sullivan au chevalier de Theux, 19 juin 1839).
M. Beaulieu rentra à Berlin le 4
juillet. Les relations diplomatiques se renouèrent officiellement sans plus
tarder entre