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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DU 19 AVRIL
1839 par A. DE RIDDER (1920)
CHAPITRE XI
1. Mission du comte F. de
Merode à Paris et de M. de Gerlache à Londres
(page 265) Le 2 janvier 1839, le
conseil des ministres décida que le comte Félix de Merode
et M. de Gerlache partiraient, l'un pour Paris, l'autre pour Londres, en
mission extraordinaire, dans le but d'arrêter la signature du protocole du 6
décembre annoncée par le comte Molé, ou tout au moins de retarder la
notification de ce protocole a la
Belgique et à la
Hollande; de s'efforcer de rendre les gouvernements français
et anglais favorables à la conservation des territoires luxembourgeois et
limbourgeois par les Belges et de faire, pour obtenir cette conservation, une
offre de 60.000.000 de francs en capital ou même de 70.000.000 avec
autorisation d'aller jusqu'à 100.000.000 si l'on pouvait espérer amener les
Pays-Bas à céder l'entièreté du Limbourg et du Luxembourg et si l'on
considérait la première offre comme insuffisante (Note de bas de page : « Il (M. de Theux) suppliait,
écrivait le 5 janvier 1839, le comte Serurier au
comte Molé, de retarder, du moins s'il se pouvait, ne fût-ce que de quelques
jours, la signature de la notification à faire à la Belgique et à la Hollande, afin de donner
à MM. de Gerlache et de Merode le temps nécessaire
pour leurs importantes ouvertures. M. de Theux s'en promet un grand succès. Je
désire de tout mon cœur que son espoir ne soit pas une désillusion de plus. La
mission de M. de Merode met ici tout le corps
diplomatique en émoi et j'apprends que mon collègue d'Angleterre
particulièrement s'en exprime comme touchant à un acte d’hostilité envers son
gouvernement, par suite, je suppose, du discours de M. de Merode
sur les forteresses. Il croit le voir presque portant à Paris les clefs de
Namur, Mons et Tournai. » Arch. du Min. des Aff.
étr. à Paris, Belgique, 17, n° 4).
Dans le cas où tout espoir de
conserver l'intégrité absolue du territoire disparaîtrait, les deux envoyés
extraordinaires se trouvaient autorisés à faire mettre en avant par une tierce
personne un projet qui abandonnerait Venloo à la Hollande, laisserait au
grand-duc un territoire d'un rayon d'une demi lieue autour de Luxembourg (page
266) avec les régions comprises entre la route de Trèves et de Thionville, et
ajouterait à ces concessions l'offre d'un capital en argent.
On espérait que cette transaction
aurait peut-être quelque chance de se faire agréer parce qu'elle sauverait
l'amour-propre de la
Diète en laissant subsister un grand-duché de Luxembourg dont
le roi Guillaume demeurerait le souverain en même temps qu'il resterait membre
de la
Confédération germanique. D'autre part, les Pays-Bas occupant
Venloo et obtenant un bon capital, auraient eu des motifs de se montrer
satisfaits.
Il était recommandé à MM. de Merode et de Gerlache de mettre toujours les intérêts du
Limbourg et: du Luxembourg sur le même pied et de ne rien stipuler au profit de
l'une de ces provinces sans y comprendre l'autre.
2. Note du gouvernement
belge à la Conférence sur le territoire et la dette
M. de Gerlache avait été muni d'une
note destinée à être remise à la Conférence. Le gouvernement belge y exposait et y
motivait son système transactionnel.
« « Le Soussigné,
plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges, disait cette note, ayant appris
que les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne,
de Prusse et de Russie se sont occupés d'une proposition dont l'adoption aurait
pour conséquence la notification aux cours de Bruxelles et de La Haye d'un
projet de traité, qui, présenté à l'acceptation de l’une et de l'autre, serait
destiné à mettre fin à leurs différends, croit devoir appeler l'attention la
plus sérieuse de ces plénipotentiaires sur le morcellement dont les provinces
de Limbourg et de Luxembourg pourraient être encore menacées, à leur grand
préjudice et à celui de la
Belgique.
« Le gouvernement de Sa
Majesté le roi des Belges est prêt à faire les plus grands sacrifices
pécuniaires pour régler la question territoriale à l'amiable et à la
satisfaction commune; pour justifier cette proposition il importe de rappeler
eu peu de mots les précédents des longues négociations qui se rapportent à
cette question.
« Le protocole du 26 juin 1831
et l'article 3 du projet en XVIII articles proposé à l'acceptation du Congrès
belge par la lettre des plénipotentiaires en date du même jour, ne permettaient
point à la Belgique
de douter un seul instant de la conservation du Luxembourg. Aussi le Congrès
national fut-il amené à l'acceptation de ces articles et S. A. R. le prince
Léopold, élu roi des Belges, accepta la couronne de Belgique sous la foi des
mêmes assurances.
« L'article 3 précité réservait
à la Diète
des droits utiles quant à la forteresse du Luxembourg. Il est évident que si
les plénipotentiaires des cinq cours, en y comprenant ceux d'Autriche et de
Prusse, n'eussent eu la conviction que cette proposition était de nature à
satisfaire la haute Diète, ils n'eussent pas présenté cet article à
l'acceptation du Congrès belge. La Diète pouvait, en effet, d'autant plus facilement
accéder à cet arrangement que le Luxembourg fut constamment et (page 267)
exclusivement régi par la loi fondamentale et les autres lois du royaume des
Pays-Bas, ainsi que toutes les provinces belges avec lesquelles il avait été,
depuis des siècles, intimement uni.
« Si la Belgique, surprise par
une attaque d'autant plus imprévue qu'elle avait accepté le gage de paix que
lui avaient offert les cinq Puissances représentées en conférence, et qu'elle
se reposait sur l'armistice qu'elle croyait ne pouvoir être rompu que de leur
consentement, si la Belgique
a subi le sort fatal des armes, et si les cinq cours, préoccupées elles-mêmes
d'un événement qui venait de mettre en péril la paix de l'Europe, n'ont pas cru
pouvoir donner suite au 3me des XVIII articles; si, au contraire, par le motif,
proclamé par elles, qu'elles ne pouvaient abandonner ~l de plus longues
incertitudes les questions dont la solution im111édiate était devenue un besoin
pour l'Europe, questions qu'elles sc trouvaient
forcées de résoudre sous peine d'en voir sortir l'incalculable malheur d'une
guerre générale, elles ont cru devoir adopter un projet nouveau en XXIV
articles, avec cette déclaration que ces articles contiennent les décisions
finales et irrévocables des cinq Puissances qui, d'un commun accord, sont
résolues à amener elles-mêmes l'acceptation pleine et entière des dits articles
par la partie adverse, si elle venait à les rejeter (protocole n° 49, annexes
13 et C.), si, en un mot; la Conférence a pu, en raison des motifs majeurs
qu'elle a exposés dans ces actes, dévier des propositions des XVIII articles,
il ne parait point douteux que la
Belgique puisse insister aujourd'hui avec toute justice pour
un arrangement conforme au principe posé dans le 3me de ces XVIII articles.
Cette prétention se fonde sur la non-acceptation des XXIV articles par la cour
de La Haye dans le délai utile; sur les réserves mêmes apportées aux
ratifications de ces articles; sur les gages de sécurité que la Belgique a donnés à
l'Europe au milieu des temps si difficiles qui ont accompagné et suivi sa
constitution en Etat indépendant; sur la convention du 21 mai 1833 qui,
consacrant dans les termes les plus absolus la cessation complète des
hostilités, permet de négocier avec toute maturité un arrangement final qui
garantirait, d'une manière e1f1cace et stable, la mission dévolue à la Belgique comme Etat
neutre et qui offrirait au gouvernement néerlandais des avantages plus certains
que la possession de deux demi-provinces, éloignées
qu'elles seraient désormais des sources de leur prospérité et privées de leurs
rapports naturels fortifiés par une longue communauté d'intérêts.
« Le Soussigné doit encore
faire remarquer à LL. EE. les plénipotentiaires qu'il résulte des adresses
votées aux mois de mai et de novembre 1838, par les Chambres belges, que ces Chambrcs supposent la nécessité de communications
ultérieures de la part du gouvernement, pour être muni de pouvoirs nouveaux
conformément à la constitution, à l'effet de signer un traité, attendu que s'il
a été mis par elles à même de souscrire clans les premiers temps le traité des
XXIV articles en vue de l'exécution immédiate annoncée par les annexes B et C
du protocole na 49, et sous l'empire des considérations énoncées dans ces
actes, il n'en est plus de même aujourd'hui, l'acceptation du gouvernement
néerlandais (page 268) n'ayant pas eu lieu en temps opportun et sous l'empire
des mêmes circonstances qui avaient déterminé l'acceptation de la Belgique, celle-ci
n'ayant d'ailleurs pas obtenu les résultats qu'elle attendait d'une paix
immédiate et notamment la possibilité du désarmement.
« Il est à observer surtout
qu'une séparation telle que celle dont il s'agit à la suite d'événements
désastreux, quoique toujours douloureuse, est cependant susceptible d'exécution
immédiate, mais qu'une semblable mesure acquiert une toute autre gravité
lorsque ces populations ont continué à vivre pendant un grand nombre d'années
sous les mêmes lois et à jouir des mêmes avantages que le reste du pays, et
que, par cette longue communauté, de nouveaux liens se sont formés.
« Telles sont les causes de
l'opposition générale qui s'est manifestée dans le pays à toute idée de
séparation. Ces sentiments nationaux si légitimes, si unanimes, doivent être
envisagés avec satisfaction par les plénipotentiaires des cinq Puissances; ils
doivent leur servir de témoignage irrécusable que leurs cours ne se sont point
trompées lorsqu'elles ont reconnu la Belgique comme État indépendant et neutre. Aussi
ne doit-on pas hésiter à penser qu'ils s'empresseront de donner un appui à cet
esprit national.
« Le plénipotentiaire
soussigné arrive maintenant à exposer à LL. EE. les sacrifices pécuniaires que la Belgique est disposée à
faire pour obtenir le désistement de toute prétention sur les territoires du
Limbourg et du Luxembourg.
« Mais, pour en faire mieux
comprendre l'étendue, il commencera par traiter succinctement la question d'un
partage de la dette en prenant pour point de départ les derniers errements de
la négociation qui a eu lieu sur cet article et qui ont eu pour objet la
discussion d'un chiffre transactionnel.
« Il paraîtrait que LL. EE.
les plnipotentiaires des cinq Puissances seraient
disposés à faire peser annuellement et perpétuellement sur ce pays une somme de
fl. 5.000.000 et que ce chiffre serait établi d'après les données suivantes:
« Loi du 9 février 1818,
capital. . . . . 14.136.836
« 31 décembre 1819 ..........
23.083.000
« 24 décembre 1820 ..........
7.788.000
« 2 août 1822 ………….56.902.000
« 27 décembre
1822………..67.292.000
« 3 mai 1825……………….12.605.000
« (Voir annexe au protocole
n°48)
» Du chef de ces différentes lois,
il serait imposé à la
Belgique, en rectifiant l'erreur commise en 1831, au
préjudice de la Hollande,
dans la défalcation de l'amortissement, une rente annuelle de fI. 1.690.000. On
y ajouterait l'ancienne dette belge constituée et la part de la dette austro-belge, 525.000, soit 2.215.000 florins.
« On pourrait prétendre, non
sans raison, que ces 2.215.000 florins constituent la seule dette perpétuelle
liquide que strictement la
Belgique eût dû supporter.
(page 269) « Toutefois, en
faisant revivre une dette qui n'existait plus, dont le royaume des Pays-Bas n'a
jamais rien porté à ses budgets, on frapperait, en outre la Belgique, à la décharge
de la Hollande,
sous le titre de franco-belge, d'une annuité de 1.000.000 florins.
« Les avantages commerciaux
pour la navigation dans les eaux intérieures de la Hollande ont été évalués,
en 1831, à 600.000 florins par an; ils formeraient un tribut perpétuel de
600,000.
« Qu'on remarque que ce
tribut, la Belgique
serait dénuée de tout moyen de s'y soustraire, si la Hollande rendait
illusoire les avantages commerciaux qui doivent en être le prix.
« D'un côté, pour déférer au
désir de la cour de La Haye, et bien que l'on n'ait point constaté si, au lieu
d'un passif, cette opération n'offrirait pas à la Belgique un boni
considérable, on n'admettrait point la liquidation du syndicat d'amortissement
et l'on mettrait, de ce chef, à la charge du gouvernement belge, 1.185.000
florins.
« Il convient de ne point
perdre de vue que, dans cette répartition, il n'est tenu aucun compte à la Belgique de ce dont elle
aurait pu revendiquer le retour, savoir: du matériel de la marine militaire,
des colonies, des sommes énormes supportées dans l'amortissement de la dette
purement hollandaise pendant 15 années, et enfin de plusieurs autres sommes
dont la Hollande
profitera désormais seule, bien que la charge ait été commune.
« Le Soussigné doit terminer
en déclarant que la Belgique
ne saurait se soumettre au chiffre de 5.000.000 de florins en l'envisageant
sous le rapport du droit et isolément: mais il s'empresse d'ajouter qu'en
rattachant cette question à celle du territoire, le gouvernement du roi, si
l'on reconnaît son état de possession actuelle, n'hésiterait pas à accepter la
dette ainsi fixée et que même, dans ses vues de paix et de conciliation, il
ajouterait à la rente de 5.000.000 de florins une somme capitale de 30..000.000
de francs à payer immédiatement ». (Note de bas de page : Cette note avait été approuvée par le roi et
par le conseil des Ministres. Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer,
janvier 1839. Sa dernière partie, celle qui concerne les calculs financiers, à
partir des mots: « Il paraîtrait que LL. EE. les plénipotentiaires des
cinq cours seraient disposés... » reproduisaient presque textuellement une
note remise le 5 janvier au ministre des Affaires étrangères par M. d'Huart
ministre des Finances. Le chevalier de Theux n'y avait fait d'autres
changements que d'atténuer certaines expressions un peu trop énergiques et peu
diplomatiques de son collègue des Finances.)
En envoyant cette note à M. van de
Weyer, le chevalier de Theux prescrivait au diplomate d'en entretenir, avant de
leur en remettre le texte, lord Palmerston et le général Sebastiani.
Lorsque le moment lui paraîtrait
opportun de l'adresser officiellement à la Conférence, il
devait se rendre, accompagné de M. de Gerlache, au Foreign
Office et en donner lecture au ministre britannique, afin d'entendre ses
observations, de les réfuter au besoin et de lui exposer les raisons de nature
à faire admettre par les plénipotentiaires la transaction que proposait la Belgique.
(page 270) Quel que fût d'ailleurs
l'accueil fait par lord Palmerston à ces ouvertures, la volonté du roi Léopold
était que la note fût remise à la Conférence avant la signature du protocole du 6
décembre par le général Sebastiani (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 5 janvier 1839).
Il était nécessaire d'en reproduire
intégralement le texte pour que le lecteur pût comprendre les objections qu'on
fit à Paris et à Londres aux nouvelles propositions belges.
3. Le comte le Hon critique
la note du gouvernement belge
Avant même qu'il ne connût la note,
le comte le Hon se prononçait contre le système qu'en l'adoptant voulait suivre
le gouvernement belge.
« La Hollande, m'assure-t-on,
écrivait-il, le 5 janvier, au chevalier de Theux, acceptera immédiatement les
projets de traité arrêtés par la Conférence; peut-être nous signifiera-t-on en
même temps le traité et l'acte d'adhésion de notre adversaire. C'est à ce
moment que commenceront pour nous les plus grandes difficultés du parti à
prendre.
« Dans la prévision de cette
situation prochaine, j'ai cherche à m'éclairer dans des entretiens
confidentiels de M. de Sages qui a rempli tout récemment une mission à Londres.
J'ai acquis la conviction que nous ne pouvons faire aucune démarche, aucune
ouverture utile pour le rachat de tout ou partie des territoires avant que la
signification attendue nous ait été faite au nom des cinq cours.
« La France déclinera toute
initiative nouvelle sur ce point, après l'insuccès de ses premières démarches
et les préventions qu' elles ont réveillées.
« L'Angleterre ne provoquera
aucune transaction sur l'exécution du traité, quant à présent, avant que nous
ayons reconnu en principe la validité des XXIV articles. Lord Palmerston fait
de cette reconnaissance préalable une condition que réclament les exigences de
sa position vis-à-vis du Parlement.
« Les cours du nord aussi ne
veulent entendre à rien.
« Toute tentative actuelle, à mon
sens, et d'après des données que je crois exactes, est donc inopportune et
prématurée.
« Après la notification, si le
gouvernement du roi refuse de souscrire aux dispositions du nouveau traité, les
Puissances signataires auront à concerter entre elles les moyens d'exécution.
C'est alors que la situation peut faire éclore des difficultés imprévues et que
le projet d'une transaction à prix d'argent pour les territoires pourrait être
produit par quelques Puissances allemandes comme ressource suprême pour prévenir
les chances d'une grave collision. accueilli et soutenu par quelque influence
germanique, le rachat de tout ou partie des territoires trouvera l'Angleterre
aussi favorable que la France
à sa réussite, et la Hollande,
devant ce concours d'adhésions, ne persisterait probablement pas à lui refuser
la sienne.
(page 271) Si le comte le Hon
demandait à son gouvernement d'attendre la signification du protocole du 6
décembre 1838 pour essayer d'obtenir à prix d'argent l'acquisition des
territoires contestés, au contraire, le roi Louis-Philippe pressait le roi
Léopold de faire la tentative avant que le général Sebastiani n'eût ratifié la
décision prise à Londres.
« J'avoue, écrivait, le 5
janvier, le monarque de Juillet, que, quoique la chance d'obtenir un petit
rachat de territoire ne me paraisse ni bien bonne, ni surtout bien utile,
cependant, considérant toutes choses et surtout l'état d'opinions non
combattues, au moins en Belgique ou dans les Chambres belges, il me semble que
vous auriez moins de désavantages pour en faire la tentative avant qu' après
l'adhésion de la France
aux protocoles, et la réception de la notification qui en sera faite chez vous
et à La Haye. Ainsi, pour vous donner, dans ma
conscience, le meilleur conseil possible selon vos vues et la position des
choses et des têtes chez vous, je crois que vous devriez marquer sur une carte
authentique la portion du Luxembourg que vous voudriez racheter, déterminer le
prix que vous voudriez en donner, et ensuite, après avoir nanti M. van de Weyer
de ces documents, le charger d'informer la Conférence que
vous êtes prêt à accepter de nouveau les XXIV articles ou le protocole sous la
condition d'un règlement de frontières que vous proposerez en même temps sur
votre carte, et sous la condition d'une rente ou d'un capital de... à payer à la Hollande pour le rachat
et que vous demandez à la
Conférence de statuer sur cette proposition avant de donner
cours à son protocole du 6 décembre.
« Je crains que la chance ne
soit pas bien grande, je ne vous le cache nullement; mais c'est la dernière
possible et incontestablement il vaut mieux la tenter pendant que nous tenons
encore le protocole ouvert et avant que nous n'ayons adhéré. Ainsi, il n'y a
pas de temps à perdre, mais il y a encore le temps de le faire » (Revue rétrospective, page 350,
colonne II).
Fort du conseil de Louis-Philippe
d'agir avant la signature du protocole du 6 décembre, le chevalier de Theux ne
crut pas devoir se rallier aux suggestions du comte le Hon. Il ne lui
paraissait d'ailleurs pas que la remise immédiate de la note à la Conférence pût
faire obstacle à de nouvelles tentatives transactionnelles, tentatives qui
seraient mises en œuvre après la signification du protocole à la Belgique et à la Hollande (Lettre du chevalier de Theux au
comte le Hon, 8 janvier 1839).
4. Entrevue du comte F. de Merode avec le comte Molé et le roi Louis-Philippe. Le ministre et le roi sont défavorables à la
note
Obéissant aux instructions du
ministre des Affaires étrangères, le comte le Hon, accompagné du comte Félix de
Merode, se rendit, le 14 janvier, chez le comte Molé,
pour l'entretenir de la note. Il lui en donna lecture et lui en présenta les
développements, insistant sur les motifs de sa prise en considération
immédiate. De son côté, (page 272) le comte de Merode
exposa la pensée du cabinet et la force morale des réclamations belges.
Le président du conseil n'hésita
pas à dire que, dans l'état d'irritation des esprits, tant à Londres qu'à
Berlin et à Vienne, cette tentative ne pouvait par réussir; que, dans ces
capitales, elle serait regardée comme un nouveau moyen dilatoire; que les
autres plénipotentiaires seraient unanimes à en repousser l'examen; que ce
qu'ils voulaient en ce moment, avant et par-dessus tout, c'était la
reconnaissance préalable et formelle de la force obligatoire du traité du 15
novembre; qu'à ce prix seul il y avait encore quelque chose à espérer du
concours de l'Angleterre; que la
France était plus décidée que jamais à ne pas se séparer de la Grande-Bretagne,
qu'il y allait de son alliance et de la paix générale.
Le comte de Merode
répondit que le démembrement du territoire était moralement et politiquement
impossible; que l'intérêt de la dynastie, que l'esprit de nationalité, que
l'honneur de l'armée et du drapeau belges s'y trouvaient engagés; que si les
Puissances médiatrices n'avaient pas conscience de cela, il le leur faudrait
bien reconnaître lorsque l'on serait en face de la résistance désespérée à
laquelle la Belgique
était résolue; qu'il y avait dans toute cette question de territoire, non un
intérêt matériel, mais un intérêt moral possédant une force telle que pour les
Belges mieux valait périr que de vivre déshonorés.
A cette énergique déclaration, le
comte Molé riposta que, pour lui, la puissance morale, l'honneur et la dignité
d'une nation reposaient dans le respect de ses engagements et dans sa fidélité
à les remplir; que le traité du 15 novembre, loi obligatoire pour la France, ne pouvait, pour la Belgique, être une lettre
morte; que le gouvernement du roi Léopold possédait toute liberté de courir les
hasards de la guerre et les dangers d'une résistance téméraire, mais qu'il
n'aurait qu'à s'imputer à lui-même les conséquences d'une collision que le
gouvernement français avait mis tous ses efforts et tous ses conseils à prévenir.
Puis, revenant à la proposition de rachat, le ministre répéta qu'il la
considérait comme tardive et sans aucune chance de se trouver soutenue, même
pour un simple examen, par l'Angleterre, décidée inflexiblement à s'en tenir à
la reconnaissance préalable du traité du 15 novembre.
Le comte le Hon entreprit alors de
combattre les appréhensions, les préventions même du président du Conseil.
« Je crois, lui dit-il, que la
proposition de mon gouvernement mérite d'être mieux jugée et a, dans les
circonstances actuelles, un certain caractère d'opportunité. D'abord, elle est
conforme aux idées et à l'exigence de lord Palmerston. Vous m'avez confié
plusieurs fois que le noble (page 273)
273 HISTOIRE DLPLOlYIATIÇlUE
DU TRAITJ~ DU J9 AVRIL J8:J9
(page 274) « Tout le résultat
du succès est dans l'occupation chèrement payée du Luxembourg et du Limbourg;
mais vous n'avez pas fini; la question n'est qu'à moitié résolue. Il reste la Dette, et vous avez dû
reconnaître que pour la Dette
les moyens d'exécution forcés étaient impraticables. C'est ce que m'ont avoué
des hommes d'Etat de la
Grande-Bretagne, et la France, par votre organe, m'a déclaré plusieurs
fois qu'elle ne souffrirait pas qu'on exécutât la Belgique pour le payement
d'une dette dont nous n'aurions pas accepté le chiffre (Note de bas de page : Pas plus que d'autres
promesses de la France,
celle-là ne fut tenue et Louis-Philippe laissa lord Palmerston nous menaça
d'une exécution forcée si nous n'acceptions pas le chiffre de la dette fixé par
la Conférence).
Les embarras, les complications, le provisoire subsistent donc toujours;
seulement, si la guerre générale n'a pas éclaté, le gouvernement français aura
ajouté un nouveau ferment à l'agitation intérieure du pays.
« Dans le second cas, au
contraire, si vous acceptez l'offre du rachat, si positive et si nette
aujourd'hui, vous prévenez tous les frais, toutes les chances, toutes les
suites de la guerre; vous n'entrez pas dans la voie périlleuse des
notifications, des sommations, des exécutions; vous laissez à l'esprit de paix
toute son influence sur les populations de ces contrées; vous rendez homogènes
vos arrangements territoriaux de 1831; vous donnez plus d'argent à la Hollande qui se plaint
d'en avoir trop et trop vainement dépensé; enfin, vous obtenez de la Belgique un assentiment
complet au règlement de la dette comme de la délimitation du territoire. En un
mot tout est fini et tout est pacifié.
« Il me semble que ce résultat
infaillible veut qu'on y réfléchisse et qu'on l'apprécie. Le gouvernement belge
l'offre sans blesser aucune susceptibilité, sans élever aucune prétention
absolue, sans tenir aucun langage irritant. C'est de bonne foi et avec un
sentiment de haute moralité qui mérite qu'on l'accueille, alors même qu'il
faudrait vaincre de grandes difficultés pour le satisfaire.
« Cette tâche est digne d'un
ministre qui a mis au-dessus de tout soupçon son respect religieux pour la foi
promise et il doit réussir s'il le veut bien » (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 15
janvier 1839).
Était-ce illusion pure, était-ce
réalité? Le comte le Hon écrivait au chevalier de Theux que l'exposé de sa
thèse paraissait avoir fait impression sur le ministre, que le comte Molé
s'était montré disposé à embrasser « ce nouvel ensemble de considérations du
point de vue de lord Palmerston » et qu'il avait quelque espoir d'obtenir
à Londres l'appui du cabinet de Paris. Une telle information ne devait apporter
au chevalier de Theux qu'une espérance trompeuse de plus. Si le comte Molé eut
les dispositions dont parle le comte le Hon, elles furent très fugitives. Il
n'y donna, comme nous le verrons plus loin, aucune suite.
Le comte le Hon et le comte F. de Merode obtinrent, le 17 janvier, une audience de
Louis-Philippe.
(page 275) L'entretien dura pendant
de deux heures et demie. Le ministre de Belgique exposa au souverain les motifs
déterminants de la proposition de rachat. Il résuma à son appui ceux qu'il
avait développés devant le comte Molé. Louis-Philippe, en lui répondant, critiqua
le ton général de la note (Note
de bas de page. MM. van de Weyer et de Gerlache critiquèrent, eux aussi, la
note du gouvernement belge), affirmant qu'à la seule lecture, la Conférence
refuserait d'en prendre communication. A son avis, loin d'y reconnaître la
force obligatoire du traité du 15 novembre, même implicitement, comme le
prétendait le comte le Hon, la
Belgique y employait encore comme argument une disposition
des XVIII articles et l'invalidité des XXIV articles. Il ne jugeait pas
possible que ce langage fût admis par aucun gouvernement. Revenant sur ses
anciennes théories, le roi affirma qu'il y avait eu un traité conclu entre la Belgique et les cinq
Puissances en 1831; que le roi de Hollande n'y était pas intervenu et que, par
conséquent, sa conduite n'avait pu délier de ses engagements aucune partie
contractante. D'après ces observations, Louis-Philippe regardait la note comme
vicieuse dans la forme. Sur le fond, il déclara tenir pour certain que la Conférence ne
consentirait, dans aucun cas, au rachat de la totalité des territoires; qu'en
supposant la force obligatoire du traité reconnue, elle pourrait peut-être
accorder un redressement de limites dans le Luxembourg, laisser à la Belgique quelques
villages par exemple, mais non opérer la réunion complète, que le cabinet de
Bruxelles persistait à poursuivre.
Le monarque, tout en protestant de
son grand intérêt pour la cause belge, affirma qu'il ne pouvait approuver le
système adopté pour la défendre. Il désirait vivement que le gouvernement du roi
Léopold n'eût pas à regretter sa politique; pour lui, il ne reconnaissait à la Belgique aucun droit de
réclamer les territoires; il le pensait et le déclarait avec conscience.
Aucune objection des comtes de Merode et le Hon ne parvint à ébranler la conviction
royale. Les dangers d'une exécution forcée qui furent signalés à
Louis-Philippe, ne modifièrent pas davantage son opinion. Il répéta qu'il
croyait à la possibilité d'un changement de délimitation dans le Luxembourg, si
la Belgique
reconnaissait préalablement le principe de la validité des XXIV articles, mais
pas autrement. Le comte de Merode lui opposait que le
gouvernement du roi Léopold revendiquait moins un droit qu'il n'exerçait un
devoir envers les populations du Luxembourg et du Limbourg; qu’il lui était,
par conséquent, interdit de conserver une partie et d'abandonner l'autre. Il
reproduisit les arguments et les considérations qu'il avait fait valoir près du
comte Molé. Ses efforts furent (page 275) vains. Le roi des Français ne doutait
pas que l'exécution forcée aurait lieu en cas de refus de la part des Belges.
Peut-être, croyait-il, s'écoulerait-il deux mois avant l'emploi des troupes
fédérales, peut-être la
Hollande serait-elle autorisée à bloquer l'Escaut. Dans tous
les cas, ajouta-t-i1, la France
ne prêtera pas ses troupes pour occuper, ni ses frégates pour bloquer, mais
elle ne s'opposera à rien de ce qui se fera pour exécuter ou faire exécuter un
traité qu'elle regarde comme obligatoire aussi bien pour la Belgique que pour elle.
Conformément aux déclarations antérieures du comte Molé, le roi n'excepta que
le cas où la Belgique
des XXIV articles se trouverait dans un danger de dissolution qui constituerait
une menace pour la France;
alors ses régiments interviendraient.
Tirant des conclusions de son
entrevue avec Louis-Philippe, le comte le Hon écrivait le 17 janvier à M. de
Theux : « Il résulte pour moi de tout l'ensemble de cet entretien que la
proposition de rachat du territoire devrait, pour avoir quelque chance de ne
pas être rejetée sans examen, être rédigée dans des termes simples, Sans
discussion aucune ni sur la révocation des XVIII articles, ni sur l'exécution
des XXIV; que toute argumentation à l'égard de ces deux points est aujourd'hui
très irritante; que, pour réussir à Londres et en Allemagne, il faut tenir un
langage qui puisse être accepté en Allemagne et à Londres. Le fait de la
proposition de rachat emportant avec lui la reconnaissance d'un droit
quelconque, il vous paraîtra sans doute inutile d'écarter l'idée de cette reconnaissance
implicite par une discussion stérile et inopportune, laquelle tend à établir un
droit au moment où nous offrons de le racheter comme n'étant pas à nous. La
situation me paraît aujourd'hui trop grave pour voir autre chose dans un pareil
acte que le but et le succès. Le comte Molé, que j'ai revu depuis notre
conférence du 14, m'a
dit avoir examiné la note et mes observations; il m'a promis d'appuyer le tout
près de lord Palmerston au point de vue que je lui ai exposé; mais il persiste
dans l'opinion qu'il y a plus à souhaiter qu'à espérer dans ce nouvel incident.
Déjà le comte Sebastiani a dit avoir exprimé l'avis à M. de Gerlache que la
note, telle qu'elle avait été rédigée, ne comportait pas l'examen de la Conférence. ».
5. Irritation de lord Palmerston
en recevant la note de la
Belgique
Louis-Philippe voyait juste quand
il prédisait que la note belge recevrait un mauvais accueil à Londres. Lord
Palmerston surtout devait lui montrer une franche hostilité. Avant même de
l'avoir reçue, il laissait entrevoir sa résolution de ne plus soutenir aucune
proposition transactionnelle de la Belgique. M. van de Weyer l'ayant prévenu de
l'arrivée de M. de Gerlache, il lui répondit par (page 277) ce billet
significatif: « Je ne serai en ville que lundi soir, mais je vous
recevrai, vous et M. de Gerlache, au bureau, mardi à l heure et demie. Je ne
dois cependant pas vous induire en erreur en vous faisant croire que la mission
de M. de Gerlache pourra arrêter ou changer la marche de la Conférence. M.
de Gerlache est arrivé huit mois trop tard » (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 15 janvier
1839).
A l'heure et au jour indiqués, MM.
van de Weyer et de Gerlache, tout en prévoyant l'accueil qui leur serait fait,
se rendirent au Foreign Office. Avant de soumettre
officiellement à lord Palmerston la note dont ils étaient porteurs, ils lui en
donnèrent lecture afin de pouvoir mieux juger de l'effet qu'elle produirait sur
lui. Le ministre britannique les écouta avec une attention recueillie et
s'exprima ensuite à peu près en ces termes:
« La Conférence se réunit
aujourd'hui même; je ne manquerai pas de lui soumettre la note dont vous venez
de me donner lecture, et dont il importe qu'une copie officielle me soit
laissée avant la séance qui est fixée à cinq heures. Il ne m'appartient pas
d'anticiper sur l'opinion que pourra exprimer la Conférence; mais
je me fais un devoir de vous exprimer la mienne et de vous déclarer que vos
propositions n'auront point mon appui. Je vois avec regret que votre note
contient des expressions qui portent atteinte aux droits les plus sacrés et
mettent en question ce qui est consacré, depuis plus de vingt-cinq- ans, par le
droit public européen.
« Vous parlez du morcellement
de territoire dont la
Belgique est menacée, comme si le territoire que vous voulez
conserver vous appartenait de droit, comme si les traités de Vienne
n'existaient pas, comme si le traité du 15 novembre était nul, comme si, enfin,
il n'y avait ni roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, ni Confédération
germanique. Vous parlez plus loin des prétentions de la Hollande aux parties
cédées du Limbourg et du Luxembourg; il aurait fallu parler de ses droits, car
ces droits ont été reconnus par toute l'Europe et par la Belgique elle-même.
Partout, dans cette note, je vois percer l'esprit qui a présidé à la rédaction
de l'adresse des Chambres belges, adresse fatale à la Belgique, car à
l'intérieur, elle a encouragé des espérances qui ne pouvaient se réaliser; à
l'extérieur, elle a présenté la législation belge comme prête à violer le seul
traité politique conclu depuis l'avènement du roi, le seul qui constitue la Belgique et l'ait fait
admettre comme Etat indépendant et neutre dans la grande famille européenne. Si
le gouvernement belge s'était borné à offrir 60.000.000 de francs pour racheter
les territoires cédés, la
Conférence se serait contentée de vous répondre qu'elle était
incompétente pour prendre une pareille offre en considération; mais je ne vous
cache pas que le ton de votre note vous attirera une réponse plus sévère. La Belgique doit apprendre
qu'il n'est permis à aucun peuple de se mettre au-dessus des principes et des
traités, et que l'Europe saura bien (page 278) l'empêcher de profiter des
circonstances pour devenir envahissante, et pour porter impunément atteinte au
droit de ses voisins. »
La diatribe de lord Palmerston
dénote combien il était irrité de voir le cabinet de Bruxelles chercher à se
soustraire à la direction que, dans l'intérêt de la politique anglaise, il
aurait voulu imprimer à la politique belge. Il accusait la Belgique de mépriser les
droits qu'elle avait elle-même reconnus à la Hollande. Mais il
oubliait que la Belgique
n'avait reconnu ces droits que contrainte et forcée dans un traité qui, n'ayant
pas reçu l'assentiment du roi Guillaume, était donc nul vis-à-vis de celui-ci
et, par conséquent, ne lui créait aucun droit vis-à-vis de nous. Il déclarait la Conférence
incompétente pour apprécier une proposition de rachat des territoires
luxembourgeois et limbourgeois, mais alors, où avait-elle puisé sa compétence
pour décider de l'attribution des autres territoires constituant les royaumes
belge et néerlandais? Elle ne pouvait dire qu'elle était liée vis-à-vis de la Hollande par
l'attribution des limites faites dans les XXIV articles puisque, encore une
fois, le roi des Pays-Bas n'avait pas accepté ce traité.
MM. van de Weyer et de Gerlache
répondirent à lord Palmerston que, depuis huit ans, la Belgique avait donné à
l'Europe de multiples gages de son respect pour la paix générale, que le désir
de conserver la totalité du Luxembourg et du Limbourg ne prenait pas sa source
dans un esprit d'envahissement, mais dans un esprit de nationalité faisant
honneur au peuple belge, à son caractère moral, esprit dont on avait contesté
l'existence et dont il était, pour les personnes qui voulaient une Belgique
indépendante, d'une sage politique d'encourager le développement. « Le pays est
prêt, ajoutèrent-ils, à faire à ce sentiment d'honneur national les plus grands
sacrifices pécuniaires, et, si nous échouons dans cette tentative de
conciliation, nous prévoyons dans les populations une résistance qui
compromettrait la paix de l'Europe bien autrement que tout ce qui s'est passé
en Belgique depuis 1830. »
Puis M. de Gerlache traça le
tableau de la véritable situation du pays et prouva que le gouvernement, en
cherchant à conserver, à tout prix, les territoires cédés, remplissait un
devoir impérieusement commandé par le vœu général.
Cette réponse ne fit qu'irriter
davantage lord Palmerston et il ne donna plus de bornes à l'expression de son
mécontentement.
« Le gouvernement belge,
s'écria-t-il, a manqué à tous ses devoirs el s'est créé à bon plaisir les
difficultés où il se trouve actuellement. Si, dès le jour où l'adhésion du roi
Guillaume a été connue, le ministre belge, au lieu de garder un timide silence,
avait franchement rappelé au souvenir de la Chambre les engagements solennels qui lient le
pays sur les questions (page 279) européennes 1. (Note de bas de page : On se rappellera que telle
était la politique conseillée à M. de Theux par M. van de Weyer), les
démonstrations populaires n'auraient pas eu lieu, la Chambre n'aurait pas été
entraînée à voter une adresse compromettante (Note de bas de page : Lord Palmerston se trompait
complètement. Il est probable que si M. de Theux avait adopté cette politique,
il eût été renversé à bref délai par un vote de la Chambre, et des émeutes
populaires auraient peut-être éclaté. On sait que M. de Theux essaya en vain de
faire adoucir les termes de l'adresse. Son influence sur la Chambre fut insuffisante à
ce moment) et à prendre en quelque sorte l'obligation de résister à
l'Europe. Les ministres ont encouragé cette résistance, d'abord par leur
silence, ensuite par leur vote, et en mettant dans la bouche du roi des paroles
propres à enflammer les esprits, à entretenir de dangereuses illusions. Ils ont
véritablement manqué de « persévérance » dans le vrai, et de
« courage » à le faire connaître, pour me servir des mots mêmes de la
réponse à l'adresse. Quoiqu'il en soit, les démonstrations populaires,
l'effervescence des esprits, le vœu général, l'entraînement des masses, etc., etc... ne sont point des raisons, des arguments à opposer
il des engagements solennellement contractés envers les cinq Puissances. Si
l'on admettait une fois ces dangereux principes, c'en serait fait de tous les
traités et du droit public européen, et l’anarchie prendrait la place de
l'ordre et de la justice. La
France viendrait nous dire que l'entraînement des masses la
pousse sur les frontières du Rhin; la
Russie, que le vœu général de ses populations lui impose
d'occuper Constantinople et de conquérir les Indes; la Prusse, que rien n'est plus
populaire chez elle que l'occupation de la Saxe, etc., etc. Les gouvernements sont établis
pour résister aux passions désordonnées et non pour les encourager; et il est
du devoir des hommes d'Etat de faire comprendre aux peuples que l'honneur
national consiste, non à fouler aux pieds les traités, mais à les respecter
religieusement. Un second devoir, c'est en politique de ne tenter que le
possible. Or, comment a-t-on pu croire, en Belgique, qu'il fût possible
d'acquérir à prix d'argent le Limbourg et le Luxembourg, alors que, depuis
1831, la
Confédération germanique a constamment maintenu le principe,
base même de son existence, qu'elle ne peut consentir à des cessions de
territoire que moyennant des indemnités territoriales? Comment a-t-on pu
s'imaginer qu'il y aurait moyen de sanctionner un état de choses qui laisserait
deux places fortes, aussi importantes que Maestricht et Luxembourg, entre les
mains d'un peuple dont le territoire est et doit rester neutre? Sous quelque
point de vue que l'on envisage votre proposition, elle est également
inadmissible, et les droits de la Diète y sont trop intéressés pour qu'elle
consente à un arrangement pareil. »
M. de Gerlache et M. van de Weyer
répondirent tour à tour à cette vive argumentation, mais toutes les
considérations qu'ils développèrent pour justifier le système adopté par le
gouvernement belge ne purent ébranler la résolution bien arrêtée de lord
Palmerston. La conversation terminée, ils lui remirent une copie de la note
ainsi qu'un mémoire dans lequel le cabinet de Bruxelles demandait (page 280)
des modifications aux articles du projet de traité relatifs à la navigation de
l'Escaut, au syndicat et aux engagères (Note de bas de page. L'article du nouveau traité proposé par
la Conférence
et qui était relatif à l'Escaut différait profondément de l'article 9 du traité
du I5 novembre. Le premier contenait le principe d'un péage, mais ne
déterminait pas celui-ci. Le second fixait ce péage à un florin cinquante
cents, taux que le gouvernement belge avait admis en 1833 et dont le commerce
anversois s'était déclaré satisfait. En I839, le gouvernement belge aurait
vivement désiré voir supprimer tout péage sur l'Escaut; mais il était lié en
quelque sorte par son acceptation de 1833. Aussi, les modifications que MM. de
Gerlache et van de Weyer se trouvaient chargés de demander, se bornaient à
joindre à l'article 9 quelques dispositions afin d'empêcher la Hollande de créer, par
une interprétation tracassière, des obstacles à la navigation. Le cabinet de
Bruxelles aurait désiré notamment que l'admission de la Belgique à la navigation
intérieure sur le pied de la nation la plus favorisée fût stipulée. Il
demandait aussi la reconnaissance formelle du droit de stationnement, dans
l'Escaut, des navires qui y seraient retenus par des avaries ou des vents
contraires, ainsi que la faculté pour le gouvernement belge d'établir des
stations de pilotes sur les rives du fleuve dans tout son cours. Ce n'est pas
que M. de Theux ne protestât contre tout péage, mais la conclusion du mémoire
que M. van de Weyer remit à lord Palmerston, laisse percer la résignation du
cabinet de Bruxelles à se soumettre à cet établissement).
Le ministre annonça que la Conférence
prendrait communication de ces documents séance tenante et qu'il ferait
connaître le lendemain le résultat de cet examen. Il parut vivement contrarié
de la longueur des pièces qui lui étaient communiquées et de ce qu'on y
soulevât des nouvelles questions relatives au syndicat. Le temps nécessaire à
la lecture de ces pièces rendait impossible que l'on signât ce jour-là le
protocole du 6 décembre (Lettre
de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 15 janvier 1839).
* * *
Le 14, MM. van de Weyer et de
Gerlache revirent lord Palmerston. Celui-ci se borna à leur dire que la Conférence
répondrait, par une note officielle, à la proposition de transaction
territoriale; que, pour repousser cette proposition, il suffirait aux
plénipotentiaires de rappeler les droits de la Confédération
germanique et qu'elle n'aurait aucun égard au mémoire sur la navigation de
l'Escaut et aux autres articles additionnels demandés par la Belgique.
« Il y a, dit-il, plus de huit
mois que nous demandons à la
Belgique de nous fournir les éléments nécessaires à un traité
définitif; de nous soumettre une nouvelle rédaction de l'article 9 sur
l'Escaut, de s'expliquer sur le Syndicat et sur les autres points; elle s'est,
malgré nos avis réitérés, refusée à négocier; elle nous a forcés à agir seuls
et par nous-mêmes; et, aujourd'hui, elle voudrait, non pas à la dernière heure,
mais lorsque tout est terminé, lorsque le protocole final est déjà revêtu de la
signature des quatre plénipotentiaires, et va recevoir celle du cinquième, elle
voudrait rouvrir les débats, remettre en question ce qui est décidé, nous jeter
à l'improviste des propositions nouvelles, le tout pour arriver, non (page 281)
à conclure le traité, mais à gagner du temps et à voir si la chute du ministère
français n'offrira pas quelque chance de voir encore traîner les négociations
en longueur. Nous avons pris la ferme résolution de ne pas nous laisser
entraîner sur ce terrain, et nous sommes convaincus qu'en finissant
aujourd'hui, nous agissons dans l'intérêt même de la Belgique. »
« Prenez garde, lui
répondirent ses interlocuteurs, que cette précipitation ne produise un effet
contraire à celui que vous attendez. Les questions, qui vous sont soumises,
sont graves, importantes, vitales même; si vous passez outre sans vous en
occuper, vous augmenterez en Belgique l'effervescence qui règne sur les
esprits: vous léserez, aux yeux de tous, nos intérêts les plus chers; vous blesserez
le sentiment national qui se révoltera de voir la Belgique traitée de la
sorte après huit mois seulement de négociations, tandis que la Hollande a eu huit ans
pour se décider. »
M. van de Weyer insista surtout sur
ce que la négociation de l'Escaut ne pouvait être abandonnée ni à l'arbitraire,
ni à l'incertitude; qu'il importait de faire disparaître du traité toute clause
qui fournirait à la Hollande
un prétexte à des retards de navires; que le cabinet de La Haye exploiterait au
détriment de la Belgique,
et par de continuelles entraves, tout ce qui, dans le traité, ne serait pas
parfaitement clair et explicite. « Vous êtes, dit-il à lord Palmerston, tout
aussi intéressé que nous à ce que la liberté de l'Escaut ne soit pas illusoire,
et il importe de ne rien faire d'incomplet à cet égard. » Cette
observation parut faire quelque impression sur l'esprit du ministre
britannique. Il ne répéta pas ses refus catégoriques pour ce qui concernait le
fleuve.
Quant à l'article relatif au syndicat,
MM. van de Weyer et de Gerlache insistèrent sur la nécessité de voir adopter la
rédaction proposée par le gouvernement belge si l'on ne voulait pas ouvrir la
porte à d'interminables procès. Mais, sur ce point, ils trouvèrent le chef du Foreign Office assez froid. Il ne consentit pas non plus à
présenter une stipulation sur la vente des biens séquestrés et, lorsque, dans
l'intérêt de la paix, qui leur semblait de plus en plus menacée, MM. van de
Weyer et de Gerlache lui demandèrent s'il n'y aurait pas moyen de différer de
dix ou quinze jours la signature du protocole et la notification des notes aux
deux parties, il leur répondit:
« Pour moi, je ne la différerai pas
de dix minutes! »
6. Le général Sebastiani et
la signature du protocole
Craignant, dans ces conditions, que
1'on ne procédât le soir même à cette signature, le général Sebastiani ayant
affirmé le 13 à M. van de Weyer qu'il avait reçu de Paris l'autorisation de
signer, le représentant du roi Léopold se rendit chez l'ambassadeur de France.
Il lui résuma, en quelques mots clairs et frappants, les réclamations
essentielles à présenter contre le projet de l'article 9 rédigé par la Conférence et le
pria d'insister de toutes ses forces (page 282) sur ces points principaux. Le
général le promit, mais il engagea M. van de Weyer à lui fournir, sur le
syndicat, une rédaction autre que celle qu'il avait présentée: « Celle-ci,
ajouta-t-il, n'a aucune chance de succès; elle sera rejetée sans examen même,
attendu que la
Conférence, n'ayant reçu aucun éclaircissement à l'appui,
aucun mémoire explicatif, craint de décider en aveugle ». (Note de bas de page : Le
gouvernement belge demandait que, dans le traité projeté, on insérât la
rédaction suivante relative au Syndicat:
« Il ne sera pas procédé à la liquidation de
l'établissement connu sous le nom de Syndicat d'amortissement. Chacun des deux
pays conservera en nature ou en argent ce qui se trouve situé sur son sol ou ce
qu'il a reçu ou pourra recevoir, et qui, d'après les dispositions en vigueur au
30 septembre 1830, aurait pu appartenir ou revenir à cet établissement.
« Chacun des deux pays conservera également, sans
liquidation ultérieure, les fonds qui se trouvaient dans les caisses des
comptables à l'époque précitée du 30 septembre 1830 et notamment la Belgique demeurera en
possession du solde de l'ancien caissier de l'Etat établi à. Bruxelles.
« La
Belgique et la
Hollande recevront de la
Société Générale pour favoriser l'industrie nationale,
proportionnellement à la valeur des domaines situés dans l'un ou l'autre pays,
et qui ont été cédés à cette société pour le prix de 20.000.000 de florins, les
redevances échues ou à échoir, dues par elle à la liste civile et au syndicat
d'amortissement ou pour intérêts de ce prix. A la dissolution de la
Société Générale, le prix de 20.000.000 de florins sera
partagé entre la Belgique
et la Hollande
dans la même proportion de la situation des biens. »
On a vu l'accueil que le général Sebastiani et lord
Palmerston avaient fait et que la Conférence s'apprêtait à faire à cette rédaction.
Mais Léopold 1"' avait, de nouveau, envoyé à Londres M. van Praet, chargé d'y conduire une négociation officieuse, à
côté de la négociation officielle confiée à MM. van de Weyer et de Gerlache.
Lord Palmerston écouta le secrétaire du roi des Belges sur la question du
syndicat plus volontiers qu'il n’avait écouté MM. van de Weyer et de Gerlache.
Il lui demanda sur cette question des explications et des détails
confidentiels, puis le mit en rapport avec M. de Senfft. Le diplomate autrichien
et M. van Praet discutèrent la question et le premier
accepta comme claires et satisfaisantes les explications qui lui furent
données. Il promit de défendre en Conférence, la rédaction proposée par la Belgique et de ne point
en admettre d'autre. Il se prononça pour cette rédaction, mot à mot, ou rien.
Ce fut la seconde alternative qui l'emporta. Le traité de 1839 ne contient pas
de stipulation relative au syndicat.)
M. van de Weyer s'engagea à fournir
un mémoire en temps utile, mais il ne se crut pas autorisé à changer la
rédaction émanée du département belge des Affaires étrangères. Puis il demanda
au général Sebastiani s'il apposerait sa signature au protocole resté ouvert.
«J'y suis pleinement autorisé, répondit l'ambassadeur, mais nous ne tombons pas
encore d'accord ce soir sur la rédaction de ces différentes pièces. » Le
protocole ne fut pas, en effet, signé ce jour-là et le général Sebastiani, que
M. van de Weyer revit après la séance de la Conférence, lui fit comprendre qu'il attendait
avec impatience l'arrivée à Londres de son premier secrétaire, parti de Paris
avec des instructions qui ne laisseraient plus de doute sur rien. M. van de
Weyer conclut de ces indices que le gouvernement français hésitait (page 283)
encore et que le général Sebastiani, tout en se disant autorisé à conclure,
profitait de tous les moyens pour retarder la signature du protocole et des
notes.
Quant à lord Palmerston, il laissa
encore entrevoir au diplomate belge la possibilité d'améliorer des détails du
traité, mais seulement après l'adhésion du cabinet de Bruxelles aux bases
arrêtées par la
Conférence.
Celle-ci se réunit à nouveau le 17
janvier. A cette séance non plus on ne signa point le protocole. M. de Bourqueney, premier secrétaire de l'ambassade de France,
arrivé la veille de Paris, n'avait pas apporté au général Sebastiani
l'autorisation dont il prétendait se trouver muni et qu'en fait il attendait
encore. M. van de Weyer se rendit chez lui le 18 et le pressa de questions à ce
sujet. L'ambassadeur se renferma dans une réserve, dont le ministre de Belgique
crut devoir se plaindre, et se borna à répondre à toutes les interrogations que
la Conférence,
dans sa séance de la veille, ne s'était occupée que de l'article relatif au
syndicat et du mémoire sur l'Escaut. M. van de Weyer lui fit remarquer que cela
paraissait impossible et que, d'après le langage de lord Palmerston, renforcé
par son refus d'accorder à la
Belgique même un délai de dix minutes, les quatre
plénipotentiaires devaient nécessairement avoir abordé la question de
l'adhésion de la France
au protocole laissé ouvert.
« Et ce qui, ajouta-t-il, me
confirme encore dans mes conjectures, c'est que la note préparée par la Conférence en
réponse à la proposition que nous lui avons soumise, à la note que nous lui
avons envoyée, reste elle-même en suspens ». L'ambassadeur ne prononçant
que d'insignifiants monosyllabes ou des phrases vagues, M. van de Weyer crut
pouvoir lui dire qu'il avait reçu de Bruxelles et de Paris la nouvelle positive
que le comte Molé s'était refusé à envoyer à Londres l'autorisation de signer
le protocole. « Je ne vois pas, poursuivit-il, pourquoi, ce qui n'est pas un
mystère pour M. le Hon à Paris, en serait un pour moi à Londres. Vous avez
tellement compté sur l'arrivée de cette autorisation que vous vous êtes dit
prêt à signer à la première réunion de la Conférence. Pourquoi ne vous expliquez-vous pas
franchement avec nous aujourd'hui et qu'est-ce qui vous empêche de nous dire la
vérité? » « Vous m'en demandez trop, répondit le général, je ne puis point
m'expliquer; j'ai ordre de ne pas le faire. Tout ce que je puis vous dire,
c'est que vous devez profiter de cette circonstance pour chercher à améliorer
le traité. Que si l'on s'imagine à Bruxelles que la France n'enverra pas son
adhésion, on se fait de nouveau étrangement illusion; que le ministère tombe ou
se maintienne, je signerai. »
7. Entrevue de MM. van de
Weyer et de Gerlache avec MM. de Senfft et de Bülow
(page 281) Il fut impossible d'en
tirer autre chose. Résolu à en apprendre davantage, M. van de Weyer, accompagné
de M. de Gerlache, se rendit chez MM. De Senfft et de Bülow. Là il apprit qu'en
effet le général n'avait pas reçu l'autorisation de signer. « Nous ne l'avons
pas trop pressé, avoua le baron de Bülow, parce que nous sentons la difficulté
de sa position; nous comprenons qu'au milieu des débats sur l'adresse,
l'annonce d'une solution immédiate pourrait nuire à la belle défense que fait
M. le comte Molé et comme, à nos yeux, la résolution définitive que prendra le
cabinet français doit être conforme aux engagements pris, nous attendrons
encore pendant quelques jours avec patience et sans inquiétude. »
MM. van de Weyer et de Gerlache
saisirent cette occasion pour aborder à nouveau la question territoriale. M. de
Senfft défendit les droits du roi Guillaume avec modération, avec des formes.
Il paraissait même avoir, en catholique fervent, quelque sympathie pour la Belgique. Mais
cette sympathie n'allait pas. jusqu'à adopter les intérêts belges et leur
sacrifier ceux de la Confédération germanique dans le Luxembourg et le
Limbourg. Il exprima le vif regret qu'il éprouvait de ne pouvoir appuyer la
proposition transactionnelle.
M. de Bülow, lui, s'énonça avec une
vivacité et un emportement extrêmes qui décelaient combien la Prusse se croyait menacée
par la prolongation de l'état des choses. Il tonna contre l'adresse des
Chambres, ainsi que contre l'esprit « révolutionnaire et guerroyant » de la Belgique. « J'ai
soutenu, dit-il, jadis vos intérêts en différentes circonstances, parce que
l'existence d'une Belgique indépendante et neutre me paraissait pouvoir
atteindre, du moins en partie, le but des traités de 1815. Aujourd'hui que vous
armez de pied en cap, et que, l'épée à la main, vous venez réclamer des
changements au traité, je crains bien que vous ne prouviez à l'Europe qu'elle
s'est trompée et que vous ne pouvez vivre en paix avec elle, puisque vous
méconnaissez la condition de votre existence. » Puis il insista sur
l'impossibilité pour la Prusse
de faire des concessions sur la question territoriale. « C'est pour nous,
s'écria-t-il, bien plus qu'une question d'intérêt politique et de principes,
c'est une question d'honneur. Ce serait une lâcheté de la part des des Puissances que de céder à la Belgique menaçante. Vous
faites ici entendre des paroles de paix; vous offrez des compensations
pécuniaires; mais, en Belgique, vous avez l'épée à la main; vous excitez les
populations à la résistance, et l'Allemagne se déshonorerait si elle avait la
faiblesse de céder. Il y aurait à cela plus de dangers pour l'Europe que n'en
pourrait amener une guerre générale. Si, de tout temps, la Confédération germanique a déclaré qu'elle ne
consentirait à aucune cession d'une partie du Luxembourg que moyennant une
indemnité territoriale et qu'elle (page 285) repousserait toute transaction
pécuniaire, elle renouvelle aujourd'hui cette déclaration, avec d’autant plus
de force qu'elle est plus menacée dans ses droits, et nos instructions sont
tellement sévères et positives à cet égard que nous ne pourrions nous en écarter
sous aucun prétexte. » M. de Bülow déclama ensuite violemment contre les
missionnaires et les jésuites que certain ministre belge avait, disait-il,
expédiés en Prusse pour la révolutionner et pousser les catholiques de ce pays
à la désobéissance envers un excellent roi. M. de Gerlache vit le moment où il
serait lui-même impliqué dans cette noire conspiration. Il ne voulut pas
répondre à M. de Bülow que les jésuites n'étaient pour rien dans les
maladresses du gouvernement prussien, cette polémique n'ayant pas de rapport
direct avec l'objet de sa mission. Aidé de M. van de Weyer, il s'attacha
cependant à défendre le ministre faussement accusé (Note de bas de page : Le 8 février 1839, on
écrivait de Francfort au comte Molé: « Il n'est guère possible d'apprécier
encore l'importance des mouvements militaires que la Prusse a commencés dans les
provinces du Rhin. Mais il est aisé de juger qu'elle ne pourra se dispenser de
prendre des précautions alors que l'agitation qui règne en Belgique prend une
tendance religieuse et menace de se propager dans le Grand-Duché du Bas-Rhin où
elle trouverait des sympathies si vives. La Prusse, qui ne prévoyait pas la gravité de la
mesure prise il y a 14 mois en arrachant l'archevêque de Cologne à son diocèse,
a donné à ses adversaires un levier au moyen duquel ils peuvent remuer toutes
les populations catholiques de ces deux provinces du Rhin. » Arch. du Min.
des Aff. étrang. à Paris,
Allemagne; 796, folio 10).
Comme M. de Bülow revenait sur la
conduite que le gouvernement belge aurait dû, selon lui, tenir immédiatement
après l'adhésion de la
Hollande et sur le respect dû au traité du 15 novembre auquel
la Conférence
ne voulait plus, disait-il, admettre de modifications, M. de Gerlache répartit
qu'il était loin de trouver exactes les assertions du diplomate prussien; que
le traité du 15 novembre lui paraissait pouvoir souffrir des modifications,
qu'il en avait subi de très justes quant à la dette et quant aux arrérages de
la dette et même sur d'autres points ; que le gouvernement belge aurait eu
grand tort d'abandonner si légèrement la question du territoire qui tenait le
plus au cœur de la nation. « On affirme, dit-il, que la Confédération ne veut point admettre de rachat à
prix d'argent! Pourquoi cette inflexibilité si on lui démontre que tous ses
intérêts demeurent saufs et qu'elle prévient ainsi les chances d'une guerre. Je
crois, au contraire, que le gouvernement a rendu un véritable service au pays
en tenant ferme, et la preuve en est qu'il en a déjà recueilli d'assez grands
avantages. Le ministère belge n'a point, comme on dit, méconnu les traités. Ce
reproche est évidemment injuste et tombe à faux tant qu'on est encore en voie
de négociation et que tout n'est pas irrévocablement décidé. Le gouvernement
demande des modifications; il en a déjà obtenues et il espère en (page 286)
obtenir davantage. M Le baron de Bülow répondit à M. de Gerlache, comme
l'avaient déjà fait ses collègues: « Remarquez que l'une des
modifications, celle qui est relative aux arrérages de la dette, n'est que la
juste punition des retards apportés par le roi Guillaume à l'exécution du
traité du 15 novembre; quant à la réduction du capital, elle a pour but de
tenir lieu à la liquidation du syndicat et de tarir d'avance une source de
difficultés; mais, pour ce qui est du territoire, on vous a refusé nettement et
depuis le commencement jusqu’à la fin, parce qu'il ne s'agit plus d'une
question du tien et du mien, entre deux Etats particuliers, mais de l'intérêt
d'un tiers et de l'intérêt européen qui s'opposaient invinciblement au succès
de vos prétentions » (Lettres
de MM. van de Weyer et de Gerlache au chevalier de Theux, 18 janvier 1839).
8. Chute du ministère Molé.
Avant de se retirer. il donne ordre au comte Sebastiani de signer le protocole.
- L'eau bénite de cour du cabinet
français
La Chambre française vota
l'adresse, amendée d'après les désirs du ministère, à une majorité de treize
voix. Ce résultat constituait une défaite pour le comte Molé qui ne considérait
pas une majorité aussi réduite comme suffisante pour lui permettre de gouverner
avec l'autorité nécessaire. Il fut donc résolu que le cabinet tout entier
remettrait sa démission au roi Louis-Philippe.
Malgré qu'il se montrât prêt à
abandonner le pouvoir, le comte Molé voulut cependant résoudre encore lui-même
définitivement les affaires belges. Le 19 janvier, il annonça au comte le Hon
qu'il allait donner l'ordre au général Sebastiani de signer le protocole du 6
décembre 1838. Le ministre de Belgique lui témoigna de la surprise de cette
décision et le pria de la suspendre encore jusqu'après l'examen de la
proposition de rachat. Le président du Conseil ne se laissa pas ébranler. Il
fallait, estimait-il, en finir, et le seul moyen pour la France d'appuyer utilement
la solution transactionnelle suggérée par la Belgique, c'était
d'accepter, par une adhésion officielle, le principe des XXIV articles, en
prouvant par là que le cabinet des Tuileries n'était poussé, dans sa politique,
par aucune raison secrète et dilatoire (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 20 janvier
1839). Le 23 janvier, le comte le Hon dut annoncer à M. de Theux que
tous ses efforts pour faire ajourner la signature du protocole, au moins
jusqu'après la solution de la crise ministérielle française, étaient demeurés
impuissants. Dans la nuit du 20 au 21 janvier, le comte Molé avait expédié au
général Sebastiani l'ordre précis de signer (Lettre du comte Molé au comte Sebastiani, 20 janvier 1839.
Arch. du Min, des Aff. étrang.
à Paris. Angleterre, 652, folio 7). Il garda d'abord le fait secret et
lorsque le comte le Hon lui eut arraché l'aveu qu'il n'avait pas voulu laisser
à ses successeurs (page 287) le soin de tenir sa parole, il s'en suivit un
échange de vues assez vif. Le ministre de Belgique ne put s'empêcher de blâmer
la générosité d'un pareil acte utile seulement pour les adversaires du cabinet,
auxquels il facilitait l'accession au pouvoir. Il représenta au ministre que la
signature de la France
apposée au protocole compromettait le succès du rachat dont le cabinet des
Tuileries aurait pu faire dépendre son adhésion aux décisions du 6 décembre. Il
demanda au comte Molé s'il avait désespéré de réussir, malgré les excellentes
raisons qui lui avaient été données à l'appui de la proposition belge. Le
ministre de Louis-Philippe répondit que, nonobstant le caractère «
spécieux » des observations du comte le Hon, il n'avait conservé aucun
espoir depuis les dernières nouvelles arrivées de Londres. La Conférence, et
l'Angleterre peut-être plus encore que les autres cours, voulait avant tout la
reconnaissance par la
Belgique du traité du I5 novembre, ou l'acceptation du
nouveau traité. On en était venu à ne consentir à rien en dehors de ce cercle
étroit. « Votre insistance est inutile, poursuivit le comte Molé, les cinq
Puissances ne se diviseront pas sur la solution de vos questions territoriales;
elles resteront unies, quoiqu'on fasse, et vous n'entraînerez pas la France dans un
conflit. » (Lettre du
comte le Hon au chevalier de Theux, 23 janvier 1839).
En réalité, le comte Molé n'avait
fait aucune démarche pour appuyer à Londres la tentative de rachat. Le
chevalier de Theux s'était empressé de communiquer à MM. de Gerlache et van de
Weyer le rapport fait par le comte le Hon sur les conversations qu’il avait
eues à ce sujet avec le président du conseil. M. van de Weyer n'eut pas de
peine à discerner combien les promesses de ce dernier étaient fallacieuses.
« Le comte Molé, écrivait-il à
M. de Theux, n'a répondu que par des phrases vagues et générales; il a
subordonné l'appui qu'il nous donnerait à la décision du cabinet de
Saint-James, tandis qu'il savait, de la manière la plus positive, que ce
cabinet avait pris une décision irrévocable, décision depuis longtemps notifiée
à tous les cabinets intéressés dans la question; enfin, il n'a point combattu
l'idée suggérée par M. de Merode, parce que le
cabinet français avait un parti pris à cet égard, et que, pendant la discussion
de l'adresse, il était inutile, et il pouvait être dangereux, de combattre trop
ouvertement à Paris nos vœux et nos espérances, Je remarque, Monsieur le
Ministre, que tous les chefs du ministère à Paris, à Vienne, à Berlin, se
conduisent à peu près de la même manière à l'égard des agents du roi. Ils les
écoutent avec bienveillance, ils n'ont que du miel sur les lèvres et douceurs
dans les paroles; ils conviennent que nous avons beaucoup fait pour la paix de
l'Europe, et ils semblent même écouter nos ouvertures avec quelque (page 288)
faveur. Mais, dès qu'ils rentrent dans leur cabinet, et qu'ils sont en
présence, non des hommes, mais des affaires, ils changent de langage, et les
instructions qu'ils envoient à Londres portent l'ordre le plus positif de ne
prêter l'oreille à aucune cession de territoire. C'est ainsi qu'en agit M. de Werther,
il y a environ six semaines; c'est ainsi que doivent s'expliquer les paroles
mielleuses du prince de Metternich à M. O'Sullivan;
c'est ainsi qu'au moment même où le comte Molé avait, aux yeux de nos collègues
à Paris, l'air d’être frappé par la force de leurs arguments et le danger de
notre position, l'ordre était donné au général Sebastiani de signer le
protocole et les deux notes s'il en était vivement pressé, mais de chercher à
gagner encore quelques jours. Si le gouvernement du roi prenait trop à la
lettre ces conversations de chef de cabinet, s'il y voyait autre chose qu'un
langage qui n'engage à rien, il pourrait de nouveau se faire illusion et croire
à des chances de succès qui n'ont jamais existé. A Londres, où l'on ne
distribue point d'eau bénite de cour, si je puis me servir de cette expression,
à Londres, où l'affaire se traite régulièrement, et où chaque parole est un
engagement, on s'explique avec plus de franchise et 1'on ne nous paie point de
mots. »
M. van de Weyer terminait sa lettre
par des lignes qu'il importe de noter:
« Les hommes politiques de
France qui nous conseillent la résistance sont ceux qui, dans le fond de leur
pensée, ne veulent point d'une Belgique indépendante, et qui ne désirent des
complications européennes que pour reprendre ce qu'ils appellent les frontières
naturelles de la France.
Les traditions de la politique napoléonienne ne sont point
oubliées; notre résistance les ferait revivre dans toute leur force et à nos
dépens » (Lettre de M. van
de Weyer au chevalier de Theux, 22 janvier 1839) (Note de bas de page : Ce
qu'écrivait à M. de Theux M. van de Weyer, au sujet des dispositions de
certains hommes politiques de la
France, est à rapprocher de ce que contenait un billet de
Léopold 1er à son ministre des Affaires étrangères. Le Roi disait, le 12
janvier, à M. de Theux: « Je vous envoie une brochure française. Il n'y a que
la position de la France
qui mérite votre attention. Vous y verrez comment beaucoup de Français nous
traitent relativement à l'existence politique du pays »).
M. van de Weyer fut confirmé dans
le peu de créance qu'il attribuait aux promesses du comte Molé, lorsque, avec
M. de Gerlache, il se rendit, le 22 janvier, chez le comte Sebastiani et lui
donna lecture des dépêches envoyées à Bruxelles par les comtes de Merode et le Hon, dépêches dans lesquelles ceux-ci
affirmaient que M. Mol » avait promis d'appuyer à Londres les propositions
du cabinet belge, tendant au rachat du territoire moyennant une indemnité
pécuniaire et d'écrire dans ce sens à son agent diplomatique auprès de la Conférence. L'ambassadeur nia hautement que le
comte Molé lui eût envoyé aucune instruction conforme aux renseignements donnés
par le ministre de Belgique à Paris. Il déclara que de pareilles (page 289)
instructions ne lui parviendraient pas. Il ajouta qu'il ne pouvait s'expliquer
davantage, mais conseilla de nouveau à M. van de Weyer et de Gerlache de mettre
à profit le court espace de temps qui leur restait pour chercher à faire
améliorer quelques dispositions du traité définitif. Lorsque les deux
représentants du gouvernement belge lui demandèrent positivement s'il était
autorisé à signer le protocole et se plaignirent du silence ainsi que du
mystère dont l'ambassadeur de France s'enveloppait à leur égard, en affirmant
qu'ils avaient le droit d'être mieux traités, le général s'emporta, les taxa
d'ingratitude et leur reprocha vivement leur insistance. MM. van de Weyer et de
Gerlache ripostèrent que cette insistance était dans leur devoir et dans leur
position; et que, puisqu'il s'agissait de la Belgique ainsi que de son
avenir, c'était bien le moins qu'on ne leur fît pas mystère du sort qu'on leur
réservait. Le comte Sebastiani ne cacha pas alors qu'il n'avait reçu du
gouvernement français aucune instruction depuis quatre jours.
Peu d'instants après cette
entrevue, il envoya à M. van de Weyer un billet pour le prier de passer à
nouveau et sans tarder à son hôtel. Là, le diplomate belge apprit que le comte
Molé avait, par un courrier qui venait d'arriver, transmis au général l'autorisation
de signer purement et simplement le protocole et les deux actes. M. van de
Weyer essaya d'obtenir encore un court délai avant l'accomplissement de cette
formalité. Les articles relatifs au syndicat et à l'Escaut avaient été envoyés
à La Haye à l'insu de l'ambassadeur de France. Il suggéra à ce dernier l'idée
de refuser sa signature jusqu'à ce qu'une explication lui eût été donnée à ce
sujet et qu'une réponse, dont il lui importait de juger la nature et la
tendance, fût arrivée à Londres. Cette idée parut sourire au comte Sebastiani
et M. van de Weyer put espérer un moment qu'il la mettrait à exécution. Il se
montra en tout cas décidé à faire; en signant le protocole et les actes, des
réserves verbales sur la dette, ce qui permettrait d'entrevoir qu'on arriverait
peut-être encore à une réduction plus importante que celle obtenue.
Peu d'heures après cette entrevue,
MM. van de Weyer et de Gerlache tentèrent un dernier effort près de lord
Palmerston. Entre autres arguments à l'appui de leur cause, ils firent valoir
les promesses du comte Molé auxquelles le comte le Hon avait cru pouvoir
ajouter foi. « Le comte Molé, dit le ministre de la reine Victoria, sait
fort bien qu'il ne dépend nullement de l'Angleterre de faire décider la
question territoriale en faveur de la Belgique; qu'il s'agit des droits d'un tiers, des
droits de la Confédération, qui, en I833, a refusé au roi
Guillaume d'annexer à la
Hollande la partie cédée du Limbourg en compensation du
Luxembourg, comme elle refuse (page 290) aujourd'hui à la Belgique d'accepter une
indemnité pécuniaire. Alors, comme aujourd'hui, nous nous sommes trouvés en
présence d'un principe fédéral et de la résistance de la Diète, résistance qui
nous parut invincible. Le comte Molé sait si bien que c'est cela qui nous lie
les mains qu’il a autorisé l'ambassadeur de France à signer sans plus de retard
le protocole et les notes, et cette signature a eu lieu ce soir même, de sorte
que vous recevrez demain la notification officielle de ces pièces.
« A-t-on bien réfléchi, répondirent
les envoyés belges, aux conséquences que peuvent avoir en Belgique cette
manière de procéder, cette signature précipitée ? »
« Tout, répondit lord
Palmerston, a été pris en considération, et nous avons pensé qu'il était plus
dangereux pour l’Europe de donner l'exemple d'un manquement à la foi d'un
traité, de traîner l'affaire en longueur, que de la terminer par une décision
unanime. L'Europe a donc pris son parti, sans en craindre les résultats. »
« Mais pourquoi donc,
demandèrent M. van de Weyer et de Gerlache, n'a-t-on pas attendu la réponse du
cabinet de La Haye aux questions qui lui ont été soumises sur le syndicat et
sur l'Escaut? »
« Si l'on peut tomber d'accord
sur ces deux points, repartit lord Palmerston, les changements que vous
proposez peuvent tout aussi bien être insérés dans le traité définitif, après
qu'avant la signature du protocole. »
Terminant son rapport, M. van de
Weyer donnait au chevalier de Theux le conseil d'adhérer aux bases
territoriales et de négocier encore sur le reste. Il considérait cette
solution, qu'il savait impopulaire, comme la seule conforme aux véritables
intérêts du pays (Lettre de M.
de Gerlache et van de Weyer au chevalier de Theux, 22 janvier 1839).
9. Note de
la Conférence envoyant à M. van de Weyer les projets de traité
Le 23 janvier, les
plénipotentiaires des cinq Puissances envoyèrent à M. van de Weyer une note par
laquelle ils répondaient à celle que le plénipotentiaire belge leur avait
adressée le 14, ainsi qu'à ses demandes relatives à la navigation de l'Escaut,
au syndicat et aux engagères; et une seconde note qu'accompagnaient deux
projets de traité, l'un entre le roi des Belges et le roi des Pays-Bas, l'autre
entre le roi des Belges et les Puissances garantes.
Le premier de ces documents
repoussait la proposition de rachat du Limbourg et du Luxembourg, parce que les
déterminations annoncées à la Conférence de la part de la Confédération
germanique, dont les droits se trouvaient reconnus par les Puissances,
s'opposaient à sa prise en considération. C'était à ces quatre lignes que se
bornait la réponse foudroyante annoncée par lord Palmerston.
Quant aux demandes relatives à la
navigation de l'Escaut, au (page 291) syndicat et aux engagères, les
plénipotentiaires s'en référaient à la teneur des propositions pour un
arrangement définitif signifiées en même temps à M. van de Weyer.
On se rappelle que lord Palmerston
avait soumis au gouvernement néerlandais la rédaction proposée par la Belgique pour les
articles relatifs à l'Escaut et au syndicat. Le cabinet de La Haye ne fit
aucune réponse à cette demande d'avis et, pressée d'imposer au roi Léopold le
traité qu'elle avait rédigé, la Conférence, sans se plaindre de ce manque de
déférence de la Hollande
à son égard, alors qu'elle se montrait si intransigeante envers nous, passa
outre et conserva la rédaction qu'elle avait choisie. Trop peu éclairés sur le
fond de la question et ne voulant se prêter à aucune explication, les
plénipotentiaires tenaient à ne pas exprimer une opinion et ne voulaient point
donner une interprétation du traité. Si, au sujet des questions soulevées par
le gouvernement belge, il s'élevait un conflit, lord Palmerston estimait que
les parties pourraient le régler à l'amiable ou le soumettre aux tribunaux (Lettre de M. van de Weyer au chevalier
de Theux, 2 février 1839).