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Congrès national de Belgique
Séance du jeudi 7 juillet 1831

(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 3)

(page 490) (Présidence de M. Raikem, premier, vice-président)

L'attente du dénouement de la grave question qui s'agite attire toujours de plus en plus de monde. (M. B., 9 juill.)

La séance est ouverte à onze heures. (P. V.)

Lecture du procès-verbal

M. Liedts, secrétaire, donne lecture du procès-verbal ; il est adopté. (P. V.)

Pièces adressées au Congrès

M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes :

M. Dupont, de Marche, prie le congrès d'accepter les articles de la conférence.


M. Castiaux demande qu'on fasse une nouvelle élection du bourgmestre dans la commune de Courcelles. (M. B., 9 juill., et P. V.)


- Ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions. (P. V.)


M. Ernest Manouvrier, né à Valenciennes, demande des lettres de naturalisation. (P. V.)

- Renvoi à la commission des naturalisations. (P. V.)


Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Liége

M. Dumont, rapporteur de la commission chargée d'examiner les pouvoirs des députés de Liége, annonce que la commission n'a pas encore pu se procurer toutes les pièces pour statuer sur la validité de l'élection de M. de Sauvage, mais dans une heure il espère pouvoir faire ce rapport. (E., 9 juill.)

Décret adoptant le traité des XVIII articles portant les préliminaires de paix entre la Belgique et la Hollande

Discussion générale

L'ordre du jour est la suite de la discussion sur les préliminaires de la conférence de Londres, sur la question préalable demandée par M. de Robaulx, et sur les propositions de MM. le baron Beyts et Van de Weyer. (P. V.)

M. le chevalier de Theux de Meylandt – Messieurs, si le congrès a rempli un devoir sacré en protestant contre toute intervention forcée, il remplit maintenant un devoir de civilisation et d'humanité en examinant avec la plus grande maturité des propositions de paix qui lui sont faites par les cinq grandes puissances.

Prétendre aujourd'hui que le congrès n'est pas compétent, ou même exiger l'intervention préalable du régent, c'est revenir contre le décret du 24 février, par lequel il s'est réservé exclusivement les pouvoirs législatif et constituant.

Depuis le jour de son installation, le congrès n'a cessé d'exercer l'un et l'autre pouvoir ; les électeurs n'ont pas cru qu'il les ait outrepassés ; car, jouissant de toute liberté, du droit de s’assembler et du droit de pétition, ils n'eussent pas manqué de lui faire connaître leur opinion.

En insérant dans la constitution les provinces dont se compose le territoire, le congrès a eu soin d'exprimer, dans l'article 68, que les traités portant cession ou échange d'une partie de territoire pourraient être autorisés par une loi ; il s’agit maintenant d'examiner s'il y a lieu de conclure le traité proposé.

Sans doute, l'échange ou la cession ne peuvent être faites arbitrairement, l'association contractée doit être maintenue ; néanmoins, le droit de gens, constamment suivi par toutes les nations, admet des exceptions légitimes à ce principe.

« Le corps de la nation, dit un publiciste, ne peut abandonner une province, une ville, ni même un particulier qui en fait partie, à moins que la nécessité ne l'y contraigne, ou que les plus fortes raisons prises du salut public ne lui en fassent une loi. »

En effet, l'union serait déraisonnable et contraire au bien-être du genre humain, but de toute société, si elle était indissoluble, malgré les plus fortes raisons prises du salut public.

(page 491) Dans la grave question qui nous occupe si vivement, nous avons à combattre les raisons d'État avec l'espoir que la cession ne sera que nominale, qu'elle ne sera jamais consommée en fait.

Il est important de remarquer que les orateurs ne sont point d'accord sur les limites de notre territoire : les uns prennent pour base l'État de 1790, les autres celui de 1791, d'autres enfin celui de 1830 ; c'est ce dernier État que le congrès a pris pour point de départ, ainsi il n'y a pas compris la rive gauche de l'Escaut, dite Flandre hollandaise, mais il y a compris le Limbourg en entier ; cette base me semble la plus fondée, elle résulte de la séparation des provinces du Midi de celles du Nord, qui d'un seul et même État, fondée en 1815, en a fait deux nouveaux, également indépendants. Sous ce rapport Venloo fait partie de la Belgique, mais la séparation des provinces n'est pas entièrement consommée ; la ville de Luxembourg, administrée par le roi de Hollande, renferme une garnison menaçante ; la ville de Maestricht est entièrement en son pouvoir ; ses troupes occupent la citadelle d'Anvers, et des bâtiments de guerre sont stationnés dans l'Escaut.

D'autre part, les cinq grandes puissances, y compris la France, n'ont pas admis la même base que nous pour les limites de la province du Limbourg, elles ont reconnu à la Hollande les possessions qu'elle y avait en 1790.

Les cinq puissances nous proposent d'admettre cette base, et elles nous offrent, par contre, tous les territoires qui n'appartenaient pas à la Hollande en 1790 ; il faut donc examiner quel parti nous pouvons tirer de ces territoires.

Il est constant qu'il en existe de très considérables dans le Brabant septentrional et dans la Gueldre, que la Hollande a le plus grand intérêt à conserver ; dès lors, n'avons-nous pas un juste motif de croire qu'en les laissant à la Hollande, et y ajoutant s'il le faut un sacrifice pécuniaire, elle nous cédera les enclaves dans le Limbourg ?

On a prétendu que la Hollande ne nous cédera jamais Maestricht, qu'elle s'y maintiendra à tout prix, pour gêner et entraver notre commerce ; mais la libre navigation de la Meuse est stipulée dans les propositions de paix, et la Belgique pourra exercer dans cette ville la part de souveraineté que le prince de Liége y exerçait ; en vertu de cette souveraineté, le libre transit vers l’Allemagne sera également assuré à notre commerce, et dès lors, la part que la Hollande aurait dans Maestricht lui serait plus onéreuse qu'avantageuse.

Qu'on veuille bien ne pas perdre de vue que la Hollande, ruinée par l'énormité des dettes qu'elle a contractées depuis 1790, par la perte du monopole du commerce, n'est plus en état de conserver une position militaire telle que Maestricht, hors des limites de ses anciennes provinces ; qu'elle suffit à grand-peine à conserver dans la dépendance les colonies qui lui restent encore et qui lui suscitent tant d'embarras.

Quant à la ville de Venloo, la Hollande voudrait-elle la conserver pour empêcher la confection d'un canal utile à notre commerce ? Mais l'ancien tracé du canal du Rhin est en ligne droite de Ruremonde à Dusseldorff, et la communication de l'Escaut avec la Meuse peut être établie sur divers points indépendants de Venloo.

A la vérité, la position militaire de cette ville est importante pour la Hollande, mais elle ne lui est pas indispensable, et il suffirait peut-être de raser ses fortifications pour qu'elle ne lui portât pas ombrage. L'acceptation des préliminaires ne sera pas suivie d'une évacuation immédiate des terrains attribués aux deux parties ; le prince Léopold, devenu roi des Belges, pourra essayer auparavant et avec espoir de succès de s'entendre sur les échanges ou les indemnités.

Néanmoins, malgré cet espoir, il faut les raisons les plus fortes pour stipuler l'abandon d'une ville qui a si vivement et si utilement embrassé notre cause.

Mais, si nous refusons les propositions de paix qui sont le résultat d'une si longue négociation, il est peu probable que nous puissions maintenant traiter sous d'autres conditions ; et cependant l'état provisoire, indéfiniment continué, présente des dangers pour la sûreté intérieure et extérieure du pays.

D'autre part, essayer de traiter directement avec le roi de Hollande est une démarche inutile, aussi longtemps que nous demeurerons dans l'état actuel ; ainsi il ne nous resterait qu'à lui déclarer la guerre, en vue de le forcer plus promptement à la paix. Mais le roi, attaqué dans ses anciennes provinces, trouverait près du gouvernement prussien, aux termes des traités, les moyens de se défendre ; aucune puissance ne s'opposerait à ce secours, alors que toutes, sans exception, se sont formellement, et dans des actes réitérés, prononcées contre nos prétentions : à leurs yeux nous serions des agresseurs injustes et téméraires.

Des succès momentanés obtenus par nous ne forceraient pas le roi à faire la paix, tandis qu'il compterait sur des secours étrangers ; en attendant la fin d'une lutte, qui peut se prolonger bien au delà de nos pensées, nous pouvons prévoir des (page 492) dommages immenses causés par les inondations que les Hollandais occasionneraient pour se soutenir dans leurs positions sur la rive gauche de l'Escaut ; nous avons à redouter un nouveau bombardement d'Anvers en cas d'attaque contre la citadelle.

La stagnation toujours croissante des fabriques et du commerce, la difficulté de lever les impôts nécessaires dans les provinces, et la misère des classes inférieures du peuple, jointe aux manœuvres des agitateurs, pourraient amener les plus grands embarras si la guerre se prolongeait par suite des secours que les Prussiens accorderaient à la Hollande.

Il me semble, messieurs, que ces maux, joints à la mort de plusieurs milliers de nos concitoyens sur les champs de bataille, et à la crainte d'une guerre qui pourrait devenir générale et entraîner l'asservissement de notre patrie, peuvent légitimer un vote dont le résultat final ne portera peut-être préjudice à aucun de nos concitoyens. (M. B., 9 juill.)

M. d’Elhoungne – Messieurs, dans une discussion aussi solennelle, chaque député doit à la nation compte du vote consciencieux qu'il est appelé à émettre dans ces graves débats. C'est en acquit de ce devoir que je réclame pendant quelques instants l'attention de l'assemblée.

Regardant les propositions de MM. Van Snick et Jacques comme destructives du pacte social contracté pendant le danger et en présence de l'ennemi commun sous la foi du malheur ; persuadé qu'aucune puissance humaine ne peut nous délier de l'engagement pris pendant la lutte envers tous ceux qui y ont pris part ; et considérant cet engagement, cimenté par le sang et ratifié par la victoire, comme constituant pour les habitants de Venloo ce droit sacré de ne pas être abandonnés, et pour nous le devoir non moins sacré de voler à leur défense, de les garantir de toute agression, je voterai pour la question préalable que l'honorable M. de Robaulx vous a soumise, comme étant le mode le plus expressif elle plus digne du congrès de manifester son opinion.

Convaincu que les soi-disant préliminaires de paix sont un piège, et que leur acceptation minerait le trône qu'il s'agit de consolider, flétrirait l'honneur et le caractère belges, violerait le contrat, l'assurance mutuelle que la nation tout entière a conclu pendant le péril, et sous le sceau de la victoire ; convaincu, dis-je, que cette acceptation est subversive du principe même auquel nous devons l'honneur de siéger dans cette enceinte, et dont le congrès a seulement mission de (page 493) proclamer le fait et de développer les conséquences, je refuse mon suffrage aux propositions de MM. Jacques et Van Snick.

Professant l'opinion que les propositions de la conférence sont inconciliables avec nos droits, notre devoir, notre sûreté, notre intérêt, notre constitution ; que leur adoption n'aurait pour résultat que de nous engager dans un dédale de négociations sans fin, pour imprimer une tache de sang sur la couronne et le signe de la réprobation sur le prince appelé à la porter ; que, viciées dans le principe, aucun amendement ne pourrait les purger de ce défaut radical, tandis que la conférence repousse de son côté toute modification, je refusai encore ma voix à tout amendement, son adoption ne pouvant avoir ni but ni résultat.

En émettant ce vote, messieurs, je ne crois pas appeler sur ma patrie ni les fléaux de la guerre ni ceux de l'anarchie, dont on vous fait un vain épouvantail, pour égarer votre jugement et tromper votre raison. L'anarchie, messieurs ! Et le ministère ne vient-il pas lui-même de rendre hommage au bon sens national et de constater l'empire des lois, en proclamant l'insuccès de quelques démarches inconsidérées de la part de ceux qu’il prend pour un parti ?

D'ailleurs, messieurs, l'anarchie, si elle doit s'emparer de nos provinces, ne lèvera-t-elle pas sa tête hideuse du moment qu'il s'agira de mettre à exécution l'acceptation des propositions de la conférence ? Un député aux lumières, au patriotisme, à la franchise et à la loyauté duquel le ministère lui-même se plaît à rendre justice, vous a communiqué à ce sujet quelques détails qu'il est superflu de rappeler, et sur lesquels je me garderai bien d'appuyer, car on ne touche pas impunément à une corde qu'on ne peut faire vibrer sans danger.

Quant à la guerre, messieurs, la question belge présente deux aspects. On doit la considérer de nous à la Hollande, et à l'égard des puissances étrangères.

Sous le premier point de vue, personne sans doute n'est effrayé de l'idée de terminer nos différends par la voie des armes, quand les débats se trouveraient concentrés entre les deux peuples qu'ils concernent.

Quant à l'intervention étrangère, comment partager, messieurs, l'opinion de ceux qui la font dépendre du rejet des propositions de la conférence ?

Vous avez repoussé avec indignation le protocole des mêmes puissances du 20 janvier ; vous avez renvoyé les suivants. La conférence s'est courroucée et répandue en menaces : mais devant votre attitude pleine de calme et de fermeté, son courroux s'arrête et s'apaise comme par enchantement, et elle s'est bien gardée de réaliser ses menaces.

De nouveaux protocoles ont été minutés au Foreign Office, arrêtés par la conférence, colportés partout. Le congrès ne s'en est pas inquiété, et la conférence vous soumet aujourd'hui de simples propositions.

Elle nous a menacés de la confédération germanique ; ses troupes ont été mobilisées, au moins sur le papier ; jusqu'à deux reprises un terme fatal a été fixé à la Belgique pour se soumettre aux injonctions diplomatiques. Toutes ces démonstrations vous trouvèrent inaccessibles à la crainte ; les termes sont depuis longtemps écoulés et nos frontières sont respectées. Nulle puissance n'oserait les franchir, car tous le savent, ce serait le signal de ce qu'elles redoutent le plus, la guerre générale.

Ce n'est plus, vous dit-on, un 26ème protocole qu'on vous impose, ce sont de simples propositions. Le rejet tout comme l'acceptation est donc abandonné à notre libre arbitre. Comment s'imaginer maintenant qu'en usant de la faculté qu'on nous reconnaît, vous vous attirerez la guerre ? Si l’on peut encore nourrir quelque espoir d'échapper à une guerre générale, ce n'est que pour autant que le congrès se montrera inflexible sur le principe de la révolution auquel il doit naissance et que les propositions de la conférence foulent aux pieds. Oui, messieurs, le vœu des amis de la paix ne peut être exaucé qu'en nous montrant inflexibles sur tout ce que la sûreté de la Belgique réclame, et dont le pacte le plus saint, celui que nos concitoyens ont scellé de leur sang, nous impose le devoir.

Je vous le demande maintenant : qu'est la Belgique, sans la possession de la rive gauche de l’Escaut, du Limbourg, du Luxembourg ? que devient le port d'Anvers, si, pour y aborder, le navigateur doit côtoyer pendant l'espace de dix-huit lieues, ces deux rives d'une terre hostile à notre commerce ? Comment couvrir notre belle capitale sans la possession exclusive de Maestricht ? et qui de nous pourrait consentir à rompre le pacte du malheur, le pacte du sang, pour dénationaliser, pour extraduire en masse plusieurs milliers de Belges afin de les abandonner à l'animadversion d'un maître irrité et implacable ?

Messieurs, nous avons été trop souvent les témoins de l'extradition de quelques-unes des victimes des orages politiques qui, depuis plus de quarante ans, n'ont cessé d'agiter l'Europe. Qui de nous ne se rappelle encore le sentiment d'horreur et d'indignation qu'exhalaient nos cœurs profondément froissés, dans ces tristes circonstances ? Il s'agissait alors d'étrangers auxquels nous n'étions unis que par le simple lien de la sympathie et de l'humanité ; il s'agissait à chaque fois d'un ou de deux individus isolés, sans doute dignes de pitié puisqu'ils étaient dans le malheur, mais peut-être pas à l'abri de tout blâme, de tout reproche ; et néanmoins un concert unanime de réprobation accueillit à chaque fois ces extraditions partielles. Nous flétrissions alors avec toute la vigueur de la conscience soulevée ces véritables sacrifices humains, et maudissions leurs auteurs.

Aujourd'hui, messieurs, on vous propose, au nom de l'indépendance nationale, de conniver à ces détestables abus de la force et de tremper dans ces infâmes trafics de nos semblables, en mutilant de nos propres mains notre territoire, et en livrant à la vindicte d'un ennemi ulcéré ceux qui l'habitent, et qui pendant la révolution ont combattu dans nos rangs, expulsé cet ennemi de leurs murs, prodigué leur sang pour nous affranchir d'une domination oppressive.

Vous n'accepterez pas, messieurs, ce mandat du sang ; vous le répudierez, j'aime à le croire, avec indignation et mépris. Quant à moi, messieurs, je vous en dois l'aveu, si j'avais la faiblesse de donner mon assentiment à la dénationalisation de 80,000 de mes concitoyens répandus dans le Limbourg, pour les replacer sous le joug de Guillaume et de l'oligarchie hollandaise, dès cet instant, ma conscience bourrelée ne cesserait de faire retentir à mon oreille l'interpellation foudroyante qui si souvent nous a fait tressaillir : Caïn, qu'as-tu fait de tes frères ?... (M. B., supp., 9 juill.)

M. de Muelenaere – Messieurs, après le discours éloquent et surtout plein de logique prononcé par l'honorable M. Lebeau, il me reste bien peu de chose à dire en faveur des préliminaires de paix proposés par la conférence. Je me contenterai de vous soumettre quelques courtes observations ; je n'abuserai pas longtemps de votre attention. En vous soumettant les motifs principaux et déterminants de mon vote, je n'ai pas besoin de vous dire que je ne cède à aucune influence personnelle ni locale. J'ai mûrement examiné la question, et je l'ai fait dans le silence de toutes les passions. Avant d'aborder le fond de la question, je vous soumettrai une observation générale. J'ai vivement regretté que cette discussion n'ait pas été traitée avec ce calme et cette froide raison qui devraient présider à tous les actes d'une assemblée délibérante ; j'ai vivement regretté surtout qu'après cinq jours de débats on ait parlé avec cette (page 494) virulence et en employant ces expressions acerbes, dictées par des intentions généreuses, qui peuvent seules les excuser.

Je sens bien que les préliminaires de paix ne doivent pas avoir complètement répondu à l'attente des membres de cette assemblée et de la nation. Moi-même, je l'avoue, j'avais espéré que le prince de Saxe-Cobourg, par sa position unique vis-à-vis de la conférence, aurait obtenu un résultat plus tranchant et surtout plus avantageux, à la Belgique. Mais en politique surtout, il faut savoir faire la part des circonstances, et surtout, il faut savoir s'y plier et attendre du temps ce qu'elle vous refuse dans le moment présent. Or, je n'hésite pas à le dire, nous sommes arrivés à la fin de notre révolution, et nous y sommes arrivés d'une manière digne du peuple belge. Si notre révolution eût éclaté un an plus tôt, tout le monde demeurera d'accord qu'elle aurait été noyée dans le sang ; parce qu'elle a été faite dans les circonstances les plus favorables, faut-il se montrer exigeants jusqu'à l'injustice ? Je sais que l'insurrection est le plus saint des devoirs pour un peuple opprimé, mais l'insurrection, pour être légitimée, doit être juste ; si elle ne reste pas dans des bornes légitimes, si elle ne sait pas respecter les droits des autres peuples, si elle vise à la conquête, elle invoque alors le droit du plus fort, et ce droit aussi sera tourné contre elle. Je regrette donc de devoir l'avouer, parce que cet aveu pourrait nuire à nos prétentions, mais il me semble que les articles de la conférence sont plus favorables à la Belgique qu'à nos ennemis, et que s'ils présentent quelque chose d'injuste et d'hostile, c'est contre la Hollande.

Que disent en effet les articles 1 et 2 des propositions ? que la Hollande reprendra ses limites de 1790, et que la Belgique se composera de tout ce qui formait en 1815 le royaume des Pays-Bas. Ce n'est donc pas la Belgique, c'est la Hollande qui aurait à se plaindre, car elle perd tout, elle ne conserve que ce qu'elle avait il y a quarante ans, et nous, nous recevons un accroissement de territoire grand ou petit, peu importe, mais nous en recevons un, et c'est une preuve non équivoque que la conférence n'est pas aussi hostile à la Belgique qu'on voudrait le faire croire.

Mais, dit-on, on aurait dû prendre un autre point de départ. Mais lequel ? Vouliez-vous qu'on vous accordât la rive gauche de l'Escaut ? Mais d'abord il faudrait prouver que ces territoires appartenaient à la Belgique, ou que quand la France les a abandonnés, elle a fait cet abandon en faveur de la Belgique ; tant qu'on n'aura pas fait cette preuve, je dirai que la conférence a fait ce qu’elle devait faire. Je demande en effet si la conférence pouvait de prime abord faire autre chose sans s’exposer à l'accusation d'avoir violé en notre faveur tous les principes de justice et d'équité.

Quant à la question du Luxembourg, je n'examinerai pas maintenant s'il est réellement la propriété de la Belgique, et si elle le doit posséder sans indemnité ; mais, dès le mois de novembre, je l'ai dit devant plusieurs honorables membres que j'aperçois dans cette assemblée, que nous devrions négocier avec la Hollande pour obtenir le Luxembourg moyennant une indemnité. Mes prévisions se sont réalisées et dès lors j'ai partagé l'opinion de la conférence. On craint que le prince n'abandonne les intérêts de la Belgique sur ce point ; mais, messieurs, la possession du Luxembourg est pour le nouveau roi des Belges une question d'honneur et d'existence politique.

L'article 5 des propositions vous donne de justes motifs d'espérer que les négociations nous donneront tout ce que nous voulons. La conférence dit que, d'après les dispositions des articles 1 et 2, la Hollande et la Belgique posséderont des enclaves sur leurs territoires respectifs, et que ces enclaves pourront être l'objet d'échanges. Les questions d'enclaves se traiteront donc entre la Hollande et nous, et non entre nous et la conférence. La conférence abdique toute intervention dans nos affaires. Elle pose des bases, des principes généraux sur lesquels vous devrez traiter, et elle vous les soumet pour que vous les discutiez et pour qu'ensuite vous traitiez avec la Hollande. La conférence disparaît ici totalement, elle vous rend toute votre liberté ; c'est ce que vous aviez toujours demandé. Mais, dit-on, le prince de Saxe-Cobourg se rendra trop facilement aux exigences de la famille des Nassau, il lui livrera la ville de Maestricht et le Limbourg. Mais, messieurs, a-t-on oublié, il n'est malheureusement que trop vrai que les rois ont eu de tous les temps le tort de verser des torrents de sang pour la possession de quelques misérables villages, et croyez-vous que le prince de Saxe-Cobourg, qui par ambition (et je dis ce mot à dessein, car son ambition est juste, légitime, et il doit en avoir, car sans cela il aurait refusé la couronne que vous lui avez déférée) ; croyez-vous, dis-je, que ce prince, en venant par ambition au milieu de vous, cessera tout d'un coup d'avoir des entrailles d'homme et un cœur de roi ? Pensez-vous qu'il s'empressera de rendre à la Hollande des territoires qui veulent être belges ? Pensez-vous qu'il repoussera des hommes généreux qui par leur courage ont contribué à l'affranchissement de son (page 495) royaume ? Non, messieurs, vous ne le pensez pas.

Mai le prince Léopold, dit-on, est l'homme de la Sainte-Alliance. L'homme de la Sainte-Alliance ! C’est peut-être encore un mot magique sur les masses, mais c'est un mot vide de sens. Les révolutions de septembre et de juillet out tué la Sainte-Alliance en créant deux royaumes électifs à quelques lieues de distance l'un de l'autre. L'alliance est morte avec la légitimité ; la légitimité ! principe que les envoyés des rois absolus eux-mêmes conviennent être une erreur. Et vous croyez que ce prince, qu'on vous représente comme un prince sage et digne de vous gouverner, ce prince qui a un pied sur le trône d'Angleterre, abandonnerait la brillante et heureuse position qu'il occupe, pour venir prêter sa tête aux humiliations de la Hollande ? Croyez-vous qu'il vienne au milieu de vous pour s'attirer non seulement la haine de ses sujets, mais encore les reproches de la postérité ? Loin de partager la crainte qu'on manifeste, je crains, moi, que nous, représentants de la nation, nous ne soyons obligés de réprimer son ardeur, et de lui dire un jour qu'il a assez fait pour l’indépendance de la Belgique et pour la dignité de sa couronne. Convenez donc que si, d'un côté, on a peut-être trop rehaussé les avantages que nous assurent les préliminaires, de l'autre on les a trop passés sous silence. Déjà en effet nous en retirons un bien incontestable, celui de la dette, par exemple, au partage de laquelle, quelque équitable qu'il fût d'ailleurs, la Hollande n'aurait jamais consenti. Selon moi, je l'avoue, l'article de la dette devrait suffire pour nous faire accepter les préliminaires, parce que la dette nous assure la solution de toutes les difficultés. Jetez en effet un coup d'œil sur la position de la Hollande. Déjà en 1795 la Hollande avait à supporter un budget qui s'élevait au delà de 51 millions de florins. Vous savez quelles sont les dettes contractées pendant l'union des deux peuples. Vous savez enfin quels sont les sacrifices qu'est obligée de faire la Hollande pour l'entretien de son armée. Lisez les discours des députés aux États-Généraux ; vous y verrez que tous leurs vœux tendent à l'allégement de la dette. C'est que la dette est devenue pour la Hollande une question d'existence, et il est impossible qu'avec la dette, les Nassau se soutiennent longtemps sur le trône de nos voisins. Croyez-vous que la Hollande, au milieu de tous ses embarras, tiendra autant qu'on veut le persuader à Maestricht et à Venloo, deux villes sans importance quoi qu'on en dise, aujourd'hui que la libre navigation des fleuves est un principe consacré par la politique européenne ? Non. Vous connaissez l'esprit des Hollandais, celui de leur roi ; ils feront des difficultés, je n'en doute pas, pour la cession des territoires ; mais ces difficultés n'auront pour but que de les vendre plus chèrement, et à prix d'argent vous les achèterez.

J'ai été profondément touché des plaintes des députés du Limbourg. Envoyé ici par une province qui n'a plus d'intérêt direct à la conservation de Venloo, je ne consentirai jamais à céder à nos ennemis le plus petit clocher où aurait flotté le drapeau brabançon. Je suis prêt à souscrire plutôt à tous les sacrifices ; mais je regrette qu'une question politique de cette importance ait été traitée sous le rapport exclusivement sentimental.

Un député d'Anvers (M. Claes) a émis dans la séance d'hier plusieurs assertions erronées ; il a prétendu, entre autres choses, qu'en 1790 la Belgique n'avait point de commerce : mon honorable ami, M. Serruys, répondra à ces assertions, et il lui suffira pour les détruire d'invoquer ses souvenirs et de nous dire ce qu'il a vu. Le député d'Anvers ignore sans doute qu'en 1790 le port d'Ostende était un des plus riches de l'Europe, et que depuis la guerre d'Amérique surtout il avait acquis un degré de prospérité incomparable. Les craintes que lui inspire l'article 11, qui déclare que le port d'Anvers continuera d'être un port de commerce, ne me semblent nullement fondées. D'après cet article, la situation du port d'Anvers n'est pas changée, elle est ce qu'elle fut pendant quinze ans, et je n'ai pas entendu dire que, sous le règne de Guillaume, Anvers ait eu à se plaindre de sa position. Mais de ce qu'Anvers restera purement et simplement port de commerce, on en tire la conséquence que notre commerce sera sans protection, parce que nous ne pourrons avoir de marine militaire. Je pense que l'honorable membre se trompe, et qu'il ne connaît ni notre position sur la mer du Nord, ni la position de la ville de Bruges ; il ne sait pas que derrière la ville d'Ostende il est on ne peut pas plus facile d'établir un chantier de marine militaire. Lors de la réunion de la Belgique avec la Hollande, nous avions deux chantiers de marine. L'un à Rotterdam, l'autre à Amsterdam. A Rotterdam la Meuse n'a pas plus de douze pieds de profondeur, et cependant on y construisait des vaisseaux de haut bord. Eh bien, des vaisseaux d'un tirant d'eau de dix-huit pieds sont entrés récemment dans le port d'Ostende, il a au moins vingt-deux pieds de profondeur, et si le gouvernement veut me seconder, bientôt au moyen d'une légère dépense, il en aura vingt-cinq.

Mais à Ostende, vos navires ne seront pas à l'abri d'un coup de main, dit-on. C'est une erreur (page 496) grossière. Il suffira d'armer les forts, et surtout le fort Napoléon, pour rendre toute entreprise infructueuse. Il est facile d'empêcher un débarquement sur la côte ; il suffit pour cela d'avoir une garnison dans Ostende.

(Ici l'orateur cite un cas où les Anglais débarquèrent sur la côte, et où tous furent faits prisonniers, pendant les guerres de l'empereur ; l'orateur explique aussi comment, avec douze pieds d'eau, on peut construire des vaisseaux de guerre. On les met sur les agrès d'abord, et on les amène en rade, où ils sont armés en guerre. L'orateur reprend ensuite son discours ainsi :)

On dit que le peuple veut la guerre. Messieurs, depuis dix mois on a singulièrement abusé des mots dans cette enceinte. On parle toujours au nom du peuple, et souvent les choses les plus contradictoires sont demandées en l'invoquant. Messieurs, j'ai l'honneur de me trouver à la tête d'une province de six cent mille âmes. Cette province, par sa population et par les impôts qu'elle paye, forme le cinquième de la Belgique. Eh bien, voulez-vous connaître l'opinion de la Flandre occidentale sur les articles de la conférence et sur la question de paix ? Je vais vous la dire. Jouissant de toute la confiance de mes administrés, j'ai recueilli leurs voix, et voici l'opinion de la Flandre occidentale : On y regarde la guerre comme l'événement le plus fatal ; et je vous affirme que le décret d'acceptation des articles y sera reçu avec bonheur et avec enthousiasme. Ce peuple laborieux veut la paix, pourvu qu'elle ne soit pas déshonorante, parce qu'il sait qu'elle seule peut l'ouvrir les sources trop longtemps desséchées de sa prospérité. Le peuple de la Flandre occidentale redoute la guerre, non par faiblesse, mais parce qu'il ne veut pas livrer l'indépendance de son pays et son sort aux incertitudes et aux hasards des combats.

Je terminerai, messieurs, en vous suppliant de ne pas oublier que le sort du pays est entre vos mains. Vous pouvez encore constituer la Belgique ; vous pouvez, en retournant dans vos foyers, recueillir les bénédictions de vos commettants, si vous leur conservez une indépendance et une nationalité pour lesquelles ils forment des vœux ardents ; mais les événements se pressent : ils marchent à pas de géant ; il n'est plus donné à aucune puissance au monde de les arrêter, hâtons-nous de clore notre révolution. N'oublions pas que le fruit de toutes les révolutions a été perdu par l'exigence des assemblées délibérantes. Si vous ne saisissez pas aujourd'hui l'occasion de nous constituer, la révolution de 1830 aura le sort de celle de 1790 ; comme elle, elle périra par nos mains et aura pour terme l'ignominieuse restauration et le morcellement du pays. Non, devant Dieu et devant les hommes, je vous en adjure, ne dites pas non ! Pour ma part, je ne veux pas assumer sur ma tête la responsabilité d'un vote négatif. (M. B., 9 juill.)

M. de Neeff – Messieurs, plusieurs honorables membres de cette auguste assemblée vous ont dit : La guerre est un fléau ; c'est une des mille plaies qui de temps à autre affligent l'humanité ; ces honorables collègues vous ont dépeint toutes les horreurs que ce fléau apporte avec lui : flots de sang versé, argent du peuple dépensé, châteaux dévastés, brûlés, ou renversés... Quant à moi, messieurs, j'ai aussi horreur du sang ; mais j'en fais l'aveu, le sort le plus inquiétant pour moi, c'est la perte de l'honneur, de la prospérité et de l'indépendance de mon pays ; oui, messieurs, on vous a démontré que la guerre a souvent ses conséquences désastreuses ; mais, je le demande, est-ce là un fait qui puisse influencer votre décision ? Non, messieurs, mille fois non ! la guerre est aux peuples comme un remède souverain est aux malades ; il ne s'agit que de discuter l'opportunité de son emploi.

Il y a déjà bien des jours que la discussion sur la matière que nous traitons est engagée, et cette discussion a, j'en conviens, révélé de très grands talents dans cette assemblée ; mais pour être doués de grands talents, tous les orateurs sont-ils restés dans la question ? Je voudrais le croire ; mais, quand je me fais, moi, qui ne suis pas avocat, la simple demande : Y a-t-il nécessité absolue de céder à la conférence ? je ne me rappelle rien dans nos longues discussions qui puisse m'éclairer à ce sujet. Les deux opinions qui nous partagent ont eu chacune d'habiles défenseurs, mais quel est celui qui nous a démontré qu'il y a pour nous nécessité de nous soumettre à la conférence, et nécessité telle, qu'elle nous mette en contradiction complète avec nos précédentes résolutions, qu'elle fasse du congrès une espèce de caméléon politique, qu'elle nous isole de la nation, et qu'elle nous oblige à trafiquer de deux villes et provinces ? Où est donc l'invasion de la part des puissances ? Il y a quelques mois qu'on nous en menaçait ; aujourd'hui on n'en parle même plus. Sommes-nous menacés d'un ennemi formidable ? Non, et quoi qu'en ait dit M. Nothomb, je parle par expérience : les Hollandais sont lâches aujourd'hui ; ils fuiraient à la première réapparition de nos blouses ! Où est donc l'urgente, l'absolue nécessité de mendier la paix à un ennemi qui a brûlé nos villes, (page 497) qui a commis mille excès, et qui aurait fait de cette enceinte même un monceau de cendres, si le courage d'une population voisine n'eût arrêté la foudre prête à tomber sur Bruxelles, et à l'écraser ? Rappelez-vous ce qui s'est passé devant Louvain, les 3 et 23 septembre : les blouses des habitants de cette ville étaient déjà usées à cette époque, et jamais ils ne se sont vantés de l'avoir portée les premiers ; ils la portent encore, en sont fiers, et ne voudraient pas l'échanger contre un habit chamarré d'or.

C'est cette population héroïque dont on rejeta hier l'expression d'opinions généralement manifestée, et qui, je me plais à le dire, n'a pas mérité qu’on la traitât de factieuse ; je le répète, messieurs, sans la courageuse résistance de cette population, pendant les journées de septembre, vous ne siégeriez pas dans cette enceinte.

La paix est chère, messieurs, quand on l'achète, au prix de l'honneur, sans y être contraint par une force à laquelle on ne pourrait résister. La Belgique se déshonorera-t-elle ? Les habitants de Maestricht et de Venloo ne pourront-ils pas dire, tôt ou tard : « Ils nous ont vendus, et ce n'était pas même nécessaire. » Il y a de l'écho en Belgique quand on parle d'honneur et d'indépendance ; il y a du mépris, de la haine en Belgique pour les lâches et les traîtres ; messieurs, je vous en supplie, n'oublions pas que nous représentons la Belgique.

Et pour pallier le déshonneur qui est attaché à l’adoption des préliminaires, on est allé chercher bien loin de très singuliers motifs : on à, par exemple, insinué que si nous nous soumettons à la Sainte-Alliance, nous faisons une action favorable à la cause polonaise, et l'on s'est étayé de propos tenus par des Polonais. A part tout ce qu'a d’absurde et de ridicule la proposition en elle-même, je me permettrai de demander à M. le ministre des affaires étrangères quel caractère ont ces Polonais dont il s'agit ; s'ils sont accrédités auprès de M. le régent, et si leurs paroles peuvent être regardées comme l'expression vraie des sentiments du peuple le plus brave de l'Europe ?

Je demanderai s'il est présumable qu'une nation qui n'a pas demandé à la Sainte-Alliance patente pour se déclarer indépendante, vienne aujourd’hui, victorieuse et grande, faire amende honorable de principes dont elle a payé la conséquence au prix de son sang ?

Voyez aussi, messieurs, où, dans les préliminaires-protocoles, nous conduit l'absurde : les puissants qui tiennent dans leurs mains les destinées des nations, nous accordent comme une grâce, ce qu'ils appellent la neutralité : telle qu'ils l'entendent, cette neutralité exclut toute idée d'armement. Ainsi, pour récompenser les braves défenseurs de la patrie, il ne nous reste qu'à les renvoyer chez eux !

Messieurs, ne vous semble-t-il pas voir un lion qui consent à se laisser limer les dents, et rogner les ongles.

Le désir d'en finir à tout prix avec la révolution, est un prisme qui change, aux yeux de plusieurs de nos honorables collègues, la couleur des préliminaires qu'on nous propose ; mais quand on le voudrait, pourrait-on finir à tout prix ? croit-on arrêter dans ses compléments un fait tel que notre révolution ? croit-on que si nous cherchons à contrarier la marche de notre juste et glorieuse révolution, elle ne marchera pas sans nous et malgré nous ? Croyez-en une vieille expérience : les révolutions se font, mais on ne les fait pas.

Une fois que l'humanité est en marche, elle ne s'arrête pas à un simple commandement de halte. (On rit.)

Voilà, messieurs, des faits qu'aucune éloquence ne pourra détruire, bien que l'éloquence ait parfois des effets merveilleux. N'avons-nous pas vu d'honorables membres dont la sensibilité s'est émue tour à tour en faveur et en défaveur des habitants de Venloo ; n'avons-nous, pas vu, dans cette enceinte, verser des larmes pour et contre nos frères. L'éloquence est comme le Passant chassé par le Satyre dans La Fontaine ; elle souffle à la fois et le chaud et le froid. Convaincu que l'adoption des préliminaires tuerait notre dignité nationale, romprait la chaîne qui nous unit, morcellerait notre territoire et nous livrerait aux horreurs de l'anarchie et de la guerre civile, je voterai pour la question préalable, et je rejetterai les propositions qu'on veut nous imposer. (E.. 9 juill.)

M. le baron Osy – Messieurs, en prenant la parole aujourd'hui, après avoir entendu tant d'orateurs, je croirais abuser de votre patience si je vous disais toutes les raisons qui me feront adopter les préliminaires de paix ; quand on a écouté avec attention les discours admirables de MM. Lebeau, de Gerlache et de Muelenaere, il ne reste presque plus rien à dire, et ce serait une prétention bien mal fondée de ma part de vous entretenir longuement ; mais je ne puis cependant manquer de vous faire remarquer les différences qu'il y a pour le commerce, entre les protocoles et les préliminaires de paix ; car je trouve que jusques hier on n'en a presque pas parlé, et je ne puis partager presqu'en aucun point les opinions qu'un de mes honorables concitoyens vous émit à (page 498) la fin de la séance d'hier, et que je tâcherai de combattre.

L'article 3 du protocole du 20 janvier disait : « Il est entendu que les dispositions des articles 108-117 inclusivement de l'acte général du congrès de Vienne, relativement à la libre navigation des fleuves et rivières navigables, seront appliquées aux rivières et aux fleuves qui traversent le territoire hollandais et le territoire belge. »

Avec cet article, je suis persuadé que vous n'auriez jamais obtenu la libre navigation du Rhin sans que la Hollande nous eût suscité pendant nombre d'années mille embarras ; ce que M. Claes vous a dit hier ne pourrait s'appliquer que si nous eussions accepté les protocoles ; je crains que l'honorable membre ne se soit formé une fausse idée de ce point important pour notre commerce d'Allemagne, sur l'impression que nous avons tous ressentie lors de la réception du protocole du 20 janvier ; mais je crois qu'il n'a pas assez réfléchi au changement notable obtenu par l'article 7 des propositions qui vous sont soumises, article qui m'a beaucoup occupé pendant mon séjour à Londres, et sur lesquel j'ai fortement insisté : permettez-moi de vous faire remarquer la différence.

D'après l'article 7, il est positivement stipulé que la Belgique participera à la navigation du Rhin par les eaux intérieures entre ce fleuve et l'Escaut.

Pour aller d'Anvers au Rhin, nous devons passer par plusieurs bras de l'Escaut et de la Meuse ; de manière que, d'après le protocole, vous n'auriez jamais obtenu la libre navigation du Rhin, parce qu'il est clairement expliqué que nous ne pouvions profiter que des fleuves et rivières qui traversent le territoire hollandais et le territoire belge ; tandis que maintenant nous avons obtenu de passer par les eaux intérieures qui lient le Rhin à l'Escaut, et il est impossible d'après cela qu'on nous suscite les mêmes embarras que ceux dont la confédération germanique a eu à souffrir depuis quinze ans, et dont on s'est plaint à si juste titre, mais qui n'auraient pas eu lieu si, au congrès de Vienne, on avait stipulé, comme je l'ai si positivement demandé, la navigation par les eaux intérieures.

La Hollande ne pourra plus nous forcer, pour aller au Rhin, de prendre la mer et de rentrer par la Meuse ; ce serait éluder la libre navigation du Rhin, car les navires qui vont à Cologne ne peuvent pas prendre la mer, et ainsi on ne pourra pas nous indiquer, comme on l'a fait pour les Allemands, des bras de rivières non navigables, car maintenant on stipule pour nous les eaux intérieures entre le Rhin et l'Escaut.

D'après ce peu de mots, je suis persuadé que, comme moi, vous serez parfaitement rassurés ce point ; je n'ai plus aucune inquiétude, et je pense qu'aussitôt que nous aurons un gouvernement reconnu par toutes les puissances et qui pourra négocier directement avec la Hollande, cet objet si important sera promptement réglé.

Vous avez pour garant de l'exécution franche de cet article les cinq puissances, mais vous en avez un autre dans vous-même, car vous direz à la Hollande, en loyal Belge, quand on vous demandera l'exécution de l'article 12 pour la dette : Je suis prêt à vous payer approximativement ma part dans la dette et à régler cet objet ; mais laissons marcher de front nos autres points à régler, entre autres la libre navigation pour le Rhin, l'usage des canaux, et l'échange des enclaves, car on ne peut pas prétendre de nous de régler l'un sans l'autre.

L'intérêt donc de la Hollande est de finir au plus tôt les objets sur lesquels nous devons négocier aussitôt que les préliminaires de paix seront signés. Lisez les discours prononcés il y a peu de jours aux États-Généraux : les députés hollandais désirent comme nous de terminer nos différends.

Dans les protocoles précédents, on ne vous avait jamais accordé l'usage des canaux de Willemsvaart et Terneuze ; c'est encore un point sur lequel j'ai fortement insisté, et dont le principe est arrêté ; et d'après les considérants pour la dette, les arrangements s'ensuivront promptement.

L'honorable M. Claes vous a dit qu'il ne suffirait pas de faire des canaux et des chemins de fer jusqu'à nos limites, mais qu'ils devraient être joints au Rhin, et que pour y arriver, ce sera l'affaire de nos voisins. Mais les habitants des provinces rhénanes et ceux d'outre-Rhin sont les plus intéressés à avoir avec nous des communications accélérées et économiques, et soyez sûrs qu'ils nous aideront à prolonger ces communications ; il y a deux ans que les États provinciaux d'Anvers ont parlé de faire un canal pour unir l'Escaut à la Meuse, et depuis lors nous avons reçu de nos voisins les plus grandes assurances qu'ils continueront nos travaux jusqu'au Rhin ; nous n'éprouvons pas chez eux les obstacles et les entraves que les Hollandais nous ont suscités, et dont je trouve les preuves les plus grandes dans le discours de M. Opden Hoof, du 23 juin.

J'ai aussi demandé qu'on prévoie les inondations (page 499) qui pourraient avoir lieu, attendu que nous ne sommes pas maîtres des écluses pour l'écoulement des eaux des Flandres. Vous voyez que nous l’avons obtenu, quoique les protocoles n'en aient pas parlé ; cela doit rassurer les propriétaires des Flandres, et c'est un grand soulagement dans les regrets que nous avons tous de ne pas voir la rive gauche de l'Escaut réunie à la Belgique ; quand on consent à prendre pour base de séparation les limites de la Hollande en 1790, il me paraît bien démontré que nous n'avons pas de droit sur ce territoire ; mais je me flatte et je ne perds pas tout espoir que plus tard nous pourrons l'obtenir par des arrangements avec la Hollande ; car pour elle, maintenant que l'Escaut sera libre, sous la garantie de toutes les puissances, cet objet sera plus onéreux qu'avantageux, tandis que pour nous ce sera avantageux ; mais ce n'est pas une raison de réclamer maintenant ce qui ne nous appartient ni en droit ni en fait, et de repousser le traité de paix. Et remarquez bien, messieurs, que si même vous aviez pu obtenir par l'acte de séparation la totalité des provinces méridionales, vous n'auriez pas encore eu la rive gauche de l'Escaut, qui faisait partie de la province de Zélande.

Avant de passer à un autre point, je sais que nous avons besoin de faire des arrangements pour notre station de pilotage, et un règlement pour assurer la libre navigation de l'Escaut ; j'avais demandé d'avoir Terneuze pour notre station, mais la conférence paraît ne pas avoir pu entrer dans ces détails, et je ne désespère pas que nous puissions nous entendre sur ces points avec la Hollande.

Mon honorable collègue M. Claes vous a dit que puisque nous n'avions pas la rive gauche de l’Escaut, il prévoyait que nous n'aurions jamais la libre navigation de ce beau fleuve, que nous retomberions sous peu, pour cet objet, dans l'ancien des Barrières, et que l'on nous ferait payer à l’entrée dans l'Escaut tous les droits qu'on trouverait convenables : mais à cela je lui répondrai, que dès la réunion du congrès, au mois de novembre, nous avons demandé la libre navigation de l'Escaut, que nous l'avons obtenue depuis le 20 janvier, et que, malgré l'état de guerre, les navires qui ont remonté l'Escaut n'ont été ni visités ni obligés de payer la moindre chose ; c'est que ainsi la Hollande devra toujours entendre la libre navigation ; ce qui s'est passé depuis six mois me rassure entièrement.

M. Claes regrette encore l'article 11, qui dit qu’Anvers ne sera qu'un port de commerce, et il s’y oppose, parce qu'il ne saura pas où faire construire nos frégates ni nos vaisseaux de ligne, qui ne pourront pas entrer dans nos beaux bassins. Pour moi, je suis charmé que nous n'ayons pas besoin de marine ; ne possédant pas de colonies, nous n'avons pas besoin de flottes, qui seraient une dépense tout à fait inutile ; le ministère de la marine n'aura à s'occuper que de faire construire quelques canonnières pour empêcher la fraude et entretenir nos relations avec l'Amérique et la Méditerranée, et la grande économie que vous aurez de ce chef pourra être appliquée à d'autres objets utiles pour le commerce. Je ne crains pas que notre pavillon soit attaqué : comme nous serons reconnus neutres par toutes les puissances, si jamais il était insulté par la Hollande, ce serait une agression, et vous pourriez, par terre, prendre contre elle les représailles nécessaires.

Je suis également un de ceux qui regrettent que nous n'ayons plus sur l'ancien pied le commerce de l'île de Java, qui faisait un si grand objet de prospérité pour notre commerce, notre navigation et notre industrie. Vous savez, messieurs, et je vous l'ai dit franchement et dans toutes les occasions, mais avec toute la réserve possible, que je regrettais que nous n'eussions pas depuis la révolution formé une combinaison qui aurait laissé exister la réunion à la Hollande, sous une administration tout à fait séparée ; mais comme ma voix et mes désirs n'ont pas pu prévaloir, je dois prendre la situation du pays telle qu'elle est maintenant ; dès que j'ai vu que l'ancienne réunion ne pouvait plus avoir lieu, j'ai franchement et sans aucun détour donné ma voix à notre futur souverain ; mais pour le voir régner sur nous, je dois contribuer de tous mes moyens, et en subissant toutes les conséquences, tâcher, par de nouvelles voies, de rendre la prospérité au pays ; et sans me flatter qu'elle sera de suite aussi grande qu'avant notre révolution, je vous avoue que je suis loin de désespérer qu'avec les vues éclairées de notre souverain, et en tâchant de le seconder de tous nos efforts, nous revoyions encore la Belgique prospère et heureuse.

Les propositions du 27 janvier nous faisaient conserver les avantages du commerce des Indes sur le même pied, avec les mêmes droits et les mêmes avantages que la Hollande, mais en nous chargeant de 16/31 de la dette ; tandis que maintenant, d'après les préliminaires de paix, le mode de liquider diffère si essentiellement, qu'il n'y a pas à balancer ; comme nous serons toujours reçus aux Indes au moins sur le même pied que la nation amie la plus favorisée, je ne désespère pas que par notre activité, intelligence et économie, (page 500) nous pourrons lutter avec les Anglais, pourvu que par la suite, nous accordions pour nos objets de manufactures une prime d'exportation réglée sur des bases équitables, et qui encourage l'industrie pour qu'elle fasse des efforts d'amélioration, et ne reste jamais stationnaire.

L'économie de la dette se montera au moins à six millions par an ; une partie pourrait servir aux primes d'exportation et à favoriser nos armements de long cours, et au lieu de devoir exporter annuellement cette somme en Hollande, comme presque tous les créanciers de la dette hollandaise se trouvent dans ce pays, ce numéraire restera chez nous ; on remploiera pour occuper les nombreux ouvriers de nos industriels et pour faciliter nos armateurs à reprendre leurs expéditions aux Indes. Aussitôt que nous serons constitués, je ne doute pas que l'on ne puisse soumettre à la législature quelques bonnes idées pour cet objet important ; le grand espoir que j'ai, après mûre réflexion, de voir réussir ce plan, donnera, je pense, à nos commerçants, une grande tranquillité et de la confiance dans l'avenir.

Déjà, pour plusieurs objets de laine et de coton, nous pourrions lutter sans désavantage avec nos rivaux en industrie ; et comme les bénéfices ne seront plus obtenus aussi facilement, que l'industrie sera favorisée sans partialité, de manière que chacun sera traité sur le même pied, parce qu'on ne donnera plus des fonds à des établissements qui ne le méritaient pas ou qui en faisaient mauvais usage, je m'attends à ce que nos industriels feront de nouveaux efforts pour rivaliser avec les Anglais, et comme la main-d'œuvre chez nous est à beaucoup meilleur compte qu'en Angleterre, et que nous sommes presque aussi avancés en mécaniques que les Anglais, je ne doute pas qu'avant peu d'années, avec un arrangement bien entendu et bien réparti, nous pourrons exporter à aussi bon compte que les Anglais, et alors les Hollandais viendront de préférence acheter chez nous les objets manufacturés dont ils auront besoin pour leurs colonies.

Sur ce point important, j'ai déjà eu l'avantage de m'entretenir avec le prince Léopold, et je puis vous assurer qu'il a d'excellentes vues ; cela doit rassurer nos armateurs et nos industriels, et j'espère qu'aussitôt que nous aurons la paix et un gouvernement reconnu, ils pourront recommencer à travailler et donner de l'ouvrage à notre classe laborieuse, qui a souffert avec une résignation admirable depuis dix mois, ce qui fait son plus grand éloge.

Il me reste à vous dire quelques mots sur les enclaves et l'évacuation présumée de Venloo, mais qui ne paraît nullement décidée.

D'après les articles 1 et 2, il est évident qu’on ne pourra pas nous contester la réclamation des enclaves en Hollande, et qu'on devra reconnaître nos droits sur Maestricht, et ceci balancera une grande partie des enclaves que la Hollande aura chez nous, et je pense que nous aurons tout au plus à perdre la langue de terre au-dessous de Venloo jusqu'à Mook, et avec le décret d'indemnité, qui, j'espère bien, sera adopté, je crois que nous donnerons toute facilité à ceux qui voudront rester Belges de faire de nouveaux établissements.

J'espère que nous pourrons conserver Venloo, mais je n'ai pas de craintes pour Maestricht, ainsi je ne parlerai que de Venloo. J'ai été profondément ému de ce que plusieurs orateurs nous ont dit de cette ville héroïque et qui mérite à de si justes titres de rester belge, mais ce ne sera, d’après mon opinion, que le seul objet important qui peut donner des craintes. Je vous demande, messieurs, si c'est une raison fondée pour rejeter les propositions de paix, et de recourir de suite aux armes, ce qui en serait la conséquence !

Je conçois que, d'après le plan de campagne de mon honorable concitoyen qui a parlé hier, la ville d'Anvers n'aurait pas beaucoup à souffrir si la guerre était déclarée. Mais je regrette de devoir lui dire que je ne crois pas que les Hollandais feront la guerre comme il l'entend, car il ne suffit pas de ne pas attaquer la citadelle et de nous battre aux frontières ; pour moi, je crains que, tandis que nos bataillons seront dans le Brabant, les Hollandais, qui par leur citadelle et leur flotte sont dans le cœur de notre pays, tâcheront, par des sorties et en portant une grande force par l'Escaut, à faire des diversions et à nous empêcher de cette manière d'aller beaucoup au-delà de nos frontières, et ces sorties amèneront peut-être dans la malheureuse ville d'Anvers, ainsi que dans tous les environs, des combats très sanglants ; la crainte d'un bombardement subsistera toujours, et il faudra bien finir par déloger les Hollandais de cette formidable citadelle.

Ainsi, aux dépens d'Anvers, la guerre pourra peut-être nous conserver une ville de 6,000 habitants, ville qui a signé l'Union d'Utrecht en 1579, qui a toujours été hollandaise, car ce n'est que depuis 1795 qu'elle a seulement eu les mêmes souverains que nous ; tandis qu'Anvers, ville si florissante, qui fait le pivot de notre prospérité et qui est l'objet d'envie de toutes les puissances, surtout de la Hollande, qui ne serait pas fâchée (page 501) de la voir ruinée de fond en comble, a toujours été belge, et doit, à plus forte raison, avoir tous les titres à notre sollicitude particulière ; vraiment je ne conçois pas que ceux qui ont tant parlé de Venloo aient si peu pensé au sort malheureux qui attendrait Anvers en cas de guerre ; cependant cette ville est habitée par 70,000 Belges, qui ont toujours été Belges. Depuis dix mois elle a vu s'éloigner de ses murs plus de 15,000 citoyens, qui ne soupirent qu'après l'arrivée du souverain et l'acceptation des dix-huit articles pour rentrer dans leurs foyers, qu'ils ne reverraient peut-être plus jamais si vous les rejetiez et si vous déclariez la guerre, que je vois à regret réclamée avec autant d'instance par plusieurs membres de cette assemblée.

Balancez donc le malheur certain d'une grande belge avec un abandon très incertain d'une ville qui n'est belge que par le courage qu'elle a montré et en s'associant à votre révolution. Réfléchissez et prononcez.

D’après toutes ces considérations, je crois rendre un grand service au pays en votant pour l'acceptation pure et simple des dix-huit articles, et je me flatte qu'après leur adoption, la majorité et la minorité s'entendront comme de francs et loyaux députés, pour faire renaître dans tout le pays ce calme dont nous avons tous si grand besoin après ce long orage. Je suis persuadé que notre futur souverain nous fera promptement oublier les maux que nous avons soufferts, et que notre belle patrie reverra sous peu des jours heureux et tranquilles. (M. B., 9 juill.)

M. Meeûs – Reconnaissant mes faibles moyens dans l’art oratoire, il ne faut rien moins aujourd’hui le cri de ma conscience pour vaincre ma répugnance à prendre la parole.

Deux motifs puissants me feront voter pour la question préalable.

Le premier motif est puisé dans le principe même de l'existence de la société que vous représentez. Non, ce n'est point au cri des traités de 1790 qu'une partie de la société qui existait avant notre révolution s'est séparée de l'autre.

Les mêmes statuts, vous le savez, nous réunissaient avec les Hollandais en une seule et même société. Bientôt une partie de cette société reconnut que ces statuts sacrifiaient trois millions et demi d’habitants à l'égoïsme de deux millions. C'est là , messieurs, la cause unique de notre séparation.

Mais quelles seront les limites de la nouvelle société ? Eh ! messieurs, celles mêmes tracées par la séparation. Ici, permettez-moi de le dire franchement : si le Brabant septentrional et la Zélande elle-même s'étaient joints à nous, ils seraient de droit membres de cette société, et aucune puissance de la terre n'aurait le droit d'invoquer ni pour ni contre nous les traités. Elle ne pourrait se mêler de nos affaires que pour terminer par une voie de conciliation les différends que laisse naturellement après elle une rupture violente.

Aujourd'hui cependant, que fait-on ? on intervient ; on veut stipuler pour soi ! Vous devez être neutre, vous dit-on ; et ombrageuses de la valeur belge, les puissances semblent par leurs précautions nous prédire que nous devons être un jour un plus grand peuple.

Mais je nie que les puissances puissent intervenir dans nos affaires tant que nous ne manquons pas aux droits des gens, aux droits des nations. Et ici, messieurs, permettez-moi d'examiner brièvement notre conduite sous ce dernier rapport.

Comme pour trouver que la modération est compagne de la véritable valeur, vous l'avez poussée jusqu'à la condescendance. Vous deviez constituer l'État ; il fallait choisir entre la république et la monarchie ; vos voisins craignent la république, vous choisissez l'état monarchique.

Il s'agit d'élire un roi ; un jeune prince se présente, fils d'un grand homme, dont l'histoire a enregistré la valeur ; la France s'en inquiète, que faites-vous ? C'est parmi les enfants de France que vous choisissez votre roi.

Mais déjà l'ombrageuse Angleterre, à tort ou à raison, croit voir la Belgique à la France. On vous refuse le duc de Nemours. Que faites-vous alors ? Alors, messieurs, je le dis ici franchement, vous avez poussé la modération jusqu'à la dernière complaisance.

L'Angleterre désire un autre gage de notre nationalité. Il faut lui prouver que nous voulons être Belges, rien que Belges et jamais Français ; elle le désire. Eh bien, vous allez décréter un Belge au sein même de l'Angleterre ; vous élisez le duc de Saxe-Cobourg.

Et ici, permettez-moi de le dire, c'est ce choix qui sauvera la Belgique ; qu'on me dise, après cela, quand et où nous avons manqué aux droits des gens, aux droits des nations ?

Dès lors, messieurs, quelle puissance oserait, sans violer les principes d'éternelle justice, nous imposer des conditions ? Non, messieurs, tranquillisez-vous, le jour a lui où la force brutale ne fait point toujours fléchir la justice. Voyez au Nord ces quatre millions de braves qui font trembler le colosse du Nord, ce colosse qui naguère menaçait le monde entier.

Je me résume, et je ne crains pas de le déclarer, (page 502) c'est avec les Hollandais seuls que nous devons traiter. Nos limites sont celles de notre séparation ; offrons-leur sur cette base d'une main l'olivier, de l'autre l'épée.

Le second motif qui me fera voter pour la question préalable, c'est que je reconnais que je n'ai point reçu mon mandat, non seulement de ne point aliéner, mais pas même de compromettre un seul de mes mandants. M. Lebeau, dont j'envie ici une partie de l'éloquence pour faire passer en vous l'émotion de mon âme, a dit, en s'adressant aux députés du Limbourg, et principalement à l'éloquent M. Jaminé et au consciencieux M. de Brouckere ; « Eh quoi, messieurs, vous vous retirerez de cette assemblée ? Mais oubliez-vous que vous n'êtes point les représentants de la ville de Venloo ? vous êtes représentants de toute la Belgique. »

Oui, messieurs, ces principes sont vrais, j'y ai reconnu les miens. Oui, je représente ici le premier comme le dernier des Belges ; mais de là, messieurs, ce principe aussi vrai, que nous tenons tous notre mandat du premier comme du dernier des Belges. Une province vous a choisis, la nation vous a nommés. Et s'il est vrai, messieurs, que vous tenez votre mandat de chaque Belge, de chaque membre de la société que vous représentez, croyez-vous qu'un seul vous ait donné le droit de le sacrifier à l'égoïsme ? Croyez-vous, messieurs, et ici j'en appelle à votre conscience, à cette conscience qui dans les questions qui nous agitent, doit parler plus haut que les prestiges de l'éloquence ; dites-le, à la face de la nation, avez-vous reçu le mandat de disposer de vos concitoyens ?

Je passe aux dix-huit articles présentés : je n'y vois que des conditions déshonorantes. On nous fait déclarer que le Luxembourg n'est pas belge ; toutes les conditions sont implicites, rien de clair, quoi qu'on en dise, par rapport à la dette ; mais ici la prudence m'oblige à me taire. Vous aurez, dit-on, le Luxembourg. A quoi bon alors la déclaration qu'on vous demande qu'il ne nous appartient point ? Ah ! si comme vous l'a dit le judicieux M. Beyts, en traduisant Virgile, « Je crains les puissants de la terre, même lorsqu'ils me font des présents », craignez-les surtout, lorsqu'ils ne cachent pas même leurs pièges sous des fleurs.

L'article 6 veut que vous évacuiez Venloo, et le pays de la généralité ; mais il est vrai, je me le rappelle, l'éloquent ministre des affaires extérieures vous a dit :

« Eh ! messieurs, croyez-vous que les Hollandais profiteront de cette condition ? ils devraient à leur tour nous recevoir dans le cœur de leur pays ! Croyez-vous que le roi Guillaume laisse entrer dans le sein de son pays des Belges qui porteraient avec eux leurs principes révolutionnaires ? »

Vous êtes éloquent, M. Lebeau, mais ici, contre votre habitude, vous n'êtes point logique. Quel motif avez-vous de croire que d'autres ne feront pas en petit ce que vous craignez d'admettre en grand ? Quelle certitude en avez-vous, lorsque vous ne craignez pas d'admettre au sein même de votre pays les ennemis de votre révolution ? Lorsque vous ne craignez point d'évacuer Venloo, et des communes qui, pour la plupart, se trouveront protégées par la citadelle de Maestricht, vous irez croire bénévolement que le roi Guillaume sera défiant au point de ne vouloir admettre au milieu de quelques points isolés, des troupes, des employés, que vous ne pourrez défendre au premier signal de guerre !

Mais non, je me trompe, un rayon de lumière vient éclairer mon esprit ; M. Lebeau aura raison. Mais serait-il réservé à ces temps modernes de voir qu'un roi, comprenant mieux que nous les sentiments d'honneur, ne veuille point livrer ses sujets, même pour un moment, à des étrangers, tandis que nous, nous consentirions à livrer nos frères à la vengeance de leurs ennemis !

Ah ! braves habitants de Venloo et de tous les pays que nous allons peut-être sacrifier ; oui, je sens en ce moment que je tiens aussi bien mon mandat de vous que des braves habitants de Bruxelles ; comme au jour du danger, il semble qu'on n'ait d'affection que pour l'enfant, que pour l'ami qu'on craint de voir périr ; je sens en ce moment mieux qu'à aucune autre époque de ma vie ce que peut un vrai patriotisme ; il me semble n'avoir d'affection que pour vous, vous seuls remplissez mon cœur en cet instant.

Ah ! messieurs, craignez toujours le sarcasme terrible dont vous a parlé l'honorable M. Jaminé ! craignez plus, craignez que l'histoire ne dise à vos descendants : Le jour où le nom belge, que nos ancêtres avaient transmis pur et honorable, a été… Mais je m'arrête, ce mot est trop dur à prononcer pour un cœur qui sent vivement.

Pardonnez, messieurs, si je n'ai pu vous cacher l'émotion de mon âme ; je sentais trop fortement pour me taire ; mais comprenant toute l'étendue de mon mandat, je vous demande encore un moment d'attention ; que dis-je ? je demande celle de la nation entière.

Quelle que soit la décision que vous preniez, lors même qu'elle amènerait les plus grands fléaux, souvenons-nous que nous ne devons jamais désespérer du salut de la patrie, que l'union seule peut nous sauver ; rappelons-nous la devise de nos armes : Union et force ! Pour ma part, messieurs, j’en fais ici le serment solennel, ami de l'ordre, ami de la paix, véritable amant de ma patrie, vous me retrouverez le premier le lendemain sur ces bancs, soumis à vos décrets. (C., 9 juill.)

M. Van de Weyer – Messieurs, il est bien difficile après une aussi longue discussion de captiver encore votre attention, et de vous dire quelque chose de nouveau, lorsque tous les arguments semblent avoir été épuisés de part et d'autre. Cependant la nature des propositions, les conséquences que leur adoption ou leur rejet peuvent avoir pour notre pays, enfin l'amendement que j’avais proposé à leur adoption, tout me fait un devoir de vous présenter quelques observations à l’appui de mon vote, et au lieu de parler sur les préliminaires, comme je l'avais demandé, je parlerai pour l'adoption pure et simple des propositions. (Sensation.)

Messieurs, une grave erreur a jusqu'ici dominé la discussion. Les orateurs qui ont parlé contre les préliminaires ont toujours raisonné comme si la conférence avait irrévocablement tracé les limites de la Belgique. Si telle était la prétention de la conférence, je n'hésite pas à le dire, j'aurais voté contre l'adoption ; mais dans quelle position la conférence s'est-elle placée vis-à-vis de nous et de la Hollande ? Dès le commencement de la révolution, nous avons toujours demandé qu'elle nous laissât traiter avec la Hollande et que les débats n’eussent lieu qu'entre nous : c'est ce qu'elle a fait en nous présentant des bases sur lesquelles nous aurions à délibérer. Il n'y a rien de définitif dans ces bases. Ce sont des points de départ, ce sont des jalons pour les négociations, pendant la durée desquelles nous ne céderons probablement rien à la Hollande. Nous aurons à traiter avec elle sur l'ensemble des conditions de notre séparation. Ainsi se réalisera, par le fait même, le système de quelques honorables membres qui, accusés de n'en pas avoir, déclaraient qu'ils conserveraient le statu quo, et prendraient pour point de départ la lettre de M. Lebeau au ministre des affaires étrangères du roi de Hollande, lettre par laquelle on proposait des négociations directes entre les parties. Eh bien, que faisons-nous autre chose aujourd’hui ? Le statu quo, tout à notre avantage soit sous le rapport du territoire, soit sous celui de la dette, nous le conservons ; les négociations directes, nous les entamons ; avec cette immense différence qu'en acceptant les préliminaires, nous traitons en nation constituée, en nation reconnue, et non en citoyens d'un pays rejeté du sein des grandes familles européennes, livré aux invasions du tiers et du quart, et à une foule d'intrigants du dedans et du dehors qui considèrent la Belgique comme une terre qu'ils peuvent exploiter en toute sécurité.

Ce sont ces premières considérations qui, après un mûr examen, m'ont fait considérer ma proposition comme inutile d'abord, en ce que la conférence pourrait répondre que nous lui demandons une solution définitive sur les questions à régler entre la Hollande et nous ; et peut-être comme dangereuse, si la conférence considérait cette proposition comme une condition sine qua non.

Je ne m'appesantirai point sur le caractère des préliminaires qui sont soumis à votre approbation. L'honorable M. Van Meenen a fait ressortir avec son talent habituel les nombreuses différences de détail, et la différence, bien plus essentielle, du principe entre ces propositions et les premiers protocoles. Mais il est une observation qui n'a pas encore été faite, et qui me paraît cependant fort importante. Depuis huit mois que le congrès siège dans cette enceinte, il a été appelé à discuter les plus hautes questions de politique sociale : il a proclamé l'indépendance de la Belgique, arrêté la forme monarchique de son gouvernement, exclu à perpétuité de tout pouvoir une dynastie liée par des nœuds de famille aux plus puissants souverains de l'Europe ; procédé à l'élection populaire de deux rois, grand et beau spectacle, unique peut-être dans l'histoire, et qui portera ses fruits. Mais jusqu'à présent, ces actes n'avaient de force que celle que nous leur avons nous-mêmes donnée ; ils n'étaient sanctionnés par aucune reconnaissance du dehors. Vous pouvez aujourd'hui d'un seul mot donner à votre œuvre une stabilité durable ; vous pouvez clore, et clore avec honneur, la révolution belge, car les grandes puissances en reconnaissent la légitimité ; elles font plus : elles consacrent le principe de l'insurrection ; et des rois légitimes, qui font profession de ne tenir leur pouvoir que de Dieu et non du peuple, sanctionnent, par leurs derniers actes, l'exclusion de la famille d'Orange-Nassau ! Calculez, messieurs, et mettez dans la balance, d'un côté les dangers d'un rejet, et de l'autre les avantages d'une acceptation par laquelle vous ne renoncez définitivement à aucun de vos droits, et qui vous donne la facilité, au moyen d'un échange de territoire en dehors de la constitution, de conserver l'intégrité de celui dont notre loi fondamentale a fixé les limites. C'est là une considération que les habitants, et les députés du Limbourg surtout, ne devraient jamais perdre de vue. En effet, la province de Limbourg, (page 504) n'est pas compromise par l'acceptation des préliminaires. Les députés de cette province ont cependant déclaré qu'ils se retireraient si leurs voix n'étaient pas entendues par le congrès. J'espère que, mieux éclairés, ils renonceront à cette résolution, qui serait fatale à la Belgique. Qu'en résulterait-il en effet ? Un préjugé contre les prétentions de la Belgique à la possession de leur province. La Hollande vous dirait, quand le moment serait venu de traiter : Vous soutenez que le Limbourg vous appartient. Cela est si peu vrai, que les députés du Limbourg eux-mêmes ont reconnu le contraire, puisqu'ils se sont retirés à l'instant où les préliminaires ont été acceptés. J'espère que cette considération sera toute puissante sur leur esprit et les décidera à rester parmi nous. Ils doivent y rester jusqu'au dernier moment, et prouver à la Hollande, par leur présence, qu'aucun doute ne s'élève sur la bonté de nos droits ; que nous ne voulons pas céder et que nous ne céderons jamais la moindre parcelle de notre territoire ; qu'ils se rappellent le parti que nous avons tiré nous-mêmes pour le Luxembourg, du renvoi de M. Pescatore (Note de bas de page : M. Van de Weyer fait allusion au fait suivant. On sait que la deuxième chambre des États-Généraux se composait, de 1815 à 1830, de 55 députés des provinces septentrionales et de 55 députés des provinces méridionales y compris le grand-duché de Luxembourg. A la suite de la révolution de septembre 1830, les députés des provinces septentrionales se sont réunis à La Haye pour former désormais la deuxième chambre des États-Généraux. M. Antoine Pescatore, député du grand-duché de Luxembourg, et comme tel un des députés méridionaux, s'est présenté voulant continuer à siéger : on lui a fait observer que sa mission était terminée.). Du reste, je me félicite d'avoir entendu les paroles éloquentes sorties de la bouche de ces honorables députés. Leur langage généreux et touchant prouvera au prince combien nous tenons au Limbourg, et combien il a été chaleureusement défendu.

Parmi les conditions de ces préliminaires de paix, il en est une qui a soulevé quelques âmes ardentes et généreuses : je veux parler de la neutralité perpétuelle, garantie à la Belgique par les cinq puissances. On y voit l'arrêt de mort de la Belgique ; on la représente comme condamnée à subir toutes les humiliations, toutes les injures, sans en pouvoir tirer vengeance. Et à cette occasion, l'armée elle-même a été menacée dans son existence ; on a parlé de son licenciement, de sa dissolution, de l'inutilité des cadres d'officiers. Si ces allégations étaient sorties de bouches moins pures, si au lieu d'être proférées dans l'enceinte de la représentation nationale, elles n'eussent été mises en avant que par la presse périodique, j'y aurais vu un nouveau moyen de répandre l'inquiétude dans la nation. Il importe donc, dans les circonstances actuelles, que, du haut de cette tribune, il descende quelques paroles pour rassurer l'armée, et lui donner la certitude que la neutralité, bien loin de rendre son existence inutile, la rend plus nécessaire que jamais. Il faut une armée pour défendre notre neutralité ; il en faut une pour nous défendre de toute agression ; il en faut une surtout lorsque l'on négocie. Mais cette neutralité, ses conditions, ses avantages, ont-ils été examinés sous leurs véritables points de vue ? Je ne le pense pas. La Belgique, quoique neutre, n'a-t-elle pas, en vertu même des propositions, le droit, droit imprescriptible et sacré, de repousser toute agression étrangère ? Mais, dit-on, qu'entend-on par ce mot d'agression ? Je ne conçois point qu'il y ait de l'ambiguïté dans ce mot. Une agression est tout acte qui porterait atteinte, ou un empêchement quelconque à l'exercice des droits de la nation belge, comme nation. En restreindre l'acception à une attaque soudaine, ou à une invasion de notre territoire, serait bouleverser toutes les notions du droit des gens. Insulte-t-on notre pavillon ? Acte d'agression. S'oppose-t-on à la libre navigation de nos fleuves ? Acte d'agression, etc., etc.

Mais il est un autre point de vue, bien plus important encore, sous lequel cette neutralité peut et doit être envisagée.

Les cinq puissances, en garantissant la neutralité de la Belgique, déclarent bien positivement qu'elles n'entendent s'immiscer en rien dans notre régime intérieur. Eh bien, messieurs, je suppose que quelques-unes de ces puissances contractent entre elles un traité d'alliance offensive et défensive, pour arrêter ce qu'elles sont convenues d'appeler l'élan des idées révolutionnaires, le progrès des institutions libérales et démagogiques : qu'en résultera-t-il pour la Belgique ? C'est qu'elle se déclarera menacée dans son régime intérieur ; et, en conséquence, elle s'alliera, de son coté, avec d'autres puissances, pour défendre en commun leurs institutions communes. Elle fera une guerre de principes. Aucune puissance, en vertu même des préliminaires, ne peut lui contester ce droit. Elle renonce seulement (et c'est là la reconnaissance d'un principe que toutes les nations s'imposent) , elle renonce, dis-je, à toute guerre de conquête. Voilà ce que je trouve dans les préliminaires qui nous sont proposés. Je laisse à d'autres le soin d’examiner les avantages qu'il y aurait pour notre commerce et notre industrie à conserver une neutralité au sein d'une lutte européenne, où la Belgique ne serait point intéressée, et la faculté de continuer en paix nos transactions avec toutes les nations.

Mais qui donc vous pousse à vous constituer ? s’écrie-t-on. Ne voyez-vous pas que l'Europe est en travail ? qu'une guerre générale est inévitable ? Vous allez arrêter l'essor de la liberté et la marche de la civilisation ? Attendez ! Un parti puissant s’agite en France. Il saisira peut-être le pouvoir, et changera alors la face du monde. Messieurs, il est passé le temps où la civilisation s'avançait en Europe au bruit du canon. Ses conquêtes seront aujourd'hui plus paisibles, et par conséquent plus durables. Et quant au conseil d'attendre encore, jusqu'à l'avènement au pouvoir des hommes du mouvement en France, avènement qui soustrairait la Belgique aux exigences de la conférence, voyez-en tous les dangers. Nous ne subirons plus les exigences de la conférence, il est vrai ; mais nous subirons sa conquête. En vain, dit-on aujourd'hui que les libéraux français respecteraient notre indépendance : croyez-vous que lorsque le drapeau français flotterait sur le Rhin, que lorsque nos places fortes seraient au pouvoir des armées françaises, croyez-vous qu'alors que du sein du congrès national, qui ne pourrait plus se réunir, ne sortirait plus le cri d'indépendance, les Français ne nous regarderaient pas comme leur conquête ? N'en doutez pas, nous serions réunis à un peuple, généreux sans doute, et qui, je le dis toujours avec plaisir, a rendu d'immenses services à la civilisation, mais enfin le nom de la Belgique serait perdu ; nous verserions notre sang belge sur le territoire allemand, et ce ne serait pas pour nous. J'éprouve une profonde tristesse en pensant que tel serait inévitablement le résultat d'une guerre. Déterminons-nous donc par notre propre mouvement, et non par l'éventualité du triomphe de tels ou tels principes en France.

(L’orateur réfute ce qu'a dit M. Claes (d'Anvers) à la séance d'hier, que si Anvers n'était pas un port de marine militaire, on ne pourrait pas construire des vaisseaux de guerre. Il entre dans quelques détails historiques sur l'invasion de l'île de Walcheren par les Anglais, et établit que les chantiers de construction ne nous manqueront pas. Il termine à peu près en ces termes :)

Messieurs, dans les discussions d'une haute importance, j'ai contracté l'habitude, non seulement de m'éclairer des lumières de la discussion actuelle, mais de profiter de la leçon du passé. Or, écoutez un rapprochement historique que me fournissent nos propres annales : Deux fois la Belgique a eu son sort entre ses mains. En 1790, on lui fit aussi des propositions acceptables ; alors, comme aujourd'hui, les populations s'en émurent. Les clameurs populaires se firent entendre, non pas dans les tribunes publiques (il n'y avait pas de tribunes alors), mais autour de l'enceinte des délibérations ; or, écoutez ce que disait un patriote de 1790, aux trois États réunis à Bruxelles : « Le principe de notre révolution a inspiré un intérêt réel à tous les peuples. Certes, il y a eu de la gloire à secouer un joug tyrannique par son courage et son énergie ; mais elle ne consiste pas toujours à se roidir contre l'oppression et à s'y soustraire ; elle consiste aussi à savoir céder aux circonstances impérieuses commandées par l'amour du bien-public.

« Vous avez combattu pour la constitution que vous regardiez alors comme la sauvegarde de votre bonheur. Aujourd'hui vous la mettez aux prises avec les chances bien variables de la fortune. Si elle vous est contraire, les bases de votre pacte sont rompues, détruites à jamais ; obtiendrez-vous comme grâce ce que vous pouvez réclamer comme droit ? Attendez-vous pour traiter l'instant où vos ressources seront épuisées, l'instant où vous aurez vu disparaître comme un songe la génération qui vient de naître, l'instant où des milliers de bras, auxquels vous devez vos richesses, seront engloutis dans cette terre qu'ils ont défrichée ? Sera-ce sur les monceaux sanglants de vos concitoyens que vous signerez le traité à faire avec Léopold ? Si par la réunion de vos forces actuelles, vous parvenez à détruire celles que l'Autriche vous oppose en ce moment, ce ne sera qu'une page de plus dans votre histoire, un monument de la bravoure des Belges ; je ne puis pas dire une palme à ajouter à votre gloire, parce que la disparité des forces est trop sensible ; mais vous n'aurez pas encore fait un pas qui puisse décider votre indépendance. »

Ces paroles s'appliquent si bien à notre position actuelle, que j'aurais pu vous les donner comme miennes, si j'avais voulu déguiser le plagiat. Entendez-vous les derniers mots ? Vous n'aurez pas fait encore un pas qui puisse décider notre indépendance. Non, messieurs, je suppose la guerre heureuse, Anvers évacuée, Maestricht en votre pouvoir, vos succès glorieux et continus : vous n'en resterez pas moins sans être constitués, sans être reconnus, sans commerce, sans industrie. Mais si cette guerre partielle entraînait à une guerre générale ; si son issue était malheureuse, et que, dans cette lutte européenne, la liberté des peuples succombât sous le despotisme, vous ne (page 506) seriez pas seulement la risée de l'Europe, vous en seriez l'exécration. (Sensation profonde.)

L’auteur de ces paroles continue ainsi : « Etablis pour délibérer sur les intérêts de deux millions d'hommes, c'est à vous à les éclairer : c'est à vous à les ramener au parti que vous dictera la raison, quand vous aurez suffisamment discuté les avantages et les désavantages de votre position, et la probabilité des résultats que vous pouvez en présumer. Les difficultés inséparables de notre gouvernement actuel, augmentées par vos dissensions intérieures, ont rendu la marche de notre administration embarrassante et souvent incertaine. Vous avez fait des fautes que d'autres eussent faites comme vous. Vos ennemis les ont exagérées ; vos partisans les ont excusées ; c'est là marche ordinaire ; mais le moment est arrivé de montrer à l'Europe entière que vos fautes n'ont été que des erreurs. N'en augmentez pas le nombre par l'adoption d'un plan que le désespoir seul pourrait faire proposer. Si vous avez réellement travaillé pour la patrie, sauvez-la ! il en est temps. Ayez le courage de calculer ses véritables intérêts, d'en présenter le résultat à vos concitoyens, et gardez-vous bien de considérer l'opinion d'un certain nombre d'individus comme l'opinion publique. »

Voilà ce qu'on nous disait en 1790. Trois mois après, la révolution subit la restauration sans conditions ; quelque temps après, la Belgique subit la conquête : elle fut engloutie dans le vaste empire français. (Sensation prolongée.) (M. B., supp., 9 juill.)

M. Lardinois – La révolution belge semble être appelée à prouver cette vérité d'une ancienne maxime : Le mieux est l'ennemi du bien. Nous sommes arrivés au moment d'examiner quelles sont les causes de notre révolution et quels en sont les fruits.

Des hommes, qui exerçaient pour la plupart des professions libérales, avaient été blessés dans leur liberté individuelle ou dans leurs principes religieux. Le gouvernement déchu s'en était fait des ennemis dangereux qui se promirent de profiter du mouvement de juillet pour le forcer à changer de système. Leur projet n'était pas de détruire, mais d'intimider d'abord. A cet effet, on excita les masses ; on les appela aux armes. Il y avait un grand malaise dans le peuple : il était pauvre, fanatique dans certaines localités, et il fut facile de le pousser en avant. Comme le peuple, lorsqu'il se mêle d'une chose, n'y va pas de main morte, il détruisit l'édifice jusque dans ses fondements.

Le commerce, en général, ne prit que peu ou point de part à cette lutte destructive, parce qu’il y voyait au bout sa ruine. Mais une fois le fait consommé, les industriels, tous ceux enfin qui disposent de la puissance matérielle, auraient dû se saisir de la révolution pour la conduire vers un but réel, positif, et ne pas l'abandonner aux hommes à spéculations métaphysiques ; ils n’en ont rien fait. Le commerce subira longtemps la punition réservée à son apathie ; la politique de l'Angleterre lui réserve des entraves insurmontables.

C'est sur les débris d'un trône que le congrès national est venu s'asseoir. Si mon intention était de prononcer un long discours, je vous ferais l'historique des résolutions qui ont été prises dans cette enceinte, depuis notre première réunion. En vous rappelant les sentiments généreux, les élans patriotiques, les paroles courageuses auxquelles vous sympathisiez tous, vous seriez surpris en ouvrant aujourd'hui les yeux de voir l'état d'abaissement auquel vous a réduits la diplomatie. Votre âme indignée se révolterait ; et des protocoles et des conditions préliminaires vous feriez, à l'instant, un auto-da-fé dont vous enverriez la poussière au Foreign Office.

Vous avez nommé pour roi le prince de Saxe-Cobourg. Il accepte et se fait précéder d'un cortège de dix-huit articles qui doivent former, dit-on, les préliminaires d'un traité de paix, et qui ne sont au fond que le corollaire des vingt-cinq protocoles que vous connaissez. On a beau s'envelopper de circonlocutions pour déguiser la chose, il n'y a que ceux qui ne veulent pas y voir qui s'aveuglent sur cette question.

Par quel acte avons-nous provoqué ce dernier œuvre des agents de la Sainte-Alliance ? N'y a-t-il pas de terme à leur haine contre les peuples ? Nous avons rejeté le chef qu'ils voulaient ; mais depuis, vous en avez élu un autre de leur choix : quel prix mettent-ils à notre condescendance ?... la proscription d'un certain nombre de nos concitoyens destinés à servir d'holocauste à la vengeance hollandaise ! J'ai la conviction que ces préliminaires de paix cachent de funestes desseins. Sous le prétexte de nous constituer, on veut renouer les liens que nous avons rompus ; on veut, par lassitude et par misère, nous faire arriver à une restauration.

Cette acceptation subordonnée est pour moi un refus positif, parce que ce protocole bâtard détermine les limites de notre territoire en violation de la constitution que nous avons décrétée. Se soumettre aux exigences de la conférence de Londres, c'est se rendre complice de cette violation.

(page 507) Les fruits de notre révolution sont jusqu'à présent quelques avantages moraux : en première ligne se trouve le pacte fondamental. A la vérité, ces biens touchent peu les masses ; ce sont les objets de première nécessité à la vie animale, que la classe la plus nombreuse désire, et aujourd'hui elle ne gagne pas de quoi acheter du pain. Maintenant ôtez une pierre de l'édifice social et il s'écroulera petit à petit. Je vous le demande, messieurs, alors que nous restera-t-il ? la honte et la misère. Les articles de la conférence de Londres, qui sont devenus la proposition-Jacques, puisque notre honorable collègue la fait sienne, nous ravissent une partie de notre territoire ; dès lors, je ne conçois plus d'indépendance possible sans l'intégralité des provinces du Limbourg et du Luxembourg. Vous avez la conviction, dites-vous, d'arriver par des échanges, des négociations à posséder un jour les villes de Venloo et de Maestricht. Vaine illusion ! Ces deux villes offrent aux Hollandais des points importants sous le rapport militaire et commercial ; ils ne s'en dessaisiront jamais ; ils connaissent trop bien leurs intérêts pour faire une pareille cession.

Comprenez-vous, messieurs, le sens et l'objet de l’article 9, qui déclare que la Belgique formera un Etat perpétuellement neutre ? Quant à moi, malgré l'adresse et l'explication donnée par nos honorables collègues MM. Lebeau et Van. de Weyer, je n'y vois que nullité politique et commerciale. La Belgique isolée, comme l'arrange la Sainte-Alliance, est une proie pour tout le monde, et d’aucun prix à l'équilibre européen. Vous serez environnés d'une triple ligne de douanes, et votre grande communication avec l'Allemagne sera supprimée en dépit de toutes les promesses contraires que l’on vous fait.

La navigation de l'Escaut et de la Meuse sera libre, vous pouvez même espérer de participer à celle du Rhin. Oui, mais pour cela il faut négocier, et dans le traité, on stipulera comme dans l’acte du congrès de Vienne, sauf les modifications que pourraient exiger les localités particulières des États riverains, et avec cette réserve on rendra la liberté de navigation illusoire, impossible, parce qu'arriveront, comme vous l'a très bien dit l’honorable M. Claes (d'Anvers), les droits d'étapes, toutes les formalités fiscales, la police des ports, le déchargement des cargaisons, etc., et il se passera un quart de siècle avant d'avoir levé toutes ces difficultés pour avoir réellement la communauté des rivières et des fleuves.

Je me rappelle avoir vu écrit quelque part que l’Angleterre armait en 1793 contre la France pour s'opposer à l'ouverture de l'Escaut, qui était à cette époque encore fermé par les Hollandais.

La limite de notre territoire du côté de la mer est tracée par la nature ; c'est une fausse et dangereuse politique d'empêcher la continuité jusqu'à cette limite naturelle. Céder la rive gauche de l'Escaut est porter un terrible coup au commerce ; les Hollandais exerceront au sein même de notre pays, un système de fraude et de contrebande de toutes les denrées coloniales et des produits manufacturés ; vous ne pourrez l'empêcher, parce que vous n'aurez jamais assez de surveillance. Que deviendront alors le commerce des villes maritimes et nos manufactures de coton et autres ? Je ne vous présenterai pas les considérations politiques et territoriales qui prouvent l'importance pour nous de la rive gauche de l'Escaut, vous les connaissez mieux que je ne pourrais vous le dire.

On vous a fait entendre que la France et l'Angleterre veulent que la Belgique soit puissante, et même il ne serait pas impossible qu'un jour, les provinces rhénanes nous tombassent en lot. En attendant la réalisation de cette bienveillance des puissances, elles discutent, elles intriguent pour nous enlever quelques languettes de terre que nous avons arrosées de notre sang et qu'on veut nous faire abandonner. Lorsque nous formions le cercle de Bourgogne, nous faisions co-État de l'Allemagne et nous pouvions y commercer ; mais avec la neutralité, la possession des provinces rhénanes est une chimère ; et ce serait la violer que de faire alliance politique avec la confédération germanique. Adieu donc l'espoir d'un traité de commerce avec les États allemands, seule ressource pour beaucoup de nos manufactures.

Si je voulais traiter la combinaison Saxe-Cobourg, avec ces conditions préliminaires, sous le rapport commercial, j'aurais trop à vous entretenir pour ménager votre temps. Je dénie que mes craintes ne soient pas fondées, mais je vois le commerce et l'industrie anéantis sans pouvoir renaître. Nous sommes privés de débouchés extérieurs et l'Angleterre viendra envahir nos marchés. Nous avons besoin pour activer nos manufactures d'une exportation de plusieurs centaines de millions, et nous aurons l'importation des produits anglais avec leurs primes. Elle nous fournit déjà pour près de cent millions en produits manufacturés, et nous ne lui envoyons que pour vingt-cinq millions en produits territoriaux. L'Angleterre aura toujours sur nous l'avantage de ses immenses capitaux, de ses nombreux débouchés, des bas prix de ses combustibles, de ses (page 508) fers, des moyens de transport ; la facilité d'invention, de construction et d'application immédiate des mécaniques : qu'avons-nous pour balancer ces avantages ? Et croyez-vous, comme le prétend l'honorable M. Osy, que nous pourrions lutter contre le colosse commercial ? Qu'on se détrompe, la libre concurrence anglaise détruira le commerce maritime aussi bien que l'industrie manufacturière. Les manufacturiers s'inquiètent plus que les négociants du haut commerce, parce qu'ils ne peuvent pas emporter leurs établissements pour aller se fixer en Hollande ou dans tout autre pays étranger ; d'ailleurs ceux-là sont trop attachés au sol de la patrie. Et notez bien, messieurs, que l'exportation enrichit un État et l'importation le ruine. Mesurez combien de temps il faudra à l'Angleterre pour consommer notre ruine. Elle y a toujours travaillé, et lorsque son influence régnera sur le trône, je ne vois plus d'obstacles pour qu'elle ruine nos moyens de prospérité et nous réduise à un état comparable au Portugal.

En nous plaçant sous le patronage de l'Angleterre, nous nous fermons de plus en plus les portes de la France. Où vendrons-nous alors nos toiles, nos bestiaux et tous les produits de notre richesse agricole et minérale que nous fournissons à la consommation française ? Je ne vois enfin dans la combinaison Saxe-Cobourg entée sur les préliminaires aucun palliatif à nos maux matériels ; elle servira tout au plus à ranimer les boutiques de la rue de la Madeleine ; aussi a-t-on eu soin de rassurer ces braves gens, et dès lors le reste de la nation est censé satisfait.

Le ministre des affaires étrangères vous a demandé pardon de la liberté grande qu'il prenait de toucher les intérêts matériels dans une question aussi grave. Ce n'est pas la première fois qu'il a l'air de laisser tomber son dédain sur ces intérêts. Peut-être n'a-t-il pour eux que le sentiment de la pitié. Quoi qu'il en soit, je suis pénétré de l'impuissance du ministère pour aider le commerce et l'industrie ; mais qu'il ne perde pas de vue que cinq cent mille prolétaires sont à peu près sans ouvrage et qu'ils n'ont que le pain que leur procurent les industriels par les plus grands sacrifices. Admirez ces hommes et ne les découragez pas ! Ils sont les plus fermes appuis de l'ordre public. N'oubliez pas qu'aux premiers rayons de la paix vous devez vous occuper du sort des travailleurs ; ils traînent maintenant une pénible existence dans les angoisses de la misère ; mais leur situation doit être améliorée si l'on veut éviter un bouleversement social.

Les intérêts matériels évidemment compromis sont le motif principal de mon vote négatif ; j'ajoute que la France a toujours convoité la Belgique ; qu'elle ne peut supporter avec une résignation sincère l'élection du candidat de l'Angleterre ; que la politique de la France nous suscitera des divisions intérieures pour causer de nouveaux troubles et en profiter ; et qu'ainsi nous sommes exposés à un état de perturbation continuelle.

La diplomatie serait-elle parvenue à faire reculer la raison publique au point d'empêcher notre émancipation politique dans toute son étendue ? J'en aurais la certitude si jamais vous acceptiez les propositions dont nous nous occupons dans ce moment-ci. Où sont nos vainqueurs pour nous imposer des conditions aussi ignominieuses ? Avant de prendre une résolution écoutez les habitants de Venloo, du pays de la généralité, du Luxembourg (car ce dernier pays y passera aussi), qui vous crient : « Représentants de la nation, vous allez prononcer sur notre sort ! qu'avons-nous fait pour exciter votre colère et mériter votre réprobation ? Nous rejetterez-vous de votre association pour avoir répondu à votre cri de guerre et vaincu nos ennemis communs ? Non, vous ne nous forcerez pas d'abandonner les ossements de nos pères ; de quitter tous les objets de notre amour et de notre culte ; vous ne nous punirez pas aussi cruellement pour avoir servi la cause sacrée de la patrie ! Non, car cette violence nous pousserait malgré nous à tous les actes que conseille le désespoir ! »

On nous dit que pour servir la cause des Polonais, il faut que vous nous sacrifiiez en souscrivant aux conditions honteuses de la conférence de Londres. Cette sublime nation repousse une pareille idée. Imitez plutôt des Polonais le noble exemple ! leurs frères de la Lithuanie avaient besoin d'assistance ; mais Ostrolenka était là qui demandait des victimes pour pouvoir ouvrir un passage. Qu'importe ! dix mille Polonais se dévouent à la mort, et les enfants de Varsovie passent sur un fleuve de sang pour aller embrasser les enfants de Wilna. C'est ainsi qu'une nation grandit aux yeux de l'univers, qu'on arrête les intrigues de la diplomatie et qu'on impose silence au despotisme.

Député de la nation, je proteste formellement contre toute atteinte à la constitution que j'ai jurée. Céder nos frères du Limbourg, ce serait une violation manifeste en même temps qu'une ingratitude insigne, et je craindrais que ce ne fût le signal d'une dissolution sociale. Je vote donc pour la question préalable et contre les propositions préliminaires. (C., supp., 9 juill.)

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Liége

M. Dumont fait le rapport de la commission chargée de la vérification des pouvoirs de M. le chevalier de Sauvage, élu député par le district de Liége ; il en propose l'admission en remplacement de M. de Wandre, député démissionnaire. (P. V.)

M. de Robaulx fait observer que cinq ou six graves questions s'élèvent sur cette élection. Il demande l'ajournement de la discussion à demain, afin qu'on puisse s'y préparer. (M. B., 9 juill.)

M. Jottrand appuie M. de Robaulx ; la décision qui sera rendue par le congrès pourrait plus tard servir de précédent. Il faut donc mûrir les questions avant de discuter. (M. B., 9 juill.)

M. Henri de Brouckere ne veut pas que cette discussion, qui durera peut-être trois ou quatre heures, retarde la décision des questions sur les articles de la conférence. Il demande qu'on la renvoie à une séance du soir. (M. B., 9 juill.)

- Le congrès décide que le rapport de M. Dumont sera imprimé, et qu'il sera discuté demain dans une séance du soir. (P. V.)

Décret adoptant le traité des XVIII articles portant les préliminaires de paix entre la Belgique et la Hollande

Discussion générale

La discussion qui est à l'ordre du jour est reprise. (P. V.)

M. Charles Rogier – Messieurs, en venant donner mon adhésion aux préliminaires de paix que nous propose la conférence, je pourrais m’en référer aux raisons pleines de sens et de patriotisme de deux de mes honorables amis. Et quand je donne ce titre aux deux ministres qui ont soutenu le poids de la discussion, n'y voyez, messieurs, ni flatterie ni politesse parlementaires. Sept années de modestes et probes travaux entrepris avec eux, et continués en commun, sept années d'opposition constante et consciencieuse contre l'ordre de choses déchu, m'ont bien acquis le droit, je pense, de donner ce nom à deux hommes dont chacun de vous reconnaît le talent et la capacité, dont tout le monde un jour honorera les intentions et le caractère. Hommes dont je n'ai pas cru pouvoir me séparer parce que, placés à leur tour dans une position plus élevée que la mienne, je les aurai vus livrés à tout ce que les passions haineuses, mais inévitables en révolution, peuvent inventer d'absurdes calomnies et d'injures grossières.

Et puisque cette couronne d'épines ministérielle, si enviée et si dure au front de qui la porte, va passer à d'autres mains, ils ne s'étonneront pas d'entendre une voix amie leur rendre ici cet hommage désintéressé.

Toutefois, en m'associant encore à leurs sentiments et à leur vote dans cette circonstance décisive, je n'ai pas cru pouvoir garder pour ce qui me concerne un silence absolu, et j'en viens tout de suite au point le plus hérissé de difficultés, au point auquel m'attendent à ce qu'il paraît quelques adversaires, et qui n'a presque pas cessé d'ailleurs d'être l'unique but des arguments de l'opinion contraire, l'unique point de mire de ses coups.

Eh bien, messieurs, ici comme toujours, je parlerai avec franchise, et j'espère que personne ne mettra en doute ma bonne foi.

« On dit que le gouvernement provisoire a fait un appel aux habitants de Venloo ; il les a conviés à s'associer à la révolution belge, et vous, membres de ce gouvernement, vous allez abandonner ceux que vous avez compromis ! »

Messieurs, cette objection est forte, et au premier aspect si puissante, qu'elle a quelque temps dominé et comme enchaîné mon opinion dans cette discussion. Je sais qu'il me serait facile de m'écrier : Non, plutôt la mort que cet abandon, plutôt l'exil ; mais jamais, pour une convenance personnelle, je ne trahirai ce que je crois être l'intérêt du pays ; et s'il arrivait qu'un de mes votes, en attirant quelque défaveur passagère sur ma personne, pût cependant être utile aux intérêts de cette révolution, à laquelle, j'ose le dire, je suis prêt encore à faire tous les sacrifices, je n'hésiterais pas entre l'un et l'autre choix. On m'a souvent parlé de cette proclamation aux habitants de Venloo : je pourrais répondre pour ma part que je n'ai pas souvenir d'avoir signé rien de pareil ; mais loin de moi l'idée de me réfugier derrière un tel moyen, de me prévaloir d'une absence de signature, pour me placer vis-à-vis d'anciens collègues dans une position que je croirais plus avantageuse. J'ai vainement recherché jusqu'ici cette proclamation ; elle ne se trouve pas aux archives du gouvernement. Toutefois, on dit qu'elle existe, je le veux croire, et je l'accepte.

Il faut savoir, messieurs, comment se passaient les choses au gouvernement provisoire pendant toute cette époque d'activité et de bizarreries révolutionnaires. Il faut savoir comment se conquéraient les forteresses, du salon de l'hôtel de ville.

(page 510) Il fallait voir signer à la fois, et dans la même heure, la destitution d'un gouverneur, la nomination d'un commissaire du gouvernement, un redressement de griefs, un projet de loi financier, et parmi les pièces innombrables qui nous passaient sous les yeux, s'il se présentait une sommation à telle ville de se rendre, à telle place forte de tomber, on signait, comme on eût fait d'un bon pour pain ou eau-de-vie ; car tel était alors, dans mon sens, mais seulement alors, le seul moyen de faire triompher la révolution ; c'était de la faire aller vite, avec audace, avec témérité même, sans la laisser regarder derrière elle,

Ainsi tombèrent successivement devant nos signatures, Mons, Charleroy, Ath, Tournay, Termonde, Dinant, Philippeville et Marienbourg.

Ainsi seraient tombées bien d'autres villes, s'il s'était offert des assiégeants de bonne volonté, ou si nous avions cru alors être utiles ainsi au triomphe de la révolution, Nous regardions cela comme bons et légitimes moyens de guerre, et tout le monde alors, je crois, nous approuvait.

Toutefois, à travers toutes ces merveilleuses conquêtes, une idée nous dominait ; c'était de ne compromettre inutilement personne à notre sainte révolte, Ainsi, je me l'appelle très bien que plusieurs fois, à contrecœur, il est vrai, nous avons répondu à des Brabançons du Nord qui venaient nous réclamer de ces brevets d'insurrection : « Non, nous ne voulons pas vous compromettre. »

J'ajoute, et ceux qui me connaissent me croiront sans peine, que si j'avais pu prévoir qu'une seule ville émancipée dût être un jour rendue à ses oppresseurs, je ne l'aurais pas fait ; je ne l'aurais pas fait si j'avais pu prévoir qu'ainsi l'ordonnerait peut-être une de ces nécessités politiques auxquelles cèdent bien les Etats les plus fortement, les plus anciennement constitués.

Il ne m'est pas, au reste, démontré que Venloo soit un jour cédé à la Hollande ; je sens toute la puissance des raisons qui doivent nous le maintenir ; j'en entrevois les moyens, et il faut remercier l'opposition de son opiniâtreté bien naturelle à défendre cette dernière conquête de la révolution ; mais je m'étonne, je vous l'avoue, des indignations si tardives que la seule prévision d'une évacuation conditionnelle de cette place frontière élève en certaines âmes, alors qu'il y a six mois l'évacuation immédiate, comme suite de l'exécution de l'armistice, n'avait pas excité la moindre rumeur.

L'argument commode et ronflant de crime, de lâcheté, de déshonneur ne sortait alors d'aucune bouche ; loin de déclarer qu'on quitterait le pays, on ne parla même pas de quitter le gouvernement. C'est que sans doute on le voyait agir de bon foi ; c'est qu'on le savait composé d'hommes de cœur ; c'est qu'on voyait ses hésitations de conscience et tous les efforts qu'il faisait pour s'entourer de conseils et de lumières dans celle grave occurrence.

Enfin, j'en demande pardon à un collègue que j'estime très haut, mais je dois dire qu'alors aussi, loin de se porter comme holocauste au roi de Hollande, il nous déclara à plusieurs reprises qu'il fallait laisser là Venloo ; et c'était un député du Limbourg qui nous donnait ce conseil, un député qui bientôt après vint s'associer an gouvernement et lui apporter, après l'avoir servi dans ses fonctions secondaires, le tribut de son activité infatigable et de ses étonnantes facultés.

Voilà, messieurs, de l'histoire toute nue et toute vraie.

Vous dire que ce point de la question me laisse absolument sans regret, non, je l'avouerai ; mais un espoir encore me rassure, c'est que d'abord je ne vois pas du tout Venloo inévitablement ni prochainement séparée des cantons belges, ni dans aucun cas réservée à de si cruels tourments qu'on s'est plu à le dépeindre. Admettons la chance d'une cession éventuelle, et voyons ce qu'il adviendrait.

Avant que la Hollande accède à tous les préliminaires, croit-on qu'il se passera peu de temps ! Avant qu'elle nous ait mis en possession de la citadelle d'Anvers, de la moitié de Maestricht, de nos enclaves au sein de son territoire, croit-on, oui ou non, qu'il se passera des années ? Allons plus loin : Messieurs, par le temps qui court, bien des révolutions arrivent en quelques mois, nous en avons vu trois en six.

Et si, par exemple, vérifiant l'une des prédictions généreuses de mon honorable collègue M. Gendebien, la Hollande secouait aussi le joug des Nassau, si Venloo était destinée à devenir l'une des communes affranchies du nouvel État batave, républicain ou constitutionnel, y attacherions-nous encore le même prix, le même intérêt ? Non, parce qu'on la saurait soumise à un régime modéré, heureux, honorable ; parce que nous la voulons libre et paisible, non pas pour nous, mais pour elle ; parce qu'enfin on ne craindrait pour elle de réactions.

Les réactions ! mais, de bonne foi, quand on vous a parlé de cadavres suspendus aux gibets dressés sur les places publiques de Venloo, cela a pu faire image ; mais, au fond, qu'est-ce que cela signifiait ?

(page 511) Je ne veux rien ôter au gouvernement hollandais de son esprit vindicatif ; mais en supposant que le temps des négociations, et les rapports qui s’établiront à cette occasion entre nous et la Hollande, ne doivent pas amortir la haine et le désir de vengeance, croyez-vous que la politique hollandaise sera folle à ce point de faire des mécontents dans une ville qui, d'un moment à l'autre, pourrait lui échapper dans une guerre avec la Belgique ? et croit-on aussi que les puissances intervenantes le souffriraient ; que nous surtout, Belges, forts des préliminaires de paix, nous souffririons, sans en demander raison, des vexations contre d'anciens corévolutionnaires, et que, prenant entre mille cette occasion, nous ne sortirions pas de cette neutralité dont on a si fort et si peu raisonnablement, à mon avis, rétréci le cercle.

Après tout, contre ces vexations, la Belgique offrirait une ressource digne d'elle et digne des habitants qui voudraient partager son sort.

La Belgique leur tend une main fraternelle, elle leur ouvre les bras, elle leur dit : La destinée d’un ville frontière, c'est d'être toujours disputée ; là, pour les habitants, jamais de patrie certaine ; en voici une toute nouvelle, tout assurée que nous vous offrons, non pas au delà des mers, non pas au milieu de plaines arides, mais à quelques lieues des murs que vous quittez. C'est le même ciel que vous verrez, la même langue que vous entendrez, le même sol que vous foulerez, les mêmes champs que vos mains cultiveront. Vous nous avez aidés de vos bras à nous créer, à tous, cette patrie ; tenez, voici notre bourse, puisez-y ; réparez vos pertes ; soyez exempts d'impôts pendant cinq ans.

Si pour quelque entreprise d'intérêt général, si pour l'établissement d'un canal, par exemple, une partie de la ville, telle quantité de maisons devaient disparaître, il vous faudrait bien vous résoudre à abandonner vos demeures, et vous le feriez sans regret, parce que vous y verriez une nécessité sociale, un bienfait pour le plus grand nombre ; mais on vous dirait : Tenez, voilà de l’argent, allez vous établir un peu plus loin, là où bon vous semble ; et il n'y aurait point là de vente infâme, de lâche abandon ; et ceux dont on fait retentir si haut les plaintes ne pousseraient peut-être que des cris de reconnaissance.

Messieurs, j'ai vu sourire au projet de fonder une nouvelle Venloo. Je vous avoue que pour moi je ne vois là qu'une idée grandiose et touchante ; et si l’on me dit qu'elle est d'une réalisation impossible, je demanderai ce qu'il y a d'impossible pour un peuple riche, laborieux, entreprenant, hospitalier, sympathique à toute pensée généreuse.

Je crois avoir tout épuisé sur ce point important auquel ma position particulière peut-être, et le parti que beaucoup en ont tiré m'obligeaient de m'attacher. J'ai raisonné en dernier lieu dans l'hypothèse d'une cession ; je répète que Venloo n'est pas encore à la Hollande, et que, suivant beaucoup de prévisions, elle ne lui appartiendra plus.

Je n'examinerai pas en détail et minutieusement chaque article du traité pour en faire sortir à toute force ce qu'ils peuvent contenir de venin, ce qu'ils peuvent avoir de ressemblance avec les protocoles, de terrible mémoire : je ne me tuerai pas à bien préciser si ce qui nous est offert par la conférence de Londres rentre, oui ou non, dans l'interminable catégorie de ces protocoles ; ce que j'y vois au fond de bien digne de remarque, c'est que la conférence y abandonne enfin le rôle de juge souverain pour devenir simple médiatrice ; c'est qu'à des ordres insultants elle substitue des conseils ; à des engagements irrévocables pris vis-à-vis d'elle, des propositions d'arrangement sous la garantie de ses bons offices. Ce que j'y vois encore, c'est que par l'adoption des préliminaires, la question cesse d'être européenne pour devenir belge ; c'est que délivrée de tous les embarras de sept nations, qui s'y trouvaient mêlées à la fois avec des intérêts divisés, elle devient une question de peuple à peuple, de Belgique à Hollande, de Léopold Ier à Guillaume ; c'est que les rois, par droit divin de la Sainte-Alliance, si tant est qu'elle existe encore, reconnaissent un roi révolutionnaire ; et là, à mon avis, est bien plus le triomphe et l'accomplissement de la révolution, que dans la conservation ou la conquête d'un bout de territoire : c'est que cet honneur national qui se gendarmait à bon droit contre l'intervention directe des puissances peut aller aujourd'hui tête levée. Or, n'y eût-il que cette différence entre les protocoles et les préliminaires, elle serait énorme, radicale : elle laisse le congrès conséquent avec lui-même ; elle dégage la question d'une foule de difficultés ; elle laisse sauf l'honneur national.

Mais la conférence veut nous surprendre : ses propositions couvrent des pièges, etc. Lisez bien cet article-ci : pénétrez bien l'équivoque de ces deux mots-là.

Eh ! messieurs, et le prince, et les députés de Londres, et nous-mêmes, avons-nous les yeux si privés de lumières que nous ne puissions, à nous tous, découvrir ce que renferment d'arrière-pensées si fatales ces préliminaires ? Et croit-on sérieusement qu'une conférence, fût-ce même celle de Londres s'amuserait huit longs mois à bâtir (page 512) pour défaire, à offrir pour retirer ? Ne croit-on pas plutôt qu'elle se trouve un peu lassée de nous pour chercher à nous enlacer ? Si, à toute force, les cinq puissances veulent rester en paix, n'y aurait-il pas plus que de l'imprudence de leur part à entretenir au milieu d'elles ce foyer qui les effraye, qui d'heure en heure menace de les enflammer ?

Il faut avouer aussi que, si la conférence a le dessein de nous perdre aux dépens de nos ennemis, elle est bien maladroite, ou bien malheureuse, ou nos ennemis bien difficiles. Messieurs, on m'a déjà reproché de m'apitoyer sur le sort de cette pauvre conférence ; je me vois cependant encore forcé de la plaindre, car faisant, selon quelques-uns, tout ce qu'elle peut pour nos adversaires, les ingrats s'obstinent à en dire pis que pendre ; aussi voit-on que rien ne ressemble plus aujourd'hui à ce qu'écrivent contre la conférence le Journal de La Haye et nos journaux orangistes, que ce que disent plusieurs de mes honorables collègues.

C'est que, messieurs, la famille déchue comprend bien toute la portée de ces préliminaires ; c'est que le roi Guillaume voit bien qu'ils frappent au cœur et d'un coup mortel son autorité qu'il se complaisait à voir toujours comme légitime en Belgique ; c'est qu'au lieu d'avoir à traiter, vis-à-vis de l'Europe, avec des sujets rebelles, il verra qu'il a affaire avec un roi légitime, et bien disposé, à ce que tout promet, à défendre le nouveau pays qui l'adopte ; son intérêt de roi, et si je suis bien informé, son caractère, m'en répondent ; c'est que le roi de Hollande comprend bien que l'appui des autres rois lui manquant, ou venant se partager entre son rival et lui, il se voit seul, face à face avec son peuple, qui déjà murmure, avec ses députés qui ont déclaré se soucier fort peu des droits du grand-duc ; avec son armée d'étrangers qui ruine le pays, et qu'il n'oserait de sa vie aventurer sur le sol belgique, parce qu'il sait comment ce sol dévore en quatre jours une armée.

Voilà, messieurs, ce qu'il peut être utile d'observer ; et si, à défaut d'autre règle d'appréciation, vous voulez savoir jusqu'à quel point les préliminaires vous sont désavantageux, voyez quel accueil ils reçoivent en Hollande.

Messieurs, je crois que nous avons le tort de ne voir dans l'affaire que la Belgique : nous ne tenons pas compte de la position de la conférence vis-à-vis de la Hollande, qui, pour être notre ennemie, n'en a pas moins ses droits, ses prétentions, ses anciennes alliances. En attribuant à la Hollande le territoire qu'elle croit lui appartenir, la conférence dit qu'elle fait ce qui est juste, et j'ai bien peur que tout ce qui est impartial en Europe ne pense comme elle ; et lorsque nous voulons qu'elle nous abandonne quand même, sans avoir égard aux réclamations de la Hollande, telle ou telle localité, parce que nous y avons possession et sympathie des habitants, je vous demande ce que nous dirions, si parce que la Hollande aurait en Belgique telle ou telle localité importante, possession et sympathie même de plusieurs habitants, la conférence se croyait en droit d'en inférer que cette localité doit être adjugée à la Hollande.

Quelques-uns trouveront peut-être ce raisonnement un peu positif, un peu trop favorable à la conduite de la conférence ; mais du moment qu’on n'en conteste ni la justesse ni l'impartialité, c’est tout ce que je demande. Rien n'est curieux comme la manière de raisonner de quelques-uns : parce qu'ils aiment la patrie belge de tout leur cœur, ils voudraient la doter de tous les avantages, la combler de tout bien, en faire, à l'heure même, un pays parfait, accompli de tout point, auquel, comme on dit, il ne manquerait pas une épingle. Mais des droits d'autrui, mais des convenances du voisin, mais des nécessités de circonstance, il n'en est pas question.

Messieurs, il s'agit de sanctionner par un contrat entre la Hollande et nous la séparation de corps et de bien qui s'est violemment opérée : si vous voulez que ce contrat soit agréé des deux peuples, soit possible, soit durable, faites que l'équité en forme les bases ; s'il consacre des injustices, fût-ce même contre les Hollandais, pour ma part je n'en veux pas. Si les conditions ne renferment pas d'injustices pour la Hollande, elle ne peut s'y refuser sans se couvrir de blâme, et courir les chances de son entêtement. Mais elle acceptera parce que malgré les fanfares des journaux de La Haye, je ne la crois pas fort en train de guerroyer

Que si d'aventure l'humeur lui en prenait, que feriez-vous, nous a-t-on dit, dépossédés comme vous l'êtes du droit de faire la guerre ?

Messieurs, je ne me dissimule pas de quelle influence fâcheuse pourrait être sur les mœurs d'un pays un état de neutralité absolue. Je ne voudrais pas qu'il y eût, dans ses lois comme dans ses traités, des germes capables d'énerver les caractères, de paralyser les courages. Je ne le voudrais pas surtout dans un pays où résident enracinées depuis des siècles toutes les vertus viriles ; mais ceux qui ont cru voir dans cette neutralité la perte de ces virilités nationales, en ont, à mon avis, bien exagéré les conséquences.

A Dieu ne plaise que, petits et peu nombreux que nous sommes, l'envie nous prenne jamais de (page 513) devenir peuple conquérant ; mais, si nous ne voulons pas renoncer pour toujours à ces fêtes des combats, à ces délices de la victoire, soyez tranquilles, esprits audacieux, cœurs hardis, encore tout palpitants de nos grandes journées de septembre, les occasions ne vous manqueront pas.

Mais nous ne conservons, dites-vous, que le droit de nous défendre contre toute agression étrangère ! Ou l'on se fait une bien fausse idée de l'étendue de cette expression, ou l'on doit convenir que, pour un peuple comme pour un individu de cœur, elle renferme mille occasions, je dirai mieux, mille prétextes, non seulement de guerre défensive, mais aussi de guerre agressive.

Après cela, quand nous perdrions un peu de cette ivresse belliqueuse qui monte aujourd'hui à tant de têtes ; quand la Belgique, fière et contente des plus beaux trophées militaires que nation ait jamais cueillis, détournerait un peu cette énergie et ce trop-plein de vie de la guerre vers l'industrie, vers les beaux-arts, les études sérieuses, les perfectionnements de toute espèce, destinés au bonheur de ce peuple que la guerre ne rendrait ni plus riche ni plus heureux ; quand une armée, que l'on trouvait autrefois si lourde pour le budget, quoique de moitié moins nombreuse, verrait peu à peu et à mesure que s'éloigneraient les chances de guerre, s'éclaircir ses rangs et se restreindre même ses cadres si prodigieusement élargis, je n'y verrais point, quant à moi, matière à doléances et regrets. Les regrets surtout, je les concevrais difficilement dans la bouche de ces partisans rigides d’économie qui savent bien que ce qu'il y a de plus coûteux pour un pays, c'est une armée hors de proportion avec ses moyens, hors de mesure avec les nécessités que sa sécurité lui impose. Ce n'est donc pas sans surprise que j'ai entendu et les doléances de l'honorable M. Seron, sur le sort de notre armée menacée de réductions, et les doléances de l'honorable M. Gendebien sur le sort. D’un surcroît d'officiers menacés de la demi-solde, si on ne les met un peu plus tôt à même de commencer les hostilités contre la Hollande.

Comprenant fort bien que ni la situation du pays, ni celle de l'Europe ne nous permettront de longtemps peut-être de nous passer d'armée, je ne comprends pas aussi bien l'opportunité de ces regrets dans les circonstances où nous sommes ; j’observerai seulement comment des esprits à l'énergie desquels je rends hommage, peuvent s'aveugler eux-mêmes sur leurs propres principes alors qu'il s'agit de faire triompher une opinion.

Messieurs, je sais comme un autre tout ce qu'il y a d’entraînement dans ce vague désir de combats et de victoire ; je comprends très bien l'impatience de ceux qui aimeraient mieux trancher d'un bon coup d'épée le nœud gordien de notre situation, dont la patience et la prudence peuvent espérer de venir plus facilement à bout ; ce n'est pas sans regret que je me vois en ce moment opposé à quelques hommes dont le fervent patriotisme m'est démontré, dont j'honore le caractère, dont plusieurs sont et resteront mes amis. J'aime à croire qu'ils penseront ainsi que moi. Si je voyais dans la guerre immédiate une solution prompte, définitive, assurée de notre révolution, je l'embrasserais d'une ardeur non moins vive. Mais je ne veux pas la guerre pour la guerre ; et de bonne foi, sérieusement, ce n'est pas la gloire des armes que la Belgique doit avant tout ambitionner. Sa mission est plus belle, et son chemin tout tracé.

Sa mission à elle, c'est de donner à l'Europe et à l'histoire l'exemple d'un peuple qui, créé de lui-même et par sa propre force, a su, à huit mois de sa naissance merveilleuse, faire reconnaître par les rois absolus son droit, ses couleurs, le principe de l'insurrection, et prendre la première place au milieu de tant d'autres ; notre mission est de montrer aux autres peuples, nos frères qu'opprime encore le joug étranger ou le joug du pouvoir absolu, à quoi peuvent aboutir le courage et la patience, l'impartialité et l'union, la modération et la force dont chaque jour notre révolution donne de si éclatants exemples. Notre mission est d'offrir en modèle à la France et à l'Angleterre, nos deux aînées en révolution, et bientôt nos sœurs et nos alliées, la constitution la plus libérale qu'ait jamais enfantée tête de législateur ; notre mission est de continuer à fleurir par le commerce, par l'industrie, de recommencer à fleurir par les arts ; notre mission sera d'offrir un séjour plein d'attraits à tout homme libre, plein de ressources à tout homme industrieux, plein de sympathie à tout homme que les revers politiques peuvent encore attendre dans sa patrie, moins heureuse que nous à se constituer. Voilà, messieurs, comment doit à l'avenir procéder notre révolution ; voilà quels fruits elle doit porter, quel honneur recueillir. On nous accuse de vouloir l'arrêter dans sa marche ; et voyez quelle voie magnifique et nouvelle nous lui ouvrons ! Non, elle nous est trop précieuse cette révolution, à vous et à nous qui sommes prêts à nous sacrifier pour elle ; elle est trop précieuse aux peuples de l'Europe pour aventurer son sort en des entreprises téméraires, sans issue, sans résultat. Croyez-en un homme qui l'a embrassée avec amour, avec (page 514) passion, qui se tient prêt à la défendre de tout son sang ; oui, c'est ainsi que notre révolution, loin d'être arrêtée, poursuivra sa marche glorieuse, s'il peut être dit qu'après avoir été le second peuple de l'Europe en énergie et en courage pour briser le joug, le peuple belge a été le premier en prévoyance et en sagesse pour se constituer. (M. B., 9 juill.)

M. Seron, pour un fait personnel – En prononçant mon discours je ne me suis point lamenté ; je me suis borné à une simple question ; j'ai demandé ce que, constitués en État neutre, nous ferions de nos officiers de tout grade et de toute arme, un État neutre n'ayant pas besoin d'armée. Ce ne sont pas là des doléances, les doléances ne sont pas dans mon genre. Je les laisse à d'autres. (E., 9 juill.)

M. le comte d’Ansembourg parle contre les propositions de la conférence de Londres. (M. B., 9 juill.)

M. Olislagers de Sipernau présente des considérations en faveur des préliminaires de paix. (M. B., 9 juill.)

M. le président – La liste des orateurs contre est épuisée, mais il y a cinq ou six orateurs encore inscrits pour. D'un autre côté, il y a plusieurs orateurs inscrits pour un second tour de parole. Comment veut-on procéder ? (M. B., 9 juill.)

M. Forgeur demande qu'on épuise la liste des orateurs inscrits pour le premier tour de parole, et que l'on commence ensuite les répliques. (M. B., 9 juill.)

M. Fleussu – Adhérer aux préliminaires, c'est non seulement compromettre la révolution, c'est enrayer la liberté dans tous ses mouvements. Où sont les titres qui nous donnent droit à des enclaves en Hollande ? le ministre ne les connaît pas lui-même. Il y a à ce sujet entre la Belgique et la Hollande d'anciens procès qui ne sont pas terminés. C'est là mon opinion ; si elle n'est pas admise par la majorité, je me soumettrai fidèlement à sa décision.

L'orateur insiste surtout sur ce que le droit d'insurrection fait le seul fondement de nos droits. (J. B., et M. B., 9 juill.)

M. De Lehaye et M. Jacobs renoncent à la parole. (E., 9 juill.)

M. Le Grelle – Messieurs, après les remarquables discours que vous venez d'entendre en faveur de l'adhésion aux préliminaires de paix, je crois que la conviction est passée dans l'âme de tous ceux de mes honorables collègues que l'empire d'une idée fixe ne tient point enchaînés ; dans cette période de nos débats, il serait surabondant de fatiguer votre attention en motivant longuement mon vote. Qu'il me soit permis seulement de relever une assertion, une phrase qui, répétée à satiété, semble avoir produit une certaine impression sur l'imagination du public. On a dit et redit avec emphase, qu'en cédant Venloo, nous sacrifierions, nous vendrions nos frères... Vendre nos frères ! l'inculpation est grave, elle rappelle l'odieuse histoire des coupables fils de Jacob, livrant l'innocence et la vertu à la rapacité des marchands d'Égypte ; oui, messieurs, l'inculpation est grave, et je vous avoue que si elle pouvait être vraie, rien n'ébranlerait mon refus de participer à cette vente honteuse. Mais cette phrase sonore, soumise à l'examen impartial de la critique et du jugement, ne renferme plus l'idée qu'elle représente ; elle n'est plus qu'une simple figure de rhétorique, une image vaine, et toute réalité disparaît... En effet, messieurs, en obéissant à l'impérieuse nécessité de céder au besoin Venloo, et je dis au besoin, car rien jusqu'ici ne m'a démontré que cette cession est inévitable ; mais en la faisant, que sacrifierions-nous ? Des hommes… des Belges... des frères ?... Eh non, messieurs, les habitants de Venloo ne sont pas des esclaves pareils à ceux de l'Abyssinie, ou des côtes de la Guinée, dont un vil intérêt fait encore, hélas ! un infâme trafic ; les habitants de Venloo sont des hommes libres comme nous, qu'on ne vend pas, dont on ne trafique pas, qu'on ne livre pas, quoiqu'on ait dit, aux bourreaux et aux supplices ; les habitants de Venloo sont libres d'échanger, s'il le faut, un terrain sans liberté contre les belles plaines de la Belgique, de venir habiter parmi nous, de rester Belges avec nous, de jouir comme nous de toutes les prérogatives de notre constitution libérale. Ne les recevrions-nous pas avec le plus vif intérêt, avec un amour fraternel ? ne leur prodiguerions-nous pas tous les avantages auxquels le sacrifice d'une localité en faveur du bien général donne des titres incontestables ? et ces avantages, nous les leur prodiguerons, non pas comme un don gratuit, comme une marque de largesse et de munificence, mais comme un droit acquis, comme une juste indemnité de ce qu'ils abandonneraient pour nous sur un sol devenu étranger pour eux comme pour nous. Non, messieurs, nous ne vendrons jamais les Venloonais, nous les accueillerons, nous les rapprocherons de nous comme des frères, nous les immiscerons dans nos propriétés, nos biens et nos trésors, comme une partie de nous-mêmes, et en cédant Venloo, nous n'échangerions que des maisons et des murs faciles à rebâtir, contre les avantages inappréciables (page 515) d'une paix qui consoliderait nos belles institutions, qui mettrait fin à l'état d'incertitude, véritable marasme qui nous consume, au provisoire qui nous tue, et dont la prolongation serait le désordre et l'anarchie ; d'une paix qui détruirait les éléments de division intestine, qui ferait avorter et les projets d'envahissement étranger et ceux de restauration hollandaise ; d'une paix que nos commettants appellent dans toutes les provinces, en nous écrivant : « Terminez ; le temps presse, le mécontentement, la misère et toutes ses horreurs nous menacent ; elles sont à nos portes, épargnez-les-nous ; finissez...» Et moi aussi, messieurs, j’aspire après une paix qui ranimera les beaux-arts, l'industrie et le commerce, sources inépuisables d'abondance et de travail pour la classe ouvrière, que je ne flatte point, mais que je chéris, que j'estime et que je veux aider autant que personne ; après une paix qui rendrait à la capitale du royaume sa splendeur et son activité, et qui rendrait à toutes les parties de la Belgique une ère nouvelle de repos et de prospérité sous les auspices d'un bon roi.

Messieurs, député d'Anvers, je dois répondre un mot au discours qu'un représentant de ma province (M. Claes) a prononcé à cette tribune ; en traitant la question sous le rapport commercial : je conviens volontiers que mon honorable concitoyen qui dans cette circonstance s'est isolé, à mon grand regret, de tous ses collègues, a dit des vérités. Je ne nie point que le commerce maritime d’Anvers n'ait désormais beaucoup moins d'étendue sous l'ancien ordre de choses ; mais, je vous le demande, où le système de mon ami conduit-il ? évidemment, messieurs, à la restauration hollandaise : cette vérité ne blessera pas mon honorable adversaire, parce que son système n'est pas basé sur ses principes politiques, auxquels je me plais à rendre hommage, mais qu'il a été conçu sous des influences étrangères, émanées du régime commercial passé, dont le souvenir doit naturellement inspirer de légitimes regrets... Mon honorable compatriote, que veut-il ? la certitude de l’entière jouissance des provinces de Luxembourg et de Limbourg ? Non, messieurs, ce n'est point assez. La possession de la rive gauche de l'Escaut, objet des prétentions les plus exagérées qui aient surgi jusqu'à ce jour dans notre enceinte, et dont le défaut d'équité et de possibilité a été suffisamment démontré ? Non, messieurs, ce n'est point assez : l'honorable membre veut en outre la jouissance d'une partie des colonies hollandaises, dût-il l’acquérir en partageant l'énorme dette de nos voisins ; mais pour réaliser ses vœux, il n'y a évidemment que deux moyens, ou celui de nous courber de nouveau sous le joug de la Hollande, ou celui de faire en sorte que toute la Hollande nous appartienne. Quant à moi, qui ne veux pas que la Hollande nous possède, et qui ne crois pas à la possibilité de conquérir la Hollande, j'accepte, avec l'immense majorité de mes commettants, moins d'étendue dans le commerce, puisqu'il le faut, et plus de liberté, plus d'indépendance, plus de nationalité. (C., 9 juill.)

M. Serruys – Je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion, parce que je n'aurais pu que répéter ce qui avait été dit pour étayer l'opinion que j'ai embrassée ; mais quand, dans la séance d'hier, j'ai entendu un orateur (M. Claes) motiver son vote de rejet des propositions, entre autres, sur ce que, suivant l'article 11 de ces propositions, Le port d'Anvers continuera d'être uniquement port de commerce, et surtout quand j'ai entendu avancer, par ce même orateur, qu'en 1790, sous le gouvernement de l'Autriche, il n'y avait pas de commerce maritime en Belgique, je ne puis plus garder le silence. Je serai court. Et d'abord, je doute fort si c'est un avantage pour un port de grand commerce maritime d'être en même temps port maritime militaire ; en France et en Angleterre, il n'en est pas ainsi : Toulon, Brest et Rochefort ne sont pas, à proprement parler, des ports de commerce ; Portsmouth et Plymouth ne le sont pas non plus ; et, en effet, les armements pour le commerce ne s'allient pas toujours bien aux armements maritimes militaires, des collisions sont quelquefois plus ou moins à craindre, et c'est pour cela qu'en Angleterre et en France on les a isolés.

Puis, messieurs, le besoin de l'État ne demande nullement qu'il fasse construire les navires dont il pourrait avoir besoin, plutôt à Anvers qu'à Boom, à Bruges, à Ostende, à Nieuport, à Gand, à Basserode et dans plusieurs autres endroits, comme cela se fait dans le moment même. Je dirai plus, messieurs : j'ai remarqué dans le projet de budget des dépenses pour la marine, une tendance à créer des départements maritimes et des chantiers, noyaux de construction ; ce serait, à mon avis, une grave erreur. Voulez-vous faire construire des vaisseaux de ligne et de grosses frégates ? Et pour quoi faire ? Avons-nous des colonies à défendre, à protéger ? Le rôle des vaisseaux de haut bord est dans les batailles navales, et ce n'est pas là encore, à beaucoup près, notre affaire ; nous avons à défendre et nos côtes maritimes et fluviales et notre commerce, et pour cela nous n'avons besoin ni de flottes, ni d'escadres ; d'ailleurs, la Belgique (page 516) est un Etat perpétuellement neutre, sauf le cas d'agression. Puis, savez-vous, messieurs, combien il en coûterait à l'État pour établir des départements maritimes et des chantiers de construction ? Ouvrez un des budgets des dépenses de la marine du ci-devant royaume des Pays-Bas, vous y trouverez des millions pour ces objets. Je ne veux de département maritime, ni des chantiers de construction de l'État, ni à Anvers ni ailleurs ; nous n'en avons nul besoin, et l'État fera construire tous les navires qui seront jugés nécessaires à beaucoup moins de prix par des constructeurs particuliers, qu'en les faisant construire sur ses propres chantiers. Je ne m'étendrai pas davantage aujourd'hui sur ce sujet, je me réserve d'y revenir à une autre occasion.

L'orateur a dit qu'il ne conviendrait pas d'établir un chantier de construction à Ostende, parce qu'un coup de main pourrait être à craindre ; mais vous voyez, messieurs, que, je ne veux de chantiers de l'État nulle part, et, s'il en fallait absolument, les ports de Bruges, de Gand, de Boom, etc. , qui certes ne sont pas exposés à un coup de main, y seraient propres. Puis, qu'est-ce que c'est qu'un coup de main ? C'est un fait d'armes subtil auquel l'ennemi ne s'attend pas, une surprise.

Mais je vous le demande, messieurs, je le demande à l'auteur lui-même de l'observation, et je le demande particulièrement à tous ceux qui connaissent nos côtes et la position des ports d'Ostende, de Dunkerque, de Calais, etc., concevraient-ils la possibilité de la prise d'un de ces ports par un coup de main, par surprise ? Sans doute, on peut les prendre, non par surprise, c'est impossible, mais à force ouverte, et encore faudrait-il que la tentative fût accompagnée d'un débarquement d'hommes et en force suffisante ; car, remarquez-le bien, messieurs, tous ces ports ne sont pas abordables en tout temps, à toute heure, et par plusieurs navires à la fois, mais, pour ainsi dire, un à un et seulement par la passe ; autrement il y a naufrage et perte certaine, corps et bien, et vous pouvez croire qu'en pareil cas, messieurs, les batteries, dont les remparts, les ports et les côtes sont hérissés, ne seraient pas inactives : je n'en dirai rien de plus.

Messieurs, l'honorable M. Claes a dit que, sous le gouvernement autrichien, il n'y avait pas de commerce maritime en Belgique : il s'est étrangement trompé, mais involontairement sans doute, ou d'après des renseignements erronés ; car alors il était bien jeune encore, je pense, et il ne peut pas en avoir parlé avec connaissance de cause.

Il est vrai qu'à l'époque dont je parle, il ne se faisait pas de commerce maritime au port d'Anvers, parce que, pour le malheur de cette superbe ville, l'Escaut était fermé. Mais, messieurs, le port d'Ostende était ouvert et tout le commerce maritime de la Belgique se faisait alors par ce port ; et, remarquez-le bien, messieurs, en 1781, l'empereur Joseph II ayant érigé le port d'Ostende en port franc, le commerce y fit dès lors des progrès si rapides et si importants, qu'il est constaté par les registres authentiques des mouvements de ce port, qu'en 1791, il y est entré mille deux cent soixante-cinq navires de commerce de toute grandeur, venant de toutes les parties du monde ; que pendant l'année 1792, il en est arrivé quatorze cent quarante-cinq, et ainsi un accroissement d'arrivages de cent quatre-vingts navires dans une année. Il y a plus, messieurs : depuis 1er avril 1793, époque de la première retraite des armées françaises, commandées alors par Dumouriez, jusqu'à la fin de juin 1794, époque de la seconde invasion des armées françaises, et ainsi pendant quinze mois, il est entré dans le port d'Ostende le nombre de mille neuf cent quatre-vingt-sept navires de commerce, et notez, messieurs, que parmi ces mille neuf cent quatre-vingt-sept bâtiments, on en comptait vingt-sept venant directement des grandes Indes et de la Chine.

Notre honorable collègue d'Anvers a donc eu bien tort d'avancer que, sous le gouvernement de l'Autriche, il n'y aurait pas eu de commerce maritime en Belgique. Je regretterais du reste, avec lui, que sa prédiction relativement à la navigation et aux relations commerciales avec Batavia vînt à se réaliser. Mais j'ai la presque certitude qu'alors même qu'on nous imposerait des conditions tellement onéreuses que nous ne pourrions entretenir avec avantage une navigation directe, les armateurs hollandais continueront à se pourvoir en Belgique, des manufactures de coton, pour former et assortir leurs cargaisons, parce que leur intérêt le veut ainsi.

D'ailleurs, messieurs, si dans les temps dont je viens de parler, un seul port de la Belgique a été fréquenté par plus de quinze cents navires par an, alors que nous étions exclus de toutes les colonies hollandaises, tant des grandes que des petites Indes, à quoi ne doit-on pas s'attendre aujourd'hui que tous les ports des Amériques du Nord et du Sud, de la Chine, des îles de Cuba et de Saint-Domingue, de la Méditerranée et de la Baltique, sont ouverts à la navigation et aux spéculations commerciales des industrieux belges ?

Je termine, messieurs, en déclarant que je voterai l'acceptation des dix-huit articles des préliminaires de paix, qui nous sont proposés, parce j'y vois et que je ne vois que là le terme des tourments révolutionnaires. J'ai dit. (M. B., supp., 10 juill.)

M. le président – Maintenant la parole est aux orateurs qui se sont inscrits pour la réplique. (E., 9 juill.)

M. Helias d’Huddeghem – Les traités de Campo-Formio et de Lunéville ont reconnu le traité entre la Hollande et la république française au sujet des territoires contestés. Depuis, le prince d’Orange, en sa qualité de prince souverain des Provinces-Unies, prit, pour l'introduction des céréales dans la Flandre dite zélandaise, des mesures différentes de celles qu'il avait prises la Hollande.

Un fait de notoriété publique en Flandre, c'est qu’après l'invasion des alliés, quelques jeunes gens de Gand se sont rendus maîtres du Sas-de-Gand, qui est resté sous le séquestre de l'intendant du département de l'Escaut jusqu'à la réunion de la Belgique à la Hollande, sans que le prince d'Orange ait pris aucune mesure relativement à ce pays. Il fut décidé ensuite que les départements porteraient le nom de provinces méridionales sans changer de limites. Pour ce qui est de la possession ancienne de la Hollande, je puis prouver par des chartes que la rive gauche de l'Escaut ne lui a jamais appartenu. Plusieurs villes de ce pays ont arboré, dans ces derniers temps, les couleurs nationales avec enthousiasme. Le gouvernement provisoire a réuni à l'arrondissement de Termonde une justice de paix qui faisait partie de son territoire. Tout prouve, en un mot, que nos prétentions sur ce pays sont justes et légitimes. Je voterai contre les propositions et les amendements. (J. B., 9 juill.)

- La séance est levée à quatre heures et demie. (P. V.)