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Congrès national de
Belgique
Séance du mercredi 15
décembre 1830
Sommaire
1) Communications des pièces
adressées au congrès
2) Question du sénat (P =
pour ; C = contre) (Ch. Vilain XIIII
(C), de Gerlache (P), Leclercq (C),
H. de Brouckere (P))
3) Communication diplomatique
relative à la libre navigation sur l’Escaut (Van de Weyer)
4) Question du sénat (P=
pour ; C = contre)
a) question de principe (de Robaulx (C), Destouvelles
(P), De Lehaye (P), d’Arschot
(P), Andries (C), Charles le Hon
(P), Raikem (P), C. de Smet, Le Grelle, Raikem, Gendebien (père) (C), Duval de
Beaulieu (P), Rogier (P),
b) clôture de la discussion (Forgeur,
de Celles, Lebeau, de Robaulx, Charles le Hon, de Celles, Ch. de Brouckere, Devaux, Forgeur, Surlet de Chokier, Van Meenen).
c) adoption du principe des deux
chambres législatives (Surlet de Chokier)
(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique,
Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 470) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouverte à dix heures et demie (P. V.)
Un
des secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance précédente
; la rédaction en est approuvée. (P. V.)
COMMUNICATION
DE PIECES ADRESSEES AU CONGRES
M.
le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire,
présente l'analyse des pièces suivantes qui sont renvoyées à la commission des
pétitions :
M. Diepenbeeck demande l'intercession du congrès pour le
faire rentrer en activité de service.
M. Jobard présente un projet de loi pour charger
l'administration des postes du transport de la librairie.
Les commandants, capitaines et officiers de la garde urbaine
de la ville de Furnes déclarent sur leur honneur que depuis l'organisation de
ladite garde, elle n'a jamais été menacée d'être licenciée ou désarmée.
M. Maus-Casaquy présenLe un moyen de parer à un emprunt.
M. Louis Glorieux présente un moyen de mettre d'accord le
sénat et la chambre élective lorsqu'ils ne
s'entendront pas. (Rires.) .
M. Van de Moortele demande qu'au cas où le congrès décréterait
une chambre aristocratique, il en soit établi une troisième composée de membres
du clergé, c'est-à-dire, une chambre théocratique. (Rumeur.)
M. Henri Bosch se présente comme candidat à la chambre des
comptes et fait valoir ses titres.
M. Lanfrey fait la même demande ; elle est appuyée par MM.
Ferdinand Meeûs, Engler et Mettenius.
M. de Bellemare, capitaine commandant une compagnie de
volontaires, demande que le gouvernement fournisse des armes à ses hommes. (P.
V.)
M.
le président – Messieurs, il est arrivé hier, dans la séance du soir, que plusieurs membres
inscrits n'ont pas répondu à l'appel. Je demande que dorénavant, quand la
chambre aura décidé une séance du soir, les membres inscrits veuillent bien s'y
rendre, sinon je prie l'assemblée d'arrêter qu'ils perdront leur tour de rôle.
(Oui ! oui !) (J. F., 17 déc.)
M.
le vicomte Charles Vilain XIIII – Messieurs, j'avais renoncé hier à la parole ; les
notes que j'avais préparées n'eussent fait que répéter les arguments que vous
ont développés avec tant de talent MM. de Celles, Defacqz, de Brouckere et
Deleeuw : mais les réflexions que vous a présentées hier soir M. le rapporteur
de la section centrale placent la discussion sur un terrain nouveau et ne
peuvent passer inaperçues. Jusqu'alors tous les orateurs avaient ou soutenu les
deux chambres dans l'intérêt de l'aristocratie, ou bien demandé une chambre
unique en haine des privilèges ; c'est plein de ce dernier sentiment que
j'aurais appuyé l'établissement d'une seule chambre. L'honorable rapporteur,
messieurs, nous a révélé hier soir une arrière-pensée des partisans des deux
chambres, et dans cette opinion, je ne vois plus aujourd'hui qu'une tactique
contre la grande propriété.
En
effet, messieurs, cet honorable orateur vous a dit en propres termes : « Si
vous n'avez qu'une chambre, l'aristocratie l'envahira peut-être ; mais si vous
en avez deux, ce danger n'est pas à craindre, car lorsqu'un grand propriétaire
se présentera aux élections, on lui dira : Ce n'est pas ici votre place, passez
votre chemin, allez à la chambre haute. »
Rapprochons ces paroles, messieurs, d'une autre opinion émise dans une
autre séance (page 471) par le même
orateur, qui vous disait, ce qui du reste est hors de doute : « Toute
l'influence doit nécessairement appartenir à la chambre élective, le sénat
n'est là que pour modérer, pour faire penser les députés de la chambre
élective, et si après avoir pensé, la chambre élective persiste dans sa
première opinion, on fait une fournée dans le sénat pour le forcer à penser
comme la chambre élective. » - Messieurs, il y avait une fois un philosophe,
dont le nom m'échappe dans ce moment, qui disait à ses disciples : Lorsque vous
vous sentez en colère, gardez-vous de prendre aucun parti, commencez par
réciter tout haut l'alphabet grec, cela vous donnera le temps de réfléchir,
puis ensuite faites ce que vous voudrez. (Rires.) Votre sénat,
messieurs, me fait tout l'effet de cet alphabet grec, et M. Devaux veut réduire
les propriétaires à de simples lettres de l'alphabet ; le sénat sera un
calmant, un verre d'eau froide administré dans de certains moments à la chambre
élective, c'est-à-dire, messieurs, qu'en ayant l'air d'accorder à la grande
propriété un privilège, on lui donne en effet un privilège d'exclusion, ou
éloigne les propriétaires de toute véritable influence dans les affaires, on eu
fait de nobles ilotes, des parias à manteaux d'hermine. Ah ! pas tant
d'honneurs, messieurs, et un peu plus d'égalité ! Loin de nous l'infâme pensée
de réclamer d'injustes, d'odieux privilèges : mais aussi que personne n'essaye
de nous expulser du droit commun ! L'aristocratie belge n'a pas mérité qu'on
se méfiât d'elle au point de lui donner des chaînes, et surtout des chaînes
d'or, plus honteuses, plus pesantes mille fois que des liens de fer pour qui a
du sang dans les veines et un cœur d'homme dans la poitrine. (Sensation.)
J'espère,
messieurs, que la révélation imprudente pour les partisans de deux chambres
qui nous a été faite hier soir engagera les grands propriétaires, qui
foisonnent, dit-on, ici, à voter contre un sénat. Quant à moi, je regrette de
n'avoir pas deux voix à ma disposition; je donnerais l'une comme citoyen, et
l'autre en qualité de propriétaire, en faveur d'une chambre unique. (Bravo.)
(U. B., 17 déc.)
M.
le comte de Celles est appelé à la tribune par M. le président. (J. F., 17 déc.)
M. De Lehaye fait observer que la liste des orateurs inscrits
n'étant point épuisée, on ne peut appeler le même orateur à parler deux fois
sur la même question. (J. F., 17 déc.)
- Sur
ces observations, M. le comte de Celles se relire et diffère sa réplique. (J.
F., 17 déc.)
M.
de Gerlache – Messieurs, je n'ai que deux mots à dire pour motiver mon opinion : je
vois que l'assemblée est pressée d'en finir, et la matière semble épuisée. Je me
crois cependant obligé de répéter ce que j'ai dit dernièrement dans la
délibération préparatoire sur le sénat. Discuter sur l'existence de deux
chambres, c'est, en d'autres termes, remettre en question la royauté. Or, a
vous avez voulu la royauté, c'est-à-dire, un pouvoir unique, très grand,
quoique limité, pour empêcher que quelque ambitieux ne s'emparât de ce pouvoir
et ne le rendît illimité. Pouvez-vous maintenant, sans danger pour le trône et
pour le peuple même, placer le roi que vous allez élire, en face d'une chambre
toute populaire, sans aucun pouvoir intermédiaire ?
Dans
tous les pays où le régime constitutionnel a prévalu, l'ascendant populaire est
devenu immense, irrésistible. La liberté est sentie, appréciée, voulue par les
classes inférieures et moyennes comme par les plus élevées. 1789, 1814 et 1830
sont trois grandes époques de l'histoire moderne, qui prouvent que quand les
gouvernements refusent de marcher avec les peuples, les peuples abolissent
les gouvernements et marchent sans eux.
Après
avoir renversé les institutions les plus absurdes et les plus oppressives,
triomphé du gouvernement hollandais, ligué contre nous avec la nation
hollandaise ; après avoir écrit dans votre charte que le pouvoir dérive de la
nation, ne peut être exercé qu'au profit de la nation, et par des ministres
responsables ; après avoir fait tourner au profit du peuple toutes les forces
matérielles et intellectuelles de l'État ; après avoir stipulé qu'il se
gouvernera lui-même par cette chambre dont il nommera directement les membres;
après vous être assuré une garantie dans l'omnipotence de l'opinion par la
presse, et dans la presse par le jury, pouvez-vous craindre encore pour la
liberté ? Ah! j'ose le dire, elle seule pourrait attenter désormais contre
elle-même ! Ne trouvez point mauvais qu'après avoir si longtemps combattu pour
elle contre le pouvoir, nous plaidions aujourd'hui la cause de la royauté
absente en faveur de cette liberté toute-puissante et de la société ! Je veux
que le roi que nous élirons soit assez fort pour pouvoir porter honorablement
la couronne de
Quoi
qu'il en soit, quand une révolution est faite, il faut tâcher d'en recueillir
les fruits, et tâcher d'en prévenir le retour. Comprimer l'élan populaire est
impossible aujourd'hui, car non-seulement le peuple est le plus fort, mais il
connaît sa force. Et c'est, à mon avis, là ce qui exige de la part du législateur
les plus grandes précautions.
Je
n'examine point si le peuple est souverain, et dans quel sens cela peut être
vrai ou faux ; c'est une question très difficile. Mais il me suffit qu'il soit
le plus fort et qu'il puisse avoir tous les caprices d'un véritable souverain,
pour que je sois convaincu que l'on doit limiter sa puissance, et que l'on ne
peut mettre sans danger ceux qui le représentent et qui doivent partager plus
ou moins ses passions, vis-à-vis d'un roi investi par la constitution de
toutes les forces organisées de la nation. Il est évident que celui-ci se
voyant menacé dans son existence, et ne trouvant pas dans la constitution des
armes assez fortes pour se défendre, une lutte terrible s'engagerait entre le
roi et le peuple, lutte nécessairement fatale à l'un ou à l'autre, et, dans
tous les cas, mortelle à la liberté.
Si
nous consultons l'histoire, nous verrons une assemblée composée de l'élite
d'une grande nation, entraînée souvent au delà du but par l'excès : même de son
patriotisme ; nous la verrons, tantôt pleine de sagesse, retranchant par ses
décrets des abus déjà proscrits et déracinés par l'opinion ; tantôt, partageant
les égarements populaires et préparant la ruine du monarque en le dépouillant
des prérogatives les plus inséparables de la royauté ; tantôt nous la verrons
voter certaines mesures avec tant d'enthousiasme, de précipitation, que tout à
coup rappelée à elle-même, elle était obligée d'annuler immédiatement le décret
qu'elle venait de porter. Voilà quelques-uns des inconvénients d'une assemblée
unique.
La
réunion des pouvoirs en une seule chambre a été justement regardée comme une
des fautes les plus préjudiciables à la monarchie et à la nation qu'ait
commises l'assemblée constituante. « Quand on discuta dans cette assemblée
la question des deux chambres, dit M. de Montgaillard, le vicomte Mathieu de
Montmorenci trouva qu'une seconde chambre était absolument inadmissible, à
cause des obstacles qu'elle opposerait à la réforme des abus ; car, si les deux
chambres ont la même formation, une d'elles devient inutile, puisqu'elle ne
serait plus qu'un bureau nécessairement toujours influencé par l'autre. Si leur
formation n'est pas la même, et qu'on adopte le projet d'un sénat, il établira
l'aristocratie et conduira à l'asservissement du peuple. »
Voici
maintenant les réflexions de l'historien sur la résolution de l'assemblée
constituante, Ces paroles ne sont point de moi, messieurs, je vous avertis.
« La question d'une seule chambre, dit-il, offrait de grands
dangers pour le trône, et c'est
par cette raison que les ennemis du trône en soutenaient la nécessité. La très
grande majorité des députés était d'ailleurs d'une ignorance extrême en matière
d'organisation et de pouvoirs politiques : à peine pourrait-on citer cinq ou
six députés dont l'opinion fût fixée sur les inconvénients d'une chambre : ces
députés étaient Lally-Tollendal, Dupont de Nemours, Mounier, Malouet et
Cazalès. Trop peu de membres du tiers savaient qu'en concentrant en eux seuls
toute l'autorité des états généraux avec l'autorité royale, ils ouvraient la
porte au despotisme de la
démocratie, qui, s'il n'est pas le plus durable de tous les despotismes, en
est du moins le plus terrible, à cause de l'infinité de ses agents et de la
continuelle mobilité de ses caprices... » (Note de bas de page : Histoire de France depuis la
fin du règne de Louis XVI) C'est, à ce qu'il me semble, établir la question sur un terrain beaucoup
trop étroit ; c'est donner beaucoup trop beau jeu à ses adversaires, que de
prétendre que la première chambre doit représenter spécialement les grands
propriétaires fonciers, Non ! messieurs, la chambre permanente doit représenter
surtout les intérêts moraux et généraux de la nation.
La
question pour moi, messieurs, n'est pas de savoir, comme on se l'est demandé,
si nous avons une aristocratie, et si nous pouvons reconstruire quelque chose
qui ressemble à la pairie anglaise ; mais si nous établirons un corps
d'observation qui tempère et contrôle au besoin les passions de la chambre
populaire, une sorte de second degré de juridiction devant lequel soit portée
la cause nationale. Cette première chambre doit être prise, non dans une
classe particulière, mais dans celles qui ont le plus d'intérêt à la
conservation de l'ordre existant. Il est faux de dire qu'elle s'opposera (page 473) au perfectionnement de nos
institutions, c'est supposer qu'elle voudrait se détruire elle-même. On s'est
beaucoup égaré sur le compte de notre ancienne première chambre ; on a
prétendu en induire que l'institution était vicieuse et impopulaire ; mais, en
vérité, il n'y avait pas de quoi. La seconde chambre elle-même n'était point
nationale ; comment la première l'eût-elle été ? Ce malheureux roi corrompait
tout ! Il avait composé son sénat d'hommes dont le patriotisme était à peu près
d'aussi bon aloi que l'orthodoxie de ceux qu'il avait faits membres de la
commission du culte catholique, précisément parce qu'ils insultaient tous les
jours à la religion de leurs pères.
Quoi
que vous fassiez, il y aura toujours aristocratie et démocratie dans la nation
: je n'entends par là, je le déclare, que des inégalités nécessaires dans la
société : il y aura toujours des gens ennemis des innovations politiques et
voulant garder leur position, et d'autres cherchant à changer la leur ; des
espèces de whigs et de torys, partisans, les uns des bonnes vieilles lois du
pays, et les autres faisant sonner bien haut les besoins du siècle et la
nécessité de marcher avec lui. Eh bien, il s'agit d'organiser cette
aristocratie et cette démocratie de la manière la plus naturelle et la plus
régulière possible.
La
démocratie a sa place marquée dans la chambre populaire ; mais il n'en est pas
de même de l'aristocratie, qui s'y trouvera toujours en minorité et mal à
l'aise. Si celle-ci triomphait dans l'assemblée populaire, ce serait un
malheur, car le peuple devrait chercher ses défenseurs en dehors de cette
chambre. C'est de l'opposition et du choc régulier de ces deux forces que doit
naître le maintien et l'accroissement progressif des libertés publiques.
Prenons-y
garde, messieurs, toute amélioration, pour être durable, doit être lente, sanctionnée
par le temps et la contradiction. Ne vous laissez pas séduire par ce qui se
passe sous vos yeux. Le gouvernement provisoire a déblayé en quinze jours
l'édifice gothique et les ruines dont van Maanen et consorts avaient surchargé
notre sol ; et chaque jour notre révolution se retrempe et reprend vigueur en
rendant à la nation quelque liberté nouvelle. Mais la digue du pouvoir ne se
rompt pas tous les jours; et tous les jours la liberté ne saurait couler à
pleins bords ! Enfin si le sénat résiste obstinément à la chambre populaire,
qui doit toujours finir par triompher quand elle a raison, vous pouvez vous
ménager dans sa composition même des moyens de le forcer à marcher dans le
sens de la nation. Profitons, messieurs, de l'expérience d'autrui. Personne
aujourd'hui en France, pas plus qu'en Angleterre, pas plus qu'en Amérique, ne
révoque en doute la nécessité d'une première chambre.
Dût-on
m'accuser de préjugés ou de pusillanimité, je n'irai point tenter une épreuve
périlleuse sur mon pays. La véritable politique, comme la véritable médecine,
n'est à mes yeux qu'une science expérimentale et toute d'observation. Je crains
les empiriques et leur éloquence passionnée, mais leur métaphysique ne m'en
impose point. Je crois bien qu'avec deux chambres notre gouvernement ne sera
point parfait ; qu'il y aura entre elles de fréquentes collisions
d'intérêts et de passions ; mais rien n'est parfait dans les institutions
humaines, et je n'oserais prendre sur moi d'administrer à mon pays un de ces
remèdes héroïques qui peuvent donner la mort.
Je
déclare fermement que je ne suis pas plus disposé à le livrer à l'anarchie qu'à
le vendre à l'étranger !
Je
crois qu'une chambre héréditaire, au moins en partie, offrirait plus de
garanties de stabilité, plus d'esprit d'indépendance, de sagesse et de
conservation qu'un sénat à vie ; mais je ne veux point lutter contre des
répugnances trop prononcées quant à présent. Je voterai donc, je le déclare
d'avance, non-seulement pour un sénat, mais pour un sénat à vie, à la
nomination du chef de l'État, et avec faculté d'augmentation. (U. B., 17 déc.)
M.
le président – M. David a la parole. (U. B., 17 déc.)
M. David – J'y renonce. (U. B., 17 déc.) (L’ouvrage de E. Huyssens contient en
bas de note le discours qu’il se prononçait de prononcer (C))
M. le président – La parole est à M. Leclercq. (U. B.,
17 déc.)
M. Leclercq –
Messieurs, je voterai
pour (page 474) une seule
chambre ; je ne me suis point dissimulé, en abordant cette question, combien
semblait puissante l’autorité des exemples qui s’élèvent contre l’institution
d’un corps unique investi du (page 475)
pouvoir législatif ; mais des exemples n'ont de force qu'autant qu'ils sont
conformes à la vérité, à la nature des choses, à la raison, qu'autant que les
cas auxquels on les applique sont analogues entre eux ; hors de là, ils ne
peuvent avoir aucune autorité ; les invoquer, s'y soumettre, c'est abdiquer le
plus noble de nos attributs, l'intelligence, sans laquelle la liberté n'est qu'un
mot vide de sens ; ils peuvent bien confirmer l'homme dans la conviction qu'il
s'est formée que son jugement est vrai ; mais ils ne peuvent être le motif de
ce jugement ; la raison et la vérité seules peuvent en être les appuis ; les
exemples ne viennent qu'après, et ils doivent être repoussés s'ils sont
contraires à la raison et à la vérité ; ces exemples doivent nous engager à
bien peser, à bien mûrir nos jugements ; mais ils seraient des préjugés s'ils
passaient avant tout. Tel est le principe qui, plus qu'aucun autre, doit
dominer toute cette discussion, parce qu'aussi, plus que dans aucune autre
discussion, les exemples sont invoqués par les adversaires de l'institution
d'un corps unique investi du pouvoir législatif.
Remonter
à la nature des pouvoirs constitutifs, de leur souveraineté, à leur division et
à leur action réciproque les uns sur les autres, remonter à la source des
exemples, qui semblent parler en faveur de deux assemblées législatives, tel
est le moyen le plus sûr d'arriver à la démonstration complète que ces exemples
ne sont conformes ni à la vérité ni à la raison, et qu'en les invoquant on les
applique à des cas qui n'ont entre eux aucune analogie, et qu'enfin un corps
unique, investi du pouvoir législatif, satisfait pleinement au but de
l'institution du gouvernement politique.
J'abuserais
de votre attention si je me livrais à des détails sur la nature et les causes
de la division des pouvoirs institués pour assurer l'existence de la société
en maintenant l'ordre, en réprimant tout ce qui peut porter atteinte .aux
droits de chacun, en repoussant tout ennemi intérieur et extérieur. Vous savez
tous que la loi, son exécution par les moyens de force dont l'homme peut
disposer, son application à la répression des crimes et aux contestations qui
divisent les citoyens, sont les objets qu'embrassent ces pouvoirs: les
indiquer, c'est dire assez qu'ils n'ont pu être réunis dans une même main, sans
que le despotisme fût à l'instant organisé, sans qu'ils détruisissent l'objet
même de leur institution, l'ordre et les droits de tous; c'est dire assez
qu'ils ont dû être divisés, et telle a été la première base de toute bonne
constitution politique. Mais cette division de pouvoirs n'en a point séparé ce
qui en fait le danger, je veux dire l'homme avec ses passions, ses faiblesses
et ses vices, et si pour éviter le malheur du despotisme on se jette de
l'extrême de la confusion des pouvoirs dans l'extrême de la division et de
l'indépendance absolue, l'on n'aura point évité le mal, le désordre sortira de
la division comme il serait sorti de la confusion.
Les
hommes investis de ces pouvoirs n'y seront point arrivés sans leurs passions ;
ils n'y seront point arrivés sans cette passion, l'une des plus violentes,
l'ambition ; par elle ils sont sans cesse agités du désir d'étendre leur
autorité, d'en reculer les limites, et ils ne le peuvent sans se faire un
instrument de cette autorité, même sans empiéter sur celle dont d'autres ont
reçu le dépôt, sans renverser les lois, qui leur tracent la ligne dont il leur
est interdit de sortir, sans rencontrer l'autorité rivale, dont le dépositaire
s'avance aussi agité du même désir ; ils ne le peuvent enfin sans qu'il
s'établisse entre ceux à qui le maintien de l'ordre est remis, une lutte
opiniâtre et passionnée, qui doit détruire l'ordre, renverser l'empire des
lois, dissoudre le lien social et se terminer par le despotisme ou par
l'anarchie.
Tels
sont les maux que produit la division absolue des pouvoirs et que tous nos
efforts doivent tendre à prévenir. L'ambition et la lutte entre les différents
pouvoirs en sont la cause; nous ne pouvons arrêter l'ambition, les effets
seuls peuvent en être atténués; il ne reste que la lutte à laquelle nous
puissions nous attaquer ; et s'il est impossible de la prévenir, parce que la
cause en agit toujours et brave tous nos efforts, il est au moins possible de
l'affaiblir et de la faire cesser, sans retomber dans la confusion absolue des
pouvoirs.
Déjà
le moyen en a été trouvé pour le pouvoir judiciaire dans ces deux principes qui
dirigent toute sa marche : l'un, qu'il ne peut agir par lui- même, qu'il ne le
peut qu'autant qu'il en est requis par des tiers qui lui sont étrangers ;
l'autre, et qu'il ne peut procéder par voie de règlement, qu'il ne le peut que
par voie de décision spéciale à un cas et inapplicable à un autre. Ces deux
principes empêchent le pouvoir judiciaire de former et de suivre aucun plan
d'envahissement ; ils détruisent ainsi le germe de toute lutte, et ce pouvoir
se trouve placé hors de ligne ; il ne reste plus en présence que le pouvoir
législatif et le pouvoir exécutif ; c'est entre eux que la lutte s'engagera
toujours infailliblement ; c'est par cette lutte que les institutions
politiques périront, si l'un doit rester toujours distinct et indépendant de
l'autre, si, après avoir pendant un certain (page 476) temps agi dans sa sphère, l'un ne doit pas finir par
ressortir indirectement de l'autre ; si celui-ci ne doit pas en définitive
avoir la haute surveillance, la haute main sur tous les intérêts de la nation.
Ce moyen nous rapproche, il est vrai, de la confusion absolue des pouvoirs ;
mais il est inévitable : le salut de l'État exige impérieusement que la lutte
cesse, et elle ne peut cesser que par ce moyen : il est loin d'ail1eurs
d'amener les funestes résultats de la confusion absolue des pouvoirs, s'il
est confié à un corps législatif convenablement organisé, parce qu'alors il
n'est qu'une surveillance indirecte qui, par sa nature, laisse nécessairement
agir l'autre pouvoir dans sa sphère avant de le toucher, parce qu'alors il ne
peut dégénérer en despotisme ; il doit garantir complètement les droits et
les intérêts de tous, et il rend en conséquence tout à fait inutile
l'établissement de ce deuxième corps législatif imaginé pour servir de
modérateur, et que nous connaissons sous les dénominations de sénat, de chambre
des pairs, de chambre haute, de première chambre.
Le
corps législatif, composé d'un grand nombre de personnes, se trouve placé dans
l'impossibilité de gérer directement les affaires de l'État par lui-même :
l'exercice du pouvoir exécutif est essentiellement incompatible avec la
constitution d'un pareil corps ; cette impossibilité, cette incompatibilité,
qui sont ainsi dans la nature, doivent constamment se faire sentir à tous ses
membres ; l'usurpation du pouvoir exécutif doit toujours être loin de leur
pensée ; ils peuvent bien chercher à surveiller, à influencer le pouvoir
exécutif, mais à s'en emparer, jamais : ils secoueraient les lois de leur
propre constitution, et elles sont pour eux une nécessité qu'ils sentiront
toujours trop vivement pour chercher à s'y soustraire. Vous en avez eu et vous
en avez chaque jour vous-mêmes, messieurs, un exemple. Dès les premiers
instants de votre réunion, vous avez reconnu que tous les pouvoirs vous
appartenaient, mais vous avez senti en même temps que le pouvoir exécutif ne
pouvait rester entre vos mains ; vous avez senti qu'il y serait inactif, qu'il
y périrait infailliblement ; et cette loi de la nécessité, à laquelle ni
individu ni assemblée ne peuvent se soustraire, vous avez dû la subir ; vous en
avez, vous plus puissants qu'aucune assemblée législative, vous investis de la
souveraineté, vous en avez délégué une partie ; vous en surveillez l'exercice
d'un œil attentif, mais vous vous abstenez d'y toucher ; vous maintenez
sévèrement les limites que vous-mêmes vous vous êtes posées, et ce n'est
qu'avec une extrême circonspection que vous faites sentir votre surveillance.
Voilà ce que vous avez fait, parce qu'il était dans votre nature de le faire ;
voilà ce que ferait toute assemblée législative moins puissante que vous, mais
formée des mêmes éléments que vous ; voilà ce qui doit nous assurer que la
haute main confiée au corps législatif ne se fera sentir au pouvoir exécutif
qu'indirectement et après l'avoir laissé librement agir dans la sphère de ses
attributions ; voilà ce qui doit toujours éloigner la crainte de voir dégénérer
cette haute main en confusion absolue des pouvoirs ; voilà ce qu'on ne devrait
pas attendre de cette haute main abandonnée au pouvoir exécutif, car rien, dans
la constitution de celui-ci, ne s'oppose à ce qu’il cherche à s'emparer du
pouvoir législatif, à ce que de fait il exerce par lui-même ce pouvoir. Vous
n'en avez, dans votre histoire, que trop d'exemples ; et, ce qu'il lui est
possible de faire, vous êtes certains, messieurs, qu'il le fera l'ambition qui
agite tout pouvoir vous en est un sûr garant.
Je
puis donc le répéter sans crainte d'être démenti : si la haute main dans
l'État, si la surveillance définitive, si toutes les affaires doivent être
confiées à l'un des deux pouvoirs, afin d'empêcher qu'une lutte acharnée ne
s'établisse entre eux, ou tout au moins afin que cette lutte, une fois engagée,
vienne à finir vite et sans déchirements, c'est au corps législatif, qu'il
faut abandonner cette haute main, parce que, de sa nature, il laissera
nécessairement agir l'autre pouvoir dans sa sphère avant de le toucher ; il n'y
aura point confusion absolue des pouvoirs ; il ne pourra même en résulter l'apparence
du despotisme qu'engendre toujours cette confusion.
Telle
est, messieurs, la conséquence qui dérive de la constitution même du corps
législatif ; telle est la conséquence que confirme, je viens de le dire, d'une
manière éclatante, votre propre exemple, l'exemple d'une assemblée aussi
populaire qu'il en fut jamais, l'exemple d'une assemblée créée dans des temps
d'une effervescence aussi vive qu'il en régnera jamais à la naissance d'aucune
assemblée législative.
Loin
de nous donc toute vaine frayeur d'usurpation, de confusion de pouvoirs, que
rien ne doit nous faire redouter ; un corps législatif surveillera, mais
n'agira point ; il arrêtera, mais il n'enchaînera point. J'ai ajouté que s'il
était convenablement organisé, il garantirait complètement les droits et les
intérêts de tous, et il suffit de jeter un coup d'œil sur les éléments
constitutifs d'un corps législatif dans l'état actuel de la société, pour en
être complètement convaincu, pour voir (page
477) que dans son sein se réuniront et se concilieront naturellement, sans
lutte et sans secousse, tous les intérêts divers qui composent et représentent
le corps social, pour regarder comme de vraies chimères toutes ces
distinctions, toutes ces combinaisons par contre-poids d'aristocratie et de démocratie,qui
n'existent plus dans notre nation ni dans notre siècle, dont le véritable
caractère est l'égalité, fondée non seulement sur la loi, mais sur ce mouvement
continuel que produit une civilisation toujours croissante, et dont les
progrès ont pour résultat de confondre toutes les classes de la société, et
d'empêcher qu'aucun individu, qu'aucune famille ne soient placés d'une manière
stable dans une classe plutôt que dans une autre.
Qu’on
y fasse bien attention, messieurs : quand on parle d'une seule chambre
législative, il semble, à entendre les partisans du système de deux chambres,
qu'on parle d'un corps dans lequel n'entreront en majorité que des hommes
appartenant aux classes les moins aisées de la société, dans lequel les
grandes fortunes, les amis de ce qu'on appelle les vieux principes, ne seront
point ou presque point représentés ; il semble qu'on parle d'un corps dont l'
esprit doit le porter à tout détruire, à tout renouveler, à se prendre sans
cesse aux principes et aux choses pour satisfaire et ses systèmes et des
intérêts particuliers ; mais c’est se faire une étrange idée de notre état
social, où ceux des anciens principes, dont l'expérience a démontré la vérité,
sont aussi profondément gravés dans le cœur des hommes des classes moins aisées
que dans ceux des hommes appartenant aux classes riches, parce que ceux-ci sont
plus attachés, en raison de leur fortune et des jouissances dont ils se sont
fait une habitude, à des prérogatives nuisibles à des principes vrais et
utiles, tandis que ces principes ne peuvent qu'être la règle constante de ces
classes moyennes, dont la vie et la prospérité reposent exclusivement sur le
travail, l'économie, l'esprit d'ordre et l'obéissance aux lois, toutes choses
inséparables de tout ce qu'il peut y avoir de vrai et de salutaire dans le
principe que l'expérience du siècle a confirmé et qu'on a transmis. C'est se
faire une étrange idée de notre état social, ou plutôt c'est reporter dans
notre état social des idées qui appartiennent à un état social tout différent ;
c'est supposer qu'aujourd'hui comme autrefois, il existe encore deux sortes
d'intérêts distincts et opposés entre eux : cela pouvait être, alors que la
propriété immobilière était réellement immobile dans les mains qui la
détenaient, alors qu'une ligne profonde séparait la classe riche de la classe
travaillante, alors qu'en conséquence ces deux classes se regardaient comme
étant d'une nature différente, et
cherchaient par cela même à se dominer mutuellement, ce qui devait les placer
dans un état d'hostilité continuelle.
Mais aujourd'hui que l'immobilisation des
fortunes est détruite, que dorénavant chacun, pour vivre indépendant des
autres, devra s'éclairer et travailler ; que la fortune passe sans cesse d'une
main à une autre ; qu'il ne doit plus y avoir qu'une seule classe, la classe
des travailleurs ; que l'inégalité de fortune ne peut plus désormais être
marquée que par le degré d'industrie que chacun a apporté dans la carrière
qu'il parcourt, et par l'espace qu'il en a parcouru ; que toute distinction de
classes et d'intérêts, et par conséquent toute opposition, toute lutte, tout
esprit de domination entre elles, doit disparaître, il faut aussi que ces idées
d'aristocratie et de démocratie disparaissent, et avec elles toutes les
combinaisons, si l'on veut en déduire, et la crainte de ne point voir la classe
riche représentée dans un corps législatif, comme si la différence de fortune
séparait encore aujourd'hui les hommes en plusieurs classes, comme si cette
différence, par suite des causes qui la. produisent, ne maintient pas au
contraire tous les hommes en rapport, en liaison constante, et ne doit pas
donner aux plus riches une influence sur les autres, qui les fera choisir en
majorité, quand il s'agira de remplir dans l'intérêt général une mission à
laquelle les rendront plus propres qu'aucun autre et leur fortune, et les
lumières, et l'activité que l'acquisition de cette fortune suppose, et les
loisirs dont elle leur permet de disposer, et qui n'appartiennent point à
d'autres, beaucoup plus obligés de travailler assidûment, parce qu'ils sont
moins avancés dans leur carrière.
Voilà,
messieurs, tracé avec toute la brièveté dont l'urgence de nos discussions me
fait une loi, le caractère essentiel de notre société, telle que l'ont faite les
révolutions politiques et les progrès de la civilisation qui les ont amenées ;
c'est de ce caractère de notre société que doivent partir tous les éléments
d'une assemblée législative propre à garantir tous les droits et tous les
intérêts.
Il
n'y a plus, je viens de le dire, qu'une
classe aujourd'hui : c'est ce qu'on est convenu d'appeler la classe moyenne ;
cette classe embrasse et, par conséquent, représente tous les intérêts, parce
que tous sortent d'elle, tous y rentrent, tous sont dominés, réglés par elle :
ceux des grandes fortunes, parce qu'elles ne peuvent plus désormais appartenir
qu'au travail, parce qu'elles naîtront désormais de la classe moyenne pour s'y
perdre ensuite après les partages que la mort amène dans (page 478) les familles ; ceux des petites fortunes, parce qu'après
s'être insensiblement formées sous le patronage des travailleurs dont la
carrière est plus avancée, elles s'accroissent et prennent bientôt rang dans
cette classe, à laquelle, faute d'une autre, s'applique toujours la dénomination
inexacte de classe moyenne.
C'est
donc de cette classe, la seule qui reste debout dans la société, la seule qui
compose la société, que vous devrez tirer le corps législatif ; c'est à elle
que vous devrez remettre le soin de choisir ses membres ; et si vous le faites,
si vous rédigez votre loi électorale dans l'esprit de cette classe moyenne,
dans le sens des éléments qui constituent aujourd'hui l'ordre social, il est impossible
que vous n'ayez pas un corps législatif, représentant véritable des intérêts de
la société, non point des intérêts aristocratiques, démocratiques, soit
isolés, soit combinés entre eux. Je ne puis trop le répéter, les distinctions
sont vaines aujourd'hui : il n'existe plus qu'une sorte d'intérêts, ceux de la
science, de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, et ces intérêts,
n'en formant qu'un, ne peuvent créer de distinction entre les citoyens, ne
peuvent leur créer des intérêts différents, ne peuvent établir entre eux des
classes d'opposition, de lutte ; tous les hommes de toutes les familles y sont
aptes, parce que tous les hommes de toutes les familles s'y livrent et doivent
s'y livrer suivant leurs goûts et leurs talents ; parce que ces intérêts, qui
appartiennent aussi à toutes les familles, se soutiennent sans cesse mutuellement,
et, par l'appui qu'ils se prêtent, augmentent leur prospérité respective ;
parce que tous les hommes de toutes les familles, obligés d'avoir entre eux des
relations continuelles, doivent nécessairement sentir combien un tel appui est
indispensable, combien ce mélange ne fait d'eux qu'une classe dotée d'un
intérêt unique.
Je
crois donc en avoir dit assez pour pouvoir établir avec assurance qu'une seule assemblée
législative, qui, d'ailleurs, par sa constitution ne peut s'abandonner à la
pensée d'usurper le pouvoir exécutif, et ne peut songer à y toucher qu'indirectement
et après l'avoir d'abord laissé agir dans la sphère de ses attributions, se
trouvera, si la loi électorale est faite dans le véritable esprit qui doit
l'animer, se trouvera composée d'éléments tels que les droits, les intérêts de
tous seront pleinement garantis ; et si à toutes ces causes de sécurité vous
ajoutez la responsabilité ministérielle, qui place toujours la personne du
chef de l'État hors de ligne dans les débats qui s'élèvent, le met ainsi à
l'abri de tonte atteinte, et prévient les secousses funestes aux lois et à la
nation ; si vous ajoutez le veto, à l'aide duquel le chef du pouvoir exécutif peut empêcher toute mesure
précipitée, le veto, qui toujours est motivé d'avance par les ministres
admis à prendre part aux discussions du corps législatif ; si vous ajoutez le
droit de dissolution, par lequel la société est appelée à juger la conduite de
ses mandataires, et la réélection au bout d'un certain temps assez long pour
que les députés puissent remplir leur mandat, et point assez pour qu'ils
puissent en abuser ou former, suivre et mettre à fin un plan d'envahissement,
il est impossible de concevoir la moindre crainte qu'une assemblée ainsi
constituée puisse compromettre le sort d'une nation, qu'elle ne puisse au
contraire travailler avec succès à faire faire à sa prospérité des progrès en
tous sens, qu'elle ne puisse enfin exercer sur le pouvoir exécutif une
surveillance salutaire.
Maintenant,
messieurs, je le demande, que peut-il rester à faire à une seconde
assemblée ? Rien, absolument rien. L'on a parlé d'éléments aristocratiques
et démocratiques à combiner ces éléments n'existent plus, je crois l'avoir
prouvé ; un retour sur vous-mêmes et sur la société qui vous environne vous en
avait déjà convaincus. L'on a parlé de digue à opposer à un torrent
démocratique ; mais ce torrent n'est que dans l'imagination de ceux qui en parlent
; il n’y a plus de torrent démocratique ; il n'y a plus qu'une seule
classe permanente dans la société, la classe qui vit d'instruction et de
travail, et c'est elle qui composera l'assemblée législative. On a parlé de
conserver la bonne vieille tradition, et d'élever une barrière contre
l'envahissement des idées nouvelles ; mais ces bonnes vieilles traditions
vivent et persévèrent dans la classe laborieuse et intéressée à l'ordre que
nous appelons à nommer l'assemblée législative : les vieux préjugés seuls sont
repoussés par elle, parce qu'ils sont antipathiques à son existence ; les
idées nouvelles n'ont accès chez elle que quand elles doivent l'avoir,
c'est-à-dire, quand elles sont conformes à la vérité et à la justice, et alors
il faut briser les barrières et non en élever. L'on a parlé enfin de mettre le
pouvoir exécutif à l'abri de toute attaque ; mais les attaques ne sont pas à
redouter de la part d'une assemblée ainsi composée : aucun plan d'usurpation
surtout qui exige des combinaisons et des démarches longues et suivies avec
persévérance ne lui est possible, et si quelque erreur se glisse dans son
sein, cette erreur sera celle d'une discussion raisonnée et paisible, et
l'opinion publiqne, la presse, le veto, la dissolution et (page 479) la réélection périodique
suffiront pour la combattre et la détruire.
Je
sais bien, messieurs, qu'il est des circonstances extraordinaires et
malheureuses, où un vertige semble entraîner la société tout entière, où plus
qu'ailleurs il exerce sa fatale influence sur les grandes assemblées ; je sais
qu'alors ni veto, ni dissolution, ni réélection, ne peuvent arrêter le
mouvement ; la lutte s'engage et tout est entraîné : mais ces circonstances,
rares d'ailleurs, et qui deviendront plus rares encore quand les institutions
politiques seront en harmonie avec les intérêts de tous, avec les vrais
principes de la liberté et de l'organisation sociale, ces circonstances
produisent des effets irrésistibles ; il n'est alors ni première chambre pas
plus qu'il n'est de veto et de dissolution capable d'y porter remède ;
le vertige, l'entraînement, l'enthousiasme, la violence, n'agissent plus
seulement sur l'assemblée législative, ils agissent sur la société qui l'a
nommée, ou sur le parti qui est parvenu à dominer la société et les élections ;
alors l'assemblée législative n'est point seule entraînée à la violence et à la
précipitation ; si elle l'était, le veto, la dissolution, la réélection
périodique suffiraient pour l'arrêter ; s'ils ne réussissent point, c'est que
la société ou le parti qui domine la société sont entraînés aussi, et dès lors
il n'y aura point de pouvoir capable d'arrêter le mouvement ; il s'opérera avec
une chambre haute, avec un sénat, comme sans chambre haute, comme sans sénat ;
la société est là derrière, qui est entraînée et qui pousse tout devant elle.
Voilà ce qui arrivera dans les circonstances extraordinaires ; voilà ce que
rien ne doit empêcher ; voilà ce qui doit nous faire détourner nos regards de
ce point pour ne les attacher que sur les circonstances ordinaires : c'est pour
elles que les institutions politiques sont faites, et si elles sont conformes à
la nature de l'homme, à ses intérêts moraux et matériels, si elles lui offrent
garantie entière pour tous ses droits, de ce jour vous aurez fait, pour
prévenir ces circonstances malheureuses, tout ce qu'il est donné de faire pour
établir sur des bases solides la liberté, l'ordre, la paix et la prospérité des
nations.
Je
devrais peut-être m'arrêter ici, messieurs, car prouver qu'il ne pouvait plus
désormais y avoir qu'une seule classe dans la société, prouver qu'il ne pouvait
plus y avoir qu'une seule espèce d’intérêt, prouver que les distinctions de
classes. aristocratiques et démocratiques, que les distinctions d'intérêts
aristocratiques et démocratiques étaient de vaines distinctions tirées des
souvenirs d'un ordre de choses qui n'est plus, pour les appliquer à un ordre
de choses tout différent, et où chacun a successivement, et à mesure qu'il
avance dans sa carrière, de ces intérêts qu'on se plaît à appeler
aristocratiques et démocratiques, c'était prouver qu'une seule assemblée
législative devait suffire au pays, prouver que cette assemblée convenablement
organisée garantissait et tous les droits et tous les intérêts, dans les temps
où les hommes ne sont point dominés par les événements et les agitations
qu'ils soulèvent dans la société ; c'était démontrer la complète inutilité
d'une chambre haute, d'un sénat ; c'était prouver assez pour vous engager à
écarter ce rouage inutile, et par cela même nuisible : mais je n'aurais point
encore assez fait, si je ne vous montrais combien il est important de
l'écarter, en vous montrant tous les dangers qui s'attachent à son existence.
J'ai
dit que dans ces circonstances extraordinaires et rares où la violence, la
précipitation, l'entraînement s'emparent d'une, assemblée, et où le veto non
plus que la dissolution et la réélection périodique ne peuvent rien contre
elles, parce que la violence, là précipitation, l'entraînement ont pénétré
jusqu'à la nation, et que l'assemblée législative n'est que l'organe des
passions qui agitent celle-ci ; j'ai dit qu'une chambre haute ne pourrait rien
non plus : j'oubliais d'ajouter que sa résistance serait d'autant plus vaine
qu'avec le refus des subsides votés annuellement, la chambre des députés
pouvait la briser en un instant ; qu'avec ce droit du refus des subsides, la
chambre des députés, indépendamment de ses autres moyens d'action, serait
toujours maîtresse de tout faire plier devant elle ; j'en ai conclu avec raison
que cette chambre haute, inutile pour empêcher un mal qui serait rare avec une
chambre des députés composée des éléments qui doivent y entrer, le serait
également pour l'arrêter quand il aurait attaqué la société. Je dois maintenant
déclarer que, quand le mal aura paru, l'existence d'une chambre haute ne fera
que l'aggraver, et qu'avant qu'il ne paraisse, cette chambre par son existence
seule en déposera et en développera nécessairement les germes dans la société.
Elle
ne fera qu'aggraver le mal : et en effet, si sa résistance ne peut le détruire
parce qu'elle combat une force mille fois plus puissante, elle doit produire
les résultats que produit toujours une résistance à une action quelconque, elle
doit subir la loi générale qui régit toute chose ; cette loi ne souffre point
d'exception : résistez à ce que vous ne pouvez arrêter, et l'action contre
laquelle (page 480) vous luttez ne
fera qu'augmenter de violence ; elle s'accroîtra, cette violence, à mesure que
les obstacles croîtront, et ce qui d'abord n'aurait eu peut-être qu'une marche
lente et paisible, ce qui tout au moins aurait fini par s'apaiser, dégénère en
une action rapide et entraînant tout dans sa course, comme ces ruisseaux contre
lesquels des digues impuissantes ont été élevées se transforment en torrents
furieux, qui ravagent les campagnes que leurs eaux auraient fertilisées. Cette
loi, messieurs, est commune à la nature morale comme à la nature physique ; là
où la résistance est impuissante, gardez-vous de faire résistance : il n'y
avait point de passions ou il n'y avait que de faibles passions, et vous les
faites naître, vous les excitez, vous les poussez à tous les excès ; il y avait
des passions, elles étaient violentes à la vérité, vous les rendez plus
violentes encore, vous vous enlevez tout espoir de les adoucir ; là où l'homme
pouvait tout, où il ne pensait point à abuser de son pouvoir parce qu'il n'en
sentait aucun motif, vous voulez l'arrêter, vous le contraignez à rassembler
toutes ses forces pour renverser l'obstacle que vous lui opposez ; il
s'abandonne à l'impulsion de ses forces, il s'élance à ce qu'il croit devoir
être un combat, il ne mesure point ses coups, il frappe en aveugle, il dépasse
le but qu'il s'était proposé, et c'est ainsi qu'une démarche qui, dans son
principe, n'aurait été que paisible, est le commencement d'une suite d'excès
qui bouleversent la société ; c'est ainsi qu'une démarche qui, dans son
principe, étant peut-être précipitée, aurait peut-être dépassé les justes
bornes, mais qui insensiblement, et à l'aide de toutes les ressources
abondantes pour le retour à l'ordre et aux vrais principes que nous offre l'influence
de la presse, de l'instruction et de l'opinion publique, se serait
insensiblement modifiée d'elle-même, finit par s'éloigner tellement de ses
justes bornes, que tout espoir de retour est perdu, et qu'on se trouve jeté
dans une voie où l'homme ne peut plus rien, où il ne peut plus attendre son
salut que des événements et de
Voilà,
messieurs, l'un des grands dangers qui s'attachent à l'existence d'une chambre
haute, quelque peu organisée de manière à répondre au but qu'on se propose ;
avec une bonne loi électorale, avec une chambre de députés bien organisée,
avec des institutions correspondantes aux éléments de notre état social
moderne, cette chambre haute est habituellement inutile, parce que
habituellement aussi les maux que l'on redoute d'une seule assemblée
législative ne sont point à craindre ; et quand ces maux viennent à fondre sur
la société, ou quand les symptômes en apparaissent, cette chambre haute,
inutile encore pour y porter remède, voudra néanmoins lutter contre les
passions qui les alimentent, et par cette lutte elle engendrera le mal même
qu'elle redoutait, elle empêchera que ses passions ne parviennent à
s'amortir, elle finira par les pousser hors de toutes 1es bornes, elle finira
par tout bouleverser, là où naturellement la tempête se serait apaisée si
quelque espoir restait encore de la voir s'apaiser, ou tout au moins elle finirait
par multiplier des ravages qui sans cette vaine résistance se fussent arrêtés
beaucoup plus tôt.
Mais
ce n'est point là le seul danger qui gît dans l'institution d'une chambre haute
: cette institution tend à faire renaître ce que les progrès de la
civilisation travaillent constamment à détruire ; elle tend à faire renaître
l'inégalité, la distinction des classes, l'esprit de corps et tous. ses
funestes effets. Créez une pareille assemblée, et vous la verrez tôt ou tard
animée de ces sentiments par lesquels toute assemblée permanente cherche à se
personnifier en se formant à elle-même des intérêts, des vues d'agrandissement
et de puissance, des plans qui satisfassent à ces intérêts, à ces vues ; vous
la verrez tôt ou tard réaliser ces plans, que les institutions sous l'empire
desquelles vit la société doivent proscrire, parce qu'ils sont contraires à la
distribution du pouvoir qui en est la base ; vous la verrez tôt ou tard
commencer, contre les autres corps politiques, cette lutte dont je vous parlais
en commençant ce discours, et dont la durée sera signalée par des désordres
dans l'organisation politique, invisibles d'abord, mais qui à la longue et à
mesure que se multiplieront les cabales, les ligues entre les autres pouvoirs,
les intrigues et les résistances de toute espèce, arriveront à ce point que la
société, après avoir vu se déranger incessamment et disparaître enfin
l'harmonie qu'elle s'était attachée à établir dans ses institutions, tombera ou
dans l'anarchie ou sous le joug du despotisme, ou sous Je joug plus dur encore
de l'aristocratie, dont aujourd'hui même l'Angleterre nous présente un exemple
contre lequel elle s'apprête à protester autrement que par des paroles, et dont
elle ne se débarrassera peut-être qu'après avoir souffert les malheurs presque
toujours inséparables des révolutions. Voilà cet autre mal qui naît de l'existence
d'une chambre haute, et qui, joint à celui dont je vous ai tantôt retracé les
tristes suites, me fait repousser de toutes mes forces une semblable institution
; et que sera-ce, messieurs, si à ces (page
481) maux vous ajoutez les inconvénients graves qui naîtront nécessairement
de cette variété de systèmes qui semblent devoir présider à l'organisation de
cette institution pour atteindre le but proposé, et sur lequel tout annonce que
vous devez en venir à une transaction qui ne répondra plus à rien. Que
sera-ce, si vous ajoutez ceux qui naîtront nécessairement de ce système de nomination
confiée au roi, avec droit de faire ce qu'on nomme assez plaisamment des
fournées, système qui suppose à tort que le roi usera toujours de sa
prérogative raisonnablement et suivant les véritables intérêts publics ? Que
sera-ce, enfin, si vous ajoutez les maux qui naîtront de cet autre système,
dont les éléments sont puisés dans une espèce d'élection populaire ? La
nature, les progrès de la civilisation, qu'il faut bien rappeler toujours
quand on veut adapter des institutions politiques à une nation, la nature, les
progrès de la civilisation détruisent chaque jour davantage tous les vestiges
de distinction de classes entre les hommes ; ils sont tout près de
disparaître : dorénavant il ne peut plus
y avoir que des hommes s'avançant tous dans la même voie, vers le même but,
parce que tous devront s'avancer par l'instruction et le travail, et vous
voudriez, je ne dirai pas arrêter, car l'entreprise est au-dessus de vos
forces, vous voudriez entraver l'oeuvre de la nature et de la civilisation,
en reconstruisant ce qu'elles tendent sans cesse à détruire, en divisant sans
une nécessité absolue les citoyens en électeurs à tel ou tel cens et en
électeurs à tel ou tel autre cens, en divisant les citoyens en sujets dignes
d'être élus et en sujets indignes de l'être, en faisant renaître ainsi, autant
qu'il peut dépendre de vous, des distinctions, des classifications entre tous
les citoyens, en semant parmi eux ces germes de jalousie, qui ne manqueront
point de se développer, et de produire dans la société même ce que votre
création d'une chambre haute aura produit entre les pouvoirs qui régissent les
affaires de la société, je veux dire des sentiments d'opposition, d'intrigue et
de lutte, des sentiments contraires à cette union, à cette fraternité et à
cette égalité, qui préviennent les luttes et les déchirements, dont le corps
social n'a que trop souffert, par les funestes distinctions qu'avait établies
et maintenues un ordre de choses qui pour le bonheur de l'humanité a cessé
d'être ! 1
Abandonnons
donc cette idée d'une institution qui ne peut amener que des maux, sans qu'aucun
avantage puisse les compenser ; d'une institution dont la nécessité ne semble
évidente que par suite de souvenirs d'une époque qui n'est plus, et qui nous a
malheureusement apporté et laissé des exemples que nous croyons devoir suivre
encore, quand leur temps est passé. Je l'ai dit en commençant, messieurs, ces
exemples nous trompent : je vais finir en les parcourant rapidement. J'ose
espérer qu'il suffira de bien les apprécier, pour faire apprécier aussi à leur
juste valeur ces arguments qu'on y puise en faveur d'une chambre haute, et qui
semblent si puissants, quand ils ne devraient que paraître dénués de tout
rapport avec les circonstances qui sont aujourd'hui les conditions de notre
existence sociale.
L'on
vous a dit que partout où l'on avait établi le gouvernement représentatif, on
avait jugé nécessaire de fonder une chambre haute pour arrêter les
envahissements de la chambre des députés et prévenir le bouleversement de la
société ; que partout au contraire où l'on avait eu la témérité de s'écarter
de cette règle, le bouleversement avait été inévitable ; de révolution en
révolution, la société avait été s'abîmer dans l'anarchie et dans tous les
désordres et tous les maux dont elle est la source. On vous a cité
l'Angleterre, les États-Unis,
L'exemple
moderne de l'Angleterre ne peut donc séduire personne, et dès lors nous
arrivons bien vite à renverser celui que l'on pense invoquer avec tant
d'avantages, des États-Unis et de
Parlerai-je maintenant de
II n'y
avait qu'une chambre législative en France aux premiers jours de sa révolution,
et cette chambre a été impuissante pour arrêter le torrent qui a emporté le roi
et plongé la nation dans l'anarchie ; elle a même marché en tête de ce torrent,
elle a paru en diriger la marche, et ouvrir la première voie qu'il devait
parcourir. Il n'y avait aussi qu'une chambre législative en Espagne et en
Portugal, et les événements dont ces deux pays ont été le théâtre n'ont eu que
trop d'analogie avec ceux de
Un
ancien ordre de choses devait céder, la place à un nouveau : mille intérêts,
mille passions soutenaient le premier ; mille intérêts plus importants, mille
passions plus violentes soutenaient le second ; aucun arrangement amiable
n'avait été conclu entre eux ; aucun n'était possible ; la force des intérêts
nouveaux l’avait emporté. Les anciens avaient dû plier, mais ne se tenaient
point pour battus ; autour du chef du pouvoir exécutif se ralliaient ces
anciens intérêts ; il en était le drapeau, le représentant ; autour du pouvoir
législatif, au contraire, se ralliaient les intérêts nouveaux. La lutte dut
s'engager : elle dut être terrible, parce que les passions qui la soutenaient
étaient aussi violentes que les intérêts étaient puissants ; parce que, d'une
part, étaient rangés, animés de toute la colère qu'inspirent l'orgueil rabaissé
et la spoliation dont ils se croyaient victimes, ceux qui pensaient tout
perdre, ceux qui devaient désormais obéir là où ils avaient commandé ; parce
que, d'autre part, marchaient ceux qui composaient toute la société nouvelle,
et qui avaient d'abord à venger les humiliations et l'oppression de plusieurs
siècles, puis à fonder pour l'avenir une liberté et des droits qu'on leur avait
trop longtemps ravis. Dans un tel conflit, je le demande, que peuvent des
institutions politiques ? qu'aurait pu une chambre haute ? C'était alors
vraiment le temps de la violence, de l'entraînement, de l'enthousiasme, de la
précipitation ; tout cela était dans la nation, et la nation poussait ses
députés ; ceux-ci marchaient avec elle ; ils avaient toute sa force ; une
chambre haute, quelque puissante qu'elle eût été, n'eût point manqué d'être
emportée par le torrent, elle l'eût peut-être rendu plus furieux encore par sa
résistance. Qu'on ne vienne donc plus nous parler de ces exemples d'une seule
chambre en France, en Espagne et en Portugal ; ils ne peuvent que nous être
étrangers : il n'y a plus aujourd'hui rien de pareil parmi nous ; il n'y a plus
de distinction de classes ; il n'y a plus de privilèges à détruire, il n'y a
plus d'humiliations, d'oppression à venger ; il n'y a plus de droits nouveaux
à conquérir ; il n'y a plus de société à renouveler ; tout est fait à cet égard ; les luttes intérieures ont
cessé ; les droits, les principes dont ils émanent sont reconnus ; nous n'avons
plus à nous occuper que de la forme de nos institutions politiques, et ces
exemples, dont les dangers naissaient d'un ordre de choses, de passions, qui
ne sont plus, doivent être repoussés loin de nous ; ils ne feraient que nous
jeter dans des erreurs funestes.
Je
finis, messieurs : j'ai peut-être été bien long, j'ai peut-être fatigué votre
patience ; mais tout m'annonçait tellement que je parlais avec une minorité,
qu'on croit avoir condamnée en lui appliquant ce nom de novatrice si
malsonnant pour certaines oreilles, que j'ai cru devoir à mes concitoyens
exposer ici avec quelque détail les raisons de mon vote contre l'institution de
deux (page 484) chambres. Ce motif,
qui m'a fait élever la voix, vous saurez le comprendre, et il me conciliera,
j'ose l'espérer, tout ce que vous avez d'indulgence. (U. B., 17 déc.)
M. Henri de Brouckere – Ce n'est pas sans avoir longtemps
hésité que je me suis décidé à me prononcer pour l'institution d'un sénat, et
je voudrais non seulement, d'accord avec la section centrale, que ce sénat fût
laissé à la nomination du chef de l'État, mais même que le nombre de ses
membres ne fût point limité.
Un
orateur qui m'a précédé s'est servi, contre le système de non-limitation, de
l'arme du ridicule qu'il manie si bien. Je conviens que le mot de fournées,
que l'on est en quelque sorte convenu d'employer dans le langage
parlementaire, n'a rien de bien noble, de bien relevé ; mais si l'expression
prête au ridicule, je n'en reste pas moins persuadé que la chose en elle-même
est bonne, et qu'elle produit de grands avantages.
En
effet, si, comme je le désire, on accorde au sénat une part du pouvoir
législatif, ne pourrait-il pas arriver, dans des circonstances données, que la
majorité du sénat s'opposât obstinément au vœu bien prononcé de la chambre
élective ? et alors, si vous n'admettez point les fournées, quel moyen
établirez-vous pour empêcher cette majorité d'opposer à la chambre une
barrière insurmontable ?
On
vous a fait voir les inconvénients d'un sénat qui n'aurait qu'un veto suspensif
des lois : il faut nécessairement, me semble-t-il, admettre les fournées, et
remarquez bien, messieurs, que quoi qu'on en ait dit, il y a à cet égard peu
d'abus à redouter, parce que les abus doivent immanquablement tourner contre
le chef de l'État, et que de nos jours nous avons eu l'exemple d'un abus de
cette nature, qui a eu le plus fatal résultat pour ceux qui y avaient eu
recours.
Les
fournées seront ordinairement, seront presque toujours populaires ; elles
seront dans l'intérêt de la nation. Il y aura honneur et non humiliation à en
faire partie, et s'il y avait 'humiliation, messieurs, je ne crains pas de le
dire, elles ne se recruteraient pas facilement dans l'aristocratie belge.
Je ne
reviendrai pas longuement, messieurs, sur l'utilité d'un sénat ; assez
d'orateurs vous l'ont démontrée ; quant aux dangers de cette institution, il en
est quelques-uns peut-être, et quelle est l'institution qui n'offre aucun
inconvénient ? mais ces dangers ne sont pas tels qu'on a voulu les faire
craindre.
Le
sénat ne représentera point une spécialité ; les membrés devront, à la vérité,
en être choisis dans une certaine classe ; mais le corps, intéressé avant tout
au bien de la chose publique, représentera, défendra au besoin la nation
entière, et non cette classe uniquement. La publicité de ses séances et de ses
votes sera une garantie de son patriotisme.
En
créant le sénat, nous n'établirons pas plus de privilèges qu'en exigeant telles
ou telles conditions pour être appelés à telle ou telle place, qu'en fixant un
cens pour pouvoir faire partie des électeurs. Ainsi vous n'aurez point oublie
qu'un de nos plus redoutables contradicteurs a reconnu lui-même la grande
utilité de consacrer l'obligation de choisir un certain nombre de représentants
uniquement parmi les grands propriétaires ; seulement il eût voulu qu'ils
siégeassent dans la même chambre que les députés, de la part de qui aucun cens
n'est exigé. Assurément, messieurs, on ne soupçonnera point cet honorable
membre d'être ami des privilèges.
On
attaque l'institution d'une chambre haute, parce que, dit-on, les chambres
hautes n'ont point empêché une foule d'événements qu'elles auraient pu
prévenir. Je sais qu'elles n'ont pas toujours fait le bien qui était en leur
pouvoir ; mais qui peut calculer le mal que leur présence seule a empêché ?
L'on convient même que la pairie française n'a rejeté la loi sur le droit d'aînesse
que parce que son acceptation eût entraîné une révolution ; ainsi donc la
pairie française a prévenu une révolution qui eût éclaté sans elle.
L'argument
que l'on veut tirer du calme, de la modération, du peu de précipitation que le
congrès apporte dans ses délibérations, frappe entièrement à faux. Quand donc
avons-nous pu nous montrer injustes, passionnés, violents, impétueux ?
Avons-nous rencontré un pouvoir rival que nous dussions arrêter ou combattre ?
Non, personne ne nous a contrariés ; mais vous avez pu juger quelle serait
notre conduite, si l'on cherchait le moins du monde à empiéter sur nos prérogatives,
par la susceptibilité que plusieurs membres ont montrée, lorsqu'à une de nos
dernières séances le gouvernement provisoire avait cru pouvoir user d'un
droit, peu important selon moi, et que l'on s'est empressé de lui contester.
J'ai
entendu avec étonnement un des orateurs qui se sont le plus fortement élevés
contre le sénat, vouloir faire résulter la supériorité de son système de ce que
ses partisans sont unis et que la vérité est une, tandis que nous, qui voulons
le sénat, nous sommes loin d'être d'accord. Mais, messieurs, quand plusieurs
personnes sont décidées à refuser une chose quelconque, ne serait-il pas (page 485) fort extraordinaire de les
voir discuter entre elles comment elles ne la veulent pas ? tandis qu'il
est fort simple que ceux qui la veulent ne s'entendent pas tout à fait sur la
manière dont ils désirent qu'elle soit établie, sans que pour cela on puisse
en conclure que l'opinion de chacun d'eux ne vaille pas mieux que celle de ces
opposants si unis entre eux.
Au
reste,. quoiqu'il soit certain qu'une forte majorité désire le sénat, il ne
serait pas impossible qu'elle subît la loi de la minorité par suite de la
divergence d'opinions qui règne dans nos rangs, et je pense que ceux qui sont
convaincus que l'établissement d'une chambre haute est nécessaire devraient,
dans l'intérêt de la chose publique, faire quelques concessions en faveur d'un
système qui n'est pas complètement le leur. Pour moi, messieurs, quoique
j'eusse désiré que le nombre des sénateurs ne fût nullement limité, et qu'il
l'est, largement à la vérité, dans les conclusions de la section centrale, je
me propose d'émettre un vote favorable à ces conclusions. (U. B., .17 déc.)
M. le président
– M. Van de Weyer a la
parole pour une communication diplomatique. (U. B.. 17 déc.)
M. Van de Weyer, président du comité diplomatique –
Messieurs, je suis heureux de pouvoir communiquer au congrès un extrait du
protocole de Londres, qui nous est arrivé le 14 décembre, et que j'eus
l'honneur d'annoncer à la séance d'hier au soir. Comme il le fait aujourd'hui,
toutes les fois que le comité diplomatique aura terminé les négociations sur un
point quelconque de contestation, il s'empressera de communiquer les pièces
au congrès dans les vingt-quatre heures. Par là vous verrez que la franchise
et la loyauté qu'il a annoncé devoir présider à ses relations avec la nation,
ne sont pas pour lui de vains mots. Si nous ne vous communiquons pas
aujourd'hui même le protocole du 17 novembre, c'est qu'il existe encore un
point sur lequel nous n'avons pu obtenir de conclusion définitive. J'espère
cependant que bientôt tout sera terminé ; alors, comme je viens de le dire,
nous ne différerons pas un instant à mettre sous vos yeux toutes les pièces de
cette longue négociation.
Vous
savez, messieurs, les difficultés qui s'étaient élevées sur l'exécution du
blocus. Il avait semblé à votre comité diplomatique qu'il n'y avait pas deux
manières d'entendre les termes du traité ; en conséquence, il avait reçu de la
part de
« Lord
Ponsonby et M. Bresson ont l'honneur d'informer M. le président et MM. les
membres du comité des relations extérieures que Leurs Excellences les
plénipotentiaires des cinq cours, dans une conférence tenue au Foreign Office,
le 10 décembre, ont reçu du plénipotentiaire de S. M. le roi des Pays-Bas des
explications relatives aux empêchements qui entravent encore la navigation de
l'Escaut.
« Il
en est résulté que, si S. M. avait hésité à révoquer les mesures de précaution
adoptées le 20 octobre, en tant qu'elles affectent la navigation de l'Escaut,
c'était surtout dans l'hypothèse du renouvellement possible des hostilités.
« Leurs
Excellences ont pensé que, sous ce rapport, le sens des stipulations convenues
entre les plénipotentiaires des cinq cours n'a pas entièrement été saisi ; -
qu'il doit être entendu que la cessation des hostilités est placée sous la
garantie immédiate des cinq cours, et que les renouveler serait en opposition
ouverte avec les intentions salutaires qui ont dicté les démarches faites par
les cinq puissances pour arrêter l'effusion du sang.
« Leurs
Excellences ont en conséquence engagé S. M. le roi des. Pays-Bas à révoquer le
plus tôt possible les mesures de précaution qui entravent encore pour le moment
la navigation de l'Escaut, et à compléter ainsi la levée du blocus, telle que
les plénipotentiaires l'ont comprise dès le principe ; et il n'y a pas lieu de
douter que cette invitation ne soit suivie d'un plein effet.
» Leurs Excellences, prenant en
considération la note verbale du 5 décembre 1830, ont décidé en outre que la
conférence ferait (page 486) les démarches
nécessaires, près du gouvernement de S. M. le roi des Pays-Bas, pour que les
bâtiments de commerce belges ne fussent pas molestés par les vaisseaux de
guerre de S. M.
« Quant
à la question du pavillon, il a été convenu qu'elle ferait l'objet d'une
discussion ultérieure.
«
Lord Ponsonby et M. Bresson, en communiquant à M. le président et à MM. les membres du comité diplomatique cette
information, qui leur semble dissiper tous les doutes et écarter toutes les
difficultés, espèrent que la conclusion si désirable des négociations ne pourra
plus souffrir de retard, et ils les prient d'agréer l'assurance de leur haute
considération. » (Note
de bas de page : (1) Cette note n’a été publiée qu’au mois de mars 1831, à
l’appui du rapport du ministre des affaires étrangères, M. Van de Weyer, à M,
le régent de
Vous
voyez, messieurs, que la conférence de Londres a décidé absolument comme nous ;
vous voyez aussi que si, de la part de
M. Werbrouck-Pieters et M. Claes (d’Anvers) demandent l'impression de l'extrait du protocole. (U. B., 17
déc.)
Plusieurs voix – L'impression ! l'impression ! (U. B., 17 déc.)
M. Van de Weyer, président du comité diplomatique, demande si
l'assemblée entend l'impression de ses observations et de la pièce, ou de la
pièce seulement. (E., 17 déc.)
Une
conversation de courte durée s'engage entre MM. de Robaulx et Van de Weyer.
(E., 17 déc.)
M. le président
– La pièce sera
imprimée. (U. B., 17 déc.)
M. de Robaulx
– Messieurs, nous
n'abuserons pas de vos moments en nous livrant à de longs développements sur
la question qui nous divise, et nous n'entrerons pas dans des répétitions
devenues fastidieuses après une aussi longue discussion. Mais si tous les
points ont été éclaircis par les orateurs qui nous ont précédé, nous n'avons
pas cru que cela dût nous empêcher de vous exposer les motifs de notre opinion.
C'est dans ce but seulement que nous avons pris la parole.
Messieurs,
il m'a paru qu'une erreur dominait la discussion de la part des partisans des
deux chambres. Je prie le congrès de se souvenir que lorsque nous examinâmes la
forme du gouvernement à établir, ceux qui votaient pour la république, et je
suis de ce nombre, avaient pensé que le pouvoir royal et le pouvoir
démocratique étaient des matières hétérogènes, qui ne pouvaient se trouver en
présence sans se choquer : vous avez cru, contre nous, qu'il y aurait
tranquillité et stabilité dans la monarchie, vous l'avez votée alors. (On
rit.) Vous, congrès, vous devez considérer comme une erreur qu'il puisse
exister un combat (page 487) hostile
entre le pouvoir royal et le pouvoir démocratique. Vous avez pensé que la
puissance royale en Belgique serait en quelque sorte une puissance de
mandataire, que le roi ne serait que le premier citoyen du royaume ; en un mot
vous avez voulu comme en France nous donner une monarchie républicaine ; vous
pensiez donc que le pouvoir populaire pouvait marcher sans collision avec le
pouvoir du souverain : nous qui pensions le contraire, vous nous accusiez
d'erreur.
Eh
bien! vous le voyez, messieurs, cette erreur est aujourd'hui reproduite par les
partisans de la monarchie, et ils disent : Une lutte terrible s'engagera entre
la royauté et la démocratie, si vous ne créez un pouvoir modérateur nécessaire
à ce qu'on appelle la pondération des pouvoirs.
Le
congrès a pensé que le roi qu'il créerait serait un roi citoyen, sous lequel on
constituerait la liberté sur la plus large échelle. Nous rejetons la
république, disiez-vous, parce que là tous les pouvoirs sont temporaires et
éligibles, et parce que nous craignons qu'à chaque élection, à chaque
renouvellement de président, la nation n'éprouve un malaise funeste, ou que le
pays ne soit bouleversé par des révolutions. Créons, ajoutiez-vous, un pouvoir
monarchique et héréditaire, afin d'éviter les commotions politiques, mais laissons
à la liberté une large part. Loin de vous, alors, la pensée de créer une
monarchie, de nommer un roi en dehors des intérêts de la nation ! Vous pensiez,
vous disiez hautement que la liberté, que le pouvoir populaire n'étaient pas
incompatibles avec la royauté. Voilà l'erreur d'une fraction de cette
assemblée qui ne comprend pas les vrais besoins de notre époque, et qui vient
vous dire aujourd'hui : Vous avez créé une monarchie, créez maintenant un
pouvoir pour appuyer la monarchie, pour empêcher le choc du pouvoir populaire.
Je signale cette erreur, parce que l'intention de la nation ne fut jamais de
créer un pouvoir en dehors d'elle.
Si ce
que je viens d'avoir l'honneur de dire est vrai, comment une première chambre
serait-elle un pouvoir conservateur du pouvoir royal ? Mais si le roi n'a que
son droit héréditaire à conserver, la seconde chambre n'aura pas d'intérêt à
détruire l'hérédité ; car remarquez qu'on a donné au chef de l'État un pouvoir
héréditaire dans l'intérêt même de la nation. La deuxième chambre, qui seule
représentera la nation, n'ira pas renverser ce qui a été fait précisément pour
elle. Croyez-le, messieurs, elle ne portera pas une main sacrilège sur ce qui
aura été créé pour son repos et pour son bien, et si jamais la démocratie en
venait là, la première chambre serait impuissante pour arrêter la révolution.
Si
nous avons un roi citoyen qui n'ait d'autre intérêt que celui de la nation,
bien certainement il pourra se soutenir en présence d'une chambre unique. Le
peuple, en voulant le renverser, agirait contre ses propres intérêts, et il ne
faut pas croire qu'il soit jamais assez aveuglé pour s'armer contre lui-même.
Quoi qu'on en puisse dire, les masses raisonnent ; elles ne se trompent jamais
dans tout ce qui tient au sentiment de leur propre conservation.
L'aristocratie, comme pouvoir modérateur, sera toujours inutile, car si vous ne
la créez pas pour soutenir des droits pris en dehors des intérêts de la
nation, vous n'en avez pas besoin, puisqu'elle n'aura pas à défendre d'autres intérêts
que ceux de la chambre élective ; si, au contraire, l'aristocratie est destinée
à maintenir des droits autres que ceux de la nation, elle sera dangereuse ;
cela n'a pas besoin de démonstration. Messieurs, nous n'avons pas encore de
roi, nous sommes ici pour voir ce qui convient le mieux au peuple belge. Tout
ce que je viens de dire prouve qu'une chambre unique serait plus utile à nos libertés
qu'un troisième pouvoir ; et je répète ce que j'ai dit en commençant, que ceux
qui demandent deux chambres sont dominés par cette erreur, que le pouvoir
populaire serait essentiellement hostile au chef de l'État. Messieurs, il ne
faut pas que le roi que nous donnerons à
Un
argument présenté par les orateurs de l'opinion contraire m'a frappé par sa
singularité. Ils nous disent : C'est pour l'avantage de la nation que nous
travaillons. Et vous, députés libéraux, qui prétendez ne stipuler que pour
elle, vous devriez ne pas vous opposer à une institution créée dans ses
intérêts, et ne pas mépriser le cadeau que nous voulons vous faire. (On
rit.)
Je ne
conçois pas, messieurs, qu'on veuille nous faire un cadeau que nous ne
comprenons pas. On craint que la grande propriété n'ait pas assez de
représentants dans la chambre basse ; on n'est pas content d'une disposition
qui lui assurerait une juste représentation ; on veut faire exprès pour elle
une chambre haute : ce n'est pas assez pour les grands propriétaires d'une
large entrée dans la chambre basse, il leur faut une chambre tout entière. Mais
ce qu'il y a de plus singulier, c'est que les propriétaires n'en veulent pas de
votre chambre, Vous avez entendu, il y a (page
488) quelques instants, M Vilain XIIII vous dire que s'il avait deux
voix, une comme député, je crois, et une comme propriétaire, il les donnerait
toutes deux pour repousser l'établissement d'une chambre haute. Quelle est
donc cette institution tant vantée que tout le monde répudie? singulier cadeau qui n'est apprécié par
personne ! tout cela n'est pas clair pour moi. Cette institution, vantée par
les uns, repoussée par les autres, cache quelque chose que nous ne pouvons
découvrir, et alors je la repousse et je dis : Je crains les Grecs, même
dans leurs présents. On nous cite l'exemple de l'Angleterre, de
En
France aussi il y a une aristocratie, celle-là a moins d'influence que la
pairie anglaise. Pourquoi ? parce qu'elle est menacée dans son existence.
Cependant on nous vante le bien qu'elle a fait. On parle du rejet de la loi du
droit d'aînesse, c'est l'argument dont tous les orateurs que je combats se sont
servis. Mais, messieurs, il n'y a pas d'être, quelque corrompu qu'on le
suppose, qui ne soit capable d'une bonne action. Et par cela seul qu'un mauvais
sujet (on rit) aura une fois en sa vie fait une action louable, sera-ce
une raison pour en faire votre société ? (On rit plus fort.) Non, sans
doute ; la chambre des pairs a rejeté le droit d'aînesse ? si elle l'a fait,
c'est moins dans l'intérêt du pays que dans celui de sa propre conservation.
Elle savait qu'en adoptant la loi, elle compromettrait son existence. C'est à
ce seul motif qu'il faut en attribuer le rejet. Ce n'est pas d'ailleurs par
une exception qu'il faudrait raisonner, mais par la règle, et au contraire nos
adversaires s'emparent de l'exception pour prouver la bonté de la règle, parce
qu'ils savent que si on faisait le compte des lois rendues par la chambre des
pairs, on en trouverait beaucoup plus de mauvaises que de bonnes.
Parlerai-je
de la chambre haute que nous avons eue en Belgique ? Non, messieurs, il faut
couvrir d'un voile ce souvenir honteux. Cependant elle était composée de grands
propriétaires ; mais si nous la composons des mêmes éléments, il est certain
que nous créerons un corps semblable à celui que nous avions sous l'ancienne
monarchie, et que tout le monde abhorre.
Voilà,
messieurs, quelle est mon opinion sur la constitution de la chambre haute.
Permettez-moi maintenant de répondre à quelques objections ; elles sont peu
nombreuses. D'abord ou craint- la précipitation, et à cet égard un honorable
orateur nous a cité un exemple, celui de Mirabeau faisant décider le pour et le
contre dans la même séance. Messieurs, ne craignez pas les Mirabeaux, nous n'en
aurons pas beaucoup en Belgique. (Hilarité générale, interruption prolongée.)
Si vous craignez la précipitation, mettez dans la constitution un article
pour la prévenir, ce sera un frein suffisant. D'ailleurs, comme l'a dit un
orateur très recommandable, jamais la précipitation ne sera à craindre dans
notre nation. Le congrès en fournit la preuve ; nous accuse-t-on de
précipitation ? et cependant, messieurs, le congrès est un pouvoir
constituant. Si, destiné qu'il est à faire des lois constituantes, vous le
croyez capable de remplir son mandat sans l'adjonction d'une chambre haute, à
plus forte raison devez-vous avoir la même confiance dans une chambre qui ne
fera que des lois révocables. Car, remarquez-le bien, messieurs, comme corps
constituant, si nous mettons de la précipitation dans nos travaux, ce sera un
sujet d'amertume pour ceux qui nous suivront. Ils ne pourront en effet détruire
notre ouvrage, ou du moins ils le feront difficilement. Mais si nous étions
réunis en corps législatif, la précipitation ne serait pas à craindre, même
dans le cas où l'amendement lu par M. de Brouckere ne serait pas admis.
Pourquoi cela? c'est parce que nous pourrions toujours revenir sur la loi que
nous aurions faite. Notre erreur nous serait signalée par la presse, la presse
éclairerait la question, et nous aurions assez de sagesse et de vertu pour reconnaître
notre tort et pour le réparer.
On a
parlé de l'Amérique. L'Amérique, messieurs, a un autre climat, d'autres mœurs,
une situation géographique différente ; elle est entourée autrement que nous.
D'ailleurs elle est constituée en république. Si vous voulez nous donner une république,
nous accepterons volontiers les deux (page
489) chambres, toutes deux temporaires et élues pour dix ans. L'Amérique a
un chef révocable. S'il en était ainsi chez nous, je ne m'opposerais pas à ce
que deux chambres vinssent l'éclairer, si toutes deux surtout étaient
démocratiques et élues selon le véritable intérêt du pays.
On
nous menace de tempêtes, de révolutions ; déjà la réponse a été faite. Ces
tempêtes, ces révolutions ne seront pas empêchées par une chambre aristocratique
: lorsque le chef de la nation aura empiété sur les pouvoirs populaires, vous
aurez beau faire ; le ciel en fera justice peut-être ; mais la chambre haute ne
fera rien pour la nation. Elle ne ferait pas davantage pour le souverain, si le
pouvoir démocratique était bien déterminé à violer la prérogative du trône.
Messieurs,
nous rendons grâces à l'opposition courageuse qui a préparé le renversement du
trône du roi Guillaume ; mais quand l'heure de la délivrance a sonné, ce n'est
pas la première chambre qui aurait pu la retarder. Cette première chambre ne
sera jamais une barrière suffisante contre la nation, quand celle-ci voudra
secouer le joug. Ainsi, tant que la nation sera sage, calme, prudente, vous
n'aurez pas besoin d'une première chambre. Quand la nation sera mécontente, en
vain la première chambre lui opposera une barrière : elle sera franchie, la
première chambre renversée, et le trône avec elle. Je vote donc contre
l'établissement d'une chambre haute que je crois en opposition directe avec les
vrais intérêts de la nation. (U. B., 17 et 18 déc.)
M. Destouvelles –
Je ne veux pas d'une
république couverte d'un manteau royal. Le sénat ne sera pas pris en dehors de
la nation, comme l'a dit le préopinant. Une première chambre doit rendre compte
non pas du bien seulement qu'elle a fait, mais du mal qu'elle a empêché. Il ne
faut pas centraliser les pouvoirs. Un règlement ne préviendra pas toute
précipitation ; exigez trois lectures de dix en dix jours, eh bien, on fera des
déclarations d'urgence. Notre première chambre sous le gouvernement déchu ne
faisait que river nos fers, mais ces fers, où avaient-ils été forgés? dans la
seconde. Il faudrait donc aussi supprimer celle-ci. Il faut l'avouer, nos deux
chambres étaient mal composées, il ne faut pas abolir cette double institution,
mais la régénérer. La royauté ne pourra se maintenir devant une chambre unique,
à moins qu'elle ne consente à s'annihiler.
Il y a
vingt jours que vous avez adopté la monarchie, force doit rester à cette
décision. Par qui sera nommé le sénat ? il ne peut l'être que par le chef de
l'État. Vous avez, comme le dit fort judicieusement M. de Celles, deux éléments
démocratiques, si vous abandonnez le choix du sénat ou la présentation des candidats
aux électeurs. On croit que la chambre élective qui succédera au congrès
montrera le même calme ; les circonstances auront changé ; la jeunesse
trouvera accès dans cette chambre, cette jeunesse studieuse, mais qui anticipe
sur l'avenir. On dit que la dissolution est un remède suffisant contre une
chambre unique ; la dissolution est un moyen extrême, extraordinaire comme le veto
; c'est presque une révolution ; il ne faut pas que le roi marche de
dissolution en dissolution, de débris en débris. Un député a changé d'opinion
parce que les partisans du sénat sont divisés sur le mode d'organisation ; il
est évident qu'une très grande majorité veut le sénat ; il n'y a pas de
division sur ce point qui est le principal. Si vous établissez une chambre unique,
le trône que vous offrirez à un prince ne sera que quatre planches
recouvertes de velours ; votre roi ne sera qu'un roi fainéant, ou il
périra. Ce n'est pas assez d'être Belges, je dirai : Faisons en sorte que nous restions
Belges. (C., 17 déc.)
M. De Lehaye
– Messieurs, dans la
grave question qui nous occupe en ce moment, il importe à la dignité de
l'assemblée de ne se laisser entraîner ni par des considérations étrangères à
la base de l'institution que nous réclamons, ni par des preuves négatives qui
par cela même qu'elles prouvent trop ne prouvent rien ; j'écarterai des
observations que j'ai l'honneur de vous soumettre cette longue série d'actes
émanés des sénats, des parlements, des premières chambres qui ont appesanti le
joug sous lequel les peuples de .l'Europe ont gémi ; je les écarterai,
messieurs, non pas qu'ils prouvent contre l'institution du sénat (tout
argument tiré d'un abus est sans force et par là devient inutile), mais parce
que ces mêmes actes n'émanent pas uniquement de ces premières assemblées. En
effet, quelle est la mesure utile au peuple, votée par notre ancienne seconde
chambre, que la première ait rejetée? Quels sont les actes attentatoires à nos
libertés, à notre indépendance, à notre existence sociale votés par la
première chambre, auxquels la seconde n'ait pris part. Il en est de même,
messieurs, partout ailleurs ; méfions-nous de ces arguments que l'on nous
oppose, qui, présentés avec art, avec talent, séduisent d'abord, mais ne
résistent guère à la censure de celui qui de bonne foi cherche la vérité.
Que
doit être le sénat, tel qu'on vous le propose ?
Il me
semble, messieurs, que résoudre cette question, c'est décider qu'il doit y en
avoir un.
(page 490) Le sénat, vous a-t-on dit, est
un pouvoir composé d'éléments aristocratiques ; je vous dira messieurs, que je
ne comprends pas ce que l'aristocratie a de commun avec le sénat : ce mot
aristocratie ne présente ici rien à mon esprit ; il en est de même lorsqu'on
vous dit que la chambre élective doit être composée d'éléments démocratiques.
Je crois vraiment qu'on ne se sert de ces mots que pour embrouiller une
question, qui posée simplement ne serait que plus facile à être résolue.
L'honorable
M. Van Meenen a, ce me semble bien posé la question, et l'a résolue de même ;
une première chambre ou un sénat est un pouvoir qui par sa nature et sa
position, devant s'opposer au débordement populaire comme à la tendance vers le
despotisme de la part du chef de l'État, est par cela seul dans la nécessité de
surveiller les acte et de l'un et de l'autre ; c'est un gardien fidèle, prêt à
s'opposer à tout ce qui voudrait franchir les bornes déterminées par la loi.
Comme tel, il préviendra la précipitation des délibérations de la chambre
élective. Il la forcera de bien peser ses décisions, avant de les soumettre à
son approbation , et comme celle-ci est certaine que la première chambre
mettra d'autant plus de soin à délibérer sur un projet qui n'aurait obtenu
qu'un faible majorité, elle se gardera bien de précipiter sa décision.
Quelle
sécurité aurons-nous contre l'abus de pouvoir d'une seule chambre ? Elle ne
sera pas infaillible : sa décision, même celle prise à la majorité d'une seule
voix et sous l'influence des passions du jour, sera cependant la règle
générale, à moins de mettre le souverain dans la triste nécessité de faire
usage du veto, arme toujours fatale, et pour celui qui s'en sert et pour
ceux contre qui elle se dirige.
Si, au
contraire, messieurs, vous créez une seconde chambre, l'une servira
nécessairement de frein à l'autre, et se trouvant constamment en regard l'une
de l'autre, il naîtra entre elles une émulation pour le bien public dont la
nation recueillera tous les fruits.
Le
sénat doit être composé de membres dont l'âge et la fortune seront la garantie
de l'indépendance de leur vote, A cet âge, on n'écoute guère que la raison, et
qui peut perdre, réfléchit mûrement, avant de prendre une décision importante.
Quant à la fortune, on vous a dit que les propriétaires ne sont pas ceux qui
perdent le plus dans ces graves secousses qui renversent le trône ; je suis
aussi de cet avis, mais qui nous dit que ceux qui ont à perdre n'en feront
point partie ? Je porte mes regards sur les villes les plus commerçantes de
Je
vote pour le sénat. (J. F., 22 déc.)
M. Jottrand renonce à la parole. (C., 17 déc.)
M. le comte d’Arschot – On a multiplié les raisonnements et
les motifs pour repousser la création d'un sénat, on les a développés avec
beaucoup de talent, mais ils n'ont point produit ma conviction ; deux grands
mots ont dominé la discussion : aristocratie, privilège. C'est sur ces deux
mots qu'on a élevé un fantôme qui disparaît dès qu'on l'envisage de près.
Condillac écrivait, il y a quarante-cinq ans, que rien n'est plus important que
de bien définir les expressions dont on se sert ; car, dit-il, bientôt des
nations s'égorgeront pour des mots qu'elles n'entendront pas. - Peu d'années
après,
Si la
jouissance d'un bien payant 1,000 florins d'impôt est une aristocratie, elle
est accessible à tous ceux qui, par le développement de leur industrie ou de
tout autre moyen, seront à même d'acquérir une propriété de cette importance,
et je n'y vois d'autre privilège que de ne pouvoir soustraire la moindre
parcelle de la fortune à l'avidité du fisc, tandis que les capitaux lui
échappent toujours ; c'est l'écueil de tous ces économistes, la pierre
philosophale ; avec les éléments dont se composera le sénat, je ne vois pas la
possibilité qu'il puisse jamais nuire à la liberté, ni au bien-être de la
nation ; je puis moins que personne parler de l'ancienne première chambre qui a
été l'objet d'attaques si vives, si multipliées ; mais qu'il me soit permis de
dire qu'elle ne peut servir ni d'exemple, ni de précédent, car elle ne représentait
rien.
Je ne
promènerai pas cette assemblée dans les deux hémisphères, il me suffit
d'examiner quelles étaient les institutions de nos provinces. Partout la
représentation se partageait en plusieurs corps. En décidant que la monarchie
serait la forme de notre gouvernement, nous avons été l'organe de l'opinion
publique, et j'ose dire qu'elle ne croira pas à la monarchie s'il n'y a qu'une
seule chambre : et quel homme sera assez hardi pour s'asseoir sur le trône de
M. l’abbé Andries
– J'avais d'abord voté (page 491) dans ma section pour un
sénat, mais les lumières acquises par nos longues discussions m'ont enfin
définitivement décidé à voter contre.
Je suis intimement convaincu que nous pouvons trouver dans une chambre
unique autant de garanties de stabilité et de sagesse que dans deux. Si je
voulais faire le doctrinaire, je dirais que c'est une grande faute que
d'établir dans le corps politique des distinctions qui n'existent plus dans la
société. Je m'étonne que des gens d'esprit, voulant reconstruire notre édifice
social, repoussent nos propres matériaux, repoussent la société telle qu'elle
se présente à eux dans leur propre pays, et veuillent à toute force chercher
dans les pays étrangers, et même en Amérique, ce que nous n'avons pas et ce
dont nous pouvons très bien nous passer.
Notre
société actuelle n'est plus qu'une agrégation d'individus, de citoyens, qui ne
peuvent et ne veulent avoir qu'un seul organe, le corps des représentants de
la nation. Le corps des représentants de la grande propriété est un
corps privilégié et par conséquent odieux. L'esprit de la nation, messieurs,
devient assez juste pour ne mettre entre un homme qui paye 1,000 florins
d'impôt et celui qui n'en paye pas du tout d'autre différence que celle de la
vertu et du talent. Si la nation n'en fait pas, pourquoi devrions-nous en faire
? Tels sont les principes de notre époque, principes qui recevront de plus en
plus leurs vigoureux développements. L'existence de ce corps privilégié ne
peut pas être justifiée par la nécessité.
Pour
vous faire voir la faiblesse des raisonnements de nos adversaires, je me
contenterai de vous répéter, dépouillées du prestige du langage et réduites à
leur plus simple expression, les argumentations principales contre une chambre
unique, produites sous mille formes différentes par divers orateurs.
Je n'y
ajouterai pas même de commentaire :
Premier
argument. On pourra
dans une chambre unique, comme du temps de Mirabeau, voter le même jour le pour
et le contre sur un même objet ; donc il faut deux chambres.
Deuxième
argument. On pourra
faire les trois lectures le même jour. On pourra, on pourra..... donc il faut
deux chambres.
Troisième
argument. Il y a
deux sortes d'hommes dans la société : les uns représentent les intérêts réels,
les autres les intérêts personnels : donc il faut deux chambres.
Quatrième
argument. Les hommes
âgés d'un sénat n'aiment pas la guerre, les hommes d'une chambre élective sont
portés pour la guerre ; donc si vous aimez la paix, il faut deux chambres.
Cinquième
argument. Il se peut
qu'il y ait collusion entre le chef de l'État et la chambre unique élue par
la nation, pour conspirer contre les libertés publiques ; donc il faut deux
chambres.
Sixième
argument. Le
contrôle rend l'homme meilleur. Sans contrôle l'homme deviendrait un monstre.
Ainsi une chambre unique qui n'est pas contrôlée par un sénat pourrait devenir
monstrueuse ; donc il faut deux chambres
Septième
argument. Les
intérêts de tous ne peuvent être représentés par un seul corps, donc il en faut
deux.
Huitième
argument. Que dirons
nos voisins ? si nous n'adoptons qu'une chambre, ils nous feront la guerre.
Neuvième
argument. Le
ministère sera trop facilement battu, donc il faut faire du sénat un rempart
pour les ministres.
Dixième
argument. Le peuple
est calme et réfléchi ; une seule chambre en effet pourrait suffire ; donc
faisons-en deux.
Onzième
argument. Il y
aurait de l'injustice à ne pas établir une chambre privilégiée.
Douzième
argument. Il n'y a
de véritable sagesse et stabilité que dans un sénat.
Tels sont
en général, messieurs, les chevaux de bataille qu'on a employés contre nous.
Tous ces arguments, tirés presque mot à mot des discours de différents orateurs
fondés sur des suppositions gratuites, ou sur la peur, sont réfutés par le simple
bon sens à la première lecture, et ont servi plus que tous les autres à me
faire prendre la résolution de voter contre le sénat. (C., 17 déc.)
M. le président – M. Charles Le Hon a la parole. (C., 17
déc.)
M. Charles Le Hon, dans une improvisation étendue, détermine la position
toute nouvelle de
(page 492) Nous ne devons donc être
préoccupés, dit-il, ni du danger, ni de l'importance, ni des vues
anti-nationales d'une classe privilégiée. Nous pouvons nous déterminer d'après
les seules nécessités de notre nouvel État, combinées surtout avec l'intérêt de
notre avenir.
Définissant
ici les éléments de la monarchie constitutionnelle représentative, il reconnaît
qu'une chambre élective, en présence d'un ministère responsable, fort de cette
responsabilité même, et sous un chef héréditaire investi du droit de dissolution,
constituerait à la rigueur le mécanisme obligé de ce gouvernement.
Il y
aurait par l'élection directe, et par le débat public et constant entre la
chambre et le ministère, intervention du pays dans toutes les affaires du
pays. Cette simplicité d'organisation et de mouvement est faite pour séduire
les esprits. Je n'hésiterais pas à l'adopter s'il m'était clairement démontré
qu'elle ne nuira pas à la solidité, à la durée de notre ouvrage. Mais, dans ce
système de gouvernement, suffira-t-elle pour tempérer les inconvénients de sa
nature et les froissements de son action ? C'est ce dont je ne suis pas
convaincu, et il est évident pour moi que l'Europe ne sera pas en tout temps
également disposée à rester neutre en présence de nos troubles intérieurs.
L'institution
d'une seule chambre a-t-elle au moins l'appui de l'expérience? J'ouvre
l'histoire de nos provinces que des orateurs ont invoquée, et je n'y trouve
aucun vestige de cette organisation. Nulle part il n'existe un pouvoir central
aux prises avec nos états de province : dans ces états, nulle participation au
pouvoir législatif. Tout se réduit au vote du subside, quand il était
demandé. Et encore par quels degrés successifs la délibération ne passait-elle
pas avant d'être définitive! En Brabant, par exemple, chacun des trois ordres
ne consentait que sous la condition sine quâ non du consentement des
deux autres, et le tiers état, composé des quatre chefs-villes, émettait quatre
votes également successifs et subordonnés. Il y avait là certes d'amples
garanties contre la surprise et la précipitation.
L'histoire
étrangère ne m'éclaire pas mieux sur les avantages d'une seule chambre. Je ne
citerai pas les annales de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie,de l'Allemagne
même, où la division des chambres a généralement pris sa source dans les idées
de caste et de privilège.
Mais
je crois utile de consulter l'exemple des nations qui nous sont unies par le
lien d'une civilisation progressive, ou par l'analogie de leurs institutions
politiques : de ce nombre sont l'Angleterre,
L'orateur réfute la conséquence tirée de l'essai tenté par l'assemblée
constituante, et dont il a assigné le principe au début de son discours. Il
aborde plusieurs objections des préopinants, entre autres, celle puisée dans le
caractère calme et réfléchi de la nation, dans l'attitude et les débat,
paisibles du congrès. Le congrès, dit-il, a le calme de la suprême puissance
quand elle est libre, incontestée et sans rivale. Il n'a nulle ambition, il
peut tout. Mais que serait-il arrivé si un pouvoir quelconque s'était prétendu
son égal ou indépendant de lui ? N'en serait-il pas résulté une lutte assez
vive, à en juger par la susceptibilité avec laquelle a été accueillie il y a
deux jours la simple proposition d'une loi par le gouvernement provisoire ?
Supposez aussi le pacte constitutionnel achevé et les pouvoirs nouveaux mis en
action, qui oserait dire que l'aspect de la chambre élective sera le même
quand il s'agira de l'organisation pratique des principes de liberté déposés
dans ce pacte fondamental ?
L'honorable
membre, après avoir analysé les dangers de l'action réciproque d'une seule chambre
et du pouvoir en présence l'un de l'autre, action dont l'effet pourrait être
ou le despotisme d'un seul par l'asservissement de la chambre élective, ou la
tyrannie des masses par la dépendance du pouvoir, déclare qu'un sénat lui
paraît nécessaire non comme corps aristocratique, mais comme assemblée
intermédiaire, défendant, par son existence seule, et le chef de l'État, et la
chambre des représentants contre leurs propres excès.
Tout
ce qu'on a dit d'honorable dans cette discussion sur le caractère et le
patriotisme historique de la classe que distinguent parmi nous la naissance et
la fortune, est fait pour dissiper la crainte de voir jamais un sénat belge
l'appui d'un despotisme quelconque.
L'orateur, par toutes les considérations qu'il développe, votera pour
deux chambres, sous la condition toutefois que la première soit constituée de
manière à ce qu'en cas de résistance systématique ou hostile aux voeux ou aux
intérêts nationaux, cette résistance puisse être également arrêtée ou vaincue.
(C., 17 déc.)
M. Raikem – Après tant d'orateurs, il y a peut-être témérité à
prendre la parole. Toute la discussion doit se porter sur un point : y
aura-t-il une première chambre ? On ne peut discuter conditionnellement et en
entrant dans l'examen d'objets qui trouveront place dans la discussion
partielle. C’est comme par instinct qu'en section on a adopté un sénat presqu'à
l'unanimité, c'était le bon sens qui décidait, et .le bon sens est excellent
publiciste. La minorité fonde son triomphe sur une prétendue division ; cet
espoir est sans fondement. Ceux qui veulent une seule chambre, seront à leur
tour divisés quand il s'agira de l'organiser ; quand il s'agira de faire la loi
électorale, il y aura aussi division, et il faudrait en conclure qu'il ne faut
pas même de chambre élective. Une chambre unique conduira ou au despotisme d'un
seul ou au despotisme de plusieurs. La république serait mille fois préférable.
L'orateur repousse l'unité du corps législatif comme il a répudié la république
; il ne veut pas un régime bâtard qui ne serait qu'un acheminement vers la
domination étrangère, vers la destruction de notre indépendance. Un pays,
quoique peu étendu, doit être organisé fortement. Notre ancienne histoire en
est la preuve ; nous avions partout division du pouvoir populaire, nous avions
plusieurs ordres dans la principauté de Liége.
Je
regarderais une chambre unique comme un essai dangereux d'un genre particulier
de république. Dès lors l'hérédité dans le chef de l'État ne serait plus rien.
Si par
la suite vous avez un enfant appelé au trône, la chambre unique sera-t-elle son
tuteur ? Le tuteur dévorerait les droits de son pupille ; bientôt le pupille ne
serait plus rien, et l'hérédité ne serait dans le fait qu'une chimère.
Si
l'on n'adopte qu'une seule chambre, je me regarderai comme républicain ; je
demanderai que toutes les institutions soient dirigées vers le système
républicain le plus large.
Dans
ce cas, je le déclare, l'hérédité dans le chef ne subsistera pas longtemps.
Prenons-y
garde : l'air trop vif donne la mort, ainsi que l'air corrompu. La vie se
conserve dans un juste milieu. (C., 17 déc.)
M. Camille de Smet – Je demande la parole pour un fait personnel. J'ai appris que
dans la séance d'hier soir un orateur a prétendu que j'avais fait l'éloge du
régicide. Ce reproche est tellement grave, messieurs, que je crois devoir
repousser une pareille imputation. L'orateur auquel je réponds ne m'a pas
compris ; en parlant de la révolution française, j'ai dit : En 93, le sceptre de Louis XVI se
brisa dans ses mains, pour le bien du monde. J'ai cité un fait,
ce fait a eu d'heureux résultats, je l'ai dit ; mais il n'est pas entré dans ma
pensée de faire l'apologie du régicide, et rien dans mon discours n'implique
que j'approuve le supplice de Louis XVI. (U. B., 18 déc.)
M. Le Grelle – Je demande à répondre. (U. B., 18
déc.)
M. Raikem – Je demande à faire une motion d'ordre. Messieurs, dans
une discussion comme celle-ci, on n'en finirait plus si chacun demandait la
parole pour des faits personnels, parce qu'on aurait critiqué telle ou telle
partie de son discours. Chacun ici pose son système, que chacun aussi est
admis à combattre. Ce n'est pas une raison pour qu'à tout instant un orateur
puisse entraver le cours de la discussion sous prétexte d'expliquer sa pensée.
(.4ppuyé! appuyé!)(U. B., 18 déc.)
M.
Le Grelle
insiste. (U. B., 18 déc.)
Plusieurs voix – C'est inutile. (U. B., 18 déc.)
M. le président
– La discussion ne peut
pas être interrompue : De fait personnel en fait personnel, nous n'en finirions
plus. (U. B., 18 déc.)
M. Gendebien (père)
– J'ai coutume de motiver
mon vote alors que je pressens qu'il sera compté dans la minorité.
Nous
nous sommes constitués en société politique indistinctement ; de là
j'induis que nous devons instituer notre magistrature politique sans
distinction aucune. Tous les Belges sont membres de la cité également, et leurs
avantages respectifs, en biens, en industrie, en capacités, ne sont que les
accessoires de l'honorable qualité de citoyen belge ; l'unité sociale appelle,
commande même l'unité de représentation ; une seule nation, une représentation
unique pour délibérer les lois, un seul constitué pour en garantir l'exécution.
L'écueil
de la précipitation, l'abîme des effervescences peuvent être prévus et écartés
par les formes parlementaires, sans qu'il faille une double représentation
d'une société unique. Je voterai pour une seule chambre, sans préjudice aux
amendements proposés par notre honorable collègue M. Blargnies, et par
d'autres qui m'ont précédé à cette tribune. (C., 17 déc.)
- On
appelle M. Welbrouck-Pieters : il est absent. (U. B., 18 déc.)
M. le comte Duval de
Beaulieu – Messieurs, arrivé à cette tribune où m'amène l'objet de la délibération,
il est nécessaire sans doute de réclamer votre indulgence.
Il est
important, dans la situation où se trouve l'assemblée après d'aussi longues
discussions, de la rassurer en lui disant sur-le-champ que, fidèle au précepte
et à l'exemple de mon honorable ami M. de Leuze, je serai bref.
(page 494)
Je ne vous rappellerai
donc pas ce qu'ont dit les Adams, les Mounier, les Benjamin Constant les
Thiers, les Montesquieu et les Franklin. Je ne vous parlerai ni de la
constituante, ni des autres assemblées, ni des causes par lesquelles se
brisa le sceptre dans les mains de Louis XVI.
Je
crois même surabondant d'essayer en ce moment de résumer les diverses opinions
des orateurs qui, depuis plusieurs jours, ont répandu dans cette enceinte tant
de lumières sur l'objet que vous y traitez.
Je
pense que chacun de nous en a profité pour former ou rectifier son opinion ;
mais que ce dont il s'agit maintenant serait d'atténuer par des concessions
mutuelles une divergence qui pourrait amener à de dangereux résultats et qui ne
satisferait personne peut-être.
La
sagesse, le calme qui caractérise le peuple belge me porterait à mettre peu
d'intérêt à la question d'une ou de deux chambres.
Mais
de la discussion, il résulte pour moi seul, je dois le croire cette pensée : - L'utilité
d'une première chambre, d'un sénat, a été souvent prononcée ; rarement le danger
et jamais l'inconvénient, même lorsque, ainsi que nous avons lieu
de l'espérer par les mesures qu'il vous appartient de prendre, sa composition
est bonne.
C'est
une sauvegarde assurée, nous a-t-on dit.
En
effet, sans traitement, sans indemnité, sans hérédité, exclu de tout emploi
lucratif, le sénateur n'a d'autre appât que l'honneur de sa position. Il ne
peut être appelé que par l'honneur. Il ne viendra pas pour en trahir les
principes, et par là même détruire tout le prestige, tout l'avantage de cette
position.
L’Angleterre,
Le
souvenir de cette première chambre qui a été qualifiée ici de refuge pour
les grandeurs déchues, d'une espèce d'hôtel d'invalides civils, pour
ne rien dire de plus, a laissé des traces, et les bien justes craintes qui se
sont manifestées en cette circonstance peuvent lui être en grande partie
attribuées.
Sans
doute celle-là n'était pas même une nullité nécessaire. Mais le vice était
dans sa composition, et ce vice, sans être appelés à le réformer, vous le
ferez avec d'autant plus de facilité qu'il vous est indiqué par l'expérience.
Il
suffit de s'entendre maintenant sur les moyens, et c'est, ce me semble, la
véritable question qui devrait nous occuper maintenant.
La suppression de tous traitements, la
publicité des débats, répondent à bien des objections.
Un
sénat qui ne coûtera rien, attachera davantage encore ceux qui le composeront
au pays auquel ils sont déjà liés par leurs propriétés. Il ajoutera les liens
d'honneur.
Une
seule chambre, a dit un orateur, peut être pernicieuse. On ne le nie point.
J'ai confiance sans doute, mais je ne crois point à l'infaillibilité des
élections.
Une
seule chambre peut par ce mode devenir tout aristocratique ou toute
démocratique, par suite d'événements, d'influences, de direction données, et
par la presse même peut-être.
J'aime
mieux deux garanties qu'une seule, lorsqu'il s'agit du bien, du salut de
l'État.
Au
reste, messieurs, je suis loin de partager les craintes de beaucoup d'orateurs
sur la représentation due à la propriété. Je pense qu'elle existera au moins
autant par l'institution d'une chambre unique que par l'établissement d'une
chambre exclusivement pour elle. Je partage à cet égard l’opinion émise hier
avec tant de clarté par M. le rapporteur de la section centrale (M. Devaux),
sans concevoir l'effroi manifesté par un honorable membre du bureau.
Je
crois qu'au lieu d'appeler en grand nombre les propriétaires à la
représentation nationale concentrée dans une seule chambre, on leur dira, s'il
y en a une seconde : Passez à celle qui vous est réservée. Mais cela ne sera
point général ; il faudrait une révolution morale en Belgique pour appeler la
défiance totale sur les propriétaires terriens, si éminemment, si justement
populaires.
J'ai résolu d'être bref et je ne
m'abandonnerai pas à d'autres dissertations pour motiver mon opinion favorable
à une institution conservatrice et modératrice, qu'à moins d'une composition
telle que je me refuse à la prévoir, je crois ne pouvoir être qu'utile et
nécessaire comme tiers pouvoir. Ce n'est guère sans elle qu'une discussion, une
divergence de volonté se termine convenablement ; il faut un tiers
conciliateur,
Bien
que je ne partage pas la pensée que les sénateurs, créatures du prince,
restent sous sa main, je crois que la première nomination ne doit point être
laissée à un chef de l'État qui, étranger au pays, devrait s'en remettre pour
le choix à des moyens incertains. Et je désire en général qu'un mode d'élection
de candidats, satisfaisant à la divergence des vœux émis dans ce!te enceinte,
entre au moins (page 495) en partie
dans la formation du sénat, et cela formera sûrement l'objet de propositions
d'amendement.
La
nomination à vie me semble offrir plus de garantie qu'à terme. Et je suis loin
de partager l'affligeante pensée d'un orateur qui a parlé hier. Je pense qu'on
trouvera des hommes d'honneur à vie. (C., suppl., 17 déc.)
De toutes parts – Aux voix ! aux voix ! (U. B., 18 déc.)
M. Charles Rogier – Je demande la parole. (Aux
voix ! Aux voix !!) Je demande à parler pour expliquer mon vote.
(U. B., 18 déc.)
M. le président
– Vous vous êtes fait
rayer. (U. B., 18 déc.)
M. Charles Rogier – En renonçant à la parole dans la
séance d'hier au soir, je me réservai de parler aujourd'hui ; d'ailleurs je
serai très court.
Messieurs,
votre temps, si précieux pour le pays, et des occupations multipliées
m'interdisent de longs développements. La discussion d'ailleurs est, comme on
vous le dit, épuisée ; et l'assemblée aussi un peu épuisée par la discussion.
Une
chambre haute est utile comme barrière aux décisions d'entraînement ou de
surprise d'une seule chambre. Je voterai donc pour une chambre haute, mais je
la veux élue par les électeurs de la chambre basse ; je la veux élue pour un
temps déterminé.
Je
soustrais l'élection au pouvoir royal, parce que l'ayant déclaré héréditaire,
vous avez fait assez pour le principe de stabilité, et je demande que le
pouvoir de la chambre haute se renouvelle périodiquement, parce que c'est là
une conséquence toute naturelle du principe de l'élection.
Seulement
il faudra, pour le candidat à la chambre haute, des conditions plus sévères
sous le rapport du cens, sous le rapport de l'âge.
On
voit que mon opinion se rapproche de celle de M. Blargnies, si ce n'est que je
n'accorde pas l'élection de la chambre haute aux états provinciaux, vu
l'inconvénient de confier aux mêmes mains des attributions politiques et
administratives ; elle se rapproche aussi de celle de M. de Mérode, si ce n'est
que je rejette l'élection des fonctions à vie.
Jusqu'à
présent je n'ai point entendu d'objection contre le système d'une chambre haute
élective ni contre sa durée limitée. J'attendrai qu'elles soient présentées
pour les combattre ou pour m'y rendre. (U. B., 18 déc.)
M. le président
– La parole est à M.
Goethals. (U. B., 18 déc.)
L’assemblée presque entière – Aux voix ! aux voix ! la clôture !
(U. B., 18 déc.)
M. Jean Goethals monte à la tribune. (La clôture!
la clôture!) (U. B., 18 déc.)
M. Forgeur – J'ai sacrifié hier mon tour, par le
motif que les orateurs déjà entendus ont présenté toutes les objections
possibles sur la question, et que depuis longtemps la discussion n'a pas fait
un pas ; je crois que c'est perdre notre temps et fatiguer inutilement
l'attention du congrès que de poursuivre la discussion générale, d'autant plus
que, dans la discussion partielle des articles, il sera permis à chacun de
présenter de nouvelles objections, si tant est que quelque chose ait échappé à
ceux qui ont déjà parlé. Par ces motifs, je demande que la clôture soit
prononcée. (U. B., 18 déc.)
De
toutes parts – Appuyé! appuyé ! (U. B., 18 déc.) .
M. le comte de Celles – Je demande la parole contre la clôture. (Aux voix! aux
voix!) (U. B., 18 déc.)
M. le président
– On peut toujours
parler contre la clôture. (U. B., 18 déc.)
M. le comte de Celles
– Messieurs, dans une .discussion
aussi importante, toutes les opinions doivent être entendues, et cela ne
serait pas si vous en prononciez la clôture dans ce moment-ci. Je ne
profiterai pas, messieurs, de cette occasion pour rentrer dans la discussion ;
je me contenterai de vous faire observer que vous venez d'entendre plusieurs
orateurs qui ont dit des choses nouvelles, auxquelles il est essentiel de
répondre. Voulez vous laisser les nouvelles objections sans réponse, et ne pas
entendre le débat ? Vous en êtes les maîtres ; mais il me semble, puisque des
orateurs de talent ont présenté les difficultés de la contestation sous un
nouveau jour, que quelqu'un au moins devait s'emparer de la discussion pour
leur répondre. (Mouvement d'indécision.) (U. B., 18 déc.)
M. Lebeau – Je ferai remarquer que si nous nous rangeons de l'avis
du préopinant, nous allons rentrer dans une discussion interminable. En effet,
M. de Celles trouve que quelques orateurs ont dit du nouveau, il demande à leur
répondre : à notre tour, il nous sera permis de trouver du nouveau dans ce
qu'il dira, nous aurons le droit de lui répliquer, et ainsi successivement. De
cette manière, il n'y a pas de raison pour que vous n'entendiez encore trente
nouveaux discours. (Appuyé! appuyé!
aux voix! aux voix !) (U. B., 18 déc.)
M. le président
– Un peu de silence, messieurs,
s'il vous plaît. Je vais consulter l'assemblée. (U. B., 18 déc.)
M. Van Snick – Je demande à parler contre (page 496) la clôture. (Non! non!
aux voix! -Tumulte.)(U.
B., 18 déc.)
M. de Robaulx – Vous avez entendu deux orateurs pour la clôture, il est
juste… (U. B., 18 déc.)
M. le président, avec impatience – En définitive, ce sera clôture ou
non-clôture. (On rit.)
M. de Robaulx
– M. le président a
raison ; cependant, puisque deux orateurs ont été entendus pour la clôture,
tandis qu'un seul a parlé contre, il serait juste d'en entendre encore un dans
ce dernier sens. Au reste, pour mettre tout le monde d'accord, je demande que,
puisque M. de Celles croit nécessaire de répondre aux choses nouvelles qui ont
été dites, il soit admis à faire cette réponse, et qu'un orateur de l'opinion
contraire lui réplique. (Non ! non ! aux voix ! aux voix.) (U. B., 18 déc.)
M. de Gerlache – Je demande qu'on accorde la parole à
M. de Celles. (U. B., 18 déc.)
Un membre – Je ne m'opposerai pas à ce qu'on
entende M. de Celles, et pour ma part, j'aurais beaucoup de plaisir à
l'entendre ; mais, si la discussion continue, je crois injuste d'enlever la
parole aux orateurs inscrits, et je demande que M. Goethals soit entendu. (Appuyé !
Non ! non ! La clôture ! Aux voix !) (U. B., 18 déc.)
M. Charles Le Hon – Je demande à dire quelques mots sur
la clôture. Messieurs, il me semble que nous ne devons pas faire de ceci une
question personnelle. On a demandé que M. de Celles fût entendu, je serais
d'avis qu'on lui accordât la parole, mais seulement après que ceux qui sont
déjà inscrits auront parlé. Si vous la lui accordiez dans la position actuelle,
vous sembleriez décider que la clôture viendrait de droit immédiatement après.
(Non! Non !) Messieurs,
il me semble qu'il est dans l'ordre, et c'est un usage suivi en France, que
dans une discussion générale on ne prononce qu'un petit nombre de discours.
Cette manière ne présente aucun inconvénient, parce que, dans la discussion des
articles, chacun a la faculté de revenir au moins sur un point particulier de
la discussion générale, et qu'ainsi aucune objection ne reste sans réponse,
aucun système sans développement ; on a vu très souvent des orateurs distingués
comme Foy, Benjamin Constant, Casimir Périer, privés par la clôture d'être
entendus dans une discussion générale. Or, ici et grâces à la prolongation de
la discussion (dont au reste je n'ai pas à me plaindre, puisqu'elle m'a fourni
l'occasion de dire quelque chose), grâces, dis-je, à la prolongation de la
discussion, tout le monde a eu le temps de s'éclairer ; celle des articles
jettera encore sur la question de nouvelles lumières ; je ne verrais donc pas
grand inconvénient à prononcer la clôture. Je ne m'élève pas cependant contre
ceux qui voudraient encore prolonger la discussion ; mais si l'on entend des
orateurs nouveaux, il faut nécessairement permettre de leur répondre, (.4ux
voix! aux voix! la clôture! - Le tumulte est à son comble ; M. le
président agite la sonnette et ne peut obtenir le silence.) (U. B., 18
déc.)
M. le président
– Je ne comprends rien à
un pareil tumulte. Messieurs, un instant de silence. (U. B., 18 déc.)
M. Devaux – Lorsque dix membres demandent la clôture, elle doit
être mise aux voix. Depuis longtemps nous discutons, et nous discutons
inutilement pour savoir si elle sera prononcée. Je demande que le congrès
prononce. (U. B., 18 déc.)
M. le président
lit l'article du
règlement qui veut que la clôture soit mise aux voix lorsque dix membres la
demandent. Il ajoute : D'après cet article, je ne puis me dispenser de
consulter l'assemblée. (U. B., 18 déc.)
-
L'assemblée entière, moins dix ou douze membres, se lève pour la clôture. La
clôture est prononcée. (U. B., 18 déc.) (M. Goethals descend de la tribune.)
(Le recueil d’E Huyttens
reprend en note de bas de page le discours que M. Goethals se proposait de
prononcer).
M. le président
– J'ai l'honneur de (page 497) prévenir l’assemblée que M.
de Brouckere, rapporteur de la commission chargée du projet d’organisation de a
garde civique, sera prêt à faire son rapport demain. Je demande maintenant si
l’assemblée (page 498) désire qu’il
y ait séance ce soir. (Non ! non !) A demain donc à dix heures. Je
ferai encore une demande : Comment le congrès désire-t-il entamer la
discussion partielle du sénat ? Faut-il d’abord (page 499) aller aux voix
sur la question de savoir s’il y aura deux chambres ? (Oui !
oui ! non ! non !)
M. le comte de Celles – Je demande la parole sur la position de la question.
Messieurs, il me paraît qu’il me faudrait procéder de manière (page 500) vider le débat d'abord sur le
point de savoir s'il y aura un sénat ou s'il n'y en aura pas. On a parlé des
dangers qu'il y aurait à l'établissement d'une seule chambre dans les
circonstances où nous nous trouvons. J'ai entendu les mots de dangers
intérieurs et extérieurs : ces mots
peuvent avoir fait impression ; il serait donc convenable de savoir bientôt si
nous sommes décidés à les affronter ; le moyen pour cela, c'est de décider
avant tout s'il y aura une ou deux chambres.
On dit
qu'en présence de l'Europe… (A la question ! à la question ! Tumulte,
interruption. -M. de Celles descend de la tribune.) (U.
B., 18 déc.)
M. Charles de Brouckere
– Si vous commencez par décider
que vous aurez une chambre haute, vous vous exposez, dans quelques jours
d'ici, à être obligés de casser votre propre décision. La discussion vous a
prouvé qu'il y avait deux systèmes différents sur la composition du sénat, et
chacun tient tellement à son système qu'on dit : Je veux du sénat, mais à
telles et telles conditions ; sinon je n'en veux pas. Dans la discussion des articles
il faudra nécessairement que l'un ou l'autre triomphe : dès lors, les partisans
de tel ou tel système n'approuvant pas celui que le congrès aura adopté, se
réuniront à ceux qui ne veulent qu'une chambre, et rejetteront le sénat
lorsqu'on votera sur l'ensemble. Il est donc rationnel de commencer par
s'entendre sur un système. Mais décider aujourd'hui qu'il y aura deux
chambres, pour être obligé plus tard de prendre une décision contraire, c'est
aller à l'absurde. (Murmures.) (U. B., 18 déc.)
M. le président
– Silence, messieurs !
(U. B., 18 déc.)
M. Forgeur – Je demande la parole. (U. B., 18
déc.)
M. Devaux – La marche proposée par M. le
président ne présente aucun inconvénient ; avant de s'occuper de la composition
du sénat, il faut savoir s'il y en aura un. Nous ignorons encore de quel côté
se trouvera la majorité ou la minorité sur cette question ; s'il y a une
majorité pour, il faudra savoir comment on composera le sénat. Alors on
éprouvera davantage la nécessité de s'entendre ; je prévois que cela ne sera
pas facile : la discussion pourra être orageuse, mais ce n'est pas une raison
pour suivre un ordre qui est évidemment le plus logique. Si nous ne pouvons
nous entendre, nous recommencerons. En suivant une autre marche, nous nous
engagerions dans des discussions vaines, puisqu'il pourrait arriver qu'après
avoir voté article par article sur la composition du sénat, nous le
rejetterions en votant sur l'ensemble (Appuyé! appuyé!) (U. B., 18
déc.)
M. le président – M. Forgeur a demande la parole. (U.
B., 18 déc.)
M. Forgeur – Après ce que vient de dire le
préopinant, ce que j'avais à dire est inutile ; cependant, puisqu'on veut bien
m'entendre, j'ajouterai que si l'on considère le vote que nous allons émettre
comme provisoire, en sorte que si plus tard la majorité ne s'entend pas sur un
système de composition de la chambre haute, on puisse eu revenir au système
d'une chambre unique, je n'y vois aucun inconvénient. Mais si la chose n'est
pas entendue ainsi, et que l'on veuille d'ores et déjà lier la majorité, je
crois devoir protester coutre cette manière de procéder. (U. B., 18 déc.)
M. le président – Nous ne nous engageons à rien par le
mode que je propose. Mais il ne faut pas croire que, par cela seul qu'on ne s'
entendra pas sur un système de composition du sénat, il n'y aura pas de
première chambre, car c'est comme si l'on disait que si nous ne nous entendions
pas su la composition de la chambre élective, il n'yen aurait pas non plus. (On
rit.) Messieurs, il ne faut pas se fourvoyer dans une matière aussi grave :
si nous ne nous entendions pas bien, .il pourrait en résulter des conséquences
dont nous aurions plus tard à
rougir. (U. B., 18 déc.)
M. Van Meenen
– Il me semble,
messieurs, que nous nous fourvoyons : lorsque M. de Brouckere propose
d'ajourner la question de savoir s'il y aura une chambre haute, que fait-il ?
Il veut que nous renvoyions à un autre jour une question qu'il faudra toujours
décider la première ; car il faudra de toute nécessité commencer par là. Nous
aurons beau discuter sur la composition du sénat, nous n'en serons pas moins
obligés de décider avant tout s'il y en aura un. Quant à ce qu'a dit M. Forgeur,
que nous pouvons voter sur la question sans nous lier, il est bien entendu
qu'aussi longtemps que le congrès n'aura pas rendu une décision définitive et
irrévocable, cette décision sera soumise à celle que nous porterons sur
l'ensemble du projet ; et, quant à la question de la composition du sénat, dire
que nous révoquerions notre décision, si nous ne nous entendions pas sur un système,
c'est une illusion ; nous ne révoquerions pas notre décision ; elle tomberait
d'elle-même, elle deviendrait caduque, inutile, voilà tout. (Appuyé ! appuyé
!) (U. B.. 18 déc.)
M. le président
– Dans une question
aussi importante, je ne veux rien prendre sur moi, pour qu'on ne puisse pas m'accuser
d'avoir donné à la discussion une mauvaise direction ; je désire être éclairé
sur la question, et que la discussion s'ouvre là-dessus. (U. B., 18 déc.)
(page 501) - Une discussion s'engage
dans laquelle on entend MM. de Robaulx et Forgeur. (U. B., 18 déc.)
-
L'assemblée décide qu'avant d'examiner, article par article, le projet de la
section centrale, il sera voté par appel nominal sur la question de savoir s'il
y aura deux chambres ou non. (P. V.)
M. le président – On va procéder à l'appel nominal ;
voici comment la question sera posée : Y aura-t-il un sénat ? J'invite
MM. les membres qui n'ont pas signé la liste à venir la signer de suite. (U.
B., 18 déc.)
M. Trentesaux – Pourquoi ne vote-t-on pas par assis
et levé ? (Non ! non !) (U. B., 18 déc.)
M. le président
– Ceux qui sont pour
deux chambres répondront pour et les autres contre. (U. B., 18
déc.)
M. Claes (d’Anvers) – La décision que nous allons rendre
sera-t-elle définitive? (Non ! non !) (U. B., 18 déc.)
M. le président
– C'est décidé. (U. B.,
18 déc.)
M. de Brouckere –Messieurs... (U. B., 18 déc.)
De
toutes parts – Aux voix ! aux voix ! (U. B., 18 déc.)
L'assemblée
décide qu'il sera fait mention au procès-verbal que le vote ne sera que
conditionnel. (P. V.)
On
procède à l'appel nominal ; 190 membres y répondent : 128 votent pour, 62
contre ; en
conséquence le congrès décide qu'il y aura un sénat. (P. V.)
Ont
voté pour le sénat : MM. Wyvekens, de Roo, Blargnies, Dehemptinne, Van
Hoobrouck de Mooreghem, Buylaert, le chevalier de Theux de Meylandt,
Coppieters, Baugniet, Le Bègue, Allard, le baron de Stassart, Thorn, Marlet, de
Decker, Roeser, Jacques, François, Zoude (de Saint-Hubert), Hennequin,
Jottrand, Speelman-Rooman, le comte Cornet de Grez, Berger, Lesaffre, le
baron de Pélichy van Huerne, Maclagan, de Lehaye, Masbourg, Gustave de Jonghe,
de Sebille, Domis, Le Grelle, le marquis d'Yve de Bavay, Vandenhove, Huysman
d'Annecroix, le baron de Meer de Moorsel, Pirmez, Raikem, Devaux, d'Hanis van
Cannart, Thienpont, le marquis de Rodes, le comte Duval de Beaulieu, de
Bouillé, le baron Beyts, Bosmans, Van Innis, le comte d'Ansembourg, Albert
Cogels, le comte de Renesse, Van Meenen, le comte d'Arschot, Claus, Béthune,
Cauvin, l'abbé Boucqueau de Villeraie, l'abbé Vander Linden, Lecocq, le baron
Osy, de Man, le baron Van Volden de Lombeke, Serruys, le baron de Sécus (père),
Helias d'Huddeghem, Nothomb, le baron de Coppin, Henri de Brouckere, le baron
Surlet de Chokier, le comte Félix de Mérode, de Tiecken de Terhove, d'Martigny,
Hippolyte Vilain XIIII, Eugène de Smet, Teuwens, Goethals-Bisschoff,
Werbrouck-Pieters, de Selys Longchamps, Lefebvre, le baron Joseph d'Hooghvorst,
l'abbé Van Crombrugghe, l'abbé Wallaert, le baron Frédéric de Sécus,
Destouvelles, le vicomte Desmanet de Biesme, d'Hanens-Peers, le comte de
Bergeyck, le baron de Viron, le comte de Baillet, Mulle, de Ville, Henri
Cogels, le vicomte de Bousies de Rouveroy, Charles Le Hon, Trentesaux, Simons,
Théophile Fallon, de Ryckere, Henry, de Muelenaere, le marquis Rodriguez d'
Evora y Vega, Surmont de Volsberghe, Pettens, le baron de Liedel de Well,
Charles Rogier, l'abbé Pollin, Du Bois, le baron de Terbecq, Du Bus,
Janssens, François Lehon, de Coninck, le baron de Leuze, le baron de Woelmont,
le comte de Quarré, Annez de Zillebeecke, Joos, Nagelmackers,
Vergauwen-Goethals, de Langhe, de Behr, de Schiervel, Olislagers de Sipernau,
Morel-Danheel, Lebeau, de Gerlache, le comte Werner de Mérode, le vicomte de
Jonghe d'Ardoye.
Ont
voté contre le sénat : MM. Thonus, Gelders, de Labeville, Gendebien (père),
de Robaulx, le vicomte Charles Vilain XIIII, Van der Belen, Forgeur, l'abbé
Verbeke, Van der Looy, Ooms, Fendius, Van Snick, Leclercq, Jean Baptiste
Gendebien, de Nef, Delwarde, Beaucarne, Le Bon, Deleeuw, Charles de Brouckere,
Defacqz, Wannaar, Charles Coppens, l'abbé de Foere, Alexandre Rodenbach
,Fransman, le baron d'Huart, l' abbé Dehaerne, Blomme, Dumont, Fleussu,
Liedts, Nopener, Camille de Smet, Watlet, Barbanson, Destriveaux, Verwilghen,
Peemans, Dams, Alexandre Gendebien, de Thier, l'abbé Andries, Jean Goethals,
David, Pirson, Seron, Frison, Lardinois, Nalinne, Claes (d'Anvers), Collet,
Davignon, l'abbé Verduyn, Buyse-Verscheure, l'abbé Joseph de Smet, Vandorpe,
Constantin Rodenbach, Bredart, le comte de Celles, Goffint. (C., 17 déc.)
- Il est
quatre heures et demie ; la séance est levée.
(P. V.)