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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 22 avril 1848
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi d’emprunt forcé. Second vote des
articles (Tielemans, Veydt, Delfosse), retenue sur le traitement des fonctionnaires (Malou, Rousselle, Veydt,
de Theux, Malou, de Chimay, Frère-Orban,
(+traitements des ministres (Le Hon, Rogier,
Frère-Orban, Le Hon), taux de
l’emprunt (Manilius, Veydt),
insuffisance de l’emprunt pour assurer l’équilibre général entre recettes et
dépenses (Frère-Orban), industrie ardoisière (Zoude), garde civique (Bricourt),
contribution personnelle (portes et fenêtres) (Veydt) prélèvement
sur les intérêts des rentes et des capitaux donnés en prêt (à la charge
essentiellement des fermiers locataires) (de La Coste)
3) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au
budget du département des finances, pour la fabrication de monnaie de cuivre (Cogels, Veydt)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1443) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 11 heures 1/4.
M. T’Kint de
Naeyer lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M.
de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Alexander, directeur de l'établissement St-Léonard à
Liège, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
_________________
« Le sieur Van Hansebrouck demande une loi qui ait pour but d'améliorer
le sort de la classe ouvrière. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_________________
« Le conseil communal de Ninove demande que les électeurs de
l'arrondissement d'Alost qui sont appelés à procéder au,, choix de
représentants ou de sénateurs puissent se réunir à Alost, Ninove et Grammont ou
bien au chef-lieu de leur canton. »
- Même renvoi.
_________________
« Le sieur Schenaerts demande que les fonds alloués pour le
défrichement des terrains incultes soient employés à la continuation des
travaux publics commencés et que tous les contribuables soient obligés de
concourir à l'emprunt. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi d'emprunt.
_________________
« Les administrations communales et plusieurs habitants de Chokier,
Awirs, Engis, Hermalle sous Huy et Flône, demandent que dos mesures soient
prises pour continuer et achever les travaux du chemin de fer de Namur à
Liège. »
« Même demande de plusieurs habitants de Huy. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
PROJET DE LOI D’EMPRUNT FORCE
Second vote des articles
Article 7
M. le président. - Les cinq premiers articles ont été modifiés de commun
accord avec le gouvernement ; par conséquent, d'après les précédents de la
chambre, ces dispositions doivent être considérées comme définitivement
adoptées. Cependant si un membre a des observations à présenter sur ces
articles, je lui accorderai la parole.
- Personne ne demande la parole. M. le président met aux voix l'article
7, qui a été amendé.
L'article 7 est définitivement adopté.
Article 10
Il y avait, avant l'article 10, un article qui a été supprimé lors du
premier vote.
La suppression de cet article est définitivement prononcée.
Article 11
« Art. 11. La troisième partie de l'emprunt sera égale à 3 p. c. annuel
des rentes et des capitaux donnés en prêt, garantis par une hypothèque
conventionnelle sur des immeubles situés en Belgique.
« Elle sera payée au bureau du receveur de l'enregistrement, par moitié
le 1er juin et le 1er août 1848, par le propriétaire ou usufruitier de la rente
ou de la créance, nonobstant toute convention contraire.
« Les poursuites auront lieu comme en matière d'enregistrement. »
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Je
propose de substituer les mots « du produit annuel » à ceux-ci :
« de l'intérêt annuel ».
- L'article ainsi modifié est définitivement adopté.
« Art. 12. Les porteurs des titres seront tenus d'en faire, contre
reçu, la déclaration, avant le 15 mai prochain, au bureau de l'enregistrement
dans le ressort duquel ils sont domiciliés.
« Cette déclaration, dûment signée, énoncera :
« a. La date du titre ;
« b. Sa nature (rente ou créance) ;
« c. le produit annuel ;
« d. Le nom et le domicile du débiteur ;
« e. La
désignation de l'hypothèque.
« Les formules des déclarations seront mises, sans frais, à la disposition
des intéressés dans les bureaux des receveurs de l'enregistrement. »
M.
Tielemans. - Je demanderai à M. le ministre des finances
si dans cet article seulement, il ne pourrait pas remplacer le bureau du
receveur de l'enregistrement pat le bureau du receveur des contributions
ordinaires, receveur qui est plus connu des contribuables et qui est plus à
portée de leur domicile.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Ne
serait-il pas possible de dire « les bureaux des receveurs de l'enregistrement,
ou des contributions où cette partie de l'emprunt devra être acquittée ? »
M.
Tielemans. - Il ne s'agit que de déposer les formules de
déclarations, afin que les contribuables aillent les prendre. S'il s'agissait
d'autre chose, l'observation serait parfaitement juste.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Je
propose l'alternative.
M.
Delfosse. - Il n'est pas nécessaire de mettre cela dans
la loi. Il dépend du gouvernement de désigner les bureaux qu'il voudra.
M. de
Bonne. - C'est juste. C'est une affaire d'exécution.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Il faut
alors supprimer dans l'article les mots « dans les bureaux des receveurs
de l'enregistrement.
- L'article 12 est définitivement adopté avec cette suppression.
Article 13
L'article 13 est définitivement adopté avec la date du 15 mai au premier
paragraphe. (Au premier vote, la date du 25 mai avait été substituée par erreur
à celle du 15 mai, proposée par la section centrale.)
« Art. 14. La quatrième partie de l'emprunt se composera :
« a. D'une retenue sur les traitements et pensions de 2,000 fr. au
moins, payés par l'Etat, suivant l'échelle ci-après :
« De 2,000.à 3.000 fr. exclusivement, 4 p. c, et ainsi successivement en
augmentant de 1 p. c. par 1,000 fr. jusqu'à 23,000 fr. et au-dessus.
« b. D'une retenue de 3 p. c. sur les traitements de tout capitaine en
activité, ou de tout fonctionnaire militaire du même grade, 3 p. c.
« c. D'une retenue de 5 p. c. sur les traitements de tout officier ou
fonctionnaire militaire des grades supérieurs à celui de capitaine, 5 p. c.
« Les suppléments de traitement, les remises, les salaires, les
émoluments de toute nature seront comptés comme le traitement lui-même pour
fixer le taux de la contribution à l'emprunt.
« Les retenues pour les traitements des fonctionnaires civils et militaires
sont échelonnées par douzièmes, du 1er mai 1848 au 1er mai 1849. »
M. Malou. - Je crois qu'il faut rétablir, au
littera a, la rédaction adoptée par la section centrale. Il résulterait, en
effet, de la rédaction adoptée au premier vote, un doute sur le point de savoir
si les traitements de plus de 23,000 fr. seraient passibles d'une retenue. On a
voulu seulement arrêter la progression de la retenue. Pour exprimer cette
pensée, je crois qu'il faut dire : « En augmentant de 1 p. c. par 1,000 fr.
jusqu'à 23,000 fr. exclusivement ; 23,000 fr. et au-dessus, 25 p. c. » Le reste
comme à l'article.
- Cet amendement est adopté.
Le premier paragraphe de l'article 14 est définitivement adopté avec cet
amendement.
M. le président. - Il a été adopté à l'avant-dernier
paragraphe un amendement consistant à ajouter ces mots : « Les suppléments de
traitement et les salaires. » Je consulte la chambre sur cet amendement.
M.
Rousselle. - Je demanderai à M. le ministre s'il entre
dans ses intentions de faire la retenue sur tous les émoluments et salaires,
même ceux qui ne sont pas encaissés par les fonctionnaires, ou s'il sera fait
déduction des charges qui pèsent sur ces remises et salaires.
M. le président. - Cette interpellation a été faite à
la séance d'hier. M. le ministre y a répondu.
- Le paragraphe est adopté.
« Les retenues pour tes traitements des fonctionnaires civils et
militaires sont échelonnées par douzièmes, du 1er mai 1848 au 1er mai 1849. »
M. le ministre des finances (M. Veydt).
- L'amendement de l'honorable M. Osy ne s'occupe que des traitements qui se
payent par douzièmes. Il en est qui ne se payent que par trimestre ; il en est
de même des pensions. Pour ces traitements et pour les pensions, la retenue
devra se faire par quart. J'ai préparé un amendement en ce sens.
M. de Theux. - Il
suffira de cumuler trois mois.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - S'il est
entendu qu'on retiendra chaque fois trois douzièmes, je ne persisterai pas dans
mon amendement, mais il faudrait comprendre dans l'article les pensions.
M. Malou.
- Je proposerai de supprimer les mots : « pour les traitements des
fonctionnaires civils et militaires », et de dire : « Ces retenues seront
échelonnées par douzièmes du 1er mai 1848 au 1er mai 1849. »
M. de Chimay. - Je crois,
avec la grande majorité de la chambre, que les fonctionnaires doivent être
associés au sacrifice qu'on demande à la nation tout entière.
Mais je me joindrai cette fois encore au gouvernement, pour réclamer
contre l'amendement qui tend à les atteindre d'une manière aussi lourde.
En protestant contre l'amendement, je veux m'élever surtout contre une
tendance qui trop souvent déjà s'est manifestée dans la chambre. On vous l'a
déjà dit, messieurs, craignez d'arriver de réduction en réduction à rétablir au
profit de la fortune une espèce de privilège, alors que nos lois, nos mœurs,
d'accord avec le temps, le combattent partout. Je ne m'étendrai pas davantage.
J'espère que la chambre appréciera le sentiment qui me guide et qu'elle s'y
associera en réduisant la retenue exorbitante imposée aux fonctionnaires par
l'amendement de M. Delfosse.
M.
le ministre des travaux publics (Frère-Orban). -
Messieurs, le ministère s'est abstenu sur la question qui vient d’être indiquée
par l'honorable prince de Chimay. Mon honorable collègue, M. le ministre de
l'intérieur, vous en a dit les motifs. Nous ne pouvons pas, en ce qui concerne
les membres du cabinet, nous associer à une demande de réduction dans la
quotité qui a été votée. Le cabinet maintient au contraire la résolution qui a
été prise. Libre à la chambre de prendre telle résolution qu'elle trouvera bon
à l'égard des autres fonctionnaires publics.
M. Le
Hon. - Comme l'honorable préopinant, je pense qu'en élevant
jusqu'à 25 p. c. la progression des retenues sur les traitements des
fonctionnaires publics, on leur a imposé une part excessive dans l'emprunt. En
présence de la grande majorité qui s'était prononcée hier, j'avais renoncé à
soulever de nouveau la question au second vote de cet amendement ; mais je
n'hésite pas à me joindre à l'orateur qui m'a précédé pour en appeler à vos
réflexions et à votre justice.
Assurément, tout le monde, dans les circonstances graves au milieu
desquelles se trouve la Belgique et quelle que soit la sécurité qu'inspire (page 1444) le libéralisme si large de
nos institutions, doit payer son tribut aux embarras de la situation et aux
besoins urgents du trésor. Je ne doute même pas que les fonctionnaires,, plus
que personne, ne sentent la nécessité des sacrifices, et plusieurs déjà ont
donné l'exemple d'une participation volontaire à l'emprunt.
Mais, n'oublions pas que, précisément parce que nous voulons introduire
dans leurs traitements le système de l'économie, sans blesser néanmoins le
principe démocratique de nos institutions, n'oublions pas que les
fonctionnaires ont aussi des charges comme contribuables. C'est parce que je
n'appartiens à aucune catégorie de ces derniers et que je ne puise ni
traitement ni pension au trésor public, que je crois pouvoir porter un jugement
indépendant et non suspect sur la décision qui peut concilier les intérêts du
trésor avec les vrais principes d'une organisation démocratique.
Vous avez traité hier avec une loyale équité les officiers de l'année.
Je dis que vous avez été équitables et que vous avez fait un acte de bonne
politique ; car ce n'est pas au moment où l'on peut avoir à demander aux
défenseurs de la patrie le tribut du sang, qu'on peut leur enlever les moyens
que le traitement seul leur assure, de faire face aux besoins plus dispendieux
de leur existence.
Mais, messieurs, vous avez procédé tout autrement à l'égard des
fonctionnaires civils ; vous aviez appliqué aux premiers la base
proportionnelle ; aux autres, vous avez appliqué l'échelle progressive.
J'admettrais bien cette différence, pourvu qu'on l'arrêtât au degré où
commencent l'excès et l'injustice. Eh bien, il m'a paru excessivement injuste
d'imposer à des fonctionnaires, dans l'échelle progressive des réductions, le
tribut du quart de leur traitement : on a fait un calcul qu'on a bien voulu me
communiquer et duquel il résulterait qu'un propriétaire foncier, possédant deux
millions de fortune, payerait à peine 200 francs de plus que, par exemple, les
chefs de nos départements ministériels. Vous concevez, messieurs, qu'un
propriétaire adopte le genre d'existence qui lui convient, et, lorsque les
temps sont pénibles, difficiles, il se retranche dans une vie plus modeste : il
n'en est pas de même des premiers fonctionnaires de l'Etat, et je parle ici des
ministres, messieurs, parce que le traitement ministériel appartient à la
position et non à la personne ; qu'il ne leur est pas donné pour en faire ce
qu'ils veulent, et qu'il doit suffire aux besoins de leur situation.
On a cité hier l'indemnité constitutionnelle des membres de la chambre
fondée sur des considérations de haut intérêt démocratique. Il en est de même
du traitement accordé à ceux qui doivent occuper le premier rang dans les
hiérarchies de l'Etat. Je me suis placé aux premiers degrés de l'échelle pour
en défendre les degrés inférieurs. Prenez différentes catégories, celles qui
jouissent d'un traitement excédant 10,000 fr.
En général, ces traitements représentent le capital de 20 et peut-être
de 30 années de travaux. C'est là, un capital aussi respectable et plus
chèrement amassé souvent que la plupart des autres. Nous touchons à une époque
où il faudra faire des réformes radicales dans l'administration ; je serai
autant que personne partisan des économies utiles, intelligentes ; je
demanderai une organisation mieux entendue du travail administratif. Mais cela
ne m'empêche pas de reconnaître que, quand la gêne est partout, elle atteint
également aux qui puisent au trésor public l’indemnité ou le prix des travaux
qu’ils lui consacrent. Je trouve convenable, juste et nécessaire, dans
l'intérêt même de l'administration publique, que les fonctionnaires civils
subissent une retenue sur leurs traitements ; mais je crois en confiance
qu'aller jusqu'à 25 p. c., même à titre de prêt, c'est aller trop loin...
M. le président. - Je ferai observer à l'orateur que ce principe est
définitivement voté.
Un
membre. - On ne l'a pas compris ainsi.
M. le président. - Je regrette qu'on ne prête pas plus d'attention aux
paroles du président ; j'ai demandé si quelqu'un réclamait la parole sur
l'amendement de l'honorable M. Malou ; j'ai fait une double lecture de cet
amendement.
M. Le
Hon. - Je n'ai pas bien compris cet appel : j'entends
dire près de mot que l'article n'a pas été voté.
M. le président. - Pas tout l'article ; voici la
position de la question : les premiers paragraphes de l'article sont votés ; à
l'heure qu'il est, il peut encore être présenté des exceptions au principe qui
a été adopté, on est dans le règlement ; je croyais que M. Le Hon, comme
conséquence de ses prémisses, allait poser des exceptions ; mais du moment
qu'il attaque la règle qui est adoptée définitivement, je dois l'interrompre.
M. Le
Hon. - Pour répondre à la première observation de M. le
président, je dirai que le vote rapide du paragraphe dont je m'occupe a
échappé, en effet, à mon attention, et qu'il me semblait rester en question
jusqu'au vote définitif de l'article. La dernière observation de M. le
président paraît fort juste ; le
principe général ayant été posé, il n'y a plus moyen de le modifier que par
voie d'exception. Je regrette vivement d'être obligé de restreindre à certaine
catégorie de fonctionnaires les justes considérations que j'étendais à toutes
celles que frappait le système de progression au-delà de 10 et de 15 p. c ;
mais puisque j'ai abordé ce sujet, je dirai ma pensée jusqu'au bout. Il faut
savoir mettre sa conviction aux prises avec les préjugés, tant qu'il reste un
devoir à remplir ou une vérité à défendre. Je pense donc que la position des
ministres...
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je supplie
l’honorable M. Le Hon de ne pas faire une proposition pour les ministres ;
cette proposition, nous ne pourrions l'accepter à aucun prix, bien résolus que
nous sommes, tous mes collègues et moi, de nous soumettre, en tout cas, à la
décision qui a été prise dans la séance d'hier.
M. Le
Hon. - C'est dans la pleine indépendance de mes opinions,
non par une étroite et mesquine considération de personnes, mais comme organe et
défenseur d'un grand principe, que je prends la parole dans ce débat, et je
n'accepte pas la protestation de M. le ministre de l'intérieur. Il sera libre
aux ministres de concourir pour la part qui leur conviendra dans l'emprunt qui
est demandé au pays ; cette participation sera plus noble et plus digne quand
elle sera de leur part une offrande volontaire sur l'autel de la patrie.
Et lorsque je parle des ministres, que vos esprits se rassurent et n'en
prennent aucun ombrage ; aujourd'hui, qui peut l'ignorer ? ce n'est pas le
pouvoir d'en haut qu'on flatte et qu'on encense ; la flatterie descend sur la
place publique, et il y a peut-être quelque courage à combattre une erreur
alors qu'elle est populaire. Dans cette question mes sympathies ne sont absolument
pour rien ; je ne défends pas seulement des ministres libéraux ; je le ferais
pour des ministres de toute autre opinion ; je défends la dignité,
l'indépendance du pouvoir. Nous sommes dans les circonstances les plus
difficiles, au milieu de l'ébranlement général de l'Europe. Vous reconnaissez
tous que les traitements des premiers fonctionnaires de l'Etat sont aussi
modérés qu'ils peuvent l'être en Belgique, à moins de rendre les fonctions
ministérielles inaccessibles aux hommes d'élite qui n'ont pas de fortune.
Si vous voulez que la direction des affaires du pays appartienne aux
capacités réelles ; si vous voulez traduire en fait dans le gouvernement de
l'Etat le grand principe de l'égalité politique et sociale, vous maintiendrez
toujours le traitement des chefs de départements ministériels à un taux qui
puisse leur permettre, quand même ils n'auraient pas une obole de patrimoine,
de représenter honorablement le pays dans tous ses intérêts comme dans toutes
ses relations ; de lui consacrer toute leur aptitude et tout leur dévouement
dans une parfaite indépendance de position,
Il faut que le dernier des Belges, s'il a su réunir les suffrages des
électeurs, l'estime et la confiance de la chambre, puisse s'asseoir avec
honneur au banc ministériel à l'égal des plus favorisés de la fortune. Voilà
comme j'entends l'indépendance des opinions et la consécration de l'égalité
politique.
M.
Manilius. - Ce ne serait pas le dernier des Belges, ce
serait un des premiers.
M. Le Hon. - Je ne classe pas les
Belges par premiers et derniers, et je dirai à l’honorable membre, puisqu'il
sort de la sphère d'idées dans laquelle je me suis placé, que j'ai voulu parler
des hommes qui, s'élevant par le talent et le mérite, malgré les disgrâces de
la fortune, jusqu'aux sommités du pouvoir, devaient nécessairement y trouver
les conditions matérielles de l'indépendance. Et c'est surtout dans les temps
de crise politique qu'il est essentiel de préserver ces hommes, sur qui reposent
les destinées de l'Etat, de toute préoccupation d'intérêts privés comme de tous
embarras de position.
Il ne faut pas qu'elle les frappe de réductions qu'elle ne leur
imposerait pas dans les circonstances ordinaires, et qui pourraient troubler la
tranquillité d'esprit d'hommes éminents et sans fortune.
Je propose donc une exception pour les traitements des chefs de
départements ministériels.
M.
le ministre des travaux publics (Frère-Orban). -
Messieurs, je crois qu'il est beaucoup plus convenable que la chambre ne
revienne pas sur sa décision ; la résolution qui a été prise doit être
maintenue. Il le faut, non seulement parce que nous avons déclaré que notre
part contributive resterait telle qu'elle a été déterminée par la chambre, mais
parce que, placés à la tête de l'administration, nous devons donner l'exemple à
tous les fonctionnaires publics et que si des sacrifices doivent peser sur
d'autres par la volonté de la loi, les mêmes sacrifices doivent peser sur nous,
également par la volonté de la loi. Après notre déclaration et notre vole, nous
ne voulons point paraître acquitter une contribution qui n'aurait de volontaire
que le nom, et moins encore faire un acte d'ostentation. Le sacrifice sera tel
que la législature aura voulu qu'il soit. Pour quelques-uns d'entre nous il
sera dur, pénible, exagéré ; d'autres pourront plus facilement le supporter.
Mais fidèles à cette conviction que le pays doit faire de grands
efforts, que le pays qui n'est certes pas composé de mendiants, peut et doit
acquitter intégralement l'emprunt.
Nous serons heureux si, atteints les premiers et quelques-uns
profondément, par vos résolutions, notre empressement et notre satisfaction à
venir en aide à l'Etat, engagent nos concitoyens à subir, sans murmure, les
conditions pénibles dictées par la rigueur des événements..
Si quelque chose nous a attristés dans ces débats qui se prolongent
depuis tant de jours, c'est qu'au lieu d'entendre quelques-uns de ces mots
énergiques qui relèvent les courages abattus, et enseignent aux nations les
moyens de vaincre les dangers qui les menacent, nos oreilles n'ont été frappées
que de paroles désolées qui font suinter par tous les pores la faiblesse et le
découragement.
(page 1445) Quoi donc, ces
riches provinces qui ont fait, depuis tant de siècles, l'objet de tant de
convoitises, ne pourraient pas, dans un moment suprême, faire un courageux
effort pour leur salut ! Nous croyons que ces provinces seraient mal
conseillées par la faiblesse et par la peur, et qu'on les conduirait
honteusement à leur perte en les conviant à supputer seulement ce qu'il en
coûte pour conserver l'honneur, l'indépendance, la liberté.
Nous croyons qu'il faut plutôt leur apprendre ce
qu'il leur en coûterait pour trois jours de conquête, trois jours de
proconsulat, trois jours de désordre et d'anarchie. (Applaudissements prolongés.) Et bientôt elles comprendront, si déjà
elles ne le savent assez par les souvenirs du passé, que les sacrifices
qu'elles s'imposent ne sont rien en regard des biens précieux qu'il s'agit de
conserver.
Nous continuerons, quant à nous, à rester à la tête de ceux qui doivent
donner des preuves d'énergie, de dévouement et d'abnégation ; nous ferons notre
devoir, et j'ai la ferme espérance que nous ne faillirons pas à la tâche qui
nous a été confiée. (Applaudissements
dans la chambre et dans les tribunes.)
M. Le
Hon. - Tout ce que vient de dire M. le ministre des
travaux publics ne fait que confirmer l'opinion que j'ai toujours eue de son
caractère et de son patriotisme. Ce n'est pas moi qui m'étonnerai qu'un
ministère libéral donne à tous les fonctionnaires l'exemple du désintéressement
et des sacrifices.
Mais ces nobles sentiments ne détruisent pas la base de la proposition
que j'ai faite, je le répète ; je me suis occupé d'une question de principe,
non d'un intérêt de personnes. Cette question a surgi d'un incident du débat, à
l'improviste et à l'insu de ceux qu'elle intéresse.
Je maintiens toutes les considérations que j'ai soumises à la chambre ;
à mon sens, l'exception proposée est dans le véritable esprit du gouvernement
démocratique.
Cependant j'avoue que je ne voudrais pas persister à provoquer un vote
de la chambre sur cette question dans une circonstance où la délicatesse du
cabinet pourrait être blessée.
L'effet de ma motion est produit, je la retire.
- Le dernier paragraphe de l'article 14, et l'ensemble de cet article
sont définitivement adoptés.
Article 15
- L'article 15 est définitivement adopté.
« Art.18. Jusqu'à l'époque qui sera ultérieurement fixée pour son
remboursement, l'emprunt portera intérêt à 5 p. c. à partir du 1er juillet 1848
pour les prêteurs dans les trois premières parties de l'emprunt, et à partir du
Ier octobre suivant pour les prêteurs dans la quatrième. »
M.
Manilius. - Je ferai remarquer que les termes à partir
desquels courent les intérêts avaient été fixés d'après des termes de payement
qui ont été modifiés. Je crois, que si vous maintenez les dates du 1er juillet
et du 1er octobre, il y aura mécompte pour le gouvernement. Ce système
consistant à faire courir les intérêts à partir de deux dates fixes a
d'ailleurs un inconvénient grave : c'est d'offrir une espèce de prime aux
retardataires : en effet, l'intérêt sera le même pour celui qui payera
l’emprunt d’avance et pour celui qui en différera longtemps le payement. Il y
aurait un moyen fort simple d'obvier à cela, moyen qui concilierait les
facilités administratives avec la justice et avec les intérêts du trésor. Ce
serait de dire que l'emprunt portera intérêt à 5 p. c, à partir du premier jour
du trimestre qui suivra le versement. De cette manière, il n'y aura de
préjudice pour personne et il n'y aura pas de bénéfice pour les retardataires.
Comme je n'ai pas encore parlé dans cette discussion, je saisirai cette
occasion pour déclarer, que, quoique j'aie compris les paroles patriotiques que
vient de faire entendre le gouvernement, je me crois obligé de voter contre le
projet de loi, non pas par opposition au cabinet, mais parce que les bases du
projet me paraissent vicieuses. Des particuliers, des sociétés particulières,
ont su indiquer et faire réaliser des bases très praticables ; j'aurais voulu
que le gouvernement les adoptât à son profit.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Je n'ai
pas avec moi l'état que j'ai fait dresser, les calculs que j'ai fait faire pour
établir la proportion des intérêts. Mais la date qui figure dans la loi est
favorable à l'Etat. Je crains d'accepter l'amendement de l'honorable M.
Manilius, parce que je ne sais pas précisément où il nous conduit.
Je crois qu'avec la date qui se trouve dans le projet, l'exécution se
fera parfaitement. Je ne demande qu'une chose, c'est qu'au lieu du 1er octobre,
on mette le 1er novembre, comme cela avait été convenu hier.
M.
Manilius. - Puisque le gouvernement s'oppose à mon
amendement„ je le retire.
- L'article est adopté avec la substitution de la date du 1er novembre à
celle du 1er octobre.
Articles 19 à 21
Les articles 19, 20 et 21 sont définitivement adoptés.
Vote sur l’ensemble du projet
M.
le ministre des travaux publics (Frère-Orban). - Messieurs,
je dois constater, avant qu'on ne passe au vote sur la loi, qu'elle ne fournit
pas intégralement au gouvernement les moyens qui lui sont nécessaires pour
faire face aux dépenses qui ont été votées.
Ces dépenses s'élèvent à 37,153,775 fr. 75 c., déduction faite des huit
premiers douzièmes, à 25, l53,000 fr.
Les 12/12 de la contribution foncière ne pourront produire au maximum,
et en supposant que la rentrée soit intégrale, qu'une somme de 18,359,750 fr.
La contribution personnelle sur les quatre bases, 4,330,000 fr.
Les rentes et créances ont été portées pour 1,500,000 fr., quoique les
dernières évaluations faites par les agents de l'administration ne fassent
présumer de ce chef qu'une recette de 1,300,000 fr.
Les retenues sur les traitements et pensions jusqu'au 1er septembre
ainsi pour quatre mois, ne pourront entrer en ligne que pour 333.333 fr. 33 c.
Ce qui donne une somme de 24,357,381 33 c.
C'est donc une somme inférieure à la dépense votée par la chambre.
C'est, messieurs, persister dans un fâcheux système, qui n'a été qui
trop suivi jusqu'à présent.
Après qu'on a bien et dûment constaté la dépense, après qu'on l'a
discutée, examinée, scrutée, la chambre recule devant la nécessité de donner
les moyens d'y faire face.
La recette est insuffisante, fût-il certain qu'elle rentre en totalité,
c'est un budget extraordinaire que l'on règle en déficit, comme on a eu coutume
jusqu'à présent de faire pour les budgets ordinaires.
On nous dit, messieurs, que diverses dépenses ne seront pas faites dans
l'espace de quatre mois, qu'elles pourront être payées plus tard. Mais que ce
motif ne peut être exécuté, car ceux qui votent les dépensas doivent voter les
recettes, le fait sur lequel on se fonde paraîtra fort incertain ; si vous
voulez bien remarquer que les bons du trésor constituent une dépense qui doit
être acquittée avant le 1er septembre ; que la somme votée au département de
l'intérieur constitue une dépense qui sera également absorbée dans cet espace
de temps ; que la somme votée pour le département de la guerre sera, selon
toute vraisemblance, absorbée intégralement, se payant pour ainsi dire jour par
jour ; que les 9 millions votés au département des travaux publics constituent
9 millions de dettes, à payer par conséquent sur-le-champ ; qu’une grande
partie se trouve même déjà payée ; qu'il ne restera donc disponible que le
dernier crédit voté au département des travaux publics, 5 millions, qu'il peut
se trouver très vote absorbé si les circonstances deviennent surtout plus
difficiles et que d'ailleurs dans cette chambre, la plupart des membres ont
reconnu qu'il était insuffisant, et que la nouvelle législature devrait
pourvoir à ce qui manquerait de ce chef.
La situation est donc telle, messieurs, que je viens de l'indiquer. Elle
impose de nouvelles difficultés, de nouveaux devoirs au gouvernement. Il
essayera, messieurs, de les remplir.
S'il ne peut pas, comme j'en ai la crainte, en face du déficit certain
sur les restes ordinaires, en face de l'éventualité trop probable de la
réceptation dans nos caisses d'une certaine partie de bons du trésor, s'il ne
peut pourvoir à tous les engagements de l'Etat, le pays est désormais averti
que la nouvelle législature pourrait peut-être être appelée à fournir les
moyens de couvrir et les insuffisances prévues et le déficit que je viens de
constater. Du reste, dans l'emploi des fonds mis à ma disposition, je ferai
tout ce qui dépendra de moi pour atténuer les conséquences de cette fâcheuse
éventualité.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de la loi.
91 membres sont présents.
72 adoptent.
10 rejettent.
9 s'abstiennent.
Ont voté l'adoption : MM. Frère-Orban, Gilson, Huveners, Jonet,
Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos. Mast de Vries, Mercier, Moreau,
Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons,
Tielemans, Troye, Vanden Eynde, Van Huffel, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt,
Vilain XIIII, Anspach, Brabant, Bruneau, Cans, Clep, Cogels, d'Anethan,
Dautrebande, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de
Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Denterghem, de Garcia de la Vega, de La
Coste, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Muelenaere,
Desaive, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de
T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, A. Dubus, Dumont, Duroy
de Blicquy, Faignart, Fallon et Liedts.
Ont voté le rejet : MM. Herry-Vispoel, Lys, Manilius, Thienpont, David,
de Clippele, Delehaye, de Meester, d'Hane et Eenens.
Se sont abstenus : MM. Malou, Rousselle, T'Kint de Naeyer, Tremouroux,
Van Cleemputte, Zoude, Bricourt, de Haerne et d'Elhoungne.
M. Malou.
- Messieurs, j’ai exprimé, dans la discussion générale, la conviction qu'il était
possible et même facile de rendre l'emprunt moins onéreux pour les
contribuables. Je persiste à regretter que le cabinet n'ait pas cru pouvoir se
rallier à cette combinaison dont le succès était impossible sans son concours.
D'un autre côté, messieurs, je n'ai pas voulu, par mon vote, porter atteinte à
l'union qui fait la force du pays dans les circonstances actuelles ni émettre
un vote hostile au cabinet qui tient tête à cette situation difficile.
Pour concilier mes convictions intimes avec les exigences de la
situation (page 1446) politique,
je n'avais qu'un parti à prendre, c'était de m'abstenir sur l'ensemble du
projet d'emprunt.
M.
Rousselle. - Je me suis abstenu parce qu'il m'a été
impossible d'assister à la discussion des articles de la loi. Je ne pouvais
voter pour, parce que parmi les articles admis au premier vote et qui n'ont pas
dû être votés de nouveau, il en est auxquels j'aurais désiré voir apporter
quelque amendement qui eût rendu la charge moins lourde pour les contribuables.
Je ne pouvais voter contre, puisque le ministère a déclaré formellement que
tout l'emprunt lui était absolument nécessaire pour assurer les services de
l'Etat, et remplir ses engagements dans les circonstances difficiles où nous
nous trouvons.
M. T’Kint de Naeyer.
- Je reconnais la nécessité de faire face aux engagements de l'Etat et aux
dépenses qui ont été votées, mais je ne puis pas donner mon adhésion au système
que le gouvernement a cru devoir maintenir afin d'y pourvoir.
Par ces motifs, je me suis abstenu.
M. Tremouroux. -
Messieurs, je n'ai pas voté contre la loi parce que le ministère en a fait une
question de cabinet ; je n'ai pas voté pour la loi parce que je préférais le
système de la section centrale.
M.
Van Cleemputte. - Je me suis abstenu, messieurs,
parce que j'aurais voulu qu'on eût adopté soit le système de l'honorable M. Lys
soit tout autre système reposant sur les mêmes principes, sauf à en modifier
l'application.
M. Zoude.
- Messieurs, je n'ai pas voté contre, parce que personnellement je dois
supporter une part des sacrifices qui seront jugés nécessaires pour assurer le
maintien de notre indépendance.
Je n'ai pas voté pour parce que, malgré l'empressement patriotique avec
lequel nos commettants ont acquitté le premier emprunt, j'ai la conviction que,
pour la majeure partie, ils seront dans l'impossibilité de satisfaire aux
exigences de la nouvelle loi.
Nous souffrons chez nous, non seulement quand nos propres industries
éprouvent un temps d'arrêt, mais encore celles de nos voisins. C'est ainsi que
la forgerie périclitant chez nous et qui est embarrassée en France, nous cause,
à raison de cet embarras, un très grand préjudice. En effet, depuis lors, dans
beaucoup de nos localités, la corde de bois n'y vaut guère plus du prix de la
façon, d'où il résulte que nos propriétaires forestiers, qui sont nombreux,
sont tous dans la gêne.
L'industrie ardoisière avait longtemps conservé quelque vie ; elle est
éteinte maintenant qu'elle a été sacrifiée à la France. J'avais réclamé quelque
protection et au moins l'adoption du tarif français ; il m'a été répondu qu'il
fallait s'habituer à souffrir. Eh bien ! le terme de ces souffrances est
arrivé par la mort de cette industrie ; les carrières sont fermées, et les
nombreux ouvriers de Bertrix, Herbeumont et de la Géripont sont congédiés et
auraient été livrés à la misère la plus profonde, si le ministre des travaux
publics, auquel j'en rends grâces, n'avait mis, il y a peu de jours, en
adjudication la route dite des Ardoisières, qui procurera, pour quelque temps
au moins, du pain à cette classe malheureuse.
Notre agriculture n'est pas plus prospère : après la maladie des pommes
de terre et deux années de mauvaise récolte, le pays est épuisé.
On nous sollicite au défrichement des bruyères ; mais l'engrais de nos
bestiaux suffit à peine pour entretenir notre ancienne culture. Pour l'augmenter,
nous aurions besoin d'engrais artificiels ; mais, outre qu'ils sont déjà chers
sur les lieux de fabrication, le prix en est doublé par les frais de transport.
Nous avions demandé une réduction par le chemin de fer, l'Etat n'y eût rien
perdu ; mais on est resté sourd à notre demande.
Le bétail, la seule ressource qui
nous reste, est presque sans valeur, et la France la repousse toujours par un
droit de 55 francs par tête, ce qui fait plus de 30 centimes au kilo, on sait
que l'espèce en est petite et qu'elle a peu de poids.
Ce que je dis de notre malheureux pays n'est que l'expression d'une
triste vérité ; c'est pourquoi j'adjure M. le ministre des finances de vouloir
y alléger le fardeau de l'emprunt ; s'il était exigé avec rigueur, il
comblerait la ruine du pays.
M.
Bricourt. - Messieurs, je ne conteste pas que, dans les
circonstances où nous nous trouvons, et surtout pour donner du travail aux
ouvriers il y avait nécessité de recourir à un emprunt ; mais je persiste à
croire qu'en organisant immédiatement la garde civique, il était possible de
maintenir l'armée sur le pied où elle était avant les événements du 24 février.
La diminution qui en serait résultée dans nos charges, jointe à une économie
sévère dans toutes les administrations et à l'ajournement des dépenses non
urgentes, aurait permis d'alléger considérablement le fardeau de cet emprunt et
peut-être de le restreindre à la retenue sur les traitements et aux créances
hypothécaires. Tels sont les motifs de mon abstention.
M. de
Haerne. - Messieurs, je n'ai pas cru devoir voter pour le
projet de loi, parce qu'en présence de la crise qui afflige tout le pays depuis
trois ans, et les Flandres on particulier, depuis 10 à 12 ans, j'ai pensé
qu'avant de recourir à l'emprunt forcé, il fallait épuiser tous les autres
moyens, et notamment recourir à une plus grande émission de billets de banque.
D'un autre côté, je n'ai pas voulu non plus rejeter le projet de loi,
parce qu'en présence des déclarations faites par le ministère, j'aurais craint
d'émettre un vote hostile au cabinet ; or, si j'ai donné ma confiance au
cabinet, depuis qu'il est aux affaires, je crois devoir lui accorder toute ma
confiance dans les circonstances actuelles.
M.
d'Elhoungne. - J'ai fait connaître les motifs de mon
abstention dans le cours de la discussion.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DES FINANCES
M. le président. - L'article unique du projet de loi
est ainsi conçu :
« Un crédit supplémentaire de 200.000 francs est ouvert au budget du
ministère des finances de l'exercice 1848, pour les frais de fabrication de
monnaie de cuivre.
« Ce crédit sera ajouté à celui de 100,000 francs ouvert à l'article 10
du chapitre premier du budget précité. »
- La discussion est ouverte.
M.
Cogels, rapporteur. - Le projet de loi n'a donné lieu à
aucune objection. Seulement la quatrième section avait émis le vœu que l'on ne
fabriquât pas autant de pièces de dix centimes, pièces fort incommodes et peu
goûtées dans la circulation. D'après le projet de loi, on semblait vouloir
partager la fabrication entre les pièces de 10 et de 5 centimes. La section
centrale, se ralliant à l'avis de la quatrième section, désire que l'on
remplace en grande partie les pièces de dix centimes, par des pièces de 2
centimes, dont le besoin se fait sentir plus particulièrement dans quelques
provinces. Je recommande cette observation à l'attention de M. le ministre.
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Je
remercie l'honorable M. Cogels, de son observation. Dans la note à l'appui du
crédit qui figure dans le budget de 1848, il est seulement question de fabriquer
des pièces de dix et de 5 centimes ; mais dans le projet nouveau, la commission
des monnaies m'a conseillé d'abandonner au gouvernement la faculté de
déterminer quelles pièces il faudra fabriquer.
- Personne ne demandant plus la parole, il est procédé au vote par appel
nominal sur le projet de loi.
Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 86 membres qui ont pris
part au vote. Il sera transmis au sénat.
La chambre s'ajourne à jeudi 27 avril, à 2 heures.
La séance est levée à 2 heures moins un quart.
Séance suivante
(Note du webmaster : les
Annales parlementaires reprennent ensuite sous forme d’« additions »,
trois interventions, sans indication du moment où elles ont été prononcées. Ces
additions sont reprises ci-dessous)
(page 1446) M. le ministre des finances (M. Veydt). - Deux
questions sont à résoudre. D'abord le gouvernement maintient l'exclusion de
deux bases de la contribution personnelle,
On se plaint généralement et avec raison de l'inégalité du taux payé
pour les portes et fenêtres. Dans les villes de premier rang c'est fr. 2-33 ; à
la campagne c'est 84 centimes. Les comparaisons que l'on peut faire d'une
situation à une autre rendent ces inégalités choquantes.
On se plaint aussi de la disposition de la loi de 1822, qui impose
d'après la valeur locative quintuplée le mobilier de tout contribuable qui
sous-loue une partie de la maison qu'il occupe.
Cette disposition surcharge des contribuables qui, pour leur commerce,
sont obligés de s'établir dans les quartiers des villes où les locations sont
chères. Vous vous rappelez, messieurs, la discussion qui s'est engagée à ce
sujet, lors de l'examen du budget des voies et moyens de l'exercice courant.
Pour éviter de faire payer trop à un grand nombre de contribuables, le
gouvernement a proposé de s'en tenir aux première, troisième, cinquième et
sixième bases, c'est-à-dire à la valeur locative, aux foyers, aux domestiques
et aux chevaux. Ces deux dernières bases sont les indices de la fortune dans la
plupart des cas. Le même chiffre sera à peu près atteint. Les bases indiquées
produisent 4,330,000 fr.
Suivant le projet amendé par le gouvernement, la moitié en nombre des
contribuables les plus imposés dans chaque commune payera la totalité de cette
somme, tandis que la section centrale veut la mettre à la charge de
contribuables payant en somme la moitié de la contribution personnelle. D'après
ce système, il pourra arriver que l'emprunt sera fourni, dans une commune, par
un très petit nombre, par deux ou trois, peut-être par un seul contribuable.
Ici l'aggravation serait encore bien plus forte que pour la contribution
foncière ; elle peut avoir pour résultat de conduire plus loin qu'on ne le
voudrait, si loin même qu'il y aurait injustice. C'est-ce qu'il faut éviter, et
c'est aussi ce qu'on évite en s'arrêtant à la proposition formulée par le
gouvernement.
La moitié en somme c'est évidemment une proposition exagérée. Ce serait
encore beaucoup de prendre les deux tiers, mais peut-être arriverait-on alors à
un intermédiaire qui ne présenterait pas tous les inconvénients que j'ai
signalés. En se montrant bienveillant, animé de sollicitude pour les petits, il
faut se garder d'être trop exigeant envers une autre classe de contribuables.
__________________
M. le
ministre des finances (M. Veydt). - Cet
article a pour but de régler des cas qui se présenteront ; il doit être
conservé, en y indiquant les montants qui ont été adoptés aux articles 2 et 7,
c'est-à-dire, les 7/8 de la contribution foncière et les 3/4 de la contribution
personnelle ; c'est l’objet d'un amendement.
M.
de La Coste. - Je conviens, messieurs, que dans toutes les
classes de la société il y a des intérêts compromis ; je conviens que l’industrie
est fortement atteinte ; je conviens que toutes les fortunes, en dehors de la
propriété foncière, sont peut-être plus atteintes qu'elle ; mais, messieurs,
après les charges que nous lui avons imposées par nos votes, il me reste un vœu
à former, c'est que les fortunes qui restent debout à côté de la propriété
foncière, apportent volontairement leur part à l'emprunt dans (page 1447) la même proportion. Nous
avons le droit de compter sur ce gage de patriotisme, et là nous trouverons
sans doute de plus amples ressources que dans le million qu'il s'agit de faire
peser sur les cultivateurs !
Je n'entreprendrai point de combattre l'opinion de M. le ministre des
travaux publics : les talents, la présence d'esprit, l'habitude de la parole
que vous remarquez en lui, et que je n'ai point, rendraient la lutte trop
difficile ; mais, de plus, les réfutations qu'on lui oppose ne paraissent pas
avoir le don de le convaincre ; il semble les regarder comme non avenues, et je
ne ferais que répéter en vain ce que d'autres ont dit mieux que moi.
Mais il y a ici, messieurs, une question qui domine toutes les autres,
c'est la question de bonne foi.
Eh ! messieurs, que s'est-il passé lors de ce premier emprunt si
patriotiquement voté, et dont toute la charge a été supportée par les
propriétaires ? Qu'a dit l'honorable M. d'Elhoungne lorsqu'il est venu en
proposer l'adoption à cette tribune ? Il a dit, messieurs : « Notez bien que la
section centrale ne vous propose d'admettre l'emprunt que parce qu'il frappe
uniquement le propriétaire, et que le fermier, le locataire n'y sont pour rien.
» Messieurs, c'est à cette condition que nous avons admis l’emprunt.
Quelques-uns d'entre nous se seront dit peut-être : « Mais enfin nos baux
sont là, nous verrons s'il y aura lieu de faire usage des conditions qu'ils
renferment. » Mais lorsqu'ils auront eu connaissance de la situation des
campagnes, ils auront dit, j'en suis sûr : « Non, nous ne chercherons pas à
faire usage de ces conditions ; nous en faisons le sacrifice à la paix du pays
! » Et ce sacrifice, le gouvernement refuserait de l'imiter ? Non, messieurs,
je ne puis le croire, et j'espère qu'il n'insistera pas sur le maintien de
cette base de l'emprunt.