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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 5 mars 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1026) M. Van Cutsem fait l'appel nominal à midi trois quarts.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Cutsem présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Simon Brewer, négociant à Liège, né à Eupen (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« La chambre de commerce d'Alost présente des observations contre le projet de répartition des représentants entre les arrondissements de Termonde et d'Alost. »

M. Desmet. - Messieurs, c'est la chambre de commerce d'Alost qui réclame contre le projet de loi présenté par le gouvernement concernant la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs. Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la nouvelle répartition des représentants et de sénateurs.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Coppé, auditeur militaire de la province d'Anvers, demande que son traitement, qui a été réduit par la loi du 19 février 1835, soit rétabli à son chiffre primitif.

M. Veydt. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs propriétaires dans la province de Namur prient la chambre de statuer sur la demande tendant à ce que la chasse à la bécasse soit permise dans les bois jusqu'au 15 avril. »

M. de Garcia. - Une pétition de même nature nous a été adressée hier par des habitants de la province de Liège, et elle a été renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. Je prie la chambre de prendre la même décision pour celle-ci.

- Cette proposition est adoptée.


M. Goblet informe la chambre qu'une indisposition l'empêchera d'assister à la séance d'aujourd'hui et à celle de demain.

Projet de loi sur la fabrication de la monnaie d'or

Second vote des articles

Article premier

M. le président. - L'article premier a été adopté dans les termes suivants :

« Art. 1er. Il sera fabriqué des pièces d'or de 10 et de 25 fr. à concurrence de vingt millions.

Les mots « à concurrence de vingt millions » forment amendement.

M. Sigart. - Dans une précédente séance, j'avais proposé de réduire l'émission à 12 millions. Il était convenu que je serais admis à représenter cet amendement au second vote. Je ne suppose pas que je doive représenter les développements que j'ai déjà donnés à l'appui de cet amendement ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la quantité de vingt millions ne me paraît réellement pas exagérée, eu égard à notre circulation intérieure et à la quantité moyenne, je pourrais dire, de l'or hollandais circulant en Belgique, au remplacement duquel nous devons pourvoir.

La chambre se rappellera que le chiffre primitif était de 25 millions et que ce chiffre avait été admis par la commission de 1846.

Il n'y a réellement aucun danger, dans mon opinion, à admettre le chiffre de 20 millions.

(page 1027) M. Sigart. - Messieurs, le gouvernement ne donne aucune raison pour justifier son chiffre. Dans la discussion, je lui avais demandé des justifications, et M. le ministre n'a pu me répondre que par des conjectures.

Il peut, messieurs, y avoir des inconvénients à fixer un chiffre trop haut, et il ne peut y avoir le moindre inconvénient à fixer trop bas le chiffre de l'émission. De sorte que je ne vois pas les motifs de l'opposition du gouvernement, qui pourrait toujours nous présenter une nouvelle proposition d'émission.

M. Rodenbach. - Il me semble que M. le ministre vient de donner ses motifs. Il nous a dit qu'il s'agissait de faire disparaître l'or étranger qui circule dans le pays. Je pense que ce motif est très concluant. Nous devons faire nos efforts pour que nous ayons de l'or belge et pour que la monnaie étrangère disparaisse du pays.

M. Sigart. - Connaissez-vous la quantité d'or qui circule dans le pays ?

M. Osy. - Messieurs, si l'on avait résolu de fabriquer de l'or dans la proportion établie par la loi de 1816, j'aurais été d'avis qu'il ne fallait mettre aucune limitation dans la loi, parce que nous aurions alors attiré un commerce de matières d'or dans le pays. Mais l'amendement de M. Mercier ayant été adopté, je crois que nous sommes obligés, dans l'intérêt du pays, de limiter le plus possible la fabrication ; de manière que, pour ma part, je me rallie à l'amendement de M. Sigart.

Si cependant, à l'article 3, l'amendement de M. Mercier n'était pas maintenu, et qu'on revînt au chiffre proposé par M. Anspach, alors, comme j'ai eu l'honneur de le dire, il ne faudrait aucune limitation.

Je propose donc à la chambre de ne se prononcer sur la question de la limitation qu'après l'adoption définitive de l'article 3.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

Article 3

La chambre passe à l'article 3 qui a été adopté au premier vote dans les termes suivants :

« Le poids des pièces de 25 fr. sera de 7 grammes 920 6/10 ; celui des pièces de 10 fr., sera de 3 grammes 168 2/10. »

Le gouvernement avait présenté les chiffres de 7 grammes 905 13/100 et de 3 grammes 162 5/100.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, depuis le premier vote de cet article, j'ai examiné de nouveau s'il était possible, aux conditions établies, d'exécuter la loi, de créer en Belgique une monnaie d'or, et de ce nouvel examen est résultée pour moi la conviction que cela n'était pas possible. J'aurai donc l'honneur de proposer à la chambre un chiffre intermédiaire entre celui que j'avais primitivement présenté et celui qui a été adopté au premier vote. Je raisonnerai, pour que le débat soit plus simple, sur le taux d'émission du kilogramme d'or fin.

Mon amendement du 27 février portait le taux d'émission du kilog. d'or fin à 3,513 fr. 88, prenons 5,514 fr. ; l'amendement de l'honorable M. Mercier, adopté au premier vote, fixait le taux d'émission à 3,505 fr. ; je proposerai à la chambre d'adopter le chiffre de 3,509 fr. 25. C'est, come vous le voyez, messieurs, un chiffre très rapproché de la moyenne entre les deux propositions.

J'ai adopté ce chiffre de 3,509 fr. 25 c. pour avoir un certain nombre de pièces en quelques kilog. ; avantage que l'on a cherché à réaliser dans tout le système monétaire ; si ce chiffre était adopté, il en résulterait qu'il y aurait au kilog. 126 pièces et 1/3 et que 379 pièces pèseraient 3 kilog. Le poids de la pièce de 25 fr. serait fixé à 7 gr. 915 56/100 et le poids de la pièce de 10 fr. à 3 gr. 22/100.

Je pense, messieurs, que cette proposition n'est pas de nature à soulever une longue discussion, on a éclairci tous les points et le débat se restreindra dans cette question de fait : dans les conditions où se trouve la Belgique quant aux approvisionnements en métaux précieux, et quant aux changes, est-il possible, à des conditions autres que celles qui sont fixées dans ma proposition, de fabriquer de la monnaie d'or à d'autres époques que dans des moments de crise passagère ?

M. Osy. - Messieurs, je viens combattre le nouvel amendement de M. le ministre des finances, et en même temps celui qui a été adopté au premier vote et qui avait été proposé par l'honorable M. Mercier. Ce dernier amendement n'a été adopté qu'à une majorité d'une voix. Les membres qui ont rejeté la proposition de l'honorable M. Mercier, auraient voulu peut-être adopter celle de l'honorable M. Anspach, qui se rapproche le plus du système de 1816. Aujourd'hui, M. le ministre des finances s'en éloigne de nouveau davantage ; c'est donc contraire au but que la chambre se proposait, il y a deux jours.

Déjà, pour la proposition de l'honorable M. Mercier, nous avons trouvé que lorsque la prime sera à 15 ou au-dessous, on pourra fabriquer. Si je prends même un chiffre plus élevé que celui d'aujourd'hui et que celui de la semaine dernière, il y a encore bénéfice avec l'amendement de l'honorable M. Mercier. La proposition faite aujourd'hui par M. le ministre, établit la prime à 16 francs : certainement la moyenne n'a pas été de 14 francs depuis dix années, et l'on pourrait toujours frapper au détriment du pays.

Je suis persuadé qu'en adoptant le système qui se rapproche le plus de celui de 1816, nous pourrons fabriquer et que nous ferons le moins de tort au pays ; je rejetterai donc et la nouvelle proposition de M. le ministre des finances, et l'amendement qui a été adopté au premier vote ; je donnerai mon adhésion à la proposition qui se rapprochera le plus du système de 1816.

Dans la séance du 2 mars, M. le ministre des finances a parlé d'un mémoire ou d'un rapport fait en 1840 au ministre des finances en France et dans lequel on aurait proposé de porter la valeur du kil. d'or fin à 3,555 fr. 55 c.

Comme cette assertion a pu faire quelque effet sur la chambre, j'ai pris des renseignements, ne pouvant croire que cette proposition pouvait être sérieuse. Je suis persuadé de la bonne foi de M. le ministre, en citant ce fait ; mais ce mémoire est assez long, je suis persuadé qu'il n'a pas pu le lire en entier et qu'il aura été induit en erreur.

Ce rapport, qui porte la date du 5 février 1840, est adressé, non au ministre, mais à une commission instituée par lui ; les auteurs sont MM. Dumas et Colmont, membres de ladite commission.

Ce rapport ne traite que de la fabrication des monnaies en général, de la démonétisation du billon et du cuivre français en particulier.

La question de la valeur relative de l'or à l'argent n'y est pas du tout traitée ; elle devait faire l'objet de la deuxième partie du rapport. Celle-ci n'a pas été publiée.

On trouve seulement sans aucun commentaire un tableau des diverses monnaies, de la pièce de 20 fr. jusqu'à celle de 5 centimes, avec poids, titre, diamètre, etc., et où, en effet la pièce de 20 fr. est portée au poids de 6 grammes 230 milligrammes, ce qui porterait l'or au titre monétaire à 3,200 fr. le kil.

Mais, je le répète, aucune proposition n'est faite, la matière n'est pas traitée, et une lettre de M. Colmont, l'un des auteurs du rapport, en date du 20 février 1846, dit :

« Les recherches faites depuis l'époque où notre mémoire de 1840 a paru, l'ont réduit aujourd'hui à n'être plus qu'une œuvre incomplète. »

L'opinion sur laquelle on s'est appuyé est donc uniquement celle des deux commissaires ; on n'a donné aucune suite au mémoire, et ces membres ont dû reconnaître eux-mêmes en 1846 que c'est une œuvre incomplète ; cet aveu résulte d'une lettre de M. Colmont. Ce mémoire n'a donc pas été suffisamment mûri, et l'argument que M. le ministre a voulu y puiser ne doit donc nullement toucher les membres de la chambre.

M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable M. Osy vient de se prévaloir de l'opinion d'un des deux commissaires nommés par le gouvernement français pour examiner la question des monnaies. J'ai eu l'honneur d'avoir plusieurs conférences avec l'un des deux commissaires, l'homme le plus éminent de France dans les matières chimiques et par conséquent dans les matières qui se rapportent le plus aux questions qui nous occupent en ce moment. Cet honorable savant m'a dit, à diverses reprises, qu'il regardait le système présenté en 1837, par l'honorable M. d'Huart, comme le seul praticable à l'époque où nous étions ; qu'il pouvait servir de modèle à tout système monétaire. Or, le système de l'honorable M. d'Huart allait encore plus loin que celui du projet actuel.

M. Osy. - Pas du tout.

M. Dumortier. - C'est toujours le même principe. Je n'ai pas les chiffres sous les yeux, et chacun de vous sait que pour discuter des chiffres, il faut les avoir devant soi.

Je dis donc que c'est toujours le même principe, présenté par M. d'Huart ou par M. Malou, c'est le principe que M. Dumas approuvait ; c'est qu'il fallait sortir du système de la pièce de 20 fr. Depuis, l'or est devenu beaucoup plus cher qu'il n'était lors de la loi monétaire décrétée sous l'empire.

L'or s'emploie à tant d'usages ; il s'en perd tant dans les usages domestiques ; pour les dorures, les bronzes dorés, les cadres dorés, on emploie l'or, et c'est de l'or perdu.

L'argent ne se perd pas ; si on l'emploie à des objets domestiques, on le retrouve quand on le refond, tandis que vous ne pourriez pas retrouver l'or employé en dorures. Le prix doit donc toujours aller en augmentant. Quel que soit le poids de la pièce de 25 fr., dans peu d'années, il sera supérieur à la réalité ; on ne pourra plus battre de pièces de 25 fr. Il est de l'essence de ce métal d'aller en augmentant de prix, par suite du grand emploi qui s'en fait pour les usages domestiques. J'appuie l'amendement de M. le ministre, car il faut sortir du système de la pièce de 20 fr. de manière à pouvoir fabriquer une monnaie nationale. Quelques personnes s'imaginent, qu'au poids qu'on a adopté on pourrait fondre des guillaumes pour en faire des pièces de 25 fr. avec bénéfice. Je vous ferai remarquer qu'il résulte des tableaux qui nous ont été remis, qu'il n'y aurait que dix francs de bénéfice ; et comme les frais de fabrication s'élèvent à 10 fr., on ne ferait que couvrir les frais de fabrication. Dès lors, vous comprenez que personne ne sera assez mal avisé pour fondre des guillaumes, alors qu'il serait sûr de n'y trouver que les frais de fabrication ; il faut un léger agio pour être sûr d'avoir une monnaie d'or nationale.

C'est dans ce sens que j'appuie la proposition de M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Malou). – Si la chambre se plaçait au point de départ de l'honorable M. Osy, non seulement il faudrait admettre l'amendement de l'honorable M. Anspach, mais s'abstenir de faire une loi. L'honorable préopinant suppose toujours qu'en faisant une monnaie d'or d'un poids relativement inférieur à celui des pièces de 10 florins, nous portons préjudice au pays. S'il en est ainsi, ce n'est pas la peine de faire une loi.

J'ai affirmé, d'après des renseignements positifs qui m'ont été donnés, que la prime renseignée dans les cours de Paris était inférieure à la valeur réelle de l'or. Depuis la dernière discussion, j'ai pris des renseignements nouveaux ; ils n'ont fait que confirmer les premiers. J'ai eu connaissance d'une opération, une seule, il est vrai, où la différence entre (page 1028) le prix réel et la prime cotée était de 4 à 5 fr. par mille. Aujourd'hui la prime étant de 9 à 10 fr. par mille en prenant la différence de 5 fr., on arriverait au prix de 14 à 15 fr. D'ailleurs, veuillez le remarquer, il ne faut pas s'en tenir exclusivement aux faits relatifs au marclié d'or de Paris, qui n'est pas le marché principal en Europe. Il faut se préoccuper plus du marché de Londres.

J'ai démontré dans la première discussion, que, d'après le cours moyen de la livre sterling, pendant dix ans, nous nous serions trouvés, pendant cette période, dans l'impossibilité absolue de frapper de la monnaie d'or. On n'a pas essayé de répondre à ce fait ; on ne pourrait pas y répondre.

Je n'ajouterai qu'un mot sur l'autorité que j'avais puisée dans le mémoire publié en France sur la question des monnaies.

Le ministre des finances avait institué une commission chargée d'examiner les questions relatives à la refonte des monnaies. Cette commission a fait un rapport au ministre ; elle y a joint un rapport de la sous-commission, composée de MM. Dumas et de Colmont.

Je communiquerai très volontiers ce rapport à l'honorable membre ; il le lira avec fruit, quand la discussion sera finie, et il pourra se convaincre que la commission avait adhéré aux vues de ses sous-commissaires.

A la page 59, je trouve : Pour la pièce de 10 francs le poids de trois grammes 125, et pour celle de 20 francs, six grammes 250, soit au titre monétaire 3.200 francs et par kilog. d'or fin 3,555 fr. 55 c. Ce prix a été adopté implicitement par la commission instituée en France, sans soulever ces orages de moralité que nous avons vin surgir ici dans ces derniers débats.

Il y a une différence très grande entre le système que nous proposons et celui qui avait été indiqué en France.

J'ignore si par quelque lettre particulière un des auteurs de ce mémoire a pu revenir sur l'une ou l'autre des opinions qu'il y avait émises. Je voudrais savoir sur quel point M. de Colmont aurait modifié ses idées. Je n'eu ai trouvé aucune trace.

Un dernier mot sur la valeur de la pièce de 25 fr. comparée à la pièce de 10 florins. Il y a à peu près 11 centimes de différence, quant à la valeur intrinsèque.

En se reportant à tous les faits qui se sont passés depuis la loi de 1816, l'on doit reconnaître que cette différence est extrêmement modérée, et qu'a moins de vouloir placer le gouvernement dans l'impossibilité d'exécuter la loi, on ne peut la réduire davantage.

M. Mercier. - Messieurs, chacun de vous sait qu'un système basé sur deux étalons ne peut avoir qu'une existence éphémère ; qu'il est dans la nature des choses qu'après un certain nombre d'années une des deux espèces de monnaies, l'argent, selon les plus grandes probabilités, subsiste seule ; il faudrait lire dans l'avenir pour pouvoir préciser la durée de la coexistence des deux monnaies ; sur ce point il y a nécessairement doute et incertitude dans tous les esprits ; si la valeur de l'or, relativement à celle de l'argent, par des circonstances que nous ne pouvons prévoir, venait à augmenter d'une manière sensible dans l'espace de peu d'années, nous verrions en même temps disparaître notre nouvelle monnaie, qui serait convertie en lingots.

Si un autre fait, peu probable, venait à se produire, savoir l'augmentation relative de l'argent, c'est la monnaie de ce métal qui disparaîtrait de la circulation.

En présence de telles éventualités, on conçoit que personne ne peut avoir d'opinion absolue sur la valeur légale à attribuer à l'or.

Le gouvernement lui-même ne peut fonder ses propositions que sur des probabilités. Le projel présenté par lui était basé sur une valeur légale de fr. 3,527 77, attribuée au kilogramme d'or fin. Les observations faites dans le cours de la discussion lui ont fait adopter spontanément Une valeur de fr. 3,513 88. La chambre a trouvé cette évaluation encore trop élevée ; elle, a dans premier vote, admis le chiffre de fr. 3.565, que j'ai proposé, c'est-à-dire fr. 8 88 au-dessous de celui du gouvernement.

La moyenne des primes, depuis 1837, sur le marché de Paris, d'après les tableaux qui nous ont été remis, et en supposant celle de cette année à 9 par mille, a été de 10 par mille. Je fais observer toutefois que la moyenne pour les années 1844 et 1846 n'est basée que sur 4 mois, les documents que nous avons sous les yeux étant incomplets pour ces deux années. Enfin, pendant les 6 dernières années, la prime a été de fr. 11 1/4 par mille.

Si à la prime cotée il faut ajouter un chiffre quelconque, par exemple, 4 ou 5 fr., je dois avouer qu'avec l'amendement adopté au premier vote, il sera bientôt impossible de fabriquer. (Interruption.)

Je pense, messieurs, qu'en cette matière notre devoir est de chercher la vérité sans aucune autre préoccupation. Je désire sincèrement, quant à moi, qu'on fabrique une monnaie d'or en Belgique, et je ne voudrais pas assumer la responsabilité d'un amendement qui, d'après le nouveau fait qui vient d'être affirmé, pourrait bientôt ne plus permettre cette fabrication.

Du reste, M. le ministre des finances a fait, de son côté, une nouvelle concession, puisqu'il vient de vous faire une proposition intermédiaire qui se rapproche plus de l'amendement adopté par la chambre que du chiffre, déjà réduit, qui est proposé en second lieu.

Nos discussions auront donc, en tout cas, produit un résultat utile.

On a tout à l'heure parlé du projet de 1837 présenté par l'honorable M. d’Huart. L'honorable M. Osy a interrompu un honorable orateur, pour dire qu'il acceptait ce projet. Mais, si cette proposition était bonne, il faut nous reporter, pour la juger, au moment où elle a été soumise à la chambre. Or, messieurs, à cette époque quelle était la prime ? Nous voyons dans le rapport de la commission de 1837 que la prime, en y ajoutant les frais de transport et de fabrication, était de 12 fr. ; c'est-à-dire que la prime réelle était de 6 fr. par mille, les frais de toute espèce étant aussi de 6 par mille. On proposait en 1838 une valeur légale de 3,485 fc ; à quel chiffre se rapporte la prime de 6 fr. par mille ? A celui de 3,475 fr. il y aurait donc dans le chiffre proposé par l'honorable M. d'Huart un excédant de 10 fr. par mille sur le chiffre que faisait ressortir en 1838, la prime des trois années précédentes. Eh bien, si vous acceptez un excédant de 10 fr. sur le chiffre qui se rapporte à la prime des trois dernières années, vous devez admettre un chiffre plus élevé que celui qui a été adopté ; surtout si vous tenez compte de l'augmentation qui doit être ajoutée à la prime ; d'ailleurs, on ne peut nier qu'il y ait en ce moment tendance à la hausse.

J'insiste donc particulièrement sur cette circonstance que nous avions ignorée, et dont il n'a été fait mention que dans la dernière séance ; sur ce fait dont M. le ministre des finances vient de nous entretenir et qui motive sa proposition actuelle ; c'est qu'on ne peut obtenir les quantités d'or suffisantes sur le marché de Paris au taux indiqué pour la prime. Dès lors, il me paraît prudent d'adopter un chiffre un peu plus élevé que celui que j'avais proposé ; quant à moi, je crois devoir me rallier à la proposition intermédiaire que vient de faire M. le ministre des finances, et qui ne présente avec celui qui a été admis au premier vote, qu'une différence de 4 fr. 25 par kilog. d'or fin.

M. Osy. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier, en me répondant, nous a dit que lui aussi il avait eu une conversation avec un des commissaires nommés par le gouvernement français, avec M. Dumas, et que ce savant approuvait complètement le système présenté en 1837 par l'honorable M. d'Huart. Mais l'honorable M. Dumortier n'avait pas devant lui les chiffres ; s'il les avait examinés, il aurait vu que la différence était énorme avec ce qu'on propose aujourd'hui.

M. le ministre des finances (M. Malou). – Le monde a marché.

M. Osy. - Sans doute le monde a marché. Cependant l'or n'a pas extrêmement augmenté de prix ; car, comme vient de le dire l'honorable M. Mercier lui-même, la prime en moyenne a été de 10 fr. pendant les onze dernières années.

Je ne sais véritablement comment M. le ministre peut venir nous dire que si la cote à Paris est de 9 à 10 fr., il faut payer 14 à 15 fr. Messieurs, je crois avoir fait assez d'affaires en matière d'or et d'argent, et je puis vous dire que toujours j'ai acheté plutôt au-dessous de la cote qu'au-dessus.

Je ne conçois réellement pas comment M. le ministre des finances a pu recourir à un pareil argument. Il faudrait donc admettre que les agents de change, qui sont des personnes jurées et nommées par le gouvernement, établissent une fausse cote, une cote qui trompe tout le monde. Mais vous pourriez dire la même chose pour les fonds publics, pour les changes et soutenir que la cote officielle ne signifie plus rien.

Pour ma part, messieurs, je ne puis admettre que ce qui est coté légalement par les agents de change. Or, la cote étant de 9 à 10 fr., je prends le chiffre le plus élevé, celui de 10 fr.

J'ai fait des calculs, messieurs, et j'ai trouvé qu'en achetant avec une prime de 10 fr. 50, et en prenant pour frais de port, perte d'intérêt, non pas 10 fr. mais 15 fr. 50, il resterait encore, avec la proposition de l'honorable M. Mercier, un léger bénéfice à frapper de l'or.

Il y a plus, messieurs, c'est qu'avec la proposition de l'honorable M. Mercier, vous n'avez pas besoin de chercher de l'or à l'étranger ; vous pouvez fondre les guillaumes, et après les frais de fabrication payés, il vous restera un léger bénéfice, un bénéfice d'environ un franc par mille.

Je ne crains donc nullement que la loi ne soit pas exécutée.

Mais pourquoi, messieurs, crois-je devoir insister pour l'adoption de la proposition de M. Anspach ? C'est parce que, comme je l'ai dit, Paris n'est qu'un second marché ; il tire son argent et son or d’autres pays où il y a des mines, ou de pays où il y a beaucoup d'or en circulation ; il les tire de l'Italie, de l'Angleterre et de la Russie. Eh bien, quand nous aurons une grande fabrication, nos banquiers en feront venir des mêmes endroits et éviteront les frais de commission, les frais de courtage et autres. Je suis donc persuadé qu'avec l'amendement de l'honorable M. Anspach, la loi ne sera pas une lettre morte, qu'elle sera exécutée, et qu'avant deux ans, vos 20 millions en or seront fabriqués.

Je le répète, messieurs, je ne comprends pas l'argument dont s’est servi M. le ministre des finances. De 1825 à 1827, j'ai acheté pour environ 50 millions d'or, et je sais très bien comment et à combien je l'achetais. De manière que l'amendement de M. le ministre des finances n'est pas admissible. Je suis fâché qu'il l'ait mis en avant, parce que cela peut effrayer la chambre et l'engager à revenir sur son premier vote, ce qui serait réellement déplorable.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je félicite l'honorable M. Osy d'avoir pu, en 1825 et 1827, acheter pour 20 millions d'or au-dessous de la cote (interruption), ou au chiffre exact de la cote. Je le féliciterais encore s'il pouvait faire cette opération aujourd'hui ; mais il aurait, je le crains, beaucoup de peine à faire une aussi bonne opération.

La cote des fonds publics s'établit à la bourse par des agents de change officiellement chargés de ce soin, mais l'honorable membre doit savoir que la cote des matières d'or et d'argent ne s'établit pas de la même manière et qu'elle n'a pas le même caractère officiel. On m'a assuré que la cote s'établit sur la production des factures de ceux qui ont fait des achats ; or, vous concevez très bien, messieurs, qu'une cote ainsi établie ne (page 1029) peut présenter la même certitude que celle des fonds publics ; ceux qui ont fait des transactions peuvent avoir quelquefois intérêt à produire leurs factures et quelquefois à ne pas les produire. Je n'en dis pas davantage, on comprendra quelles peuvent être les causes d'inexactitude de la cote de Paris en ce qui concerne les métaux précieux.

L'honorable membre se rapporte toujours à des dates fixes ; tout à l'heure c'était à 1825 et 1827 ; plus récemment c'était à la loi de 1816 ; c'était encore à la loi proposée, en 1837, par l'honorable M. d'Huart. Mais, encore une fois, rapportons-nous aux faits actuels : le monde a marché ; l'écart entre les deux valeurs s'est augmenté, et il s'agit, non pas de savoir quelle était la valeur de l'or en 1816, mais quelle elle est aujourd'hui. Or, ce fait me paraît constant, qu'à moins d'avoir une différence suffisante entre le taux d'émission et la valeur moyenne de l'or sur les grands marchés (et Londres est un des grands marchés d'Europe), nous ne pouvons pas, en Belgique, fabriquer de la monnaie d'or.

Il faut tenir compte d'un autre fait. La Belgique, si elle a l'espérance d'avoir un jour un grand commerce d'or et d'argent, n'en a aucun aujourd'hui ; et sous le rapport des changes, elle est dans une position plus défavorable que la France et l'Angleterre. Ce point doit être pris en considération, lorsqu'on fait une loi dont l'exécution est en partie subordonnée à l'état du change avec les pays voisins.

M. de Corswarem. - Messieurs, depuis le premier vote de la loi, j'ai continué à prendre des renseignements sur la valeur réelle du kilog. d'or au moment actuel, et, certes, avec l'amendement qui a été adopté par la chambre, le gouvernement pourrait, en effet, aujourd'hui encore, fabriquer de la monnaie d'or, mais à un bénéfice tellement restreint que la moindre hausse qui surviendrait dans la prime, arrêterait la fabrication. Il serait impossible de refondre aujourd'hui les pièces de 10 florins pour les convertir en monnaie belge ; des orfèvres m'ont assuré qu'ils fondent eux-mêmes aujourd'hui les pièces de 10 florins pour les objets qu'ils livrent au commerce. Ainsi, messieurs, il me paraît que maintenir l'amendement de l'honorable M. Mercier, qui a été adopté au premier vole, ce serait, en quelque sorte, empêcher le gouvernement de fabriquer de l'or, d'autant plus qu'il ne le pourra que d'ici à 6 mois, car il faut nécessairement ce temps avant que les coins ne soient gravés.

Une chose qui m'avait surtout frappé dans la première discussion, c'est l'observation que l'on faisait que sur tous les payements que nous aurions à faire en France avec notre or, nous essuierions une perte ; mais, messieurs, je n'avais pas considéré que l'or dont il s'agit ne sera pas notre seule monnaie, que nous continuerons toujours à avoir la monnaie française que nous avons aujourd'hui.

I s'en écoulera un peu vers la France, mais il en reviendra aussi, et nous ne serions obligés de payer avec notre or que lorsque la dernière pièce française aurait disparu. D'ailleurs, notre Monnaie bat des pièces de cinq francs que l'on accepte fort bien en France.

Je pense donc, messieurs, que je puis, sans aucun inconvénient, me rallier à la proposition que vient de faire M. le ministre des finances, et qui consiste à fixer le taux d'émission du kilogramme d'or fin à 5,509 fr. 25 c.

- La discussion est close.

Il est procédé au vote par appel nominal sur le chiffre proposé par M. le ministre des finances.

63 membres prennent part au vote.

40 adoptent.

23 rejettent.

En conséquence, le chiffre est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Saegher, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Huart, Donny, Dubus (aîné), Dumortier, Eloy de Burdinne, Henot, Kervyn, Lejeune, Lieds, Maertens, Malou, Mercier, Nothomb, Orban, Rodenbach, Scheyven, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Vilain XIIII, Zoude, Brabant, Clep, d'Anethan, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Renesse.

Ont voté le rejet : MM. Desmet, de Tornaco, d'Hoffschmidt, Dumont, Fleussu, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Osy, Pirmez, Sigart, Veydt, Biebuyck, Cans, Castiau, de Baillet, de Bonne, de Brouckere, Delehaye, Delfosse.

L’ensemble de l’article 3 est mis aux voix et adopté.

Article premier

M. le président. - Nous revenons à l'article premier.

L'honorable M. Sigart a proposé de restreindre l'émission à 12 millions au lieu de 20 millions.

- Cet amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.

L'article premier est mis aux voix et définitivement adopté.

Articles 5 et 7

La chambre confirme ensuite successivement les amendements introduits au premier vote dans les articles 5 et 7.

Vote sur l’ensemble du projet

On procède au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet de loi.

62 membres répondent à l'appel nominal.

40 répondent oui.

22 répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Brabant, Clep, d'Anethan, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus. Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Huart, Donny, Dubus (aîné), Dumortier, Eloy de Burdinne, Henot, Kervyn, Lejeune, Liedts. Maertens, Malou, Mercier, Nothomb, Orban, Rodenbach, Scheyven, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Vilain XIIII, Zoude.

Ont répondu non : MM. Biebuyck, Cans, Castiau, de Bonne, de Brouckere, Delehaye, Delfosse, Desmet, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Dumont, Fleussu, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Osy, Pirmez, Sigart et Veydt.

Projet de loi modifiant le tarif des droits de douanes

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, le Roi m'a chargé de présenter à vos délibérations un projet de loi destiné à porter quelques modifications au tarif des douanes.

Le but de ce projet de loi est d'abord de faire ratifier par la loi l’arrêté du 29 juillet 1845, qui ne l'a pas encore été et que chacun de vous connaît.

Le projet renferme encore quelques autres changements peu importants au tarif des douanes ; il tend à réduire des droits trop élevés sur des matières premières, ainsi que des droits de sortie inutiles sur des objets, manufacturés.

La loi a enfin pour but de faire cesser certaines anomalies qui existent encore dans notre tarif de douanes, et à y apporter quelques autres modifications jugées nécessaires.

Messieurs, comme ce projet de loi devra être discuté dans le cours de la présente session, et comme il n'a principalement pour objet que de sanctionner des mesures qui sont déjà en vigueur depuis le mois de juillet 1845, je demanderai à la chambre de vouloir bien renvoyer le projet à l'examen de la commission permanente d'industrie, avec invitation de faire un prompt rapport.

M. le président. - Le projet de loi sera imprimé et distribué ainsi que l’exposé des motifs qui l'accompagne. La chambre vient d’entendre la proposition de M. le ministre des affaires étrangères.

M. Delfosse. Je demande qu'on attende l'impression et la distribution des pièces, avant de statuer sur la proposition de M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ne m'y oppose pas.

- La chambre se réserve de statuer sur le mode d'examen du projet de loi, après l'impression et la distribution des pièces.

Projet de loi qui dispense les boursiers belges de l'université de Bologne d'une partie des examens universitaires

Dépôt

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, le sieur Jean Jacobs avait établi près de l'université de Bologne des fondations de bourses d'une grande importance. Depuis la dernière loi sur le haut enseignement, les jeunes gens belges qui étudient à cette université ne peuvent plus profiter de leurs études ; il faut qu'ils subissent les mêmes examens que s'ils n'avaient pas étudié auprès de l'université à laquelle sont affichées les fondations de bourses. Le conseil communal de Bruxelles s'est vivement intéressé au maintien des effets de cette fondation.

Nous avons cru qu'il y avait un moyen terme à prendre : c'était d'assimiler ces jeunes gens aux docteurs étrangers qui demandent à pratiquer en Belgique. Le gouvernement peut autoriser ces étrangers à pratiquer dans le pays, moyennant un avis favorable du jury, qui s'assurerait de leurs connaissances ; seulement on a statué qu'il y aurait à passer un examen sur les matières qui ne sont pas enseignées à l'université, de Bologne.

Le projet de loi est ainsi conçu : (Nous publierons ce projet de loi)

- Il est donné acte à M. le ministre, de la présentation du projet loi dont il vient de donner lecture. Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués aux membres.

La chambre en renvoie l'examen à une commission formée par le bureau.

M. Dumortier. - Messieurs, le gouvernement vient de présenter un projet de loi, dans un intérêt que nous comprenons tous ; il s’agit de faire cesser un état de choses qui place les jeunes gens de notre pays, qui vont, au moyen de bourses, étudier à l'université de Bologne, dans la même condition que s'ils n'avaient pas eu de bourses.

Mais il est une autre classe de jeunes gens qui a droit à votre sollicitude, qui sont plus nombreux et plus lésés encore. Je demande au gouvernement s'il s'occupe de la question qui les concerne, je veux parler des jeunes gens qui s'adonnent à l'étude de la médecine.

Avec le programme actuel des examens et l'exagération des matières abstraites qu'il comporte, il leur est presque impossible de pouvoir obtenir le diplôme de docteur. Si ma mémoire n'est pas infidèle, sur 120 jeunes gens qui se sont présentés pour la candidature en sciences, 9 seulement ont pu être reçus, les autres ont été écartés. Il résulte de là qu'il y a une entrave réelle à l'exercice de l'art de guérir, et «que si on n’y prend garde, dans peu d'années, le nombre des médecins sera tellement diminué en Belgique, qu'il ne suffira plus. (Interruption.) Je crois qu’il en est beaucoup qui, après avoir ri de l'ait de guérir, se sont trouvés heureux de pouvoir y recourir.

Il y a un vice considérable dans la législation actuelle, puisque les jeunes gens qui se destinent à cette profession se trouvent pour les 9/10 écartés par les examens préparatoires et n'arrivent pas même aux examens relatifs à leur spécialité.

Je demanderai à M. le ministre s'il n'a pas jeté les yeux sur ces inconvénients et s'il ne se propose pas de présenter un projet de loi pour y porter remède.

(page 1030) Puisque nous allons apporter une modification à la loi sur l’enseignement, modification que j'appuie du reste, puisque j'en reconnais la nécessité, je demande s'il n'est pas nécessaire d'examiner en même temps cette question qui est extrêmement grave et qui intéresse à si haut point les jeunes gens qui se destinent aux sciences médicales.

M. Lebeau. - Je viens joindre mes recommandations à celles de l'honorable M. Dumortier. Nous avions été précédés dans des observations de ce genre par l'honorable M. Fleussu, qui leur avait donné des développements très étendus et très bien motivés. Je sais combien peu de jeunes gens qui avaient suivi avec la plus grande assiduité les leçons de l'université ont pu être admis par le jury.

Je ne veux pas en tirer la conséquence que le jury se serait montré trop sévère ; je pense qu'il n'a fait que remplir sa mission, exécuter la loi. La faute en est à la multiplicité des matières enseignées, et parmi lesquelles il en est dont il serait bien difficile de trouver le lien qui les rattache tantôt au droit, tantôt à la médecine. Il y a une superfétation qui empêche beaucoup de jeunes gens qui se sont livrés consciencieusement à leurs études d'arriver au grade de docteur ; on expose les plus zélés à altérer leur santé par des études au-dessus de leurs forces.

Je joins mes observations à celles de l'honorable M. Dumortier et de l'honorable M. Fleussu, pour appeler l'attention sérieuse de M. le ministre de l'intérieur sur le mal qu'on lui signale et dont tout le inonde reconnaît l'existence et la gravité.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - La chambre aura compris qu'il s'agit ici de deux ordres d'idées tout à fait différentes. Le projet que nous venons de vous présenter est d'une simplicité extrême, tandis que la question qu'on soulève est très grave, elle se rattache à une modification importante à apporter à la loi sur le haut enseignement. J'ai déjà dit que cette question serait examinée avec attention ; déjà on s'en est occupé, mais chacun comprendra qu'il serait dérisoire d'en saisir la chambre dans la session actuelle ; il faut attendre une autre session ; nous avons pour la session actuelle des travaux trop importants, trop urgents et en trop grand nombre, pour pouvoir songer à les augmenter encore.

Projet de loi établissant une nouvelle répartition des représentants et des sénateurs

Discussion générale

M. Lebeau. - Messieurs, le principe du projet de loi, c'est-à-dire la nécessité de mettre en rapport la représentation nationale avec la population du royaume, constatée par le recensement qui vient de s'opérer, n'a été contestée par personne ni dans les sections, ni dans la section centrale.

Il est dès lors inutile de démontrer, ce qui serait facile, que ce projet ne fait qu'obéir au vœu de la Constitution, ainsi que la chambre l'a d'ailleurs déclaré dans sa dernière adresse.

La répartition des représentants et des sénateurs est faite, dit l'auteur du projet de loi, d'après les bases adoptées en 1831, par le Congrès national ; le projet assigne à chaque province et à chacun de ses arrondissements le nombre de représentants et de sénateurs auquel sa population lui donne droit.

Il y a toutefois une modification importante apportée par le projet au système actuellement en vigueur, c'est la suppression des alternats, introduits par le décret du 3 mars 1831, système généralement condamné, et que personne n'a soutenu ni dans les sections ni dans la section centrale. Une seule exception, commandée en quelque sorte par une force majeure, a été proposée par le gouvernement et admise par les sections pour un sénateur, entre les arrondissements de Namur et de Philippeville.

« Lorsque, dit le projet, dans une province ou dans un arrondissement, il y a excédant de population pour le nombre de sénateurs qui lui est attribué, la compensation est établie en lui attribuant un représentant en plus, bien que la population n'atteigne point le chiffre strictement voulu ; et réciproquement, lorsqu'il y a excédent de population pour le nombre de représentants attribué à une province ou à un arrondissement, la compensation est établie en lui attribuant un sénateur de plus ; le Congrès national en a agi de même en votant le tableau annexé au décret du 3 mars 1831. »

Le projet de loi ne renvoyant pas à la loi de 1839, qui a modifié, en suite du traité avec la Hollande, la représentation du Limbourg et du Luxembourg, et cette loi étant d'ailleurs d'une nature tout exceptionnelle, nous n'avons pas eu à nous en occuper. L'auteur du projet de loi invoque seulement la législation de 1831.

Selon nous, il a complètement perdu de vue le système de répartition consacré par le décret du 3 mars 1831. A noire avis, ce système ne repose nullement sur le principe de la compensation, du chef des excédants de population entre les provinces ou les districts, mais sur le principe de la préférence à accorder aux excédants les plus élevés, et du droit reconnu à ces excédants de profiter des excédants inférieurs.

Ce principe n'a été tempéré dans son application que par le système des alternats. Or, le système des alternats étant condamné par le projet de loi nouveau, le principe de la préférence attribuée par le décret du Congrès aux excédants les plus élevés doit s'appliquer désormais avec plus de rigueur qu'en 1831.

Nous remarquons d'abord que, même en 1831, le système des alternats a été proscrit sans exception pour les provinces ; que la préférence à accorder entre elles pour l'attribution des représentants et des sénateurs qui restaient à répartir, après avoir donné à chaque province et à chaque district autant de représentants et de sénateurs qu'ils avaient de fois 40,000 et 80,000 habitants, a été uniquement déterminée par la supériorité numérique des fractions excédantes sans aucune idée de compensation.

La simple reproduction des chiffres qui figurent dans les tableaux de répartition annexés au décret de 1831, établit, selon moi, ce fait à l'évidence.

Ayant eu le dessein de déposer un projet de loi sur la matière, dessein auquel je n'ai renoncé qu'en présence de rengagement solennel pris dans le dernier discours de la Couronne, je m'étais livré à quelques recherches que je demande à la chambre la permission de lui soumettre. J'ai fait imprimer et distribuer à l'avance les tableaux annexés à mon discours, et je prie la chambre d'y suivre les déductions que je vais tirer des chiffres que ces tableaux renferment.

Il y avait en 1831 à répartir entre les provinces, à raison de la population présumée de 4,080,000 habitants, 102 représentants et 51 sénateurs. Voici comme on devait naturellement procéder et comme on a procédé en effet.

On a dû d'abord donner à chaque province autant de représentants qu'elle avait de fois 40,000 habitants ; ainsi Anvers, pour 352,748 habitants, a eu d'abord huit représentants, ce qui répond à huit fois 40,000 habitants, soit 320,000 habitants ; fraction excédante 32,748 habitants, et ainsi de suite pour les autres provinces. (Voir tableau n°l, col. 2, 3 et 4.)

Après ce premier travail, qui classait 97 représentants, on a, par un second travail, procédé à la répartition des cinq représentants qui devaient porter le nombre total à 102, et on les a, en général, accordés aux provinces dont les fractions inférieures à 40,000 habitants se rapprochaient le plus de ce chiffre. (Voir tableau n° 1, col. 5 et 6.)

On a procédé de même pour la répartition des 51 sénateurs entre les provinces. On a dû d'abord donner à chaque province autant de sénateurs qu'elle avait de fois 80,000 habitants. Ainsi, Anvers pour 352,748 habitants a dû recevoir d'abord 4 sénateurs, ce qui répond à 4 fois 80,000 habitants, soit 320,000 habitants ; fraction excédante 32,748 habitants ; et ainsi de suite pour les autres provinces. (Voir tableau n° 2, colonnes 1 et 2.)

Après ce premier travail qui classait 46 sénateurs, on a, par un second travail, procédé à la répartition des 5 sénateurs qui devaient porter le nombre total à 51, et on les a attribués sans exception aux provinces dont les fractions, inférieures à 80,000 habitants, se rapprochaient le plus de ce chiffre. (Voir tableau n° 2, col. 2 et 3.)

Il est donc vrai de dire qu'entre les provinces la préférence à accorder aux fractions les plus fortes et d'abord négligées, soit pour les représentants, soit pour les sénateurs, est la règle suivie en 1831 ; qu'on n'y trouve nulle trace d'un système de compensation, et que si la province de Limbourg a obtenu un représentant qui appartient à la Flandre orientale (voir le tableau n° 2, col. observations), c'a été le résultat d'une erreur ou bien l'effet d'une de ces causes dont, à propos d'une autre province, parlait M. Jottrand dans la séance du 21 février 1831, lorsqu'il attribuait un résultat analogue à l'activité toute particulière de MM. les députés de la province favorisée, pour faire valoir leurs intérêts.

Voici encore un incident qui semble prouver que c'est par hasard et nullement par l'application d'une règle quelconque que le Limbourg a eu le représentant auquel il n'avait pas droit et qu'on lui avait d'abord refusé.

Séance du 19 février : « M. Ch. de Brouckere propose, pour concilier toutes les opinions, de donner un sénateur de plus à Liège, un député de plus au Luxembourg et un députe de plus au Limbourg. Ainsi, il y aurait 102 députés et 51 sénateurs. »

C'est donc à tort, semble-t-il, que dans l'exposé des motifs de la loi actuelle, on dit que le Congrès, en votant le tableau annexé au décret du 3 mars 1831,a suivi un système de compensation entre les provinces ; que lorsqu'il y a un excédant de population pour le nombre de sénateurs qui a été attribué à l'une d'elles, la compensation s'est établie en lui attribuant un représentant en plus, bien que la population n'atteignit point le nombre strictement voulu ; et que réciproquement, lorsqu'il y a un excédant de population pour le nombre de représentants attribué à une province, la compensation s'est établie en lui attribuant un sénateur en plus. Les tableaux auxquels nous renvoyons excluent ce prétendu système de compensation, que le congrès n'a pas même appliqué, comme c'était assurément le cas, pour la Flandre orientale, injustement dépouillée d'un représentant, sans compensation du chef d'un sénateur.

Voyons si, pour la sous-répartition entre les districts, on a suivi d'autres règles. Remarquons d'abord qu'il ne faut comparer entre eux que les districts de chaque province, et non le district d'une province avec le district d'une autre province. En un mot, les districts sont, quant à leur province, pour la sous-répartition, ce que les provinces sont au royaume pour la répartition. Chaque province ayant obtenu par un premier travail son chiffre dans la répartition générale, procède à la sous-répartition entre ses districts, sans avoir à s'occuper de ce qui se passe ailleurs, sans avoir à s'enquérir des résultats qu'amènent les convenances des autres provinces. Remarquons, en outre, qu'il a été introduit en 1831, pour la sous-répartition entre les districts, un principe admis dans quelques provinces, repoussé dans quelques autres, et qui n’avait pas trouvé place dans la répartition entre les provinces elles-mêmes. C'est celui de l'alternat ; et remarquons enfin que ce système est repoussé par le projet de loi actuel.

(page 1031) Appliquons aux districts le mode de procéder suivi pour les provinces en 1831, et jetons pour cela les yeux sur les tableaux n°3 et 4. La province d'Anvers avait à répartir neuf représentants et quatre sénateurs. Le district d'Anvers, pour une population de 169,748 habitants, devait tout d'abord avoir quatre représentants pour quatre fois 40,000 habitants, soit 160,000 habitants ; fraction excédante, 9,748 habitants ; Malines, pour 95,000 habitants, devait avoir deux représentants, pour deux fois 40,000 habitants ; fraction excédante, 15,000 habitants ; Turnhout, pour 88,000 habitants, devait avoir deux représentants, pour deux fois 40,000 habitants ; fraction excédante, 8,000 habitants ; et ainsi de suite pour les districts des autres provinces. (Voir tableau n°3, col. 2, 3 et 4.)

Le projet de loi actuel est donc, comme le décret du 3 mars 1831, fondé, tant en ce qui regarde le district qu'en ce qui concerne la province, sur la préférence à donner, pour les représentants et les sénateurs qui restent à répartir après la première distribution basée sur la quotité de 40,000 et de 80,000 habitants, aux fractions les plus élevées qui subsistent après l'épuisement de ces quotités et sur le droit qu'ont ces fractions d'absorber la fraction inférieure.

Cette règle n'est pas atténuée, comme dans le décret de 1831, par le système d'alternat, puisque ce système est proscrit par le nouveau projet pour la sous-répartition des représentants, et n'est plus admis que dans un seul cas, pour la sous-répartition des sénateurs entre Namur et Philippeville.

Nous n'aurions donc qu'à voter sans discussion ce projet, si nous n'y trouvions deux dérogations dont nous avons vainement cherché la cause et les motifs. Ces dérogations s'appliquent aux arrondissements d'Alost et de Termonde, de Liège et de Verviers.

Si nous les signalons et si nous croyons devoir les combattre avec plusieurs de vos sections et la minorité de la section centrale, ce n'est pas qu'elles aient, à nos yeux, une grande valeur pratique. Nous ne sommes pas de ceux qu'on a justement appelés maximi in minimis, minimi in maximis. A ceux-là peut-être, si ces deux dérogations sont le fruit d'une arrière-pensée et non d'une erreur, doivent s'appliquer de telles qualifications.

Nous combattons ces dérogations au système du projet, parce qu'elles ne nous semblent fondées sur rien. Dans l'exposé des motifs, il n'en est pas dit un mot, et dans le rapport de la section centrale, il n'y a pas, selon nous, un argument propre à les justifier.

La répartition par province, tant pour les représentants que pour les sénateurs, s'est opérée, dans le projet en discussion, d'après les principes admis en 1831. Recourez au rapport de la section centrale, page 4, vous y verrez d'abord, pour une première opération consistant à donner autant de représentants que chaque province compte de fois 40,000 habitants, une répartition de 104 membres. Les quatre qui restent à répartir pour arriver à 108, sont donnés :

1° Au Hainaut, dont la fraction excédante est de 35,796 habitants.

2° A la Flandre orientale, 31,616 habitants.

3° Au Luxembourg, 26,394 habitants.

4° Au Limbourg, 25,913 habitants.

La province de Namur (la cinquième en rang) et les autres provinces n'obtiennent rien, quoique la province de Namur compte un excédant supérieur à la moitié du chiffre nécessaire à un représentant, cet excédent étant de 25,430 habitants ; ce qui lui donne, en quantité centésimale (voir page 7 du projet de loi), 6,58 pour 6 représentants, quand le Limbourg, pour 4,64, en obtient 5 (voir id.) ; et cela est parfaitement juste, la règle générale étant maintenue.

Le projet actuel dit (page 1), comme nous l'avons déjà fait remarquer, que lorsqu'il y a excédant de population pour le nombre de représentants attribué à une province, la compensation est établie en lui attribuant un sénateur en plus, bien que la population n'atteigne point le chiffre strictement voulu. Nous voyons ici la province de Namur avoir 25,430 habitants, c'est-à-dire plus de la moitié du chiffre nécessaire pour un droit absolu à un représentant, et ne pas obtenir ce représentant ; et d'autre part, comme pour ses 263,430 habitants, elle n'obtient que 5 sénateurs, ces mêmes 23,430 habitants ne sont pas non plus représentés au sénat ? Que devient ainsi le prétendu système de compensation ?

Voulez-vous un autre exemple, plus frappant encore, de l'absence d'un système de compensation ? Passez aux pages 12 et 13 du projet de loi ; vous y verrez Malines recevoir d'abord, pour une population de 116,215 habitants : 1° Deux députés, pour deux fois 40,000 habitants, soit 80,000 ; plus un député de complément pour 76,215 habitants. De ce chef, il a bien son compte assurément. Or, cela ne l'empêche pas de recevoir pour cette même population deux sénateurs, c'est-à-dire un sénateur pour 36,215 habitants.

Voyons maintenant (mêmes pages), ce qui se passe pour Turnhout. Sa population est de 100,466 habitants. On lui attribue pour cela deux représentants, ce qui lui laisse un excédant de 20,466 habitants, supérieur par conséquent à la moitié du chiffre qui donne le droit absolu à un représentant.

Puis on lui donne un sénateur, ce qui lui laisse le même excédant de 20,466 habitants.

Ainsi Malines obtient un sénateur pour 36,215 habitants, soit en fraction centésimale 0,44, après avoir obtenu un représentant pour le même chiffre de 36,215, tandis que Turnhout, qui n'obtient pour le sénat que son compte rigoureux, n'obtient pas même de représentant pour 20,466 habitants, soit en fraction centésimale 0,51.

En d'autres termes, Malines a, et bien au-delà, toute sa population représentée à la fois à la chambre des représentants et au sénat, tandis que Turnhout a 20,466 habitants qui ne sont représentés ni à cette chambre, ni au sénat.

Ces apparentes anomalies se justifient très bien d'après la règle générale du projet de loi ; la préférence à accorder aux fractions les plus élevées est le droit d'absorber les fractions inférieures ; mais si, à ce système, on substitue un principe de compensation, n'est-il pas vrai que c'est le cas ou jamais de l'appliquer à Turnhout ? C'est donc grandement à tort qu'on présente ce principe comme celui du projet en discussion.

Parcourez-le tout entier ce projet, et vous y trouverez la même manière d'opérer : toujours la préférence est accordée à la fraction la plus élevée, soit pour les représentants, soit pour les sénateurs, aux districts comme aux provinces, sans la moindre trace d'un système de compensation. Deux exceptions, deux seulement sont faites au principe général : l'une s'applique aux districts d'Alost et de Termonde, l'autre aux districts de Liège et de Verviers. L'exposé des motifs ne dit pas un mot pour justifier ces exceptions, qu'on est d'abord tenté de regarder comme de simples erreurs.

Voulant rendre plus sensibles les dérogations indiquées, nous renvoyons pour chacune des répartitions de ces deux provinces, aux tableaux n°5 et 6, analogues à ceux qui nous ont servi à mettre en évidence le système de 1831.

Pour justifier le système, on a dit, dans quelques sections et en section centrale, que si Termonde et Verviers n'obtenaient pas chacun un troisième représentant, le premier de ces districts aurait 16,848 habitants, le second 20,143 habitants, qui ne seraient représentés ni à la chambre des représentants, ni au sénat ; tandis qu'Alost a, il est vrai, dans le système du projet de loi, 18,211 habitants non représentés à la chambre des représentants ; mais il obtient en compensation un sénateur pour 58,214 habitants ; et, tandis que Liége, de son côté, a, il est vrai, dans le même système, 23,121 habitants non représentés à la chambre des représentants ; mais il obtient en compensation un sénateur pour 63,121 habitants. En sorte, qu'au moins dans l'une des deux chambres tous les habitants des districts d'Alost et de Liège sont représentés, tandis que cet avantage manquerait à Termonde et à Verviers.

Voilà l'objection résumée, croyons-nous, dans toute sa force. Nous ne méconnaissons pas ce qu'elle a de valeur, et c'est pour y répondre en grande partie, que la législation de 1831 avait admis l'alternat, comme un tempérament de la règle absolue de la préférence accordée aux fractions les plus élevées.

Mais d'abord le système de l'alternat est écarté par tout le monde. Ensuite si le système présenté pour Termonde et Verviers doit être admis, il faut bouleverser et remanier tout le projet de loi, car des provinces et des districts ont les mêmes réclamations à faire entendre, les mêmes droits à revendiquer, et l'on ne pourrait les écarter sans tomber dans l'arbitraire, sans violer toute règle d'impartialité.

N'avons-nous pas vu la province de Namur n'obtenir nulle représentation, soit dans cette chambre, soit au sénat, pour 23,430 habitants, tandis que la Flandre orientale obtient d'abord un représentant pour 31,616 habitants et un sénateur pour 71,616 habitants ? Ce qui lui donne, au contraire de la province de Namur, la représentation de toute sa population et au-delà dans les deux chambres ?

Et si nous passons aux districts, que voyons-nous ?

1°Turnhout n'avoir ni représentant ni sénateur pour 20,466 habitants, tandis que Malines a un représentant et un sénateur pour 36,215 habitants. (V. projet de loi, p. 12 et 13).

2° Ath n'avoir ni représentant ni sénateur pour 13,079 habitants, tandis que Soignies obtient un représentant pour 16,549 habitants, bien qu'il n'ait au-dessus du chiffre nécessaire à son sénateur que 16,549 habitants, ce qui fait que toute sa population est représentée, au moins dans l'une des deux chambres. Ne voyons-nous pas un résultat analogue en rapprochant le même district d’Ath de celui de Tournay, à qui il manque 19,388 habitants pour avoir un droit absolu à un représentant et à un sénateur, et qui cependant reçoit l'un et l'autre ? (Voir projet de loi, p. 14 et 15.).

Et pourquoi tous ces résultats que nous admettons sans difficulté ? Uniquement parce qu'ils dérivent de l'application d'une règle rigoureuse, mais juste au fond, en ce qu'elle est mathématique et exclut tout arbitraire : La préférence accordée aux fractions les plus élevées, et le droit d'absorber les fractions inférieures, règle qui est celle du projet de loi, à laquelle on ne déroge que dans deux cas, sans qu'on donne, selon nous., un motif fondé à l'appui de cette déviation.

Peut-être, et comme souvent cela arrive, la véritable raison est-elle précisément celle qu'on ne dit pas. Au nombre des conjectures que nous avons entendu émettre sur ces anomalies, il en est une à laquelle, faute de mieux, on est tenté de s'arrêter : c'est que par ces dérogations on offre quelque chance à un candidat qu'on désire, et qu'on en ôte quelques-unes, à un candidat qu'on redoute.

Je suis donc amené à présenter un amendement pour maintenir intacte la règle adoptée par le projet de loi, et pour écarter deux dérogations qui ne me paraissent nullement motivées. Quoi qu'il en soit des conjectures que j'ai présentées sur les causes de ces anomalies, je déclare que la politique n'a nulle part à ma proposition, et que je la fais beaucoup plus en homme blessé par la violation d'une loi mathématique, qu'eut homme préoccupé d'une combinaison électorale, peu digne, d'ailleurs, par sa valeur pratique, des développements auxquels je me suis livré.

(Suit le tableau annoncé par le député, non repris dans la présente version numérisée).

(page 1039) M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Vous aurez remarqué, messieurs, que les critiques de l'honorable membre portent sur la répartition des représentants dans deux districts seulement : celui de Liège d'une part, celui d'Alost d'autre part, qui suivant l'honorable membre se trouvent lésés. Il ne voit dans le projet du gouvernement qu'un moyen occulte, que le désir de favoriser quelques candidats, ou d'en écarter d'autres.

Pour moi, je déclare que je pourrais faire à l'honorable membre le même reproche, et dire que son amendement n'est fondé que sur le désir de favoriser tel ou tel candidat, d'écarter tel ou tel autre candidat ; car, j'ai vis-à-vis de l'honorable membre les mêmes droits qu'il peut avoir vis-à-vis de moi.

Mais élevons-nous à des considérations un peu plus élevées, laissons de côté ce système d'insinuations qui ne reposent sur rien.

Nous disons que la proposition du gouvernement repose sur les principes de la justice distributive, que l'honorable membre méconnaît complètement dans son amendement. Nous disons qu'un seul et même district ne peut être favorisé tout à la fois dans sa représentation à la chambre des représentants et au sénat, lorsqu'il se trouve en concurrence avec un district de la même province, qui serait lésé à la fois dans sa représentation à la chambre et au sénat.

Voilà le vrai principe ; c'est celui de l'équité ; c'est le seul auquel on doive s'arrêter.

L'honorable membre est entré dans une foule de calculs pour démontrer que, si le projet du gouvernement était admis, il faudrait établir pour une infinité de districts le système qu'il a admis pour ceux d'Alost ci de Liège. Il n'a pas été à même de prouver cette assertion.

Il me serait impossible de le suivre dans les calculs auxquels il s'est livré. Mais j'espère que son discours sera inséré dans le Moniteur de demain. Quand j'y aurai lu ses calculs, je m'engage à répondre à chacun d'eux, parce que j'ai la conviction intime qu'ils ne reposent pas sur une base exacte.

Lorsque j'ai appris que, dans une ou deux sections, on avait élevé l'objection qu'a faite l'honorable membre, j'ai communiqué à un des membres de la section centrale un tableau qui comprend toutes les fractions de population pour la chambre des représentants et pour le sénat de province à province, et de district à district dans chacune des provinces.

Je regrette que ce tableau ne soit pas imprimé à la suite du rapport de la section centrale. Ce sera la meilleure réponse au tableau qu'a fait imprimer l'honorable membre et qui est beaucoup moins complet que celui que j'ai préparé à l'appui du projet de loi, et que je ferai imprimer aujourd'hui même.

Je regrette encore que l'honorable membre qui nous annonce qu'il avait p réparé depuis si longtemps un projet de loi sur la répartition des représentants et des sénateurs, ait attendu le jour de la discussion pour faire imprimer un tableau qui doit servir de base à la présentation de son amendement.

Il m'est impossible de comprendre à la première vue le tableau de l'honorable membre ; je ne l'ai eu entre les mains que pendant quelques minutes, et j'ai été constamment occupé d'autre chose ; il m'a donc été impossible d'en saisir les détails.

Je remarque que partout où il y a eu, en 1831, des excédants ou des déficit de population, pour les représentants et les sénateurs, lorsque ces excédants ou les différences en moins sont considérables, le système des compensations se trouve établi.

Ainsi, par exemple, pour le district de Malines, je trouve en moins pour la chambre des représentants 25,000 âmes ; je trouve en plus pour le sénat 15,000 âmes.

Pour le district de Courtray, je trouve en plus pour la chambre de représentants 20,352 âmes et en moins pour le sénat 19,148 âmes.

Pour les districts d'Alost, de Saint-Nicolas et d'Audenarde, je trouve encore une grande différence en plus d'un côté et en moins de l'autre.

Partout ailleurs, je trouve des différences infiniment moindres, lorsqu'elles sont de même nature pour les deux chambres.

D'où je conclus que le congrès a eu égard à ces différences, lorsqu'il a assigné à ces districts tel nombre de représentants et tel nombre de sénateurs.

Je ne trouve aucun fait qui puisse justifier les assertions de l'honorable préopinant. Je dirai d'ailleurs que la répartition du congrès ayant eu lieu simplement en fait et non pas d'après des règles posées par une loi, cette répartition ne nous lierait pas, si nous reconnaissions aujourd'hui qu'il est de toute justice que les districts qui ont un excédant de représentation à la chambre doivent avoir moins de représentation au sénat, et réciproquement.

C'est là un principe de justice qu'on ne peut pas contester,

Je ne suivrai pas l'honorable membre dans ses développements, parce qu'il est impossible de répondre à un discours fondé uniquement sur des chiffres, lorsqu'on n'a pas ces chiffres sous les yeux.

M. Lebeau. - M. le ministre de l'intérieur a presque eu l'air de me reprocher de n« pas avoir communiqué plus tôt le tableau duquel j'ai argumenté. Je ferai remarquer que je n'étais pas même obligé de le déposer. Le dépôt que j'en ai fait avant de parler est sans doute dans mon intérêt, puisqu'il facilite l'intelligence de mon argumentation en particulier, et la discussion en général ; mais c'est un acte de déférence auquel je n'étais pas tenu. On n'est pas tenu de fournir une partie de son discours avant même qu'on le prononce.

Loin de moi l'idée de prendre M. le ministre de l'intérieur ou aucun de mes adversaires par surprise. Je crois qu'il y a plusieurs membres inscrits dans la discussion générale ; ils envisageront sans doute la question sous d'autres faces. La chambre n'aura donc pas à statuer aujourd'hui sur mon amendement. Quand même j'aurais la certitude qu'il serait adopté, je ne voudrais pas que la chambre votât aujourd'hui.

M. Castiau. - Messieurs, ainsi que l'honorable orateur qui vient d'ouvrir la discussion, j'adopterai le principe qui a inspiré le projet qui vous est présenté. J'ai si rarement l'occasion de voter, dans cette enceinte, en faveur des propositions ministérielles, que je saisirais cette fois, avec un véritable empressement, l'occasion de donner un vote approbatif à la loi, si je n'avais des scrupules, et des scrupules assez graves, sur l'article additionnel présenté par la section centrale, qui tend à limiter la durée du mandat des nouveaux membres du parlement. J'y reviendrai plus tard, et je désire que des explications satisfaisantes me permettent de donner à la loi un vote favorable.

Cependant, malgré tout le désir que j'éprouve de vous prouver, en cette occurrence, que je ne suis pas ici pour faire de l'opposition systématique, je ne puis m'empêcher de vous dire que je ne me fais pas illusion sur l'importance et le résultat de ce projet de loi. Je le trouve incomplet ; je le trouve insuffisant ; je le trouve illogique surtout ; je trouve qu'il se place à côté de la question, qu'il la prend à rebours et n'en examine que la face la moins importante ; en un mot, renversant l'ordre logique des idées et des faits, il commence l'œuvre de la réforme par où il aurait dû l'achever.

Que vient-on vous proposer ? De mettre la représentation nationale en rapport avec la population du pays. On trouve qu'il est juste d'augmenter le nombre des représentants parce que la population a suivi une marche rapidement ascensionnelle.

Mais s'il est juste d'augmenter le nombre des représentants parce que la population du pays est augmentée, il est bien plus juste encore d'augmenter le nombre des électeurs, suivant la loi de progression de la population.

S'il est logique d'augmenter le nombre des mandataires, parce que la population a augmenté, il est bien plus logique encore d'augmenter le nombre des mandants, des véritables dépositaires de la souveraineté nationale.

C'est donc, messieurs, la question de réforme électorale qui devait ici dominer le débat. En augmentant le chiffre des représentants, il fallait nécessairement augmenter le chiffre des électeurs, et qu'il me soit permis de le déclarer franchement, cette dernière réforme eût été bien autrement intéressante que la réforme indiquée, plutôt que réalisée, par le projet de loi en discussion.

Que m'importe, en effet, l'augmentation du nombre des représentants ? Que m'importe que la chambre, au lieu d'être composée de 95 membres, soit à l'avenir composée de 108 membres ?

Si la législature n'est pas la représentation du droit de tous, si elle n'est en définitive que la représentation du privilège de quelques-uns, n'est-il pas vrai que cette augmentation des membres des chambres, loin d'être un bienfait, comme on le suppose, pourrait devenir une charge et même un danger ?

Une charge ! car vos nouveaux députés recevront également l'indemnité, qui retombera à la charge des contribuables.

Un danger ! car plus vous augmentez le nombre des membres de la chambre, plus vous affaiblissez la responsabilité ; elle s'énerve évidemment en la répartissant sur un nombre plus considérable de têtes.

Mais ce qui importe à la chambre, au pouvoir, au pays, messieurs, c'est que le corps électoral soit mis en harmonie avec l'importance de la population ; c'est qu'il représente toutes les classes, tous les besoins, tous les intérêts, toutes les opinions ; c'est que le corps électoral sorte ainsi des entrailles du pays, et réalise dans toute sa vérité le gouvernement représentatif, qui est le gouvernement du pays par le pays.

Or, messieurs, votre corps électoral a-t-il suivi cette marche progressive ? Est-il en rapport avec ces développements de la population ? Et ce n'est pas seulement la population qui s'est développée, c'est encore, il faut le reconnaître, l'intelligence politique, l'éducation publique, qui fait d'immenses progrès depuis dix-sept ans, et qui est descendue maintenant dans tous les rangs de la société. Est-il, je ne dirai pas une seule ville, mais un seul village ou un hameau qui ne se passionne aujourd'hui pour les intérêts politiques qui nous agitent et nous divisent ?

Eh bien, je vous le demande de nouveau, votre corps électoral a-t-il suivi ce développement de la population, des intérêts et des idées ? Non, messieurs, il est resté parfaitement stationnaire ; et même, s'il faut en croire la statistique, au lieu de grandir, il aurait été en décroissant. Pour vous en convaincre, j'ouvre le traité de statistique générale de M. Heuschling, que je rapproche du recensement qui vient de se terminer.

Suivant ce recensement, le nombre des électeurs ne serait aujourd'hui que de 45,384. Or, en 1842, suivant le travail, en quelque sorte officiel, de M. Heuschling, ce nombre était de 49,313. Ainsi le corps électoral aurait perdu en quelques années quelques milliers de ses membres.

Quoi qu'il en soit, messieurs, je prends le chiffre tel qu'il nous est donné par la section centrale. Vous avez 45,000 électeurs sur une population de 4,535,000 habitants. Messieurs, je vous demande, et je m'adresse ici à vos intelligences et à vos consciences tout à la fois, croyez-vous que ce nombre d'électeurs soit en harmonie avec les exigences du gouvernement représentatif ? N'oubliez pas que ce gouvernement repose (page 1040) tout entier sur le corps électoral et que, suivant l'organisation de ce corps, il peut devenir une vérité ou rester un mensonge.

Le gouvernement représentatif, dit-on, c'est le gouvernement des majorités ; la majorité, c'est la loi suprême de ce gouvernement. Eh bien, est-ce la majorité qui est admise à vos comices électoraux ? Non, c'est une population de 45,000 électeurs seulement ; c'est donc la minorité et une infime minorité qui jouit seule des droits politiques, qui élit, règne et gouverne. Un électeur sur 90 habitants, je pense, voilà le beau idéal de notre régime électoral !

Votre corps électoral ne représente pas la majorité ; représente-t-il davantage tous les intérêts sociaux, ces immenses intérêts dont je n'ai pas à présenter ici l’énumération, intérêts matériels, intellectuels et moraux, intérêts du travail, de l'intelligence et de la science ? Non, il ne représente qu'un intérêt, l'intérêt de la propriété. Tout ce qui ne paye pas le cens est frappé de mort politique, et le plus grand, le plus vivace de tous les intérêts sociaux, l'intérêt du travail, du travail qui est la source de la richesse publique, l'intérêt des travailleurs n'est pas encore parvenu à obtenir dans ce pays le droit de cité.

Votre corps électoral représente-t-il toutes les classes de la société ? Je viens de vous en rappeler le chiffre. Il ne représente que l'aisance, la propriété et la richesse. Les classes les plus nombreuses et les plus faibles, celles, au contraire, qui auraient le plus besoin de défenseurs et de représentants, sont rejetées complètement en dehors de la protection du droit commun.

Votre corps électoral représente-t-tl du moins toutes les opinions ?

Les opinions stationnaires ? Oui. Les opinions qui rêvent l'immobilité sociale ? Oui encore. Mais les opinions d'avenir, les opinions jeunes, ardentes, progressives, sont-elles représentées dans les collèges électoraux ? Eh ! mon Dieu, pour résoudre cette question, veuillez jeter les regards sur cette chambre, qui est formée à l'image du corps électoral. Loin de moi la pensée de lui déplaire et de l'offenser au moment où elle m'écoute avec une bienveillance dont je ne puis assez la remercier ; qu'elle pardonne seulement à la franchise de mon langage.

Demandons-nous, la main sur la conscience, si la chambre elle-même est la représentation de ces opinions jeunes, ardentes, progressives, si elle représente enfin la jeunesse, la vigueur, l'espérance et l'avenir ? (Interruption.)

Vos rires, messieurs, me répondent. Non, nous ne représentons ni le progrès, ni la jeunesse, ni l'avenir. Il faut bien l'avouer, disons-le tout, bas, tous nous avons atteint l'âge de la maturité. Quelques-uns même l'ont dépassé et touchent aux limites de la vieillesse. Et, en vérité, si l'on vous présentait aujourd'hui la statistique de la chambre, si une main indiscrète voulait rassembler tous nos actes de naissance et calculer traîtreusement l'ensemble des âges de tous les membres de la chambre, savez-vous ce que nous représenterions ? J'en suis effrayé, mais nous représenterions ni plus ni moins que cinquante siècles. (Nouvelle interruption.)

M. Lebeau. - C'est plus que les pyramides d'Egypte.

M. Castiau. - Oui, ainsi que le fait observer l'honorable M. Lebeau, c'est plus que les pyramides d'Egypte, et malheureusement ces cinquante siècles ne représentent pas cinquante siècles de gloire parlementaire.

Vous voyez, messieurs, qu'en prenant l'âge collectif de ses membres, la chambre pourrait être presque la contemporaine du commencement du monde et cependant nous ne sommes que 95 dans cette enceinte !

Ai-je tort, messieurs, de dire que la chambre touche à la vieillesse, et si elle me le permettait, je dirais presque à la décrépitude ?

Je crois donc vous l'avoir démontré, votre système électoral ne repose pas sur la majorité, mais sur la minorité. Il ne représente ni toutes les classes, ni tous les intérêts ni tous les droits. Il est élevé tout entier sur le cens, c'est-à-dire sur le privilège du petit nombre au lieu de l'être sur le droit de tous.

Eh bien, ce privilège électoral, on a trouvé moyen de le rendre plus désastreux encore en le compliquant de nouveaux privilèges, en créant des distinctions et des catégories nouvelles, à l'aide du cens différentiel.

Vous savez, en effet, messieurs, que tandis qu'on élevait le cens des villes au chiffre exorbitant de 80 florins, le cens des campagnes s'abaissait jusqu'à 30 et même jusqu'à 20 florins. Ainsi les campagnes étaient mises en possession du privilège d'un triple, d'un quadruple vote en quelque sorte. Inégalité fâcheuse et impolitique surtout, elle avait le malheur de diviser le pays, de créer deux peuples, le peuple des villes et le peuple des campagnes, de les mettre en présence, aux prises presque, de jeter entre nos populations des ferments de division, de discorde, de haine, et si de violents conflits n'ont pas encore éclaté, nous devons en savoir gré surtout à la modération et à la sagesse du caractère national, et au développement de l'intelligence politique des populations rurales.

De telles inégalités et d'aussi choquants privilèges ne pouvaient cependant se passer sans protestations ; aussi ont-elles mis le pays en émoi, il y a précisément dix ans. C'était en 1837. La question de la réforme électorale était alors à l'ordre du jour ; des pétitions arrivaient de toutes parts pour demander l'abaissement du cens électoral. Ces pétitions, que sont-elles devenues ?

Il y a dix ans, il a fallu une année, une année entière à M. le rapporteur, l'honorable M. Dechamps, pour venir vous présenter son rapport.

Le rapport fut fait en 1838 et voilà, messieurs, 9 ans, 9 ans entiers que la chambre semble se préparer dans une sorte de silence et de recueillement, à traiter cette grande question. On ne lui reprochera certes pas trop de précipitation en cette occurrence. Après neuf ans d'attente, le moment n'était-il pas venu de sortir de cette espèce de léthargie politique et d'examiner enfin l'une des questions les plus intéressantes de notre organisation constitutionnelle ? Peut-on, sans inconvenance, continuer plus longtemps ce qui finirait par devenir un déni de justice et la violation du droit de pétition ? Et quelle occasion plus favorable que celle que nous offrait le projet de loi en discussion ? Quant à moi, messieurs, je crois que c'est par cette question qu'il fallait commencer aujourd'hui l'œuvre de la réforme. La réforme électorale devait précéder la réforme parlementaire, et pour obéir à mon devoir, je n'hésiterais pas un seul instant à saisir la chambre d'une proportion formelle à cet égard, si j'avais l'espoir de trouver dans cette assemblée cinq membres, cinq membres seulement qui voulussent signer cette proposition et réclamer avec moi l'abaissement du cens électoral et une large extension du droit de suffrage.

Et croyez-le bien, ce ne serait pas pour le frivole et coupable plaisir d'agiter le pays ; non, ce serait, au contraire, au nom des idées d'ordre et de conservation que je viendrais vous demander l'admission du plus grand nombre possible de citoyens à l'exercice des droits politiques. Pensez-y bien, dans tous les temps, l'ilotisme politique a conduit à la révolte. Il y a du danger à frapper les majorités d'une espèce de mort politique.

N'est-ce pas les rendre indifférentes, hostiles souvent à nos institutions et à nos lois ?

Et ce n'était pas seulement la réforme électorale qui se rattachait au projet de loi que nous discutons ; ce projet touchait à tous les moyens d'améliorer notre régime parlementaire. C'était donc également le moment, ce me semble, de reprendre la proposition destinée à établir l'incompatibilité des fonctions législatives et des fonctions publiques amovibles.

Cette incompatibilité avait été réclamée, messieurs, par l'une des sections. Qu'a fait la section centrale ? Elle s'est contentée de signaler la convenance de cette incompatibilité et d'exprimer le vœu qu'elle se réalisât. Un vœu, voilà tout ce qu'on a pu en obtenir !

Messieurs, exprimer des vœux, adresser des prières, formuler des espérances, c'est très édifiant sans doute, c'est même fort sentimental ; mais ce n'est, en définitive, qu'une sorte de platonisme politique ; mais quand on a le pouvoir en mains, quand on est section centrale, quand on est investi du mandat législatif, on ne se borne pas à faire des vœux, à adresser des prières et à se renfermer dans je ne sais quel sentimentalisme parlementaire. On ne prie pas, on commande. On n'exprime pas des vœux, on intime des ordres, on use du pouvoir, on formule des amendements, on rédige des articles de lois et l'on impose des volontés. Je suis d'autant plus étonné de la position par trop humble prise la section centrale, que son honorable rapporteur est précisément celui qui, dans cette enceinte, en 1838, est venu faire la proposition d'exclure de la chambre les fonctionnaires amovibles, proposition qui fut adoptée, et je le dis à l'honneur de l'assemblée, c'est une des décisions les plus honorables qu'elle ait jamais prises. La chambre désavouerait-elle donc aujourd'hui des précédents aussi honorables !

Ce n'est pas tout encore, messieurs ; car plus on avance dans cet examen d'une réforme parlementaire et électorale, et plus les questions se multiplient et se pressent. Le moment n'était-il pas venu également de se demander s'il ne convenait pas de modifier les circonscriptions électorales, de les étendre et de lutter contre le fractionnement qui énerve, rapetisse et fausse les institutions auxquelles on l'applique ? Ce principe du fractionnement est malheureusement, je le sais, dans les vœux d'une partie de l'assemblée ; mais ce principe n'a-t-il pas été poussé à l'excès dans nos institutions électorales ? Nous avons, en effet, dans chaque province, 5 ou 6 collèges électoraux. Eh bien, c'est là, je le répète, le fractionnement poussé à ses dernières exagérations.

Quelles sont les conséquences, messieurs, de ces idées de fractionnement, de ces institutions de fractionnement ? Le triomphe inévitable des influences locales et l'abandon des intérêts généraux. La Constitution avait prévu que tel serait l'inévitable résultat d'institutions électorales trop morcelées. Pour y parer, elle avait déclaré que les membres ne représentaient pas l'arrondissement qui les nomme, mais qu'ils représentaient les intérêts généraux, les intérêts de toute la nation, qu'ils seraient enfin les représentants du pays tout entier. C'est là, messieurs, une magnifique déclaration de principe, mais malheureusement, il faut bien le reconnaître, ce n'est là qu'une fiction constitutionnelle ; je dis une fiction, pour ne pas manquer à tout ce que les convenances parlementaires et mon respect pour la Constitution m'imposent de réserve.

En théorie, oui, messieurs, nous sommes les représentants du pays, les représentants de la nation ; nous sommes présumés défendre ici les intérêts généraux du pays, rien que les intérêts généraux ; mais, en réalité, avec quel bonheur au contraire, avec quelle ardeur, avec quel amour, on peut le dire, ne défendons-nous pas ici les intérêts locaux, et au détriment souvent de l'intérêt public ? Et, en vérité, je ne me sens pas le courage de nous en faire un crime ; car, enfin, nous sommes les enfants adoptifs, en quelque sorte, de l'arrondissement qui a bien voulu nous accueillir et nous envoyer dans cette enceinte. Eh bien, nous ne pouvons étouffer la voix du sang, le cri de la nature, et c'est toujours les regards tendrement fixés sur le clocher de notre collège électoral que nous prenons part à la discussion et à l'administration des graves intérêts qui nous sont confiés.

Eh bien, messieurs, c'est là un inconvénient immense. Et malheureusement, il n'est pas le seul. Ce ne serait rien que le triomphe des influences (page 1041) locales ; mais nous avons à craindre que, par suite de ce fractionnement électoral, de l'éparpillement de nos forces politiques, nous ne voyions apparaître dans nos collèges électoraux quelque chose de plus redoutable que le triomphe des influences électorales, le triomphe de la corruption politique.

En effet, messieurs, plus le cercle que vous assignez à la corruption est étroit, plus vous avez à craindre que la corruption ne triomphe dans ses manœuvres, dans tous ses moyens d'exploitation. Quand la corruption peut ainsi, en quelques jours, en quelques heures peut-être, parcourir tout un collège électoral, frapper à toutes les portes, circonvenir toutes les consciences, jeter partout ses promesses, ses menaces, ses séductions, comment lui résister ? Je regrette de devoir me jeter dans des prévisions désolantes ; mais en présence de tant d'éléments de corruption, je crains sincèrement que la pureté du caractère national ne reçoive les plus graves atteintes et que nos collèges électoraux ne finissent par se transformer en misérables bourgs pourris.

Hélas ! je n'en ai pas fini encore avec mes tristes prophéties. Voilà la corruption installée dans nos colléges ; eh bien ! déjà, je vois apparaître, à la suite de la corruption politique, quelque chose de plus hideux encore, quelque chose que je n'ose trop nommer, la vénalité. Ne sommes-nous pas, en effet, dans un siècle d'industrialisme, de mercantilisme ? Et dans un tel siècle, tout, absolument tout, convictions, consciences et suffrages, tout finit par devenir métier et marchandise.

Les uns vendront leurs suffrages pour un ruban, d'autres pour des titres, ceux-ci pour des places ; d'autres encore, les nommes les plus positifs, les calculateurs par excellence, eux, mais ils finiront par les offrir, par les vendre à beaux deniers comptants.

Et n'accusez pas d'exagération ces prévisions désolantes. Jetez au contraire, jetez les yeux sur les autres gouvernements constitutionnels et les plus anciens. Que voyez-vous en Angleterre par exemple ? Dans la plupart des districts électoraux anglais le courtage le plus impudent, le plus effréné en matière d'élection ; la vénalité y coule à pleins bords et s'y affiche avec une impudence révoltante. Et en France, dans cette France si poétique et si chevaleresque autrefois, que venez-vous de voir ? Vous avez encore tout palpitant sous les yeux le spectacle des révélations scandaleuses d'un procès d'assises qui vient de se terminer. C'est un député conservateur qui est condamné et flétri pour avoir publiquement tenu boutique et acheté à prix d'argent les suffrages de la majorité d'un j collège électoral. 150,000 fr. ont été dépensés pour séduire je ne sais combien d'électeurs.

Et dans quelle partie de la France ces déplorables, ces hideux excès se passent-ils ? Est-ce dans les grands foyers de corruption et de démoralisation ? Oh ! non, c'est dans un coin obscur du territoire, c'est dans le fond de la basse Bretagne ; c'est dans ce pays qui jusqu'ici était réputé comme le dernier asile des sentiments moraux et religieux, c'est là qu'on a vu le désolant spectacle d'un collège électoral assimilé à un marché aux bestiaux.

Aussi, messieurs, tout le monde sent aujourd'hui qu'il faut en finir avec toutes ces influences délétères. Le mot de réforme, en France, est aujourd'hui dans toutes les bouches. Un membre de la chambre des députés vient d'y présenter une proposition de réforme électorale et de réforme parlementaire. Le but de cette proposition est d'augmenter le nombre des électeurs et de centraliser davantage l'élection.

D'autres sont allés plus loin, et pensent que pour en finir avec le système de fractionnement électoral et toutes les misères qu'il traîne à sa suite, il faut remplacer les élections d'arrondissement par des élections départementales.

D’autres ont poussé le principe de la centralisation parlementaire à ses dernières limites, ils en sont arrivés à demander qu'on remplace le système de fractionnement électoral par le système de l'unité électorale. Dans ce système, les électeurs continueraient à voter au chef-lieu d'arrondissement ; mais il n'y aurait plus qu'un seul et immense scrutin, un scrutin national, et les noms qui sortiraient de ce scrutin universel arriveraient seuls aux honneurs de la députation.

Dans ce système, vous n'auriez plus à craindre toutes ces misères d'influence locale ; vous n'auriez plus à craindre ni vénalité, ni corruption, car on ne peut ni corrompre ni acheter un pays tout entier ; l'on ne trouverait plus, au sein des chambres, que des hommes connus par des services rendus, par leur popularité, leur dévouement, leur capacité ; vous auriez enfin le système représentatif dans toute sa pureté, dans toute sa grandeur, dans toute sa majesté, si je puis m'exprimer ainsi. Vous le comprenez, messieurs, je ne viens pas formuler en proposition une idée de cette portée au sein de cette assemblée ; elle l'effrayerait, elle la soulèverait ; puis, je le reconnais, ce système ne serait pas trop en harmonie avec les principes de notre Constitution ; car la Constitution établit des élections provinciales, et je veux me renfermer dans le cercle des exigences constitutionnelles ; mais je pense qu'en nous renfermant dans le texte et l'esprit de la Constitution, on pourrait déjà améliorer singulièrement notre système électoral, en remplaçant les élections d'arrondissement par des élections provinciales. Et il ne faudrait pas pour cela déplacer les électeurs, les faire voyager à grands frais, pour les entraîner au chef-lieu, et s'exposer ainsi à n'avoir que des minorités pour voter ; on pourrait respecter le statu quo et continuer à recueillir es suffrages au chef-lieu de l'arrondissement qui deviendrait une section du collège provincial. Un mandat émanant de la majorité de tous les électeurs d'une province, aurait, il faut en convenir, un caractère de généralité, d'importance et d'indépendance que n'a pas, il faut le reconnaître, notre modeste mandat de député d'arrondissement. Il nous serait bien plus facile de nous élever de la défense des intérêts provinciaux à la représentation des intérêts généraux.

Voilà quelques-unes des questions (car en vérité je ne les ai pas toutes examinées encore), qui me paraissaient devoir se rattacher au projet de loi en délibération, si on avait voulu en réalité améliorer notre régime |parlementaire. Il n'y a pas à s'endormir, messieurs ; le gouvernement représentatif est sérieusement menacé par tous les éléments de corruption et de mort qui le rongent au cœur. Si vous n'y prenez garde, si vous n'introduisez pas quelques-unes de ces réformes les plus urgentes, si vous ne faites pas disparaître les principaux inconvénients de notre fractionnement électoral, si vous laissez tous vos bancs se couvrir de fonctionnaires et de fonctionnaires amovibles, si surtout vous ne croyez pas. qu'après dix-sept ans d'épreuve, d'expériences et de progrès, le moment soit venu d'élargir quelque peu le cercle de la capacité politique, d'y introduire toutes les forces vives du pays, de faire cesser l'interdit qui pèse sur l'intelligence, d'abaisser le cens, d'appeler à la vie politique un plus grand nombre de citoyens, pour les intéresser ainsi plus fortement à nos institutions représentatives ; si vous n'osez adopter aucune de ces réformes,, oh ! alors je crains bien que vous ne finissiez par n'avoir plus qu'une imitation maladroite, une contrefaçon, passez-moi le mot, une caricature du gouvernement représentatif. Et quand le gouvernement représentatif est ainsi vicié à sa source et dans ses principales institutions, il faut avoir lej courage de le dire : c'est alors le plus mauvais, le plus hypocrite, le plus démoralisateur de tous les gouvernements ; il s'agite dans la honte et dans la boue ; il tombe même au-dessous du gouvernement despotique ; car on ose, sous le patronage des formes menteuses du gouvernement représentatif, ce que n'oserait pas dans sa rudesse le despotisme le plus insolent.

Après ces digressions que je vous prie de me pardonner, puisqu'elles se rattachaient à la question de réforme parlementaire dont nous sommes saisis, je reviens, messieurs, au projet de loi, et je déclare de nouveau que je suis tout disposé à voter son adoption, après qu'on aura levé les scrupules que j'ai sur la constitutionnalité de la disposition de la section centrale qui limite à deux ans le mandat des députés à élire dans les provinces qui n'ont pas à renouveler leurs représentants cette année ; je serai d'autant plus disposé à admettre, dans ce cas, le projet de loi, qu'en posant le problème de la réforme parlementaire, il soulevé l'examen de toutes les questions qui s'y rattachent. C'est un essai trop timide de réforme, mats ce n'en est pas moins un acheminement à des réformes plus décisives. Je les attends des progrès et de la puissance de l'opinion publique.

Si j'ai accueilli avec sympathie la présentation de ce projet de loi, c'est surtout, messieurs, parce que votant de nouveaux représentants et de nouveaux sénateurs des arrondissements qui n'ont pas à procéder cette année au renouvellement du mandat de leurs représentants, il doit entraîner logiquement, nécessairement et constitutionnellement une mesure que j'appelle de tous mes vœux, la dissolution des chambres.

Je dis qu'il doit entraîner constitutionnellement la dissolution des chambres. En effet, comment la section centrale est-elle parvenue à échapper à cette nécessité ? En limitant la durée du mandat. Elle a déclaré que le mandat des nouveaux membres n'aurait pas une durée de plus de deux années. A merveille ! Mais en vous présentant cette disposition, la section centrale me paraît avoir oublié de jeter les yeux sur la disposition de la Constitution qui veut, qui déclare de la manière la plus absolue que les membres de la chambre sont élus pour quatre années. Je sais qu'il y a des exceptions, en cas de mort, de démission et du renouvellement de chambres à la suite de dissolution ; mais toutes ces exceptions résultent de la Constitution ou de la force des choses. La vôtre ne résulte pas de la Constitution ; c'est vous qui la créez et, en l'établissant, vous violez la Constitution qui veut que le mandat de représentant soit de quatre années.

Veuillez donc nous fournir quelques explications sur cette question de constitutionnalité. Le rapport n'en dit pas un seul mot. Je conçois l'intérêt qu'on peut avoir à échapper, en ce moment, à la nécessite d'une dissolution des chambres, mais cet intérêt ne confère pas, ce me semble, le droit de violer la Constitution.

En attendant les explications de la section centrale et de son rapporteur, je dis que si quelques doutes pouvaient exister sur la question de constitutionnalité, il n'y en avait pas sur la convenance, sur l'opportunité, sur la nécessité d'une dissolution dans ce moment. En effet, nom n'avons eu dans ce pays qu'une seule dissolution des chambres, c'est en 1833 ; de sorte que le pays n'a été consulté qu'une fois, qu'une seule fois en 17 ans.

Depuis lors, qu'avez-vous eu des élections partielles ; des élections provinciales qui n'exprimaient pas d'une manière complète la pensée du pays et qui ne la faisaient parvenir dans cette enceinte que par fragments et par lambeaux en quelque sorte.

C'est là, pour moi, une des causes, la cause principale du malaise de notre position politique ; c'est de là que part le divorce qui existe entre le pouvoir et le pays. N'est-il pas de l'intérêt du pouvoir autant que de l'intérêt de l'opposition, de sortir de cette position équivoque et de soumettre enfin au jugement du pays le grand procès qui nous divise ? Par suite de l'espèce de pondération qui existe entre les forces de l'opposition et celles du ministère, n'en sera-t-on pas réduit à se demander bientôt ici où se trouve le pouvoir et ce qu'est devenu le gouvernement ? L'appel au pays donc ! c'est le seul moyen d'en finir avec ces tiraillements (page 1042) d'une position politique trop tendue pour n'être pas hérissée de périls. L'appel au pays ! l'opposition le demande, elle le réclame ; vingt fois elle vous a jeté son défi, bien qu'elle soit seule et désarmée dans la lutte à laquelle elle vous convie. Elle sait qu'elle a contre elle les influences politiques et religieuses les plus redoutables ; elle le sait, et cependant elle n'hésite pas ; elle vous provoque de nouveau, et elle ne vous craint pas, parce qu’elle a pour elle les sympathies du pays et la puissance des principes qu'elle représente. Et vous, que faites-vous ? Vous reculez, vous reculez sans cesse ; vous tremblez d'effroi rien qu'à la pensée de dissoudre les chambres et d'en appeler au pays, au pays tout entier....

Le défi de l'opposition, vous n'oseriez l’accepter. Et cependant, je vous l'ai dit déjà, vous avez dans les mains les ressources immenses que le pouvoir vous livre ; vous possédez mille moyens d'influencer les électeurs et de corrompre les élections ; promesses, places, titres, décorations, séductions, menaces, destitutions, et cette nuée de solliciteurs que vous traînez à votre suite, et l'armée de fonctionnaires dont vous prétendez faire des serfs politiques, et vous n'osez pas accepter la lutte ! Oh ! je comprends ! vous craignez l'ébranlement d'un vaste mouvement électoral et les excitations qu'il donnerait à l'opinion libérale et à l'esprit public ; vous craignez, passez-moi l'expression, d'être écrasés, balayés par les sentiments d'hostilité et de répulsion qui éclateraient à la fois sur la surface du pays tout entier contre vous et votre trop longue domination.

Mais, quoi que vous fassiez, sachez-le bien, vous ne pourrez pas échapper à votre sort ; il faudra que votre destinée s'accomplisse ; la fatalité vous poursuit, vos jours sont comptés, et déjà le pays, qui ne veut plus de vous, se prépare à applaudir à votre chute. Quoi que vous fassiez, vous ne pourrez échapper à l'arrêt fatal ; il faut vous préparer à mourir : il ne vous reste plus qu'à choisir votre genre de mort. Voulez-vous succomber courageusement, loyalement, au milieu des élections générales et sur un champ de bataille aussi vaste qu'honorable ? Ou bien voulez-vous, ainsi qu'on vous l'a dit déjà dans cette enceinte, aller mourir honteusement à l'hôpital des suites des blessures que vous allez recevoir dans les escarmouches des élections partielles ? Voilà la seule et dernière option qui vous reste.

Déjà votre existence politique ne se maintient plus qu'à l'aide d'une sorte de galvanisme ; vous en êtes presque arrivés à l'agonie, et cette agonie, pardonnez à la franchise de mon langage, elle est sans force, sans courage et sans dignité.

Pour conserver le pouvoir quelques jours encore, vous êtes obligés de prendre tous les masques et de jouer tous les rôles. Oui, vous êtes obligés de cacher votre drapeau ; vous êtes obligés de désavouer vos doctrines ; et l'honorable M. de Theux, l'homme immuable, l’homme inflexible par excellence, n'a-t-il pas été le premier à déserter, en vous présentant la loi sur l'enseignement, les principes qu'il avait défendus à l'occasion de la convention de Tournay ?

Et après avoir caché voire drapeau et désavoué vos doctrines, vous êtes encore obligés de répudier vos partisans les plus dévoués ! Vous avez épuisé la série des métamorphoses politiques. Chaque jour vous changez de dénomination, et vous en êtes arrivés au point de ne plus savoir quel nom prendre. Vous n'êtes plus des catholiques politiques ; vous n'êtes plus même des conservateurs ; vous êtes, s'il faut vous en croire, des libéraux modérés ; demain, s'il le faut, vous serez des libéraux avancés, et même, au besoin, vous seriez des radicaux ! Ce que vous voudriez, ce serait de vous cacher honteusement à l'arrière-garde, dans les bagages, en quelque sorte, de l'armée libérale !

Oh ! c'est trop de faiblesse, est trop d'inconséquence, c'est trop d'humiliation, en vérité !

Redevenez hommes et armez-vous de courage un seul jour. Dans votre intérêt, dans l'intérêt de ce grand et puissant parti que vous avez compromis, reprenez, pour quelques instants, la franchise de vos allures et l'indépendance de vos convictions. Osez une dernière fois, dans ce moment suprême, confesser vos convictions et avouer et soutenir vos partisans. Descendez donc enfin dans l'arène, descendez ici fièrement comme les descendants des croisés, la visière haute et la bannière déployée ; vous succomberez sans doute, mais en succombant, vous emporterez l'estime qu'on ne peut refuser à des adversaires quand ils sont hommes de cœur, de courage, de loyauté, de conviction ; vous succomberez ; mais en perdant le pouvoir, vous sauverez quelque chose de plus précieux que le pouvoir ; vous sauverez l'honneur !

M. Clep. - Messieurs, le projet de loi en discussion propose pour les arrondissements de Furnes, de Dîxmude et d'Ostende, la nomination de deux sénateurs, dont l'un serait élu exclusivement par l'arrondissement de Dixmude et l'autre par les arrondissements de Furnes et d'Ostende réunis.

Actuellement ces trois arrondissements élisent un sénateur, et alternativement un autre avec le district d'Ypres. Les élections se font de concert entre les arrondissements.

Si le mode actuel d'élection était changé, comme le propose le projet de loi, il en résulterait que l'influence électorale de Furnes chef-lieu d'un arrondissement judiciaire, et celle d'Ostende se trouveraient amoindries.

Je ne pense pas qu'il y ait des motifs pour changer ce qui existe actuellement à cet égard, et en effet, messieurs, la population de l'arrondissement de Dixmude, qui est aujourd'hui de 46,915 habitants, ne donne pas droit à la nomination d'un membre au sénat, mais bien la population des deux autres arrondissements qui réunis, monte à un chiffre de 74,739 habitants. Ce ne peut donc être que la population des trois arrondissements ensemble, s'élevant à 121,659 habitants qui aura guidé le projet du gouvernement, et par conséquent il serait plus rationnel de faire profiter également les trois arrondissements dans l'augmentation d'un membre pour le sénat.

Quant à l'augmentation de la population depuis 1831 comparée à celle d'aujourd'hui, mais elle s'est accrue dans les mêmes proportions dans les trois arrondissements, puisque à cette dernière époque le chiffre de l'arrondissement électoral de Dixmude était de 43,019, celui de l'arrondissement de Furnes de 28,473, et celui d'Ostende de 36,991 habitants ; ainsi s'il y a une légère différence dans l'augmentation proportionnelle de la population depuis 1831, ce serait en faveur d'Ostende et non en faveur de l'arrondissement de Dixmude.

Si maintenant l'on examine le projet de loi sous le rapport du nombre des électeurs, ici encore les trois arrondissements électoraux se trouvent à peu près sur la même ligne, attendu que celui de Dixmude en compte 498, celui de Furnes 437, et celui d'Ostende 428.

Ainsi donc, comparativement à sa population, l'arrondissement électoral de Furnes compte plus d'électeurs que chacun des deux autres, et il est encore à remarquer que la ville de Furnes est le chef-lieu d'un arrondissement judiciaire.

Dès lors rien depuis 1831 ni aujourd'hui, ne semble justifier dans le projet de loi l'augmentation de l'influence électorale donnée à l'un des trois arrondissements, au préjudice des deux autres.

Ce sont ces considérations qui m'ont déterminé, messieurs, à proposer à la chambre un amendement qui tend au maintien du concours des trois arrondissements de Furnes, de Dixmude et d'Ostende pour l'élection des deux sénateurs.

M. le président. - Il n'y a plus aucun orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Dumortier, rapporteur. - Je désirerais parler le dernier comme rapporteur. Si la chambre veut clore la discussion, je parlerai aujourd'hui. Si, au contraire, la discussion est continuée à demain, je ne prendrai pas maintenant la parole.

M. Le Hon. - Je désirerais parler dans la discussion générale ; mais, comme aujourd'hui je me trouve indisposé, je préférerais ne parler que demain.

M. Dubus (aîné). - On paraît disposé à continuer la discussion à demain. On pourrait utiliser la fin de la séance, en adoptant plusieurs projets de loi qui sont à l’ordre du jour. J'en fais la proposition.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances, pour l'exécution du traité de paix

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

M. le président. « Article unique. Il est ouvert au département des finances, pour faire face au complément des dépenses résultant de l'exécution de l'article 64 du traité du 5 novembre 1842 :

« 1° Un crédit de sept mille huit cents francs (fr. 7,800), qui formera l'article 4 du chapitre VI du budget de ce département pour l'exercice 1845 ;

« 2° Un crédit de six mille francs (fr. 6,000), qui formera l'article unique du chapitre VII du budget du même département pour l'exercice 1845.»

- Cet article est adopté sans discussion par appel nominal à l'unanimité des 60 membres qui prennent part au vote, un membre (M. Delfosse) s'étant abstenu.

Ont pris part au vote : MM. de Saegher, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus (ainé), Dubus (Bernard) Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Rogier, Scheyven, Sigart, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Biebuyck, Brabant, Castiau, Clep, David, de Bonne, de Brouckere, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Lannoy, Delehaye, de Meester, de Mérode, de Renesse, de Roo et Liedts.

M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Delfosse. - Je ne m'attendais pas au vote de ce projet, je n'ai ni relu l'exposé des motifs, ni lu le rapport. Il m'eût donc été impossible de voter en connaissance de cause.

Projet de loi approuvant la convention conclue avec la Société générale, pour les pensions des employés de la forêt de Soignes

Vote de l'article unique

M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :

« Article unique. La convention ci-annexée conclue le 13 janvier 4847, entre le gouvernement et la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale, sortira son plein et entier effet. »

- Personne ne demandant la parole, il est procédé au vote par appel nominal sur le projet.

57 membres répondent à l'appel nominal.

56 votent l'adoption.

1 (M. Delfosse) s'abstient.

En conséquence le projet est adopté ; il sera transmis au sénat.

(page 1043) Ont voté l'adoption : MM. de Saegher, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus (ainé), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Thienpont, Van Cutsem, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Biebuyck, Brabant, Castiau, Clep, David, de Brouckere, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Lannoy, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Renesse, de Roo.

M. le président. - Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Delfosse. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que tout à l'heure.

- La séance est levée à quatre heures.