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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 janvier 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives au notariat (Van
Cutsem, Vilain XIIII), aux droits sur le lin (Desmet), au code disciplinaire de la marine (Loos), au service de la Meuse à Liége (Fleussu)
et à la culture du maïs en Belgique (Osy)
2) Projet de loi relatif au
rang et au mode d’admission et d’avancement des médecins militaires (service de
santé de l’armée)
a) Discussion générale (Prisse, Sigart, Prisse,
(pratique civile) de Brouckere, Prisse,
Pirson, de Garcia, Prisse, (pratique civile, ophtalmie militaire) Brabant, (pratique civile) (de Garcia,
Sigart, de Brouckere)
b) Discussion des articles.
Grades (de Garcia, Prisse, de Brouckere, de Garcia),
conditions d’avancement (de Man d’Attenrode, Prisse, de Man d’Attenrode, Prisse, de Man d’Attenrode, de Garcia, Prisse)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 592) M. A. Dubus fait l’appel
nominal à 1 heure et un quart.
M. de
Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ;
la rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus présente
l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Plusieurs habitants de
Schelle, se plaignant du placement d'une barrière dans cette commune, prient la
chambre de fixer le sens de l'article 3 de la loi du 10 mars 1838 sur la taxe
des barrières. »
- Renvoi à la commission
des pétitions.
_______________
« Le sieur Boudry demande
une loi qui exempte de la production du certificat de milice littera LL celui
qui, après l'âge de 30 ans, veut contracter mariage. »
- Renvoi à la section
centrale chargée d'examiner le projet de loi apportant des modifications aux
lois sur la milice.
_______________
« Plusieurs propriétaires et cultivateurs à
Hal prient la chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des projets de
lois sur l’enseignement agricole, sur l'exercice de la médecine vétérinaire et
sur l'organisation de l'école vétérinaire de l'Etat.
« Même demande de
plusieurs propriétaires et cultivateurs dans les cantons de Puers, Chièvres,
dans les villes de Louvain, Nivelles et dans diverses communes du Limbourg et
du Hainaut. »
- Renvoi aux sections
centrales chargées d'examiner les projets.
_______________
« Les membres du bureau de bienfaisance et du
conseil communal de Longueville demandent un embranchement par Longueville sur
Pietrebais avec la route de Wavre à Huy et la mise en adjudication des travaux
de cette route. »
- Renvoi à la section
centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
_______________
« Les membres de l'administration communale de
Bertrix prient la chambre de rejeter le projet de loi sur le défrichement des
bruyères. »
« Même demande de
plusieurs habitants de Francorchamps. »
- Dépôt sur le bureau
pendant la discussion du projet de loi.
« Les membres de la chambre des notaires
et les autres notaires de l'arrondissement de Courtray prient la chambre de
s'occuper du projet de loi sur le notariat. »
M. Van
Cutsem. - Je demande
que la pétition, que 27 notaires de l'arrondissement de Courtray ont adressée à
la chambre, soit renvoyée à la section centrale chargée de l'examen du projet
de loi sur le notariat.
A cette occasion, je
crois aussi pouvoir demander où en sont les travaux de cette section, et si
bientôt elle pourra nous faire connaître le résultat de ses délibérations.
Les notaires attendent
avec impatience la discussion de cette loi, qui doit placer les uns, si le
projet du gouvernement est adopté, dans une position plus favorable que celle
qu'ils ont aujourd'hui, et qui enlèvera aux autres des privilèges dont ils ont
joui depuis environ un demi-siècle. En face de ces craintes et de ces
espérances, vous comprendrez, messieurs, combien tous ces fonctionnaires sont
désireux de connaître la position que va leur faire la législature. C'est un
devoir pour nous de faire cesser le plus tôt possible cet état d'incertitude.
M. Vilain XIIII. - La section centrale chargée de
l'examen du projet de loi sur le notariat s'est réunie encore aujourd'hui et se
réunira encore de nouveau demain. J'espère qu'à la fin de la semaine elle
pourra faire connaître à la chambre le résultat de son travail.
- Le renvoi à la section
centrale chargée de l'examen du projet est ordonné.
_______________
« Plusieurs habitants de Silly présentent des
observations en faveur de la réforme postale. »
- Renvoi à la section
centrale, qui sera chargée d'examiner le projet de loi qui modifie la
législation sur le régime des postes.
« L’administration communale de Meire demande
que le lin soit prohibé à la sortie, ou tout au moins soumis à des droits
élevés.
« Même demande de
l’administration communale de Kerkxken. »
M. Desmet. - Messieurs, les administrations
communales de Meire et de Kerkxken se plaignent de ce que la récolte du lin
n'ayant pas réussi, et un accaparement de cette matière ayant lieu, les
ouvrières et comités de travail pour les pauvres n'ont plus de matière première.
Messieurs, il est reconnu
que dans plusieurs endroits comme dans le Hainaut, où l'on cultive beaucoup de
lin, il n'y a eu cette année qu'un dixième des produits ordinaires, et que dans
le pays de Waes et dans d'autres contrées de la Flandre, il n'y a eu qu'un
tiers de récolte. On peut donc dire que la récolte a totalement manqué.
Il est aussi connu,
messieurs, qu'il y a accaparement. Les étrangers viennent enlever la matière
première, et il n'en reste plus pour donner du travail aux pauvres.
Lorsque nous avons voté
la loi sur la sortie des étoupes, j'ai demandé à M. le ministre de prendre des
renseignements sur les résultats de la récolte. Je ne sais si M. le ministre
l'a fait ; mais ce que je puis affirmer, c'est que la récolte n'a pas réussi.
Je demande, messieurs,
que les pétitions, dont vous venez d'entendre l'analyse, soient renvoyées à la
commission d'industrie, avec prière de nous faire un très prompt rapport, si
toutefois on ne préfère les renvoyer directement à M. le ministre. L'objet est
vraiment urgent et intéressant.
- Le renvoi à la
commission d'industrie, avec demande d'un prompt rapport, est ordonné.
« Plusieurs armateurs d'Anvers prient la
chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, du projet de code pénal et
disciplinaire pour la marine marchande. »
- Renvoi à la section
centrale qui sera chargée d'examiner le projet.
M. Loos. - Je demanderai que ce projet soit
envoyé en sections, pour qu'il puisse être discuté dans cette session.
Jusqu'ici il n'a pas encore paru dans les sections.
M. le président. - Messieurs les présidents des
sections sont invités à se réunir demain au bureau de la présidence, pour
régler l'ordre des travaux dans les sections. Je leur soumettrai la demande de M. Loos.
M. Loos. - Je demanderai aussi l'insertion de
la pétition au Moniteur.
- Cette proposition est
adoptée.
« Les habitants du quartier du sud de la ville
de Liège demandent la rectification de la Meuse conformément au plan proposé
par M. l'ingénieur Kummer. »
M. Fleussu. - Messieurs, les signataires, très
nombreux, de cette pétition signalent à l'attention de la chambre la position
critique où se trouve tout un quartier de la ville de Liège à raison de sa
proximité de la Meuse. Tous les ans deux ou trois inondations viennent affliger
ce quartier. Les pétitionnaires demandent que le gouvernement veuille bien
porter remède à cet état de choses ; et comme jusqu'à présent le gouvernement
ne fait rien, c'est par l'intervention de la chambre qu'ils désirent voir
adresser leurs vœux au gouvernement. Je proposerai de renvoyer cette pétition à
la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics, et ele la
déposer sur le bureau pendant la discussion de ce budget.
- Cette proposition est
mise aux voix et adoptée.
M. Alex. Mertens fait
hommage à la chambre de plusieurs exemplaires de sa brochure sur la culture du
maïs en Belgique.
- Dépôt à la bibliothèque
et distribution à MM. les membres de la chambre.
M. Osy. – Si je ne me trompe, messieurs, je
crois que M. Mertens ne se borne pas à nous envoyer une brochure, mais qu'il
demande que le gouvernement s'occupe de cet objet. Je voudrais qu'on donnât
lecture de la lettre, et qu'elle fût renvoyée à la commission des pétitions.
M. A.
Dubus donne
lecture de la lettre, qui est ainsi conçue :
« Anvers, le 22
janvier 1847.
« A M. le président
et MM. les membres de la chambre des représentants, à Bruxelles.
« Messieurs,
Le succès avec lequel on
a essayé la culture du maïs en Belgique, m'a engagé à publier quelques lignes
sur cet important article.
« En prenant la
respectueuse liberté de vous en envoyer les exemplaires ci-joints, j'ose vous
prier, en même temps, de vouloir bien examiner s'il ne serait pas utile
d'encourager cette culture, pendant une ou deux années, par une légère prime,
par exemple, de trente francs par hectare, et par la distribution gratuite de
la graine pendant la même période de temps ?
« Veuillez,
messieurs, agréer l'assurance de mon profond respect et de ma considération la
plus distinguée. Votre très humble serviteur,
« Alex. Mertens. »
- La chambre décide que
cette lettre sera renvoyée à la commission des pétitions.
_______________
Par dépêche en date du 22
janvier, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 94 exemplaires d'un
recueil de documents relatifs à la tarification du pain et de la viande de
boucherie et à l'exercice des professions de boulanger et de boucher. »
- Dépôt à la bibliothèque
et distribution aux membres de la chambre.
_______________
M. Delfosse informe la
chambre qu'il est retenu chez lui par une indisposition.
- Pris pour
information.
PROJET DE LOI RELATIF AU RANG ET AU MODE D’AVANCEMENT DES MEDECINS
MILITAIRES
Discussion générale
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet (page 593) de loi relatif au rang et au
mode d'admission et d'avancement des médecins militaires.
Je demanderai à M. le
ministre s'il se rallie aux propositions de la section centrale.
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse). - Monsieur le président, je ne puis me rallier au projet de
la section centrale. Je maintiens le deuxième projet que j'ai eu l'honneur de
présenter. J'ai surtout un motif pour ne pas accepter les propositions de la
section centrale, c'est l'opinion qu'elle a émise sur la pratique civile. Je
demanderai la permission d'attendre que la discussion soit engagée pour
m'expliquer à cet égard.
M.
Sigart, rapporteur. - Messieurs, le gouvernement et la section centrale, après
de graves dissentiments sur plusieurs points, ont fini par se mettre d'accord
sur les dispositions essentielles du projet, sauf la pratique civile, que la
section centrale veut interdire aux médecins militaires. Je crois, messieurs,
que nous ferions bien de remettre la discussion de la proposition de la section
centrale jusqu'à ce que nous soyons arrivés à l'article où elle la formule.
Aussi je n'aurais pas
demandé la parole dans la discussion générale, si je n'avais pas quelques explications
à réclamer de M. le ministre de la guerre.
Les explications que j'ai
à lui demander portent sur un point très délicat, qui n'a été qu'indiqué par la
section centrale ; je veux parler de la discipline dans ses rapports avec les
médecins militaires.
Jusqu'à quel point la
discipline doit-elle lier les médecins militaires ? Quels sont les avantages,
quels sont les inconvénients de la discipline militaire ? Et quels seraient les
moyens de parer à ces inconvénients ?
Pour rendre ma pensée
plus claire, je vous présenterai, messieurs, quelques exemples.
Le colonel d'un régiment
réclame du médecin régimentaire un certificat pour obtenir sa pension, pour
aller aux eaux, pour avoir une dispense d'un service désagréable. Quand le
médecin militaire croit pouvoir donner ce certificat, il n'y a pas de
difficulté ; mais s'il croit devoir le refuser, comment l'abriterez-vous contre
les rancunes de son chef ?
Autre exemple. Dans les
rapports des médecins militaires entre eux, est-ce que les chefs du service de
santé auront le droit d'imposer des doctrines ? Il y a diverses manières de
traiter les maladies. Chaque médecin a la sienne. La meilleure est souvent
celle dont on a le plus l'usage. Est-ce qu'un chef pourra violenter la
conscience scientifique de ses inférieurs ? Est-ce que, par exemple, pour
pousser les suppositions à l'extrême, on pourra ordonner l'homéopathie dans le
premier trimestre d'une année et l'hydrosudopathie dans le second trimestre ? (Interruption.)
J'exagère
à dessein pour montrer que le médecin ne peut pas accepter d'autocrate ; je
n'aime les autocrates d'aucune espèce, mais un autocrate médecin me semblerait
une chose tout à fait intolérable.
Je n'ai pas, je me hâte
de le dire, d'abus à signaler ; tout ce que je veux ; c'est d'obtenir des
garanties pour l'avenir ; déjà j'ai reçu à ce sujet quelques apaisements dans
mes relations privées ; mais je pense qu'il est nécessaire que ces garanties
soient publiques et plus complètes, et je les réclame de M. le ministre de la
guerre.
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, l'honorable M. Sigart a demandé quelques
éclaircissements sur la manière dont la discipline est appliquée dans le
service sanitaire de l'armée ; il s'est particulièrement attaché à deux points
au sujet desquels il désire obtenir des explications. Le premier, c'est le cas
qui pourrait se présenter, où un chef de régiment, et partant le chef des
médecins attachés à ce corps, chercherait à obtenir du médecin du régiment ou
d'un médecin de bataillon un certificat qui lui permît ou de solliciter
l'autorisation d’aller prendre les eaux, ou de demander sa mise à la retraite.
Je crois que dans cette
position le médecin de régiment ou de bataillon conserve et doit conserver
toute liberté d'opinion ; je crois que personne ne peut avoir le droit de lui
en imposer une ; et dans le cas où le chef voudrait abuser d'une autorité qu'il
n'a jamais eue à cet égard, alors il est une autre autorité à laquelle le
médecin de régiment ou de bataillon peut immédiatement avoir recours : c'est
celle des chefs du service de santé.
Le médecin de régiment
peut s'adresser au médecin de garnison, du médecin de garnison il peut arriver
au médecin principal, et du médecin principal à l'inspecteur général s'il y a
lieu, et dans tous les cas, quand un officier supérieur demande sa pension, ce
n'est pas le certificat du médecin du corps qui peut la lui faire obtenir ; on
réunit un conseil composé de médecins de différents grades pour prononcer sur
la demande et décider si l'on peut y avoir égard. Je pense que, sous ce
rapport, aucun médecin de l'armée ne peut avoir la moindre appréhension d'être
en aucune façon violente dans sa conviction.
Quant à la deuxième
question qui concerne plus particulièrement les rapports des médecins entre
eux, je dirai que le service de santé dans l'armée est organisé de telle façon
que les malades qu'ils sont appelés à traiter ont toutes les garanties
désirables. Je prendrai pour exemple un soldat malade à l'hôpital ; c'est
l'individu de l'armée que l'on peut supposer le moins appuyé, le moins soutenu
; ce malade est visité et soigné par les médecins adjoints qui font le service
à l'hôpital ; tous les jours ces médecins sont contrôlés par le médecin chargé
en chef du service de l'établissement qui fait la visite, examine la manière
dont les malades sont traités et les prescriptions qui sont ordonnées ; s'il
n'est pas d'accord avec le médecin traitant, l'on a encore le même recours du
chef de service au médecin de garnison, du médecin de garnison au médecin
principal, et du médecin principal à l'inspecteur général, s'il le faut. Quand
la maladie est grave, ce n'est pas à un seul médecin que la cure est confiée ;
il y a consultation entre les docteurs de la garnison.
Depuis que l'armée
existe, il ne s'est pas présenté une seule circonstance où il y ait eu un tel
dissentiment qu'il fallût recourir à d'autres autorités.
La position que je viens
de décrire quant à ce qui concerne le soldat est la même pour tous les membres
de l'armée ; les soins et les précautions sont les mêmes pour tous.
Je demanderai la
permission de donner un aperçu de la manière dont la discipline se pratique
dans le service de santé, et d'exposer, en peu de mots, d'abord comment cette
discipline s'exerce de la part du chef essentiellement militaire envers celui
de ses subalternes chargé du service sanitaire, ensuite comment elle est
appliquée de la part du chef du service de santé envers les officiers de la
même catégorie.
« En thèse générale les
officiers de santé sont soumis à la discipline militaire conformément aux
règlements existants.
« Ils reconnaissent deux
autorités distinctes :
« La première, celle de
la hiérarchie des grades dans leur corps.
« La deuxième, celle des
commandants de place, de province ou de division territoriale, en ce qui
concerne les officiers de santé appartenant aux hôpitaux ou infirmeries, celle
des commandants de régiments, brigades ou divisions lorsqu'ils sont attachés au
corps.
« Les uns et les autres
sont subordonnés à la haute direction et inspection de l'inspecteur général
tant au sujet du service journalier que sous le rapport du service médical.
Celui-ci relève directement du ministre de la guerre.
« Dans les places, les
médecins principaux et de garnison dirigent le service sanitaire de l'hôpital
auquel ils sont préposés.
« Des médecins leur
sont adjoints pour ce service.
« Ils peuvent également
disposer des médecins des corps, lesquels doivent tous, sans distinction,
assister à la visite de l'hôpital, celle des malades au quartier devant avoir
lieu avant l'heure fixée pour la visite de l'hôpital.
« Les médecins
adjoints attachés au service des hôpitaux ne pourront y entreprendre aucune
opération importante, sans avoir pris préalablement l'avis du chef de service.
Il en est nécessairement de même lorsque des médecins des corps sont
particulièrement chargés d'un service spécial aux hôpitaux.
« De fréquentes
conférences cliniques ont lieu sous la direction des médecins principaux ou de
garnison chargés du service.
« Le service des
infirmeries est dirigé par le plus élevé en grade ou le plus ancien des
médecins présents dans la place.
« Dans les corps,
les médecins font rapport aux officiers commandants des maladies ou événements
remarquables. Ces rapports sont faits au commandant du régiment par le médecin
dirigeant le service, aux commandants de bataillon dans l'infanterie et aux
commandants de division dans ia cavalerie et l'artillerie par les médecins
respectivement attachés à ces fonctions au corps.
« Les médecins entrent en
relations avec les chefs de régiment ou de détachement chaque fois que leur
concours est nécessaire :
« L'un d'entre eux
assiste aux exercices ou services où la présence de l'homme de l'art peut
devenir utile ou indispensable.
« Ils assistent tous
aux inspections générales.
« En campagne et dans les
combats ils se placent suivant les ordres qu'ils reçoivent de l'officier
commandant le régiment.
« De ce résumé des
dispositions les plus importantes en ce qui concerne la discipline du corps des
officiers de santé, on peut tirer les conclusions suivantes :
« 1° Qu'entre eux les
officiers de santé reconnaissent la hiérarchie des grades et que,
conséquemment, tout chef de service a le droit d'ordonner les arrêts de son inférieur,
lorsqu'il s'agit de répression de fautes, d'erreur ou de négligence dans le
service ; qu'il en est de même lorsqu'il s'agit de réprimandes, écarts de
conduite ; le tout à la condition d'en rendre compte à l'échelon supérieur,
lequel en informe l'inspecteur général ;
« 2° Que les
officiers de cette catégorie attachés à des corps ou à des fractions de corps
ne relèvent que de l'officier commandant. Tout autre officier de service a le
droit de rendre compte des négligences qu'il aurait à signaler à charge d'un
officier de santé ; mais à l'officier commandant seul appartient le droit de le
punir. Ce droit est accordé au commandant du bataillon détaché, lequel, en ce
cas, jouit, quant à la discipline, des prérogatives du chef de corps.
« Cet état de choses
semble donc pouvoir être maintenu, et il n'y aurait à le compléter qu’en un
seul point.
« Ces médecins
principaux se trouvent de fait aux chefs-lieux des divisions territoriales, il
importe de leur accorder les moyens de surveillance dévolus aux directeurs de
l'artillerie, du génie et de l'administration. L'échelon du grade se trouverait
mieux justifié qu'il ne l'est aujourd'hui, et des rapports constants
d'inférieur à supérieur imposeraient aux premiers une vigilance plus active, en
même temps qu'il permettrait d'obtenir de ces derniers le concours du contrôle
que l'inspecteur général ne peut exercer que d'une manière fort incomplète,
malgré le zèle le plus louable. »
Vous
voyez, messieurs, qu'à part ce qui, selon moi, pourrait être pratiqué sous le
rapport disciplinaire, afin de renforcer l'autorité des médecins principaux,
toutes les garanties possibles sont données pour assurer la discipline dans le
service de santé, sans rigueurs ni entraves (page 594) inutiles. Qu'il me soit permis, pour plus de clarté, de
citer un exemple. Je suppose qu'un bataillon soit détaché de son régiment avec
un médecin qui ne remplisse pas parfaitement ses devoirs, qu'un soldat ou un
officier ait à s'en plaindre, ce ne sera pas le capitaine de la compagnie à
laquelle ils appartiennent qui pourra le punir, il ne sera justiciable que du
chef du bataillon. Vous voyez, messieurs, que sous aucun rapport la discipline
n'est trop sévère à l'égard des médecins, et qu'ils y sont beaucoup moins
astreints que tous les autres officiers de l'année.
M. le président. - Une motion d'ordre a été faite qui
a pour objet de renvoyer la discussion de la question de la clientèle civile à
l'article 15 qui la concerne.
M. de
Brouckere. - Je crois que la motion d'ordre n'est pas acceptable. Dans la
discussion générale, il est d'usage que l'on puisse traiter toutes les
questions. Je suis inscrit le premier. Je compte traiter la question de la
clientèle civile comme les autres. On ne peut limiter la discussion générale.
M.
Sigart, rapporteur. - Je n'insiste pas.
M. le président. - La parole est à M. de Brouckere,
dans la discussion générale.
M. de
Brouckere. - Messieurs, au premier aspect, et à n'envisager le projet de loi qui va
nous occuper, que d'une manière superficielle, on pourrait croire que l'objet
auquel il se rapporte ne présente qu’une importance secondaire. De quoi
s'agit-il ? D'améliorer la position d'une centaine de personnes appartenant à
l’armée. C'est fort bien assurément ! Mais que ces officiers soient un peu
mieux ou un peu moins bien traités, l'armée, le pays peuvent paraître n'y avoir
aucun intérêt. Les choses ne vont pas mal. Pourquoi ne pas les laisser telles
qu'elles sont ? Pourquoi créer encore de nouvelles dépenses ?
Cependant en portant les
regards un peu plus loin, en approfondissant la question, on ne tarde pas à
reconnaître combien un pareil langage serait déplacé, combien serait dans
l'erreur celui qui aurait une semblable pensée.
Le projet de loi que nous
discutons intéresse, et intéresse à un haut degré l'armée entière et tout le
pays.
Lorsqu'un citoyen,
étranger à l’armée, est atteint de maladie, lorsque son existence est menacée,
il appelle à son secours le médecin, le chirurgien qu'il croit le plus capable
de le soulager, de le conserver à la vie ; son choix est libre. Du soldat
toujours, de l'officier le plus souvent il en est tout autrement.
Quelles que soient la
nature et la gravité de sa maladie, il faut qu'il ait recours à l'homme de
l'art que le gouvernement a désigné, qu'il salarie pour lui donner des soins.
Que cet homme soit instruit ou ignorant, qu'il ait une longue expérience ou
qu'il en soit à ses premiers essais dans la carrière, qu'il soit zélé, humain,
charitable, ou bien négligent, dur, inhumain, peu importe ! Cet homme est son
médecin, son chirurgien obligé ; il n'en peut avoir d'autre. Et voyez combien
cela est sérieux et grave, en temps de guerre ! Alors, très souvent, les
blessures nécessitent des pansements, des amputations sur le champ de bataille
; et tout officier de santé, quel que soit son grade, peut être dans le cas de
faire seul ces premiers pansements, ces amputations, dont dépend le plus
souvent la vie de celui auquel le sort de la guerre a rendu ces opérations
nécessaires.
Il importe donc, il
importe à un haut degré à l'armée que le service de santé de l'année soit
composé d'hommes capables, instruits, zélés, et j'ajouterai, messieurs,
d'hommes courageux. Car, comme le dit la section centrale, c’est toujours temps
de guerre pour les officiers de santé, qui ont à braver les miasmes des
hôpitaux, quand ils n'ont pas à affronter les balles de l'ennemi.
Cela importe à l’armée et
cela importe à tout le pays, puisque chaque famille compte ou peut être dans le
cas de compter un de ses membres dans le sein de l’armée ; et je vous
demande quel sujet de souci et d'inquiétude, pour ceux qui ont un fils ou un
frère dans les rangs des défenseurs de la patrie, de penser que blessé sur le
champ de bataille, malade dans l’hôpital, il n'aurait, pour le traiter, qu'un
échappé de collège sans talent, sans expérience, plus dangereux mille fois que
les maladies ou les blessures !
Et bien, je ne crains pas
d'avancer que du sort du projet de loi qui nous est soumis dépendra l'avenir du
service de santé, dépendra sa bonne ou sa mauvaise composition.
Jusqu'ici on a considéré
l'organisation du service de santé comme provisoire. Des sujets distingués y
sont entrés avec l’espoir qu'il ne tarderait pas à être amélioré, relevé, mis
au rang qu'il est en droit de prétendre, entouré de la considération qu'il peut
exiger. Mais demain cette organisation sera définitive, et si elle ne répond
pas aux espérances qu'on a conçues, c'en est fait du service de santé. Aucun
homme instruit et capable ne se présentera pour y entrer, et le service ne se
recrutera que de médiocrités, de gens sans talent, sans avenir.
Or, je vous laisse à
penser quelles seront les fâcheuses conséquences pour nos soldats et pour nos
officiers d'un pareil état de choses, qui compromettrait leur santé et leur vie
! Et nous aurions amené ce résultat, messieurs, pour des considérations de le
plus minime importance.
Du temps de l'empire, il
se faisait une très grande consommation de médecins militaires. Car les balles
ne les épargnaient pas plus que les combattants qui figuraient dans les rangs.
Aussi, à défaut d'hommes instruits, on prenait des jeunes gens sans titres,
sans expérience, sans études, ayant à peine fréquenté uu hôpital pendant
quelque temps. On les payait mal ; on les estimait peu ; et il en est résulté
pour le corps une déconsidération qui lui a été fatale. Les sobriquets par
lesquels on désignait à cette époque les officiers de santé ne leur sont restés
que trop longtemps.
Un des premiers actes de
Louis XVIII fut l'organisation d'hôpitaux militaires, d’institutions destinées
à former des officiers de santé capables.
Le gouvernement des
Pays-Bas, de son côté, par un arrêté du 20 mars 1817, régularisa le service de
santé militaire. Cet arrêté statuait entre autres choses que, pour y entrer, il
fallait avoir le grade de docteur.
Mais bientôt ce
gouvernement, qui n'aimait pas à être astreint à des conditions dans les choix
qu'il avait à faire pour les fonctions de quelque nature que ce fût, ce
gouvernement qui d'ailleurs trouvait peut-être que les officiers de santé qui
avaient le grade de docteur, ne dépendaient pas assez de lui, ne tarda pas à
abroger cette disposition. Il créa alors deux hôpitaux militaires d'instruction,
l'un à Utrecht, l'autre à Louvain ; puis il supprima ce dernier, et ne laissa
subsister que l'hôpital d'Utrecht.
Les universités reçurent
la défense d'admettre des officiers de santé comme docteurs ; les commissions
médicales, de leur conférer le titre de médecins ou de chirurgiens sans une
autorisation spéciale du gouvernement, et cette autorisation, on ne la donnait
que moyennant l'engagement par celui qui le sollicitait de rester au service
militaire pendant dix ans.
Du reste sous le rapport
des appointements, sous le rapport du rang, les officiers de santé continuèrent
à être mal traités comme ils l'avaient été auparavant.
Qu'est-il résulté de cela
? C'est que, sous le rapport de sa composition, le service de santé du
gouvernement des Pays-Bas fut loin de répondre convenablement à sa destination.
Peu après la révolution
de 1830, le 5 janvier 1831, le gouvernement provisoire porta un arrêté
réorganisant le service de santé. Cet arrêté reproduisait la disposition par
laquelle on exigeait, pour y entrer, le grade de docteur, et cela, disait
l'arrêté, afin de rendre au service de santé la considération qui lui est due.
Mais on négligea
d'améliorer la position des officiers de ce service, et quant au rang et quant
au traitement.
Il arriva, comme il était
facile de le prévoir, que bientôt on dut violer l'arrêté du 5 janvier et
recevoir successivement un très grand nombre de jeunes gens qui n'avaient pas
le grade de docteur et dont quelques-uns n'avaient reçu aucun diplôme. Aussi,
messieurs, je ne le cache pas, je pense que le personnel du service de santé
laisse à désirer. Je pense que dans ce personnel, qui renferme des hommes
éminents, il se trouve quelques hommes, heureusement en très petit nombre, qui
n'ont ni l'instruction ni l'expérience que l'on devrait exiger de la part de
ceux à qui est confiée la santé de nos soldats. Et encore que de peines
n'a-t-on pas dû se donner pour que les nominations ne fussent pas moins bonnes
qu'elles l'ont été ?
Le but du projet de loi
qui nous est soumis est de rendre enfin justice à une administration trop
longtemps négligée, de la relever, de lui procurer la considération, le rang,
les avantages auxquels elle a droit ; et en présentant ce projet, le
gouvernement, je pense, a eu en vue, moins encore l'intérêt de ceux qui
composent cette administration, que l'intérêt du soldat et celui du pays.
Mais le projet
atteindra-t-il le but que l'on se propose ? Relèvera-t-il assez le service
sanitaire ? Suffira-t-il pour attirer des hommes instruits et capables ?
Mettra-t-il le gouvernement à même de n'en pas admettre d'autres ? C'est ce
qu'il impôt le d'examiner.
La pensée qui a présidé à
la rédaction du projet de loi, celle qui animait la section centrale, c'est
l'assimilation du service de santé aux armes savantes. Ce principe est sage, à
mon avis ; je l'approuve.
Assurément, pour être un
bon officier de santé, il faut autant et plus d'études, des études aussi
longues, aussi sérieuses, aussi difficiles que pour être officier du génie ou
de l'artillerie. Dès lors il est juste que l'officier de santé soit traité à
l’égal de l'officier du génie et de l'artillerie. Mais le projet de loi,
messieurs, ne réalise pas ce qu'il semble annoncer ; l'assimilation est loin
d'être complète. Prenons l'armée du génie. Le génie compte, pour un chiffre de
98 officiers, un lieutenant-général, un général-major, 4 colonels, 6
lieutenants-colonels et 7 majors, et encore si je ne signale qu'un
général-major, c'est qu'il y en a un qui figure dans les cadres de
non-activité, car, en réalité, il y a, dans l'arme du génie, 2 généraux-majors.
Le service de santé n'a,
pour tout le corps, qui est composé de 126 officiers, qu'un général-major, un
colonel, trois lieutenants-colonels et neuf majors, et la section centrale
propose de maintenir cet état de choses ; elle se borne à demander que la solde
des médecins soit portée à la hauteur de celle des officiers du génie, d'après
la correspondance de grade. Mais ce n'est pas là établir une assimilation. (Interruption).
Messieurs, l'honorable M.
Sigart m'interrompt en disant que le ministre ne propose pas l'assimilation
complète en ce qui concerne le nombre des grades. Eh bien, c'est à M. le
ministre que je m'adresse autant qu'à la section centrale, et puisque
l'honorable M. Sigart m'en fournit l'occasion, je dirai que j'ai vu avec grand
plaisir que la section centrale semblait dire que si le ministre était allé
plus loin, elle aurait adopté ses propositions. C'est donc pour moi un
encouragement à critiquer le projet de loi qui, selon moi, ne fait pas assez.
Je dis, messieurs, que
l'assimilation n'est pas complète. Les médecins de l'armée ne se sont pas crus
lésés seulement parce que leur solde est inférieure à celle des officiers du
génie, mais encore et plus spécialement, messieurs, parce que, au point de vue
du nombre et de la qualité des (page 595)
grades, des grades supérieurs surtout, ils ne sont pas en possession des mêmes
faveurs que ces derniers. Remarquez d'ailleurs, messieurs, qu'on ne met à la
tête du service de santé qu'un officier ayant grade de général-major, de
manière que la perspective des officiers de santé est nécessairement bornée à
ce grade, tandis que le moindre sous-lieutenant de l'armée, à quelque arme
qu'il appartienne, je pourrais même dire, tandis que tout soldat de notre armée
peut aspirer au grade le plus élevé, celui de lieutenant-général.
Pour que l'assimilation
des médecins militaires aux officiers du génie fût une vérité, voici comment il
faudrait établir les cadres :
1 lieutenant général ;
2 généraux-majors ;
7 colonels ;
11 lieutenants-colonels
et 4 majors.
Mais, je me hâte de le
dire, personne ne va aussi loin ; ce que l'on désirerait et ce qu'il serait
juste de faire, ce serait de présenter aux officiers de santé une perspective
possible d'un grade plus élevé, après un certain nombre d'années de service.
Voici comment je voudrais que fût conçue une disposition additionnelle qui
serait ajoutée au projet de la section centrale, tout en laissant subsister le
cadre que ce projet admet :
« L'assimilation pour le
rang des officiers de santé désignés ci-dessus recevra l'accroissement suivant
après dix années de service effectif dans leurs grades respectifs, savoir :
« L'inspecteur général
aura le rang de lieutenant général ; le médecin eu chef, le rang de
général-major ; les médecins principaux, le rang de colonel ; les médecins de
garnison, le rang de lieutenant-colonel ; la moitié des médecins de régiment,
le rang de major. ».
Remarquez, messieurs,
que, par cet amendement, le service de santé obtiendrait beaucoup moins encore
que n'a l'arme du génie à laquelle on trouvait d'une impérieuse nécessité de
l'assimiler, puisque tout le monde sait que, dans cette année, il ne faut pas
rester dix ans dans un grade pour être admis à passer dans un grade supérieur.
Cette disposition serait
un espoir donné aux médecins, qu'ils pourront parcourir toute l'échelle des
grades ; ce serait une promesse au jeune docteur, qu'il pourra s'élever à la
même hauteur dans le service de santé, que le jeune officier du génie, sortant
de l'école militaire, dans l'arme à laquelle, il s'est voué.
En acceptant cet
amendement, la chambre n'engagera pas considérablement le trésor. Il ne sera
véritablement favorable qu'au grade de médecin de régiment, et ce sera un grand
bien, car ce grade est le bâton de maréchal pour le plus grand nombre des
médecins militaires. Quant à ce qui concerne les médecins de garnison, les
médecins principaux, le médecin en chef et l'inspecteur général, il n'y a pas
grande chance qu'aucun d'eux, dans l'organisation qui nous est présentée,
occupe son grade pendant 10 ans ; de toutes les classes de la société, ou le
sait d'ailleurs, il n'en est pas une où la vie soit moins longue que dans celle
des médecins.
Je pourrais m’arrêter là,
messieurs, si la section centrale n'avait inséré dans son projet une
disposition que je regarde comme non-acceptable et que je ne saurais trop me
hâter de combattre. Je veux parler de celle qui tend à interdire la pratique
civile aux officiers de santé militaires, et ici, messieurs, j'éprouve un embarras
réel ; c'est celui du choix des arguments, tant il s'en présente, pour
condamner cette étrange proposition.
Entendons-nous cependant
: je ne prétends pas soutenir que la pratique civile soit pour les officiers de
santé un droit dont on ne puisse en aucun cas les déposséder, dont, dans aucune
circonstance, il ne soit permis de leur ôter la jouissance ; mais je soutiens
que ce n'est pas par une disposition législative, par une disposition générale
et absolue, qu'elle doit être interdite, et que c'est au gouvernement qu'il
faut laisser le soin de prendre à cet égard les mesures que réclamera le bien
du service.
Je commence par poser en
fait deux choses ; d'abord, c'est que sur 120 officiers dont se compose le
service de santé, il y en a à peine sept ou huit qui se livrent plus ou moins à
la pratique civile ; secondement, que jamais aucune plainte n'a été faite du
chef de la négligence qu'apporteraient dans le service ceux qui ont une
clientèle civile ; et je ne crois pas que personne ici cherche à combattre ces
deux assertions.
Je pose, en troisième
lieu, en fait qu'à l'avenir il deviendra plus difficile encore qu'aujourd'hui
que les officiers de santé se livrent à la pratique civile, qu'ils ne le
pourront qu'exceptionnellement et dans des cas rares. Ce dernier point, je vais
l'établir.
Ce n'est guère qu'à l'âge
de 28 ans qu'on entre et qu'on peut entrer au service, et l'on est alors
immédiatement placé dans les hôpitaux, en qualité d'adjoint. Prenant les choses
au mieux, le jeune docteur sortira de ces hôpitaux, pour passer dans le service
des corps, à l'âge de 33 ou 34 ans. Or, pendant ces quatre années, il aura
séjourné dans un hôpital ; tous ceux qui connaissent l'immense difficulté que
rencontre un jeune médecin pour obtenir la confiance du public, même pour une
petite part, conviendront que le médecin-adjoint de l'hôpital n'aura pu se
faire la plus petite clientèle. Passé au grade de médecin de bataillon, à l'âge
de 34 ans, il est obligé de quitter immédiatement la ville où il avait été envoyé
d'abord, pour rejoindre le corps dont il est devenu un des officiers.
Rien n'est moins stable
que la position d'un médecin de corps. Le service exige qu'il soit employé
aujourd'hui dans telle localité, demain dans telle autre ; il en résulte que
dans cette nouvelle position il n'a aucune chance encore d'obtenir la plus
misérable clientèle. Or, cette position, il est obligé de la subir jusqu'à
l'âge de 45 ans ; car, avant cet âge, il n'est plus guère permis d'aspirer au
grade de médecin de bataillon.
Arrivé à ce dernier
grade, peut-il au moins espérer un peu de repos ? Pas davantage. Au bout de
trois, de quatre ans au plus, sans compter les périodes de campement, le
régiment dont il fait partie change de destination, et ce changement est
ordonné, quand ce médecin de régiment a eu à peine le temps de se faire
connaître dans la ville où il résidait.
A 52 ou 54 ans, on peut
arriver au grade de médecin de garnison. Alors seulement un peu de repos est
donné à l'officier de santé ; et quand je dis repos, je veux dire qu'il est
moins sujet à changer de résidence, et pourtant si l'on recherche les mutations
subies par les officiers de santé de ce grade, on sera peut-être étonné du peu
de stabilité dans le placement, qui est réservé à la plupart d'entre eux.
Quoi qu'il en soit, on
conviendra que ce n'est pas à 54 ou 55 ans qu'on se fait une clientèle
considérable. Une clientèle se fait lentement et progressivement. La confiance
n'arrive qu'après de longs succès, et ces succès, il faut avoir eu le temps de
les obtenir. On ne se fait pas un nom de vogue dans les derniers jours de son
existence. A 55 ou 60 ans, on cherche le repos.
Mais ce n'est pas tout
encore ; que, de médecin de garnison, on devienne médecin principal à 60 ou 63
ans, alors mutation nouvelle, déplacement nouveau, résidence nouvelle. Qui donc
oserait dire que, débarqué dans une ville à l'âge de 60 ou de 63 ans, ce
médecin puisse subitement se faire une clientèle ? Personne assurément ; car
une pareille opinion est si évidemment contraire aux faits, à l'expérience,
qu'il est impossible qu'elle trouve un seul défenseur.
Je le répète, sept ou
huit officiers de santé sur 126 se livrent actuellement plus ou moins à la
pratique civile, et ce nombre doit sensiblement diminuer. Et c'est pour
empêcher une chose aussi peu sérieuse qui n'a jamais présenté aucun abus, qu'on
introduirait dans nos lois une interdiction qui, d'un autre côté, je le
prouverai, aurait des résultats fâcheux, qui présenterait un caractère odieux,
et qui serait, en outre, d'une exécution impossible.
Cette interdiction aurait
des résultats fâcheux. D'abord, messieurs, la perspective d'une clientèle
civile un peu lucrative, quelque rarement qu'elle puisse se réaliser, sera
toujours un appât pour les jeunes gens de mérite qu'elle décidera à entrer au
service, parce qu'elle leur permettra d'entrevoir une augmentation de
ressources et de bien-être.
En second lieu, si vous
empêchez le médecin militaire de se livrer à aucune pratique civile, il restera
un homme de l'art fort incomplet ; car ce n'est pas dans les hôpitaux
militaires qu'il acquerra une expérience suffisante pour toutes les maladies ;
et quelle confiance aura-t-on alors en lui pour les maladies des femmes, des
enfants, des vieillards ? Car, remarquez-le bien, par état les officiers de santé
sont obligés de traiter les femmes et les enfants de tous ceux qui
appartiennent à l'armée, et en outre, d'après une disposition récente, les
officiers pensionnés et leurs familles.
Cette interdiction serait
odieuse. Un homme a du talent, il peut être utile à ses semblables, les
soulager, leur conserver la vie peut-être ; il en a le loisir, sans manquer à
ses devoirs, et vous l'en empêcherez ! Je suis malade, je n'ai confiance que
dans un médecin militaire, je lui demande de venir à mon aide ; il le veut, mais
il doit le refuser ; il doit le refuser, non parce que son service le réclame
ou l'appelle à d'autres devoirs, mais parce qu'un caprice de la législature lui
aura défendu de me secourir !
Cette interdiction serait
injuste. Les professeurs des universités ont des appointements, des émoluments
bien supérieurs à la moyenne des appointements des officiers du service de
santé ; ils ont, certes, autant de besogne qu'eux, et on leur permet de
pratiquer.
Je sais qu'ils ont besoin
d'une autorisation spéciale ; mais je défie la section centrale et son
honorable rapporteur de me citer un seul cas où cette autorisation ait été
refusée.
Les médecins des hôpitaux
civils dans les grandes villes ont bien autrement à faire que les officiers de
santé militaire. Leur interdit-on la pratique civile ? Non, on ne la leur
interdit pas, et il serait ridicule de la leur interdire.
L'interdiction que vous
prononceriez serait d'une exécution impossible. D'abord, si vous défendez aux
médecins militaires de se livrer à la pratique civile ; il faut ajouter une
sanction à cette défense ; quelle peine allez-vous établir ? Et ensuite comment
constaterez-vous les contraventions ? Vous ne voyez donc pas que votre loi
serait une excitation à l'espionnage, à la délation, à la jalousie, à la haine
? N'y a-t-il pas assez de jalousie entre les médecins, faut-il vous rappeler ce
proverbe trivial : « Nulla invidia super medicorum invidiam ».
Si vous prononcez une
peine contre le médecin militaire qui aura pratiqué, en exempterez-vous le
malade qui l'aura appelé à son secours ? Vous auriez tort de l'en exempter, car
il est son complice.
Tout cela est si vrai que
quand l'interdiction a existé, elle n'a jamais été que nominale. Remarquez bien
que cette interdiction si elle a existé jusqu'en 1829, chose très contestable,
et que je pourrais contester à l'aide d'une loi de 1819 concernant les
patentes, si, dis-je, elle a existé jusqu'en 1829 elle a été levée à cette
époque par un arrêté du roi Guillaume ; mais dans les lieux et aux époques où
la malencontreuse interdiction a été prononcée, elle n'a jamais été que
nominale, parce qu'il a été impossible de la faire exécuter.
(page 596) On m'objectera peut-être que l'officier de santé de
l'armée doit tout son temps à son service, qu'il ne doit pas lui être permis
d'en distraire une partie pour son avantage particulier. Il doit à son service
tout le temps que son service réclame, cela est incontestable ; mais si, le
service fait et bien fait, il lui reste du temps, peut-il l'employer mieux qu'à
pratiquer son art ? Peut-il l'employer mieux qu'à acquérir plus de
connaissance, plus d'expérience ? Vous qui voulez qu'il donne tout son temps à
son service, quand son service ne le réclame pas, allez-vous lui dépendre
d'étudier, allez-vous lui défendre d'écrire ? La pratique est une étude ; un
homme éminent rend plus de services à ses semblables en pratiquant qu'en
écrivant.
Mais, dit-on, le médecin
militaire est payé et assez bien payé ; il ne faut pas lui permettre de faire
concurrence au médecin civil, au préjudice de ce dernier.
Messieurs, cet argument
aura de la valeur quand nous ferons une loi dans l'intérêt des médecins, contre
l'intérêt général ; mais comme nous faisons une loi pour l'intérêt général,
sans nous enquérir de l'intérêt particulier de qui que ce soit, il ne peut être
pris en considération. Si vous voulez un partage égal entre les médecins,
bornez donc la pratique des médecins qui ont beaucoup à faire, défendez aux
professeurs des universités de pratiquer, défendez-le aux médecins des
hôpitaux. Non, messieurs, le public ne peut que gagner à la concurrence, et, je
le répète, c'est l'intérêt du public que le législateur doit avoir en vue, et
non un intérêt particulier.
Le médecin militaire,
quoi qu'on en ait dit, est mis pour la pratique sur le même rang que le médecin
civil, il paye patente comme lui.
En résumé, messieurs, peu
d'officiers de santé se livrent à la pratique civile, et leur service n'en
souffre pas. Le nombre de ces officiers doit encore nécessairement diminuer
avec le temps.
II n'existe aucune raison
pour que la loi interdise cette pratique, tandis qu'au contraire pareille
interdiction, prononcée d'une manière absolue et générale, serait contraire au
bien du service ; elle serait odieuse, injuste, et manquerait de moyens
d'exécution.
Si des abus se
présentent, si des raisons surviennent de changer l'état de choses actuel,
c'est au gouvernement qu'il appartient de prendre les mesures qui seraient
convenables. Il déplacera l'officier de santé qui aura négligé son service, il
lui interdira la pratique civile ; il le mettra en non-activité avec
désignation de résidence, selon les cas qui se présenteront ; et, si on le
veut, un article de loi lui donnera toute la latitude désirable ; mais je crois
cet article entièrement inutile.
J'oubliais presque de
dire quelques mots d'une pétition qui a été adressée à la chambre, par quelques
médecins du pays, contre la faculté que nous réclamons pour les médecins
militaires de pouvoir se livrer à la pratique civile. Il me serait bien facile
de réfuter les raisons à l'aide desquelles ils ont appuyé leur réclamation ;
mais je ferai mieux : les pétitions, qui sont au nombre de trois, ont été
envoyées par le gouvernement à l'avis du corps assurément le plus compétent
pour les juger ; elles ont été envoyées à l'avis de l'Académie de médecine, et
remarquez-le bien, l'Académie est composée en très grande majorité de médecins
civils ; je ne sache pas qu'elle renferme plus de quatre ou cinq médecins
militaires.
Je tiens en main le
rapport fait sur les pétitions ; pour ne pas abuser de votre temps, je ne lirai
que les conclusions.et vous verrez à quel point elles confirment tout ce que je
viens de dire.
« Votre commission vous
propose, messieurs, de décider et de faire connaître à M. le ministre de
l'intérieur, en lui renvoyant les pétitions des médecins et chirurgiens de la
province de Limbourg et de la ville de Tournay :
« 1° Qu'une loi qui
défendrait d'une manière absolue et dans toutes les circonstances, aux médecins
de l'année, d'administrer les secours de leur art aux personnes non militaires,
serait non-seulement contraire aux droits sacrés de l'humanité, et, par
conséquent, immorale, mais encore, peu en harmonie avec les besoins actuels de
toutes nos populations ;
« 2°
Qu'une loi qui proclamerait cette interdiction en principe, en abandonnant au
pouvoir le droit d'établir des exceptions, n'atteindrait pas le but que
recherchent les réclamants, et pourrait donner lieu à des abus de la nature la
plus grave, contre lesquels des réclamations ne tarderaient pas à surgir ;
« 3° Qu'il faut
abandonner au gouvernement le soin de décider, si, dans quelles limites et à
quelles conditions, il convient aux intérêts de l'armée, de permettre aux
médecins militaires de se livrer à une profession quelconque, et notamment à
celle de praticien civil ;
« 4° Que c'est à lui
qu'il incombe de faire des règlements généraux à ce sujet, s'il y a lieu, comme
il est de son devoir, en attendant, de faire exécuter ceux qui, à défaut
d'abrogation expresse, sont toujours en vigueur. »
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, personne ne demandant plus la parole dans la
discussion générale, je demanderai à la chambre la permission de lui donner
quelques éclaircissements relativement à la première partie du discours que
vient de prononcer l'honorable M. de Brouckere.
Certainement, la cause
des médecins de l'armée vient d'être plaidée avec éloquence, avec talent ; et
mon devoir n'est nullement de venir faire opposition à des sentiments que je
partage Cependant comme dans la première partie de son discours l'honorable
orateur a semblé faire un reproche au gouvernement de ce que le service de
santé n'a pas été traité, quant à son assimilation avec les armes savantes,
d'une manière assez favorable, il importe que je dise pourquoi le gouvernement
n’est pas entré dans la voie qu'a indiquée l'honorable M. de Brouckere. En
venant donner ces explications, je n'ai pas l'intention de nuire à un corps
dont j'apprécie les services. Je ne demande pas mieux que de voir l'amendement
de l'honorable M. de Brouckere acquérir plus tard force de loi.
Lorsque la chambre a
indiqué la marche que devait suivre le gouvernement dans l'organisation du service
de santé, elle a fait remarquer avec raison que, puisqu'il est soumis à des
études graves, ardues, les membres de ce corps devraient être assimilés aux
officiers des armes savantes.
Dans le projet, on a eu
égard à ces observations ; mais de ce que les médecins sont assimilés au génie,
quant au traitement, s'ensuit-il que, quant au nombre des officiers supérieurs,
l'assimilation doive également avoir lieu ? On ne l'a pas pensé ; voici
pourquoi : c'est que les emplois d'officiers supérieurs du génie n'ont pas été
créés pour l'avantage de ceux qui font partie de ce corps, mais pour les
besoins de ce service. Il doit en être de même partout.
Ainsi dans le génie, le
nombre des emplois d'officiers supérieurs a été fixé comme il l'est, parce
qu'il en faut, non seulement plusieurs à l'inspection générale et au régiment
du génie, mais encore dans chacune des divisions territoriales et dans les
grandes forteresses du royaume.
Dans le service de santé
de l'armée, le gouvernement a cru pouvoir se borner à un inspecteur général, à
un médecin en chef, employé principalement en temps de guerre, et pour chaque
division territoriale, à un médecin principal, enfin pour les sept hôpitaux les
plus importants, à autant de médecins de garnison.
Ces
places remplies, le gouvernement n'a pas vu où il aurait pu employer des
officiers supérieurs.
L'honorable M. de
Brouckere dit qu'on aurait pu nommer la moitié des médecins de régiment
officiers supérieurs après dix ans de grade.
Un article du projet
indique assez qu'on veut reconnaître leurs services en leur donnant au moins le
titre et plus tard la pension.
Quant à la deuxième
partie du discours de l'honorable M. de Brouckere, comme elle rentre dans mes
convictions, je déclare n'avoir rien à y ajouter ; je ne pourrais qu'affaiblir
ses observations ; je me réserve de revenir sur ce point, s'il est nécessaire,
dans le cours de la discussion.
M. Pirson. - Messieurs, le projet de loi
d'organisation du service de santé, présenté par le prédécesseur de M. le ministre
de la guerre et complété par les amendements de l'honorable général Prisse
ayant pour objet d'améliorer la position des officiers de santé, je viens
l'appuyer de tous mes efforts. Je me rallie aussi à l'amendement que
l'honorable M. de Brouckere a présenté il y a quelques instants.
Personne ne contestera,
messieurs, que ceux qui par leur art et leur expérience calment les douleurs,
cicatrisent les plaies, rendent la santé, la vie et la force aux soldats, ne
remplissent des fonctions très importantes dans une armée. Dès lors il y a lieu
de leur faire une position sortable, et de les rétribuer dans la proportion de
leur utilité et de leur capacité.
Certainement, ainsi que
vient de le dire l'honorable M. de Brouckere, les études requises, les
connaissances exigées pour obtenir le diplôme de docteur en médecine et être un
bon officier de santé, ne le cèdent en rien aux études que doivent faire, aux
connaissances que doivent posséder les officiers des armes spéciales ; et,
considérée sous ce rapport, l'assimilation proposée par l'article premier me
paraît être un acte de justice auquel je me rallie également.
Messieurs, on ne peut se
le dissimuler, il est urgent, il est devenu d'une indispensable nécessité
d'améliorer la position des officiers du service de santé. L'espèce d'abandon
dans lequel on a laissé ce service, le peu d'avantages réservés à ceux qui y
entrent en ont rendu le recrutement très difficile et ont déterminé beaucoup de
médecins militaires à abandonner une carrière qui, eu égard aux sacrifices
qu'ils avaient fait, ne leur présentait ni position équivalente pour le moment,
ni grande perspective d'amélioration pour l'avenir.
Si l'on objectait que le
moment n'est pas propice de voter des accroissements de dépenses, que la
situation financière ne permet pas d'accorder des augmentations de traitements
je répondrais que s'il est, dans l'armée, une branche de service où l'on ne
doit pas rechercher inconsidérément des économies, c'est bien dans la
répartition des secours que l'on doit aux soldats malades et blessés.
Rien ne doit être plus
digne de notre sollicitude que la santé du soldat, rien n'est plus digne de
respect que les victimes de la guerre, et le pays se montrerait ingrat envers
elles, si les soins qu'elles réclament venaient un jour à leur faire défaut.
Or, pour que les malades et les blessés reçoivent, en temps de guerre comme en
temps de paix, les soins qui leur sont nécessaires et auxquels ils ont droit,
il faut avant tout qu'ils soient traités et pansés par de bons médecins, et
vous n'aurez de bons médecins que si vous les rétribuez d'une manière
convenable.
Je ne crains pas de le
dire, messieurs, jusqu'à présent on a trop négligé le service de santé ; et
cependant quelle profession exige tout à la fois plus de talents et de vertus
que celle du médecin militaire ? Aujourd'hui le service de santé est si mal
rétribué, il offre si peu de chances d'avenir, que non seulement on ne peut pas
le recruter, mais encore qu’à la moindre contrariété, au moindre changement de
garnison, on ne peut y retenir les médecins qui sont parvenus à se faire une
clientèle civile.
Ce fait, messieurs,
s'explique d'une manière toute naturelle. Avant la (page 597) promulgation de la dernière loi sur l’enseignement
supérieur qui, je crois, est du mois de septembre 1835, on décernait
annuellement en Belgique de cent à cent dix diplômes de docteurs en médecine et
en chirurgie. Si mes renseignements sont exacts, depuis la promulgation de
cette loi, on n'en décerne plus annuellement que de quarante à cinquante, et le
chiffre ne tend pas à s'élever. Les besoins du pays, non seulement restant les
mêmes, mais augmentant encore avec l'accroissement de la population, il en
résulte que la chance de se faire une position convenable dans la carrière
civile s'est accrue, et que les jeunes docteurs de mérite se soucient très peu
d'entrer dans une carrière qui, ainsi que je viens de le dire, ne présente au
début qu'une position médiocre, et pour l'avenir bien peu de chances
d'avancement.
Il y a si peu de chances
d'avancement dans le service de santé que la dernière promotion remonte à plus
de quatorze ans. Elle remonte, d'après les recherches que j'ai faites, au 26
septembre 1832, et si vous jetez les yeux sur l'Annuaire militaire, vous y
trouverez encore des médecins adjoints (rang de sous-lieutenant) de 1832, 1831,
1829 et 1827, donc servant depuis quinze, seize, dix-sept et dix-neuf ans dans
le même grade, et des médecins de bataillon (rang de lieutenant), de 1831 et
1830, ayant par conséquent quinze et seize ans de grade. Et cependant, je ne
vois encore pour le corps sanitaire que bien peu d'avancement dans un avenir
rapproché. Généralement les officiers de santé, même dans les grades
supérieurs, ne sont pas très âgés, et bien qu'en 1840, lors du passage de
l'armée du pied de guerre au pied de paix, ou ait fait descendre d'un grade les
médecins commissionnés pour les breveter, nous avons encore aujourd'hui dans
l'armée un médecin principal au-dessus du complet.
Il me sera facile,
messieurs, de vous indiquer la cause de l'état stationnaire dans lequel se
trouve le service de santé, du peu d'avancement dont il a profité jusqu'à
présent, et du peu d'avancement qui lui est encore réservé dans l'avenir.
Depuis 1830, et jusqu'en
1837, d'après les arrêtés d'organisation du service de santé, il devait y avoir
21 médecins principaux et de garnison, par conséquent 21 médecins assimilés au
grade d'officier supérieur.
En 1836, d'après un autre
arrêté organique, on n'en conserva que 15.
En 1840, on en fixa le
nombre à 12, et la loi d'organisation de l'armée, votée dans l'avant-dernière
session, a encore réduit ce nombre en le portant à 11.
Ainsi, de 1837 à 1845,
dans une période de huit années, le nombre d'emplois supérieurs dans le service
de santé a été réduit de 21 à 11 ; donc de la moitié.
Cette suppression
successive des hauts emplois dans le service de santé a eu pour résultat, non
seulement un arrêt complet dans l'avancement, mais encore de faire rétrograder
plusieurs médecins qui, quoique ayant rempli des fonctions supérieures avec
zèle et capacité, ont été brevetés dans un grade inférieur et qui peut-être ne
récupéreront jamais la position qu'on a été forcé de leur enlever.
Si mes recherches sont
exactes, et je le crois, nous avons encore aujourd'hui dans l'année quatorze
médecins qui se trouvent dans cette position. Les uns de médecins principaux
ont été brevetés médecins de garnison, les autres de médecins de garnison, de
médecins de régiment et de médecins de bataillon, ont été brevetés dans le
grade immédiatement inférieur.
Cette mesure, nécessitée,
il est vrai, par les circonstances, n'en a pas moins été funeste pour le corps
sanitaire, et si je le rappelle à la chambre, c'est qu'il me semble qu'elle
doit y trouver un motif de plus de ne pas s'opposer à l'amélioration pécuniaire
proposée pour le service de santé.
Les conséquences de cette
mesure ont pesé non seulement sur le passé, mais elles agissent aussi sur le
présent, et vraisemblablement elles priveront le service de santé pour
longtemps encore d’un avancement légitime.
Messieurs, pour obtenir
que des jeunes gens d'instruction et d'érudition, qui ont consacré dix ou douze
années de leur vie à obtenir le diplôme de docteur en médecine, se décident à
entrer dans la carrière militaire, il est indispensable de leur assurer au
début un sort convenable, et de leur donner eu perspective une position
équivalente à celle qu'ils eussent pu se faire dans la carrière civile. Cette
dernière considération est très importante ; car il n'est pas suffisant
d'enrôler de jeunes médecins pour quelques années ; il est surtout important de
les conserver à l'armée, lorsqu'ils se sont formés dans les hôpitaux. L'on doit
donc rechercher les moyens de prévenir ces demandes de démission qui se produisent
à la moindre contrariété, lors des changements de garnison, et qui privent
l'armée de l'expérience de ses meilleurs officiers, expérience souvent acquise
à ses dépens. Or, le moyen de prévenir ces démissions, c'est d'assurer aux
officiers de santé une position plus convenable et mieux en rapport avec les
sacrifices qu'ils ont dû faire.
Je crois, messieurs, que
le projet qui vous est présenté, est de nature à atteindre ce but, surtout si
l'amendement de l'honorable M. de Brouckere est adopté, et je voterai en
conséquence son adoption.
En terminant, j'insiste
encore sur ce point que les médecins militaires, si recommandables pour la
nature des services qu'ils sont appelés à rendre, ne sont pas rétribués comme
ils devraient l'être. En établissant leur rémunération on ne doit pas perdre de
vue que le diplôme de docteur en médecine ne s'obtient qu'après de longs et
pénibles sacrifices ; que généralement les jeunes gens qui se destinent à la
profession de médecin sont peu fortunés ; que, pour beaucoup d'entre eux, le
diplôme de docteur ne s'acquiert qu'après avoir absorbé tout leur avoir ; que,
devenu médecin, le jeune docteur doit encore se livrer à des études
continuelles ; que, pour suivre les progrès de la science, il doit s'imposer
une dépense assez considérable en achats de livres et de publications
périodiques ; et ces considérations me paraissent un motif de plus, de
rétribuer les officiers de santé comme ceux des armes spéciales.
Messieurs, les fonctions
des officiers du service de santé sont en outre très importantes. Les
attributions de ce service sont nombreuses et délicates. C'est le médecin
militaire qui doit prononcer sur les admissions au service, sur les incapacités
physiques et morales, sur la réforme, sur les congés avec ou sans solde, et sur
les droits à la pension ; ses conseils sont souvent très salutaires aux chefs
de corps ; on peut dire sans exagération que ses soins s'étendent à tous ceux
qui sont sous le drapeau partout et toujours.
Dans les hôpitaux
militaires les malades, vu l'éloignement où ils se trouvent de leur famille, ne
pouvant pas, comme dans les hôpitaux civils, être visités fréquemment par des
parents ou des amis, ce sont encore les médecins militaires qui, sachant que le
chagrin se fait jour sous le drapeau comme ailleurs et qui, connaissant
l'influence des causes morales sur l'altération ou le rétablissement de la
santé, avisent au moyen de distraire les malades. Enfin, messieurs, comme le
disait tout à l'heure l'honorable M. de Brouckere, quels services ne rendent
pas les médecins militaires en temps de guerre ! Car alors on peut dire que,
nuit et jour, ils sont sur pied. Aussi l'un des membres les plus distingués du
parlement français, M. Dupin, a-t-il proclamé à la tribune que le service de
santé était un service de science, d'honneur et de devoir, et le général Foy
a-t-il écrit, dans un de ses ouvrages, que la patrie devait une reconnaissance
sans bornes aux services modestes des officiers de santé.
Messieurs,
de même qu'en France, qu'en Angleterre, qu 'en Hollande, que dans presque tous
les pays, vous ne vous refuserez pas, je l'espère, aux améliorations proposées
pour les officiers du service de santé, et à rémunérer comme elles méritent de
l'être des fonctions aussi importantes, des fonctions qui exigent autant de
science et de vertu, des fonctions que le plus grand capitaine du siècle,
Napoléon, a honorées d'une manière si éclatante par le legs de cent mille
francs qu'il laissa au chirurgien Larrey, comme à l'homme le plus vertueux
qu'il eût connu.
M. de Garcia. - Messieurs,
depuis longtemps le service de santé a excité la sollicitude de la chambre.
Dans cette enceinte, plus d'une fois des voix généreuses se sont élevées pour
demander qu'on donnât à ce corps une position digne des hommes savants qui le
composent ; je suis de ce nombre, et j'ai la conviction que personne ici ne
combattra le projet de loi qui nous est soumis pour atteindre ce but.
Ce projet satisfait-il à
tout ce qui est nécessaire pour que le service de santé soit traité
convenablement ? Voilà la véritable question que nous avons à examiner.
D'après ce qui a été dit
par deux honorables membres qui viennent de prendre la parole, le projet actuel
n'atteindrait pas le but qu'on se propose.
D'après les observations
de ces honorables membres le projet de loi viole le principe d'assimilation
qu'on propose, par le motif qu'on ne crée pas, dans le service de santé, tous
les grades supérieurs qu'on rencontre dans le service du génie. Cette
observation me paraît tout à fait dénuée de démonstration, puisque
l'assimilation n'a jamais été demandée qu'au point de vue du traitement, et
nullement pour que le service de santé trouve tous les grades des officiers du
génie. Dès lors j'ai la conviction la plus intime que la chambre n'adoptera
aucun amendement qui aurait pour objet de changer l'ordre des grades
hiérarchiques existant dans cette branche du service public. Jusqu'à ce moment
les positions supérieures du service de santé ont trouvé des organes pour
défendre leurs prérogatives ; qu'il me soit permis de présenter aussi quelques
considérations en faveur des officiers de santé qui n'ont pas eu le bonheur
d'avoir une position aussi avantageuse et qui pourtant rendent les services les
plus signalés dans l'armée.
Chaque fois, messieurs,
que nous nous sommes occupés de lois d'organisation pour l'augmentation de
traitements, nous avons toujours voulu que les grades inférieurs fussent
suffisamment rétribués ; nous avons généralement repoussé toute idée qui tend à
réaliser une aristocratie dans les fonctionnaires. C'est le principe que la
législature a consacré dans la loi organique de la magistrature, où nous avons
fait des réductions sur les traitements supérieurs en augmentant les
traitements inférieurs. Ce principe est dans les sentiments de la nation, et je
pense que nous devons rester dans cette ligne. Les raisons qui militaient dans
le traitement des magistrats, militent avec la même force pour le service de
santé.
Le service de santé
souffre essentiellement parce qu'il ne peut pas se recruter de sujets capables
et distingués dans les grades inférieurs. Si l'on veut qu'il en soit autrement,
et que les jeunes gens se vouent à cette profession, il faut commencer par leur
assurer une position convenable.
Il faut commencer surtout
à donner aux médecins de bataillon, qui forment la pépinière des spécialités du
service de santé, une position aisée et indépendante, une position en rapport
avec les services qu'ils rendent à l'armée.
Le projet de loi qui nous
est soumis ne me paraît pas répondre à ce besoin, et je me réserve de présenter
un amendement à leur égard, lorsque nous en serons venus à l'article premier de
la loi.
En attendant, qu'il me
soit permis de présenter en ce moment quelques considérations en leur faveur.
(page 598) Pour fixer, en général, le sort des officiers de santé,
on est entré dans le système de comparaisons, dans le système de
l'assimilation.
C'est le point de départ
de la loi actuelle ; il n'est violé que pour les médecins de bataillon de
première classe. Tout en les assimilant aux capitaines du génie de deuxième
classe, on remarque dans une note mise à l'émargement du tableau fourni par le
département de la guerre, que cette assimilation n'est que nominale, et que ces
médecins n'auront pas droit au traitement attaché aux grades auxquels ils sont
assimilés. Voici, en effet, ce que je lis dans le tableau fourni par le
gouvernement sur les assimilations :
(L'orateur donne lecture
de ce passage.)
Et à l'émargement nous
lisons ces mots :
(L'orateur donne
également lecture de ce passage.)
En présence de cet état
de choses, je suis obligé de demander à M. le ministre, pourquoi, lorsque l'on
assimile les médecins de bataillon aux capitaines de deuxième classe, pourquoi,
dis-je, on ne leur donne pas le même traitement ? J'avoue, messieurs, que je ne
puis me rendre compte de cette dérogation au principe d'assimilation, vis-à-vis
d'un des grades les plus importants du service de santé. C'est un des emplois
les plus importants de l'armée. Souvent les médecins de bataillon remplissent
les fonctions et portent la responsabilité des médecins de régiment.
Je
pourrais vous citer, messieurs, 22 places où les médecins de bataillon sont
envoyés sans médecin de régiment, et alors ils assument toute la besogne et
toute la responsabilité des médecins de régiment ; ils ne sont dirigés que par
eux-mêmes ; ils doivent réunir les connaissances exigées par les fonctions
qu'ils sont ainsi appelés à remplir, et sous tous les rapports on doit assurer
à ces fonctions toutes les capacités du médecin de régiment, et dès lors leur
assurer des traitements convenables. C'est dans cette classe de médecins que se
produisent surtout les inconvénients signalés. Beaucoup d'entre eux quittent le
service de l'armée parce qu'ils trouvent plus d'avantage à exercer comme
médecins civils ; c'est ce qui arrivera encore si vous ne donnez à
l'assimilation dont il s'agit toutes ses conséquences, c'est-à-dire, si vous ne
donnez pas aux médecins de bataillon le traitement des capitaines de deuxième
classe.
Je désire que M. le
ministre nous dise les motifs qui l'ont porté à borner l'assimilation. Lorsque
nous en viendrons à l'article qui concerne l'assimilation, je proposerai de
supprimer cette mention de l'émargement, afin que les médecins de bataillon
reçoivent le traitement des capitaines de deuxième classe.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, je demanderai la
permission de ne répondre à l'honorable M. de Garcia que lorsqu'on arrivera à
l'article auquel ses observations s'appliquent.
M. de Garcia. - C'est cela.
M. Brabant. - Messieurs, la loi sur
l'organisation de l'armée a organisé le service de santé, comme elle a organisé
les différents états-majors et les corps de troupes. Elle statue que le service
sanitaire se composera d'un inspecteur général, de quatre médecins en chef ou
principaux, de sept médecins de garnison et de cent quinze officiers de santé
subalternes. Je ne m'occuperai pas, pour le moment, des pharmaciens militaires.
La classification
hiérarchique se trouve fixée par la loi pour les grades supérieurs ; le nombre,
la classification hiérarchique des grades que la loi qualifie de subalternes,
est laissée au domaine des arrêtés royaux.
Devons-nous procéder à
une assimilation ? La loi doit-elle entrer dans ce qu'elle a primitivement
laissé au domaine des arrêtés ?
Messieurs, je conçois une
assimilation de traitement pour les fonctionnaires qui ont dû passer par des
épreuves analogues, qui ont dû se livrer à des études, lesquelles, sans être
les mêmes, ont exigé le même travail et exigent la même intelligence. Mais je
ne conçois pas d'assimilation de fonctions tout à fait dissemblables.
Deux corps existent dans
notre pays, qui sont bien plus semblables entre eux que ne l'est le service
médical avec l'un de ces corps, je veux parler du corps du génie militaire
(état-major) et du corps des ponts et chaussées. De part et d'autre, il y a des
ingénieurs de différents grades, et cependant je ne crois pas qu'on se soit
avisé de vouloir une assimilation des ingénieurs civils aux ingénieurs
militaires. Le corps des ingénieurs militaires est commandé par un
lieutenant-général ; il y a deux généraux-majors ; il y a un certain nombre de colonels
ou de lieutenants-colonels, tandis que les ingénieurs civils n'ont qu'un
inspecteur général qui, d'après son traitement, se trouve à peu près sur la
ligne d'un général-major ; et trois inspecteurs divisionnaires qui,
naturellement, devraient avoir le grade de général-major, et qui, par le
traitement, ne sont assimilés qu'à des colonels du génie.
Si l'on n'a pas assimilé
deux corps semblables, je ne crois pas qu'il y ait lieu d'assimiler le corps du
service de santé, quant à la hiérarchie, au corps du génie. Chaque service
public doit avoir une hiérarchie en proportion avec les services qu'il est
chargé de rendre. Si l'on a donné un lieutenant-général, des généraux-majors à
l'arme du génie, c'est que le corps des ingénieurs militaires se trouve incessamment,
en temps de guerre au moins, en contact avec les autres armes, qu'ils ont à
discuter ensemble sur l'attaque et sur ia défense, et que, dans le service de
l'armée, souvent l'autorité de la raison devrait céder à l'autorité du grade,
s'il n'y avait pas de parité.
Il n'en est pas ainsi
dans le service médical. Le service médical, d'après les faibles connaissances
que je puis avoir sur la matière, se réduit à préserver la santé du soldat, à
l'empêcher de devenir malade, à le guérir, lorsqu'il est malade. Dans le
premier cas, l'officier de santé n'est que le conseil du commandant de la
troupe ; dans le second cas, il agit seul et n'a d'ordre à recevoir d'aucun
officier commandant de troupes. Mais je ne crois pas que le conseil doive être
du même grade que le conseillé.
Selon moi, il n'y a donc
pas lieu d'adopter pour le service de santé tous les grades qui existent dans
les armes savantes, et je suis sur ce point complètement d'accord avec M. le
ministre de la guerre.
Une lacune existait dans
notre législation actuelle sur le service de santé ; c'est la loi sur
l'avancement dans le service de santé, et c'est à quoi a pourvu le projet de M.
le ministre de la guerre, sauf dans l'article premier. Je crois ces
dispositions bonnes, et j'y donnerai volontiers mon assentiment.
Une disposition nouvelle,
extraordinaire à mon avis, a été introduite par la section centrale. La section
centrale, contre tous les précédents, a voulu que le législateur intervînt dans
le service de l'armée ; elle a voulu garantir le zèle, l'attachement des
officiers de santé à l'armée par une disposition qui leur interdit la pratique
civile.
Je ne puis donner mon
assentiment à cette disposition. D'abord elle est nouvelle, et pour admettre
une nouveauté, il me semble qu'il faut des raisons plus puissantes que celles
qui ont été invoquées par la section centrale.
Je dis que la disposition
est nouvelle. Il est bien vrai qu'un arrêté de 1817 avait interdit aux
officiers de santé de l'armée la pratique civile sans l'autorisation du Roi.
Mais, messieurs, le gouvernement précédent a reconnu lui-même qu'il s'était
trompé sur ce point, puisque, par arrèté du 28 avril 1829, il a révoqué cette
disposition. Je n'ai pas l'arrêté sous les yeux, mais je tiens en main la copie
d'une circulaire adressée par le ministre de l'intérieur du gouvernement des
Pays-Bas aux commissions médicales provinciales, et qui leur annonce que cette
disposition a été rapportée. Celle circulaire, datée du 14 mai 1829, est ainsi
conçue :
« A la commission
médicale de la province de Namur.
« Le ministre de
l'intérieur,
« Informe les commissions
médicales provinciales, que par arrêté du 28 avril dernier, n°37, il a plu à S.
M. de mettre provisoirement hors d'effet la disposition de l'article 34 de son
arrêté du 20 mars 1817, n°73, qui interdit aux officiers de santé militaires
l'exercice de l'art de guérir parmi les habitants, et ce en attendant qu'il ait
été statué ultérieurement à ce sujet d'après le rapport qui sera fait à Sa
Majesté sur le résultat des opérations des députés des différentes commissions
médicales à l'assemblée qui sera tenue à Bois-le-Duc.
« Bruxelles, le 14
mai 1829.
« (Signé)
Vangobbelscroy. »
La révocation de la
mesure qui interdisait aux officiers de santé de l'armée la pratique civile,
a-t-elle été sage ? Je n'hésite pas à dire que oui, Messieurs, l'homme est pour
ainsi dire maître de sa santé, et si la société trouve bon de lui interdire
d'avoir recours, en cas de maladie, au premier venu, elle ne l'a fait qu'afin
que les gens ignorants ne fussent pas dupes du charlatanisme. Dès que le
médecin a fait preuve de capacité en acquérant le diplôme de docteur, je crois
que l'interdiction, la restriction apportée à la volonté du malade doit
disparaître, que chacun doit pouvoir consulter l'homme de l'art en qui il a confiance,
pourvu que cet homme de l'art ait la confiance de la société.
Le médecin militaire a
doublement cette confiance. D'abord il doit avoir reçu un diplôme de docteur en
médecine ; il doit avoir reçu une nomination du gouvernement pour être
spécialement chargé de la santé de ceux envers qui le gouvernement a une
obligation toute spéciale, des militaires. Pourquoi interdire l'usage de la
science au profit de celui qui la réclame ? C'est, dit-on, dans l'intérêt de
l'armée, c'est afin que les bons sujets qui trouvent une situation meilleure
dans la pratique civile que dans l'armée, ne quittent pas l'armée, dès que le
service militaire devient un obstacle à leur pratique civile.
Il faudrait constater en
fait que les choses se sont passées comme on semble l'insinuer. J'ai un tableau
des officiers de santé qui ont donné leur démission depuis le mois de mars 1835
jusqu'au mois de mars 1846. Dans cette période de 11 années, 72 médecins
militaires ont donné leur démission. Croyez-vous que ce soient des médecins qui
s'étaient fait une forte clientèle et qui préféraient les honoraires de la
pratique civile au traitement du médecin militaire ?
Dans ces 72 médecins
militaires qui ont donné leur démission, il y avait un médecin de garnison,
trois médecins de régiment, 19 médecins de bataillon et 49 adjoints ;
c'est-à-dire que les deux tiers de ceux qui ont donné leur démission se
trouvaient sur le seuil de la carrière. J'en connais quatre et des plus haut
placés ; il y en a un qui est mort maintenant ; s'il a donné sa démission, il
ne l'a pas fait à cause de sa clientèle civile, qui était fort belle, mais à
cause d'un dissentiment profond entre lui et un de ses chefs ; un des trois
autres a donné sa démission pour prendre une position qui n'a pas la moindre
analogie avec celle qu'il quittait, je ne veux pas dire ce qu'il est
aujourd'hui.
Quant aux deux autres, je
n'ai pas à rendre compte des motifs qui les ont déterminés, je les ignore, mais
je ne crois pas qu'ils eussent dans le civil une forte clientèle, quand ils ont
abandonné l'armée. Ainsi sous ce rapport, il n'y a pas de danger pour le
service de santé de l'armée ; l'expérience de onze années est là pour rassurer
les plus craintifs.
Maintenant si l'on
examine ce qu'est un médecin militaire vis-à-vis du malade qu'il a à traiter,
l'obligation où le malade est de s'en servir, c'est un médecin imposé. Il a la
confiance du gouvernement. Mais on ne s'inquiète pas de la confiance du soldat
; je suis persuadé que chacun se conduit de manière à s'attirer la confiance du
soldat. Mais on veut lui (page 599) ôter un moyen de justifier cette
confiance par ceux qui sont libres à son égard, on veut que ce médecin qu'on
impose au soldat ne puisse pas faire ratifier la confiance du gouvernement, qui
lui a conféré son grade, par le public en général. Ce serait une chose
déplorable.
Quant à moi, je
regarderais comme un acte de cruauté vis-à-vis du soldat lui-même, de ne pas
lui donner cet apaisement, qu'il doit avoir confiance dans le médecin qu'on lui
impose, à cause de la confiance générale qu'il inspire. S'il était possible que
tous les médecins de l'armée pussent avoir une nombreuse clientèle civile, j'en
serais charmé. Le soldat saurait que le médecin qu'on lui impose a la confiance
publique ; et la confiance du malade, c'est une chose connue, contribue
beaucoup à opérer la guérison.
La section centrale dit
que le service médical militaire est un service spécial.
Eh bien, messieurs, la
médecine n'est pas un art théorique ; la pratique est, je crois, plus
puissante, la médecine est une science d'observation. Plus on aura pratiqué,
plus soigneusement on aura observé, meilleur médecin sera-t-on. On veut que
l'observation, que la pratique du médecin de l'armée se restreigne dans ce
qu’on appelle une spécialité ; c'est, messieurs, vouloir éteindre la science,
c'est vouloir réduire le médecin militaire pour ainsi dire aux simples maladies
qui se présentent dans les armées.
Comme le soldat est
homme, il est sujet à des maladies autres que celles qui sont spéciales à son
état ; il court risque d'avoir affaire à un médecin complètement étranger à la
maladie dont il se trouvera affecté.
Messieurs, les véritables
termes de la question sont ceux-ci : Devons-nous restreindre les bénéfices du
médecin militaire afin que le médecin civil ait une plus forte part ? Il
suffirait de s'en rapporter à ce qui se trouve dans le rapport de la section
centrale pour résoudre cette question :
Voici ce que dit la
section centrale :
« Quand on regarde les
médecins civils, on fixe trop les yeux sur 3 ou 4 praticiens des grandes
villes, parce qu'ils jettent de l'éclat. Sans doute ceux-là ont une riche
clientèle, mais il faut penser que déjà à côté d'eux se trouvent 15 ou 20 médecins
dont la clientèle est fort médiocre, et un nombre infini d'autres qui n'en ont
pas du tout. Puis vient la classe si nombreuse, si digne d'intérêt, si
misérablement rémunérée des médecins de campagne. »
Messieurs, l'uniforme
dont est revêtu le médecin militaire, lui fournira-t-il le moyen d'avoir
immédiatement cet éclat, que, d'après la section centrale, ne jettent que trois
ou quatre praticiens des grandes villes ? Non certes, la pratique civile du
médecin militaire sera en raison du talent éminent qui le distinguera, de la
confiance qu'on aura en lui ; l'uniforme n'en inspire pas, c'est le caractère,
la science présumée qui fait la réputation du médecin. Pourquoi interdire à un
homme le bénéfice le plus légitime de tous les bénéfices, celui qu'il tire de
son mérite ?
Messieurs, lorsque je
parlais tout à l'heure du mérite médical, j'avais oublié de me prévaloir d'un
passage de ce même rapport de la section centrale, où, à propos d'examen, on
dit :
« Pour apprécier le
médecin comme tout ouvrier il faut le voir à l'œuvre. Une heure dans un hôpital
vaut mieux que des semaines dans une salle d'examen.
« Il faut l'entendre
interroger un malade, établir un diagnostic, prescrire le traitement convenable
; il faut le voir panser un blessé, pratiquer une opération, appliquer un
bandage. »
Ainsi l'on regarde le
médecin comme un ouvrier, et je le regarde comme tel dans la supposition où se
place la section centrale.
Mais quel est le meilleur
ouvrier sinon celui qui manie le plus souvent son instrument ? Quel est celui
qui sait tirer le meilleur parti de son instrument et de la matière sur
laquelle il opère, sinon celui qui est constamment au travail ?
En interdisant la
pratique civile aux médecins militaires, vous les réduirez à travailler pendant
la moitié, pendant le quart de leur temps, tandis que si vous leur laissez la
pratique civile, vous pourrez les avoir constamment sinon à l'hôpital, au moins
au lit du malade ; or l'hôpital, c'est le lit du malade en grand.
Je ne puis m'expliquer la
proposition qui vous est faite par la section centrale, au sujet de la pratique
civile, que par une analogie qui me frappe très peu et que je tâcherai de
détruire.
Nous avons augmenté les
traitements des magistrats et des membres de la cour des comptes, et ce
faisant, nous avons interdit aux magistrats et aux membres de la cour des
comptes l'exercice de toute espèce de commerce.
Le gouvernement, par
arrêté royal, a interdit à certains fonctionnaires de l'ordre administratif les
opérations commerciales. On a bien fait, dans l'un et dans l'autre cas.
La loi a dû intervenir à
l'égard des magistrats et des conseillers à la cour des comptes, parce qu'un
magistrat et un conseiller à la cour des comptes ne relèvent que de la loi,
pour leurs obligations ; le juge est inamovible ; le conseiller à la cour des
comptes est nommé par la chambre des représentants. Le gouvernement étant sans
action sur eux, c'est la loi qui a dû le leur interdire.
Le motif pour lequel elle
leur a interdit le commerce, c'est qu'il est toujours accompagné d'une cupidité
qui est indigne d'un magistrat, et qui les compromettrait, au moins dans
l'opinion.
Le motif pour interdire
le commerce au fonctionnaire administratif, c'est qu'il est ainsi
inévitablement entraîné à négliger ses fonctions.
C'est, en outre, que ces
trois catégories des fonctionnaires ont une action sur un très grand nombre de
citoyens, et, passez-moi la trivialité de l'expression, ont le moyen de faire
arriver les chalands à leur boutique !
En est-il de même à
l'égard des médecins militaires ? Mais le médecin militaire n'a d'action que
sur le malade qui se trouve entre ses mains ; il n’a aucune action sur les
citoyens.
Par conséquent, les
motifs qui ont fait adopter la prohibition à l'égard des magistrats et des
fonctionnaires administratifs, n'existe pas a l'égard des médecins militaires.
Je reviens de nouveau sur
la question de savoir s'il y a eu abus dans la pratique civile des médecins
militaires.
Trois pétitions, je
crois, nous sont adressées pour signaler ces prétendus abus. Mais il existe
dans le royaume neuf corps, établis par la loi, et chargés spécialement de la
police du service médical, et aucun de ces corps n'a réclamé contre la pratique
civile des médecins militaires,
Les médecins de mérite
reconnaissent les services que rendent les médecins militaires qui se livrent à
la pratique civile. Je connais même un médecin distingué qui a eu recours à uu
médecin militaire, non pas pour lui, mais pour des membres de sa famille. Et
remarquez qu'il y a certaines maladies, qui sont plus particulières à l'armée,
et qui se sont étendues dans le civil, peut-être par l'armée. Je veux parler
des maladies des yeux.
Certainement
les médecins militaires, ayant traité un grand nombre d'ophtalmistes, doivent
connaître ces maladies beaucoup mieux que ne peuvent les connaître les médecins
civils, qui n'en voient que très rarement.
Pour ma part, j'aurais à
déplorer la cécité d'un de mes enfants, si je n'avais eu recours aux lumières
d'un médecin militaire.
Ce que j'ai obtenu dans ma
famille, je vous prie de ne pas le refuser à la généralité des citoyens belges.
Plusieurs membres. - Très bien !
M. de Garcia. - L'honorable M.
Brabant vient de présenter des considérations de la plus haute importance sur
la pratique civile. Ayant fait partie de la section centrale et ayant partagé
avec la majorité une opinion contraire à celle de l'honorable membre, je dois
dire qu'il n'a pas rencontré les motifs qui ont déterminé la section centrale.
Ce qui a déterminé l'opinion de la section centrale, a été l'intérêt de
l'armée, du soldat. Quant à moi, le motif de mon vote a été la crainte que les
militaires ne reçoivent pas tous les soins auxquels ils ont droit et qui sont à
mes yeux une dette de l'Etat envers eux, puisque le service militaire est
obligatoire.
Je sais qu'on peut
prétendre que la pratique civile, exercée par les médecins militaires, ne donne
lieu à aucun abus. On l'a affirmé, je pourrais affirmer le contraire, et les
soldats comme les officiers de l'armée jugeront de quel côté se trouve la
vérité de ces affirmations opposées. Je puis dire dès aujourd'hui, je puis dire
que beaucoup d'officiers m'ont communiqué que quand ils ont besoin de médecins
militaires, ils n'en trouvent pas ; souvent ils ont été obligés de se faire
traiter par des médecins civils.
Les
considérations présentées par l'honorable M. Brabant sont sans doute de la plus
grande valeur, et je ne le dissimule pas, il est possible que je doive m'y
rendre. J'attendrai à ce sujet la discussion spéciale sur l'article. Si
pourtant cette opinion était consacrée, je demande que M. le ministre de la
guerre veille à ce qu'il n'y ait pas d'abus, à ce que nos officiers et nos
soldats ne soient pas privés des secours que la nation leur doit et dont la loi
ou les règlements doivent les assurer.
M.
Sigart, rapporteur. - J'aurais voulu, de la part de M. le ministre de la
guerre, des explications un peu plus complètes sur les questions que je lui ai
adressées relativement à la discipline. J'aurais voulu qu'il nous fît connaître
quels ont été les inconvénients de l'arrêté de 1831, qu'il nous dît pourquoi ce
qui est bon pour les auditeurs ne vaut rien pour les médecins.
Quoique ce soit peu pour
me satisfaire des explications que je viens de recevoir, c'est assez pour
arrêter un amendement que, sur une question de discipline, je n'aurais pas de
chance de soutenir avec succès contre un ministre de la guerre.
J'aurais désiré que la
discussion sur la pratique civile ne fût débattue qu'à l'article où elle est
traitée. Mais puisque la discussion s'est engagée sur ce point, je répondrai
aux deux honorables préopinants qui ont pris la parole avant moi.
Lorsque j'ai accepté la
tâche de rapporteur de la section centrale, j'ai pris le ferme propos d'oublier
que j'avais été autrefois médecin. J'ai pris le ferme propos d'étouffer toutes
mes sympathies. Car, messieurs, ce n'est pas avec nos sympathies que nous
devons faire des lois.
Au reste je n'ai pas plus
de sympathie pour telle catégorie de médecins que pour telle autre. Mon avis,
messieurs, est, à moi, que nous ne devons rien faire du tout pour les médecins
d'aucune espèce de catégorie.
Mon avis est que nous ne
devons rien faire pour les médecins civils ; que nous ne leur devons aucune espèce
de protection. Si nous leur portons quelque intérêt, c'est dans une autre
occasion, je pense, que cet intérêt doit éclater en leur faveur ; par exemple :
je crois que nous devrions bien un jour supprimer leur patente.
Je crois que nous ne
devons non plus rien faire pour les médecins militaires. Je crois que le but de
la loi doit être tout entier en faveur du soldat.
Eh bien ! messieurs, je
vous le dis, je vous le dis en toute conviction, (page 600) si vous admettez le droit, pour les médecins militaires,
de pratiquer civilement, vous ne tiendrez pas dans l'armée vos médecins
militaires capables ; votre service de santé sera une espèce de crible, à
travers lequel passeront tous les hommes capables et sur lequel resteront tous
les nommes incapables.
C'est ce que je vais
tâcher de vous démontrer. Le mal est déjà fort grave, messieurs ; cependant il
est de nature à s'aggraver considérablement.
Il faut considérer,
messieurs, que le service de santé, tel que nous l'aurons à l'avenir, ne
ressemblera plus au service de santé tel que nous l'avons actuellement. Le
service de santé actuel offre une très grande bigarrure. Il y a actuellement
dans l'armée une foule de médecins non diplômés. D'après le tableau qui est
déposé sur le bureau, voici quels sont les titres scientifiques des médecins
militaires actuels :
Il y a 17 docteurs en
médecine et en chirurgie seulement ; 47 docteurs en médecine ; 27 admis par des
commissions médicales ; 36 sans diplôme aucun.
Vous voyez donc qu'il y
a, parmi les médecins militaires, un nombre infini de médecins qui ne peuvent
pas pratiquer, ou qui ne peuvent pratiquer qu'avec certaines restrictions, dans
certains lieux et pour certaines spécialités seulement.
Mais à l'avenir vous
n'aurez plus que des docteurs en médecine et en chirurgie ; alors tous auront
des droits, alors le danger de la pratique civile s'accroîtra considérablement.
J'ai foi, messieurs, dans
les médecins de l'armée, et je ne suis pas de ceux qui acceptent certains
bruits qu'on fait courir. Je crois qu'en temps de guerre, l'honneur les
retiendrait dans les rangs. Mais je sais qu'en temps de paix ils les quittent
fort facilement.
Voici une note qui sort
des bureaux de M. le ministre de la guerre. Je m'informais d'un autre point,
mais j'ai reçu ces indications accidentellement.
Il s'agit des dernières
démissions d'officiers de santé : « Nous avons eu à statuer, dans ces derniers
temps, sur quatre demandes de démission formulées par MM. Dewildt, médecin de
bataillon de l'artillerie, à Liège, Vincart, id. du 3ème chasseurs à pied, à
Huy, Defontaine, id. du 7ème de ligne, à Mons, et Laheyne, id. du 6ème de
ligne, à Liège. Les trois premiers ont quitté le service parce qu'ils ne
voulaient pas abandonner la clientèle civile qu'ils s'étaient faite : ils n'ont
pas suivi leurs corps dans leur changement de résidence ; le quatrième pour
aller se former une clientèle civile à Ypres. »
Voilà donc quatre
médecins sortis les derniers, et qui tous les quatre sont sortis pour aller
pratiquer civilement.
M. Brabant. - Il y a quatre ans qu'ils sont
sortis.
M.
Sigart. - Il n'y a que quelques mois que j'ai reçu la note. Je ne connais pas
tous ces messieurs, mais je puis affirmer que M. Brabant se trompe au moins en
ce qui concerne l'un d'eux. Au reste s'il désire un autre exemple, je le lui
donnerai. Je le trouverai dans la ville que je connais le mieux.
Dans la ville de Mons il
y a place pour sept ou huit médecins ayant une certaine clientèle. Eh bien ! il
y en a actuellement quatre qui sortent des rangs de l'armée. Ce sont des hommes
recommandables ; la plupart sont mes amis, et je crois pouvoir les citer sans
le moindre inconvénient : ce sont MM. de Courtray, Montigny, Desfontaines et
Corbisier.
Dès l'instant, messieurs,
qu'un médecin militaire pratique civilement, il est extrêmement difficile de le
faire changer de garnison, et cela se comprend parfaitement. Toutes sortes
d'influences viennent assiéger M. le ministre de la guerre. Quel moyen y a-t-il
de faire changer de garnison à un médecin qui a sauvé, par exemple, le fils
d'un représentant, quand ce représentant appartient à la droite de l'assemblée
? Mais moi-même, messieurs, en faisant bien mon examen de conscience, je ne
suis pas sûr de n'avoir pas quelquefois sollicité de pareilles faveurs de M. le
ministre de la guerre ; il est vrai, pour mon repos, que c'était sans
efficacité, comme c'est la coutume pour les recommandations qui partent de nos
bancs.
M. Brabant. - Je ne l'ai jamais fait.
M.
Sigart. - Quand on entre dans la carrière médicale civile, on court de
nombreuses chances. Quelquefois la pratique vient ; quelquefois elle ne vient
pas ; et si elle ne vient pas, c'est un mal sans remède.
Mais dans le service de
sauté militaire, c'est tout autre chose. En entrant dans le service on a une
existence assurée. Lorsque l'on est dans le service, on tâte de la pratique ;
si la pratique ne vient pas, si elle ne veut pas venir, on reste dans le
service. Mais si elle vient riche, au premier ordre de changement de garnison,
vous en êtes sûrs, le médecin quitte les rangs.
On doit voir, messieurs,
que l'on est conduit forcément à consacrer une injustice. Dès l'instant où vous
permettez à certains médecins de pratiquer civilement, vous leur donnez par
cela même le droit d'un séjour continu dans une garnison. Car, comme on l'a
fait observer dans cette discussion, la pratique médicale ne vient pas en un
jour ; il faut du temps pour l'acquérir.
Dès l'instant où un
médecin est dans une garnison, il y reste toujours, et comme les corps doivent
changer incessamment, la charge tombe sur les autres ; il est de toute
évidence, par exemple, que s'il y a un changement de garnison par an, tous les
médecins qui ne pratiquent pas doivent changer de garnison tous les six mois.
Qu'arriverait-il,
messieurs, si tous les médecins pratiquaient ? Mais les changements de garnison
présenteraient les plus graves inconvénients ; à chaque mutation les médecins
seraient en face de sujets inconnus ; les faits acquis sur la constitution de
chaque soldat le seraient en pure perte ; ce serait un dommage incalculable
pour la sûreté du traitement.
Ces raisons, messieurs,
et celles qui me restent à vous soumettre, ont frappé un ou plusieurs chefs du
service de santé, et je demanderai à M. le ministre de la guerre s'il n'a pas
reçu des rapports dans le sens de mon opinion.
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse). - Je ne me rappelle absolument rien à cet égard.
M.
Sigart. - Les ministres n'ont jamais de mémoire quand il s'agit de se rappeler
des choses qui les gênent. Je vais rafraîchir vos souvenirs.
M. de
Brouckere. Qu'est-ce que cela fait,
l'opinion d'officiers de santé ?
M.
Sigart. - Cela fait que, dans le rapport que j'ai en vue, il y a une très bonne
raison :
« La section centrale de
la chambre des représentants, chargée de l'examen du projet de loi sur le
service de santé de l'armée, propose (article 10) d'interdire la pratique
civile aux médecins militaires. Je n'ai pas l'intention d'examiner les raisons
que la section fait valoir pour justifier cette mesure ; mais j'observerai que,
si elle est fondée pour les médecins, elle est, à plus forte raison, applicable
aux vétérinaires de l'armée. Ceux-ci, outre un service plus étendu, plus
compliqué, et qui demande bien plus de temps que celui des médecins des corps,
ont encore à leur disposition un dépôt de médicaments, appartenant à l'Etat.
Les abus sont possibles, M. l'inspecteur général, et l'occasion de les prévenir
me semble opportune. »
Cette pièce, adressée à
M. l'inspecteur général par l'inspecteur vétérinaire, a été envoyée à M. le
ministre de la guerre le 20 novembre dernier.
Mais, messieurs, les
arguments que l'on présente ici pour les médecins vétérinaires s'appliquent
également aux médecins de l'année ; car, dans une foule de garnisons, les
médecins militaires ont aussi à leur disposition des médicaments. Il y a des
garnisons où il se trouve des pharmaciens militaires, il y a des garnisons où
il ne s’en trouve pas :
« Le médecin militaire
prescrit et prépare tout à la fois dans les garnisons d'Ath, Audenarde,
Bouillon, Charleroy, Diest, Dinant, Huy, Menin, Nieuport, Philippeville et
Termonde. Ces garnisons n'ont point de pharmaciens militaires. Les médicaments
sont envoyés directement de la pharmacie centrale aux médecins ayant la
direction de l'infirmerie. D'ailleurs, les médecins peuvent se prescrire à
eux-mêmes et à leur famille.
« Les vétérinaires en
chef et les vétérinaires détachés des corps de troupes à cheval (cavalerie et
artillerie) prescrivent et préparent. Ils font de leurs médicaments ce qu'ils
veulent. »
Je n'ai pas besoin
d'appuyer sur ces considérations. Quand un chef de service dit que des abus
sont possibles, c'est que ces abus existent.
Votre proposition, nous
dit-on, est odieuse, inhumaine, illibérale ; je ne sais quelles épithètes on
n'a pas lancées contre nous. Je crains, messieurs, que mes paroles n'aillent
plus loin que ma pensée ; mais ne croyez-vous pas que cette humanité dont on
nous fait montre est un masque derrière lequel se cachent des intérêts ?
Comment ! notre proposition est inhumaine ? Mais ne voyez-vous pas qu'à
l'instant où l'humanité sera satisfaite d'un côté elle souffrira de l'autre ?
Pendant que le médecin militaire courra la pratique payée, est-ce que le soldat
ne l'attendra pas ? Et comment réclamera-t-il ? Le soldat trouve-t-il le moyen
de remplacer le médecin militaire ? A-t-il le moyen de payer un autre médecin ?
N'ayez de crainte que
pour le soldat. N'ayez pas de crainte pour le malade qui peut payer. Mais des
médecins, messieurs, il y en a partout. La carrière médicale, comme toutes les
carrières, est encombrée ; partout où il faut un médecin, il est sûr qu'on en
trouvera quatre.
Quand une localité manque
de médecin, soyez sûrs qu'elle manque de ressources. Et ce n'est pas là que se
trouvent les garnisons.
On a dit que le roi
Guillaume, qui avait interdit la pratique civile aux médecins militaires, avait
reconnu ses torts plus tard et que, par une circulaire envoyée aux commissions
médicales, on annonçait un arrêté qui rapportait la disposition. Le fait est
parfaitement exact, mais il faut, pour le juger, se reporter à la situation de
l'époque, comme l'a dit l'honorable M. de Brouckere. Les médecins militaires se
recrutaient dans l'école spéciale d'Utrecht, et à l'époque où l'arrêté de
révocation a été porté, il n'y avait plus ou presque plus personne qui pouvait
pratiquer civilement. Le roi Guillaume avait bien pris ses précautions pour
empêcher la pratique civile. Voici les considérants de l'arrêté qui a été cité
par l'honorable M. de Brouckere.
« Et prenant en
considération que lorsque l'on permet à un officier de santé militaire,
d'assister aux leçons d'une université ou de toute autre institution analogue
vouée à l'enseignement de l'art de guérir, l'intention n'est nullement, qu'il
se retire du service de l'armée, après avoir obtenu le grade qu'il désire, ou
l'autorisation qu'il sollicite, et qu'il se voue à la pratique, en qualité de
praticien civil, mais bien plutôt qu'il utilise ses connaissances nouvellement
acquises au profit de l'armée. »
Viennent
ensuite des précautions nombreuses que le roi avait prises pour qu'il n'y eût
pas trop de docteurs ni même trop de diplômés par les commissions médicales.
Je crois, messieurs,
avoir répondu à peu près à toutes les observations qui ont été faites. Je me
réserve de demander ultérieurement la parole (page 601) si je m'aperçois, à la lecture du Moniteur de demain, que
j'en ai omis quelques-unes.
M. de
Brouckere. - Messieurs, je répondrai en bien peu de mots au discours de l'honorable
préopinant. L'honorable M. Sigart raisonne comme si nous voulions introduire
une innovation, comme si c'était contrairement à ce qui existe aujourd'hui que
nous réclamons pour les officiers de santé du service militaire le droit
d'exercer la pratique civile. Mais, messieurs, la seule chose que nous demandons,
c'est la continuation, le maintien de ce qui existe aujourd'hui, de ce qui
existe en fait et en droit ; car l'honorable M. Sigart ne conteste pas que,
aujourd'hui, les médecins militaires peuvent pratiquer, et que c'est légalement
que quelques-uns d'entre eux pratiquent. Ce n'est donc rien autre chose que la
continuation de ce qui existe que nous réclamons, et nous le réclamons parce
que nous ne voyons aucun motif pour changer ce qui existe.
L'honorable M. Sigart
admet que nous ne devons, dans cette occasion, avoir en vue en aucune manière,
l'intérêt des médecins, à quelque catégorie qu'ils appartiennent ; c'est,
dit-il (et nous sommes d'accord sur ce point), c'est l'intérêt public que nous
devons consulter et particulièrement l’intérêt de l'armée, l'intérêt du soldat.
L’honorable M. Brabant et moi, nous avons prouvé, ce me semble, à l'évidence,
qu'il est de l'intérêt public et de l'intérêt de l'armée que les médecins
militaires puissent se livrer à la pratique civile. Nous avons démontré que la
pratique civile des médecins militaires est favorable à l'armée, en ce sens que
plus le médecin militaire pratique, plus il acquiert d'expérience et plus le
soldat a, par conséquent, de motifs d'avoir confiance en lui.
L'honorable M. Sigart
objecte que si le médecin militaire devait avoir une clientèle civile, le
soldat pourra être dans le cas d'attendre vainement son secours, parce que le
médecin militaire pourra donner la préférence à la clientèle civile. Ceci,
messieurs, serait un abus grave ; et si cet abus se présentait, il serait du
devoir du gouvernement d'y porter immédiatement remède ; un semblable écart, un
semblable oubli de tous ses devoirs ne serait pas commis par le médecin
militaire sans que les officiers de la garnison en donnassent connaissance aux chefs,
et je n'hésite pas à dire qu'un pareil oubli des devoirs les plus sacrés serait
immédiatement et sévèrement puni ; j'en appelle à M. le ministre de la guerre
lui-même.
Aussi, cet abus n'est pas
à redouter, et pour autant que j'aie connaissance de ce qui se passe, je ne
crains pas de dire que je connais des officiers de santé militaires, exerçant
la pratique civile, et que ce sont les plus zélés dans le service de santé de
l'armée.
On a parlé des
inconvénients qui résulteraient du rejet de la proposition qui a été faite par
la section centrale. L'on vous a dit que si vous permettiez la clientèle
civile, vous ne conserveriez dans le service de santé militaire que des
médiocrités, et que les hommes distingués s'empresseraient de le quitter au
bout de quelques années.
D'abord, je réponds à
l'honorable M. Sigart par l'expérience acquise pendant les 15 années qui
viennent de s'écouler. L'honorable M. Brabant l'a démontré, sur plus de 75
officiers qui ont quitté le service de santé dans ces derniers temps, à peine
en est-il quatre ou cinq qui l'ont fait, en vue d'une clientèle civile. (Interruption.)
Je demanderai à
l'honorable M. Sigart, qui m'interrompt, s'il croit que les 49 adjoints ont
quitté le service pour se livrer à la pratique civile.
Mais savez-vous, messieurs,
pourquoi les officiers de santé militaires quittent le service ? C'est parce
qu'on leur a fait une position qui n'est pas tenable, c'est parce qu'on les a
privés de toute espèce de perspective, c'est parce que le service de santé
militaire a été moins bien traité qu'aucune autre administration dans notre
pays. Mais rendez au service de santé la considération et les avantages
auxquels il a droit, et vous n'aurez plus de démissions à craindre, ou du moins
vous en verrez moins dans l'avenir qu'il n'y eu a eu dans le passé.
En temps de guerre,
l'honorable M. Sigart l'a dit lui-même, vous n'aurez aucune démission. Il n'est
pas un officier de santé militaire, en eût-il l'envie, qui osât quitter le
service, non seulement si la guerre avait éclaté, mais même s'il y avait
apparence de guerre. En temps de paix, la démission sera, dans l’hypothèse où
je me place, un cas extrêmement rare ; pour un homme capable qui se retirera,
d'ailleurs, il se présentera dix autres hommes capables qui tiendront à honneur
d'entrer dans le corps. Mais si vous interdisez la clientèle civile, il
arrivera autre chose : c'est que les hommes capables n'entreront pas dans le
service de santé militaire, parce que, bien que la clientèle civile soit
difficile avec notre organisation, bien qu'elle doive être l'exception, il n'en
est pas moins vrai que vous n'offrirez aux hommes capables aucune perspective.
L'honorable M. Sigart a,
j'en suis persuadé, trop de raison pour croire que les attaques que nous avons
dirigées contre sa proposition puissent l’atteindre personnellement. Il a cru
cependant devoir répondre à ces attaques qu'il a trouvées un peu vives, d'une
manière qu'il a jugée lui-même être assez sévère. Il nous a représentés comme
défendant ce que nous appelons l'intérêt général, dans le seul but de servir
quelques intérêts particuliers ; il a cru que le bien-être de quelques
officiers de santé militaires nous dictait les paroles que nous avons
prononcées ici.
Eh bien, messieurs, je
déclare, quant à moi, et je n'en fais pas mystère, que si j'ai pris
sérieusement à cœur les intérêts des officiers de santé de l'armée, c’est que,
outre que j'ai cru juste de le faire, je dois personnellement une profonde
reconnaissance à quelques-uns de ces officiels de santé. Où est le mal,
messieurs, à ce que je défende devant vous des personnes qui m’ont rendu de
grands services, qui en ont rendu à de nombreuses familles, et qui sont à même
d'en rendre encore ?
J'ai dit que la
proposition était odieuse ; je n'ai pas été trop loin, et je pourrais le prouver
par un fait qui me concerne personnellement, puisque je pourrais citer une
personne qui me tient de près, qui a 90 ans, qui a placé toute sa confiance
dans un médecin militaire par lequel elle est traitée depuis 15 ans, et que
vous forceriez du jour au lendemain à changer de médecin. Je le répète, cela
serait odieux et cruel.
- La clôture de la
discussion générale est mise aux voix et prononcée.
On passe à la discussion
des articles.
Discussion des articles
Article premier
« Art. 1er. Les
officiers du service de santé de l'armée sont assimilés, à dater du jour de
leur nomination, aux grades militaires désignés ci-après, savoir :
« L'inspecteur
général, au grade de général-major ;
« Le médecin en
chef, au grade de colonel ;
« Les médecins
principaux, au grade de lieutenant-colonel ;
« Les médecins de
garnison, au grade de major ;
« Les médecins de
régiment, au grade de capitaine de première classe ;
« Les médecins de
bataillon de première classe, au grade de capitaine de deuxième classe ;
« Les médecins de
bataillon de deuxième classe, au grade de lieutenant ;
« Les
médecins-adjoints, au grade de sous-lieutenant ;
« Le pharmacien
principal, au grade de major ;
« Le pharmacien de
première classe, au grade de capitaine ;
« Le pharmacien de
deuxième classe, au grade de lieutenant ;
« Le
pharmacien de troisième classe, au grade de sous-lieutenant ;
« L'inspecteur
vétérinaire, au grade de major ;
« Les vétérinaires
de première classe, au grade de capitaine ;
« Les vétérinaires
de deuxième classe, au grade de lieutenant ;
« Les vétérinaires
de troisième classe, au grade de sous-lieutenant. »
- La section centrale ne
propose pas d'amendement.
M. de Garcia. - Messieurs,
c'est à propos de cet article que j'ai demandé à M. le ministre de la guerre
une explication sur la question de savoir si les médecins de bataillon de
première classe sont assimilés aux
capitaines du génie de deuxième classe, recevront le traitement de capitaine du
génie de deuxième classe. J'ai fait observer que, d'après une note jointe au
tableau d'émargement qui a été fourni à la section centrale, ces médecins
n'auraient qu'un traitement de 3,500 fr., tandis que le traitement du capitaine
du génie de deuxième classe est plus considérable : il faut nécessairement une
explication à ce sujet, et lorsqu'elle sera présentée, je me réserve
formellement de présenter un amendement pour réaliser l'assimilation formulée
dans la loi.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, je n'ai pas les tarifs
sous les yeux ; je ne puis donc pour le moment répondre d'une manière
catégorique à l'honorable préopinant ; mais comme, dans la loi, il ne doit pas
être question des traitements, et que j'ai promis à M. de Garcia de lui donner
les explications qu'il demande, lorsque j'aurai revu les tarifs, rien n'empêche
que l'article premier soit adopté.
- L’article premier est
mis aux voix et adopté.
M. de Garcia. - Adopté, avec
la réserve du traitement ?
M. le président. - Oui !
M. de
Brouckere. - Messieurs, j'avais préparé un article additionnel ; j’avais même
modifié la proposition que j'avais annoncée, en rendant facultative
l'augmentation de grade que j'avais d'abord réclamée comme obligatoire pour les
officiers de santé militaires, après dix années ; cependant je ne voudrais pas
que ma proposition donnât lieu à une longue discussion, si elle n'a pas de
chance d'être accueillie.
- La proposition est
appuyée.
M. de Garcia. - Messieurs, je
prends la parole pour combattre cet amendement auquel on ne semble pas tenir
beaucoup, mais qui a une portée immense.
Nous faisons en ce moment
une loi organique du service de santé ; quand nous nous sommes occupés de
l'organisation de l'armée, nous avons mis la plus grande économie, une réserve
et une parcimonie excessives dans l’établissement des cadres de l'armée, et ce
au détriment de beaucoup de positions acquises ; et, dans le moment actuel, par
la proposition qui nous est faite, nous donnerions au gouvernement le moyen de
créer, dans le service de santé, une masse de grades supérieurs dont l'utilité
n'est nullement établie. Une conduite semblable serait aussi inconséquente que
peu justifiée.
- L'amendement est mis
aux voix. Il n'est pas adopté.
Article 2
« Art. 2. Il est
compté six années de service effectif, à titre d'études préliminaires, aux
personnes qui sont admises dans le service de santé au grade de
médecin-adjoint, et trois années à celles qui y sont reçues en qualité de
pharmacien ou de vétérinaire de troisième classe.
- Adopté.
Article 3
« Art. 3. Nul ne
pourra obtenir le brevet de médecin adjoint, s'il n'est docteur en médecine et
en chirurgie, âgé de moins de 28 ans, né Belge ou naturalisé, et s'il ne
contracte un engagement qui le lie au service de l'année pendant 6 ans, à
compter de la date de son brevet.
« Nul ne pourra
obtenir le brevet de médecin de bataillon de deuxième classe, s'il n'a servi au
moins deux ans dans le grade de médecin adjoint.
« Nul ne pourra
obtenir le brevet de médecin de bataillon de première classe, s'il n'a servi au
moins deux ans dans ic grade de médecin de bataillon de deuxième classe.
« Nul
ne pourra obtenir le brevet de médecin de régiment, s'il n'a servi au moins
deux ans dans le grade de médecin de bataillon de première classe.
(page 602)
« Nul ne pourra obtenir le brevet de médecin de garnison, s'il n'a servi
au moins quatre ans dans le grade de médecin de régiment.
« Nul ne pourra
obtenir le brevet de médecin principal, s'il n'a servi au moins trois ans dans
le grade de médecin de garnison.
« Nul ne pourra
obtenir le brevet de médecin en chef, s'il n'a servi au moins deux ans dans le
grade de médecin principal.
« Nul ne pourra
obtenir le brevet d'inspecteur général, s'il n'a servi au moins deux ans dans
le grade de médecin en chef. »
M.
de Man d’Attenrode. - Je demande la parole pour appeler l'attention de la chambre sur un
paragraphe qui nous a échappé en section centrale. Ce paragraphe est ainsi
conçu :
« Nul ne pourra obtenir
le brevet de médecin de régiment s'il n'a servi au moins deux ans dans le grade
de médecin de bataillon de première classe. »
C'est
en vertu de la loi que nous discutons, que seront créés les médecins de
bataillon de première classe ; si on n'ajoute pas une disposition
supplémentaire à cet article, le gouvernement ne pourra pas nommer de médecin
de régiment avant deux ans ; il ne pourra pas faire de promotion parmi les
médecins de bataillon de première classe d'ici à deux ans.
En effet, les médecins de
bataillon promus à la première classe, devront avoir deux années de grade avant
d'être promus au grade de médecin de régiment. Je désire que M. le ministre de
la guerre donne quelques explications à cet égard.
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse). - L'observation qui vient d'être soumise à la chambre par
l'honorable M. de Man a fait l'objet de mon attention. Il est évident que si
vous adoptez la proposition que j'ai eu l'honneur de présenter, il y aura lieu
à désigner 28 médecins de bataillon qui passeront au grade de capitaine de
deuxième classe ; dès lors il leur faudrait deux ans de service dans ce grade
avant de pouvoir concourir pour celui de médecin de régiment. Or nous ne
pouvons pas rester dans l'impossibilité de pourvoir à ce grade ; et veuillez
remarquer que si la création du grade de capitaine de deuxième classe pour les
médecins de bataillon n'avait pas eu lieu, la plupart de ceux qui vont y être
nommés ayant un grand nombre d'années de services dans le grade de lieutenant
pourraient dès demain concourir pour le grade ele médecin de régiment.
Je
proposerai donc comme article transitoire à la fin de la loi un amendement
ainsi conçu :
« Par dérogation au
paragraphe 4 de l'article 3, la condition de deux années de grade exigée du
médecin de bataillon de première classe pour devenir médecin de régiment, ne
sera pas applicable à ceux qui auront fait partie de la promotion à ce grade en
exécution de l'article 19. »
Si la chambre adopte
cette proposition, l'embarras indiqué par l'honorable M. de Man cessera d'exister.
Plusieurs voix. - L'impression !
M.
de Man d’Attenrode. - Messieurs, je me lève pour déclarer que je suis satisfait de la
proposition que vient de nous annoncer M. le ministre. Elle remplit la lacune
que j'ai signalée. Mais il est une autre observation que je crois devoir faire.
L'avant-dernier paragraphe est ainsi conçu :
« Nul ne pourra obtenir
le brevet de médecin en chef, s'il n'a servi au moins deux ans dans le grade de
médecin principal. »
J'étais l'organe de la
cinquième section à la section centrale ; j'ai demandé quelle était l'utilité
d'un médecin en chef en temps de paix ; il n'a rien été répondu de satisfaisant
à cet égard par le gouvernement. M. le ministre s'est expliqué sur ce point au
commencement de cette séance. Voici la note que j'ai tenue : Le médecin en chef
n'est employé qu'en temps de guerre, nous a-t-il dit.
Or, s'il en est ainsi,
c'est une véritable sinécure que la position de médecin en chef en temps de
paix. En France, il n'y a pas de médecin en chef en temps de paix. Cela est si
vrai, que quand une division de l'armée française vint assiéger la citadelle
d’Anvers, un médecin principal fut désigné pour remplir les fonctions de
médecin en chef pendant le siège, et quand l'armée rentra en France, ce médecin
reprit son ancienne position ; c'est une chose aussi anormale, qu'un général en
chef en temps de paix. Quand une armée est mise sur le pied de guerre, un
général est désigné pour remplir les fonctions de général en chef. Il cesse ses
fonctions quand l'armée est remise sur le pied de paix. C'est ainsi qu'un
officier général ne peut être breveté comme général en chef ; il ne peut
recevoir pour ces fonctions-là qu'une commission provisoire, une commission
temporaire, pour la durée de la guerre ; dès que les circonstances qui ont
exigé sa nomination viennent à cesser, il rentre dans sa position première.
J'ai été d'autant plus
surpris de voir qu'on voulait consacrer la permanence de cette position en
temps de paix dans une loi organique, que l'un des prédécesseurs de M. le
ministre de la guerre avait décidé que cette position ne serait pas permanente.
Voici un arrêté du 8 mars
1836, rendu sur le rapport de l'honorable baron Evain. Cet arrêté royal fixe le
cadre du personnel du service de santé. Je remarque, il est vrai, dans la
nomenclature des fonctionnaires de ce service, un médecin en chef ; en voici le
motif ; c'est qu'on a voulu maintenir le titulaire dans la position qu'il avait
acquise en 1830. Mais voyons un peu plus loin l'article 4, il est ainsi conçu :
« En cas de vacature (le mot n'est pas français, mais je le lis tel que je le
trouve), en cas de vacature, dis-je, il ne sera plus pourvu au remplacement du
médecin en chef de l'armée. »
Ceci prouve que
l'administration de la guerre était convenue que cette position de médecin en
chef de l'armée en temps de paix ne devait pas subsister.
Cet article me semble
étrange ; car on ne fait en général pas d'articles en faveur des personnes,
mais dans un but d'intérêt général.
Je demande au reste que
le gouvernement reste conséquent avec lui-même, que M. le ministre de la guerre
ne maintienne pas, en temps de paix, une position reconnue inutile par un
arrêté royal rendu par un de ses prédécesseurs.
Je demande donc la
suppression de l'avant-dernier paragraphe de l'article.
On pourrait, afin de ne
pas déroger à l'arrêté royal de 1836, adopter une disposition transitoire, afin
de maintenir le titulaire actuel dans son grade sa vie durant. Mais, comme je
l'ai dit, il serait ridicule de maintenir à tout jamais une sinécure, qui l'est
doublement dans un pays comme le nôtre, soumis à une perpétuelle neutralité.
On me
dira que le titulaire ne touche qu'un traitement de disponibilité de 3,660 fr.
; mais il reçoit, je crois, pour deux chevaux, des rations de fourrages. Dans
un moment où tant de malheureux ne savent comment vivre, on devrait se montrer
plus économe des deniers du trésor. On ferait vivre bien des gens avec ce
traitement de disponibilité.
J'espère donc que vous
adopterez ma proposition de supprimer l'avant-dernier paragraphe de l'article
en discussion, sauf à ajoutera la fin de la loi une disposition transitoire
pour maintenir une position établie par l'arrêté du 8 mars 1836.
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse). - Je viens prier la chambre de vouloir bien maintenir
l'article tel qu'il est proposé.
Je sais bien que, dans le
courant de l'année 1836, un arrêté royal a décidé que, dans le cas de vacance,
il ne serait plus pourvu au grade de médecin major ; mais je suis lié par la
loi de 1845, portant organisation de l'armée. Dans la discussion de cette loi,
M. le ministre de la guerre, mon honorable prédécesseur, avait demandé qu'il y
eût un inspecteur général et quatre médecins principaux. Plus tard, il a
proposé un amendement à l'article 2 ; il s'est exprimé en ces termes :
« Je maintiens la
proposition du gouvernement ; seulement je crois devoir faire une observation à
l'article « Médecins principaux » ; je demande qu'on substitue les
mots : « Médecin en chef et médecins principaux », 4 sur le pied de
guerre. Nous avons un médecin en chef qui se trouve en ce moment en
disponibilité ; mais si l'un des médecins principaux venait à manquer, ce
serait un moyen d'économie que de replacer le médecin en chef en activité, pour
remplir en temps de paix les fonctions de médecin principal. »
Vous voyez donc,
messieurs, que la loi votée en 1843 reconnaît l'existence d'un médecin en chef,
même en temps de paix. Aux termes du projet en discussion, il y aurait :
« Médecin en chef et médecins
principaux, 4. »
Il n'y aurait donc
changé.
Je n'ignore pas qu'il
existe maintenant un médecin principal en trop. Mais, par une circonstance
quelconque, il peut venir à manquer, et ne serait pas remplacé, puisque nous
aurons un médecin en chef destiné au besoin à remplir ses fonctions.
Remarquez, messieurs, que
très souvent on réclame le secours du médecin en chef. Il ne se fait pas une
opération importante à Bruxelles, soit à l'hôpital, soit chez les officiers de
l'armée, que le médecin en chef ne soit appelé pour remplir ses fonctions
d'officier de santé militaire.
Si
l'on supprime cet échelon, la hiérarchie qui doit exister dans ce service,
comme dans tous les autres, viendra à se trouver interrompue. Il faut bien que
ce grade soit rempli. Sinon, dans le cas de vacance des fonctions d'inspecteur
général, on devra y nommer un médecin principal, qui franchira alors deux
grades, ce qui ne se pratique dans aucun corps de l'armée.
Je demande donc que la
chambre maintienne la disposition qu'elle a adoptée en 1843.
M. Brabant renonce à la parole.
M.
de Man d’Attenrode. - Je conviens que, d'après la loi d'organisation de l'armée, il doit y
avoir 4 médecins en chef et principaux, c'est-à-dire un médecin en chef et
trois principaux. Je regrette qu'on n'ait pas fait d'observations ; d'ailleurs
le médecin en chef mentionné dans la loi d'organisation de l'armée ne doit
exister qu'eu temps de guerre ; c'est ainsi que j'interprète cette disposition.
Car la raison, confirmée par l'expérience des autres pays, nous dit qu'un
médecin en chef n'est utile qu'en temps de guerre. M. le ministre de la guerre
est lui-même convenu, je le répète, qu'il n'est d'aucune utilité en temps de
paix ; il vient d'alléguer que cet honorable docteur rend des services. Je
reconnais que c'est un homme d'un mérite éminent, qu'il est à même de rendre
des services. Aussi, je ne propose pas de changer la position que lui assure
l'arrêté de 1836. Mais je propose de dire dans la loi que dans le cas où ce
grade serait vacant, il n'y serait plus pourvu en temps de paix.
Je terminerai par cette
observation :
Le
dernier paragraphe de l'article porte : « Nul ne pourra obtenir le brevet
d'inspecteur général, s'il n'a servi au moins deux ans dans le grade de médecin
en chef. » Or, comme il n'y a qu'un médecin en chef, le gouvernement n'aurait
aucun choix à faire. Et comment fera-t-il si (ce qui peut arriver) le médecin
en chef ne convient pas pour les fonctions d'inspecteur général, si (et c’est
précisément le cas) il a une clientèle civile importante et nombreuse,
incompatible avec ces fonctions ? Je suppose que le médecin en chef refuse par
ce motif le brevet d'inspecteur général, le gouvernement n'aura personne qu'il
puisse appeler à ces fonctions. Cela est évident.
(page 603) Il serait étrange que M. le ministre de la guerre ne se
ralliât pas à ma proposition, puisque je maintiens le statu quo. Je ne porte
ainsi atteinte à aucune position acquise, je ne nuis en rien au service, je me
borne à sauvegarder les intérêts du trésor.
M. de Garcia. - J'avais
demandé la parole avant que l'honorable M. de Man n'eût présenté sa dernière observation
relative au dernier paragraphe de l'article 3, ainsi conçu : « Nul ne pourra
obtenir le brevet d'inspecteur général, s'il n'a servi au moins deux ans dans
le grade de médecin en chef. »
Il n'y a, messieurs,
qu'un médecin en chef ; donc il devient forcément inspecteur général.
Cette disposition peut
même conduire à l'absurde. Car il se pourrait que vous n'eussiez pas un médecin
en chef ayant deux années de service.
Je crois, messieurs,
qu'il faut modifier cette rédaction, et que le gouvernement ne doit pas se lier
de manière à n'avoir qu'un homme à choisir, je me trompe, messieurs, qu'un
homme à nommer, homme qui, dans certaines circonstances, pourrait ne pas se
rencontrer. Or, c'est ce qui arriverait avec la disposition actuelle ; on
créerait en quelque sorte, par un article de la loi, une survivance pour celui
qui est médecin en chef.
Je crois donc, messieurs,
qu'il faut élargir le cercle, et qu'il serait mieux de dire : « Nul ne pourra
obtenir le brevet d'inspecteur général, s'il n'a servi au moins deux ans dans
le grade de médecin en chef, ou de médecin principal. »
Au surplus, pour avoir le
temps de méditer ceci, je crois qu'il serait bon de remettre la discussion à
demain.
M. de Brouckere. - Terminons cet article.
M. de Garcia. - Il est
impossible de terminer immédiatement cette discussion. Voilà des dispositions
qui ont échappé jusqu'à présent à l'attention, et qui cependant conduisent
évidemment à l'absurde.
Plusieurs membres. - A demain !
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, il est de mon intérêt que la discussion de cet
article soit remise à demain. Cependant je pourrai, si la chambre me le permet,
donner immédiatement quelques apaisements aux honorables membres qui viennent
de parler.
Plusieurs membres. - Non ! non ! A demain.
- La séance est levée à 4
heures et demie.