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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 4 décembre 1846
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétitions relatives à la pension d’un
ancien officier des Indes orientales (de Garcia) et au
traitement de certains commissaires de police communale (de
Garcia, de Roo, Vilain XIIII, de Garcia)
2)
Annonce du décès d’un membre de la chambre (Savart-Martel) (Dumortier)
3)
Fixation de l’ordre des travaux de la chambre. Séparation de communes (Pirmez)
4)
Rapport sur des pétitions relatives à des circonscriptions cantonales (Simons)
5)
Projet de loi modifiant la loi des droits différentiels, en ce qui concerne les
droits sur les cuirs et les chanvres (Malou, Osy)
6)
Projet de loi modifiant les droits de barrière (plâtre pour les agriculteurs) (de Bavay, Rodenbach, Zoude)
7)
Projet de loi portant le budget des voies et moyens pour l’exercice 1847
a)
Discussion générale. Equilibre général entre recettes et dépenses, réforme des
impôts (Delfosse), réforme des impôts et justice
sociale, notamment impôt personnel, patentes, débit de boissons, droits
d’accises, droits d’enregistrement et d’hypothèque, contribution foncière,
droits de succession, principe de la progressivité et de la globalisation de
l’impôt (incom tax), droits sur les donations et sur les biens possédés en
mainmorte (essentielles par des institutions de bienfaisance catholiques)
(proposition Verhaegen) (Verhaegen), réplique
générale (Malou), équilibre général entre recettes et
dépenses (Osy, Malou), réforme des
impôts et justice sociale, incom tax, droits sur les donations et sur les biens
possédés en mainmorte (essentielles par des institutions de bienfaisance
catholiques) (proposition Verhaegen) (Verhaegen), (Malou)
(Annales parlementaires
de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 195) M. Van Cutsem procède à l’appel
nominal à 1 heure.
M. A. Dubus lit le procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction
en est adoptée.
M. Van Cutsem présente l’analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Jean Engler, inspecteur du trésor, en
présence de la candidature du greffier de la cour des comptes, prie la chambre
de considérer comme non avenue sa demande tendant à obtenir la place de conseiller
vacante à cette cour. »
- Pris pour notification.
« La dame Crevecœur, veuve du sieur Waldmann, officier
de santé aux Indes orientales, réclame l’intervention de la chambre pour
obtenir les arriérés de sa pension, le remboursement de la retenue qui a été
opérée sur cette pension depuis 1836, et le payement de la gratification à laquelle
avait droit sa fille Pauline. »
M.
de Garcia. - Messieurs, la
pétition dont on vient de donner l’analyse a pour objet la réclamation d’une pension.
Depuis longtemps la requérante s’est adressée au gouvernement et elle est
restée sans réponse.
Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission
des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Leurson, commissaire de police de la
ville d’Andenne, demande qu’il soit accordé un traitement spécial aux commissaires
de police qui remplissent les fonctions de ministère public près des tribunaux
de simple police. »
« Même demande du sieur Rasschaert,
commissaire de police de la commune de Meulebeke. »
M. de Garcia. - Je demande,
messieurs, que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée de l’examen
du budget de la justice. Je crois que déjà la chambre a prononcé ce renvoi pour
des pétitions du même genre.
M. de Roo. - J’appuie la proposition de l’honorable M. de Garcia.
Lors de la discussion du projet de loi relatif à la magistrature, il a été question
des commissaires de police. J’avais proposé un amendement en leur faveur. M. le
ministre avait alors promis de présenter à cet égard une loi spéciale. Je crois
qu’il est temps enfin de s’occuper de ces fonctionnaires.
M. Vilain XIIII. - Messieurs,
la section centrale chargée d’examiner le budget de la justice a terminé son travail,
le rapport sera déposé au commencement de la semaine prochaine. Il me paraît
qu’on pourrait renvoyer ces requêtes à la commission des pétitions. Elle est
instituée pour examiner les pétitions qu’on nous adresse.
M. de Roo. - Si la section centrale a terminé son travail, je demanderai
le renvoi à la commission des
pétitions avec prière d’un prompt rapport.
M.
de Garcia. - Déjà on a renvoyé
des pétitions de même nature à
la section centrale chargée d’examiner le budget de la justice. Si l’on renvoie
à la commission des pétitions celles qui nous sont adressées aujourd’hui, il
pourra y avoir des rapports divergents, ce qui présenterait des inconvénients.
Ou il faut renvoyer toutes les pétitions à la commission des pétitions, ou il
faut les renvoyer toutes à la section centrale ; peu importe la mesure qui sera
prise, pourvu qu’elle soit uniforme et qu’un prompt rapport soit présenté.
M. le président. - On pourrait
aussi déposer ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du budget de la
justice. (Assentiment.)
- Le dépôt sur le
bureau pendant la discussion du budget de la justice est ordonné.
II est fait hommage à la chambre par M. J.-A. de Jonghe, docteur en philosophie et lettres,
professeur à l’athénée de Bruges, de sou opuscule intitulé : « De Achille ejusque ira in Iliade
obviis ».
DECES D’UN MEMBRE DE LA CHAMBRE
M. le président. - Messieurs, par lettre particulière, M. Savart me prie d’annoncer à la chambre que son père, membre de cette
assemblée., vient de mourir à Tournay.
Si la chambre m’y autorise, je m’empresserai de faire connaître à la famille
tous les regrets que cette perte nous inspire, et combien est grande la
part que nous prenons à sa douleur. (Assentiment
général.)
M. Dumortier. - Mon honorable ami M. Dubus et moi nous sommes priés
de nous rendre à Tournay pour assister aux funérailles de notre honorable collègue.
Nous prions donc la chambre de bien vouloir nous accorder un congé de deux
jours.
- Ce congé est accordé.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. le président. - Vous avez fixé,
dans une séance précédente, la nomination d’un membre de la cour des comptes au
14 courant. Mais vous n’avez pas encore fixé le jour où vous procéderiez à la
nomination de votre bibliothécaire.
Plusieurs membres. - Le même jour.
- La chambre fixe également au 14 courant la nomination
de son bibliothécaire.
M. Pirmez (pour une motion d’ordre). - Messieurs,
au commencement de la session dernière la chambre a nommé une commission
chargée d’examiner divers projets de lois de délimitation de communes. Ces
projets étaient au nombre de cinq ou six. Cette commission a fait son rapport
sur tous les projets soumis à son examen, et la chambre a statué sur ces
projets, à l’exception d’un seul, celui qui concerne les communes de Lambusart
et de Moignelée. Ce projet est resté en arrière bien que le rapport soit fait
depuis près d’un an. Il a été déposé par l’honorable M Orban, le 19 janvier 1846.
Je prierai la chambre de bien vouloir décider qu’elle
s’occupera du projet dont je viens de parler, après les objets qui se trouvent
maintenant à l’ordre du jour.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
__________________
M. le président. - J’ai oublié de demander un congé pour M.
Fleussu, qui se trouve indisposé. S’il n’y a pas d’opposition je déclarerai le
congé accordé.
RAPPORT SUR DES PETITIONS
M. Simons. - La
commission pour la circonscription cantonale m’a chargé de vous faire rapport
sur deux pétitions du conseil communal de Rommershoven, que vous lui avez
renvoyées dans vos séances des novembre dernier. Par la première, ce collège
demande que sa commune soit distraite du canton de Looz, pour être réunie à celui de Bilsen ; par la seconde,
il rappelle sa première demande et prie la chambre de vouloir statuer sur
icelle.
A l’appui de leur demande, les pétitionnaires exposent
que la commune de Rommershoven est distante du chef-lieu du canton de Looz de
plus de onze kilomètres, et que, pendant les deux tiers de l’année, les voies
de communication vers ce chef-lieu sont impraticables ; tandis qu’elle n’est
séparée de Bilsen que de cinq kilomètres et que la nouvelle route entre Tongres
et Bilsen rend les communications avec cette dernière localité faciles en toute
saison. Ils ajoutent que les habitants de Rommershoven n’ont guère de relations
d’affaires avec la commune de Looz, tandis que la proximité de Bilsen et les
relations de commerce et autres les appellent constamment au chef-lieu du
canton auquel ils demandent à être réunis.
Votre commission a consulté les pièces qui ont été communiquées
par le gouvernement à l’appui des projets de loi concernant la circonscription
cantonale ; elles constatent que les autorités judiciaires et administratives,
qui ont été entendues à ce sujet, ont appuyé la disjonction qui fait l’objet de
la demande des pétitionnaires ; elle avait également été proposée par le gouvernement.
D’après ces considérations, votre commission vous propose
de renvoyer ces deux pétitions à M. le ministre de la justice, pour y être
donné telle suite que de droit.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
PROJET DE LOI MODIFIANT LA LOI SUR LES DROITS
DIFFERIENTIELS
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Messieurs, le Roi
m’a chargé de présenter à la chambre un projet de loi apportant quelques modifications
à la loi du 21 juillet 1844, sur les droits différentiels, en ce qui concerne les cuirs et l’importation des
chanvres en masses.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution
de ce projet.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Je proposerai de renvoyer le projet à la
commission d’industrie. Si l’ancienne commission d’enquête existait encore, je
proposerais le renvoi à cette commission, mais plusieurs de ses membres ont
cessé de faire partie de la chambre.
M. Osy. - Je préférerais
la nomination d’une commission spéciale, car la commission d’industrie ne
renferme aucun membre appartenant soit à Anvers, soit à Liége, de manière que
deux grandes provinces industrielles et commerçantes n’y sont pas représentées.
Je demande que le projet soit renvoyé à une commission spéciale nommée par le
bureau.
- La chambre, consultée, renvoie le projet à la commission
d’industrie.
PROJET DE LOI PORTANT MODIFATION DES DROITS DE
BARRIERE
Discussion de l’article unique
M. le président. - L’article unique du projet de loi, proposé par la commission permanente d’agriculture est ainsi conçu :
(page 196)
« L’article 7, paragraphe 10, de la loi du 18 mars 1833, sur les barrières, est
modifié comme suit :
« Sont considérés comme engrais :
« Les cendres de bois et de houille, les cendres
dites de Hollande, la suie, le
gypse ou plâtre, la marne, le tan sortant des fosses de la tannerie et la
chaux. »
La discussion générale se confond avec celle de l’article.
La parole est à M. le ministre des travaux publics.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs,
je n’ai pas d’objections à élever sur la mesure qui fait l’objet du projet de loi
soumis aux délibérations de la chambre ; mais j’ai une observation à présenter
sur la rédaction proposée par l’honorable
rapporteur de la commission permanente d’agriculture.
Cette rédaction semble aller au-delà du but que la commission
a eu en vue. Je pense que les lois générales ne doivent pas être modifiées
légèrement, en vue d’un fait particulier, et qu’ainsi il serait préférable de
faire une loi spéciale sur le plâtre destiné à l’agriculture dans la province
de Luxembourg.
Il résulte des développements de la proposition, que
le but qu’on veut atteindre c’est de rétablir, dans la province de Luxembourg,
les choses dans la position où elles se trouvaient avant le traité de 1839,
c’est-à-dire dans cette position où les plâtres venant du Luxembourg néerlandais
pouvaient circuler dans le Luxembourg belge en franchise de droit lorsqu’ils
étaient destines à l’agriculture. Ce but me paraît pouvoir être atteint par la
rédaction suivante :
« A partir du ler janvier 1847, le plâtre étranger sera
assimilé au plâtre indigène dans la province de Luxembourg, pour ce qui concerne
l’exemption des droits de barrière, établis par les paragraphes 9 et 10 de
l’article 7 de la loi du 18 mars 1833. »
Au moyen de cette rédaction, la loi de 1833 ne serait
pas modifiée.
Je dois ajouter
que les adjudications viennent de se faire pour les barrières ; que, dans la
prévision qu’une mesure serait prise à l’égard du plâtre dans le Luxembourg,
j’ai fait insérer une réserve à ce sujet dans les procès-verbaux d’adjudication
des barrières, relatifs à cette province, et que je n’ai pas fait faire cette
réserve dans les procès-verbaux concernant les autres provinces. Si donc on
adoptait la rédaction proposée par la commission permanente d’agriculture, des
difficultés surgiraient infailliblement avec les fermiers des barrières,
inconvénient que l’on éviterait par la rédaction dont je viens de donner
lecture.
M. Rodenbach. - On demande l’exemption
du droit de barrière pour le transport du plâtre dans le Luxembourg ; je ne m’y
oppose pas. Mais je saisis cette occasion pour dire qu’il est nécessaire
d’examiner la loi sur les barrières, en ce qui concerne les subsistances à
l’usage de la classe pauvre, dont plusieurs articles sont soumis aux droits de
barrière.
Il y a eu des réclamations de la part des marchandes
de lait à qui on fait payer le droit de barrière quand elles viennent apporter
du lait de beurre pour la classe malheureuse, tandis que des articles de
subsistance de luxe sont exempts de ce droit.
L’adjudication ayant été faite pour un an, je conçois
qu’on ne puisse pas dans cet intervalle modifier le tarif sur lequel l’adjudication
a eu lieu. Mais pour l’an prochain, le gouvernement pourra apporter des
modifications à ce tarif. Je prierai M. le ministre de vouloir bien examiner
quelles sont les denrées alimentaires dont la classe malheureuse a besoin, pour
les affranchir du droit de barrière.
J’espère que M. le ministre voudra bien prendre
note de mon observation.
M. Zoude. - Messieurs, avec
l’assentiment de mes collègues de la commission d’industrie, je déclare adhérer
à la rédaction proposée par M. le ministre des travaux publics.
M. le président. - Personne ne
demandant plus la parole, il va être procédé à l’appel nominal sur l’article unique
ainsi conçu :
« A partir du premier janvier 1847, le plâtre étranger
sera assimilé au plâtre indigène dans la province de Luxembourg pour ce qui
concerne l’exemption des droits de barrière établis par les paragraphes 7 et 10
de l’article 17 de la loi du 18 mars 1833. »
- Le projet de loi est adopté à l’unanimité des 48 membres
qui ont répondu à l’appel ; il sera transmis au sénat.
Ont répondu à l’appel : MM. Fallon, Goblet, Huveners,
Jonet, Kervyn, Lesoinne, Loos, Lys, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy,
Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Simons, Thyrion, Van Cutsem, Verhaegen,
Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Zoude, Biebuyck, Brabant, Cans, Castiau, Clep,
Coppieters, David, de Breyne, de Brouckere, de Corswarem, de Garcia de la Vega,
Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meester, de Renesse, de Roo, de
Saegher, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de
Burdinne et Liedts.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES VOIES ET MOYENS
POUR L’EXERCICE 1847
Discussion générale
M. le président. - La parole est
à M. Delfosse, sur l’ensemble du budget.
M. Delfosse. - Messieurs, avant
de discuter les budgets, avant de fixer les recettes et les dépenses pour l’année
qui va s’ouvrir, il est utile, il est nécessaire même de connaître, autant que
faire se peut, la situation du trésor public.
Pour acquérir cette connaissance, il faut
rechercher quels ont été les résultats des exercices clos, quels seront les
résultats probables des exercices en cours d’exécution. Toutes la situation
financière réside dans ces deux faits.
Le gouvernement publie, à l’ouverture de chaque
session, à peu prés en même temps que les budgets, un exposé destiné à
faciliter nos recherches ; mais toutes les
parties de cet exposé ne méritent pas une égale confiance.
Les communications du gouvernement qui concernent les
exercices clos sont en général assez exactes ; une erreur de quelque importance
serait bientôt découverte, et elle n’aurait pas d’excuse.
Il n’en est pas de même des documents qui ont rapport
aux exercices en cours d’exécution. Tant qu’un exercice est ouvert, il est
soumis,. jusqu’au moment de sa clôture, à toutes sortes d’éventualités et de
fluctuations, qui permettent au gouvernement de supposer que les résultats en
seront plus avantageux qu’ils ne doivent l’être réellement.
MM. les ministres des finances aiment en général à présenter
la situation financière sous un jour favorable. C’est un moyen de faire croire
au public que les abus n’ont pas la gravité que l’opposition leur attribue ;
vous savez, messieurs, qu’en politique il est peu d’abus qui n’aboutissent à
une augmentation de dépense et d’impôt.
M. le ministre des finances, imitant en cela ses prédécesseurs,
a usé largement de ce moyen, l’année dernière ; cette année, il en use plus
largement encore.
L’année dernière, M. le ministre des finances nous disait
que le découvert du trésor n’était que de 14 millions et demi, et il paraissait
croire, il nous donnait en quelque sorte l’assurance que ce découvert ne
s’accroîtrait pas, le budget qu’il nous proposait pour 1846 présentant un
excédant des recettes sur les dépenses de 230,000 fr. environ (je donne des
sommes rondes).
J’ai soutenu alors que le découvert du trésor, que M.
le ministre de finances évaluait à 14 millions et demi, s’élèverait, suivant toutes
probabilités, à 20 millions, et
qu’il serait porté à 25 millions
par les résultats de l’exercice 1846.
M. le ministre des finances avoue déjà aujourd’hui un
découvert de 19 millions, et il nous propose, pour 1847, un budget qui ne présente
qu’un excédant des recettes sur les dépenses de 250,000 fr.
Ce découvert de 19 millions, avoué par M. le ministre
des finances, pour les exercices 1830 à 1846 inclus, est évidemment trop
faible. II faut d’abord y ajouter (M. le ministre des finances l’annonce lui-même)
les deux millions qui nous sont demandés pour les Flandres, et pour le défrichement de la Campine ; et il n’est
pas sûr que cette somme de deux millions paraîtra suffisante à la chambre.
M. le ministre des finances, en indiquant les résultats
probables des exercices qui sont encore ouverts (1844, 1845 et 1846), tient
compte des allocations qui ne seront pas dépensées, ou qui ne le seront qu’en
partie, c’est ce qu’on appelle, en termes de budget, des économies. M. le ministre
des finances tient donc compte des économies ; mais il ne dit rien des allocations
qui seront insuffisantes ; l’année dernière, on évaluait à 1,500,000 francs les
crédits supplémentaires à demander pour les exercices en cours d’exécution ;
c’était trop peu, mais enfin c’était quelque chose ; cette année on ne parle
pas du tout de crédits supplémentaires, on paraît supposer qu’il n’en faudra
pas.
Cependant la chambre a déjà voté, il y a quelques jours,
un crédit supplémentaire de 90,000 fr., et elle sera appelée à en voter bien
d’autres. On peut, sans exagération,
en se fondant sur l’expérience, évaluer à plusieurs millions les crédits
supplémentaires qui devront encore nous être demandés, pour les exercices 1844,
1845 et 1846. Le silence que l’exposé de la situation du trésor au 1er septembre
1846, présenté par M. le ministre des finances, garde sur ce point est vraiment
inconcevable.
Mais ce n’est pas tout. M. le ministre des finances
suppose que les recettes de 1846 ne resteront en dessous des évaluations que d’une
somme de 159,400 fr.
Le tableau de la recette des huit premiers mois de 1846
et des quatre derniers mois de 1845, seule base d’appréciation que nous ayons
en ce moment, porte à croire que le déficit sera, de ce chef, au moins d’un
million.
Le découvert du trésor, que M. le ministre des finances
n’évaluait, l’année dernière, qu‘à 14 millions et demi, qu’il n’évalue cette
année qu’à 19 millions, devrait donc être porté à plus de 25 millions.
Si l’on en juge par le passé, ce découvert de plus de
25 millions s’accroîtra considérablement pendant l’exercice 1847.
Cc n’est pas un faible excédant de 250,000 fr. ; c’est
un excédant de 4 à 5 millions qu’il faudrait pour parer aux éventualités fâcheuses
qui viennent presque toujours aggraver les résultats d’un exercice.
J’ai présenté cette observation l’année dernière, à
propos du budget de 1846, dont l’excédant des recettes sur les dépenses était aussi
trop faible. Que m’a dit alors
M. le ministre des finances ? Il m’a dit que j’avais tort de juger de l’avenir
par le passé, que les faits qui avaient aggravé les résultats des exercices
antérieurs étaient des faits exceptionnels qui ne se reproduiraient pas.
J’ai répondu à M. le ministre des finances qu’effectivement
ces faits ne se reproduiraient pas, mais que d’autres faits ayant les mêmes
conséquences se produiraient, et c’est ce qui est arrivé. Le vote seul des
budgets de 1846, par suite des changements que la chambre a apportés aux
propositions ministérielles, a converti le faible excédant de 230,000 fr. (page 197) en une insuffisance de 90 mille francs, et depuis la situation de
l’exercice 1846 s’est aggravé, par le vote des crédits supplémentaires,
s’élevant à 823,000 fr. en dépenses ordinaires et à 5,550,000 fr., en dépenses
extraordinaires. M. le ministre des finances ne mentionne que 5,220,000 fr. de
dépenses extraordinaires ; mais il oublie les 330,000 fr. votés, le 18 juillet
1846, pour le canal de Zelzaete.
Et remarquez bien, messieurs, que la plupart de ces
dépenses extraordinaires ont été votées, non pas par suite de l’initiative des membres
de la chambre, mais sur la proposition du gouvernement qui est venu en proclamer
la nécessité, et qui aurait dû les prévoir lors de la présentation des budgets.
Les événements m’ont donné raison, contre M. le ministre
des finances, pour l’exercice 1846 ; je crains bien qu’ils ne me donnent encore
raison pour 1847 ; déjà on nous a présenté divers projets de loi qui sont de
nature à nous entraîner dans de fortes dépenses. Je citerai entre autres les
projets de loi sur les dépôts le mendicité, sur les aliénés et sur l’acquisition
de terrains destinés à étendre le domaine royal de Laeken.
M. Delehaye. - Ce projet n’est
pas voté.
M. Delfosse. - Aucun de ces projets n’est voté, mais ils peuvent
l’être. Le dernier, pour le dire
en passant, ne saurait avoir mon appui dans les circonstances actuelles.
Je citerai encore l’amendement que M. le ministre de
la marine a déposé hier pour l’achat d’un bateau à vapeur. Il paraît aussi que
le budget de la guerre, présenté il y a quelques mois, devra être augmenté d’une
somme considérable par suite de la cherté des subsistances.
M. le ministre des finances ne se borne pas à dissimuler
une partie du déficit ; il le fait en
quelque sorte disparaître en nous montrant en perspective 13 millions de valeurs sur lesquelles
il assure que nous pouvons compter, bien qu’elles ne soient pas d’une réalisation
immédiate.
Messieurs, ces valeurs sont chimériques. Elles consistent
en obligations de l’emprunt 4 p.
c. dont le produit figure au budget en dépense comme en recette. Nous sommes à
la fois créanciers et débiteurs du montant de ces obligations qui doivent, au
fond et en réalité, être considérées comme annulées, comme n’existant plus.
Nous pourrions sans doute les remettre un jour en circulation
; mais alors il faudrait rayer une somme de 537,000 fr. du budget des voies et
moyens, tout en continuant à la porter au budget de la dette publique. Cette
opération équivaudrait à un
emprunt.
Les 13 millions de valeurs tant prônées par M. le ministre
des finances se réduisent donc en définitive à la possibilité de contracter un
emprunt, possibilité qui existerait indépendamment de ces valeurs. Vous voyez
que j’avais raison de dire qu’elles sont chimériques.
La situation (j’en ai un vif regret, je ne demanderais
pas mieux que d’avoir tort), la situation financière est loin d’être aussi
bonne que M. le ministre des finances se plaît à le dire. Depuis quelques
années, les impôts ont été considérablement augmentés, une partie de nos
domaines a été vendue, nous avons retiré de fortes valeurs du traité avec la
Hollande ; la conversion de nos
emprunts, opérée en 1844, nous a valu plusieurs millions ; divers capitaux nous
ont été remboursés ; nous avons contracté de gros emprunts ; et, néanmoins,
nous nous trouvons encore en présence d’un déficit de plus de 25 millions qui
menace de s’accroître.
Il serait temps, messieurs, de mettre un terme un état
de choses qui devient inquiétant et qui, si l’on n’y prend garde, finira par
nous perdre, et le meilleur moyen serait d’entrer franchement, résolument dans
la voie des économies et de la réforme des impôts.
Quand je parle d’économies, je n’entends parler que
de celles que la raison approuve ; loin de moi l’idée de proscrire les dépenses
utiles.
Il y a, je l’ai dit plusieurs fois, des dépenses qui
enrichissent et des économies qui ruinent.
Il y a des dépenses auxquelles on est tenu, sous peine
d’encourir une grave responsabilité.
Telles sont celles qui doivent mettre les personnes
et les propriétés à l’abri des dangers qui les menacent.
Ces dépenses, il faut les faire, dût-on recourir à l’emprunt, dût-on épuiser les dernières
ressources, et, Dieu merci ! nous n’en sommes pas encore là.
J’ai déposé, il y a quelques jours, sur le bureau, une
pétition dans laquelle on signale les désastres épouvantables qui peuvent être
la suite des inondations ; j’en déposerai tantôt une autre de même nature ; je
harcellerai le gouvernement, je ne lui laisserai pas de repos tant qu’il n’aura
pas proposé les mesures nécessaires pour prévenir ces désastres que l’on redoute
avec raison.
Mais autant je suis porté à admettre les dépenses nécessaires, autant je repousse celles qui ne se recommandent
par aucun caractère d’utilité publique, et malheureusement ces dernières ne se
multiplient que trop.
La cause en est, d’abord, dans le personnel des fonctionnaires,
dont la plupart doivent leur position et à la faveur et à l’intrigue plutôt qu’au mérite, et qui ne rendent pas à l’Etat des services proportionnés
aux avantages qu’ils en retirent.
La cause en est ensuite dans la facilité avec laquelle
messieurs les ministres obtiennent des crédits supplémentaires ; le vote des
budgets devient par-là illusoire, et la porte est ouverte à tous les abus.
Les arrêtés d’organisation du personnel, qui ont paru
dernièrement, ne remédieront pas au mal ; ils n’auront d’autres résultats
que d’accroître les dépenses, et la situation ira en empirant, jusqu’à ce que
les chambres déploient plus d’énergie pour résister aux prétentions et aux
demandes de MM. les ministres.
J’avais espéré,
messieurs, lors de l’entrée de M. Malou au ministère, je l’ai même dit, qu’il
compenserait par des améliorations financières les griefs politiques que nous
avons contre lui. Je vois avec peine
que cette espérance ne se réalise pas ; je vois avec peine que M. le ministre des
finances, auquel je reconnais cependant une haute capacité, respecte comme une
arche sainte le système si défectueux de nos impôts, et qu’il se borne en quelque
sorte à copier, pour nous les présenter, les budgets de ses prédécesseurs.
(page 200) M. Verhaegen. -
Messieurs, je ne m’occuperai pas de la question financière, celle de
savoir si les voies et moyens proposés par le gouvernement suffisent pour
couvrir les dépenses, non seulement celles que nous avons dû votées, mais
encore celles qui nous restent à voter ; en un mot, je n’examinerai pas s’il y
aura équilibre entre les recettes et les dépenses ; cette question a été
examinée, comme elle méritait de l’être, par mon honorable ami M. Delfosse.
Il est une autre question que j’ai traitée tous les
ans, et que je crois de mon devoir de traiter de nouveau aujourd’hui,
parce qu’elle est vitale ; c’est celle qui se rattache à l’assiette des
impôts.
On nous répète, à chaque discussion du budget, qu’il
est dangereux de toucher au système des impôts existants ; on va même jusqu’à
prétendre que demander la révision des impôts, c’est en quelque sorte demander
une réforme sociale.
Si c’était réellement une réforme sociale, au moins
ce serait une bonne réforme qui ne serait de nature à effrayer personne, puisqu’elle
est prescrite en termes formels par l’article 139 de la Constitution ; ce serait une réforme dont le ministère
aurait depuis longtemps dû prendre l’initiative puisqu’elle constitue une de
ses principales obligations. Il ne faut pas être ministre des finances pour
venir proposer chaque année, à titre de voies et moyens, la continuation des
impôts existants. Cette besogne peut être abandonnée à un simple commis et aux
copistes.
Mais il ne s’agit pas du tout de réforme sociale, il
ne s’agit que d’une question de justice et d’équité ; tout se réduit à abolir
certains impôts qui grèvent les plus pressants besoins du peuple, pour les
reporter sur le luxe et sur les revenus de la classe aisée.
Depuis 1830 on a traité dans cette chambre beaucoup
d’affaires, mais s’est-on bien occupé des intérêts de la grande masse de la nation,
des intérêts de la classe ouvrière, de la classe nécessiteuse, je pourrais même
dire de la classe moyenne ? Non, ces intérêts ont été négligés malgré nos
réclamations incessantes ; les seuls intérêts dont on ait pris soin sont ceux
des classes privilégiées par la fortune .
Souvent dans cette enceinte on a parlé de paupérisme, on a fait parade de l’intérêt
que l’on porte aux travailleurs, on a parlé d’organisation du travail, vaines
paroles ! S’agit-il de venir au secours des classes nécessiteuses en
faisant une bonne loi, une loi définitive
sur les subsistances, on recule, les faits ne sont plus d’accord avec
les paroles ; s’agit-il de poser la première condition d’une bonne organisation
du travail, en d’autres termes, de répartir les impôts d’une manière juste et
équitable, on refuse d’une manière impitoyable. Et cependant plus d’une fois
nous avons indiqué au gouvernement des voies et moyens pour remplacer des
impôts odieux.
Je dis des impôts odieux, car il suffit de les nommer
pour justifier la qualification.
L’impôt le plus odieux, le plus impopulaire de tous,
parce qu’il frappe impitoyablement le malheureux, c’est l’impôt sur le sel. Nos
réclamations incessantes, les réclamations de nos amis qui occupaient ces bancs
avec nous n’ont rien produit.
L’impôt personnel. - Mais cet impôt
renferme dans son principe des injustices tellement révoltantes que tous les
ministres des finances qui se sont succédé ont reconnu la nécessité d’apporter
des modifications à la loi de 1822. L’honorable M. Smits avait présenté un
projet qui a été reconnu insuffisant ct qu’on a fini par retirer. Son
successeur avait promis d’étudier la question, mais avant que son étude ne fût
achevée, il avait quitté le ministère. Que fera l’honorable M. Malou ? Si le
sort de la loi de 1822 dépend des vicissitudes ministérielles, je crains fort
que les injustices qu’elle renferme ne subsistent encore longtemps. Et cependant
il y a urgence d’y mettre fin.
Voyez entre autres quelques-unes de ces injustices que
nous avons déjà signalées les années précédentes et que nous continuerons à signaler
chaque fois que l’occasion s’en présentera, parce que c’est à force d’insistance,
quand il s’agit d’abus graves, qu’on parvient à se faire entendre et à
convaincre les plus incrédules. Ces injustices se rencontrent pour chacune des
bases de la contribution personnelle.
Valeur locative. - Un marchand, un
détaillant qui occupe une maison située au centre de la ville paye six à sept
mille francs de loyer et est frappé d’un impôt proportionné à cette valeur locative,
outre sa patente, tandis qu’un propriétaire vivant de ses revenus et occupant
une maison beaucoup plus grande, dans un quartier éloigné du centre, ne paye
que la moitié de l’impôt, à raison d’une valeur locative de trois à trois mille
cinq cents francs, et il n’a pas de patente à payer.
Un aubergiste se trouve placé dans la même position
que le marchand ; mais celui-là, outre la première et la quatrième base de la contribution
personnelle et outre sa patente, paye encore un droit pour chacune des chambres
destinées aux voyageurs. C’est là une injustice révoltante contre laquelle on
réclame en vain depuis 1830.
Portes et fenêtres. – Même système ! Une petite porte, une petite fenêtre
d’un artisan, d’un savetier, paye autant qu’une grande porte, qu’une grande fenêtre du plus grand hôtel de
la capitale. L’égalité, messieurs, ne doit pas consister à augmenter dans la
même proportion, à raison du nombre, mais à avoir égard à l’importance de
l’objet imposé et aux ressources du contribuable .
Foyers (troisième base)
- Plus on est riche, moins on paye. Celui qui a 36 foyers ne paye que pour 12,
le 13ème est affranchi de l’impôt.
Taxe sur le mobilier (quatrième
base). - Toujours le même système, toujours la même injustice.
D’après l’article 26 de la loi du 28juin 1822 sur la contribution personnelle, le droit
est de 1 p. c. sur la valeur du mobilier.
D’après l’article 29 : « L’individu occupant
une maison, qui en loue une partie en chambres ou appartements garnis, doit
payer la contribution pour le mobilier
sur le pied de la valeur locative
quintuplée. »
La plupart des marchands, des boutiquiers habitent les
rues les plus fréquentées, et là les loyers sont les plus élevés. Pour faire
face à leur petit budget, ils louent des appartements garnis ; eh bien, il ne
leur est pas permis de payer la taxe du mobilier à raison de 1 p. c. sur la
valeur réelle, mais à raison de 1 p. x. sur la valeur quintuple du prix locatif.
Ainsi, une maison de 6,000 fr. de loyer devra payer à raison d’une
valeur mobilière de 30,000 fr., tandis
que le mobilier n’aura peut-être qu’une valeur réelle de 4,000 fr., tandis que
le propriétaire qui aura un riche mobilier de 100,000 fr., peut-être habitant
une maison beaucoup plus grande, mais dont le loyer ne sera estimé qu’à 5,000
fr., parce qu’elle sera située à l’extrémité de la ville, ne payera l’impôt sur
le mobilier qu’à raison d’une valeur quintuplée, soit de 15,000 francs !
Domestiques et chevaux (cinquième et sixième bases).
- Pour un domestique, pour un cheval, ou ne paye pas plus, proportionnellement au nombre, que
pour dix domestiques, que pour dix
chevaux ; et cependant celui qui a dix domestiques peut payer vingt et trente fois plus que celui qui
n’en a qu’un.
Après l’impôt personnel vient l’impôt patente.
Messieurs, c’est encore un
des impôts les plus odieux, les plus impopulaires : c’est l’impôt lui frappe
celui qui, n’ayant pas de revenus, qui n’ayant pas le bonheur d’être propriétaire,
est obligé de travailler, à la
sueur de son froid, pour se procurer un morceau de pain.
Et cependant
cet impôt a été successivement augmenté de centimes additionnels, et le gouvernement
en augmente encore constamment les bases d’une manière effrayante, au point
qu’un simple détaillant, qui payait naguère 19 64 cent., paye aujourd’hui 194-17 cent., quoique sa position soit
restée absolument la même. La réclamation de ce détaillant est en ce moment
soumise à la députation du conseil provincial du Brabant. C’est un exemple que
j’ai choisi entre cent autres !
Mais le gouvernement, en matière de patentes, juge en
dernier ressort ; il est juge et partie
; abus s’il en fût jamais dont nous nous réservons de parler quand nous
arriverons à la discussion des articles.
Viennent les droits de consommation sur les boissons distillées.
- La patente uniforme de 30 fr. constitue un impôt tellement injuste, tellement
absurde, que le gouvernement a reconnu la nécessité d’apporter des modifications
à la loi qui l’a établi, et
cependant il subsiste toujours !
Les droits d’accises. - Ces droits frappent
spécialement les objets de consommation de première nécessité et par cela même
ils sont des plus iniques.
Il y a injustice à exiger la même somme pour la même quantité de produits consommés,
quelle que soit la position du consommateur, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il
vive de ses revenus ou qu’il soit obligé de travailler pour subvenir à ses
besoins et à ceux de sa famille.
Il y a injustice à exiger plus d’impôts d’une famille nombreuse, ayant souvent plus de besoins et moins de moyens d’existence que les familles
composées de deux ou trois membres seulement.
Y a-t-il, comme nous l’avons déjà
dit, rien de plus odieux que l’impôt sur le sel ?
Y a-t-il rien de plus injuste que le droit sur la bière,
qui est la boisson du peuple ?
Tandis que les vins et surtout les vins fins ne payent
presque rien. Ainsi 100 bouteilles de champagne mousseux ne payent que 2 francs,
et encore le ministre vient de défendre aux régences des villes d’en augmenter
les droits d’octroi.
Droits d’enregistrement et
d’hypothèque. - Ces droits frappent spécialement le malheur, la misère.
L’industriel qui est obligé de faire une levée pour
faire face à ses engagements l’homme qui est obligé de vendre ses propriétés pour
payer ses dettes, supportent, à la décharge du créancier, les droits d’enregistrement,
de transcription et d’hypothèque.
Il n’y avait qu’un droit d’enregistrement qui fût équitable,
parce qu’il frappait la propriété proprement dite, c’était le droit de 2 pour
cent dont étaient frappées les ventes d’arbres sur pied ; ce droit, avec les
additionnels, montait à 2 fr. 52 c. pour cent.
Eh bien ce droit a été réduit à 1/2 pour cent dans l’intérêt
de la grande propriété, et tous nos efforts pour le rétablir à l’ancien taux ont été inutiles.
Enfin figure au budget la taxe sur les ports de lettres,
les transports d’argent, etc., pour une somme d’au-delà de trois millions ;
toujours la même injustice, la même inégalité : aussi osons-nous espérer
que la réforme postale qui déjà a été adoptée par presque tous nos voisins,
vous sera présentée incessamment.
Messieurs, nous avons critiqué la base des impôts existants,
et nous défions le ministre de répondre à nos critiques ; mais nous ne nous
arrêtons pas là : nous allons, comme les années précédentes, indiquer des
voies et moyens nouveaux destinés à remplacer les impôts anciens. On ne nous
accusera pas du moins de vouloir démolir sans nous croire obligés à reconstruire ;
c’est un rôle que nous n’accepterons jamais.
Nous ne vous parlerons plus des différentes bases de
la contribution personnelle qui pourraient être changées, de manière à frapper
plutôt la classe aisée que la classe nécessiteuse ; nous ne vous
parlerons plus de la base relative à la valeur locative, à la valeur mobilière,
aux chevaux, aux voitures ; nous ne vous parlerons plus des armoiries, des titres
de noblesse ; vous ne voulez pas de tout cela ; nous le savons depuis
longtemps. Nous nous bornerons à vous
parler aujourd’hui de la propriété comme matière essentiellement imposable.
Ainsi que je l’ai dit les années précédentes, le meilleur moyen de sauvegarder
la propriété c’est de la faire entrer pour une large quotité dans la
répartition des impôts. Cette considération sera peut être assez puissante pour
vous forcer enfin à ouvrir les yeux.
La propriété peut être imposée de différentes manières :
nous avons d’abord l’impôt foncier, et c’est l’impôt foncier qui sert de prétexte à ceux qui ne veulent pas que la propriété
contribue d’une manière plut équitable dans les charges de l’Etat. L’impôt
foncier, dit-on, a été successivement augmenté de centimes additionnels, et
déjà les propriétaires se trouvent surchargés. Mais, messieurs, j’aurai
l’honneur de vous faire remarquer que l’impôt foncier, au moins en principal,
est toujours resté le même, quoique la matière imposable ait considérablement
augmenté de valeur ; notre population a augmenté d’année en année ; or,
lorsqu’une population augmente, la propriété immobilière augmente aussi en
proportion ; plus il y a d’habitants, plus il faut de propriétés bâties, et ces
propriétés bâties deviennent matière imposable après un certain nombre d’années
; la matière imposable augmentant, le chiffre de la contribution foncière
devrait augmenter aussi, au lieu de rester stationnaire et de servir ainsi à
dégrever jusqu’à due concurrence les propriétés déjà imposées. Peu importent
les centimes additionnels qui ne
sont qu’un accessoire et qui sont venus augmenter le chiffre de toutes les
contributions en général.
La propriété peut encore convenablement être frappée
de plusieurs manières. Nous parlions naguère d’un droit sur les préciputs. Un
honorable membre, M. le comte de Mérode, qui quelques années auparavant,
combattait avec beaucoup de vivacité notre système, a fini par nous faire une
concession sur ce point important. Certes, un préciput, qui est très bon à prendre pour celui qui en est l’objet,
peut très bien payer un droit proportionnel.
Ensuite, les droits de succession en ligne directe ne
seraient pas aussi injustes qu’on veut bien les supposer, alors surtout qu’on
les établirait d’une manière convenable, alors qu’on ne commencerait à percevoir l’impôt qu’à partir d’un certain
chiffre, en affranchissant les petites successions.
Puis l’impôt le plus équitable et en même temps le plus
productif serait un impôt sur le revenu, un impôt progressif d’après l’importance
de la matière imposable. Ma conviction, à
cet égard, est profonde, et je ne recule devant aucune des conséquences
de ce système, dussent-elles tripler le chiffre de mes contributions.
Quoi ! ! vous frappez l’artisan, le commerçant, le négociant,
l’industriel d’une patente ; le mot n’y fait rien ; vous les frappez d’un impôt
à raison de leur travail, de leur commerce, de leur négoce, de leur industrie,
et à l’appréciation de qui
laissez-vous la fixation de cet impôt ? Vous la laissez à l’appréciation de
certains hommes qui ont votre confiance et qui sont appelés répartiteurs. Pourquoi
ne frapperiez-vous donc pas de la même
manière le revenir du propriétaire, du rentier ? N’y aurait-il pas là
convenance et justice ? Y aurait-il plus de difficulté à apprécier le revenu résultant de l’aisance, de la propriété
proprement dite, qu’à déterminer le revenu résultant du travail ? Certes non,
messieurs. Mettons de côté les mots et voyons la chose en elle-même ; la patente
n’est pas autre chose que l’impôt sur le revenu du travail, et l’impôt qui
frapperait le revenu du propriétaire,
du rentier, serait calqué absolument sur le même principe.
Messieurs, voyez donc les injustices criantes ! Vous
connaissez tous dans vos localités respectives des individus qui jouissent de
50 ou 60 mille livres de rente, et qui, étant célibataires et habitant des appartements
garnis, ne payent aucune
contribution quelconque, parce que leur fortune consiste en rentes ou en effets
au porteur ; tandis que des industriels, qui souvent ont de la peine à faire
honneur à leurs affaires, payent un impôt considérable sur le produit de leur
travail, de leur industrie.
M. le ministre des finances a jugé à propos, au moyen
d’un coup d’Etat, de frapper d’un droit de patente les intérêts que payent à
leurs actionnaires les sociétés anonymes. Evidemment aucune loi ne l’autorise à percevoir
cet impôt, et mon honorable ami, M. Osy, le démontrera à l’évidence, lorsque
nous discuterons l’article patente, mais en agissant ainsi, M. Malou a admis le
principe qui sert de base à mon
système ; seulement, il aurait dû le généraliser et présenter un projet de loi dans
ce sens.
Pourquoi, après cela, M. le ministre trouve-t-il injuste
et impopulaire un impôt progressif sur tous les revenus de quelque nature
qu’ils soient ?
Puis, comment se fait-il que ce que M. le ministre les
finances trouve injuste et impopulaire soit considéré comme très populaire et
très juste par son collègue de l’intérieur ? Les taxes personnelles qui se perçoivent
dans les communes rurales et qui sont basées entre autres sur la fortune présumée, ne sont en définitive
que des impôts progressifs sur les revenus laissés à
l’arbitrage des conseils communaux.
Voilà, messieurs, de quelle manière on pourrait trouver
des ressources considérables sans qu’on eût le droit de se plaindre.
Enfin, il y a encore un petit projet que j’ai eu l’honneur
de vous soumettre dans la session dernière, mais qu’on semble, quoiqu’on ait
besoin d’argent, ne pas vouloir examiner ; je veux parler de mon projet (page 201) établissant des droits
d’enregistrement sur les donations entre vifs en rapport avec les droits de
succession.
Je n’anticiperai pas sur la discussion de ce projet,
mais quoi qu’on en dise, j’ose espérer que la chambre y fera un accueil favorable,
surtout en présence des impôts odieux qui pèsent sur les classes nécessiteuses.
Toutefois, et sans préjudice à ce projet, il est un
autre moyen de créer immédiatement une ressource nouvelle au trésor, et que je crois
non moins opportun ; le voici : un arrêté du roi Guillaume, du 27 mars 1825,
frappait d’un impôt annuel de 4 pour cent sur la valeur locative tous les biens
possédés par les établissements de mainmorte reconnus par la loi. Je demande
formellement qu’on rétablisse aujourd’hui cet impôt, pour demander ce rétablissement,
j’ai de très bonnes raisons si d’ailleurs l’impôt n’a pas continué à subsister
légalement ; je m’explique : L’arrêté du roi Guillaume du 27 mars 1825
avait statué qu’à l’avenir on n’accorderait plus à des établissements de
mainmorte l’autorisation d’accepter des dons ou legs que sous condition de
payer un impôt annuel de 4 p. c. sur la valeur locative des biens donnés ou
légués ; et, en effet, plusieurs autorisations d’acceptation n’ont été
données qu’à cette condition, et l’impôt a été annuellement payé. Ce n’était
que justice ; car si, par exception aux principes généraux, on a pu
admettre parfois la faveur de la personnification civile, il fallait au moins
que ceux qui jouissaient de cette faveur ne vinssent pas faire tort au trésor
et rendre inutiles les droits de mutation. On a calculé que dan une période de
20 ans, les droits d’enregistrement, pour vente, mutations successions, etc.,
s’élèvent à la valeur intégrale des biens et que l’intérêt annuel de 4 p. c.,
sur la valeur locative, équivaut à cette valeur. Ce n’était donc que mettre les
établissements de mainmorte, sur la même ligne que les particuliers, et c’était
toute justice.
Mais par une simple instruction ministérielle du 5 mai
1831, l’époque est importante, on a donné ordre aux receveurs de ne plus
recevoir l’impôt annuel de 4 p. c par le motif, a-t-on dit, que l’arrêté de
1825 était illégal, inconstitutionnel ; on leur a enjoint de se borner à
percevoir le droit fixe. Ainsi tous les biens, quelle que soit leur importance,
faisant l’objet d’aliénations, de donations ou legs ne sont plus frappés
aujourd’hui d’aucun droit, lorsqu’il s’agit d’établissement de mainmorte si ce
n’est d’un droit fixe de 80 centimes.
Je me demande, messieurs, si cette instruction est elle-même
très légale, et si l’arrêté de 1825 ne devrait pas encore en ce moment sortir
tous ses effets. Je sais bien qu’on ne peut rien exiger des citoyens qu’à titre
d’impôt ; et que tous les impôts au profit de l’Etat doivent être voté par la
législature. Mais ce que je sais aussi, c’est que celui qui peut le plus, peut le moins, et que par conséquent
celui qui a le droit de refuser, a à plus forte raison le droit d’accorder sous condition. Ainsi,
lorsqu’une donation ou un legs a été fait à un établissement de mainmorte, le gouvernement
a le droit de refuser l’autorisation d’accepter, Mais ayant le droit de
refuser, il a aussi le droit de dire : Je vous autorise à accepter, mais à
la condition de donner l’équivalent du droit de mutation, c’est-à-dire de payer
annuellement au trésor 4 p. c. sur la valeur locative. Cela me paraît très
rationnel. Toutefois on l’a considéré autrement, et on a fait cadeau aux
établissements de mainmorte de ce qu’on avait à percevoir, à raison de nombreuses
aliénations, donations et legs.
Dans tous les cas, messieurs, et la question
fût-elle même douteuse en la plaçant sur le terrain où l’avait placée le roi
Guillaume en 1825, toujours
est-il incontestable que la chambre a le droit de rétablir l’impôt par une loi,
et c’est, messieurs, ce que je viens vous demander de faire, dans un moment où
le trésor a un pressant besoin de se créer des ressources.
Toutes les raisons qu’il y avait pour justifier l’arrêté
du roi Guillaume existent à fortiori pour
justifier la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre en ce moment. Ne
serait-il pas souverainement injuste d’accorder l’avantage de la personnification
civile à certains établissements, et à cette occasion de faire supporter une
perte au trésor public ? Si un particulier achète un bien, au bout d’un certain
temps, le trésor touche un droit de mutation.
Faut-il donc que lorsqu’un bien tombe dans la propriété
d’un établissement de mainmorte, le droit de mutation soit à jamais perdu ? N’y
a-t-il pas justice, au contraire, à frapper ces biens d’un impôt qui équivaille
en définitive au droit présumé de mutation ?
Mais, m’a-t-on dit (je reproduis ici l’objection qui
m’a été faite dans ma section lorsqu’il s’est agi de mon projet de loi dont je
vous parlais tout à l’heure), les dons et legs que vous voulez atteindre ne sont
que des bagatelles ; vous voulez frapper de petites fabriques d’église, des
établissements de sœurs de charité qui se vouent au soulagement des malades et des indigents ; il serait inhumain
de venir leur demander 4 p. c. à titre d’impôt sur la valeur locative de biens
qui leur sont donnés dans un esprit de charité.
Messieurs, je le comprends de reste, on a le plus grand
intérêt à rapetisser les choses. Mais ici, fort heureusement, se présente l’occasion
de vous donner un petit aperçu de tous ces biens tombés en mainmorte, et par
conséquent de vous faire connaître préparatoirement à combien pourraient monter
les ressources que je veux procurer au trésor.
Messieurs, depuis 1830, le clergé a acquis de grandes
richesses sous divers noms et de
différentes manières : les legs et les donations, qui leur ont été faits depuis
cette époque et dont la valeur est exprimée au Bulletin officiel des lois, montent à plusieurs millions ; les legs et
donations dont la valeur ni même l’objet ne sont indiqués au Bulletin officiel montent bien plus
haut encore.
Ainsi on vous a parlé de pauvres fabriques d’église,
mais la fabrique de l’église cathédrale de Liège, grâce aux soins de Mgr.
l’évêque, jouit d’un revenu de plus de trois cent mille francs.
Voulez-vous, messieurs, que je vous fasse connaître
quelques petits legs, quelques petites donations particulières ? Ecoutez :
La succession de la vieille demoiselle Hennessy, léguée
au supérieur du petit séminaire, à Roulers, se montait à 180,000 francs.
La succession de Benoît Geersen, dernier moine de la
riche abbaye de Saint-Pierre, lez-Gand, léguée à M. Bernard Desmet, chanoine de
la cathédrale de Saint-Bavon, se montait à 1,500,000 en immeubles, outre les valeurs
mobilières considérables en pierres précieuses et espèces.
La succession de Nicolas de Roover, dernier moine de
la riche abbaye des Dunes, léguée à l’évêque de Bruges, se montait à un million.
La succession du chanoine Boucqueau de Villeraie, léguee
à M. Gotale, supérieur du grand séminaire de Liége, se montait à 1,500,000 fr.
Les biens laissés par la dame Rouzeau, morte en état
de folie, aux dames du Sacré-Coeur à Mons, ont une valeur de 240,000 fr.
Les biens laissés par la dame Vander Cammen aux sœurs
de charité de Braine-L’alleud, ont une valeur de 30,000 fr.
Pour ces deux derniers legs, la cour d’appel de Bruxelles
vient de déclarer par des arrêts solennels qui méritent de fixer l’attention
publique, que sans égard aux arrêtés royaux d’institution et d’autorisation,
les établissements favorisés ne pouvaient pas jouir des avantages de la
personnification civile et qu’ainsi ils étaient sans qualité pour réclamer ce
qui leur avait été laissé par testament. Ces arrêts, nous osons l’espérer,
feront jurisprudence et mettront fin à
des abus qui ne sont devenus que trop fréquents.
Ce n’est pas tout, messieurs, je puis encore vous parler
des biens laissés par feu M. Neute, moine de l’abbaye de Floreffe, aux séminaires
de Namur et de Tournay et à la cathédrale de Tournay, biens qui ont une valeur
d’au-delà d’un million ; l’affaire après plusieurs incidents, dont la cour
d’appel de Bruxelles a eu à connaître, a été renvoyée au tribunal de Charleroy.
Neute est mort fou et son interdiction avait été prononcée dans les formes
voulues.
Ce ne sont certes pas là des bagatelles, ce ne sont
pas non plus des donations ou des legs faits à des hospices.
Sans exagération, d’après des renseignements que nous
nous sommes procurés depuis plusieurs années, nous pouvons évaluer les biens-fonds
tombés en mainmorte, dans notre pays, depuis 1830, à au-delà deux cents
millions. Or, si comme nous l’avons dit précédemment, les droits d’enregistrement
pour ventes, mutations, successions, etc. etc., s’élèvent en 20 années à la
valeur intégrale des biens, ce sont deux cents millions perdus en 20 ans pour
le trésor, soit dix millions par an.
Les hospices et établissements de charité ne servent
que de prétexte pour pallier la conduite du clergé et de ceux qui lui servent
de prête-nom.
La bienfaisance a fondé les hospices de Bruxelles. Appelée
à les entretenir, d’où vient que, depuis deux ans, l’administration du conseil
général des hospices et secours n’a eu à enregistrer ni dons ni legs ?
« Pour la seconde
fois, messieurs, nous devons vous exprimer le regret de n’avoir à signaler
aucun legs, aucune donation en faveur de l’administration du conseil général
des hospices et secours. » Ainsi
s’exprimait M. le bourgmestre de Bruxelles devant le conseil communal, dans la séance
du 5 novembre dernier, en rendant compte des affaires de la ville.
Le même compte-rendu, en parlant des hospices
particuliers de Bruxelles, s’exprime ainsi :
« Les trois hospices particuliers de la ville ne
possèdent ni biens, ni rentes ; la charité publique seule les soutient ; ils rendent
d’immenses services à la vieillesse
indigente.
« Honneur aux hommes de cœur et de
dévouement qui remplissent si bien les vœux de l’humanité ! »
Le fait déploré par le bourgmestre de Bruxelles se reproduit
encore ailleurs : les sources de la bienfaisance publique, comme on l’a fait
remarquer avec beaucoup d’à-propos, se tarissent ou sont détournées, non
seulement dans la capitale, mais à Gand, mais à Anvers, mais à Liège, mais partout.
L’influence si puissante du clergé, surtout au lit des malades, s’exerce le
plus souvent, non pas au profit des pauvres, mais en faveur des églises, des
couvents et des corporations.
En faisant la proposition de frapper d’un impôt de 4 p. c sur la valeur locative de tous les biens
possédés par des établissements de mainmorte, proposition que je dépose sur
le bureau, je ne fais donc aucun tort réel aux hospices ou aux pauvres.
(page 197)
M. le ministre des finances (M.
Malou). - Je regrette,
messieurs. De n’avoir pas répondu immédiatement au discours de l’honorable M.
Delfosse. Les chiffres qu’il vous a exposés pourront être moins présents à la
mémoire après le discours de l’honorable M. Verhaegen. Je tâcherai cependant de
rencontrer les diverses objections le plus succinctement possible.
Messieurs, en ce qui concerne notre situation financière,
il y a deux écueils également dangereux à éviter : l’un est de la montrer
trop en beau, l’autre de trop l’assombrir. Au point de vue des intérêts du
pays, intérêts actuels et d’avenir, l’un et l’autre sont également dangereux.
J’espère, messieurs, vous démontrer que dans les exposés
qui vous ont faits successivement par mes honorables prédécesseurs et par
moi-même, nous avons évité l’écueil de montrer sous un jour trop favorable la
situation financière du pays, et qu’au contraire, dans les discours successifs
que l’honorable M. Delfosse a prononcés, il n’a pas su éviter assez l’autre
écueil.
Le but auquel les chambres et le gouvernement ont sans
cesse tendu, était de trouver entre nos ressources ordinaires et nos dépenses
ordinaires un rigoureux équilibre.
Parmi les espérances d’avenir nous voulons tous des
résultats plus favorables ; nous voulons tous que dans l’avenir on puisse créer
une réserve, que nous puissions avoir dans des circonstances difficiles quelques
sommes accumulées, qui nous permettent de les mieux traverser. Mais en ce qui
concerne le présent, nous nous sommes félicités de voir établi entre les recettes
ordinaires et les dépenses ordinaires un rigoureux équilibre.
L’honorable M. Delfosse ne croit pas à l’existence de
cet équilibre parce qu’il suppose que les chambres et le gouvernement ont entendu
qu’il était possible de couvrir, au moyen de nos revenus ordinaires, non
seulement nos dépenses ordinaires, mais aussi les travaux publics, les capitaux
que l’on a toujours voulu demander, que l’on devait nécessairement demander à
l’emprunt.
Ainsi, prenons la situation actuelle dans toute sa simplicité.
Depuis plusieurs années, les chambres ont voté, soit pour la grande œuvre des
chemins de fer, soit pour canaliser la Campine, soit pour améliorer le régime
des eaux, pour tous les travaux publics, en un mot, les chambres ont ouvert au
gouvernement des crédits soit sous forme d’emprunts provisoires, jusqu’à
concurrence de 22 millions. La situation est changée, dit l’honorable membre,
parce que le déficit, qui n’était que de 14 millions et demi, a atteint le
chiffre de 22 millions ; mais l’honorable membre, qui préconise certaines
dépenses, qui ne cessera pas, dit-il, de harceler le gouvernement jusqu’à ce
qu’il ait fait ces dépenses, espère-t-il que si nous votions encore 9 millions
pour la Meuse, la situation du trésor ne
serait pas changée ? (Interruption.)
Ce sont des dépenses extraordinaires et très extraordinaires, je le reconnais
; mais je renvoie l’honorable membre au tableau qui se trouve dans le discours
à l’appui des budgets ; il verra que toutes les dépenses qui forment le
découvert de 19 millions sont de la même nature, dépenses que l’on n’a jamais
voulu demander aux ressources ordinaires, mais qui sont un capital placé. Toute
la question, comme l’a fort bien dit l’honorable membre, est de savoir si ce
capital est bien placé. Sous ce rapport encore, si je voulais entrer dans la
discussion des détails, je démontrerais très facilement que ces travaux, s’ils
ne sont pas immédiatement productifs, constituent au moins de bons et utiles
placements pour le trésor public.
Il ne serait pas plus difficile de démontrer que toutes
les parties du royaume ont profité de ces dépenses et que la province de Liége,
notamment, a eu une très large part dans ce budget extraordinaire qu’on nous
reproche aujourd’hui.
On a donc, depuis
quelques années, décrété un emprunt provisoire pour travaux extraordinaires
jusqu’à concurrence de 22 millions, et cependant, messieurs, demandons-nous
quelle est la véritable situation du trésor !
Si aujourd’hui nous avions à notre disposition l’encaisse
de 1830, si aujourd’hui les liquidations que la Hollande nous a léguées étaient
entièrement terminées, nous n’aurions point de dette flottante à émettre, nous
aurions au contraire un solde actif. Voilà la véritable situation.
L’honorable membre me répond que l’encaisse de 1830
est un nouvel emprunt que l’on décréterait ; l’intérêt de cet encaisse est
porté aujourd’hui, d’une part, en recette et, d’autre part, en dépense. Messieurs,
cette appréciation est exacte, lorsqu’il s’agit de savoir quelle influence
aurait la réalisation de l’encaisse sur la balance de nos budgets ; mais
elle est inexacte lorsqu’il s’agit de faire le compte des capitaux et de la
situation du trésor. Si nous remettons en circulation une partie de l’emprunt à
4 p. c., si nous réalisons les valeurs inscrites au profit du trésor belge en
suite du traité avec la Hollande, la dette flottante aura immédiatement
disparu.
(page 198)
Un membre.
- Non ! non !
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Je vais
le prouver.
L’encaisse de 1830 représente un capital nominal de
14 millions et demi ; nous n’avons en circulation que pour 7 ou 8 millions de bons
du trésor ; ainsi pour anéantir, non pas l’émission autorisée, mais l’émission
faite, il ne faudrait que la moitié de l’encaisse de 1830.
Assurément, messieurs, en présence de la situation que
je viens d’analyser à grands traits, nous pouvons avoir confiance. Si l’on ne
donne pas une impulsion trop forte aux travaux publics, si les chambres et le
gouvernement savent modérer l’entraînement qu’il y a, au fond de nos institutions,
vers les entreprises de tout genre, si nous savons toujours donner aux efforts qu’il nous sera permis de faire, un résultat utile, alors nous
pouvons envisager l’avenir sans inquiétude. Si je devais aujourd’hui établir
une comparaison entre la Belgique et les autres nations, cette comparaison
serait entièrement à l’avantage de notre pays. Je suis heureux que l’honorable
M. Delfosse m’ait donné l’occasion de le dire à cette tribune, parce que ce qui
se dit à cette tribune peut avoir d’utiles résultats, au point de vue du crédit
et de la puissance financière du pays.
Nous avons, dit-on, augmenté nos impôts, nous avons
vendu des domaines, nous avons reçu le remboursement de capitaux. Mais, messieurs,
jetons encore une fois un coup d’œil sur les travaux que nous avons exécutés.
Si nous avons vendu pour quelques millions de domaines, de bois, qui ne
donnaient pas un très fort revenu, demandez-vous un instant combien nous avons
créé, depuis 1830, de domaines utiles, de domaines productifs ; demandez-vous
si quelques millions de domaines nationaux peuvent être mis en comparaison avec
les routes créées, les chemins de fer, tous les travaux faits pour féconder les
différentes sources de la richesse publique. Oui, messieurs, nous avons vendu
quelques domaines, mais depuis 1830 nous avons créé dix fois plus de domaines
utiles que nous n’avons vendu de domaines peu productifs.
M. Delfosse. - Les produits du chemin de fer, des canaux et des routes
sont compris dans nos voies et moyens.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Il est vrai, messieurs, que nous portons au budget
des voies et moyens le produit de quelques ventes de domaines, et les produits
des domaines utiles que nous avons créés ; mais s’ensuit-il qu’on ait le droit
de dire que nous perdons en quelque sorte la fortune publique en aliénant des
domaines, en augmentant les impôts, en recevant le remboursement de capitaux ?
Evidemment, non : s’il est vrai que nous avons créé des valeurs nouvelles, il
est très légitime que nous portions au budget des voies et moyens le résultat
des capitaux que nous y avons consacrés.
L’honorable orateur qui a succédé à l’honorable M. Delfosse
a placé la question sur un autre terrain. Il a critiqué tour à tour tous les
impôts existants. Aucun, si je ne me trompe, aucun n’a trouvé grâce devant lui.
Tous ces impôts sont odieux ; il n’y a guère que du plus ou du moins de l’un à
l’autre. Tous ces impôts sont injustes dans leur application, et aucun de ces
impôts, pas même le droit d’enregistrement sur les successions, pas même
l’impôt foncier, ne frappe la propriété. C’est le pauvre qui paye toutes les
contributions en Belgique, et le riche ne paye rien. Voilà, messieurs, le
résultat phénoménal, je n’hésite pas à le dire, auquel a abouti tout le
discours de l’honorable M. Verhaegen.
Pour moi, messieurs, en étudiant sérieusement le système
des impôts qui existent en Belgique, j’ai acquis la conviction profonde que
tous les impôts ont au contraire pour résultat d’atteindre la propriété, partout
où elle peut être atteinte. Et ici, messieurs, je vais droit au remède principal
que l’honorable M. Verhaegen indique.
Je ne parle point pour le moment de quelques réformes de détail, je parle du
grand système de l’income tax, de
l’impôt progressif établi sur tous les revenus. Eh bien, messieurs, si parmi vos
impôts il en est quelques-uns qui soient odieux, impopulaires, s’il en est auxquels
on pourrait apporter quelques améliorations, je n’hésite pas à le déclarer,
l’impôt sur les revenus, tel que l’honorable membre le définit, est, à lui
seul, plus odieux, plus impopulaire que tous les autres impôts réunis.
Aussi, pour que l’on ne puisse pas se méprendre sur
mes intentions, j’annonce très franchement que, aussi longtemps que je serai sur
ces bancs, je ne prêterai jamais les mains à la réalisation de ce système, à la
substitution de l’impôt progressif au système de l’impôt proportionnel ; c’est
une amélioration, si amélioration il y a, que je veux léguer à mes successeurs,
et je verrai s’ils accepteront cette partie de ma succession.
Dans nos habitudes, dans nos mœurs, habitudes qu’il
faut respecter, l’impôt sur les revenus avec les moyens qu’il suppose, les nécessités
qu’il entraîne, serait, pour le gouvernement et pour le pays une cause d’immenses malheurs, de grandes
perturbations, d’une impopularité à laquelle
personne ne résisterait, impopularité qui pourrait compromettre l’existence du
gouvernement, l’existence du pays lui-même. Car, messieurs, dans les griefs qui amènent les révolutions, ce ne sont
pas tant les discussions politiques que les discussions d’intérêts ou d’impôt
qui pénètrent partout, qui agitent et remuent les masses. Ce sont celles-là,
plus que toutes les autres, qui sont pour le peuple des causes de révolutions.
M. Rogier. - La révolution
de 1830 n’est pas arrivée à la suite d’une question d’impôts.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Mais voyez donc où a commencé la lutte ; voyez où elle se résumait ; voyez si ce n’est
pas sur le système des impôts que la Hollande et la Belgique se trouvaient
d’abord en présence, luttant
chaque jour à une voix de différence. Ce qui dans le principe a donné l’éveil,
ce qui a passionné les esprits et remué les masses, c’étaient les griefs,
griefs légitimes qu’avait la Belgique
contre le système d’impôts ; pour le nier, il faut oublier toute l’histoire de
ces quinze années. Eh bien, je ne veux pas pour mon pays, je ne veux pas pour
l’opinion à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir. De l’impôt progressif qui
créerait d’aussi grands, d’aussi redoutables dangers. A d’autres après nous, s’ils le veulent
ou s’ils l’osent, de courir ainsi les aventures ! (Interruption.)
J’entends dire que, quand on me parle de la France,
je réponds par la Belgique. Mais ai-je prétendu que dans tous les pays la cause
unique des révolutions était le système français ? Non, messieurs, j’ai dit que
ce pouvait être une des causes, et sur l’interruption qui m’a été faite et que j’ai
peut-être mal saisie, j’ai prouvé que telle avait été une des causes du mouvement
populaire en Belgique. (Nouvelle interruption.)
La France, en 1830, me dit-on de nouveau… Je n’ai pas
la prétention d’expliquer toutes les causes de toutes les révolutions qui ont
surgi sur tous les points du globe ; je répète que le système financier de l’ancien
royaume des Pays-Bas, lié aux intérêts moraux et matériels du pays, a été l’une
des causes de la révolution belge de 1830 ; en le disant je suis dans le vrai
et dans la question.
Maintenant la chambre n’entend pas, sans doute, que
je suive l’honorable M. Verhaegen dans le détail critique de tous nos impôts. Je
m’arrêterai seulement à un ou deux points que l’honorable membre considère en
quelque sorte comme capitaux.
Ainsi, l’honorable membre a parlé de la valeur locative
que payent les marchands de la rue de la Madeleine à Bruxelles, opposée à la
valeur locative que payent les propriétaires aisés dans d’autres quartiers.
Comme cet argument est reproduit presque tous les ans, je me suis procuré les
rôles de la contribution de la rue de la Madeleine, et j’y ai vu, à mon grand
étonnement, que les valeurs locatives, à raison desquelles on paye, sont dans
une proportion tellement faible avec la valeur locative réelle que, s’il y a
privilège quelque part, c’est pour ces malheureux marchands dont l’honorable M.
Verhaegen vous a parlé. Ainsi, le croiriez-vous, messieurs ? des maisons
actuellement existantes dans la rue de la Madeleine, il y en a une seule dont
la valeur locative soit portée à plus de 4,000 fr. Ainsi, pour certaines
maisons dont je connais les baux, la valeur locative sur laquelle on paye, est
cotée à 2,300 fr., tandis que la valeur locative réelle est de 5 à 6,000 fr.
Si donc je voulais suivre l’honorable membre dans tous
les détails de son discours, analyser, passer au creuset des faits toutes les
affirmations de l’honorable M. Verhaegen, je prouverais, pièces en mains, qu’elles
sont complétement en dehors de la réalité des choses.
Bien que l’honorable membre ait quelque peu anticipé
sur une discussion qui doit se présenter à l’occasion de l’article des patentes, je ne le suivrai pas pour
le moment dans cette voie ; mais j’espère démontrer, lorsque nous serons arrivés
à cet article, que le gouvernement a fait aux sociétés anonymes une juste et
légitime application de la loi des patentes, et qu’en faisant autrement, il eût
agrandi le privilège dont les sociétés anonymes jouissent encore aujourd’hui.
Je me borne donc, sur ce point, à faire mes réserves.
L’honorable membre s’est plaint qu’au nombre des voies
et moyens qu’il indique, on n’ait pas voulu ajouter le projet qu’il a soumis à
la chambre. La mémoire de l’honorable membre l’a mal servi ; à la session
dernière, c’était, je pense, au temps de la crise ministérielle, ce projet
avait été mis à l’ordre du jour, et si mes souvenirs sont fidèles, il en a
disparu à la demande de l’honorable membre lui-même ; c’est un fait, au reste,
qu’on pourra vérifier au Moniteur, si
ma mémoire me trompait. Pour moi, je désire la prompte discussion de ce projet
de loi, elle ne m’effraye pas le moins du monde ; et en effet, le résultat de
l’examen préparatoire des sections est tel que l’honorable membre seul peut
avoir à craindre la discussion publique.
Un mot encore, puisqu’ici nous touchons aussi à une
grande et importante question ; un mot
encore sur l’impôt de 4 p. c. sur les biens de mainmorte.
Il est vrai qu’avant 1830, le gouvernement des Pays-Bas
avait apposé à certaines donations la condition d’un payement de 4 p. c. ; il
est vrai encore qu’après un examen approfondi, sous le gouvernement provisoire,
l’honorable M. Charles de Brouckere a reconnu que la perception de ces impôts
était inconstitutionnelle ; l’on n’est plus revenu sur ce point, parce que les
motifs de constitutionnalité, invoqués par l’honorable M. Charles de Brouckere,
sont à l’abri de toute réplique.
L’honorable M. Verhaegen a voulu conférer au gouvernement
un droit que je considère commue très dangereux ; l’honorable membre croit que
le gouvernement, lorsqu’une chose lui est demandée, peut toujours y apposer
telle condition que bon lui semble et qu’ainsi il était compétent pour apposer,
de son autorité privée, une rétribution comme condition d’autorisation d’un
legs.
Ce principe est tout à fait inconstitutionnel ; la Constitution
dit qu’aucun impôt ne peut être établi que par une loi ; et si je pouvais, à
propos de tous les actes qui émanent, soit de la faveur, soit de l’action
utile, soit de la tutelle administrative du gouvernement, apposer des conditions
pécuniaires, j’aurais trouvé des voies et moyens dix fois plus féconds qu’aucun
de ceux que l’honorable membre nous a indiqués.
On ne peut donc apposer des conditions que dans l’ordre
des pouvoirs donnés au gouvernement ; on ne peut apposer pour condition le
payement d’un impôt à l’Etat, lorsque la loi n’a pas établi cet impôt.
L’honorable membre a formulé une proposition ; je demande
que cette (page 199) proposition soit renvoyée aux sections. Le budget
des voies et moyens est et doit rester une loi d’application. Jamais on n’a
voulu, à l’occasion du budget des voies et moyens, préjuger, trancher des questions
de principe...
M. Delfosse. - Je demande la
parole.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Ainsi, messieurs, quant à l’impôt de.4 p. c., permettez-moi
que, m’emparant d’un fait que l’honorable M. Verhaegen a cité lui-même, je vous
fasse voir quelles peuvent être les conséquences de cette disposition.
Aucun de vous n’ignore, messieurs, qu’à l’époque de
la révolution française, les institutions de bienfaisance et de charité ont fait
des pertes qui ne sont pas encore réparées aujourd’hui. L’on s’étonne, quand on
parcourt les lois d’impôt depuis la loi de frimaire an VII jusqu’aux derniers
décrets de l’empire, que pour les établissements de mainmorte légalement autorisés,
le législateur ait fait partout une exception qui, au premier abord, paraît
inexplicable. Eh bien, lorsqu’on entre plus avant dans l’esprit de la
législation, l’on se convainc bientôt que cette exemption d’impôt, en apparence
si anormale, était la manifestation d’une pensée sociale, réparatrice,
éminemment utile ; on a voulu donner une extension nouvelle à la chanté
publique, pour réparer les ruines que la révolution avait produites dans les
institutions de bienfaisance publique. Si l’on prétend, malgré le développement
de la charité publique, malgré le développement plus grand peut-être des
besoins qui se manifestent chaque jour, que le moment est venu de restreindre
la charité, alors qu’on se plaint qu’elle soit tarie dans quelques localités,
qu’on le fasse, qu’on établisse un impôt, qu’on éloigne davantage, puisque
l’état des esprits ne suffit pas, les personnes charitables de faire des donations.
Je parle jusqu’à présent des établissements de bienfaisance
publique ; j’en parle, parce que dans l’état de la législation actuelle, ce
sont les établissements de bienfaisance qui constituent, pour la plus grande
partie, la mainmorte légalement autorisée en Belgique. J’en appelle encore ici
vous tous ; n’est-il pas vrai que si on recherchait quels sont les établissements de mainmorte en Belgique,
on verrait que ce sont des établissements de charité, d’utilité publique qui
possèdent la presque totalité des biens de mainmorte en Belgique ?
Par conséquent, la proposition, j’espère l’avoir démontré,
devrait être divisée, il faudrait faire des exceptions. Si l’honorable membre
éprouve quelque répugnance à ce que sa proposition soit renvoyée eu sections
pour qu’on ait au moins le temps d’y réfléchir avant de la discuter, je
demanderai qu’elle soit jointe au projet que l’honorable membre a formulé et
renvoyée à la section centrale qui a examiné ce projet, quoi qu’elle ait été
bien inhumaine envers lui.
Messieurs, je disais tout à l’heure que pour le gouvernement
et pour les chambres il fallait, d’une part, résister à l’entraînement qui est
au fond de nos institutions, pour exagérer les dépenses extraordinaires ; je
disais, d’autre part, que quelles que fussent nos opinions politiques, nous
devions nous efforcer d’améliorer dans l’avenir la situation financière du
pays. Je pense qu’il y a peu de chose à espérer de la révision de détail de ces
lois odieuses, impopulaires que l’honorable préopinant a dénoncées à votre
indignation ; mais je crois qu’il y a des idées nouvelles à réaliser dans
l’ordre des intérêts financiers, que je ne sépare pas, les considérant d’un peu
haut, des intérêts politiques, des intérêts d’avenir du pays.
Pourquoi, par exemple, généralisant l’action protectrice
du gouvernement, établissant entre tous les citoyens, entre toutes les fortunes
une étroite solidarité, n’introduirait-on pas le principe nouveau des
assurances obligatoires par l’Etat. Cette idée est plus large, plus facilement
réalisable, a plus d’avenir en elle que ces petites révisions
de détail qui occuperaient plusieurs sessions, qui sans résultat utile
occasionneraient de grands froissements et produiraient fort peu de ressources
au budget. Pour moi j’ai mûrement et longuement réfléchi sur cette idée que je
viens d’émettre ; je la crois pratique, je la crois dans la mission du
gouvernement, je crois que les difficultés disparaîtront par suite d’un examen
approfondi. En énonçant cette idée, je désire que la discussion s’établisse de
la manière la plus large possible, parce que je pense que c’est par. la
discussion que les difficultés que sa réalisation pourra présenter seront
écartées. J’appelle donc tous les moyens d’examen ; et j’espère que la session
de 1848 ne se passera pas sans qu’il me soit donné de faire entrer cette grande
idée dans le domaine des réalités. Alors, tout en procurant un grand bienfait
aux populations, peut-être pourrons-nous, par l’examen de notre système
d’impôt, trouver moyen de faire quelques réductions utiles qui ne compromettent
pas, comme celle que provoque l’honorable membre, l’équilibre actuel de nos
finances, et surtout qui ne compromette pas l’avenir.
M. Osy. - J’ai demandé la parole quand j’ai entendu M. le ministre
des finances dire que notre situation financière était belle ou du moins que
nous ne devions pas la rembrunir, Je pense qu’il est plus dangereux dans l’état
actuel de l’Europe, de faire apparaître notre situation financière plus belle
qu’elle n’est ; nous devons dire toute la vérité.
M. le ministre nous a dit que si l’encaisse était à
notre disposition, vous n’aurions plus de dette flottante. Je demanderai à M. le
ministre des finances de jeter un coup d’œil sur le rapport qu’il a présenté à
l’appui de son budget des voies
et moyens, il verra qu’en 1845 la dette flottante était de 22 millions, et
qu’aujourd’hui il demande 19 millions. Comment la dette flottante est-elle réduite
à ce chiffre ? Cela provient d’une somme de 6,500,000 fr. qui n’a pas été
employée à l’amortissement depuis quatre
et six ans, parce que les fonds publics ont toujours été au-delà du pair
et que, par les conventions faites avec les preneurs, l’amortissement ne devait
avoir lieu qu’après six ans. Aujourd’hui le gouvernement ne peut plus compter sur
cet excédant ; l’amortissement doit fonctionner sur l’emprunt de 1840, l’engagement
de six ans étant expiré. Les fonds publics sont au-dessus du pair ; il faudra
aussi racheter l’emprunt de 1842. Vous ne pourrez donc plus compter sur cet
excédant qui se monte à 6 millions 500 mille fr.
Que vous a-t-on dit ? Que toutes les ressources que
nous avions, résultant du traité avec la Hollande et de la convention passée avec
la société générale au-delà du prix de la reprise de la forêt de Soignes, serviraient
à réduire la dette flottante ; nous les avons, en effet, appliquées à éteindre
la dette flottante, et la dette flottante reste toujours la même. C’est-à-dire
que nous avons mangé notre bien en herbe, car cette ressource n’existe plus.
Il nous reste, maintenant, les 13 millions de l’encaisse.
Mais, ce ne sont pas des écus, c’est du papier, et quand on voudra l’employer,
il restera 6 millions de dette flottante, c’est-à-dire que, si les 13 millions
étaient des écus, il vous resterait 6 millions de dette flottante. Mais pour
les employer, vous êtes obligés de les négocier ; c’est comme si vous décrétiez
de faire un nouvel emprunt. J’ai pensé que je devais combattre les allégations
de M. le ministre, pour qu’on n’induisît pas le pays en erreur. Nous avons
réellement un déficit de 19 millions, plus 2 millions qu’on a demandés pour les
Flandres. De manière que nous avons une dette flottante de 21 millions.
Si M. le ministre veut employer les 13 millions de l’encaisse,
ce sera réellement un emprunt qu’il fera, et le déficit se trouvera réduit, non
pas à 6 millions, comme on l’a dit, mais à 8 millions.
Messieurs, j’ai déjà eu l’occasion de vous dire que,
selon moi, il est très dangereux, très imprudent pour un pays qui a un budget
de cent et quelques millions, et surtout dans les circonstances où nous nous
trouvons, d’avoir une dette flottante aussi considérable. Je crois qu’en effet
le moment est mauvais pour faire un emprunt. Mais le moment est venu, messieurs,
de faire toutes les économies possibles, et cependant, je n’en vois réaliser
aucune dans les budgets qui nous sont présentés. Au contraire, j’y trouve
plutôt des augmentations de dépenses.
L’honorable ministre des finances s’est beaucoup récrié
contre l’incom tax. Moi aussi,
messieurs, je ne voudrais de cet impôt que dans des circonstances tout à fait
exceptionnelles, et alors la nation pourrait montrer ce dont elle est capable.
Mais, comme j’aurai l’honneur de vous le démontrer lorsque nous en viendrons
aux articles, M. le ministre des finances a décrété, par un arrêté royal ou
plutôt par un arrêté ministériel, l’incom
tax sur une seule catégorie de contribuables. Les paroles de M. le
ministre des finances ne sont donc pas d’accord avec ses actes.
Messieurs, je dois engager la chambre, dans les
circonstances actuelles, à ne pas perdre de vue la situation du pays. L’année
dernière, nous avons eu un hiver qui n’a pas été très rigoureux ; celui-ci
pourrait l’être bien davantage. Je crois, d’ailleurs, que lorsque deux années
de misère se succèdent, c’est la seconde qui est la plus difficile à traverser.
D’autre part, la masse énorme de céréales que nous avons
dû tirer de l’étranger a appauvri le pays ; les écus en sont sortis en grande
quantité. Voyez, messieurs, ce qui se passe en France. Je vous ai dit, il y a
peu de jours, que la banque de France qui, depuis plusieurs années, avait un
encaisse normal de 240 millions, n’en a plus aujourd’hui qu’un de 80 millions.
Il y a plus ; le gouvernement français avait presque
toujours à la banque de France un encaisse de 150 millions. Cet encaisse, messieurs, est tombé à 20 millions. Pourquoi
? Parce que le gouvernement est obligé de faire travailler autant que possible
dans l’intérieur du pays pour maintenir la tranquillité.
Il a de plus été obligé de faire venir beaucoup de céréales
de l’étranger, et par suite on a dû exporter considérablement d’espèces.
Messieurs, nous nous trouvons dans la
même situation, mais n’ayant pas de ressources comme une grande puissance, plus
que jamais nous devons nous montrer prudents et la marche que nous suivons n’est
pas prudent.
Je le déclare, si j’étais ministre des finances, en
présence d’une dette flottante de 21 millions je ne serais pas tranquille. Il vaut
mieux, selon moi, dire franchement les choses que de les embellir. Je crois
rendre un service au pays en engageant M. le ministre des finances à suivre une
autre marche, à chercher à réduire autant que possible les dépenses et le
chiffre de la dette flottante. Quant à moi, je déclare que je m’opposerai à
toute mesure qui tendrait à augmenter cette dernière.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Messieurs, je tiens à bien définir les faits en ce
qui concerne l’encaisse de 1830.
L’encaisse de 1830 est une valeur qui est demeurée acquise
à la Belgique en vertu du tracté du 5
novembre 1842. Cette valeur est représentée par des obligations de l’emprunt de
30 millions à 4 p. c.
Ces 14 millions ne sont pas des écus, mais c’est une partie de la dette constituée ; de
sorte que si aujourd’hui l’encaisse était à la disposition du gouvernement, si le
gouvernement remettait en circulation ces 14 millions, la dette flottante serait
réduite dans la même proportion. Cela est d’une simplicité extrême, et j’espère
que les honorables financiers auxquels je réponds trouveront que cela est
exact. (Interruption.)
C’est, me dit-on, créer un nouvel emprunt. Non, messieurs
; c’est seulement ne pas amortir un emprunt existant.
Suis-je en droit de décompter ces valeurs pour apprécier
la situation du trésor, comme une valeur acquise en vertu du traité du 5
novembre (page 200) 1842, laquelle,
depuis les votes de la chambre, doit venir en déduction de la dette flottante ?
Je demande qu’on réponde directement à cette question.
Messieurs, j’insiste
sur ce point, parce que plus sont graves les circonstances qui ont affecté dans
ces derniers temps plus fortement qu’aujourd’hui le crédit de plusieurs Etats,
plus nous devons montrer de circonspection, plus nous devons chercher à porter
un rigoureux esprit d’impartialité dans l’appréciation de, notre situation
financière. Sans cela, en rembrunissant cette situation, en ne comptant que les
éventualités défavorables, en cherchant à se dissimuler à soi-même les
ressources que le pays possède, on le rend moins fort pour traverser les
mauvaises circonstances, on lui donne moins d’action, moins d’énergie pour
jouir des bienfaits de la paix.
(page 203) M. Verhaegen. - Messieurs, M. le ministre des finances aurait désiré
sans doute que le budget des voies
et moyens pût passer sans observations.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Non ! non ! au contraire.
M. Verhaegen. - Il trouve des
inconvénients à ce que l’on mette à nu la situation du trésor, Il trouve des
inconvénients encore à ce qu’on attaque l’assiette des impôts. Mon honorable
ami M. Delfosse lui répondra en ce qui le concerne ; mais pour mon compte, je
lui dirai que s’il trouve des inconvénients à s’occuper de l’assiette des impôts,
c’est probablement parce que, comme
nous l’avons démontré, ces impôts sont odieux, impopulaires.
Il y a des injustices, je l’ai démontré ; il faut donc
les faire cesser, et ici la responsabilité du gouvernement est gravement engagée.
Vraiment je ne comprends pas comment un ministre ose venir proclamer du haut de
la tribune que des discussions en
matière d’impôts ont naguère amené des catastrophes. Messieurs, plus que
personne je suis ennemi des catastrophes, je suis homme d’ordre avant tout, mais
c’est parce que je suis homme d’ordre que je veux faire cesser des injustices révoltantes. Le danger ne gît que
dans la conduite de M. le ministre des finances, qui vient en quelque sorte insulter
à la misère en déclarant, qu’aussi longtemps qu’il sera au banc ministériel, il
ne portera aucun changement à l’assiette des impôts ! Encore une fois,
qu’il en accepte la responsabilité.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Je l’accepte.
M. Verhaegen. - Ce seraient, d’après M. le ministre, les discussions
en matière d’impôts qui auraient amené la révolution de 1830. Mais, on vous l’a
déjà dit, la révolution de juillet 1830 n’a été produite que par les intrigues
des jésuites, et cette révolution a été la cause principale de la révolution belge. (Interruption.) Messieurs, vous
avez beau rire, quand on vous dit des vérités ; ce n’est pas là répondre. Le
pays jugera de quel côté est la raison ; vos interruptions ne m’intimident pas,
je vous prie de le croire.
M. le ministre des finances
se met parfaitement à l’aise. J’ai fait une critique détaillée des
différentes bases d’impôts, et il ne me répond pas. Je le me suis pas même
borné à critiquer les impôts existants ; j’ai indiqué d’autres voies et moyens
d’une perception facile, et M. le ministre juge à propos de ne pas me suivre
sur ce terrain.
Messieurs, toutes les critiques que j’ai faites, je
les maintiens, et je défie le gouvernement
d’y répondre un seul mot.
L’honorable M. Malou, en rejetant nos voies et moyens
nouveaux, qu’il soutient injustes et impopulaires, comme si des impôts grevant
la classe aisée, à la décharge des classes nécessiteuses, pouvaient jamais être
considérés comme des impôts impopulaires, ne nous a indiqué aucune autre base
qui pourrait faire un jour l’objet de son initiative. Il est conservateur, par
exemple, il veut maintenir le système d’impôts actuel, quelque mauvais qu’il
soit. Je me trompe, il vient, comme pour nous étourdir, de jeter dans la
discussion la question des assurances obligatoires par l’Etat !
Quant à moi, messieurs, je ne suis pas de ceux qui approuvent
sans examen. Je dis que la question des assurances par l’Etat est immense, et
qu’elle mérite d’être examinée. J’ajouterai que si j’avais à m’en expliquer de
suite, je dirais que les assurances par l’Etat me paraissent présenter de
grands dangers.
L’impôt progressif sur le revenu est rejeté par M. le
ministre comme un impôt injuste
et impopulaire. Injuste, pourquoi
? Parce qu’il frapperait les fortunes qu’on ne peut pas atteindre aujourd’hui !
Impopulaire, pourquoi ? Le
serait-il par hasard pour la grande masse de la nation, pour les classes nécessiteuses
qu’il viendrait dégrever ?
Mais cet impôt si injuste, si impopulaire, messieurs,
il existe. Pourquoi donc M. le ministre de l’intérieur, qui est chargé de tout
ce qui regarde les communes, ne fait-il rien pour abolir cet impôt dans les
communes rurales ?
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la
parole.
M. Verhaegen. - Car nous avons
dans les communes rurales des rôles personnels, et ces rôles personnels sont
basés entre autres et principalement sur
la fortune présumée des contribuables.
Il faut donc, si l’impôt sur le revenu est injuste et
impopulaire, le faire disparaître dans les communes rurales ; ou s’il n’est pas
entaché de ce vice, il faut l’introduire partout comme impôt au profit de l’Etat
; c’est le seul moyen de procéder logiquement.
M. le ministre des finances, comme l’a dit l’honorable
M. Osy, a d’autant plus tort de
se récrier contre cet impôt, que lui-même a osé l’établir par arrêté en
violation formelle de la loi.
Après tout, messieurs, qu’est-ce que le droit de patente
? C’est une taxe sur le travail. Ce n’est pas même une taxe sur le revenu de
l’artisan, du marchand, du commerçant ou de l’industriel, car bien souvent
celui qui a payé sa patente, au lieu de faire des bénéfices, est exposé à des
pertes ! Pourquoi dès lors affranchir le revenu du rentier, du propriétaire qui
est exposé à bien peu d’éventualités ? Et quant à l’appréciation de ce revenu,
elle pourrait être faite par des répartiteurs tout aussi bien, si pas mieux,
qu’ils font pour la patente ordinaire l’appréciation du travail, etc.
Messieurs, soyons donc d’accord avec nous-mêmes. Si
le droit de patente est si juste, et je dois le croire, puisque M. le ministre a
pris l’engagement de conserver les bases d’impôts qui existent tant qu’il sera
au banc ministériel, pourquoi l’impôt progressif que je voudrais voir établir,
et qui ne serait en définitive qu’un droit de patente sur le revenu proprement dit,
serait-il un impôt injuste et impopulaire ?
Messieurs, on a peur de toucher aux impôts existants,
je le sais, parce qu’on a peur de froisser des intérêts. Mais on ferait bien
cependant de penser un peu à ceux qui jusqu’à présent ont été grevés outre
mesure et de rétablir l’équilibre. C’est le seul moyen d’éviter les
catastrophes, puisqu’on a peur aussi des catastrophes.
J’ai indiqué d’autres voies et moyens, encore et d’abord
ceux qui résulteraient de l’adoption du projet que j’ai eu l’honneur de soumettre
à la chambre.
J’aurais voulu, messieurs, voir discuter ce projet,
non pas pendant une crise ministérielle,
comme l’aurait voulu M. Malou, non pas au moment où nous allions nous
séparer, où les bancs de la gauche étaient à peu près dégarnis. Je n’étais pas
assez imprudent pour laisser discuter une proposition semblable alors qu’au
dire même de M. le ministre des finances, une majorité était là toute prête à
faire justice de mon œuvre. J’ai voulu qu’on pût méditer le projet, et c’est
uniquement dans ce but que j’ai demandé, non pas qu’on le retirât de l’ordre du
jour, mais qu’on en reculât la discussion à une époque plus convenable.
Aujourd’hui que tous nos amis sont à leur poste, je
ne demande pas mieux que de voir fixer un jour pour cette discussion, et quoi qu’il
en arrive j’aurai fait mon devoir.
Mais en attendant et au sujet de la discussion du budget
des voies et moyens, il y a actuellement quelque chose à faire. Je vous ai
donné, messieurs, un aperçu de l’importance des biens tombés en mainmorte depuis
1830, j’en ai fixé le chiffre à au-delà de deux cents millions, et les quelques
faits que j’ai cités vous prouveront que je n’ai pas procédé par exagération.
Il est prouvé, en France, que les droits d’enregistrement,
pour ventes mutations, successions, etc., s’élèvent, en 20 années, à la valeur
intégrale des biens de toute la France. Si donc, en Belgique, les biens de
mainmorte s’élèvent à deux cents millions, ce sont deux cents millions perdus
pour le trésor en 20 ans, c’est-à-dire, dix millions par an. (Interruption.) Je comprends qu’on cherche, par des rires, à détourner
l’attention de la chambre de ces faits qui, pour d’autres, sont effrayants ;
mais on ferait bien de se demander quel effet ces rires produiront dans le
pays. Vous verrez bientôt, messieurs, quel sera le jugement de vos commettants
sur ce système qui consiste à frapper de contributions odieuses, à tort et à travers,
les classes peu favorisées de la fortune, et à refuser des impôts justes à tous
égards, par cela seul qu’ils contrarient les vues d’une caste toujours
insatiable. Je m’inquiète, du reste, fort peu des signes d’improbation qui
peuvent, sur certains bancs de cette chambre, accueillir mes paroles ; je ferai
mon devoir jusqu’au tout. « Fais ce
que dois, advienne que pourra » ;
voilà ma devise.
Mais on veut renvoyer ma proposition aux sections, dans
l’espoir qu’elle subira le sort qu’a subi mon projet de loi sur les donations
entre vifs ; on porte même la plaisanterie, pour ne pas dire autre chose,
jusqu’à vous demander de la renvoyer à cette même section centrale qui, pour me
servir de l’expression de M. Malou, a déjà fait justice de ma première proposition.
Messieurs, ce n’est là qu’une exception dilatoire. Pourquoi
ne pas examiner immédiatement l’article additionnel que je propose au budget
des voies et moyens, et qui doit avoir pour résultat une ressource importante
au trésor dans un moment où le trésor a un pressant besoin de fonds ? Pourquoi
refuser de discuter cet article lorsqu’il existe des précédents, et entre
autres, dans ce qui a eu lieu pour le canal de Mons à Condé ? Je trouve fort
extraordinaire qu’un ministre des finances, qui devrait accueillir avec empressement
tout ce qui tend à augmenter les revenus du trésor, vienne me répondre par une
fin de non-recevoir, et ce qui est plus étonnant encore, que lui, qui tient
cette conduite, soit précisément celui qui, dans l’affaire à laquelle je viens
de faire allusion, a pris l’initiative.
Messieurs, je demande par mon article additionnel, qu’on
établisse un impôt annuel de 4 p. c.
sur la valeur locative des biens tombés en mainmorte, et l’objection
principale qu’on m’a faite est celle que avais prévue ; on me dit : « Mais
vous allez frapper tous les établissements de charité, qui ont déjà perdu une
grande partie de leurs biens par suite de la révolution française ; vous allez
tarir les sources de la bienfaisance. » Vous avez vu, messieurs, par les détails que je vous ai donnés
tout à l’heure, quels sont ceux qui tarissent ou détournent les sources de la
bienfaisance ; vous avez vu que les établissements auxquels on fait allusion ne
reçoivent plus rien depuis longtemps, et vous connaissez maintenant les causes
de cet état de choses. D’ailleurs, pour faire cesser tout prétexte, je ne
serais pas éloigné d’admettre une exception pour les hospices et les
établissements de charité proprement dits, alors que les legs et dons
n’excéderaient pas une certaine valeur, de mille francs, par exemple ; mais,
j’en suis convaincu, on ne se contentera pas cette exception on veut augmenter
encore le chiffre de deux cents millions de biens tombés en mainmorte perfas et
nefas ; on veut décidément
s’emparer, comme autrefois, de l’influence que donne la propriété territoriale.
Lorsqu’un seul établissement possède déjà 300,000 francs
de rente, lorsqu’il s’agit de legs de donations importants, voire d’un million,
d’un million et demi et plus, vouloir affranchir les biens tombés en mainmorte
(page 204) d’un impôt qui était
perçu sans réclamation sous le gouvernement précédent et qui n’équivaut, après
tout, qu’à la valeur des droits de mutation dont le trésor est privé, oh !
certes, c’est montrer une avidité que les plus fervents catholiques ne
sauraient admettre, sans se mettre en contradiction avec eux-mêmes.
Du reste, messieurs, si l’on veut rejeter
ma proposition, qu’on le dise franchement. Mais pourquoi me répondre par une
fin de non-recevoir. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas le courage de son opinion,
parce qu’on craint le jugement du pays ; car en dehors de cette enceinte, nous
avons le pays qui nous observe
avec une inquiétude de tous les jours, de tous les instants.
(page 200) M. le ministre des finances (M. Malou). - L’honorable
membre qui vient de se rasseoir m’aurait bien mal compris s’il avait supposé que
l’intention du gouvernement est de n’améliorer en rien le régime des impôts actuellement
existants. Toute la législation est basée sur le principe de l’impôt proportionnel ; ce principe, je le maintiendrai
; et je combattrai de toutes mes forces, le principe de l’impôt progressif ;
mais il ne résulte pas du tout de là, que par exemple en ce qui concerne la
contribution personnelle, le gouvernement se refuse à toute amélioration ;
au contraire cette loi a été soumise à une étude sérieuse ; cette étude
continue, elle continuera encore, et si elle n’a pas été suivie avec plus
d’activité, c’est notamment parce que, lors du vote du budget des finances, on
a opéré des réductions sur le personnel, qui m’ont mis dans l’impossibilité de
poursuivre cette étude en présence du nombre des affaires courantes qui
s’accroît tous les jours.
L’honorable membre a cité un de mes antécédents ; je
citerai un des siens. Lorsqu’il s’agit du budget des finances, toutes les réductions
doivent être admises, et lorsqu’il s’agit du budget des voies et moyens, tous
les impôts doivent être réformés à la fois. Si vous voulez que j’agisse,
donnez-moi donc les moyens d’agir.
La loi sur les patentes repose sur le principe de l’impôt
proportionnel ; partout où une présomption, un fait, un indice quelconque a pu
être saisi, on s’est empresse de le saisir ; on a atteint ce but autant qu’il
était possible de l’atteindre,
sans donner lieu à de trop odieuses
investigations. Pour établir au contraire l’impôt progressif sur toutes les
fortunes, sur tous les revenus, il faudrait recourir à des mesures qui seraient généralement repoussées ; il faudrait
scruter ce qu’il y a de plus sacré dans la vie des citoyens. Je ne veux pas,
malgré toutes les provocations qui me sont adressées, entrer maintenant dans la
discussion de la question
relative à la patente des sociétés anonymes, mais je dois remercier l’honorable
M. Verhaegen de m’avoir donné le seul argument dont j’eusse besoin pour prouver
que le gouvernement a convenablement résolu cette question. L’honorable membre
a dit en effet a plusieurs reprises que le droit de patente était une taxe sur
le revenu, une taxe sur le travail ; s’il en est ainsi, je prouverai que le
droit de patente doit être perçu sur les intérêts qui sont assurément des
revenus.
Messieurs, il n’est nullement entré dans ma pensée de
critiquer les motifs pour lesquels l’honorable M. Verhaegen a demandé la remise
à une autre époque de la discussion du projet de loi qu’il a présenté dans le temps. Lorsque j’ai dit que je n’avais
aucune raison de craindre cette discussion, c’est qu’en lisant le rapport de la section
centrale je me suis aperçu que le projet avait été examiné en sections par 54
membres et qu’il n’avait réuni en sa faveur que deux voix. (Interruption.) C’est ainsi. On n’a qu’à dépouiller
le rapport de l’honorable M. de Corswarem. (Nouvelle
interruption.) Il y avait 54 membres... 53 peut-être, je veux bien vous en abandonner
un, et le projet n’a réuni que deux voix.
Je n’ai pas eu l’intention non plus d’opposer une fin de non-recevoir à la proposition nouvelle
faite par l’honorable M. Verhaegen. Je demande seulement que cette proposition,
comme toutes celles qui émanent de l’initiative de la chambre, soit soumise à
un examen ; j’ai indiqué deux
formes, si l’honorable membre en préfère une troisième, qu’il l’indique ;
tout ce que je demande, c’est que ce ne soit pas à l’occasion d’une loi de
budget qu’on tranche une question de principe.
Veuillez remarquer, messieurs, que dans les observations
faites par l’honorable M. Verhaegen, il y a un motif de plus pour soumettre la
proposition à un premier examen : l’honorable membre admet déjà des
exceptions en faveur des petites donations faites à de petits établissements.
Eh bien, cette exception, il faut qu’on la formule ; elle sera alors examinée,
soit par les sections, soit par une commission spéciale, soit par une section
centrale existante. Loin de moi la pensée de vouloir m’opposer à une idée
quelconque par une simple fin de non-recevoir. Mais je demande ce que le
règlement veut, qu’aucune idée ne soit adoptée ici, sans avoir subi une épreuve
préalable ; et en établissant cette prescription, le règlement a agi sagement, parce que, dans toute assemblée
délibérante, on doit toujours se défendre d’adopter légèrement, sans un examen
approfondi, les idées mêmes en apparence les plus utiles.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures 3/4.