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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 27 février 1844

(Moniteur belge n°59, du 27 février 1844)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à deux heures.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Les fabricants et débitants de tabac et les cultivateurs de Rongy présentent des observations contre le projet de loi sur les tabacs. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen de projet de loi sur la matière.


« Le sieur Deprez, milicien de la commune de Boussu, se plaint d’avoir été désigné pour faire partie de la classe de 1843, tandis qu’il a été incorporé dans celle de 1842. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Deham, milicien de la commune de Boussu, réclame contre une décision par suite de laquelle l’exemption du service qu’il avait obtenue se trouve annulée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Ch. Van Waerbeek, blessé de septembre, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lahaye prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à être exempté de la milice nationale. »

- Renvoi à la commission de pétitions.


« Plusieurs fabricants de Liége demandent l’abrogation de la loi du 6 juin 1839, qui établit des tarifs de douane particuliers en faveur des fabricants des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg. »

M. Delfosse. - La pétition dont on vient de donner l’analyse est signée par les principaux fabricants d’étoffes de laine de la ville de Liège ; ils se plaignent de nouveau de ce qu’on laisse en vigueur la loi du 6 juin 1839, qui donne à certains industriels de la partie cédée du Luxembourg le droit d’importer leurs produits en Belgique, en franchise de droits. Lorsque la partie cédée du Luxembourg n’était pas comprise dans l’association douanière allemande, cette loi avait un motif plausible ; sans cette loi, les industriels de la partie cédée se seraient trouvés tout à coup sans débouchés, leur ruine eût été immédiatement consommée ; mais aujourd’hui la position est tout autre, le marché du Zollverein leur est ouvert, ils ont des débouchés beaucoup plus étendus que les nôtres et il est étrange qu’ils puissent encore invoquer le bénéfice de la loi du 6 juin 1839 ; ce qui, dans le principe, était un acte de justice, est devenu un privilège que rien ne saurait plus justifier ; les pétitionnaires prétendent, en outre, que l’exécution de la loi du 6 juin 1839 donne lieu à une fraude très active ; je demande, messieurs, que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, et que celle-ci soit invitée à faire un prompt rapport.

- La proposition de M. Delfosse est mise aux voix et adoptée.

Rapport sur une pétition

M. Desmet, au nom de la commission permanente d’industrie, présente un rapport sur la pétition des facteurs de pianos qui réclament une majoration de droits.

- Le rapport sera imprimé et distribué. La discussion en sera fixée ultérieurement.

Projet de loi autorisant la converstion des titres de l'emprunt de 100,800,000 francs de l'année 1832

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) donne lecture du projet de loi suivant :

(Le Moniteur reprend les 11 articles d’un projet de loi autorisant le gouvernement à effectuer le remboursement des titres de l’emprunt de 100,800,000 francs. Ces articles ne sont pas repris dans la présente séance de la version numérisée.)

- Il est donné acte à M. le ministre des finances du projet de loi dont il vient de faire lecture.

Le projet ainsi que l’exposé des motifs seront imprimés et distribués.

La chambre ordonne le renvoi du projet aux sections de février, qui s’en occuperont, en même temps que du projet de loi sur le jury d’examen pour les grades académiques.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1844

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Chemin de fer et postes

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur le chap. IlI : Chemin de fer. La parole est à M. Dumont.

M. Dumont. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l’honorable M. David, qui, dans une séance précédente, a dit : « M. Dumont ne paraît pas avoir interprété dans son véritable sens la loi du premier janvier 1834. »

Messieurs, je crois que cette loi est tellement claire qu’elle n’est pas susceptible de plusieurs interprétations. Je vais avoir l’honneur de vous en donner lecture. Je dois auparavant rappeler à l’assemblée que le district de Charleroy s’est plaint de ce qu’on n’avait pas abaissé les péages sur les canaux du Hainaut, et notamment sur le canal de Charleroy à Bruxelles, à l’égal des péages établis sur le chemin de fer.

Voici ce que porte l’art. 1er de la loi du premier mai 1834 :

« Art. 1er. Il sera établi dans le royaume un système de chemin de fer ayant pour point central Malines, et se dirigeant à l’est vers la frontière de Prusse par Louvain, Liége et Verviers ; au nord par Anvers ; à l’ouest sur Ostende par Termonde, Gand et Bruges, et au midi sur Bruxelles et vers les frontières de France par le Hainaut. »

Vous remarquerez, messieurs, qu’il s’agit bien ici de péages, il s’agit de ramener les péages établis sur les canaux du Hainaut, au taux des péages à établir sur le chemin de fer.

L’honorable M. David interprète cet article d’une tout autre manière ; il voudrait lui faire signifier que les péages sur les canaux du Hainaut, mis en parallèle avec les péages du chemin de fer, doivent être réglés de telle sorte que les dépenses totales de transport soient égales et sur les canaux et sur les chemins de fer. Il me paraît impossible d’interpréter l’article de cette manière. On ne peut comprendre le mot péages dans un sens étendu, surtout lorsque, d’un côté, on joint les frais de transport aux péages proprement dit, et que, d’un autre côté, il ne s’agit que des péages proprement dits, de la rétribution à payer à l’Etat.

La loi de 1834 ne pouvait vouloir, sans une injustice criante, ce que demande aujourd’hui l’honorable M. David.

Les canaux ont cet avantage sur les chemins de fer, que les frais de traction y sont infiniment moindres que sur le chemin de fer.

La loi n’a pas pu vouloir déposséder les établissements qui profitaient des canaux pour l’exportation de leurs produits ; les déposséder, dis- je, de cet avantage qu’ils tenaient, non du gouvernement, mais de leur position.

Si l’on entend l’article comme il doit être entendu, je crois qu’il ne me sera pas alors difficile de répondre au défi que l’honorable M. David m’a porté, en disant ; « est-il bien sûr que l’honorable M. Dumont pourrait nous prouver que le chemin de fer marche en dessous des canaux ? »

Je m’engage, messieurs, à vous faire cette preuve, bien entendu qu’il ne s’agira que de la comparaison des péages proprement dits. Je pourrais faire preuve aujourd’hui même ; mais je pense que cette discussion et les calculs que j’aurai à présenter, trouveront mieux leur place lorsque la chambre s’occupera du projet de loi sur les péages. En conséquence Je n’en dirai pas aujourd’hui davantage sur ce point, à moins que je n’y sois ramené par la discussion.

M. Verhaegen. - Messieurs, on s’est occupé, à l’occasion de la discussion du chapitre III, du matériel et du personnel du chemin de fer. Il y a beaucoup à dire sur le personnel et sur le matériel. Je ne dirai que quelques mots de la dernière branche du service, parce que d’autres collègues s’en sont occupés spécialement, et je ne pense pas que M. le ministre des travaux publics ait répondu à leurs observations. Je me bornerai, messieurs, à fixer votre attention sur deux points importants.

On s’est plaint et avec raison des travaux énormes qu’on a été obligé de faire en dehors des devis. On a ajouté des millions à des millions et cela par suite de l’imprévoyance des fonctionnaires chargés de faire les études.

Des observations sérieuses ont été présentées à cet égard par mon honorable ami M. Lys. Ces observations sont restées sans réponse : il est vrai, comme l’a fait remarquer M. Lys, que certains travaux estimés à 4 ou 5 millions ont coûte 9 ou 10 millions, et pourquoi ? Parce que les études avaient été mal faites, parce que les plans n’avaient pas été suffisamment médités.

Il est indispensable que M. le ministre des travaux publics entre dans quelques explications sur ce point et rencontre les observations de l’honorable M. Lys.

Il est un autre point qui se rattache en quelque sorte au matériel et auquel M. le ministre des travaux publics n’a pas répondu non plus : je veux parler de l’affaire relative au chemin de fer rhénan. L’honorable M. Lys a révélé, quant à cette opération, des faits graves, il a demandé des explications à M. le ministre des travaux publics, et ces explications n’ont pas été données. Je désire que M. le ministre des travaux publics rompe le silence et nous mette à même d’apprécier les résultats désastreux signalés par M. Lys.

Je dirai maintenant quelques mots du personnel, et ce point, messieurs, mérite de fixer toute l’attention de la chambre.

L’honorable M. Desmaisières s’est chargé de justifier son arrêté du 8 avril 1843 ; cette tâche lui avait été laissée par M. le ministre des travaux publics ; mais à quoi donc se sont bornées ses observations ? Il a prétendu que l’arrête du 8 avril n’était pas prématuré, comme l’avait dit l’honorable M. de Man ; qu’au contraire cette mesure avait été prise au moment même où elle était nécessaire.

Puis répondant à quelques autres objections, l’honorable M. Desmaisières a voulu justifier l’administration du chemin de fer en invoquant ce qui se pratique dans l’administration des finances ; mais c’est justifier un abus par un abus. Quand il s’est agi du budget des finances, j’ai prouvé qu’il existe au ministère des finances, quant à la répartition des emplois et des appointements y attachés, un arbitraire effrayant, et j’ai lieu de croire que la chambre est convaincue qu’il faut porter un remède à cet état de choses.

Les minima, les maxima, les augmentations d’appointements, les pensions même entendus comme on les entend aujourd’hui, mettent le trésor public à la merci du ministère des finances, et ce qui se rencontre dans cette administration, se rencontre d’une manière plus caractérisée encore dans l’administration du chemin de fer. M. Desmaisières, en justifiant l’administration du chemin de fer, par l’administration des finances, a donc, comme je viens de le dire, justifié un abus par un abus.

J’appelle l’attention de la chambre sur les art. 20 et 21 de l’arrêté du 8 avril 1843 ; et je pense que c’est surtout à ceux qui veulent des économies, à prendre des mesures pour que le gouvernement ne puisse pas à son gré disposer des fonds de l’Etat. Il faut que la législature intervienne quand il s’agit d’établir les cadres des employés et de fixer les appointements y attachés.

D’après l’arrêté du 8 avril 1843, pour l’administration da chemin de fer, il est permis au gouvernement de faire tout ce qu’il juge à propos, sans aucun contrôle ; aux termes de cet arrêté il a créé des inspecteurs, des sous-inspecteurs, des contrôleurs, des fonctionnaires de toute espèce ; mais, qu’on ne le perde pas de vue, en créant ainsi des emplois, en les multipliant, il grève le trésor public. Or, peut-il appartenir au gouvernement, sans l’intervention des chambres, de grever le trésor ?

Il me semble qu’il faut pour toute administration, pour l’administration des finances comme pour l’administration du chemin de fer, pour toutes les administrations, en général, ce qu’il faut pour l’ordre judiciaire.

Quoi ! pour adjoindre à un tribunal même de troisième ou quatrième classe un seul juge que réclamerait le besoin du service, il faut une loi ! et il appartiendra au gouvernement, dans l’administration des finances et dans l’administration du chemin de fer de nommer autant d’employés qu’il jugera à propos ! C’est la conséquence de l’arrêté du 8 avril 1843.

Le gouvernement a établi des cadres de fonctionnaires, il les a établis par arrêté royal ; de cette manière nous dépensons des millions par la seule volonté du pouvoir exécutif ; les chambres n’auront bientôt d’autre mission que de voter les voies et moyens.

Mais ce n’est pas tout : non seulement le gouvernement établit les cadres à son gré, mais encore il fixe seul et sans l’intervention des chambres et les appointements et les indemnités, par de simples décisions ministérielles, il peut être alloué à un employé telles indemnités que le ministre juge à propos de lui accorder en conséquence des articles 20 et 21 de l’arrêté qu’a voulu justifier l’honorable M. Desmaisières.

(Erratum, Moniteur belge n°60, du 28 février 1844 :) L’art. 21 est ainsi conçu :

« Art. 21. Les indemnités pour frais de déplacement, de séjour et de bureau sont réglées par dispositions ministérielles, d’après l’importance des services. »

Ainsi un employé du chemin de fer aura en appointements fixes trois mille francs, par exemple, et il dépendra du ministre, par simple décision ministérielle, de doubler ces appointements en lui accordant une autre somme de trois mille francs à titre d’indemnités. Voilà la portée de l’article 21.

Ce n’est pas tout, l’arrêté du 8 avril accorde, en outre, au ministre la faculté de donner aux employés du chemin de fer un tantième du produit net des recettes dans certaines circonstances qu’il lui sera permis d’arbitrer. L’art. 22 porte :

« Art. 22. Outre le traitement fixe, les fonctionnaires et employés qui sont dans le cas d’exercer une influence marquée sur la balance des recettes et dépenses, toucheront un tantième du produit net, conformément aux bases que nous nous réservons de fixer ultérieurement, sur la proposition de notre ministre des travaux publics. »

Avec cela, le gouvernement fait tout ce qu’il veut, il grève le trésor de millions sans qu’il y ait le moindre contrôle de la part de la chambre. On fait donc dans l’administration du chemin de fer ce qu’on fait dans l’administration des finances. On laisse la faculté au gouvernement de doubler, de tripler les appointements des fonctionnaires. Je le demande, cet arbitraire peut-il continuer ? La chambre veut-elle abandonner la plus belle de ses prérogatives alors surtout que de toutes parts on réclame des économies, que de toutes parts on sent le besoin de venir, d’une manière efficace, au secours du trésor ? Que devient notre intervention dans les affaires de l’Etat s’il dépend du gouvernement de disposer à notre insu de sommes énormes et de réclamer plus tard le bénéfice des faits accomplis.

Messieurs, il ne s’agit pas ici seulement de théories dangereuses, mais l’exécution a suivi de près. Je vois, en effet, dans le compte rendu du chemin de fer, figurer pour des employés de première et de deuxième classe, des indemnités et des traitements variables, qui s’élèvent au même chiffre que les traitements fixes. Que M. le ministre veuille bien nous dire pourquoi les traitements variables doivent doubler les traitements fixes ? Autant vaudrait porter de suite le traitement fixe à une somme plus élevé. Il est des fonctionnaires qui, ayant un traitement fixe de 3,200 fr,, reçoivent en outre, en indemnités, 2,800 fr., ce qui porte leur traitement à 6 mille fr. C’est une manière détournée d’augmenter les appointements et de laisser au gouvernement la faculté d’être favorable aux uns, défavorable et injuste envers les autres. J’ai vu, d’après les détails donnés à la suite du rapport, qu’on suit, dans l’administration du chemin de fer, la même marche que dans l’administration des finances, Les petits employés sont toujours les plus mal traités.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est le contraire.

M. Verhaegen. - Je parle du chemin de fer et j’ai démontré qu’il en était également ainsi dans l’administration des finances.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - C’est le contraire.

M. Verhaegen. - Je prie mon interrupteur de demander la parole s’il a une réponse à me faire, mais de me laisser continuer.

Les appointements des petits employés restent au taux ordinaire, mais quant aux employés supérieurs on les augmente au moyen d’indemnités et d’appointements variables !

L’honorable M. Lys a donné, à cet égard, des détails précieux qui me dispensent de vous en dire davantage.

Voulez-vous, messieurs, continuer cet état de choses, voulez-vous laisser au gouvernement cet arbitraire effrayant ? Quant à moi je crois qu’il est temps de l’arrêter.

L’honorable M. Peeters a indiqué un moyen à l’adoption duquel je concourrai de tout mon pouvoir. Il vous a proposé de nommer une commission qui s’occuperait de dresser un tableau comparatif de tous les traitements des fonctionnaires dans toutes les administrations, pour l’administration des finances, comme pour l’administration de la justice, pour l’administration du chemin de fer, comme pour toutes les administrations sans exception on retrancherait à ceux qui ont trop pour ajouter à ceux qui n’ont pas assez. De cette manière il y aura ce qu’on appelle très bien de la justice distributive.

On veut, parce que nos finances ne sont pas dans un état prospère, que des fonctionnaires d’une seule catégorie fassent des sacrifices ! Puisque nous voulons faire des économies sur les traitements, pourquoi ne pas mettre chacun dans la position dans laquelle il doit se trouver ? On a dans l’ordre judiciaire des appointements tellement inférieurs à ce qu’ils doivent être, que le magistrat qui les touche ne peut pas subvenir à ses premiers besoins. C’est une vérité, aujourd’hui, reconnue de tout le monde. Depuis des années nous réclamons et on ne fait pas droit à nos réclamations, sous le prétexte que la position financière du pays ne le permettrait pas, et cependant des fonctionnaires qui sont loin de pouvoir être comparés aux membres de l’ordre judiciaire touchent d’énormes appointements. Est-ce de la justice ?

Mais s’il faut faire des économies, qu’on les fasse, mais que tout le monde apporte sa part de patriotisme et de résignation !

Si le trésor est dans un état tel qu’on ne puisse pas rétribuer les fonctionnaires comme ils méritent de l’être, que tout le monde ait sa part dans les sacrifices ; qu’ils ne soient pas imposés à la magistrature seule ! Qu’on retranche à ceux qui ont trop, et qu’on ajoute à ceux qui ont trop peu. Ainsi on fera un acte de justice distributive. C’est ce que demande l’honorable M. Peeters, C’est ce que je demande avec lui.

Qu’on donne un tableau de tous les appointements sans exception, en un mot, un tableau comparatif. Qu’à la suite de ce travail, un projet de loi règle enfin la position de tout le monde.

Je désire, ainsi que je l’ai dit, en parlant du budget des finances, qu’on en vienne enfin à cette position que je considérerai comme normale de fixer par une loi les appointements des fonctionnaires de toutes les administrations sans exception, et qu’on en vienne à ne plus permettre au gouvernement d’établir d’avance, sans le concours de la législature, des cadres qui coûtent des sommes énormes. Que le gouvernement prépare un projet de loi, et que la législature statue, elle qui devrait être consultée pour toute organisation entraînant des dépenses. Car, je le dis en terminant, comme je l’ai dit en commençant, si le gouvernement peut établir des cadres, comme il l’entend, sans consulter la législature, il disposera par cela même de sommes considérables, contrairement au vœu de la législature.

J’appuie donc de toutes mes forces la proposition de l’honorable M. Peeters. J’ose compter assez sur la justice et l’équité de la représentation nationale, pour être assuré qu’elle portera un prompt remède à cet état de choses, encourageant pour quelques-uns, mais désastreux et décourageant pour le plus grand nombre ; car il faut avant tout de la justice distributive.

M. de Mérode. - Il est évident, messieurs, que la cause principale des embarras du trésor est la création d’un trop grand réseau de chemins de fer par l’Etat. Heureux les pays qui ne suivront pas notre exemple, ils auront d’ici à peu d’années, comme nous ce moyen de transport rapide, mais sans les dépenses énormes qui surchargent notre budget. Déjà M. le ministre des travaux publics vous l’a dit. En Allemagne, beaucoup de chemins de fer existent et les gouvernements n’y ont concouru que pour la garantie d’un minimum d’intérêt et sur des lignes asses productives pour que ce minimum ne fût pas atteint. Qu’on ne me dise donc plus : vous êtes l’ennemi des chemins de fer. Assurément je ne puis être hostile à une belle invention comme celle-là ; mais je regrette vivement l’application qu’on en fait en Belgique, parce qu’elle est très mal entendue et funeste à la bonne gestion des finances. De plus, grâce cette fausse application, on dérange dans le pays toutes les situations industrielles et si l’on continue dans le même système on finira par transporter à meilleur compte un ballot de marchandises de Liége à Bruxelles que de Wavre à Bruxelles.

Avec un mode de construction de chemins de fer, confié aux sociétés d’entreprises particulières, comme en Angleterre, en Allemagne, en France, les travaux se seraient exécutés avec plus de justice distributive, les prix de transport se seraient fixés plus équitablement. Car n’est-il pas d’une grande injustice que l’on ne prenne en aucune considération, à l’égard de ces prix, les frais d’établissement des diverses grandes sections et la nature plus ou moins accidentée du sol qu’elles traversent. Sur les routes pavées les frais de transport ne sont pas les mêmes dans un pays plat, ou dans un pays montueux. De Chimay à Mons il y a dix grandes lieues pavées comme de Mons à Bruxelles ; eh bien, l’on peut conduire, sur la seconde de ces routes, avec quatre chevaux, la charge qui en exige six sur la première, où il faut franchir 52 montées. Sur celle de Bruxelles à Malines il n’en faudrait que trois. Eh bien, lorsque la nature, la situation des lieux donne aux divers transports d’un point à un autre des avantages inégaux, l’Etat ne vient point à coups de millions au secours des moins favorisés ; il fournit une route plus chère à parcourir aux uns, moins chère aux autres en raison de la puissance des attelages qui leur sont respectivement nécessaires à cause des irrégularités du sol, tandis qu’au chemin dé fer de l’Etat on n’admet jusqu’ici malheureusement aucune distinction. Ainsi l’on a accordé tout d’un coup aux industriels de Verviers plus de 60 p. c. de rabais sur le transport des charbons de Liége et cela aux dépens des industriels, des propriétaires de Wavre, de Chimay et autres, éloignés des lignes de chemins de fer, qui ne peuvent plus soutenir la concurrence avec les fers au coak, avec les bois étrangers qui pénètrent au fin fond du pays, et ces personnes paieront néanmoins, en impôts, leur part des trois ou quatre millions de déficit que subit le trésor public par suite de la combinaison fatale qui a mis les chemins de fer exclusivement à la charge des contribuables.

Mais le mal est-il sans remède ? Avec des ministres faibles, oui ! Avec des ministres fermes et dévoués à leur devoir, non ! Quel devrait être le plan de conduite d’un véritable directeur de l’exploitation des chemins de fer ? Il devrait se dire à lui-même : J’administre une grande propriété de l’Etat, une propriété qui lui coûte beaucoup, Je vais donc l’exploiter comme ferait un autre propriétaire. Je vais sur chaque section combiner mes prix de la manière la plus productive pour mon maître, pour la nation, mais pour la nation tout entière qui a payé le prix de l’objet que je régis dans son intérêt, et non dans l’intérêt spécial d’un certain nombre d’individus déjà suffisamment avantagés par la proximité d’une voie extraordinairement facile et rapide de communications. Partout j’accorderai un rabais sur les prix payés précédemment dans chaque région, au moyen des route préexistantes (je ne parle pas, bien entendu, des canaux), et de manière, je le répète, à procurer à mon commettant le plus de bénéfice net possible. Telle sera ma règle, mon ferme principe, principe dont je ne m’écarterai, par exception, qu’avec le consentement de la représentation nationale, et en lui exposant nettement ce qu’il en coûterait à la masse des contribuables pour en dévier.

Le proverbe : L’appétit vient en mangeant, vient se confirmer à l’occasion du chemin de fer d’une manière frappante. Faire passer le chemin directement par Liége, paraissait d’abord un très grand sacrifice. Il a été fait. Croyez-vous qu’on s’en contente ? non. La station actuelle ne suffit pas, il faut une station plus intérieure. On nous arracha pour cela un million l’année dernière, et la ville elle-même finira par se ruiner pour la satisfaction de quelques-uns de ses habitants auxquels rien ne paraît jamais complet ; car lorsqu’eut lieu l’inauguration de la voie de fer près Liége, on ne craignit pas de déclarer au ministre, que rien n’était fait sans l’amélioration de la Meuse. Et cependant, à une lieue de Bruxelles, allez visiter certains villages, vous vous perdrez dans les bourbiers, et là où l’on n’a rien encore, on se plaint moins que là où l’on a tout à souhait. J’en conclus que tout ministre qui se laissera dominer par les prétentions ne le épuisera jamais. Il doit donc chercher une règle, une règle certaine d’intérêt général comme le plus grand revenu que puisse recueillir le trésor public. Qu’il la cherche avec la même sincérité, le même zèle que celui dont serait animée une compagnie-propriétaire, et bientôt nous ne prélèverons plus sur d’autres ressources un déficit de trois à quatre millions. Laissons aussi momentanément les chemins de fer de Jurbise et autres, qui ne pressent point. Le temps viendra de les construire, j’aime à le croire, mais n’imitons pas en travaux grandioses l’ardeur de Napoléon dans ses grandes guerres. Sachons modérer le mouvement, ou nous nous ruinerons par soif de richesses, comme lui par soif de conquêtes.

M. Rogier. - Cette discussion sur le chemin de fera déjà été bien longue. Je me bornerai donc à quelques observations.

La discussion relative au tarif viendra plus à propos, ce me semble, dans la discussion de la loi qui tend à accorder au gouvernement le droit de régler les péages du chemin de fer, loi qui devra être renouvelée avant le 1er juillet 1844.

J’ignore si M. le ministre des travaux publics proposera de proroger cette loi, ou s’il saisira les chambres mêmes du tarif du chemin de fer. Quant à moi, je verrais avec plaisir les chambres se livrer à une discussion approfondie de la question qui chaque année nous occupe inutilement, et arriver à ce résultat si désirable : la fixité du tarif.

Il importe à l’industrie et au commerce de savoir à quoi s’en tenir. Trop de lois et d’arrêtés successifs ont bouleversé toutes nos relations, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur dans l’état actuel des choses, du jour au lendemain l’industrie ne sait à quoi s’en tenir. Il dépend non seulement du gouvernement, du ministre, mais d’agents inférieurs de changer le tarif, de bouleverser ainsi toutes nos relations commerciales.

Un tel état de choses doit avoir un terme.

J’espère que M. le ministre des travaux publics, soit qu’il saisisse les chambres d’un projet de loi spécial, soit qu’il demande le renouvellement de la loi qui autorise le gouvernement à fixer les péages du chemin de fer, reconnaîtra qu’il est nécessaire d’adopter un tarif stable et définitif, qu’on ne modifie pas du jour au lendemain ; ce qui est trop souvent arrivé au grand détriment du commerce, de l’industrie et du trésor.

Mon but, en prenant la parole, est surtout de prémunir M. le ministre contre des conseils que je considère comme dangereux, conseils réactionnaires contre le tarif du chemin de fer. M. le ministre saura résister, je l’espère, aux derniers conseils qui viennent de lui être donnés par M. le comte de Mérode.

Cet honorable membre persiste à considérer le chemin de fer comme une clause ruineuse pour le pays. J’ai déjà eu maintes fois l’occasion de démontrer que le chemin de fer, même au point de vue fiscal peut devenir une entreprise très avantageuse. Déjà, en examinant les choses de sang-froid, avec impartialité, sans parti pris, sans antipathie, on peut dire que le chemin est une bonne institution, au point de vue fiscal. Ses plus grands adversaires reconnaissent qu’il rapporte 2 et 1/2 p. c. du capital engagé. Il ne fait que de naître ; il n’y a que quelque mois qu’il a reçu son complément. A peine vient-on d’en poser le dernier rail. Je le demande, quel est l’établissement industriel qui, le lendemain de son achèvement, aux premiers jours de son exploitation, rapporte 2 et 1/2 p. c. du capital engagé. Laissez le chemin de fer vivre, se déployer librement, généreusement, et je ne mets pas en doute, qu’avec le temps le produit ne s’élève facilement de 2 1/2 à 4 ou 5 p. c.

Je ne combats pas tous les conseils qui ont été donnés à M. le ministre. Je m’associe à beaucoup d’observations qui ont été faites particulièrement en ce qui concerne les économies et le contrôle. Je crois qu’il y aurait des économies à effectuer, et que le contrôle pourrait s’étendre à beaucoup d’objets aujourd’hui négligés.

Je dirai deux mots en passant des observations faites à tort, selon moi, par l’honorable M. de Man, contre la régie du chemin de fer.

Il a confondu deux choses distinctes, les travaux en régie et la direction de la régie. Ces deux choses sont tellement distinctes que la direction de la régie a été précisément instituée pour contrôler les travaux en régie, qui précédemment n’étaient soumis à aucun contrôle. Sous l’administration de l’honorable M. Nothomb, il a été créé, sous le nom de régie, une administration chargée de contrôler les travaux exécutés en régie, de payer à pied d’œuvre les ouvriers qui concourent à ces travaux. Voilà l’origine de cette administration qu’on attaque à tort ; car c’est par elle qu’est contrôlée l’exécution des travaux en régie.

Cette direction de la régie pourrait rendre de grands services, en étendant sous contrôle aux fournitures, Par une mesure prise sous mon administration, ce contrôle devrait s’étendre à toutes les fournitures. J’ignore pourquoi cet arrêté n’a pas reçu d’exécution. J’espère que M. le ministre voudra bien le revoir ; j’attends de son impartialité un examen attentif de cette mesure.

Je donnerai les mains à toutes les économies sages et prudentes qui pourront se faire. On vient de s’élever contre les traitements accordés à certains ingénieurs du chemin de fer. Je n’ai à défendre, sous ce rapport, aucun acte de mon administration. Je dirai seulement deux mots du personnel du chemin de fer qu’on traite avec peu de bienveillance.

En même temps que le chemin de fer se développait, son personnel a dû en quelque sorte s’improviser.

J’ai souvent, comparé ce personnel à une armée de volontaires, Il y a, dans ce personnel, des hommes pleins de zèle et d’énergie ; il y en a d’autres qui laissent à désirer. Ce n’est que successivement qu’on parviendra à discipliner cette armée. Je ne doute pas que ce personnel ne forme un jour une administration organisée aussi bien que les autres. Elle aura de plus l’avantage de l’énergie, de la jeunesse qui manque à des administrations plus anciennes. On a donc tort d’attaquer en général ce personnel. En effet, si on envisage le chemin de fer, au point de vue de son exploitation, est-il en Europe un chemin de fer qui offre plus de régularité et de sécurité que le nôtre ? Sous ce rapport, notre railway laisse peu à désirer.

On a parlé du luxe des constructions. Parcourez les autres chemins de fer vous verrez que nulle part les travaux ne sont plus simples, plus économiques que les nôtres.

Quant à l’augmentation des devis primitifs, je n’ai pas à la défendre, elle date d’une époque où je ne tenais pas les rênes de l’administration. Quoi qu’il en soit, dans tous les pays où l’on a construit des chemins de fer, les devis primitifs ont été dépassés. D’ailleurs, M. le ministre a parfaitement justifié la cause des diverses augmentations. Pour ceux qui ne seraient pas suffisamment édifiés sur ce point, je les renvoie au travail remarquable qui nous a été distribué, et qui fait partie des publications de la commission de statistique.

Je partage l’opinion qui a été exprimée sur l’utilité des économies ; mais je crois qu’il y aurait autre chose à faire pour rendre le chemin de fer productif ; ce serait de l’utiliser, d’utiliser les forces immenses qu’il met tous les jours au service de l’industrie, du commerce, des voyageurs. Souvent ces forces ne sont pas utilisées. On pourrait accroître de beaucoup les recettes, non par le tarif, mais par les transports, en leur accordant une plus grande facilité.

Pour les marchandises, je dois dire que, pour le moment, je considère le tarif comme très modéré, il est même plus bas que le tarif établi par moi et contre lequel tant de récriminations s’étaient élevées. Nous parlons très souvent dans cette enceinte de la nécessité de favoriser l’agriculture et le commerce. Pour la plupart de nos industries, toute la question réside dans la facilité et le bon marché des transports. Pour nos houilles, nos fers, nos chaux, nos engrais, nos pierres, nos céréales, notre bétail, notre poisson, tous ces objets principaux de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, c’est par la facilité et le bon marché des transports que vous pourrez assurer leur prospérité et leur extension tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Le problème, messieurs, n’est pas si difficile ; l’exploitation du chemin de fer n’est pas une mer féconde en écueils. Je crois que la grandeur de l’entreprise exagère aux yeux de beaucoup de personnes la grandeur des difficultés. Au fond l’administration du chemin de fer n’est pas une machine très compliquée ; un grand nombre d’établissements industriels particuliers supposent, suivant moi, beaucoup plus de complications.

Loin de repousser les voyageurs et les marchandises par des tarifs élevés, il faut les attirer au chemin de fer par des tarifs modérés, et persister, en l’améliorant, dans le système que l’on a suivi jusqu’à présent.

Il faut, messieurs, accorder des facilités à tous les transports par des mesures de douanes sagement combinées. Il ne faut pas, par exemple, que nos lois sur le transit et l’exécution de ces lois viennent entraver le chemin de fer, dont un des buts principaux a été le transit.

Ainsi on se plaint que le chemin de fer ne rapporte pas tout ce qu’il pourrait produire. Mais permettez-lui d’abord de transporter tout ce qu’il peut transporter. Ne le privez pas du transport du poisson, du transport du bétail, du transport de la fonte en transit. Voilà des objets dont vous le privez et dont vous le privez d’autant plus imprudemment, que quand ils ne sont pas transportés par lui, ils le sont par une autre voie, par un pays étranger. Je citerai, par exemple, un chargement de poisson d’Ecosse arrivé récemment à Anvers ; on lui a interdit le transit de la Belgique, et le chemin de fer a été frustré d’un revenu considérable. Qu’a fait le négociant à qui ce poisson avait été envoyé ? Il l’a fait passer par les eaux intérieures de la Hollande, avec plus de frais pour lui, il est vrai, mais avec perte pour le chemin de fer.

On m’a dit que le même résultat avait eu lieu pour les fontes en destination de l’Allemagne. Dans le but de favoriser l’exportation des fontes beiges, on a interdit le transit par le chemin de fer aux fontes anglaises, qui ont transité par la Hollande.

Le bétail hollandais transite maintenant par notre pays. Eh bien ! quand on s’y opposera, il reprendra la voie d’autrefois ; il ne passera plus par les Flandres, mais par Dunkerque.

J’aime à croire que M. le ministre des travaux publics s’occupe avec activité de tous les moyens de rendre le chemin de fer productif. C’est sur ce point que j’appelle son attention et j’espère qu’il saura à la fois imprimer une direction énergique et intelligente à son administration, et s’opposer à toute impulsion réactionnaire.

Du reste, messieurs, je voudrais que les partisans des tarifs élevés fussent à même d’en faire l’application pendant trois mois. Je ne reculerais pas pour ma part devant l’expérience ; et je suis convaincu que la réaction sera telle que peut-être on arriverait à des tarifs trop bas.

Quoi qu’il arrive, messieurs, quoi qu’on fasse, je suis parfaitement tranquille sur l’avenir du chemin de fer. Quelle que soit la passion avec laquelle on l’attaque, quelle que soit l’injustice de ses détracteurs, quelles que soient les défiances qu’il puisse inspirer même à des hommes de bonne foi, le railway continuera sa marche en versant des torrents de bienfaits sur le pays.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, je crois aussi, comme l’honorable M. Rogier, que la chambre doit prendre garde de se laisser aller à ce qu’il a appelé une réaction contre le chemin de fer.

Le pays, messieurs, est maintenant préoccupé presque exclusivement de la question financière qui prime toutes les autres. Cette question est immense sans doute ; la force d’un pays tient en partie à son état financier. Notre position financière est belle encore, meilleure sans aucun doute que celle de la plupart des Etats qui nous environnent ; des imprudences, j’en conviens, pourraient la compromettre.

Mais il faut aussi avec le même soin éviter de se laisser aller sur la pente des réactions. En restant uniquement placé au point de vue de l’intérêt financier, la Belgique pourrait compromettre d’autres puissants intérêts, elle pourrait détruire ce qu’elle a créé avec tant de peine et ce qui lui a acquis tant de gloire.

En effet, messieurs, il ne faut pas l’oublier : La Belgique, depuis 1830, a crée dans l’ordre des faits matériels, deux grandes choses : le chemin de fer et l’armée. Ces deux créations ont contribué beaucoup à faire respecter notre nationalité à l’étranger ; elles ont fait croire en nous ; elles ont attiré l’attention de l’Europe sur nous. N’allons pas nous dégoûter de ces résultats, regretter les sommes que nous avons dépensées pour les obtenir ; je considérerais cette réaction comme fatale, pour notre avenir, parce que ce serait un symptôme de l’affaiblissement de l’esprit national.

Messiers j’ai aussi la conviction que notre chemin de fer ne peut pas encore être apprécié. Ses dépenses sont connues, ses résultats ne le sont pas.

Le chemin de fer ne vient que de naître ; nous venons à peine de toucher à l’une de nos frontières, et cependant, messieurs, les résultats sont déjà tels que les espérances premières se trouvent déjà dépassées.

Sans suivre plusieurs honorables membres dans toutes les questions de détail qu’ils ont soulevées, vous me permettrez, messieurs, d’envisager le chemin de fer à un point de vue plus général.

Messieurs, les comptes rendus vous l’ont appris, la dépense moyenne par lieues de chemin de fer exploitée, va tous les ans en diminuant.

Je veux le considérer sous le double rapport des dépenses, et des résultats d’exploitation obtenus. J’examinerai si, sous ces deux rapports, le chemin de fer est en progrès, ou si nous marchons à reculons.

En 1841, cette dépense moyenne par lieue exploitée, était de fr, 64,263

En 1842, de fr. 59,497

En 1843, elle a été de fr. 55,959.

L’administration du chemin de fer présente annuellement au ministre un compte des dépenses annuelles et réelles de l’exploitation, qui diffère du compte légal des dépenses, telles qu’elles figurent dans le compte-rendu.

Celle-ci est la comptabilité que j’appellerai légale ; elle se rapporte au cadre du budget, aux imputations et aux registres, tels que la cour des comptes les tient.

Un autre compte, que j’appellerai compte commercial, est fourni annuellement au ministre par l’administration du chemin de fer ; c’est le compte des dépenses qui ont été effectivement faites du 1er janvier au 31 décembre de l’exercice courant.

Dans le compte légal on procède d’une manière. Ainsi, par exemple, une adjudication est approuvée le 31 décembre. Elle figure dans le compte légal pour l’exercice qui expire, tandis que l’objet est consommé, que la dépense réelle est faite dans l’exercice suivant. Eh bien ! voici les résultats de ce compte commercial, de ce compte réel de l’exploitation du chemin de fer pendant les années 1840, 1841, 1842 et 1843.

En 1840, la dépense moyenne par lieue exploitée, a été de fr. 56,162 95.

En 1841, 65,979 32.

En 1842, 65,812 32.

En 1843, 56,003 17.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, la dépense totale par lieue de chemin de fer exploitée, va tous les ans en baissant. Le résultat donc de l’exploitation par rapport aux dépenses constate une amélioration progressive.

Il ne faut pas oublier, messieurs, que les dépenses d’exploitation au chemin de fer doivent varier d’après le système même d’exploitation qui est admis, et ce fait a été trop peu remarqué. Lorsqu’on isole la dépense de la recette et qu’on l’envisage séparément, on obtient évidemment des résultats complètement différents, selon que l’on a adopté un système d’exploitation à rouages simples, comme en Angleterre, ou un système d’exploitation plus étendu, plus utile, plus complet.

Dans le système d’exploitation adopté, par exemple, sur plusieurs des chemins importants de l’Angleterre, et sur les chemins de fer de Lille, de Valenciennes, l’administration ne fait que prêter la route et son matériel ; elle ne fait en quelque sorte que le roulage, tandis qu’en Belgique nous avons admis un système beaucoup plus utile, qui répond beaucoup mieux aux intérêts des populations, du commerce et de l’industrie, mais qui amène une grande complication dans les rouages administratifs, un personnel plus nombreux, et dès lors une plus grande dépense, si vous isolez celle-ci de la recette.

Exploiter le chemin de fer à un point de vue purement financier, c’est l’exploiter comme le font les compagnies anglaises. Le système des compagnies anglaises réside dans la solution de ce problème : gagner beaucoup en transportant peu. Pour réaliser ce système, elles ont admis des tarifs usuraires et un mode d’exploitation qu’on a appelé, en Angleterre, désastreux. L’Etat, messieurs, doit exploiter le chemin de fer, à un tout autre point de vue, celui de l’intérêt général ; il doit mettre le chemin de fer à la portée de toutes les industries. Le système d’exploitation qui donne le plus de facilité aux voyageurs et au commerce, c’est le système des tarifs modérés.

Je crois, messieurs, que le mode d’exploitation adopté en Belgique est le meilleur et que lorsque le temps aura permis d’en faire sortir tous les résultats heureux, ce sera celui qui pour la Belgique, amènera la plus grande recette.

Mais il n’en résulté pas moins que la dépense prise isolément est beaucoup plus considérable que dans un système entrant dans moins de détails. Ainsi, selon que vous adopteriez l’un ou l’autre des deux systèmes d’exploitation, les art.1, 2, 8, 9, 10 et 11 du budget devraient être profondément modifiés.

Le service des transports figure au budget pour une somme de 575,380 fr. ; les salaires d’ouvriers sont compris dans cette somme pour 408,000 fr. Eh bien, messieurs, en Angleterre et sur les chemins de fer dont je vous ai parlé, les dépenses de chargement et de déchargement, qui nécessitent un personnel d’ouvriers considérable, sont à la charge des expéditeurs et des destinataires. Cette dépense n’y est pas connue.

En Belgique cette dépense mise à la charge de l’administration monte à 350,000 fr.

Pour le camionnage, messieurs, les mêmes résultats peuvent être constatés. Si l’on n’avait pas admis en Belgique ce système de camionnage, on pourrait défalquer du budget une somme de 150,000 fr. que ce service exige.

Pour les frais de perception la différence en moins pourrait être évaluée à une somme approximativement de 150,000 fr , parce que la comptabilité pourrait être organisée sur un pied infiniment plus économique.

Le chapitre : Main-d’œuvre et fournitures, s’élève à 1,113,500 fr. Dans cette somme sont compris 1,381 ouvriers pour 821,000 fr. et dans ces 821,000 fr. les gardes-barrières figurent pour 35,700 fr. Or vous savez messieurs, qu’en Angleterre, où les chemins de fer sont clôturés partout, où ils ne traversent jamais les routes ordinaires à niveau, cette dépense n’existe pas. Ainsi, messieurs, en résumant les divers chiffres que je viens d’indiquer et qui n’existeraient pas au budget si nous avions admis un mode d’exploitation autre que celui qui a été introduit, le budget pourrait être dégrevé de ce chef de 1 million de francs.

N’oubliez pas non plus, messieurs, qu’on est habitué à demander au chemin de fer des services qui sortent complètement de sa spécialité. Ainsi, par exempte, le commerce réclame des bâtiments de douane dans les stations. Eh bien, la dépense des bâtiments de douane dans les stations de Quiévrain, de Courtrai, de Verviers, de Mons, de Liège, d’Ostende, de Bruxelles et de Gand ; cette dépense montera à 800,000 fr, ; le chemin de fer prendra à sa charge cette dépense, qui cependant ne devrait pas lui incomber. Le budget du chemin supporte aussi pour le service des postes, une dépense annuelle de 250,000 fr.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, il ne faut pas, dans l’appréciation de l’exploitation du chemin de fer, envisager la dépense d’une manière isolée, il ne faut pas la séparer de la recette totale et des résultats obtenus. Je viens de vous démontrer que, selon que vous adopteriez le système anglais ou celui qui existe en Belgique, vous arriveriez à une différence de près de 1 million et demi dans la dépense annuelle ; c’est plus du quart de la dépense totale.

Maintenant, messieurs, après avoir considéré le chemin de fer par le côté des dépenses, après vous avoir montré la dépense moyenne par lieue exploitée s’abaissant d’année en année, après vous avoir démontré que plus d’un quart de ces dépenses tiennent exclusivement au système d’exploitation qu’on a, du reste, bien fait d’adopter, permettez-moi de vous dire quelques mots des résultats mêmes de l’exploitation. L’appréciation la plus exacte qu’il soit possible d’en faire, c’est de se rendre compte de l’excédant de la recette sur la dépense totale. Eh bien, messieurs, cet excédant a été par lieue parcourue :

En 1841, de fr. 5,88.

En 1842, de fr. 7,12.

En 1843, de fr. 9,60.

Ainsi, messieurs, si d’une part la dépense moyenne par lieue exploitée, diminue successivement, l’excédant de la recette sur la dépense va, de son côté, sans cesse en augmentant. Nous ne devons donc pas, en face d’un pareil résultat, nous décourager. La marche peut paraître lente à quelques-uns, mais elle est progressive.

Quels sont les résultats d’exploitation qu’une administration intelligente tâche d’atteindre ? Des transports nombreux ; le meilleur emploi utile du matériel et de la puissance locomotive ; la moyenne la plus élevée de voyageurs par convoi, la répartition la plus favorable des voyageurs entre les trois classes de voitures, la charge la plus complète des waggons ; les transports à grande distance ; l’économie dans le combustible. Tout le problème de l’exploitation se résume dans ces résultats à conquérir.

La première condition, c’est une grande masse de transports. Le chemin de fer ayant beaucoup coûté, il faut, pour qu’il produise un intérêt élevé, l’utiliser beaucoup. Des transports considérables voilà le moyen de réduire le prix de revient, bien entendu en maintenant les tarifs à un taux sagement rémunérateur.

Vous le savez, messieurs, il y a au chemin de fer des dépenses fixes, qui restent à peu près les mêmes quel que soit le nombre de voyageurs ou la quantité de marchandises transportés ; eh bien, plus les transports augmenteront, plus ces dépenses, qui sont considérables se répartiront sur un plus grand nombre de voyageurs et une plus grande quantité de marchandises, plus les prix diminueront, plus les revenus s’élèveront.

Eh bien, messieurs, lorsqu’on se reporte aux prévisions primitives pour le mouvement des transports, on voit les ingénieurs, MM. Simons et de Ridder évaluer le mouvement général des voyageurs par le chemin de fer à un nombre de 23 millions de voyageurs transportés à un kilomètre ; eh bien, sur les mêmes lignes, en 1842 le nombre des voyageurs transportés à un kilomètre s’élève à 90 millions, c’est-à-dire à un nombre quatre fois plus considérable que celui des prévisions primitives. Il ne faut pas oublier, messieurs, que si l’on s’est trompé dans les devis de la construction du chemin de fer, on s’est aussi trompé sur l’importance des transports qui seraient effectués.

Pour les marchandises, le service a été naturellement lent à s’organiser ; les habitudes commerciales n’étaient pas mises en rapport avec le chemin de fer ; ces habitudes devaient se créer ; le matériel était insuffisant. En 1838, lorsque le service du transport des marchandises a été organisé, on a commencé ce transport à l’aide de quelques waggons de marchandises, Eh bien, messieurs, le transport des marchandises, dont on désespérait, il y a quelques années, ce transport acquiert une importance sur laquelle on ne comptait plus. Ainsi, le transport des marchandises figurent dans les recettes totales :

En 1837 pour 1 1/5 p. c.

En 1838 pour 5 1/4 p. c.

En 1839 pour 13 1/4 p. c.

En 1840 pour 23 3/4 p. c.

En 1841 pour 34 p. c.

En 1842, pour 36 1/2 p. c.

En 1843 pour 39 1/2 p. c.

En 1843, j’ai déjà eut l’occasion de le dire, messieurs, le transport des grosses marchandises s’est élevé de 194,000 tonnes, chiffre de 1842, à 350,000 tonnes, et dans les mois de novembre et de décembre on a obtenu un mouvement de plus de 40,000 tonnes de grosses marchandises par mois. Ainsi d’une année à l’autre les transports ont plus que doublé.

Sans doute, messieurs, et je suis le premier à en convenir, ce transport, considérable si on l’envisage d’une manière relative, est encore insignifiant si on l’apprécie d’une manière absolue, c’est-à-dire au point de vue des espérances légitimes que nous devons concevoir. Il est certain que, sur un réseau de chemins de fer aussi étendus qui touche à tous les centres de population, à tous les centres industriels, qui va se trouver au confinent de toutes les lignes ferrées des pays étrangers, il est certain que, sur ce chemin de fer, nous devons obtenir un mouvement bien autrement étendu encore.

Un des résultats que l’on peut considérer dès aujourd’hui, c’est la concurrence que notre chemin de fer fait au Rhin.

Vous savez, messieurs, que c’était là le problème à résoudre. Cette question était dominante en 1834 ; le but qu’on avait surtout en vue, c’était de remplacer l’Escaut, c’était de récupérer une partie du marché de l’Allemagne et de l’Europe centrale, que la Hollande nous avait enlevé. Eh bien, messieurs, ce problème rencontrait à cette époque beaucoup d’incrédules ; on ne croyait pas à la possibilité qu’un chemin de fer pût créer une rivalité sérieuse au Rhin. Eh bien, le fait existe ; interrogez les chambres de commerce d’Anvers, de Cologne et de Rotterdam, et elles vous diront que le problème de 1834 est résolu. Non pas que je crois que nous allons anéantir la concurrence de la Hollande, que nous allons être substitués à la Hollande pour tout le transit qui se fait entre cette voie et l’Allemagne ; mais nous avons lieu d’espérer que la Belgique deviendra l’intermédiaire entre les colonies libres et l’Allemagne, et une partie de l’Europe centrale, comme la Hollande est l’intermédiaire obligé entre ces contrées et ses propres colonies de Java.

En présence de ce fait capital, les plaintes et le découragement ne peuvent pas nous être permis.

L’honorable M. Rogier vient de vous dire avec beaucoup de raison que ce qui frappe, lorsqu’on étudie le chemin de fer, c’est l’immense force perdue, sous le rapport de la puissance locomotive, de l’emploi du matériel, de la moyenne des voyageurs dans les convois, de la moyenne du tonnage pour chaque waggon et chaque convoi de marchandises.

J’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, messieurs, pour moi, tout le problème est dans les moyens d’utiliser cette force perdue. La question des tarifs sans doute est importante, les tarifs exercent toujours une grande influence sur les transports au chemin de fer ; mais, selon moi, cette question des tarifs qui a servi de texte à des controverses passionnées, est maintenant, permettez-moi de le dire, un peu de l’histoire ancienne ; la question véritable est le mode même d’exploitation. Nous avons certainement beaucoup à faire dans cette voie, mais quelques chiffres vous démontreront que nous sommes aussi, sous ce rapport, en voie d’amélioration.

En Angleterre, on a calculé que les neuf dixièmes de la force locomotive étaient perdus, qu’un dixième seulement était utilisé. Nous sommes, à cet égard, en meilleure position : en Belgique j’ai recueilli pour l’année 1843 quelques renseignements qu’il est utile d’étudier.

Ainsi, pour l’emploi utile des locomotives dans les premiers mois de l’année 1843, je trouve que 49 locomotives étaient allumées par jour ; que le parcours moyen de chaque locomotive allumée était de 19 lieues ; que chaque locomotive allumée avait stationné pendant 4 heures 17 minutes et n’avait été en course que pendant trois heures 10 minutes. Ainsi chaque locomotive n’avait d’emploi utile qu’un jour sur 2 3/4.

Lorsque j’examine les résultats atteints sous ce même rapport pendant les mois d’octobre et de novembre de la même année, j’obtiens les données suivantes :

Pendant ces deux mois, 63 locomotives étaient allumées par jour ; le parcours moyen était de 30 lieues ; les heures de stationnement n’étaient plus pour chaque locomotive que de 1 heure 41 minutes, et le temps de la course même de 5 heures. L’emploi utile était donc de un jour sur 1 9/10.

Le parcours moyen des locomotives tend à s’accroître ; le nombre d’heures de stationnement diminue ; ce sont là des progrès dont il faut tenir compte à l’administration.

On s’est souvent plaint du nombre exagéré de locomotives sur nos chemins de fer. Eh bien, sous ce rapport encore, malgré la difficulté d’exploitation sur un chemin de fer divisé en plusieurs branches distinctes, l’on constate qu’en Angleterre il y a 3 1/2 locomotives par myriamètre ; en France, un peu plus de trois et en Belgique un peu moins de trois.

Une des améliorations à apporter au chemin de fer est de faire augmenter, à l’aide du système d’exploitation et des tarifs, la moyenne des voyageurs par convoi.

Ainsi, messieurs, lorsqu’on songe que le nombre de places disponibles dans un convoi de voyageurs est de 200 au moins, et que la moyenne des voyageurs par convoi est de 80 à 100 voyageurs seulement, on est effrayé de l’immense force perdue et qu’il serait possible d’utiliser : Du reste, il est à remarquer qu’à l’étranger les chemins de fer se trouvent, à cet égard, dans une position même inférieure. En Angleterre, la moyenne des voyageurs par convoi y est très restreinte pour la plupart des lignes ; elle y varie de 50 à 80.

Messieurs, en 1840, notre moyenne de voyageurs par convoi était de 83 ; en 1841, de 92, et en 1842 de plus de cent. Ainsi, nous sommes encore là en voie d’amélioration. Mais je conviens qu’il reste beaucoup à faire. Vous concevez parfaitement que si cette moyenne était doublée comme elle pourrait l’être, les dépenses n’en seraient pas sensiblement augmentées, et le revenu s’élèverait considérablement.

Une des questions sur lesquelles l’administration a toujours les yeux fixés, c’est la répartition des voyageurs dans les convois, ainsi, avec le même nombre de voyageur dans un convoi, la recette peut doubler, selon que la répartition des voyageurs est plus utilement opérée. Si les voyageurs en waggons sont relativement beaucoup plus nombreux que les voyageurs en chars-à-bancs et en diligences, vous pourrez arriver à un nombre très considérable de voyageurs, mais à une recette presque nulle, tandis que, si ce même nombre de voyageurs est réparti de manière telle que la moyenne des voyageurs en waggons diminue pour faire monter celle des voyageurs en chars-à-bancs et en diligences, vous arriverez à un résultat financier de beaucoup supérieur.

Eh bien, à ce point de vue encore, un progrès a été effectué depuis quelques années.

En 1841, les voyageurs en waggons figuraient pour 64 3/4 p. c. ; en 1842, pour 65 1/2 p. c. ; en 1843, pour 62 p. c.

En 1841, les voyageurs en chars-à-bancs figuraient pour 27 1/2 p. c. ; en 1842, pour 25 p. c. ; en 1843, pour 28 p. c.

En 1841, les voyageurs en diligence figuraient pour 8 p. c. ; en 1842, pour 9 1/2 p. c. ; en 1843, pour 10 p. c.

La répartition des voyageurs tend donc à s’opérer d’une manière plus fructueuse pour le trésor public.

Pour l’emploi utile des waggons, j’ai trouvé qu’en janvier et février de l’année 1843, un waggon avec charge de 3,500 kil. n’était utilisé qu’une fois tous les six ou sept jours, tandis qu’en octobre, novembre et décembre, chaque waggon était utilisé une fois sur 3 1/2 jours. En d’autres termes, on a transporté à la fin de l’année, avec un même matériel, deux fois autant de marchandises qu’au commencement de l’année.

Une amélioration peut encore être constatée, sous le rapport des marchandises. Ainsi, la charge moyenne des waggons en 1841, variait entre 2,100 et 3,100 kilogrammes par waggon ; en 1842, entre 2,600 et 4,000, et en 1843, entre 3,600 et 4,100.

La charge complète était de 4,500 kil. : vous voyez que les résultats de l’exploitation sont tels que ce maximum est prêt d’être atteint. Le compte-rendu vous a fait connaître que l’économie sur le combustible a été pour 1843 de près de 300,000 fr.

J’arrive aux tarifs. Cette question est beaucoup plus difficile que quelques-uns semblent se l’imaginer. Faut-il grossir les recettes en restreignant les transports et en élevant les prix, ou bien en augmentant les transports à l’aide de prix modérés ? La question est là.

Lorsqu’il s’agit de diminuer les tarifs, comme l’honorable M. David l’a proposé, la question est ce savoir si le nombre plus grand de voyageurs et la quantité plus considérable de marchandises peuvent compenser le déficit causé par la baisse des tarifs, de même qu’en élevant les tarifs, la question est de savoir si vous ne repoussez pas les transports. Vous voyez donc que la théorie est ici de peu de secours ; l’expérience, les faits seuls doivent être écoutés.

Vous le savez, messieurs, les tarifs belges sont les plus modérés qui existent ; il sont de deux tiers plus bas que les tarifs anglais ; ils sont d’un tiers moins élevé que les tarifs français. Aussi, et l’honorable M. Rogier vient de le reconnaître, les tarifs actuels, pour les marchandises, doivent être considérés comme des tarifs modérés seulement, comme on a procédé par essais, par tâtonnements, et l’on devait le faire, ces tarifs ont besoin d’être coordonnés.

M. Rodenbach. - Vous n’avez pas de transports.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Les tarifs modérés et les tarifs élevés ont été tour à tour admis en Angleterre, et lorsqu’on interroge cette expérience, le doute seul vous répond. Ainsi, en général, en Angleterre, les administrations des chemins de fer ont eu une tendance à relever leurs prix. Si je dois constater une erreur dans laquelle est tombé un savant ingénieur français, Merlies, qui a cru remarquer en Angleterre une tendance générale vers la modération des tarifs. Cela n’est vrai que relativement. Les compagnies ont baissé leurs prix dans le but d’écarter toute concurrence, mais quand la concurrence a été anéantie, on a vu la plupart des compagnies rehausser démesurément leurs tarifs et arrivé, comme je l’ai dit, à des taux usuraires. Ainsi pour le chemin de fer de Birmingham, le Grand Jonction, le Great Western pour les chemins de fer les plus importants et les plus productifs, les compagnies ont successivement augmenté le prix des places.

La compagnie du chemin de fer de Grand Jonction avait vu ses actions monter de 100 à 240 ; cela ne l’empêcha pas d’élever le tarif de 20 à 30 p. c. et elle parvint à accroître ainsi proportionnellement ses revenus.

Des résultats contraires ont été obtenus par d’autres administrations de chemin de fer dans le même pays. Ainsi le chemin de Glastow à Greenoch a opéré une diminution des deux tiers dans les prix de ses tarifs et la recette en est considérablement accrue. Pour le chemin de fer de Dublin à Klingstown une diminution de prix très considérable a été effectuée et les autres actions qui, avant la diminution, étaient de 18 1/2 p. c. au-dessous du pair se sont élevées à 16 1/2 au-dessus. Ainsi l’expérience en Angleterre ne nous dit absolument rien. Pour certaines administrations une élévation de tarif a produit une augmentation de recettes, pour d’autres une diminution de tarif a amené un fait analogue.

Vous voyez donc que d’autres circonstances influent autant que les tarifs sur les transports et les recettes. En Belgique des expériences nombreuses ont été faites. L’honorable M. Nothomb, en 1839, a essayé d’élever les prix des waggons de 12 1/2 centimes à 20. Quel a été le résultat immédiatement obtenu ? C’est que les waggons ont été abandonnés ; les transports ont subi une dépréciation considérable. Sous le tarif du 10 avril on a essayé une diminution trop brusque aussi ; le nombre des voyageurs a augmenté, mais la recette a baissé. Depuis on a cherché par des tâtonnements et des essais à trouver des tarifs intermédiaires les plus favorables aux transports et aux revenus. Les produits de ces expériences continuent à être étudiés, mais tous les faits nous prouvent qu’il ne faut tenter les modifications aux tarifs que d’une main prudente.

Pour le transport des marchandises, le tarif, comme l’a reconnu l’honorable M. Rogier, est modéré et même plus bas en somme que celui du 10 avril, à cause des modérations de taxe qu’on y a introduites. Ce tarif pour les grosses marchandises varie de 30, 40, 45 et 50 centimes, ce qui démontre que ce tarif n’est pas trop bas, l’honorable M. Rodenbach vient de le faire remarquer en m’interrompant, c’est qu’il n’a pas attiré une bien grande affluence de transports sur le chemin de fer. Toutefois le mouvement va croissant, mais seulement dans une mesure proportionnelle et successive.

Messieurs, pour moi la question est donc plus encore dans le mode d’exploitation, dans les facilites à accorder aux transports, que dans le tarif lui-même. Ainsi un fait peut être cité : le tarif du chemin de fer entre Charleroy et Namur est beaucoup plus modéré que le transport par la Sambre. Le transport sur le canal de Charleroy, entre Charleroy et Bruxelles à certaine époque de l’année est beaucoup plus cher que ne l’est le tarif du chemin de fer. Cependant le chemin de fer n’a pas fait de transport de houille entre Charleroy et Namur, ni entre Charleroy et Bruxelles. D’où cela vient-il ? De ce que les habitudes commerciales ne sont pas encore mises en harmonie avec les transports du chemin de fer. Les transports se font à des prix modérés de station à station, Mais on n’a pas encore créé pour le chemin de fer des correspondants et des affluents.

Le problème à résoudre, c’est de mettre toutes les localités du pays en rapport immédiat, régulier avec le chemin de fer. Cette question prime pour moi de beaucoup celle des tarifs. Mon attention est portée sur ce point ; j’ai l’espérance de pouvoir saisir la chambre d’un projet qui aura pour but la réalisation de cette pensée. Si l’on parvient à mettre les centres de population et d’industrie mieux en correspondance avec le chemin de fer, les transports augmenteront dans une proportion très considérable. En 1841, l’honorable M. Rogier a parfaitement compris cet état de choses, quand il a institué le système de camionnage.

Il a voulu supprimer des intermédiaires ruineux placés entre l’expéditeur ou le destinataire et le chemin de fer. L’organisation était-elle bonne ? Les prix n’étaient-ils pas trop bas ? Le camionnage ne devait-il pas rester facultatif ? Ce sont là des points d’exécution que je n’examine point, mais le principe était un perfectionnement qui doit servir de point de départ à beaucoup d’autres.

- La discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.