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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 26 janvier 1842

(Moniteur belge n°27, du 27 janvier 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l'appel nominal à midi un quart.

M. Deprey, nouvellement élu, dont les pouvoirs ont été vérifiés dans une précédente séance, prête serment.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn communique ensuite les pièces de la correspondance.

« Le sieur Jean Orthly, lieutenant au 7e régiment d'infanterie, né à Elssingen (Suisse), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des membres du conseil communal de Quevauchamps, chef-lieu du canton de ce nom (Hainaut), réclament contre le projet de retrancher de ce canton les communes de Tourpes et Barnissart. »

« L'administration communale de Bertrix demande que cette commune devienne le chef-lieu du canton actuel de Paliseul. »

« L'administration communale et les habitants de Fontenelle-lezWalcourt, demandent que le canton de Walcourt soit conservé tel qu'il existe maintenant. »

« Même demande du conseil communal de Vagenée et des membres de l'administration communale et notables de la commune de Samzée. »

« L'administration communale de Tillet réclame contre le projet de suppression du canton de Sifret, qui réunirait cette commune au canton de St.-Hubert. »

« Les habitants de la commune de Chatillon (Luxembourg) réclament contre le projet de réunir cette commune au canton de Messancy et demandent qu'elle continue à faire partie du canton d'Etolle. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d'examiner le projet de loi relatif à la circonscription cantonale.


« Le sieur Remy Moreau, blessé de septembre, demande un secours, n'ayant pu rien obtenir du fonds spécial pour les blessés. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des propriétaires et locataires des bateaux naviguant sur le canal de Charleroy à Bruxelles, demandent une réduction sur le droit de leur patente. »

« Des bateliers de Boom et de Niel demandent des modifications à la loi sur les patentes. »

- Ces pétitions, qui sont déposées par M. Rogier, sont renvoyées à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur la patente des bateliers.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur. - Six ex-directeurs adjoints d’hôpitaux militaires exposent respectueusement à la chambre qu’ils ont servi l’Etat pendant 9 ans dans l'administration des ambulances militaires;

Que ce service ayant été supprimé à la suite du traité des 24 articles, un arrêté royal du 26 septembre 1839 les replaça immédiatement dans les hôpitaux en leur susdite qualité, ce qui leur fut accordé comme récompense de leurs bons et loyaux services ; mais ces emplois ayant encore été supprimés en 1840, ils reçurent une démission honorable avec le traitement de non activité pour un an seulement.

Cependant, disent les pétitionnaires, la loi, qui est égale pour tous, doit leur donner, comme cela a lieu pour tous les autres employés et fonctionnaires démissionnés par suite de suppression d'emplois, le droit à un traitement d'attente, jusqu'à ce que leurs services soient utilisés d'une autre manière, ou bien à une pension le retraite, comme cela a été fait assez récemment pour un de leurs collègues qui n'avait d'autres titres que le leur.

Messieurs, votre commission estime que, si les faits allégués par les pétitionnaires sont exacts, il y aurait lieu, de la part du ministre de la guerre, de demander un crédit pour faire droit à leur réclamation ; en conséquence, nous avons l'honneur de vous proposer de lui faire renvoi de ces pétitions.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. de Villegas, rapporteur. - Par pétition, sans date, des cultivateurs des communes d'Oostacker, Wondelghem, Destildonck, Everghem et Cluysen, demandent à être affranchis du droit de péages sur le canal de Terneuzen, pour le transport, par bateaux, des engrais ou fumier servant à l'exploitation des terres.

Il est à remarquer que la loi du 18 mars 1833 a exempté du droit de barrière les chariots, voitures ou animaux exclusivement chargés d'engrais, fumier ou cendres pour l'agriculture ; dès lors, pourquoi la même exemption ne devrait-elle pas exister pour le transport par voie navigable ?

La commission conclut au renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.

M. Desmet. - Je demande la parole pour appuyer les conclusions de la commission. Sur le canal du Sas de Gand il se fait un grand transport de fumier, parce que les terres qui l'environnent étant très sablonneuses, ont un grand besoin du fumier des villes. Sur les routes le transport du fumier ne paie pas de droit de barrière, tandis que sur les canaux on paie pour le transport des droits de navigation très élevés. Ces droits sont très onéreux pour les cultivateurs ; je demande que M. le ministre prépare une mesure pour les en affranchir. On rembourse les droits de navigation sur l'Escaut, on devrait, à plus forte raison, rembourser ceux dont se plaignent les pétitionnaires.

J'appuie donc le renvoi.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. de Villegas, rapporteur - Par pétitions du 26 novembre et 1er décembre dernier, des propriétaires, négociants, fermiers et habitants des communes de Commines et Houthem, Flandre occidentale, demandent qu'il soit construit deux écluses de chasse à Menin.

Ils prétendent que l'absence de ces écluses de décharge occasionne des inondations fréquentes de la Lys, si nuisible au sol et à l'industrie.

Il est urgent que le gouvernement instruise l'objet de la réclamation et prenne, s'il y a lieu, des mesures pour remédier au mal dont on se plaint.

En conséquence, la commission conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1842

Discussion générale

M. Meeus. - Messieurs, dans une séance précédente, la veille des vacances que vous avez prises à l'occasion du renouvellement de l'année, j'avais demandé au gouvernement de faire insérer dans le Moniteur certain arrêté portant la date du 14 octobre 1841, qui se trouvait inséré dans le journal militaire officiel de l'armée ; et j'avoue que j'ai été on ne peut pas plus surpris que le gouvernement n'ait pas déféré à cette demande si simple. Dans l'intérêt du parlement, dans l'intérêt de chacun des membres qui le composent, pour pouvoir juger les actes du gouvernement, il faut qu'ils se trouvent insérés dans le Moniteur officiel ; sans cela, il arrivera qu'un grand nombre d'actes du gouvernement échapperont nécessairement à votre investigation. J'espère que le ministre de la guerre ou le ministre de l'intérieur, que je vois ici présents, voudra bien me donner quelques explications pour justifier cette absence d'insertion d'un acte du gouvernement au Moniteur officiel.

Après cette simple observation, ayant demandé la parole dans la discussion du budget de la guerre, Il m’est impossible de ne pas faire quelques observations générales sur ce budget. Appréciant, comme je puis le faire, les nécessités du trésor, j'avoue franchement que je vois avec peine que la diminution sur le budget de la guerre soit si peu sensible. La politique européenne semble aujourd’hui calmée, la paix paraît affermie. Le moment doit être venu pour la Belgique d'entrer dans le système normal que le traité et la politique qu'elle a adoptée lui assignent.

L'armée belge doit-elle rester composée d’autant de régiments qu’il en compte aujourd'hui ? Dans l'intérêt de l'armée même ne serait-il pas préférable d'avoir des régiments complets plutôt que d'avoir des régiments disloqués qui entraînent des dépenses énormes pour les officiers et sous-officiers qui restent sans soldats et ne jouissent pas moins de leur solde et de tous les avantages attachés à leur grade. ? Ces considérations générales, je vous les livre, messieurs, je les livre au gouvernement parce qu'il me semble qu'en face d'un budget aussi élevé que celui que présente le ministre de la guerre, il est essentiel, dans l'intérêt du. trésor, d'arriver à des économies réelles. Si nous voulons donner à l'intérêt matériel l'essor qu'il réclame en dotant le pays de canaux et de routes, vous ne le ferez qu'à une condition d'arriver à des économies possibles sur d'autres budgets que celui-là.

Ici je m'arrête, il me suffit d'avoir soulevé la question, de la soumettre à la sagacité du gouvernement, à l'appréciation des membres de cette chambre pour arriver au véritable but pour lequel j'avais demandé la parole dans une séance précédente.

M. le président. - Si c'est pour ouvrir une discussion relativement à l'arrêté du 14 octobre que l'honorable préopinant a pris la parole, je lui ferai observer que cette question doit faire l'objet d'un rapport supplémentaire de la section centrale qui donnera des renseignements pour l'éclairer. J'engagerai M. Meeus à ajourner ses observations jusqu'à la discussion du rapport.

M. Meeus. - J'aurai l'honneur de faire observer qu'il a toujours été d'usage, dans cette chambre, d'attaquer les actes d'un ministre à l'occasion de la discussion de son budget. Si la chambre, contrairement à ses antécédents, ne veut pas me permettre de poursuivre, force me sera de m'arrêter. Mais, je le répète, ce serait contraire à tous les précédents de la chambre. Il y a, d'ailleurs, deux questions en présence dans l'arrêté dont il s'agit. Ces deux questions sont très distinctes. L'une est relative à ce que cet arrêté peut avoir de contraire à la loi de 1835 et à l'armée, l'autre à ce que cet arrêté peut avoir d'hostile à une association que le gouvernement avait prise sous sa protection. Quant à la deuxième question, il n'entre pas dans ma pensée de la soulever ; pour le moment, je ne veux attaquer l'arrêté que sous le rapport du remplacement et de l'armée. Il me semble que le moment est venu d'examiner cette question, maintenant que nous discutons le budget de la guerre, puisque cet arrêté est contresigné par le ministre de ce département. Si vous croyez, M. le président, que je ne doive pas continuer et que la chambre doive être consultée, je me soumettrai à sa décision.

M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, vous pouvez continuer.

M. Brabant. - Je demande la parole.

Si M. Meeus veut me le permettre, je donnerai une explication qui pourra le satisfaire.

Lorsque, le 22 décembre, j'eus l'honneur de faire le rapport sur la demande de crédit provisoire pour le service du mois de janvier, et sur la loi du remplacement, je fis connaître les difficultés que rencontrait la section centrale dans l'examen de la question touchée alors par M. Meeus, et que l'honorable membre veut discuter aujourd'hui à fond.

Le principal grief qu'articule l'honorable préopinant est que l'arrêté du 14 octobre serait un obstacle à la facilité de trouver des remplaçants. Mais c'est là une question moins de théorie que de fait ; et les renseignements qui ont été demandées par la section centrale et qui ne lui sont pas encore parvenus, seule cause qui l'a empêchée de faire le rapport, ces renseignements feraient voir à la chambre si réellement il y a obstacle à trouver des remplaçants par suite de la mesure prise par le ministre.

M. Meeus a dit que c'était en Belgique qu'on trouvait plus difficilement des remplaçants. D'après les renseignements publiés par le ministre de l'intérieur, cette assertion est inexacte quant au royaume des Pays-Bas ; car il résultait de la statistique que le nombre des remplaçants dans l'armée des Pays-Bas entrait dans la proportion d'un quart, ce qui excède la proportion indiquée pour la France. Pour le nombre de remplaçants entrés dans l'armée depuis la révolution, attendons pour le connaître la statistique que doit nous fournir le gouvernement ; s'il en résulte que l'arrête est un obstacle à la conservation de la juste proportion des remplaçants, nous aurons à prendre telle mesure qu'il conviendra pour remédier à cet inconvénient, si toutefois il y a inconvénient. Mais en ce moment une discussion à cet égard serait prématurée, la question n'est pas suffisamment instruite. Si M. Meeus voulait la discuter maintenant, cela m'obligerait, sinon comme rapporteur, du moins comme membre de la chambre, à l'aborder dans l'état où elle se trouve aujourd'hui. Mais je crois que, dans l'état d'instruction où se trouve cette affaire, cette discussion ne nous avancerait guère. Je prierai donc l'honorable membre, pour épargner les moments de la chambre, d'ajourner ses observations jusqu'à ce que le rapport soit présenté, ce qui ne sera pas très long.

M. Meeus. - J'aurai l’honneur de faire observer que j'attaque l'arrêté du 14 octobre non seulement parce que, dans ma pensée, il semble un obstacle au remplacement, mais encore parce que je le trouve contraire à l'intérêt de l'armée elle-même, à l'esprit de corps, à la subordination, à l'union qui doit régner dans l'armée. Si, malgré ces motifs, on croit que le moment n'est pas venu de discuter la portée de cet arrêté, je m'en rapporterai à ce que veut la chambre, j'ajournerai mes observations à la discussion du rapport de la section centrale, mais on me permettra alors de discuter l'arrêté non seulement en ce qui concerne le remplacement, mais encore toutes les conséquences que cet arrêté doit avoir dans ma pensée. (Oui ! oui !)

Si c'est ainsi que la chambre l'entend, je renonce à la parole.

M. le ministre de la guerre (M. Buzen) - M. Meeus s'est plaint de ce que l'arrêté du 14 octobre n'a pas été inséré au Moniteur. Mais il a d'abord été inséré dans tous les journaux non officiels. De plus, je l'ai fait imprimer à part pour être distribué à tous les membres de la chambre, et j'attendais que le moment de la discussion fût venu pour en faire faire la distribution. Elle aura lieu incessamment.

M. Meeus. - Il n'y a pas d'autre journal que le Moniteur officiel pour les membres de cette chambre. Peu importe que l'acte soit inséré dans l'Emancipation et dans les autres journaux ; je reçois le Moniteur, et c'est le Moniteur qui doit me renseigner sur tous les actes du gouvernement, et c'est ce que la chambre doit désirer pour connaître ces actes.

M. le ministre de la guerre (M. Buzen) - Il y a beaucoup d'actes du gouvernement qui ne sont jamais insérés dans le Moniteur et qui sont publiés dans le Journal officiel de l'armée, où' l'arrêté dont il s'agit a été inséré.

M. Delehaye. - Je crois que dans tous les cas le vote sur le budget de la guerre ne pourra avoir lieu qu'après la discussion du rapport supplémentaire que doit faire la section centrale. L'arrêté qui en est l'objet a été pris selon moi par le ministre de la guerre dans le cercle de ses attributions. M. Meeus l'envisage comme inconstitutionnel ; son opinion sur cet acte influera sur le vote qu'il émettra sur le budget. Je ne conçois donc pas la possibilité de voter sur le budget avant d'avoir examiné la conduite du ministre.

Je pense donc que vous ne pouvez procéder au vote sur l'ensemble du budget, qu'après avoir pris une résolution à cet égard.

Si je fais cette observation, ce n'est pas que je veuille attaquer l'acte du gouvernement ; car je le considère comme très légal et comme pouvant avoir d'excellents résultats. Je n'entrerai pas dans une discussion à cet égard ; j'ai voulu seulement faire observer que le vote sur l'ensemble du budget ne peut avoir lieu qu'après la discussion du rapport de la section centrale ; si c'est ainsi qu'on l'entend, je n'ai plus rien à dire.

M. le président. - Avant de passer au vote, je consulterai la chambre.

M. Delehaye. - Je propose dès à présent que la chambre décide qu'il ne sera procédé au vote sur l'ensemble du budget de la guerre, qu'après la discussion du rapport de la section centrale sur l'arrêté du 18 octobre 1841.

M. Brabant, rapporteur. - Je ne puis acquiescer à la proposition de l'honorable M. Delehaye ; si elle était admise, je ne sais à quoi servirait la proposition qu'on a faite de s'occuper aujourd'hui de la discussion du budget de la guerre. Si l'on ne voulait voter le budget de la guerre que lorsqu'on aurait discuté le rapport spécial de la section centrale, il fallait attendre que ce rapport fût fait. Nous ne pouvons dire quand ce rapport sera fait, puisqu'il est subordonné à des renseignements demandés en province, renseignements qui, au dire des fonctionnaires à qui ils sont demandés, sont très pénibles à rechercher. Aucun gouvernement ne peut dire quand il pourra les donner. Sans manquer aux convenances parlementaires, je crois pouvoir invoquer le témoignage de deux honorables collègues, qui remplissent ces fonctions ; ils ne pourraient nous dire à quelle époque leurs bureaux seront en état de fournir les renseignements demandés. Si nous ne votons pas le budget, le ministre de la guerre sera obligé de demander un crédit provisoire ; c'est ce que la chambre a voulu éviter, en mettant la discussion du budget de la guerre à l'ordre du jour de cette séance.

M. Delfosse. - Les explications qui seront données par M. le ministre de la guerre et le rapport qui sera fait par la section centrale sur l'arrêté du 14 octobre 1841 paraissent de nature à influer sur le vote de plusieurs membres de la chambre. Il est donc impossible que le vote ait lieu avant que le rapport de la section centrale ait mis la chambre à même d'apprécier l'acte du ministre. Mais, dit l'honorable M. Brabant, à quoi servira la discussion, si elle n'est pas suivie d'un vote ? Comme j'ai appuyé, dans la séance précédente, la proposition qui était faite de mettre le budget de la guerre à l'ordre du jour, je répondrai à l'honorable membre que la discussion, même non suivie d'un vote immédiat, sera très utile, en ce que nous y consacrerons quelques jours qui auraient été perdus, puisqu'il n'y avait pas d'autre projet prêt à être présenté ; la proposition de suspendre le vote sur l'ensemble du budget, jusqu'à ce que la chambre ait pu apprécier convenablement cet acte important du ministre de la guerre, n'a rien que de très naturel. Je me rappelle très bien que cette proposition a été, en quelque sorte, faite par M. le ministre de l'intérieur lui-même, au moment où l'honorable M. Rogier demandait que l'on mît le budget de la guerre à l'ordre du jour, et j'ai été surpris de ne pas trouver les paroles de M. le ministre au Moniteur ; mais les membres de cette chambre doivent se rappeler comme moi, qu'elles ont été prononcées.

L'honorable M. Brabant dit qu'il faut beaucoup de temps pour obtenir les renseignements que la section centrale a demandés ; je ferai remarquer, messieurs, qu'il y a déjà quelque temps que cette demande de renseignements a été faite et que, si l'on suspend le vote sur l'ensemble du budget, ce sera une raison pour que M. le ministre presse les gouverneurs de les lui remettre et pour qu'il se hâte de nous les donner.

M. Delehaye. - Comme vous l'a dit l'honorable M. Brabant, le rapport sur le budget de la guerre est déposé depuis le mois de décembre. Nous avons différé cette discussion parce que nous n'étions pas saisis du rapport de la section centrale sur la réclamation de l'honorable comte Meeus. Or, ce rapport, vous ne l'avez pas encore ; vous ne pouvez donc voter le budget de la guerre, car le rapport spécial de la section centrale ne peut donner lieu à aucun vote. Je ne sais à quoi mènerait la discussion de ce rapport si le budget de la guerre était voté. Ce retard dans le vote n'entravera pas la discussion ; vous discuterez l'ensemble, vous discuterez et voterez les articles ; le vote seul sur l'ensemble sera différé. Si, au contraire, vous votez maintenant le budget, la discussion du rapport spécial de la section centrale serait absolument inutile ; car cette discussion ne pourrait aboutir à aucun vote.

- La proposition de M. Delehaye est mise aux voix ; deux épreuves sont douteuses ; il est procédé à l'appel nominal. En voici le résultat :

Nombre des membres votants, 60.

29 membres votent pour l'adoption.

31 votent contre.

La chambre n'adopte pas.

Ont voté pour l'adoption : MM. Angillis, Cogels, Cools, de Baillet, de Brouckere, Dedecker, de Garcia, Delehaye, Delfosse, de Terbecq, Devaux, de Villegas, Doignon, Duvivier, Fleussu, Kervyn, Lange, Lebeau, Lys, Maertens, Manilius, Meeus, Osy, Sigart, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandensteen, Verhaegen, Vilain XIIII .

Ont voté contre : MM. Brabant ; Buzen, de Behr, de Florisone, de Foere, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Nef, Deprey, de Renesse, Desmet, Donny, Dubus (aîné), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Hye-Hoys, Huveners, Lejeune, Malou, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Vandenhove, Zoude.

La discussion est reprise sur l'ensemble du budget de la guerre.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, l'expérience des deux années, qui viennent de s'écouler, nous a à peu près fixés sur le chiffre nécessaire à l'entretien de l'armée en temps de paix.

Ce chiffre est de 28 à 30 millions, il absorbe le tiers de nos ressources, environ.

Une dépense aussi considérable reconnue nécessaire en quelque sorte sans contestation ; car ni la section centrale, ni les sections ne proposent de réductions notables ; une dépense aussi grande, dis-je, établit assez la haute importance de la grande institution, qu'elle tend à soutenir, et dont la mission est le maintien de l'ordre, et la défense de notre indépendance. Pour que l'armée puisse rendre à notre patrie les services qu'elle est en droit d'attendre d'elle, après d'aussi grands sacrifices, il faut qu'elle soit fortement constituée ; les moyens d'une forte existence ne lui manqueront pas de notre part, nous l'avons assez prouvé depuis dix ans ; c'est à l'administration à faire le reste.

Je me plais ici à rendre hommage à l'intégrité, aux excellentes intentions, aux améliorations introduites par l'honorable ministre de la guerre ; et je suis persuadé qu'il continuera à marcher dans cette voie.

Je me permettrai cependant, quoique je n'aie pas l'honneur d'appartenir à l'armée, d'entrer dans quelques détails sur les parties du service qui' me semblent le plus laisser à désirer encore ; je me le crois d'autant plus permis, que je n’aperçois à l'exception de l'honorable général Buzen, aucune spécialité militaire dans cette assemblée.

Je viens de dire que pour le prix d'aussi grands sacrifices, nous étions en droit de nous reposer, quant à la défense de l'ordre et du pays, sur une armée fortement constituée. J'ai cherché à me rendre compte de la situation de l'armée, et, évitant de menus détails, je me suis arrêté à deux points de la plus haute importance, qui dominent toute une situation.

La composition du personnel des chefs de l'armée, et le code disciplinaire qui tend à régler les attributions, les devoirs de chacun de ceux qui composent la hiérarchie militaire, appelé règlement sur le service intérieur, et je n'hésite pas à émettre l'opinion, que la constitution de l'armée laisse beaucoup à désirer quant à ces deux sujets, et quant à bien d'autres qui en sont la suite inévitable.

J'ai de la répugnance à vous entretenir du premier sujet, car il est pénible de s'occuper des personnes d'une manière même indirecte ; mais convaincu qu'il y a un devoir à remplir, le devoir fait taire en moi la répugnance.

Je viens d'émettre l'opinion, que le personnel des chefs de l'armée laissait à désirer. Comment en serait-il autrement, quand les chefs, qui constituent l'âme, la tête de cette armée, sont, à peu d'exceptions près, un composé d'hommes, honorables sans doute, ayant rendu de bons et généreux services, je me plais à le déclarer ici, mais n'ayant plus une énergie, une activité, qui n'est plus de leur âge, et qu'ils sont par conséquent incapables de communiquer à leurs subordonnés,

Aussi est-ce très improprement, que j'entends toujours parler de notre jeune armée. Ne devrait-on pas dire plutôt notre vieille armée ? Car un corps se juge par la tête ; et cette tête n'est plus à même d'entretenir ce feu sacré, indispensable dans une armée.

On est tenté de se demander ici, quelle est la cause de cette situation ? Ne pourrait-on pas l’attribuer à l'instabilité des positions ministérielles ? On recule devant un devoir pénible ; on l'ajourne ; on en laisse l'accomplissement à d'autres ; où trouve plus commode de ne pas toucher à de hautes positions ; on préfère éviter des plaintes, des mécontentements ; on préfère, en un mot, son repos à son devoir.

C'est ainsi que des officiers, qui devraient être mis à la pension, restent dans des positions qui exigent de l'activité aux dépens de la force de l'armée. Quant à moi, je le déclare franchement, il est grand temps que l'on ne songe qu'au bien du service, et que l’on prenne, sans détour, les mesures que son intérêt prescrit.

La loi a établi 4 positions pour les officiers généraux ; l'activité, la disponibilité, la non-activité et la réforme.

En temps de paix la position d'activité ne doit se conserver que lorsqu'on est pourvu d'un emploi, qui constitue une activité réelle.

La position de disponibilité doit être la plus ordinaire, c'est celle des officiers-généraux capables d'activité, pour lesquels il n'y a pas d'emploi et qui sont à la disposition du gouvernement, dès que le bien du service l'exigera.

La position de non activité est une existence exceptionnelle et temporaire, elle doit être celle des généraux, qui, à cause de leur santé, ou autres motifs, ne peuvent pas momentanément occuper une position d'activité, ou n'ont pas l'âge voulu pour être mis en retraite. Cette position est si temporaire, que, d'après la loi française de 1834, dont la nôtre de 1836 est une copie, l'officier général, après 3 ans de non activité, reconnu incapable d'être rappelé à l'activité, peut être mis à la réforme, s'il n'a pas de droits acquis à la retraite.

Je pense que l'on abuse trop souvent de cette position de non activité, et qu'on y laisse trop longtemps des hommes qui devraient être ou pensionnés, ou mis en activité.

Je demande que l'on révise scrupuleusement les deuxième et troisième catégories, que l'on prenne des mesures pour que leur composition soit conforme au bien-être de l'armée ; si le chef du département de la guerre entre dans cette voie, les moyens de donner de l'avancement ne lui manqueront pas. Aussi ne puis-je qu'approuver les motifs que donne la section centrale pour refuser l'allocation demandée, pour la création de 2 nouveaux généraux de brigade.

Par ce refus, la section centrale convie en quelque sorte M. le ministre à prendre les mesures dont je viens de faire sentir la convenance.

J'ai émis l'opinion, que l'armée laisse à désirer quant à sa constitution ; cela se prouvera facilement encore par le manque de règlements sur le service intérieur, c'est-à-dire, qu'elle est dépourvue des éléments nécessaires pour régler la discipline, les attributions, les devoirs, l'instruction. Car je ne puis donner le nom de règlement aux dispositions surannées, qui sont censées encore en usage, et qui sont pour la plupart sans application avec l'organisation des corps, et ne répondent pas aux besoins du service.

A l'appui de ce que j'avance, je ne citerai qu'un seul exemple :

Notre cavalerie a été organisée et se trouve instruite dans le système français ; mais le règlement français sur le service intérieur n'a pas été adopté. Il en résulte que les lieutenants-colonels, les capitaines en second, et les adjudants-majors, n'ont rien à faire, parce que leurs attributions ne sont pas définies.

On objecte que ces règlements sont difficiles à faire. Mais n'avons-nous pas les règlements adoptés pour l'armée française, qui sont d'excellents guides à suivre ? L'inexplicable lenteur que l'on met à introduire des règlements, si impérieusement exigés par le service, m'amène a vous entretenir encore d'une lacune véritable dans l'administration centrale de la guerre.

Dans les pays voisins, il existe des comités, qui, d'après leurs spécialités, s'occupent des améliorations à introduire dans les divers corps. Rien de semblable n'existe en Belgique. Je pense cependant qu'il serait très opportun d'établir des commissions de ce genre, En effet, le chef du département de la guerre, quelque capable et actif qu'il puisse être, ne peut avoir des connaissances, ni assez variées, ni assez étendues, pour s'occuper convenablement des améliorations à introduire dans chaque arme.

En l'absence de ces comités spéciaux, il s'introduit peu d'améliorations, et, si on en tente quelques-unes, on se base sur des avis isolés ; et avec d'excellentes intentions, on court chance de se tromper souvent.

Une mesure prise à l'égard des sous-officiers confirme ce que je viens d'avancer. Cette mesure est de peu d'importance, semble-il, mais ayant la conviction qu'elle tend à ruiner ceux qu'elle concerne, je n'hésite pas à en faire mention.

On oblige donc les sous-officiers à remplacer leurs épaulettes de laine ou de fil, qui étaient d'un bon effet, et ne coûtaient que 5 fr. par des épaulettes dorées du prix de 47. Cette dépense considérable est d'autant plus sensible, que, par leur genre de service, les sous-officiers seront dans le cas de les renouveler souvent. Qu'a-t-on fait pour parer à cet inconvénient ?

On n'a rien trouvé de mieux que de dispenser les sous-officiers de porter leurs sacs. C'est là, il en faut convenir, une mesure éminemment peu militaire, mais toutefois, comme l'on ne peut dispenser les sous-officiers de cavalerie de porter leurs manteaux dessus ces belles épaulettes, ceux-ci seront condamnés à les renouveler plus d'une fois par an, ou à les porter fort endommagés.

Je citerai encore la mesure qui tend à remplacer pour les sous-officiers les 5 chevrons d'ancienneté par une décoration. Cette mesure a soulevé beaucoup de réclamations ; je n'en examinerai pas ici le fondement ; car je désire connaître préalablement le rapport spécial de la section centrale sur cette question. Mais peut-être n'eût-t-elle pas été prise, si des comités avaient examiné cette question, et en eussent donné leur avis. Je dirai à cette occasion mon opinion concernant une société, qui s'est formée, il y a quelques années, pour faciliter les remplacements, et favoriser les réengagements des anciens militaires au moyen d'une prime.

M. le président. - Je rappellerai à l'orateur que la discussion sur ce point est ajournée.

M. de Man d’Attenrode. - Je remettrai à une autre séance le peu de mots que je voulais vous dire sur les opérations de cette société, puisqu'il est convenu de n'en pas parler pour le moment ; et je vous entretiendrai du système adopté chez nous de retenir peu de temps les hommes sous les armes.

Ce système, qui n'est praticable que pour l'infanterie, a des côtés avantageux, car il tend à résoudre ce problème posé depuis longtemps : entretenir le plus grand nombre de troupes possible au meilleur marché possible. Mais il ne faut pas que ce système soit poussé à l'excès, et j'ai quelque crainte, qu'on n'en abuse pour notre infanterie.

On vise à des économies et j'en suis le partisan avec tout le monde, pourvu qu'elles ne nuisent pas au service : et quel est le genre d'économies auquel on recourt le plus souvent, parce qu'il est le plus facile et ne fait réclamer personne ? C'est de renvoyer les hommes en congé. Les compagnies d'infanterie sont censées réduites à 40 hommes à peu près, cadres compris. Croit-on opportun de faire encore des économies, l'on prescrit d'un trait de plume des réductions nouvelles. Puis ce sont des permissions de faveur, puis les hommes détachés près des écoles du dépôt, puis ceux devant le conseil de guerre ; et l'on arrive à des compagnies réduites de 18 à 20 baïonnettes.

Cette situation du régiment de ligne, car le régiment d'élite et le premier régiment de chasseurs à pied ont échappé jusqu’ici à cette annihilation, n'est réellement pas tolérable, quand on dépense près de trente millions pour une armée, Les officiers sont dégoûtés de servir à la tête de corps pareils, et ils éprouvent de l'embarras à produire en public, pour les manœuvres et les promenades, des bataillons presque réduits au chiffre de compagnies.

Je pense que l'infanterie réduite à ce point nous offrirait peu de ressources défensives au jour du danger. En effet, les auteurs qui ont parlé de notre système armé disent qu'on peut envoyer au plus la moitié de l'infanterie en congé. Or, comme une compagnie doit être de 100 hommes au moins sur pied de guerre, les compagnies ne devraient pas être réduites à moins de 50 hommes, cadres compris, en temps de paix.

On a l’air réellement de croire ici que l'infanterie s'improvise ; on ne paraît pas assez convaincu de son importance.

Voilà cependant ce que disait un auteur célèbre, le général Lamarque, à propos de l'infanterie : « La plus funeste des erreurs, et elle est généralement répandue, c'est qu'on peut improviser un soldat d'infanterie, que pourvu que l'on ait de la cavalerie, etc., on a toujours le temps de former un fantassin. Il n'est pas vrai que des recrues, jetées sans instruction dans les cadres, offrent des moyens de défense, etc. » Le même général dit ailleurs : « On croit remédier à toutes ces difficultés en se bornant à l’instruction de la cavalerie, de l’artillerie, du génie, de ce qu’ils appellent les corps savants. Ces armes ne sont qu'accessoires ; elles complètent le succès, mais elle ne le font pas. »

Suivent ensuite des exemples de la grande importance de l'infanterie dans les guerres anciennes. Quant à moi, j'en citerai un dont nous avons été tous le. témoin ; avant 1830 le gouvernement des Pays-Bas suivait le système que nous semblons vouloir continuer, et ce fut pour notre bonheur : car son infanterie, sans instruction, sans esprit de corps, se fondit comme de la neige à la vue de nos bataillons de volontaires.

J'espère que l'on discutera bientôt, pour porter remède à cette situation, le projet de loi du recrutement, car il est urgent que l'on mette une limite à ces envois en congé sans contrôle, et que nous sachions quel doit être la force permanente du corps.

Si l'infanterie est réduite à sa plus simple expression, la cavalerie en revanche offre de nombreux escadrons.

Il est tout simple que les réductions ne puissent porter autant sur la cavalerie, parce que les troupes à cheval demandent plus de temps pour se former, mais il me semble qu'il y aurait un terme moyen à adopter. Les régiments de cavalerie sont encore formés comme à l'époque critique des premières années de notre indépendance ; ils sont composés de 6 escadrons de guerre et d'un de dépôt. La formation la meilleure, d'après les hommes du métier, est de 4 escadrons de guerre. Il vaudrait mieux en revenir à ce système qui est adopté en France et qui, sans détruire la bonté des corps, produirait de sages économies. Cela serait d'autant plus opportun, que les escadrons qui devraient compter 125 chevaux au moins, en comptent à peine 100. On pourrait donc avec 6 escadrons incomplets en former 4 bien montés. Cette réforme permettrait de relever un peu l'infanterie, qui est par trop réduite, et elle n'aurait pour résultat que de rétablir la balance entre l'infanterie et la cavalerie, car les troupes à cheval à 6 escadrons ont été formées à l'époque où les corps des troupes à pied réduits actuellement à 3 bataillons en comptaient 4.

La proportion numérique voulue entre les armes diverses d'une armée est chose de la plus haute importance.

D'après le projet de budget, je remarque qu'il est question de réduire le nombre des batteries d'artillerie de campagne à 16, soit 128 pièces. Le reste serait transformé en artillerie de siége.

Dans l'armée russe, lors de la guerre de Pologne, la proportion établie entre l'artillerie et le nombre des troupes était de 5 pièces pour 1,000 hommes, et il paraît constant que cette proportion ne peut être moindre de 4 pièces par 1,000 hommes. Notre effectif de guerre est de 80,000 hommes, l'armée en campagne serait donc de 40,000 environ, le reste servirait à défendre les places fortes. Cette armée de 40,000 hommes exigerait donc un matériel de 160 pièces d'artillerie de campagne. Alors je ne mets pas encore en ligne de compte les pièces de campagne nécessaires dans les places fortes pour les sorties. Je livre ces observations aux hommes dont c'est la spécialité, et qui, j'espère, apprécieront les intérêts de la défense du pays, comme ils doivent l'être. En tous cas, il me semble incontestable que notre armée doit être pourvue d'une artillerie de campagne plus considérable même que celle de l'armée hollandaise, car le système d'inondation de ce pays remplace beaucoup de pièces d'artillerie.

Messieurs, avant de terminer ces observations, je ne résiste pas au désir de vous entretenir de la position pénible où se trouvent 11 officiers polonais, qui servent dans l'armée depuis 10 ans.

En 1831, à la suite des événements déplorables du mois d'août, le gouvernement fut autorisé, par l'art.1or de la loi du 22 septembre, à prendre au service de l’Etat tel nombre d'officiers étrangers qu'il jugera utile.

Par l'art. 3, le Roi était autorisé à employer des officiers étrangers qui, sans renoncer à leurs grades dans leur patrie, offriraient leurs services pour la durée de la guerre.

Cette loi n'avait rien de blessant pour l'armée, car l'insuffisance numérique d'officiers nationaux, capables d'organiser convenablement une armée nombreuse, était une des suites naturelles de la partialité avec laquelle nous avions été traités avant 1830, par le gouvernement hollandais, dans la collation des emplois civils et militaires, Dès lors, il était facile de concevoir pourquoi nous manquions d'officiers expérimentés.

A la suite de cette loi, le gouvernement admit dans l'armée un certain nombre d'officiers étrangers. La plupart étaient Français et avaient conservé leurs grades dans l'armée de leur pays. Leurs services étaient donc accueillis pour la durée de la guerre, et leurs brevets furent rédigés dans le sens de l'art. 3, que je viens de citer.

On admit aussi quelques officiers polonais en 1832 et 1833, héroïques débris d'un triste naufrage qui, après avoir puissamment contribué à protéger la naissance de notre nationalité, en paralysant les moyens répressifs de l'autocrate russe, vinrent nous offrir, pour consolider notre indépendance, leur valeur proverbiale et leur expérience. Leurs offres de service furent accueillies avec empressement. Eux, pas encore faits à l’idée de n'avoir plus de patrie, peu soucieux de leur avenir dans un pays comme le nôtre, qui a une réputation d'hospitalité et de reconnaissance, acceptèrent sans réclamer des brevets semblables à ceux des officiers français, qui avaient conservé leurs grades et une patrie.

En 1839, 15 officiers polonais furent encore admis au service, mais avec des brevets définitifs, en vertu de la même loi.

Parmi ceux qui prirent rang dans l'armée en 1832 ou 33 avec des brevets provisoires, plusieurs ont quitté le service, ou ont été définitivement admis dans les années précédentes. 11 officiers nous restent encore, ils sont naturalisés Belges. Leurs états de services sont honorables, et ils méritent l'estime comme la reconnaissance du pays.

On semble disposé à leur délivrer des brevets définitifs, mais il paraît que, mettant en oubli leurs 10 années de services, on n'entend reconnaître leur ancienneté de grade que d'aujourd'hui, du jour de la délivrance de leurs brevets définitifs. On se fonde sur ce que l'ancienneté des officiers de garde civique ou de corps francs, admis dans l'armée régulière, ne se compte que du jour de leur admission ; ce motif me semble peu recevable, car il est naturel qu'on ne reconnaisse l'ancienneté dans l'armée régulière, que du jour où l'on compte dans ses rangs. Je n'en demande pas davantage pour les officiers polonais, je demande qu'on tienne compte de leurs services, et qu'on reconnaisse leur ancienneté du jour de leur entrée effective dans l'armée régulière. Leurs brevets primitifs ne leur ont pas été délivrés pour leur préparer un service ingrat et sans chances d'avancement, pendant 10 ans ; ils leur ont été délivrés par imprévoyance, car l'art. 3 de la loi du 22 septembre ne pouvait concerner que les officiers qui avaient conservé leur patrie ; c'est donc en vertu de l'art. 1er qu'ils ont été admis, en vertu de l'article qui a fait admettre définitivement et d'emblée quelques officiers en 1839.

Les officiers français sont d'ailleurs rentrés avec un grade et la plupart avec une décoration dans l'armée d'où ils avaient été détachés, Je ne pense pas que nous puissions vouloir qu'on en agisse moins bien envers les officiers polonais ; orphelins, malheureux, ils ont encore plus de droits à nos égards.

Voilà cependant dix ans que ces officiers servent honorablement la Belgique ; ils sont naturalisés Belges, et serait-il possible qu'on voulût les classer après des officiers étrangers qui ne servent que depuis 1839.

Aurait-t-on le cœur de biffer, d'oublier dix années de loyaux services ! Aurait-on le cœur de profiter de leur imprévoyance, je dirai plutôt de leur prévoyance instinctive dans la reconnaissance du peuple belge ! Les plus nobles sentiments ne viennent-ils pas se réunir pour plaider avec efficacité la cause de ces nobles débris d'un illustre naufrage ! Non, la Belgique sera reconnaissante, elle sera même longtemps après le danger ; il ne sera pas dit que le temps, des circonstances plus heureuses, de la stabilité, l'ont rendue oublieuse des services rendus. C'est cette confiance, qui me fait avoir foi dans un avenir meilleur pour les officiers encore nantis de brevets délivrés en 1832 pour la durée de la guerre, et j'espère que le gouvernement prendra des mesures pour que justice leur soit rendue.

M. Osy**.** - Messieurs, voici, depuis la paix, le premier budget de la guerre que nous sommes appelés à voter avec tous ses détails, et j'espère qu’il ne se présentera plus des circonstances qui nous forceront à accorder un budget in globo, ce qui est tout à fait contraire à notre constitution et à tout contrôle des chambres et de la cour des comptes.

J'espérais, lors de la présentation des budgets, que finalement celui de la guerre nous aurait démontré que l'on est bien intentionné d'entrer dans une voie d'économie, et qu'on n'aurait pas perdu de vue ce que MM. les ministres de la guerre nous ont fait espérer en 1832 et 1833. Mais il paraît qu'entre les promesses et les réalités il y a bien loin.

N'ayant pas été membre de la chambre depuis la paix, j'ai examiné avec attention le rapport de votre section centrale pour le premier budget après la paix, celui de 1840, et je crois que si le gouvernement le voulait, on trouverait à faire une économie de 3 à 4 millions sur le budget qui nous occupe et se contenter de 25 ou 26 millions au lieu d'une somme de 29 millions et demi qu'on nous demande encore. Il faut vouloir et agir d'une manière énergique, et comme je suis persuadé, d'après le rapport de 1840, si détaillé et clair, fait par l'honorable M. Brabant, que nous pourrons marcher avec un budget de 26 millions tout au plus, je suis décidé de voter l'année prochaine, contre le budget, s'il dépasse cette somme, et même dès cette année, si M. le ministre ne nous fait pas la promesse, pour l'année prochaine de prendre le rapport de 1840 pour base de l'organisation de l'armée et d'arriver finalement à une grande diminution de dépenses, et alors nous aurons encore un budget plus élevé que ceux que nous promettaient M. de Brouckere et le général Evain, lorsque nous serions dans un état normal, et certainement après 3 ans de paix, on ne pourra pas nous dire qu'il n'est pas temps de nous organiser d'une manière régulière permanente. Même en 1832, M. le ministre nous annonçait que le budget, sur le pied de paix, serait, après trois ans, réduit à 8 millions de florins. Vous voyez que je veux accorder aujourd'hui 10 millions de francs de plus.

La Belgique étant un pays neutre, et cette situation garantie par toutes les puissances, nous ne devons avoir une armée que pour occuper nos places fortes et avoir nos troupes stationnées d'une manière que le gouvernement puisse répondre de la tranquillité intérieure, et surtout maintenant, qu’avec notre système de chemins de fer, le transport des troupes sur un point menacé pouvant se faire beaucoup plus vite, plus régulièrement, les forces du pays se trouvent considérablement augmentées.

Le budget de la guerre avant la révolution pour tout le royaume des Pays-Bas en 1830, se montait à 18 millions de florins, de manière que 26 millions de francs pour la Belgique sont certainement suffisants maintenant ; je regrette que la section centrale, cette année, n'ait pas pris pour base de son travail le rapport fait pour le budget de 1840, et que ces plans d'économies n'aient pas été reproduits et proposés cette année à la chambre comme budget normal.

Le général Evain, en 1833, nous demandait un budget de 25 millions pour une armée de 1,936 officiers,

27,856 sous-officiers et soldats,

1,002 chevaux d'officiers et

5,028 chevaux de troupe.

Et je suis bien persuadé qu'une armée dans ces proportions suffirait pour le maintien de la tranquillité, et d'avoir des cadres suffisants pour avoir une armée plus forte, si jamais il survenait des événements qui nous obligeassent à armer pour la défense de notre neutralité.

Nous devrions avoir une organisation comme en Prusse, qui n'a pas une armée en temps de paix de plus 100,000 hommes sur pied, et cependant son territoire est huit fois plus étendu que le nôtre, d'une figure fort irrégulière et pas comme nous pourvu de défense naturelle.

Je suis donc persuadé, messieurs, que si nous le voulons, le ministre pourra, pour 1843, nous proposer un budget normal, et une fois pour toutes, en temps de paix, avoir une armée qui ne dépasse pas les 26 millions, et pour moi j'en suis tellement convaincu, que je suis très décidé de ne pas voter par la suite une dépense plus forte.

Pour première économie, je voudrais qu'on mît à la réforme les officiers généraux dont les services sont loin d'être utiles, et voyez ce qu'on fait en Hollande : là, depuis la paix, les états-généraux ont formellement exprimé la volonté de réforme et d'économies, et on y est parvenu ; faisons de même, et nous réussirons à diminuer nos dépenses inutiles, mais que le gouvernement s'engage en même temps de ne pas faire des nominations excédant les besoins du service ; et que les promotions soient arrêtées jusqu'à ce que les cadres soient à la limite des besoins du service et du but qu'on veut atteindre.

En examinant le rapport de 1840, vous verrez, messieurs, qu'en portant l'armée à son état normal vous pourrez trouver une économie de près de 4 millions 300 mille fr. et que vous n'auriez qu'à augmenter de 1,200,000 fr. le chapitre de traitements temporaires de non activité.

Je ne veux pas aller plus loin pour vous démontrer les économies à faire, je ne pourrais que répéter ce que disait avec tant de clarté votre section centrale le 28 février 1840 ; j'engage donc le gouvernement d'étudier le plan qu'on nous proposait alors et de revoir les plans de budgets de 1832 et 1833, et je suis persuadé, comme je vous l'ai déjà dit, qu'avec une volonté ferme, nous pourrons venir à une dépense ne dépassant pas 26 millions, et vous aurez des cadres pour toutes les éventualités, et une armée suffisante pour la garde de nos places fortes et pour nous assurer la tranquillité du pays.

Vous aurez aussi vu, messieurs, dans les observations de la cour des comptes que le gouvernement a fait acheter en 1839, dans la mer Noire et la Baltique, des grains pour près d'un million de francs, et je suis vraiment étonné que dans cette enceinte jusqu'à présent, on n'ai pas blâmé une pareille opération. Le gouvernement n'y a pas trouvé d'économie, et on a eu beaucoup de grains avariés et même des seigles séchés qui ne sont bons que pour les distilleries et que, pour ne pas trop faire renchérir la ration, on a mêlé avec des grains du pays, et encore en 1841, tout n'était pas consommé ; le soldat, pendant deux ans, a eu du très mauvais pain et même très nuisible à la santé.

Il ne convient nullement que le gouvernement se fasse marchand et importeur ; vous vous rappellerez tous les opérations faites par l'ancien gouvernement, en 1817, de quelle manière elles ont été critiquées par les états-généraux et par la presse, et je suis donc très étonné que jusqu'à présent on n'ait pas blâmé les opérations renouvelées par le gouvernement actuel ; et si nous n'en parlions pas, on se croirait justifié par la suite de les renouveler ; aussi, quoique ce soit encore une de ces affaires consommées, je veux y attirer votre attention pour que nous exprimions notre opinion formelle que ces affaires ne se renouvellent plus et que le gouvernement doit se borner, par des adjudications publiques, de pourvoir à la nourriture du soldat, et de tenir la main à ce qu'il ne soit livré à notre armée qu'une nourriture saine et bienfaisante ; nous devons cette sollicitude a nos jeunes militaires.

Laissez faire le commerce, le Belge est assez actif et intelligent, conçoit mieux que le gouvernement les besoins du pays et le résultat des récoltes, et fera venir des pays étrangers les grains qu'il nous faut, tant pour nos besoins que ceux de nos voisins ; mais il se trouve découragé, quand il a pour concurrent, lors des achats, un gouvernement, payant argent comptant, et quand il trouve, lors de la vente sur nos marchés, un grand acheteur de moins, et c'est ce découragement qui arrêterait nos négociants et importeurs à faire leurs commandes à l'étranger comme de coutume, ne pouvant plus compter sur les besoins ordinaires ; ce découragement pourrait amener des déficits, un renchérissement hors de proportion avec les pays étrangers. Mais si le négociant n'a pas de concurrence à redouter, il pourra faire un commerce régulier, et vous ne devrez jamais craindre pour nos subsistances.

J'espère qu'après ces courtes observations la chambre voudra se joindre à moi, pour que le gouvernement prenne l’engagement qu'il ne renouvellera plus ces affaires de commerce, qui sont nuisibles au trésor, nuisibles à la santé du soldat, et finalement nuisibles et décourageantes pour notre commerce, qui est si actif que depuis peu d'années il a fait qu'Anvers est le grand centre des affaires des graines oléagineuses, et qui, s'il ne se trouve pas contrarié par des opérations du gouvernement, pourra aussi amener dans ce pays un très grand commerce de grains.

Amsterdam a déjà perdu presque tout son commerce de graines ; et si vous laissez faire notre commerce, et que vous ayez une bonne loi pour les céréales, nous pourrions encore facilement attirer ce commerce dans notre pays, au détriment de nos voisins et concurrents. Vous aurez alors toujours dans le pays, mais à l'entrepôt, des greniers d'abondance pour nos besoins et ceux de nos voisins les Anglais, Français et même les Hollandais, lorsque la saison ou les prix empêchent de se pourvoir autrement que chez nous. Mais il faut à nos négociants de la sécurité et surtout beaucoup de stabilité.

J'ai examiné, messieurs, la circulaire de M. le ministre de la guerre du 30 avril 1840, qui rend compte des recettes et dépenses de la caisse des veuves et orphelins, et je trouve que cette caisse est déjà dotée d'une somme de

fr. 870,000 en 4 % belges

fr. 47,000 en 3 % belges

Vous voyez, messieurs, que c'est une caisse assez importante, et je demanderai à M. le ministre si elle se trouve sous le contrôle de la cour des comptes et si l'arrêté organique de cette caisse n'oblige pas M. le ministre de n'employer les fonds qu'en fonds belges.

Si c'est ainsi, je demanderai à M. le ministre quel est l'emploi de 12,000 fr. fait en 1835 et 25,600 francs en 1839, reportés dans la colonne : « Placements faits en vertu d'autorisations » ; et si ces fonds sont placés aussi solidement que si c'était en fonds belges. Il me paraît que M. le ministre devrait nous donner des renseignements à ce sujet.

A cette occasion, je crois, messieurs, que nous devons insister pour que cette caisse, ainsi que toutes celles du gouvernement, soient sous le contrôle de la cour des comptes.

M. Lebeau. - Messieurs, sans méconnaître l'importance des questions secondaires qui se rattachent au budget de la guerre de 1842 et aux actes dont le chef de ce département est responsable, je pense qu'eu égard à ce qu'il s'agit pour la première fois en Belgique d'un budget normal et permanent, il est une question qui domine de très haut toutes les autres ; c'est celle de l'utilité même de notre organisation militaire.

Depuis l'établissement de la monarchie belge, le budget de la guerre a presque toujours trouvé faveur auprès de la représentation nationale.

S'il a parfois essuyé des critiques de détail et des réductions, moins importantes par leur chiffre que par leur fâcheuse impression sur l'esprit de l’armée, au moins la base du budget même, la nécessité d'une organisation militaire imposante, a toujours été admise par la grande majorité des chambres.

Il n'en pouvait être autrement. L'impression si profonde des événements de 1831, la vue d'un étendard ennemi, toujours déployé sur nos frontières, les projets attribués à l'ancien roi des Pays-Bas, l'attitude parfois inquiétante de l'armée néerlandaise, tout entretenait dans les grands pouvoirs de l'Etat et dans le pays même une salutaire vigilance.

De son côté, l'armée, dont l'honneur n'avait pu être atteint par une surprise tentée d'ailleurs au milieu d'événements qui rendaient impossible sa bonne organisation, brûlait néanmoins d'en venir aux mains pour effacer du drapeau de 1830 l'apparence même d'une souillure.

Le pays s'est prononcé pour la paix. Je reconnaîtrai toutefois que si la raison d'Etat n'avait point parlé si haut contre les chances d'un conflit dont les limites et les conséquences étaient incalculables, on eût pu souhaiter, d'après les dispositions de l'armée et le bien qu'on disait de son organisation, de la voir appelée sur le champ de bataille. Un succès aurait plus fait peut-être pour le progrès de l'esprit militaire en Belgique, que dix ans d'efforts habiles et persévérants.

Le pays, je l'ai dit, a voulu et a eu raison, selon moi, de vouloir la paix, et l'armée, à défaut de pouvoir prouver son courage et sa bonne organisation, a montré une abnégation dont il faut lui tenir compte. Cette abnégation, en effet, a dû d'autant plus cruellement lui coûter, qu'on venait de faire un solennel appel à son honneur.

Aujourd'hui que le quartier-général de Tilbourg s'est dissous ; aujourd'hui que la Hollande et la Belgique se sont juré paix et amitié, aujourd'hui qu'il y a un ministre du Roi Guillaume II à Bruxelles, un ministre du Roi Léopold à La Haye, plusieurs s'imaginent que tous les dangers qui menaçaient notre nationalité ont disparu, et qu'une armée est une superfluité ruineuse.

Je ne saurais partager cette sécurité. L'eussé-je, je croirais encore que l'armée a droit à beaucoup d'égards de la part du gouvernement et des chambres. Je vois avec une vive satisfaction que la section centrale comprend toute l'importance de notre état militaire.

Je l'avouerai cependant, je ne crois pas que ce soit de notre récent allié que nous ayons aujourd'hui le plus à craindre. L’opinion néerlandaise s'est toujours tellement prononcée pour une séparation, qu'elle imposerait au gouvernement la renonciation à toute tentative de restauration s'il en avait conservé la pensée.

On sait d'ailleurs que ces tentatives rencontreraient d'autres obstacles encore qu'une armée belge.

Il faut espérer qu'entre la Néerlande et nous la conciliation des intérêts matériels est possible, comme, sous beaucoup de rapports la solidarité des intérêts politiques est évidente. Il n'y a pas, en effet, en Hollande, un homme d'Etat qui ne doive voir dans la nationalité belge un des boulevards de la nationalité batave.

J'avouerai volontiers aussi que je continue à craindre peu une guerre de principes, au moins dans le sens des prédictions dont cette salle a souvent retenti. Je crois à la sincérité des puissances qui ont paru quelque temps hostiles à la révolution belge, et qui ont fini par la reconnaître. Je crois, et je n'en parle pas sans quelque connaissance de cause, qu'après les avoir vues passer de l'antipathie à une neutralité expectante, il dépend de nous de les voir passer de cette neutralité à la bienveillance.

Pour obtenir ce résultat, la Belgique n'a rien à faire qui ne soit digne d'elle, rien en outre qui puisse porter ombrage à aucune légitime susceptibilité, Ce qu'on lui demande, ce qu'on attend et ce qu'on a le droit d'attendre de la Belgique, c'est qu'elle prenne sa nationalité et sa neutralité au sérieux, c'est qu'elle s'y montre attachée et prête à la défendre, le danger vînt-il du Nord ou vînt-il du Midi. Quant à son intérieur je n'ai jamais aperçu nulle part la moindre prétention de s'en mêler ; mais chacun de vous, messieurs, comprendra que l'estime et la considération d'un peuple sont au prix de l'ordre, de la moralité et du progrès qui se manifestent chez lui. Si donc chez nous le gouvernement se manquait à lui-même, ou bien si les autres pouvoirs de l'Etat ne respectaient pas sa dignité et ses légitimes prérogatives, si les lois étaient mal obéies, les autorités mal respectées, si l'anarchie usurpait l'action régulière des institutions, alors encore on nous regarderait faire, mais certainement alors on nous estimerait, on nous respecterait moins, et la part d'influence à laquelle nous pouvons prétendre en serait notablement amoindrie.

Je suis donc loin de croire à la probabilité d'une guerre de principes de la part des gouvernements non parlementaires. Je pense même que le seul effet des événements accomplis en France et en Belgique en 1830 sur les cabinets du Nord a été de les placer dans une attitude défensive ; que le maintien ou la progression de leurs armements n'a été qu'une œuvre de prévoyance, et que la réunion des moyens propres à faire face à des éventualités qui semblaient menacer leur propre sécurité.

Est-ce à dire que nous devions être à tout jamais rassurés contre la possibilité d'une agression quelconque ?

Il suffit de quelques notions d'histoire et de géographie pour conserver sur ce point une défiance bien naturelle. Demandez-vous pourquoi depuis des siècles la Bavière craint l'Autriche, la Saxe craignait et le Hanovre craint encore la Prusse, pourquoi le Portugal craint l'Espagne, et vous saurez de quel côté doivent venir les craintes du Piémont et de la Belgique. Je n'incrimine point ici des intentions. Je me borne à signaler des situations naturelles. Toutefois, si je voulais scruter les intentions, j'aurais quelque droit de m'en inquiéter en présence d'assez fréquentes indiscrétions de tribune. Je me bornerai à en signaler une seule, car ce sujet est délicat et je ne veux pas m'écarter de la réserve qu'il impose. Dans le cours d'une discussion sur les affaires d'Orient, l'un des plus brillants orateurs français s'est exprimé ainsi, et vous savez s'il est le seul qui tienne un pareil langage :

« J'ai dit qu'outre son intérêt de conservation, la France avait un intérêt de développement. Vous connaissez tous celui de la France, il est dans la nature, il est dans son droit, il est bien plus, il est dans ses plus glorieux souvenirs ; il est, j'ose le dire, il est, à son tour, à son heure, aussi légitime que son droit d'exister ; car une nation qui n'a ni toute sa place ni toutes ses frontières, ni toutes ses influences, n'existe pas aussi complètement que sa nature et sa destinée le veulent. Je n'ai pas besoin d'insister, sans doute. Ceci, pour la France, est bien autre chose qu'un système, c'est une passion nationale, c'est un préjugé de la grandeur. Parlez du Rhin et des Alpes, et vous êtes compris avant d'avoir achevé. La gloire y est restée, son esprit y est encore, son drapeau y reviendra une fois. »

Je sais bien qu'en même temps l'illustre orateur, s'apercevant sans doute que la chaleur de l'improvisation l'entraînait un peu loin, s'écrie aussitôt : « Nous ne songeons pas à conquérir, Dieu nous en préserve ! Nous restons immobiles et confiants dans les limites des traités que nous pourrions franchir en débordant au Nord et à l'Est. Mais les traités eux-mêmes, poursuit M. de Lamartine, est-ce la justice ou le sabre qui les a écrits ? Les traités de 1815, refoulement violent de l'omnipotence armée d'un conquérant, ne sont-ils pas une réaction de la victoire ! Est-ce la sagesse ou la colère de l’Europe coalisée qui les a dictés ? Sont-ils donc éternels et immobiles comme ces fleuves et ces montagnes que la nature a donnés pour traités non écrits entre les peuples ? Qui oserait le dire ? Non, un jour viendra, il était prêt peut-être, où ces traités se déchireront d'eux-mêmes, devant la force des choses, devant la balance mieux comprise de l'Europe, devant la volonté et la patience de mon pays. »

Ainsi vous le voyez, messieurs, si après avoir fait un brillant appel à toutes les convoitises qu'ont léguées à la France la république et l'empire, on essaye de suspendre l'explosion de la mine qu'on charge d'une main imprudente, c'est uniquement parce qu'on espère obtenir plus sûrement de la diplomatie ce qu'on veut bien ne pas demander encore à la conquête.

De vos droits, messieurs, de vos vœux, de vos sympathies, du sang versé en 1830, des résolutions solennelles de votre assemblée constituante, de la dynastie de votre choix, de la foi des traités, pas un mot ; on paraît s'en inquiéter peu. Vous vous croyez une nation, parce que vous avez eu le courage de le redevenir, parce que l'Europe vous a solennellement reconnus. Détrompez-vous, on vous apprend, du haut de la tribune d'un pays voisin, que vous n'êtes qu'un appoint destiné à équilibrer les lots du futur partage qui doit se signer à Constantinople.

Et qui vous dit cela ? des hommes qui se proclament conservateurs, qui invoquent fréquemment la religion du droit des hommes qui font entendre d'énergiques protestations en faveur de la nationalité polonaise. Faudrait-il croire que ces protestations sont d'autant plus retentissantes qu'on les sait plus stériles ? Serait-ce parce que notre nationalité est jeune encore dans sa forme actuelle, qu'on la traite avec cette étrange sans-façon ? Mais sans tenir compte de son origine qui remonte si haut, n'aperçoit-on pas quelles racines près de douze ans d'une possession contestée et de la disposition d'elle-même lui ont déjà permis de pousser ? Quelle impulsion nouvelle elle a donnée à notre industrie, à nos arts et à ces admirables travaux publics accomplis silencieusement ?

Je sais que ce sont là des opinions personnelles ; que le gouvernement français et son digne chef n'ont jamais cessé de professer le plus grand respect pour notre indépendance ; mais il faut tout prévoir. Dans une monarchie représentative, les opinions personnelles peuvent toujours, d'un moment à l'autre, devenir des opinions de gouvernement.

Deux grands dangers nous sont donc révélés, messieurs, notre nationalité peut être menacée par des vues de conquête qui braveraient l'Europe, par des combinaisons diplomatiques qui nous livreraient du consentement d'une partie de l'Europe. C'est assez dire que le budget de la guerre et des affaires étrangères doivent plus que tous autres préoccuper l'attention nationale, et c'est à dessein que je les place ici sur la même ligne.

Une diplomatie forte, influente, et non une diplomatie purement commerciale, voilà une des premières nécessités du pays. C'est à elle à éclairer l'Europe sur vos dispositions qu'on ne connaît pas assez, c'est à elle à vous créer des sympathies et des appuis ; c'est à elle surtout à découvrir et à vous révéler longtemps à l'avance les dangers qui pourraient vous menacer. Vous venez de voir comme tout se tient et s'enchaîne en politique et comment la question belge peut se lier à la question d'Orient. Croyez-vous que la présence à Constantinople d'une sentinelle prête à crier garde à vous ! soit une défense superflue ? Et les frais de cette légation, ne sont-ils justifiés que par la chance de créer quelques débouchés de plus à nos fabriques ?

Ce que je dis de la diplomatie, je le dis à plus forte raison de notre état militaire. Bien aveugle serait celui qui n'apercevrait pas la nécessité d'assurer les moyens de mettre en peu de temps sur pied une armée imposante par son chiffre, par sa science, ses traditions, son esprit, son patriotisme !

Je suis heureux, je le répète, de voir que le gouvernement et la section centrale comprennent aussi bien ce grand intérêt national.

Il serait à désirer, toutefois, que, pour concilier les lois d'une sage économie avec notre organisation militaire, le gouvernement s'attachât sérieusement à réorganiser partout la garde civique sur de meilleures bases.

Un autre moyen de faire accepter par l'opinion publique l'existence d'une force militaire qui soit en harmonie avec les besoins de notre défense, moyen qu'on a peut-être trop légèrement délaissé, ce serait d'employer l'armée à de grands travaux d'utilité publique, comme on l'a fait et comme on paraît encore disposé à le faire dans d'autres Etats. S'il est trop tard pour utiliser l'armée aux travaux de nos chemins de fer, rappelons-nous combien il reste à faire pour l'amélioration de nos voies navigables et de quels gigantesques projets on a déjà entretenu la chambre. Il ne faut pas aisément se rebuter devant quelques essais malheureux. La tâche est belle ; car en utilisant ainsi l'armée, on aurait beaucoup fait pour sa consolidation et pour la sécurité de ceux qui se vouent à la carrière militaire.

L'histoire nous le dit, messieurs, ce n'est point tant par son étendue territoriale que par ses ressources, ses institutions, son civisme, son esprit militaire surtout, qu'un État compte dans la politique.

Qui ne parle encore avec admiration aujourd'hui de ces montagnards pauvres, mais endurcis de bonne heure au métier des armes, et devant lesquels vint se briser à Granson, à Morat, à Nancy, la haute fortune de Charles le Téméraire ? Qui donc a oublié ce qui valut à la Hollande sa puissance coloniale et la force de résister seule aux flottes combinées de Charles II et de Louis XIV ? Le temps a-t-il affaibli l'éclat des glorieux noms de Tromp et de Ruyter ? qui ne sait l'influence de Gustave-Adolphe sur les événements qui amenèrent le traité de Westphalie, et à quelle hauteur sa politique et les soins persévérants donnés à son armée avaient placé la Suède ? Ignore-t-on enfin ce qui a transformé, le marquisat de Brandebourg en une monarchie déjà puissante au 18e siècle et ce qui vaut à l’héritier du grand Frédéric l'honneur de siéger parmi les cinq arbitres de l'Europe ?

Qu'on voie, au contraire, ce qui est réservé aux Etats qui, négligeant leur organisation militaire, s'endorment dans une funeste sécurité. Quel rôle politique a joué l'Espagne depuis la mort de Philippe V et d'Alberoni ? Qu'était devenu au 19e siècle ce pays si admirablement doté par la Providence ? Où en serait son indépendance menacée par Napoléon, sans ses guérillas, ses moines et les secours de l'Angleterre ? Qu'on se rappelle avec quelle facilité la petite armée du général Bonaparte, débarrassée des Autrichiens, occupa certains Etats de l'Italie. Qu'on se rappelle Naples avec ses soixante mille hommes, vrais lazzaroni, sans tenue, sans discipline, fuyant devant les quelques mille hommes de Championnet ; qu'on se rappelle surtout Venise, occupée tour à tour sans coup férir par les deux armées belligérantes, et bientôt après rayée de la liste des nations pour. avoir laisse périr son antique énergie.

Certes, dit l'illustre auteur de l'Histoire de la révolution française, en parlant de l'Italie, « une population de vingt millions d'âmes, des côtes et un sol admirables, des grands ports, de magnifiques villes, pouvaient composer un Etat glorieux et puissant ; il ne manquait qu'une armée. Le Piémont seul, toujours engagé dans les guerres du continent, avait des troupes braves et disciplinées. Sans doute, la nature était loin d'avoir refusé le courage naturel aux autres parties de l'Italie ; mais le courage naturel n'est rien sans une forte organisation militaire. L'Italie n'avait pas un régiment qui pût supporter la vue des baïonnettes françaises ou autrichiennes. »

Nous voyons, messieurs, lors de la première guerre allumée en Italie par la république française, que, privé des revenus de la Savoie et du comté de Nice, le roi de Sardaigne n'en soutint pas moins un état militaire de quarante à cinquante mille hommes, et que moyennant un médiocre subside de l'Angleterre et un mince appui auxiliaire de l'Autriche, la force de l’armée piémontaise suffit pendant trois ans à couvrir la frontière du col de Tende au grand Saint-Bernard.

Ce n'est pas, messieurs, que je confonde les époques. Grâce à Dieu, beaucoup d'influences nouvelles rendent aujourd'hui les guerres plus difficiles. Ce qui se passe depuis 1830 le prouve assez. Mais entre des alarmes exagérées et une complète sécurité, il y a un juste milieu dans lequel se place un gouvernement sage.

On opposera peut-être notre neutralité et les secours immédiats sur lesquels nous pouvons compter.

A cela je réponds que si la neutralité pouvait gêner notre droit d'attaque, elle ne nous confère pas du moins le privilège de n'être jamais attaqués. La neutralité, pour rester ce qu'elle est en réalité, une salutaire stipulation, doit pouvoir être défendue au moins contre toute surprise, contre tout premier choc.

« Vous prétendez être neutres, disait le général Bonaparte aux envoyés du sénat de Venise, et vous ne savez pas faire respecter votre neutralité. » Ailleurs il leur dit : « Je viens d'occuper l'Adige ; je l'ai fait parce qu'il me faut une ligne, parce que celle-ci est la meilleure et que votre gouvernement est incapable de la défendre ; qu'il arme cinquante mille hommes, qu'il les place sur l'Adige et je lui rends ses places de Vérone et de Porto-Legnago. »

Compterait-on, pour justifier une grande réduction dans notre état militaire, sur l'appui de la puissance qui paraît la plus intéressée à notre nationalité, sur l'appui de la Grande-Bretagne ?

Je sais, messieurs, ce que vaut cette garantie ; je sais les service que l'Angleterre a rendus à l'indépendance belge, je sais ce qu'en ce moment nous pourrions de nouveau attendre d'elle ; mais ici encore la confiance ne doit pas être absolue, Sans doute whigs et tories ont, sur la question de l'indépendance belge, à peu près la même politique, et ce que nous avons à craindre n'est pas une fluctuation de cabinets entre ces deux grands partis. Mais cette politique pourra-t-elle toujours être maintenue avec la même énergie ? Ne peut-il pas arriver telle complication intérieure, coïncidant ave des embarras extérieurs, qui paralyse l'intervention de l'Angleterre dans les affaires du continent ? N'a-t-elle pas à mener de front aujourd’hui les affaires de l'Irlande, celle de la Chine, celle du Canada, et la répression du charlisme et du socialisme ? Jusqu’où les vicissitudes de la question d'Orient peuvent-elles encore l’entraîner ? Sait-on bien ce que lui réservent l'abolition de l'esclavage dans ses colonies et les manœuvres dont ses possessions de l'Inde paraissent être le théâtre ? Prévoit-on quel redoublement d’embarras intérieurs peut lui susciter la perte subite d'une partie des marchés ouverts à son immense et toujours croissante production ? Pense-t-on enfin qu'on ne verra jamais se reproduire des circonstances analogues à celles qui la contraignirent à sanctionner, à Amiens, l'incorporation des Pays-Bas autrichiens à la république française ?

Messieurs, qu'on ne prenne pas le change sur mes paroles : la France pacifique, la France fécondant ses immenses ressources et développant sa puissance par le travail, la France, fidèle à la foi des traités ; respectant les nationalités voisines, cette France n'a pas d'ami plus sincère que la Belgique ; une jalousie mesquine, un patriotisme étroit pourraient seuls condamner la sympathie qu'inspire à la Belgique une grande et noble nation à qui nous devons presque toutes nos idées, qui a plusieurs fois soutenu, sauvé peut-être notre indépendance, et qui, même au point de vue des intérêts matériels, sera probablement pour longtemps encore notre principale ressource.

Si, dans le cours de ces observations, l'apparence d'une pensée hostile à cette France m'était échappée, je m'empresserais de la désavouer.

Mais notre armée ne doit porter ombrage à personne et doit nous valoir les égards de tout le monde.

Notre armée sera utile d'abord pour maintenir l'ordre à l’intérieur, si l'anarchie tentait de semer quelques troubles dans un pays manufacturier, où les factieux ont parfois pour auxiliaire la gêne dérivant des crises industrielles et commerciales.

Aux hommes qui croient encore à une guerre de principes, nous dirons que notre armée défendrait notre nationalité et le principe de notre gouvernement contre les puissances non parlementaires, si celles-ci, déviant de la ligne de conduite qu'elles ont suivie jusqu'ici, conspiraient un jour la ruine des monarchies constitutionnelles. Nous serions en ce cas l'avant-garde naturelle de ces monarchies ; nous leur rendrions ainsi, dans la mesure de nos moyens, les services que nous leur devons.

Mais aussi, nous pouvons le dire, notre armée défendrait notre indépendance contre une ambition qui jetterait de nouveau le gant à l'Europe. Nous lutterions sans doute jusqu'au dernier homme et au dernier écu, confiant dans la Providence et dans la coopération d'autres nationalités menacées, contre une agression impie. On ne saurait offenser personne, messieurs, en disant qu'une pareille attaque nous retrouverait tels que nous fûmes en 1815, défendant avec la même fidélité, avec plus d'ardeur encore, un drapeau plus cher, car celui-là est bien le nôtre, car en cas de défaite ce n'est pas seulement le Lion de Waterloo qu'on devrait abattre ; il faudrait aussi démolir le monument de la place des Martyrs. (Très bien ! très bien !)

M. Verhaegen**.** - Messieurs, après le brillant discours de l'honorable M. Lebeau , qui laissera dans vos esprits de profondes impressions, moi qui avais peu de mots à vous dire, j'aurais hésité à prendre la parole ; mais j'avais un devoir à remplir, je le remplis en venant placer à côté de théories si bien exposées, quelques considérations qui se rattachent directement à la pratique.

Avec M. Lebeau, j'admets toute l'importance de notre état militaire, avec lui, je veux assurer à notre armée une force permanente mais en même temps, je veux concilier ce que notre position et notre sécurité réclament avec une sage économie.

A en croire l'honorable M. de Man, l'armée belge se trouverait dans un état continuel de dislocation, et trouve la cause de cette dislocation dans les congés que les miliciens obtiennent avec trop de facilité.

Si les congés présentent des inconvénients, les condamnations à la peine de la déchéance en présentent de bien plus graves, elles sont pour le pays une source de dépenses considérables, en même temps qu'elles démoralisent l'armée, et ici je réclame toute l'attention de M. le ministre de la guerre.

Il y a en ce moment dans les prisons de l'Etat au-delà de 3,000 soldats, c'est une fraction bien importante de l'effectif actuellement sous les armes.

Un grand nombre, si pas la plus grande partie, est condamné à la peine de la déchéance, conformément à l'art. 21 du code pénal militaire.

Il résulte des renseignements recueillis que la plupart se font condamner volontairement à cette peine, pour être libéré de tout service militaire.

Il en est qui en ont demandé eux-mêmes l'application aux conseils de guerre.

Et savez-vous pourquoi cette peine ?

Le plus souvent pour une seconde désertion avec vente de leurs propres effets ou de quelques effets de camarades.

Il est incroyable qu'on n'ait pas encore songé à abolir cette peine, ou au moins à en restreindre l'application. La Belgique n'a point essentiellement un esprit militaire, elle est belliqueuse quand il le faut, mais elle n'est pas militaire dans la véritable acception du mot, et nous en trouvons la preuve dans l'organisation des gardes civiques. Eh bien ! malgré ces mœurs du pays, on continue à maintenir un système de pénalité, qui n'existe pas encore en France, plus essentiellement militaire, où la fidélité au drapeau est en quelque sorte un des caractères distinctifs de la nation ; nous ne connaissons en vigueur, en France, que le code du 21 brumaire an V, et ce code ne commine pas la peine de la déchéance.

Aussi voyez les beaux résultats chez nous de ce système ! Une grande fraction de l'armée est en prison, et que devient la moralité publique dans un système qui ramène des prisons dans les villages cette grande quantité d'hommes le plus souvent en proie à des vices de tout genre, contractés pendant leur détention, et qu'ils vont répandre dans leurs foyers ; car, qu'on ne se le dissimule pas, quelque mauvais que l'on soit en entrant en prison, on a toujours quelque chose de plus mauvais encore à y apprendre, l'expérience est là pour le prouver.

Le régime de nos prisons n'effraie pas, on ne craint pas de se faire condamner à deux ou trois ans de détention, pourvu que la libération du service militaire soit au bout de cette peine.

Il faut en finir à tout prix de ce système que la morale réprouve, et on conçoit difficilement qu’au lieu de s'occuper de tant de détails dont la plupart peuvent être considérés comme oiseux, M. le ministre de la guerre n'ait pas songé à cette grande affaire et n'ait pas mis un terme à ce que j'appellerai un déshonneur pour le pays.

Je sais qu'on me répondra qu'il faut attendre la révision du code pénal militaire ; mais ce serait là un ajournement indéfini, et bientôt le mal deviendrait irréparable.

Rien ne serait plus simple que de présenter au plus tôt un projet de loi abolissant la déchéance ou au moins la rendant plus rare. On pourrait remplacer cette pénalité par une autre et particulièrement, par un nouveau terme du service militaire.

Si le gouvernement se décidait à prendre cette mesure, dans deux ou trois ans au plus la population militaire des prisons serait réduite de moitié et nous pourrions nous dispenser d'allouer chaque année au budget des sommes considérables pour la construction ou l'agrandissement d'une partie de nos prisons. Un autre devoir incomberait encore au ministre de la guerre.

Les lois mettent à sa disposition des grades, des récompenses, etc. ; eh bien, qu’en temps de paix il les distribue surtout aux commandants de compagnie (car tout dépend d'eux), qui auront, pendant une certaine période, le moins d'hommes envoyés devant le conseil de guerre. Ce serait en faire un bon usage. Il faut que les commandants de compagnie soient les moralisateurs de leurs subordonnés.

M. le ministre de la guerre (M. Buzen) - L'honorable M. Verhaegen vient de vous signaler un mal qui est grand, je le reconnais ; c’est qu’un nombre considérable de militaires se trouvent dans les prisons de l'Etat. Je ne puis cependant laisser passer ses assertions sans dire qu'elles renferment de l'exagération. Au lieu d'avoir un quart de l'armée dans les prisons, il n'y en a pas un dixième, pas un vingtième.

En second lieu, tous les militaires qui sont en prison ne sont pas condamnés à la déchéance. Il y en a un grand nombre qui sont condamnés par les conseils de guerre à un emprisonnement simple et de peu de durée.

D'où provient, messieurs, ce grand nombre de condamnations à l’emprisonnement ? Cela date du commencement de la révolution ; c'est parce qu'alors on a aboli une grande partie des moyens disciplinaires en vigueur, pour punir le soldat des fautes qu'il commettait contre la discipline ; c'est parce qu'on a aboli les punitions corporelles sans les remplacer par d'autres.

Il en est résulté que les chefs militaires, étant sans pouvoir, pour réprimer des écarts, qui à la rigueur auraient pu l'être par les voies disciplinaires, ont dû traduire leurs subordonnés qui s'en rendaient coupables devant les conseils de guerre qui ne pouvaient infliger de punitions autres que la prison.

Il n'y a donc d'autres moyens pour prévenir ces nombreuses condamnations que de remplacer les punitions corporelles abolies en 1830, par des punitions aussi efficaces, s'il est possible. Dans ce nombre serait, à mon avis, l’emprisonnement isolé. Mais pour cela il faudrait changer nos prisons disciplinaires, établir des cellules où chaque homme puni se trouverait enfermé séparément. Depuis dix-huit mois déjà mon attention a été appelée sur cet objet ; j'en ai fait le sujet d'une correspondance avec M. le ministre de la justice. Mais des circonstances indépendantes de sa volonté et de la mienne ont, jusqu'à présent, empêché de donner suite à ce projet.

Je me propose d'y revenir et je tâcherai de le mener à bonne fin. Nous pourrons, de cette manière, donner de nouveaux moyens de répression aux chefs qui ne seront plus forcés de traduire aussi souvent leurs subordonnés devant les conseils de guerre.

M. le président. - La parole est à M. Sigart.

M. Sigart. - J'avais aussi quelques observations à présenter sur la déchéance militaire. Mais après ce qui vient d'être dit, je crois pouvoir renoncer à la parole.

M. Delfosse. - Messieurs, M. le ministre de la guerre a obtenu des chambres pendant deux années de suite, sans autre peine que celle d'en faire la demande, un crédit global d'environ 30 millions de francs.

C'était là une marque de confiance d'autant plus grande que les autres ministres devaient souvent faire les plus grands efforts pour obtenir quelques centaines de francs.

J'ai voté pour le premier crédit global, parce que l'on ne pouvait raisonnablement exiger que M. le ministre, entré aux affaires à la fin d'une session, fût prêt à discuter immédiatement le budget de son prédécesseur.

La même raison n'existant plus l'année suivante, je me suis prononcé contre le second crédit global, qui était, dans mon opinion, une déviation non motivée d'un principe sans lequel les plus grands désordres pourraient s'introduire dans l'administration.

M. le ministre de la guerre doit me savoir aujourd'hui quelque gré de l'opposition que j'ai faite alors, car c'est ce second vote de confiance qui a été présenté comme un obstacle à la résolution qu'il avait prise de suivre ses collègues dans la retraite.

Ce vote a été le motif, ou, si on l'aime mieux, le prétexte dont on s'est servi pour le retenir sur le banc qu'un de ses anciens collègues appelait le banc de douleur, pour le faire passer sous un drapeau qui n'était pas le sien.

Il s'est vu en quelque sorte forcé, lui qui avait voulu l'appel au pays, de s'asseoir à côté de ceux qui sont venus pour que l'appel au pays n'eût pas lieu. Pour que le vœu du pays ne pût prévaloir ; à côté de ceux qui ont calomnié le pays en le présentant comme égaré par d'absurdes calomnies, espèce de désertion involontaire qui a dû coûter beaucoup à un homme de cœur, à un vieux soldat, et dont nous n'eussions pas été témoins si l'on avait suivi mes avis.

Je dois toutefois reconnaître que M. le ministre de la guerre a été la seule victime de ce vote de confiance, et que le pays n'a pas eu à se plaindre de l'usage tout modéré qui en a été fait.

Est-ce à dire, messieurs, que je regarde les économies que M. le ministre de la guerre a introduites dans son budget comme suffisantes ? Non, messieurs, je regrette de ne pouvoir me rallier à l'opinion que l'honorable M. Lebeau a développée tantôt avec tant de talent ; je suis de ceux qui pensent, comme la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre pour 1840, que ce budget ne devrait pas, sur le pied de paix, excéder 25 millions de francs.

Cette section centrale, qui se composait de MM.. Fallon, Dumortier, de Brouckere, Rodenbach, de Man d'Attenrode, Mast de Vries et Brabant, rapporteur, était unanime pour émettre cette opinion, qu'elle appuyait des motifs les plus concluants.

M. de Brouckere. - Que disait-elle ?

M. Delfosse. - Puisque l'honorable M. de Brouckere le désire, je vais donner lecture du passage du rapport auquel je fais allusion :

« Deux questions se présentaient à la section centrale :

« 1° L'effectif sur lequel est calculé le budget est-il nécessaire pour assurer la tranquillité publique à l'intérieur et fournir l'instruction militaire aux hommes dont on pourrait avoir besoin en cas d'une agression étrangère ;

« 2° l'état des finances de la Belgique lui permet-il de consacrer à l'entretien de l'armée la somme de 32,790,000 francs ?

« A la première question, les rapporteurs ne peuvent répondre qu'en recourant aux estimations précédentes, et en comparant notre pays aux pays voisins.

« Sur la fin de 1831, M. de Brouckere, alors ministre de la guerre, présenta un projet de budget sur le pied de paix, il l'élevait à 11,800,000 florins, soit en francs, 24,973,540. Cette somme devait pourvoir à l'entretien d'une armée forte de 1,901 officiers, et de 26,299 sous-officiers et soldats. Il supposait 1,092 chevaux d'officiers, et 5,028 de troupes.

« Pour l'année 1833, M. le général Evain demandait un budget de 25,000,000. La force de son armée était de 1,956 officiers, 27,856 sous-officiers et soldats, 1,002 chevaux d'officiers et 5,028 de troupes.

« Pendant les six années qui ont suivi, et en présentant des budgets beaucoup plus élevés, le gouvernement a déclaré constamment que l'on pouvait considérer comme charges extraordinaires tout ce qui, dans ses demandes, surpassait 25,000,000. Sans doute, en regardant cette somme comme suffisante, il croyait que l'effectif du budget de 1833 était suffisant.

« Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi, au lieu de 1,956 officiers, l'on en demande 3,027 avec 1,669 chevaux ; au lieu de 27,856 hommes de toutes armes, on en demande 34,035 avec 6,779 chevaux ; au lieu de 25,000,000, l'on demande 32,790,000 francs.

« Quelles sont les circonstances qui ont amené ce changement dans l'appréciation de nos besoins ? La section centrale ne peut le savoir, puisque le gouvernement, ne donne pas un seul motif à l'appui de sa demande.

« Jetons les yeux sur des nations fortes, libres dans leur action politique, et plus ou moins disposées à intervenir à main armée dans les questions européennes. Leur état militaire, pendant la paix, est relativement moindre que celui qu'on nous demande. La France, avec un territoire dix-neuf fois aussi étendu, et une population huit fois plus forte, n'entretenait sous la restauration que 240,000 hommes. La Prusse, essentiellement militaire, n'entretient qu'une armée de ligne de 100,000 hommes, taux moyen : sa population est trois fois et demie celle de la Belgique, son territoire huit fois aussi étendu, d'une figure fort irrégulière et partout dépourvu de défense naturelle. La Hollande, seule puissance avec qui il nous reste des intérêts à régler, seule puissance avec laquelle nous puissions entrer seuls en lutte, vient de réduire considérablement son armée.

« De tout cela, les rapporteurs concluent que les prévisions de 1833, tenues pour fondées et suffisantes pendant les six années suivantes, doivent encore suffire aujourd'hui.

« Notre situation financière permet-elle de consacrer une somme aussi considérable à l'entretien de l'armée ? Lors de la discussion du budget des voies et moyens, il a été établi dans cette chambre, et la commission chargée de l'examen du même budget, dans le sein du sénat, a déclaré, dans son rapport, qu'un capital de 6,688,000 francs figurait aux recettes, et serait consommé. Il y a donc déficit de pareille somme. Un tel état de choses ne peut se prolonger sans nécessiter une très forte augmentation d’impôts ; mesure qui ne manquerait pas d’exciter un vif mécontentement et de porter une grave atteinte à la sûreté publique. »

Vous le voyez, messieurs, la section centrale qui a été chargée de l’examen du budget de 1840 faisait remarquer que le gouvernement avait toujours considéré lui-même le chiffre de 25 millions comme suffisant pour le temps de paix, que toutes les demandes qu'il avait faites au-delà de ce chiffre avaient constamment été présentées comme des charges extraordinaires, motivées uniquement sur les circonstances difficiles dans lesquelles le pays se trouvait.

Cette même section centrale comparaît notre état militaire avec celui des pays voisins, et elle faisait voir que l'état militaire des pays voisins était relativement moindre que le nôtre.

Elle insistait sur la nécessité, (plus grande encore aujourd'hui), d'entrer largement dans la voie des économies, sans cela, disait-elle par l'organe de l'honorable M. Brabant, son rapporteur, il faudra recourir à une augmentation d'impôts, mesure qui ne manquerait pas d'exciter un vif mécontentement et de porter une grave attente à la sûreté publique.

Je vous avoue, messieurs, que ces raisons ont fait une vive impression sur moi et que je ne comprends pas ceux qui veulent que notre petit pays, pays neutre, ait une forte armée, une armée comparativement plus forte que celle des autres pays.

Dans quel but devrions-nous avoir une armés forte, une armée dont la dépense excéderait en temps de paix 25 millions de francs ? Serait-ce pour maintenir l'ordre à l'intérieur ? Personne n'oserait le dire.

Le peuple belge est un peuple moral, tranquille, qui ne fait appel à la force que lorsque les voies légales sont entièrement. fermées, et sur lequel les agitateurs n'ont pas de prise ; ce serait le calomnier indignement que de dire qu'il ne peut être contenu dans le devoir qu'à l'aide des baïonnettes.

Serait-ce en vue d'un ennemi extérieur que nous devrions avoir une forte armée ? Mais cet ennemi, messieurs, où est-il ? Notre indépendance est reconnue partout, elle est entrée dans le droit public européen et nulle puissance ne viendra nous attaquer parce qu'elle verrait à l'instant même toute l'Europe se lever contre elle.

Ce n'est donc qu'en cas de guerre générale que nous aurions un danger à craindre ; la guerre générale est-elle probable ? Je ne le crois pas, messieurs, trop d'intérêts puissants s'opposent de nos jours à la guerre pour qu'un gouvernement, quel qu'il soit, ose l'entreprendre. Aussi, voyez : la France chasse la branche aînée des Bourbons ; nous nous séparons de la Hollande sans que les grandes puissances éminemment hostiles à ces événements osent rien faire pour s'y opposer ; la France bombarde la citadelle d'Anvers ; elle s'empare d'Ancône, et on la laisse faire ; la France, à son tour, (erratum, Moniteur du 28 janvier 1842) blessée dans ses intérêts, blessée surtout dans son amour-propre, elle si susceptible, la France, dis-je, laisse le pacha d'Egypte se débattre seul contre l’Europe coalisée ; et le pacha soumis s'empresse de rentrer, sous le plus léger prétexte, dans le concert européen.

Lorsqu'on assiste à de tels faits, lorsqu'on entend un ministre anglais, qui doit toute sa réputation à la guerre, déclarer publiquement qu'il n’y aura plus de nos jours de fêtes à célébrer en l'honneur des armes, on a quelque raison d'espérer, messieurs, que le rêve de l'abbé de Saint-Pierre est devenu une réalité.

Supposons contre toute probabilité que la guerre générale éclate ; croyez-vous, messieurs, que quelques mille hommes de plus dans notre armée seraient d'un grand poids dans la balance ? Mais, messieurs, ces quelques mille hommes seraient un point imperceptible au milieu des masses qui ne manqueraient pas alors de se mouvoir et de se heurter, ils n'empêcheraient malheureusement pas notre pays d'être à la merci du vainqueur, qui ne respecterait les traités, même ceux qu'il aurait pu conclure avec nous, qu'autant qu'il y trouverait son intérêt.

Ainsi, messieurs, c'est donc dans l'éventualité d'un danger qui n'est pas probable, qui, tout porte à le croire, ne se réalisera pas et qui, se réalisât-il, ne serait pas conjuré, que nous irions grossir chaque année le déficit qui nous ronge, en jetant inutilement les millions !

Et remarquez bien, messieurs, qu'il y a un mal plus grand encore que la dépense ; il y a des enfants que vous arrachez à leurs familles, à leurs travaux, que vous privez de leur liberté, et dont vous compromettez l'avenir ; c'est là un mal que les classes riches ne sentent guère, parce qu'elles y échappent au moyen d'un peu d'argent, mais le pauvre en est victime.

Voulez-vous, messieurs, défendre sérieusement votre indépendance ? Il y a un moyen peut-être, mais il n'y en a qu'un : n'ayez qu'une armée en rapport avec la population, l'étendue et les ressources du pays, mais organisez fortement la garde civique et surtout rendez le gouvernement populaire par de bonnes mesures ; l'affection du peuple vaut mieux qu'une armée.

Je persiste, messieurs, comme vous voyez, à être partisan de l'économie ; je la regarde comme notre seule ancre de salut. Jamais cependant je ne proposerai ni n'admettrai des réductions qui seraient injustes.

C'est ainsi que je serais désespéré si celles que je désire pour l'armée portaient la plus légère atteinte à la position de nos braves officiers. La plupart sont entrés dans la carrière, au moment où le pays avait besoin de leurs services, la guerre était non seulement possible, mais imminente ; ils étaient prêts à verser leur sang pour nous, et ce n'est pas leur faute, si leur épée est restée dans le fourreau.

Nous leur devons de la reconnaissance ; ils sont d'autant plus à plaindre que la paix si précieuse pour le pays, diminue leurs chances d'avancement, et les prive de ce que le soldat préfère à tout, de la gloire.

Quelques-uns pourraient et voudraient peut-être entrer dans d'autres carrières ; qu'on leur en facilite les moyens ; montrons pour les autres une juste sollicitude.

Mû par ces considérations, je voterai en faveur de l'augmentation de traitement proposée pour les capitaines de l'armée. Je voterai également toute mesure raisonnable qui aurait pour but d'améliorer le sort des officiers.

Mais il faut en même temps se montrer plus difficile pour l'admission dans l'armée des jeunes gens qui aspirent à l'épaulette ; il faut qu'ils sachent bien que, venus plus tard et après le danger, ils ont moins de titres, et qu'ils ne seront pas aussi bien traités que leurs anciens.

N'enlevons à leurs familles et à leurs travaux que le nombre de miliciens strictement nécessaires ; s'il y a des dépenses qui puissent être réduites sans injustice et sans inconvénient, et je crois qu'il y en a beaucoup, réduisons les.

Ces réductions, je le sais, ne peuvent pas être l'œuvre d'un jour ; elles doivent être faites dans une certaine mesure et avec certaines précautions ; aussi il est probable que je ne refuserai pas mon assentiment au budget actuel ; j'ai voulu seulement donner un avertissement à M. le ministre de la guerre, pour qu'il arrive peu à peu et par des réductions successives, au chiffre de 25 millions que la section centrale de 1840 regardait et que je regarde comme suffisant.

M. le ministre de la guerre (M. Buzen) - D'après ce que vient de dire l'honorable M. Delfosse, il semblerait que je suivrais aujourd'hui un drapeau autre que celui que je suivais lorsque je suis entré aux affaires : je dois déclarer qu'alors comme aujourd'hui je suivais un seul et même drapeau, le drapeau du pays, le drapeau de l'armée. Je n'en connais et je n'en suivrai jamais d'autre. (Très bien !)

M. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable M. Delfosse a lu un passage du travail, présenté par M. le rapporteur de la section centrale du budget de 1840, passage d'où il a tiré la conséquence que tous les membres de cette section centrale étaient d'avis que 25 millions suffisaient pour subvenir à tous les besoins de l'armée.

Cette conséquence n'est pas tout à fait exacte.

M. le ministre de la guerre demandait en 1840, 32 millions 790 mille francs. La section centrale, à l'unanimité, cela est vrai, trouvait ce chiffre trop élevé, mais elle ne voulait pas faire elle-même des réductions ; elle disait au ministre : « La section centrale ne proposera pas à la chambre de vous accorder les 32,790,000 francs que vous demandez ; proposez des réductions.» Le ministre s'obstinait en disant : « j'ai besoin de la somme que j'ai demandée, je ne proposerai pas de réduction. »

Que pouvait faire alors la section centrale ?

Elle argumentait de ce qu'avaient avancé dans la chambre les prédécesseurs du ministre, et elle disait au ministre : « Vos prédécesseurs ont dit plus d'une fois que 25 millions suffisaient ; si maintenant vous ne prouvez pas que vos prédécesseurs se sont trompés ; si vous n'établissez pas qu'une somme plus forte vous est nécessaire, nous serons autorisés à conclure que 25 millions suffisent. »

Mais ce n'était pas là une opinion arrêtée chez les membres de la section centrale;, elle avait même si peu l'opinion arrêtée que 25 millions devaient suffire qu'elle ne se serait pas refusée à proposer d'accorder 30 millions au ministre, s'il avait voulu formuler lui-même son budget.

L'honorable M. Delfosse me dit, que c'était un budget transitoire. M. le Ministre de la guerre s'est alors expliqué à cet égard ; il disait qu'il ne présentait pas son budget comme étant précisément un budget normal, ni comme étant tout à fait un budget de transition.

D'après ce que je viens de dire, il doit être évident pour les chambres et pour l'honorable M. Delfosse lui-même, que quand la section centrale, à l'unanimité, a argumenté des assertions des prédécesseurs du ministre de la guerre, pour l'engager à réduire son chiffre, elle n'a pas exprimé l'opinion formelle que 25 millions suffisaient pour satisfaire aux besoins de l'armée. Voilà comme les choses se sont passées, et je suis bien sûr que l'honorable M. Dumortier, qui vient de demander la parole, ne pourra que confirmer mes paroles.

M. Rodenbach. - Moi aussi, je confirme l'exactitude de ce que vous venez de dire.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion, mais ayant été proféré par l'honorable M. Delfosse, je crois de mon devoir d'expliquer la manière dont nous entendions les choses, lors de la rédaction du rapport auquel on a fait allusion. Ce que j'ai à dire confirme ce qui a été avancé par l'honorable M. de Brouckere.

Lorsque nous fîmes le rapport que l'honorable M. Delfosse a cité, c'était à la suite des tristes événements que nous déplorons encore aujourd'hui. Il importe de se rappeler la position dans laquelle la Belgique se trouvait à cette époque : La Belgique était alors grevée d'une dette énorme au profit de la Hollande, il fallait faire face à ce besoin, et il fallait y pourvoir, de manière à éviter de créer des charges nouvelles. Nous devions avoir quelque confiance dans la neutralité qui nous avait été promise. Dans cet état de choses, nous désirions tous voir réduire autant que possible le chiffre global voté pour l'armée, car il importe de ne pas méconnaître que le chiffre affecté aux dépenses de l'armée, forme le tiers de nos impôts de notre budget.

Mais il importe aussi de reconnaître que si nous avons alors demandé des économies, ces économies reposaient principalement sur l'introduction d'un nouveau système. Notre honorable collègue, M. Brabant, rapporteur de la section centrale du budget de 1840, nous avait démontré de la manière la plus évidente qu'au moyen de certaines modifications de système à introduire dans l'armée, modifications qui devaient laisser intacts la solde des officiers, leur position, et même le nombre des soldats, on pouvait arriver à une économie de plusieurs millions par an. Voilà quelle était la base de nos observations : nous voulions arriver à une réduction du chiffre global affecté aux dépenses de l'armée, sans réduire ni le nombre des officiers, ni celui des soldats, mais en modifiant le système.

Et maintenant encore, quelque grand partisan, que je sois d'une armée forte, d'une armée qui puisse au besoin défendre le pays, si l'on peut arriver à une réduction de quelques millions, sans diminuer ni la solde des officiers, ni le nombre des soldats, je m'empresserai de donner mon assentiment à ce système, et je pense qu'il n'est personne dans cette enceinte qui ne se hâtât de s'y rallier, car, encore une fois, tout en nous appuyant fortement sur l'armée, nous ne pouvons pas méconnaître que le budget de la guerre forme le tiers des dépenses générales de l'Etat.

Messieurs, je tenais à faire ces observations parce qu'en présence des déclarations qui viennent d’être faites et des débats qui viennent d'avoir lieu à la tribune d'une nation voisine, il importe plus que jamais que la Belgique comprenne qu'elle ne doit s'appuyer que sur elle-même. Le discours que l'honorable M. Lebeau a prononcé tout-à-l'heure vous a révélé le langage tenu par un des premiers orateurs de la chambre des députés ; je prendrai la confiance de vous rappeler aussi ce qui a été dit dans la chambre des pairs, dans cette assemblée où siègent les hommes les plus graves de la nation française ; là vous avez entendu des orateurs dire que ce qu'il fallait, ce n'était pas seulement une réunion douanière, mais une réunion politique de la Belgique et de la France. Voilà ce que l'on a proclamé récemment encore à une tribune voisine. Eh bien, si j'éprouve une grande sympathie pour la nation française, j'en éprouve encore une plus vive pour mon pays ; je préfère respirer l'air de la liberté dans le dernier village belge à faire partie de la grande nation française en renonçant à notre indépendance. Je veux rester Belge avant tout, et c'est surtout dans de pareilles circonstances que nous devons nous appuyer sur l'armée.

Puisque je parle de cette question , je désirerais volontiers avoir du gouvernement des explications sur un point qui, dans l'occurrence, est pour moi d'un vif intérêt. Je sais que mon opinion n'est pas partagée par beaucoup de personnes ; je ne la donne pas non plus comme un point de doctrine, mais je suis libre aussi de professer une opinion consciencieuse.

Un traité a été fait en 1831 relativement aux forteresses. En vertu de ce traité, plusieurs de nos forteresses devaient être démolies. Beaucoup de personnes ont regardé ce traité comme un malheur pour la Belgique ; quant à moi, je l'ai toujours regardé comme un grand bonheur ; car ici je parle comme homme appartenant au pays avant tout. Si l'effet des paroles prononcées à une tribune voisine venait à se réaliser, et que la Belgique ne fût pas assez forte alors pour lutter contre une puissance aussi colossale, elle doit éviter au moins, je pense, que cette puissance ne puisse venir s'abriter dans ses forteresses. C'est en vue d'une semblable prévision que j'ai toujours regardé le traité de la démolition des forteresses comme une chose heureuse pour le pays. Cette opinion, je le répète, n'est pas celle de tout le monde ; mais elle est le résultat d'une profonde conviction, elle m'est dictée par le vif attachement que je porte à notre nationalité.

Je voudrais donc savoir à quoi en sont les négociations sur cette question. Je crois qu'il importe que le traité soit réalisé ; je crois qu'en cas d'une invasion, il est bien préférable pour la Belgique d'avoir une armée mobile qui puisse défendre le territoire que d'avoir une armée que nous devrions disloquer et caser dans des forteresses.

Je n'en dirai pas davantage, mais je prierai le gouvernement de dire ce qu'il a fait ou ce qu'il entend faire à cet égard.

Messieurs, je dirai encore quelques mots relativement à un objet particulier du budget. Ces observations ne me sont dictées par aucun sentiment d'hostilité contre M. le ministre de la guerre actuel pour lequel je professe la plus haute estime ; je suis heureux de saisir cette occasion pour dire qu'il a rendu les plus grands services à l'armée, services qu'on n'appréciera que lorsqu'il ne sera plus aux affaires.

Si donc j'ai quelques observations à faire, elles ne le concernent en aucune manière, mais je pense qu'il lui sera possible de donner quelques explications.

L'honorable M. Osy a cité un abus très grave qui s'est passé, si je ne me trompe, en 1838, dans la caisse des veuves, dans cette caisse qui se compose d'environ 900 mille francs provenant des revenus opérés sur le traitement des officiers de l'armée. Des fonds ont été pris dans cette caisse et ont reçu une destination en dehors du budget. Si mes informations sont exactes, ces fonds doivent être considérés comme perdus.

Je désire savoir si les officiers qui ont fourni les fonds de cette caisse ont quelques garanties contre les individus auxquels on les a remis, car il importe que les droits des veuves soient sacrés. Si vous voulez avoir des officiers qui, en toute circonstance, ne craignent pas de s'exposer à la mort en laissant des veuves et des orphelins, il faut que leur pension soit assurée, et si les fonds qui ont été distraits de leur caisse sont aujourd'hui considérés comme perdus, il importe qu'ils y soient réintégrés par celui, n'importe qui, qui a autorisé la distraction.

Je veux appeler l'attention de la chambre sur un autre point de la plus haute gravité, c'est celui que vous a déjà signalé notre honorable collègue, M. Osy, l'achat de grains de Russie, en 1838-39, pour la subsistance de l'armée.

Quand il fut question, à la suite de l'adresse en 1838, de résister à la conférence de Londres, comme on craignait le renchérissement des grains, on résolut d'en acheter à l'étranger ; mais tandis que les règlements prescrivent de faire pour la troupe du pain de pur froment, on a acquis, pour faire le pain du soldat, du mauvais seigle qui pourrait à peine servir pour faire de mauvais genièvre, du seigle pourri, corrompu, qu'on avait fait sécher ; et pendant deux ans c'est avec cela qu'on a fait le pain du soldat, J'en ai vu et je vous déclare que vous n'auriez pas voulu en donner à vos chiens. Cela est d'une haute gravité ; car tout ce qui touche au bien-être de l'armée nous intéresse au plus haut point. Eh bien, il est un fait incontestable, c'est que les règlements ont été violés pour ces acquisitions, c'est ensuite qu'on n'a pas dû acheter du vieux seigle à faire du genièvre au même prix que du froment du pays ; cependant nous avons votés les fonds nécessaires pour faire du pain de froment comme le prescrivent les règlements ; le prix qu'on a payé pour le seigle n'est pas celui qu'on a voté pour du froment pur ; qui a profité de la différence ? Voilà sur quoi je désire avoir des renseignements. L'année dernière, à la section centrale dont je faisais partie, j'ai demandé des explications sur cette affaire, qui est la chose la plus scandaleuse qui se soit présentée depuis la révolution. Ces renseignements nous ne les avons pas obtenus parce que nous avons dû présenter promptement notre rapport. Si des renseignements ont été fournis à la section centrale cette année, je prierai M. le rapporteur de nous les communiquer. Dans tous les cas, je désire que la chambre sache qui a profité de ces acquisitions.

M. Brabant, rapporteur. - Je commencerai par dire qu'il m'est impossible de satisfaire à la question que m'a adressée l'honorable M. Dumortier. La section centrale a cru que toutes les questions que devait présenter le budget de la guerre de 1842 avaient été soulevées par les sections, et elle s'est bornée à réclamer du département de la guerre des renseignements sur les demandes des sections. Aucune section n'avait soulevé la question des achats de grains de 1838-1839 ; nous n'avons pas demandé d'explications mais je suppose que M. le ministre est à même de les fournir.

Quand j'ai demandé la parole, je l'ai fait pour justifier le travail de la section centrale de 1840 dont les conclusions n'ont pas été discutées, et pour faire voir à l'honorable député de Liége que les ministre de la guerre avait satisfait, et au delà, aux réductions proposées par la section centrale, sans toutefois adopter ses bases, ce qui eût été moins agréable à l'honorable membre. Je vais le démontrer.

Le budget de 1840 présentait pour l'infanterie 1,918 officiers, et 25,298 sous-officiers et soldats, plus 13 mille hommes de réserve à réunir pendant dix jours. La cavalerie comptait 440 officiers et 5,395 sous-officiers et soldats et 4,900 chevaux.

L'artillerie comptait 273 officiers et 3,847 sous-officiers et soldats et 888 chevaux appartenant à l'Etat.

Le principal chef de réduction de la section centrale portait sur les officiers qui lui avaient paru être en trop grand nombre, relativement à celui des soldats.

Si l'honorable M. Delfosse veut jeter les yeux sur les pages 29 et 30 de ce rapport, il verra que la section centrale basait une grande partie de ses réductions sur les officiers du cadre de réserve de l'infanterie et de la cavalerie. Eh bien, aucune de ces réductions n'a eu lieu ; le ministre de la guerre n'a pas cru devoir user de la latitude que la loi sur l'état de l'officier lui donnait et a conservé les officiers qu'il a trouvés dans l'armée à son entrée au ministère. A la vérité, il a été avare de promotions, et il a reporté le chiffre au vrai. Je crois que le projet de 1840 le dépassait. C'est ainsi que le projet de budget de 1840 portait 1,918 officiers, et que le projet de 1842 n'en porte que 1,798.Voilà une réduction de 120 officiers.

Le budget de la cavalerie pour 1840 portait 440 officiers ; il n'y en a plus que 429 au budget de 1842. Remarquez, comme on vous l'a déjà dit, que la somme demandée pour 1840 s'élevait à 32,790,000 fr. et que celle demandée pour 1842 ne s'élève qu'à 29,500,000 fr. La différence est de 3,290,000 fr. à l'avantage du budget que nous discutons. Cette réduction dépasse de 228,000 fr. la réduction qui avait été proposée par la section centrale. Vous voyez donc que, sans toucher aux existences, le ministre de la guerre est parvenu à opérer une réduction très notable sur le chiffre qui avait paru nécessaire à son prédécesseur. Je ne crois pas que cette réduction ait eu lieu aux dépens de la force qui est nécessaire pour maintenir la tranquillité dans le pays et pour donner l'instruction nécessaire aux soldats dont on pourrait avoir besoin si notre indépendance était menacée.

Le nombre des officiers de troupes est de 2,601 et l’effectif des sous-officiers et soldats est de 30,197.

Bien que ces chiffres dépassent ceux des projets présentés en 1832 et 1835, je ne crois pas possible de faire une grande réduction dans l'effectif des hommes de notre armée. En 1832 et 1833, le nombre des officiers était inférieur à ce qu'il est devenu depuis le développement qu'a reçu la force publique. Pendant ces années et les années postérieures, il a été facile de décréter la mise en non activité d'officiers dont la plus grande partie n'avait pris que depuis peu de temps le métier des armes, n'avait pas perdu les habitudes de la vie civile et n'était pas éloignée de l'état professé avant l'entrée au service. Mais ce n'est pas après douze ans qu'on peut avoir recours à un remède qui était applicable après deux années.

Du reste, je pense que personne dans la. chambre ne voudrait réclamer avec rigueur l'application de la loi de 1836 sur la position des officiers. Je donnerais volontiers les mains à un projet qui aurait pour but de faire un sort aux officiers qui ne trouveraient plus assez d'avancement dans la carrière des armes. Ce serait une chose également avantageuse pour l'armée et pour l'Etat, car on ne peut pas se dissimuler que les réductions qu'on pourra introduire ne seront jamais bien importantes, et, d'un autre côté, je ne pense pas que l'avancement puisse être assez large pour que les officiers aient lieu de se louer d'avoir embrassé la carrière des armes,

M. Osy. - Je prends la parole pour dire à M. le ministre que j'espère qu'il voudra bien donner des explications sur les achats de grains et les détournements des fonds de la caisse des veuves.

J'ajouterai à ce que j'ai dit tout à l'heure que les grains achetés en Russie ont coûté aussi cher que si on avait eu de bon froment. Le trésor a souffert, le soldat a eu du mauvais pain et le commerce a été lésé.

M. le ministre de la guerre (M. Buzen) - L'honorable M. Osy vous a parlé de marchés de grains, passés en 1838 et 1839, par suite desquels on a donné de mauvais pain à la troupe. Ces marchés, comme vous savez, ont été conclus avant mon entrée au ministère ; toutes les pièces qui y sont relatives ont été soumises depuis longtemps à la cour des comptes, qui doit savoir comment le marché a été passé et qui probablement les aura trouvées en règle, puisque jusqu’a présent il ne m'est parvenu aucune observation de sa part.

Quant au mauvais pain qu'on a pu distribuer à la troupe, je ne saurais donner aucun renseignement à cet égard ; depuis que je suis au ministère aucune plainte ne m'est arrivée sur la qualité du pain, Le pain, celui surtout qui sort des boulangeries militaires est meilleur qu'il ne l'a jamais été. C'est ce qui résulte des rapports des commandants et des chefs de corps.

Quant à la caisse des veuves que M. Osy voudrait voir mettre sous le contrôle et la surveillance de la cour des comptes, je dirai que la chose est impossible. Cette caisse est une espèce de tontine appartenant aux officiers, dont le ministre n'a que la surveillance et dont l'administration est confiée à un conseil composé d'officiers généraux et supérieurs qui en répondent ; si des fonds ont été détournés ou employés à un usage autre que celui auquel ils sont destinés, cela a été fait avant mon entrée aux affaires. Des mesures ont été prises en même temps pour en assurer la rentrée, une grande partie l'est déjà : j'ai tout lieu de croire qu'avec le temps il en sera de même du restant. Je désire que ces explications satisfassent les honorables membres. Je ne saurais pour le moment en donner davantage.

M. Delfosse. – J’ai invoqué un fait qui n'a été contesté et qui ne pouvait être contesté par personne, c'est que la section centrale du budget de la guerre de 1840 a donné d'excellentes raisons pour démontrer qu'un budget de 25 millions de francs doit suffire en temps de paix.

Si elle n'a pas conclu à ce que le budget fût immédiatement réduit à ce chiffre, c'est qu'elle a senti, comme je le sens moi-même, qu'une réduction aussi considérable ne peut pas se faire brusquement, qu'il faut ménager la transition, c'est ce qui explique la différence qu'il y avait entre les raisonnements et les conclusions de la section centrale, c'est ce qui explique aussi la différence apparente qu'il y aura entre mon discours et mon vote.

M. Doignon. - J'ai peu de mots à ajouter à cette discussion générale. J'ai éprouvé, messieurs, une véritable satisfaction lorsque, dans le discours du trône, j'ai entendu Sa Majesté déclarer aux chambres que, malgré de folles et odieuses menées, l'armée continue à justifier sa confiance et celle du pays. Ainsi, bien que, parmi les accusés dans l'affaire du complot du 29 octobre, nous voyions figurer certains noms qui appartiennent à l'armée, il ne faut pas attribuer à ce fait plus d'importance qu'il n'en a ; cet événement n'est pas de nature à exciter dans le pays la moindre inquiétude.

Un traité solennel, sanctionné par toutes les puissances de l'Europe, nous a, à jamais, séparés de la Hollande. Où en serions-nous, messieurs, et que deviendrait, dans chaque Etat, l'ordre social, si désormais une nation ne pouvait fonder son repos et sa tranquillité sur un semblable traité ? Non, messieurs, non, (erratum, Moniteur du 28 janvier 1842) nous ne le craignons pas, jamais les puissances ne donneraient ou ne souffriraient un pareil scandale. Malheur à elles-mêmes si elles en toléraient seulement la pensée ; une telle violation du droit des gens serait sans exemple dans les fastes de l'histoire.

Mais le prince lui-même qui aurait été l'objet de ce complot, voudrait-il jamais se souiller par un acte de la plus insigne déloyauté ? Ne sait-on pas que sa maison a solennellement abdiqué aux yeux de l'Europe ; qu'ainsi lui-même violerait la foi des traités.

Quant à nous, messieurs, nous représentants d'une nation dont la fidélité et la loyauté (erratum, Moniteur du 28 janvier 1842) sont si renommées, aurait-on oublié que dans cette enceinte même la dynastie de ce prince a été solennellement déclarée déchue et exclue de tout pouvoir en Belgique ? Aurait-on oublié que chacun de nous a juré d'observer ce pacte fondamental, puisqu'il fait partie intégrante de notre constitution ? Aurait-on osé se flatter que la nation tout entière et l'armée voudraient se parjurer ? Non, messieurs, cette folle pensée n'a pu entrer que dans la tête de quelques hommes égarés, séduits, de quelques hommes qui ne sont pas Belges.

Je le dis avec conviction aux ennemis du pays : Vous compterez en vain sur les défections, sur l'infidélité ou la trahison de la nation ; elle demeurera inviolablement attachée au Roi qu'elle s'est choisi, à son Roi bien aimé ; je leur dirai : Allez chercher en d'autres pays cet esprit d'inconstance et d'instabilité qui les inquiète et les trouble sans cesse ; (erratum, Moniteur du 28 janvier 1842) vous ne les trouverez point chez les Belges, eux qui ne reculent jamais quand il s'agit de maintenir une parole sacrée, eux qui même ont toujours préféré souffrir plutôt que de manquer à l'honneur et à la foi jurée ; gardez, leur dirai-je encore, votre or, vos faveurs, vos promesses, promesses fallacieuses, nous garderons, nous, la foi jurée, et notre armée saura la défendre.

Quoi qu'il en soir, messieurs, (erratum, Moniteur du 28 janvier 1842) des poursuites commencées, le gouvernement a maintenant certains devoirs à remplir, c’est à lui à bien peser tous les faits, à agir avec circonspection et même à provoquer au besoin les explications que les circonstances et la sûreté de l'Etat peuvent réclamer.

Depuis 1830, ce n'est pas la première fois que nous avons été témoins de manifestations de ce genre, et elles n'ont été que bien rares, et tout à fait isolées ; j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'en expliquer ; et, je dois le dire, je n'ai pu approuver entièrement la conduite du gouvernement, surtout à l'égard de ceux qui ne sont venus à nous que pour ainsi dire malgré eux. Certes, la longanimité sied bien à un gouvernement fondé sur la volonté nationale, mais il ne faut pas qu'elle dégénère en faiblesse et en imprudence ; alors non seulement elle blesse le sentiment national ; mais elle finit quelquefois par susciter au pays des dangers sérieux ; alors, loin de rallier les hommes qu'on prétendait s'attacher, ces hommes au fond restent les mêmes ; et bien souvent pour eux, la patrie, c'est leur intérêt personnel.

J'espère que le gouvernement aura puisé dans ce qui s'est passé quelques enseignements utiles pour l'avenir, et je l'engage à ne rien négliger et à prendre toutes les mesures pour prévenir le retour de pareilles tentatives.

Je voterai probablement pour le budget du département de la guerre ; mais je le déclare, je n'entends pas le considérer comme un budget normal, et c'est dans l'espoir que M. le ministre de la guerre poursuivra son système d'économie avec la fermeté et la modération convenable.

Il y a quelques années que le gouvernement, afin de donner plus de force à son action disciplinaire, vous a demandé plusieurs lois militaires ; ces lois ont été accordées par les chambres, qui ont ainsi mis à la disposition du gouvernement les moyens qu'il pouvait désirer : une bonne discipline dépend donc aujourd'hui du gouvernement lui-même. Soyez-en persuadés, messieurs, plus il y aura dans l'armée de discipline et de moralité, plus vous serez sûrs de son attachement et de son esprit d'ordre comme de sa bravoure.

M. Delehaye. - Je demanderai si M. le ministre des affaires étrangères n'a pas une réponse a faire à l'interpellation de l'honorable M. Dumortier, relative a la démolition de nos forteresses.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Parmi les interpellations de l'honorable M. Dumortier, il en est une en effet qui ressortit spécialement de mon département ; c'est celle relative à la démolition de nos forteresses. Je regrette de ne pouvoir donner tous les renseignements que désire l'honorable membre sur une affaire, qui, du reste, ne me paraît pas avoir un grand caractère d'urgence. J'ose espérer d'ailleurs qu'eu égard aux intérêts si divers et si importants engagés dans cette question, il comprendra la circonspection dont je ne puis me départir en ce moment.

M. Dumortier. – Mon intention n'était pas de provoquer des explications ; j'ai voulu seulement donner un avis au gouvernement ; je me déclare satisfait de la réponse de M. le ministre des affaires étrangères.

M. Delehaye. - Messieurs, je ne pousserai pas non plus mes investigations plus loin, je sais qu'on ne manquerait pas de dire plus tard que les demandes indéfinies de la chambre ont pu compromettre l'une ou l'autre négociation diplomatique ; qu'il me suffise pour le moment, messieurs, de faire remarquer au gouvernement qu’une administration zélée et surtout capable de bien apprécier nos intérêts matériels pourrait trouver dans les exigences de certaines puissances étrangères, concernant la démolition de nos forteresses, les moyens d’assurer des avantages bien grands à notre industrie.

En faisant ces observations, je me réserve de développer mes idées quand il n’y aura plus d’indiscrétion à craindre.

- La discussion générale est close.

La séance est levée à 4 heures.