Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 30 janvier 1841

(Moniteur belge n°31 du 31 janvier 1841)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune procès à l’appel nominal à 12 ¼ heures.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune fait connaître l’analyse de pièces suivantes.

« Des brasseurs de Mons adressent des observations sur le projet d’augmentation de l’accise sur la bière. »

M. Sigart – Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission chargée de l’examen de la loi sur les céréales.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur André Lefebvre, vétérinaire à Gand, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement de deux créances, s’élevant ensemble à 93 francs, qu’il prétend lui être due par deux officiers de l’armée, du chef de traitement de leurs chevaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jean de Coene, menuisier à Gand, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir le payement de deux créances qu’il prétend lui être dues par deux officiers de l’armée, et s’élevant ensemble à 243 francs 50 c. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve Roevens, propriétaire d’un moulin à vent situé dans le polder Lillo, et qui a chômé depuis 1830, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux indemnités.

- Renvoi à la commission chargée d’examiner les amendements de M. le ministre de l'intérieur sur ce projet.


« L’administration communale de Boussut-en-Fagne (Namur) demande que les instituteurs primaires soient compris dans la loi des pensions. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi des pensions.


« Le supérieur et les processeurs près du petit séminaire de Bastogne, demandent à être compris dans la loi sur les pensions. »

M. d’Hoffschmidt – Cette pétition est relative à la loi des pensions, dont la discussion a déjà été commencée et sera reprise peut-être bientôt. Je demanderai, conformément aux précédents de la la chambre, qu’elle soit insérée au Moniteur et déposée sur le bureau pendant la discussion de la loi.

- Cette proposition est adoptée.

La pétition précédente qui a le même objet sera également insérée au Moniteur.


M. Dolez informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister aux séances.

- Pris pour information.

Projet de loi, détaché du projet de budget des voies et moyens, sur les distilleries

Discussion générale

M. le président – L’ordre du jour est la suite de la discussion relative aux distilleries.

M. Duvivier – Et l’élection de M. de Baillet.

Plusieurs membres – La commission est réunie.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, dans la séance d’hier, j’a adressé une interpellation à M. le ministre des finances tendante à connaître s’il entrait dans ses intentions de provoquer des dispositions législatives, tendantes à rectifier la législation sur les sucres et qui soient de nature à ce que l’impôt sur cette matière donne un produit à l’Etat de 4 à 5 millions annuellement et non 600,000 francs, taux établi au budget des voies et moyens pour l’exercice de 1841.

J’ai également adressé la même interpellation sous le rapport du sel ; et sur cette matière je crois que l’impôt devrait être diminué à charge du consommateur, et en même temps qu’il soit pris des mesures telles que la fraude soit restreinte, de telle sorte que l’impôt cesse d’être perçu de plus de moitié par les fraudeurs : en réduisant l’impôt sur le sel de moitié, l’Etat percevrait la même somme et même plus qu’il ne reçoit actuellement, si on parvient à éviter que le fraudeur prenne une part aussi forte sur cet impôt.

M. le ministre m’a répondu d’une manière qui ne m’a nullement satisfait. En quelques sorte, sa réponse équivaut à une fin de non recevoir (c’est ainsi que j’interprète ses paroles) ; je vais vous en convaincre.

Voici ce que m’a répondu M. le ministre :

« L’honorable M. Eloy de Burdinne s’exprime ici comme si le gouvernement ne s’était pas déjà prononcé sur la question des sucres, comme si nous n’avions pas annoncé que nous nous occupions de cet objet. Il est vrai, toutefois, que je ne suis pas encore fixé sur toutes les bases du système à arrêter définitivement.

« C’est à tort donc que l’honorable membre nous reproche de ne rien faire en ce qui concerne la législation des sucres. Je ne décline nullement la probabilité qu’une loi sur cet objet sera présentée à un époque assez rapprochée. »

C’est ainsi que, depuis longtemps, on nous berce de l’espoir de rectifier cette loi. Cependant, avec du bon vouloir, on parvient à rectifier les choses que l’on reconnaît devoir l’être, et surtout dans le moment actuel, où nos finances sont délabrées. C’était bien là le moment où le ministre des finances aurait dû s’occuper de chercher à faire entrer au trésor les impôts établis par le législateur. Au surplus, je ferai remarquer que le ministre des finances a reçu dans le commencement de décembre une pétition des fabricants de sucre de betterave, laquelle a été discutée avec le ministre des finances, quand l’auteur de cette pétition, accompagné de plusieurs industriels de cette catégorie lui ont exposé non seulement la situation dans laquelle se trouvait leur industrie, mais encore combien la législation sur le sucre était nuisible au trésor en laissant perdre une ressource aussi considérable que l’impôt sur cette denrée. En un mot, si mes rapports sont exacts, M. le ministre a dû convenir qu’il était indispensable de présenter un projet de loi qui rectifiât la loi actuellement en vigueur. Voilà du moins ce qui m’a été dit ce matin.

Je vous le demande, si, depuis le commencement de décembre, le ministre avait eu du bon vouloir, n’aurait-il pas présenté un projet à la chambre pour rectifier la loi actuelle, de manière que l’impôt sur le sucre fut perçu par l’Etat ? Par ce moyen, il aurait évité de nous demander de nouveaux impôts.

Dans mon opinion, je viens déclarer que je refuserai mon vote à toute proposition de recettes et de dépenses, jusqu’à ce que le gouvernement nous soumette une législation qui rectifie les abus que j’a signalés ; je le refuserai même au projet de loi sur les distilleries, par le motif que je voudrais voir discuter en même temps la rectification de la législation sur les sucres et sur les sels.

En outre, par le motif que je considère les modifications qui nous sont proposées sur les distilleries comme insuffisantes pour atteindre le résultat désiré, qui est d’obtenir 4 millions au moins d’impôt sur cette matière.

J’ai dit que je refuserai mon vote à tout projet de loi de recette et de dépense jusqu’à ce qu’on ait satisfait à ma réclamation.

Ma conduite sera interprétée sans doute, d’après mes principes et mes convictions, mes convictions étant que nos dépenses exagérées et notre déplorable système de finances, doivent nous conduire à finir par ne plus être à même de nous procurer les ressources nécessaires à régir le pays, et à bien d’autres calamités que je crois prudent de taire, chacun de vous saura les deviner.

Je n’ambitionne pas que, dans 100 ans, on dise que tel monument, tel travail grandiose ont été faits à une époque où je faisais partie de la législature.

Mais ce que j’ambitionne, messieurs, c’est de ne pas figurer sur la liste de ceux qui, par leur vote, pourraient être considérés comme ayant contribué à la ruine de leur pays. A Dieu ne plaise que mes prévisions se réalisent, c’est le cœur navré que j’envisage cette catastrophe. Depuis longtemps j’envisage cet avenir, plusieurs fois j’en ait fait part à la chambre, et toujours j’ai réclamé des ministres passés, ce que je réclame du ministère actuel ; conséquent avec moi-même, j’ai attaqué les faits et non les personnes, et je pourrais recevoir de M. le ministre des finances le même reproche sur ce point, qui a adressé à un de nos collègues, d’être hostile au ministère actuel, comme au ministère précédent sous le rapport des questions financières et des impôts ; à la vérité, MM. les ministres pourraient me dire que, sous le cabinet précédent, je n’ai pas refusé mon vote aux budgets, et que je l’ai fait au budget du ministre de l’intérieur actuel.

Je répondrais à M. le ministre des finances s’il me faisait cette observation, que la patience a ses bornes, que si je n’ai pas refusé précédemment mon vote aux budgets, c’était dans l’espoir qu’on ferait droit à mes réclamations.

Mon espoir a été déçu ; aujourd’hui ma patience est portée à son comble ; je ne vois encore que des espèces de promesse sur lesquelles je ne compte pas. Voilà les motifs qui me font prendre la résolution de refuser mon vote aux diverses propositions de recettes et de dépenses. En un mot, c’est pour parvenir à obtenir le redressement de ce que je considère comme un grief, et c’est à quoi nous parviendrons si la moitié plus un des membres de la chambre partageait mon opinion.

M. Mast de Vries – Si je voyais la possibilité de discuter une loi complète sur les distilleries, certainement la disposition présentée n’obtiendrait pas mon suffrage. Mais une loi sur les distilleries qui satisfasse à la fois aux exigences de la moralité publique, aux intérêts du trésor et aux besoins de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, est une loi extrêmement difficile à faire, qui doit être longuement méditée. Je ne pense pas que dans la situation où nous nous trouvons cette loi puisse être discutée.

L’examen des lois précédentes vient confirmer mon opinion, puisque toutes et même la loi actuellement en vigueur ont eu des résultats contraires à ceux qu’on s’était proposés.

La loi de 1822 ne doit pas être considérée comme une loi purement fiscale ; c’était une loi de préférence qui avait été faite et conçue dans un intérêt purement hollandais, dans l’intérêt des grandes distilleries de Schtedam. On a voulu détruire toutes les distilleries agricoles. Certainement on aurait parfaitement réussi, si de nouveaux procédés de fabrication du genièvre n’étaient venu donner aux petites distilleries la possibilité de lutter avec avantage contre les grandes. Car si vous vous ressouvenez de l’époque de 1830, il est clair que si les petites distilleries avaient pu continuer de travailler comme elles le faisaient, les grandes distilleries auraient dû cesser. C’était tellement évident que le gouvernement était disposé à présenter une nouvelle loi, dans le sens de celle de 1822, pour favoriser les grandes distilleries, parce que les petites menaçaient de détruire le système qu’on avait établi.

Lors des événements de 1830, il n’est pas étonnant que les distilleries belges aient adressé au pouvoir des doléances. Ne se trouvant plus en présence des distilleries hollandaises, elles ont demandé la révision de la loi de 1822, à cause des vexations auxquelles elle les soumettait. De ces doléances est née la loi de 1833, la plus déplorable qui ait été portée sur les distilleries, car elle ne s’est pas bornée à faire cesser les dispositions vexatoires, objet de justes doléances, elle a réduit à 4 centimes le droit qui, sous la loi de 1822, était de 25 à 26 centimes et plus.

Dans quel moment a-t-on fait cette réduction ? Quand les grains étaient à très bon compte. Il en est résulté qu’on a jeté une quantité énorme de genièvre sur le marché et à un prix qui l’a mis à la portée de tout le monde. Cette loi a, par ce fait, donné le coup le plus fatal à la moralité publique. Les statistiques sont là pour démontrer la funeste influence de la loi de 1833. Nous avons entendu les ministres de la justice déclarer que c’était à la grande consommation du genièvre qu’on devait attribuer les crimes et délits nombreux qui se commettaient.

La loi de 1833 n’a pas seulement porté atteinte à la moralité publique, mais encore au trésor public ; car les recettes sont diminuées d’une manière effrayante et cela au moment où nous avons le plus besoin de ressources. La chambre et le gouvernement ont senti cette position, et le gouvernement a proposé une disposition qui porte le droit de 22 centimes à 40, et de plus il proposa d’ajouter des centimes additionnels. Le droit est effectivement de 46 centimes parce que la loi de 1837 a imposé de nouveaux vaisseaux de distillation. Cette disposition a pu être utile pour le trésor, mais pour la moralité elle n’a rien produit. Car l’augmentation sur le litre de genièvre se réduisait à 4 centimes. Cette augmentation ne pouvait avoir aucune influence sur le débit. On l’a senti, et sur la proposition de M. Andries, alors député, une loi fut présentée, la loi de consommation des boissons distillées.

Je veux une nouvelle loi sur les distilleries. Je la veux surtout pour demander l’abrogation de la loi de consommation, parce qu’il est résulté de cette loi que des petits débitants de boissons qui gagnaient leur pain à vendre un ou deux hectolitres de genièvre, sont obligés de payer 25 francs par hectolitre, de donner tout ce qu’ils gagnent, tandis que les grands débitants, au lieu d’en souffrir, en profitent en ce qu’ils débitent ce que débitaient les petits débitants qui ont été obligés de cesser leur commerce.

Je regarde donc la loi sur la consommation des boissons distillées comme la plus mauvaise que nous ayons. Je demande une nouvelle loi qui soit capable de faire entrer au trésor quatre ou cinq millions que devraient rapporter dans un pays comme le nôtre les boissons distillées. Quand je dis 5 millions, je n’exagère pas. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur le statistiques d’un pays voisin. Vous trouverez même que nos prétentions sont bien bornées. D’après les statistiques anglaises, dans ce pays, dont la population est de 24 millions d’habitants, on paie 8 à 9 francs par individu pour consommation de liqueurs alcooliques, ce qui fait de 200 à 210 millions.

En Belgique, au contraire, nous ne payons qu’à raison de 80 centimes par individu. Mais ce qui est plus remarquable encore, c’est qu’en Angleterre, où l’on sent le besoin d’avoir des impôts, on ne paie que 5 francs par tête pour les brasseries, et environ 9 francs pour les boissons distillées. Ici, au contraire, pour les brasseries, nous payons plus d’un franc et demi par tête, et 80 centimes seulement pour les boissons distillées. D’après mon opinion, cet état de choses ne peut pas être maintenu. Ce n’est pas le chiffre du droit qui fait quelques chose et que craignent les distillateurs, c’est l’introduction du genièvre hollandais. Cela regarde la douane. J’ai parlé à des distillateurs qui m’ont dit qu’ils ne reculeraient pas devant un chiffre élevé, si on leur assurait le marché intérieur. C’est certainement ce que nous devons leur donner.

La loi de 1833, modifiée par les dispositions de la loi de 1837, a eu un autre mauvais effet, c’est qu’elle s’écartait, comme la première, du résultat que vous deviez obtenir.

Ce ne sont plus les petites distilleries, ce sont les grandes distilleries à vapeur qui emportent tout.

Quelques-uns des honorables membres pourront peut-être donner des renseignements tels que ceux que j’ai. J’habite un arrondissement qui était connu par la qualité de son genièvre. Eh bien, il n’y a presque plus de genièvreries ; elles ont cessé leur travail. D’où cela provient-il ? de l’établissement des distilleries à vapeur. Les autres distilleries doivent toutes crouler devant des établissements qui fabriquent le genièvre à très bon compte, parce que leurs frais généraux sont très peu élevés. Quand leurs bénéfices seraient minimes, ils seraient encore considérables à raison de l’immense quantité qu’elles fabriquent.

Je voterai la loi comme un pis-aller, si la chambre admet la proposition faite par mon honorable collègue et ami, M. de Nef, pour les distilleries agricoles. Le peut de mots que j’ai dits prouve qu’il s’agit de frapper, non les grands, mais les petits établissements ; c’est l’agriculture que vous frappez par les petits établissements, c’est la morale publique que vous atteignez par les grandes distilleries.

En votant la proposition de la section centrale, telle que le gouvernement l’a admise, je n’entends pas voter quelques autres lois qui nous sont soumises. Je veux parler de l’impôt sur les brasseries et sur le café.

Mais en ne votant pas des lois d’impôt, quand il y a nécessité de procurer des moyens au gouvernement, je crois devoir appeler l’attention du gouvernement sur des impôts qui me semblent pouvoir être établis. Comme je ne veux pas rester dans la vague, je ne proposerai que ce qui se passe dans d’autres pays.

En Angleterre, il y a sur les sociétés d’assurance un impôt qui rapporte pour les seules sociétés d’assurance contre le feu, 18 millions de francs. C’est un impôt sur le timbre. On pourrait soumettre à un impôt les sociétés d’assurance contre l’incendie, et cela avec d’autant plus de raison que les villes seules sont chargées des sinistres, puisqu’ils doivent entretenir les pompiers et les agents qui veillent à la sûreté publique.

Puisque le gouvernement a proposé des majorations sur quelques matières imposables, il me sera permis de faire de même. Je proposerai donc d’augmenter les droits sur les bois étrangers.

Notre situation financière nous a obligés à augmenter la contribution foncière, qui porte sur les bois contre sur le reste. Les bois étrangers sont très peu imposés. On pourra d’autant mieux augmenter ces droits que le bois ne nous vient que de pays où nous n’exportons rien.

Une autre matière sur laquelle les droits pourraient être augmentés ce sont les tuiles. On en sera pas étonné qu’il en vienne beaucoup de la Hollande, si l’on considère qu’elles ne sont frappées que d’un droit de 4 francs 24 centimes, le mille, c’est-à-dire d’un droit de 3 ou 4 p.c. On a peine à concevoir la faible quotité de ce droit comparé à celui de 50 p.c. qui est établi sur les briques.

J’appellerai aussi l’attention du gouvernement sur les foins qui nous viennent de la Hollande. Il est déplorable de voir que ces foins entrent dans le pays en payant un droit insignifiant de 30 p.c. par mille kilogrammes, tandis que les foins qui sont le produit de votre sol sont frappés par l’impôt foncier, d’un droit qui s’élève non pas à 50 p.c. mais à 3 francs et plus par mille kilogrammes. Je dis que cela est déplorable. Maintenant que l’on peut espérer le défrichement de la Campine, la faible quotité de ces droits doit porter un grand préjudice à cette partie du pays.

J’appelle sur ces divers points l’attention de M. le ministre des finances.

M. Dumortier – Nous sommes occupés à discuter une des lois les plus importantes en matière de finances et eu égard à ses rapports avec la moralité publique.

Pour mon compte, lorsque la modification apportée, en 1833, à la législation sur les distilleries a été adoptée, je l’ai vivement combattue. Depuis lors, les faits ont prouvés combien nos prévisions étaient fondées. Je me dois donc à moi-même de présenter à la chambre l’exposé de ces faits pour lui prouver combien peu, sous le rapport financier, la loi a atteint son but, et combien elle a porté atteinte à la moralité publique.

Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler sommairement comment les faits se sont passés. Cet exposé sera utile spécialement aux membres qui ne faisaient pas partie de la chambre en 1833.

Vous savez que la loi de 1822 (loi du royaume des Pays-Bas) sur les distilleries avait établi un système assez vexatoire. Des plaintes s’élevèrent de divers côtés relativement à cette loi ; plusieurs étaient réellement fondées. Dès l’origine de la révolution, comme on voulait redresser tous les griefs et tous les abus du gouvernement précédent, un des premiers soins du gouvernement provisoire fut de mettre, autant qu’il était en lui, un terme aux abus dont on se plaignait. Cependant quelques abus existaient encore ; le congrès national chercha à les faire disparaître sur la proposition d’un distillateur mieux à même que qui que ce fût d’apprécier les faits. Un décret fut proposé par M. Teuwens, distillateur connaissant parfaitement la partie. Ce décret fut adopté par le congrès national. Voilà pour les mesures vexatoires ; voyons maintenant les résultats financiers.

Sous le gouvernement hollandais l’impôt sur les distilleries s’élevait à environ 16 florins par hectolitre ; le genièvre payait donc 32 à 33 francs par hectolitres avec les additionnels. Par suite des réductions apportées par le gouvernement provisoire et par le décret du congrès, l’impôt sur le genièvre se trouvait réduit à 25 francs ; C’était le taux de l’impôt à l’époque où l’on apporta des modifications à la loi. Cet impôt rapportait sous le gouvernement hollandais environ 6,000,000 de francs ; mais le produit en avait considérablement diminué dès les premières années de la révolution où il ne rapportait plus qu’environ 4 millions. Vous en concevrez bien la cause ; dans un Etat nouvellement constitué et lorsque toute l’administration est disloquée, il est impossible d’exercer cette surveillance qui ne peut être que le résultat des mesures successives d’un bon gouvernement ; de sorte qu’alors une grande partie des droits se trouvait fraudée. C’est ce qui avait lieu pour tous les impôts.

Voilà donc le deux points principaux. On avait proposé un remède aux mesures vexatoires. J’appelle l’attention de l’assemblée sur ce point, que c’étaient les distillateurs eux-mêmes qui avaient proposé ce remède. On avait diminué d’un tiers environ le taux de l’impôt.

Mais à l’époque de 1832, c’étaient de toutes parts des réclamations pour que les impôts fussent diminués. Nous étions alors pénétrés d’une pensée qui semble bien loin de nous aujourd’hui, la pensée du gouvernement à bon marché. On voulait alors que la Belgique fût gouvernée aux moindres frais possibles, et qu’elle jouit de la plus grande somme possible de liberté. On a fait depuis lors tout ce qu’il fallait pour arriver au résultat opposé ; car les lois qui ont été votées ont plus ou moins diminué nos libertés et ont augmenté les charges du trésor public. Sous ce double rapport, nous avons fait du chemin. Mais ce fut sous l’impression de ce désir de gouvernement à bon marché, de diminution des impôts, de ce besoin de satisfaire à toutes les réclamations, que fut votée la loi de 1833 sur les distilleries.

D’abord, une commission fut nommée par la chambre pour examiner cette question. Elle vint proposer à la chambre des modifications considérables ; elle présenta un système nouveau ; au lieu d’un droit sur les produits, elle proposa un droit sur la matière macérée, à 18 centimes par hectolitre de matière macérée : ce qui devait faire un droit de 4 francs environ sur le genièvre fabriqué. Cette loi fut adoptée par la chambre et envoyée au sénat qui, trouvant qu’elle consacrait un abus, en ce qu’elle abaissait outre-mesure le droit sur le genièvre, substitua au droit de 18 centimes celui de 25 centimes. La loi fut ainsi retournée à la chambre, qui, par manière de transaction, adopta la loi avec le chiffre de 22 centimes. Voilà dans quels termes la loi fut d’abord votée ; ce fut avec le droit de 22 centimes par hectolitre.

Pour bien comprendre le motif de ce vote, il faut d’abord connaître le but que se proposaient les auteurs du projet de loi.

A cette époque, messieurs, on avait deux choses en vue. Voici quels étaient les principaux arguments des défenseurs de la loi.

Ils voulaient avant tout protéger l’industrie des petites distilleries, que l’on appelle vulgairement distilleries agricoles. Vous le savez, ces distilleries ne pouvaient plus soutenir la concurrence avec les distilleries à vapeur, travaillant à l’aide de l’appareil de Cellier-Blumenthal ; et l’on avait imaginé qu’au moyen du droit sur la matière première, on aurait pu donner vie, existence à ces petites distilleries, raviver celles qui étaient à moitié tombées.

Voilà le grand argument qu’on faisait valoir pour obtenir cette loi. Lorsque nous réclamions contre le bas prix de l’impôt, on disait : Oh ! cette loi est indispensable pour l’agriculture, elle est indispensable pour les petites distilleries qui, sans elle, seront frappées de mort.

Nous disions : mais avec votre système, vous faciliterez inévitablement la fraude ; comme rien n’est plus facile que de frauder sur la matière première, vous arriverez nécessairement à la fraude. On nous répondait : Oui sans doute, on fraudera si vous établissez des droits trop élevés ; mais qu’on ne fraude pas, il faut que les droits ne s’élèvent pas au-dessus de 18 centimes par hectolitre de matière macérée. Remarquez bien cette position ; nous en tirerons tout à l’heure les plus grandes conséquences. On disait : Notre système est bon, quand vous mettez un droit excessivement bas, quand vous désintéressez le distillateur sur les avantages de la fraude ; mais nous avouons que si vous élevez le droit au-delà de 18 centimes, ce droit sera inévitablement fraudé.

Eh bien, messieurs, ce droit qu’on voulait ne porter qu’à 18 centimes, on l’a successivement porté à 30 et à 40 centimes et aujourd’hui, on vous propose de le porter à 60 centimes, et cela avec le même système, avec les mêmes moyens d’exécution qu’on ne voulait admettre avec des droits de 18 centimes.

Un second motif qu’on mettait en avant, c’était l’intérêt du commerce. A en croire les auteurs du projet, nous allions inonder l’Europe du produit de nos distilleries ; nos distilleries allaient verser du genièvre sur l’Europe entière. Et c’était un grand argument qu’on mettait en avant ; on disait : Nous devons avoir un commerce étendu ; établissez les droits comme nous le disons, et vous vendrez à toute l’Europe ; vous allez tuer toutes les distilleries de la Hollande, vous aurez seul le commerce dumonde entier pour le genièvre.

Voilà quelle a été la discussion. Voyons maintenant comment les faits se sont passés.

On voulait favoriser les distilleries agricoles. Eh bien ! messieurs, prenez en main le tableau qui vous a été présenté par M. le ministre des finances, et qui est annexé au rapport de la section centrale. Vous verrez qu’aujourd’hui 411 distilleries ont été tuées par la loi qui nous régit.

Ce n’est pas tout, messieurs ; toutes celles qui existent encore aujourd’hui doivent naturellement succomber ; car il leur est impossible de fabriquer dans un terme aussi court que les distilleries continues. Celles-ci fabriquent en 24 heures, quelquefois en moins de temps, tandis que les autres ont besoin de 36 heures et au-delà. Vous comprenez donc que les distilleries agricoles doivent supporter des droits moitié plus forts que les distilleries continues et qu’elles doivent dès lors succomber. Déjà 411 distilleries sont tombées, et toutes les autres qui figurent dans les différentes colonnes du tableau de M. le ministre des finances, devront nécessairement tomber, parce que les mêmes causes doivent amener les mêmes effets.

Quant à ce qui est de l’exportation, qu’avons-nous exporté ? Nous avons eu, pendant plusieurs années, le droit à raison de 18 francs par hectolitre de matière première ; eh bien ! où sont ces grandes exportations qu’on nous promettait ? Elles se sont trouvées dans l’imaginative des auteurs du projet de loi, mais jamais dans nos tableaux d’exportation. La balance du commerce nous prouve que les bases qui ont servi à la loi ont été faussées, que, par conséquent, la loi a manqué pleinement son but.

Mais si la loi a manqué son but relativement aux distilleries agricoles et aux exportations, quel a été son effet relativement à la morale publique ? Ici, messieurs, on est effrayé quand on y pense. L’année même de la mise à exécution de la loi, la consommation de genièvre a augmenté de moitié, et je puis le démontrer de la manière la plus péremptoire. Alors, messieurs, vous avez vu le peuple belge marcher vers un abrutissement successif. Nous ne saurions trop déplorer cette loi funeste qui a porté une grave atteinte à la morale publique, atteinte qu’il nous est impossible de réparer ; nous pouvons y apporter des palliatifs, mais non la réparer. Il faudra des générations pour détruire les abus scandaleux auxquels cette loi a donné naissance.

Et ce n’est pas, messieurs, une petite cause que je défends. Vous savez tous combien l’effet du genièvre est désastreux sur le corps de l’homme. Un homme des plus instruits de l’Allemagne en physiologie a démontré qu’il n’est pas de liqueur qui mène plus à l’abrutissement que le genièvre ; il démontre que l’homme qui s’adonne au genièvre est impropre à produire des enfants vigoureux. (Hilarité.)

Je sais que cela peut avoir son côté risible ; mais en notre qualité de législateur, nous devons veiller aussi à la santé du peuple ; nous devons écarter tout ce qui peut nuire à sa force physique, si nous voulons qu’il conserve sa force morale.

Et pour couronne l’œuvre, vous voyez presque toujours l’ivrognerie conduire au suicide. C’est ce qui a été démontré d’une manière incontestable. Ainsi on voit par les statistiques qu’à Londres on compte annuellement environ 125 suicides, provenant de l’abus du genièvre.

Eh bien ! messieurs, voilà ce que nous avons fait, voilà le beau travail que nous avons produit. Je vous demande si nous ne devons pas nous reprocher amèrement une faute semblable, et chercher tous les moyens, je ne dirai pas de porter remède au mal, mais de le diminuer autant que possible.

Comment ! si on venait proposer la libre introduction de l’opium en Belgique, y consentiriez-vous ? Eh bien, il s’agit d’une substance plus nuisible que l’opium, d’une substance qui démoralise le peuple, l’amène à une suite de maux, et enfin au suicide. Si vous examinez la vie intérieure du peuple, vous voyez l’ouvrier qui s’adonne au genièvre, laisser manquer sa femme et ses enfants de pain, de chauffage ; il va au cabaret au lieu de nourrir sa famille.

Pour moi, j’appelle, messieurs, de tous mes vœux le moment où nous ferons disparaître un état de choses aussi désastreux pour le pays.

Messieurs, ce que je viens de vous dire est tellement vrai, qu’un de mes honorables collègues m’a dit que dans une de nos principales villes manufacturières, dans laquelle les ouvriers sont habitués à s’adonner au genièvre, le peuple est arrivé à un tel état de faiblesse qu’il lui avait été impossible, bien qu’il manquât d’ouvrage, de se livrer aux travaux de terrassements du chemin de fer ; et des physiologistes ont déclaré que la cause principale de cet affaiblissement provenait de l’abus de spiritueux. Ce fait, je le tiens d’un honorable collègue qui est député de la ville dont je parle.

Voilà des faits graves qui doivent appeler au plus haut point l’attention du législateur.

Messieurs, je viens de vous démontrer que le but n’a pas été atteint par la loi relativement aux distilleries agricoles et que la morale publique en a été gravement affectée. Mais je le demanderai, le but a-t-il été atteint relativement à la fraude ? A-t-on fait cesser la fraude ?

Le tableau de chiffres transmis par M. le ministre des finances en main, il est facile de démontrer que la fraude se fait et qu’en présentant le chiffre qu’il vous soumet au budget, M. le ministre s’attend à la fraude. Voici ces chiffres :

En 1840, on avait calculé que le droit serait de 2,775,000 francs. Le produit de l’année qui vient de finir a été de 2,501,522 francs.

Le droit alors était de 40 centimes. On propose de le porter à 60 centimes ; c’est moitié en sus. Pour obtenir le chiffre à lever cette année, on devrait porter une augmentation de 1,250,761 francs. De manière que, d’après ses bases présentées par le gouvernement, si le droit ne devait pas être fraudé, on arriverait au chiffre de 3,752,283 francs. Voilà ce que le trésor devrait toucher en 1841, par suite de l’augmentation de droit proposée par le gouvernement. Eh bien, pour quel chiffre le gouvernement porte-t-il ses prévisions relativement à l’impôt sur les distilleries ? Il le porte à 3,200,000 francs ; de manière qu’il calcule que 552,000 francs seront fraudés par les distillateurs.

Ainsi, messieurs, la loi n’a pas encore atteint son but sous ce point de vue ; on calcule sur la fraude ; on est obligé de faire des propositions qui sont le résultat de ces calculs. Et ne dites pas que la différence provient de ce qu’on a calculé sur la diminution de fabrication par suite de la différence des droits. Ce n’est pas pour 2 centimes de plus par litre qu’on doit s’attendre à une diminution. Mais c’est parce qu’on fraude, et on fraude parce que votre système est sans contrôle, qu’on peut le violenter. Par suite des perfectionnements de la chimie, on abrège tous les jours le temps de la macération et la fraude devient de plus en plus facile.

Ainsi, en résumé, le but est manqué quant aux distilleries agricoles, déjà quatre cent sont tombées, et les autres tomberont immanquablement.

Le but est manqué quant à la fraude, puisqu’aujourd’hui encore dans les chiffres qu’on présente, on calcule sur une fraude d’un demi-million, c’est-à-dire du sixième du droit.

Le but est manqué quant à la morale publique, car il est incontestable que la morale publique a profondément souffert de la loi en vigueur. Les crimes ont augmenté dans une progression effrayante, et cela, nous le devons en grande partie à cette loi fatale qui pèse encore sur le pays.

Maintenant, messieurs, je veux établir une comparaison entre la loi qui nous régit et celles qui régissent les pays du Nord qui nous avoisinent. En Belgique, d’après les documents qui nous ont été présentés par M. le ministre des finances, le droit actuel est de 8 francs par hectolitre, en Hollande le droit est de 32 à 35 francs par hectolitre, c’est-à-dire qu’il est quatre fois plus élevé que chez nous ; en Angleterre le droit est de plus de 150 francs par hectolitre ; aussi en Angleterre le droit sur les genièvres rapporte des sommes considérables ; dans la seule Angleterre, c’est-à-dire abstraction faite de l’Ecosse et de l’Irlande, dans la seule Angleterre cet impôt rapporte, non pas 63 millions, comme le dit M. le ministre des finances, mais environ 80 millions, au-delà de 3 millions de livres sterling ; pour la Grande-Bretagne tout entière, l’impôt sur les genièvres rapporte de 125 à 130 millions. Eh bien, messieurs, si l’Angleterre, qui a une population de 16 millions d’âmes, perçoit sur les genièvres une somme de 80 millions de francs, la Belgique, qui a 4 millions de population, percevrait de ce chef, 20 millions si le système anglais était en vigueur chez nous.

Remarquez, messieurs, que le chiffre de 80 millions que je viens de citer est le produit net des droits perçus sur les produits des seules distilleries indigènes, et déduction faite des draw-back remboursés du chef des exportations.

Je sais bien que le système anglais ne peut pas précisément être introduit chez nous, mais j’ai cru cependant devoir signaler à la chambre l’immense différence qu’il y a entre les droits perçus sur le genièvre en Angleterre et ceux que nous percevons sur le même article. En Angleterre, on paye pour un litre de genièvre 1 franc 75 centimes de droits, tandis qu’en Belgique on ne paie que 8 centimes. Si nous ne pouvons pas adopter le système anglais, nous pouvons élever le droit d’une manière considérable, sans craindre d’entraver le commerce, car si nous restituons le droit sur les quantités exportées, nous désintéressons complètement le commerce.

En Hollande, comme je l’ai dit tout à l’heure, le droit est de 32 à 35 francs par hectolitre, aussi sous le régime hollandais, ce droit rapportait pour la Belgique 3 millions de florins, c’est-à-dire plus de 6 millions de francs ; les tableaux publiés par le gouvernement hollandais en font foi. Or, depuis lors, la consommation a considérablement augmenté, et il ne serait pas difficile de faire produire aujourd’hui au genièvre 8 millions de francs par an. C’est ce que je démontrerai à l’évidence.

En effet, messieurs, d’après l’exposé des motifs, le droit actuel de 8 francs produit environ 3 millions ; sous l’empire de la loi de 1822 le droit était de 32 à 35 francs, c’est-à-dire 4 fois plus élevé qu’aujourd’hui ; un droit semblable donnerait donc à peu près 12 millions. Mais admettons que le droit soit fixé à 25 francs comme il l’était il y a 7 ans, après la suppression des mesures vexatoires et la réduction votée par le congrès et les chambres dans les premières années qui ont suivi la révolution. Ce droit de 25 francs donnerait aujourd’hui un produit de 9 à 10 millions de francs. Je sais bien qu’il faut tenir compte de la fraude et de la diminution de consommation qui seraient la suite de l’élévation du droit, mais je ferai une part bien large à la fraude et à la diminution de la consommation, en évaluant la réduction qui en résultera dans les recettes à 3 millions de francs, c’est-à-dire au montant total de ce que nous percevons aujourd’hui ; eh bien, messieurs, il restera toujours un produit de 7 millions de francs par an.

Je le demande, messieurs, faut-il établir des doits sur le café, sur la bière et sur tous les objets de première nécessité lorsque vous pouvez augmenter de plus de 4 millions de francs le produit de l’impôt sur les genièvres ? C’est une monstruosité que d’imposer les objets de première nécessité pour épargner la matière la plus imposable qu’il soit possible de trouver, une matière qui est une cause de démoralisation et d’affaiblissement physique pour le peuple, et dont l’usage entraîne tous les vices. Dans l’intérêt du trésor, au nom de la morale publique, je supplie la chambre d’en revenir à l’ancienne législation.

Si la chambre ne se croit pas assez éclairée pour en venir immédiatement à cette mesure, qu’elle déclare au moins d’une manière formelle dès aujourd’hui, qu’avant d’imposer des objets d’une première nécessité, elle entend que le genièvre produise à raison de 25 francs par hectolitre.

De cette manière, messieurs, vous améliorerez considérablement la situation du trésor sans recourir à des impôts vexatoires qui rendraient le gouvernement odieux.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne m’attendais pas, messieurs, à recevoir le reproche de ne pas vouloir augmenter l’impôt sur les distilleries dans le moment même où la chambre s’occupe de la proposition que nous lui avons faite de porter ce droit à la moitié en sus de ce qu’il est aujourd’hui.

La plupart des observations qui ont été faites par l’honorable préopinant au début de son discours tombent non pas sur la proposition du gouvernement, mais sur la loi de 1833 ; certainement cette loi a eu le résultat que vient de signaler l’honorable membre, d’augmenter d’une manière démesurée la consommation du genièvre et de nuire par conséquent à la morale publique ; mais bientôt après on a cherché à porter remède à ce mal ; une loi est intervenue en 1837 qui a établi l’accise à un taux beaucoup plus élevé ; on pensait alors que le droit de 40 centimes était le maximum qu’on pût atteindre avec le système en vigueur.

Aujourd’hui l’expérience a prouvé que nous pouvons aller plus loin sans avoir recours aux mesures vexatoires et odieuses dont on se plaignait avant la révolution. Nous pensons que le droit peut sans inconvénient être porté à 60 centimes ; si, contrairement à nos prévisions, il n’en était pas ainsi, s’il est constaté qu’il y a une plus grande accélération dans la fermentation des matières qui doivent être distillées, eh bien, on pourrait porter remède à cet état de choses en introduisant dans la loi certaines modifications quant au temps de la macération.

Messieurs, l’honorable M. Dumortier s’est trompé lorsqu’il a allégué que le gouvernement compte sur une fraude considérable et que cela résulte des chiffres présentés dans le budget.

Il n’en est pas ainsi, messieurs ; les chiffres dont il s'agit ont été suffisamment expliqués dans l’exposé des motifs. Pourquoi le produit du droit pour 1841 n’es-il pas évalué à un chiffre s’élevant à une fois et demi le produit actuel ? Nous l’avons dit, c’est parce que l’accise sur les distilleries se paie par termes de crédits, de trois en trois mois, et que, par conséquent, l’influence de la loi que nous discutons en ce moment ne s’exercera pas sur toute l’année, mais que le droit se percevra pendant environ six mois encore sur le pied de 1840. Il me semble que cela explique suffisamment pourquoi le gouvernement n’a pas porté le produit de l’impôt pour ½ en sus du chiffre de l’année dernière. On ne doit donc pas conclure du produit présumé pour 1841 que le gouvernement s’attend à ce qu’il y ait une fraude considérable.

L’honorable membre a prétendu qu’en remettant en vigueur la loi de 1822, tout en écartant les dispositions odieuses dont le gouvernement provisoire et le congrès avaient fait justice, nous obtiendrons des produits beaucoup plus considérables que ceux que nous pouvons attendre de la loi actuelle. Je l’ai déjà dit, messieurs, en 1832, lorsque la loi de 1822 était en vigueur, le produit de l’impôt sur les distilleries a été de 4,155,000 francs ; en retranchant de ce produit le montant probable des droits perçus sur la consommation des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, vous n’avez en définitive, que 3,800,000 francs. Or, d’après nos prévisions, le droit produira, par suite de modifications proposées, une somme de 3,700,000 francs pour l’exercice 1842 ; il n’en est pas de même pour 1841, par le motif que je viens d’exposer à la chambre.

Il n’y aura donc qu’une différence de 100,000 francs, et certes nous consentirons volontiers à percevoir 100,000 francs de moins lorsque nous faisons attention aux nombreuses réclamations que soulèverait le retour à l’ancien système, système qui est repoussé par tous les distillateurs parce que, avec la meilleure volonté, il leur serait souvent impossible de se soustraire à des procès-verbaux de contravention.

Messieurs, si nous calculions la consommation d’après la production qui a eu lieu sous le régime d’un système d’impôt très modéré, nous arriverions en effet, comme l’honorable M. Dumortier, à trouver un produit énorme, mais ce serait commettre la plus grande erreur ; un droit élevé doit nécessairement restreindre la consommation, et amener la fraude des eaux-de-vie étrangères ; dès lors on doit s’attendre à n’obtenir qu’un produit égal à celui de 1832, et que nous nous promettons avec fondement de la loi actuelle.

Messieurs, l’honorable préopinant a prétendu aussi que 411 distilleries agricoles avait cessé, par suite de la loi actuelle. Ce fait est inexact. En 1832, sous l’empire de l’ancienne législation, 762 distilleries agricoles étaient en activité, aujourd’hui il y en a 766.

Quant aux distilleries en non-activité, il s’en faut qu’elles soient toutes agricoles. Parmi les 766 distilleries qui sont aujourd’hui en activité, on compte 433 distilleries agricoles et 333 distilleries non agricoles, c’est-à-dire que la loi ne considère pas comme telles.

Je bornerai là mes observations pour le moment, me réservant de m’expliquer, en ce qui concerne les distilleries agricoles, lorsque viendra la discussion de l’amendement de l’honorable M. de Nef.

M. Rodenbach – Messieurs, je commencerai par dire que toutes les distilleries des grandes villes, comme celles des campagnes font du résidu ; le résidu sert à engraisser le bétail et le bétail engraisse la terre. Ainsi, il n’y a pas de distinction à faire entre les distilleries, elles sont toutes agricoles.

Messieurs, l’honorable M. Dumortier vous a fait connaître le chiffre de l’impôt que produisent les spiritueux en Angleterre et dans d’autres pays. Je conviens avec lui que l’impôt en Angleterre est énorme, il est plus considérable que le chiffre avancé par l’honorable membre ; car suivant une déclaration de M. Haney, membre de la chambre des communes, le droit serait de 8,250,000 livres sterling (206 millions de francs) ; dans un espace de temps assez court, la consommation des spiritueux se serait élevée de 9 millions de gallons à 29 millions (le gallon vaut à peu près 4 ¾ de litre.)

Eh bien, malgré l’énorme élévation de ce droit, qui est de 157 francs par hectolitre, la consommation des spiritueux n’est nullement diminuée en Angleterre. L’usage des boissons distillées est dans les mœurs du pays ; l’ouvrier anglais boit et boira toujours des spiritueux.

On dit que la force et l’habilité de l’ouvrier belge se ressentent de l’abus qu’il ferait de la boisson du genièvre. Je ne pense pas que cela soit exact, et pour preuve, je n’ai qu’à citer nos chemins de fer dont les étrangers viennent admirer la bonne exécution. Un usage immodéré de cette boisson doit nuire sans doute ; mais la quantité qu’en boit l’ouvrier anglais, empêche-t-elle qu’il ne soit l’ouvrier le plus habile de l’Europe ? Et une preuve de son habilité, c’est que personne ne peut soutenir la concurrence avec les Anglais.

Je ne prétends certainement pas qu’il faille encourager l’usage des boissons spiritueuses. Néanmoins je dirai qu’il faut rester ici dans le vrai, et que l’honorable membre auquel je réponds est tombé dans l’exagération.

Je le répète, l’usage de cette boisson est une besoin pour certains climats. En Italie, il ne se fait pas une grande consommation de genièvre, parce que les besoins physiques ne sont pas aussi exigeants dans les pays méridionaux que dans les contrées situées vers le Nord. C’est aussi pour ce motif que dans ces dernières contrées, on consomme plus de viande que dans les pays du Midi. Voilà encore pourquoi on consomme peu d’eau-de-vie en France, et surtout dans le midi de la France, quoique les eaux-de-vie y soient très bon marché.

Je ne suis nullement intéressé dans cette question, je le déclare sur l’honneur, mais je dis que si vous augmentez considérablement l’impôt sur les spiritueux, vous n’en retirerez pas un grand avantage. Si vous étiez dans la même position topographique que l’Angleterre, où il est impossible d’introduire frauduleusement des boissons distillées, vous pourriez alors élever votre droit jusqu’à concurrence du droit anglais de 137 francs par hectolitre pour faire face aux besoins du trésor ; mais vous ne le pouvez pas ; vous êtes entourés de toutes parts de nations qui font tout au monde pour détruire notre commerce. Croyez-vous, par exemple, que les Hollandais, sur une frontière de 40 lieues, ne peuvent pas introduire frauduleusement du genièvre en Belgique. J’en appelle à tous les membres qui résident sur la frontière de Prusse ; ils vous diront que du moment où vous augmenterez d’une manière exorbitante le droit, les Prussiens introduiront en fraude leurs spiritueux en Belgique.

Si vous exagérez le droit, l’ouvrier belge n’en boira pas moins de genièvre, mais ce serait des spiritueux étrangers qu’il consommera. Vous anéantiriez une industrie intéressante, puisque, d’après la déclaration de M. le ministre des finances, il y a dans le pays 762 distilleries.

Quoi qu’il en soit, j’adopterai le principe de la loi, mais je le répète, gardons-nous d’écraser cette industrie. Depuis 1833, une nouvelle industrie s’est formée, la fabrication des esprits ; nous avons presque cessé d’être tributaires de France pour cet article. Nos usines font usage des esprits 3 six, fabriqués dans le pays avec la betterave, avec la fécule de pommes de terre et avec le seigle. Eh bien, vous n’avez qu’à majorer les droits outre mesure, et cette nouvelle industrie sera détruite.

Je pourrais étendre mes observations, mais je me réserve de prendre la parole dans la discussion des articles.

M. Doignon – Messieurs, dans la séance d’hier, je me suis plaint que le gouvernement n’eût pas agi de manière à pouvoir voter la loi avant le 1er janvier. On m’a répondu par des attaques assez violentes qui tendraient même à faire suspecter mes intentions. Je tiens à faire voir à la chambre toute ma bonne foi dans cette question.

On m’a demandé hier pourquoi je n’avais pas moi-même provoqué la mise en discussion de la loi avant le 1er janvier, puisque j’étais de cette opinion ; eh bien, messieurs, je vais vous l’apprendre.

Je me suis tu hier parce que je me suis fait une règle de ne pas parler à la tribune de mes entretiens particuliers avec les ministres ; mais, réflexion faite, je ne vois aucun inconvénient à rompre le silence.

La chambre saura qu’en décembre dernier, j’ai fait ce qui était en moi pour amener la discussion et le vote de la loi.

En premier lieu, j’ai abordé différentes fois M. le ministre des finances, au mois de décembre, pour lui communiquer mes observations, pour lui représenter que l’impôt sur les distilleries devait être rangé dans une catégorie toute particulière, qu’une fois les mois de janvier et février passés, le trésor public perdrait considérablement, que ce serait là une perte irréparable.

Ce n’est pas tout : à l’occasion de la loi transitoire des voies et moyens, j’avais préparé un article destiné à être inséré dans cette loi et qui était ainsi conçu :

« En attendant la révision de la loi sur les distilleries, à partir du 1er janvier prochain, la quotité de l’accise sera fixée… »

Cet article est le même que celui dont j’ai donné lecture hier. Eh bien, j’en ai donné alors une communication officieuse à M. le ministre des finances, je me suis même placé à côté de lui sur son banc, pour lui réitérer mes observations et insister afin que l’impôt fût décrété avant le 1er janvier.

Voilà, messieurs, quelle a été ma conduite dans cette circonstance. Je vous demande où est là l’esprit de dénigrement, où est l’opposition systématique qu’on m’a attribuée hier dans la discussion.

J’ai pris la parole, uniquement pour faire voir à la chambre la bonne foi qui m’a dirigé, et pour repousser les insinuations que M. le ministre des affaires étrangères s’est permises hier contre moi.

J’ajouterai encore un mot.

M. le ministre des affaires étrangères affecte de répéter, chaque fois qu’il me répond, que je fais de l’opposition sous les divers ministères. Je dirai à M. le ministre que je suis étonné qu’il n’adresse pas ce reproche à la députation de Tournay qui, depuis 1830, n’a fait pour ainsi dire que de l’opposition. Si nous faisons de l’opposition, c’est apparemment que nous trouvons qu’il y a matière à en faire ; c’est que le sentiment de notre devoir nous y porte.

Et ne croyez pas, messieurs, que nous fassions de l’opposition pour le plaisir d’en faire ; car il est pénible, extrêmement pénible d’engager les luttes que nous avons à soutenir. Peut-il être agréable de faire de l’opposition, alors que, vous le savez, tous les jours, nous sommes nous-mêmes exposés aux froideurs, aux dédains, aux mauvais procédés du ministérialisme. Je le répète, il faut avoir du courage pour persister dans la voie que nous avons suivie jusqu’ici.

Du reste, le pays nous a jugés. Nous avons reçu de nos commettants plusieurs gages de confiance, et voilà notre réponse à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Van Cutsem – Messieurs, j’ai lu attentivement le projet de loi qui nous est soumis par M. le ministre des finances, et je doit vous dire qu’il a mon approbation, parce que, s’il augmente les droits sur la distillation et sur la consommation intérieures, il ordonne la restitution de l’intégralité des droits sur tous les genièvres exportées, et même quelque chose de plus, ce qui équivaut à une sorte de prime d’exportation, qui fera que la consommation ne sera plus réduite au seul marché intérieur ; je donnerai mon assentiment au projet de loi qui nous est soumis parc qu’il n’est que la continuation de la loi de 1833, et que cette loi est bonne, simple, exempte de tout moyen vexatoire en matière fiscale, et que le projet de loi ne tend qu’à augmenter les ressources de l’Etat et à diminuer l’abus que la classe ouvrière fait du genièvre ; je donnerai encore mon vote au projet de loi en discussion, parce que j’ai la conviction que la législation de 1833 est favorablement aussi bien aux petites qu’aux grandes distilleries ; en effet les petits distillateurs peuvent avec cette loi travailler en famille et presque sans frais, tandis que la mise en activité des grandes distilleries demande des capitaux immenses, ce qui établit nécessairement l’équilibre entre les petits et grands bénéfices qui sont d’un côté perçus par les grands distillateurs et de l’autre par les petits.

Si la loi qu’on nous propose est bonne, on ne peut cependant se dissimuler qu’elle ne donnera pas au trésor une augmentation de produits équivalente au montant des droits, parce que cette augmentation de taxe fera nécessairement diminuer la consommation du genièvre, par le motif que le prix en sera plus cher ; toutefois, je pense qu’après cette diminution, il y aura encore excédant sur les produits perçus, comparés à ceux que donne cet impôt aux taux d’aujourd’hui ; ce que j’allègue est à l’abri de toutes contestation et prouve que le gouvernement bénéficiera au préjudice du distillateur, à moins que la loi ne lui donne, comme elle le fait, un nouveau moyen de fabrication en lui restituant l’intégralité des droits sur tout ce qu’il exporte ; en favorisant l’exportation comme le gouvernement nous le propose, le trésor et le distillateur y trouveront leur compte.

La proposition de prime en faveur de l’exportation du genièvre n’est pas nouvelle ; la section centrale ni le gouvernement ne l’ont prise dans la législation hollandaise, qui accorde non seulement la restitution intégrale des droits payés en Hollande, mais qui donne encore une prime de sortie de 2 florins 50 cents des Pays-Bas par 100 litres ; avec cette restitution de droits et cette prime, les genièvres hollandais, qui coûtent plus que les nôtres, sont exportés par nos négociants comme marchandises d’encombrement, et donnent parfois de beaux bénéfices à nos armateurs ; je prouve que notre genièvre peut se vendre à plus bas prix qu’en Hollande, par cela seul qu’il s’infiltre dans ce pays, et n’y est bu que parce qu’il est moins cher que le genièvre hollandais consommé à l’intérieur sans restitution de droits et sans remise de prime d’exportation. Nous pourrons avec cette protection exporter nos genièvres qui sont aussi bons dans certaines localités, par exemple à Anvers et à Lembeek, qu’en Hollande ; avec un peu de bonne volonté et en rectifiant davantage le genièvre, on obtiendrait la même quantité qu’à Anvers et Lembeek.

Nous n’avons pas seulement, depuis 1830, perdu nos exportations de genièvre, mais nous avons encore cessé d’avoir cette immense consommation que nos navires marchands alors en grand nombre en faisaient, par suite de la restitution du droit de fabrication ; aujourd’hui ce sont les Hollandais qui prennent cet approvisionnement, et vous n’aurez pas de peine à le concevoir, quand vous saurez que le genièvre de Hollande à 9 5/10 degrés se livre, rendu franco à Anvers, au prix d’environ dix florins des Pays-Bas l’hectolitre. Quel est le distillateur de notre pays qui puisse livrer aujourd’hui à ce taux dans la plus mauvaise saison de l’année pour la fabrication, et lorsque le prix des céréales est si élevé ?

N’est-il pas malheureux que des usines qui coûtent autant que les nôtres se voient lésées par suite d’une législation adroite de nos voisins, lorsqu’en prenant des dispositions législatives semblables aux leurs, nous pourrions conserver la supériorité que nous avons sur la fabrication hollandaise par le bas prix de la nôtre ? Avant que nos différents avec la Hollande fussent terminés par une solution pacifique, nous avons été dans le cas de faire d’assez fortes exportations pour la Havane et pour le Brésil, où nos genièvres étaient tellement voulus que des armateurs d’Anvers les y ont vendus à dix pour cent de plus que les genièvres hollandais. L’impôt sur le genièvre ne peut donc être augmenté que sous la condition que le gouvernement y met, et cette augmentation ne doit pas être plus élevée que celle qui vous est proposée par M. le ministre des finances, parce qu’on ne doit pas perdre de vue qu’outre les soixante centimes à percevoir par hectolitre de capacité brute des vaisseaux, le produit de la patente, qui s’élève à près d’un million, pèse encore indirectement sur la boisson ; si l’on augmentait trop l’impôt, on froisserait des intérêts et on nuirait à l’agriculture et à la fabrication.

Majorons donc, messieurs, la restitution des droits sur l’exportation des genièvres, sauf à prendre un impôt plus fort sur la consommation intérieure ; de cette manière, en diminuant la grande consommation du genièvre nuisible à la classe du peuple, nous augmenterons, au profit du commerce, l’exportation de ce spiritueux, dont on ne peut pas plus se passer aux colonies que de beurre en Belgique, et nous maintiendrons ainsi les établissements créés dans notre pays, sous l’empire de la législation actuelle, dans le même degré d’exploitation qu’ils ont atteint aujourd’hui.

Si, à ces moyens d’exportation par mer, nous pouvions ajouter un nouveau débouché par terre en traitant avec la France pour qu’elle reçoive chez elle nos genièvres, qui n’y pénètrent aujourd’hui qu’en très petite quantité, nous rendrions encore un immense service à nos distilleries.

M. le président – La parole est à M. Hye-Hoys.

M. Hye-Hoys – J’avais demandé la parole avant la discussion pour prier M. le ministre des finances de nous dire s’il est à même de donner les explications qui ont été demandées.

M. le président – Ces explications sont parvenues au bureau, un de MM. les secrétaires va en donner lecture :

M. Lejeune, secrétaire :

« Bruxelles, le 30 janvier 1841.

« A Monsieur le président de la chambre des représentants.

« M. le président,

« Par apostille du 4 décembre dernier, il a plu à la chambre de me demander des explications sur les pétitions que des distillateurs de Gand et d’Ypres lui ont adressées dans le but de faire introduire dans la loi sur les distilleries une disposition qui les autorise à déclarer leurs travaux par séries de quinze jours ouvrables.

« Malgré les inconvénients qu’une disposition semblable offrirait, par rapport à la surveillance, puisque les employés devraient nécessairement visiter spécialement les usines pendant les jours de stagnation des travaux, je ne m’opposerais pas à ce qu’elle fût insérée dans la loi ; mais je dois le dire, il est fort probable que les distillateurs ne feraient aucun usage de la faculté qui leur serait accordée, à cause de la perte qu’ils en éprouveraient. En effet, les jours fériés ne pourraient être exemptés de l’impôt, qu’à la condition que les cuves à macération seront vides ; car, dans le système de la loi, c’est le travail de fermentation qui donne principalement lieu à la redevabilité du droit, puisque c’est ce travail qui est la base de la distillation. S’écarter de ce principe, c’est anéantir le système en vigueur qui ne contrôle pas les macérations par les bouillées. En l’absence de ce contrôle, il faut que l’existence des matières dans les cuves donne lieu à la recevabilité des droits.

« D’ailleurs, les inconvénients que, sous ce rapport, la loi actuelle présente, sont moins grands qu’on l’a prétendu.

« Il ne résulte pas de la loi actuelle qu’il y ait obligation pour le distillateur de travailler durant les 24 heures des jours de dimanche. Dans la plupart des distilleries les travaux sont combinés de manière à ce que, pendant la plus grande partie de ce jour, il ne se fait aucun travail de macération ou de distillation. Dans les petites distilleries ces travaux manuels sont interrompus pendant la nuit du samedi au dimanche, et repris pendant la nuit du dimanche au lundi ; dans quelques usines établies sur une grande échelle, ces travaux sont interrompus pendant ces mêmes jours, mais sereinement depuis le matin jusqu’au soir.

Afin de compenser les légères pertes que ces interruptions momentanées leur font éprouver, les distillateurs, en général, ont soin de préparer les dernières macérations de la journée du samedi avec une plus forte quantité de farine que celles préparées pendant les quatre jours. Ainsi, dans ces dernières macérations, il est employé une quantité de farine ne nécessitant que 24 heures de fermentation, mais elle produisent moins d’alcool, comparativement à la capacité imposée, que les macérations du samedi soit, dans lesquelles il est employé une quantité de farine nécessitant 36 heures ou plus de fermentation.

« Tout en reconnaissant l’insuffisance de ces moyens pour compenser ces légères pertes, quant aux grandes distilleries qui chôment une partie de la journée du dimanche, je pense cependant que les pétitionnaires préfèrent s’y soumettre que de subir les inconvénients qu’entraînerait pour eux la seule disposition à laquelle je pourrais consentir, et qui consisterait à permettre que l’on fît déclaration pour une série de moins de 15 jours, mais avec redevabilité des droits pour chacun des jours compris dans la déclaration.

« Agréez, M. le président, l’assurance de la haute considération.

« Le ministre des finances, Mercier. »

M. Hye-Hoys – Je pense qu’il est impossible de saisir à une simple lecture la portée de ces explications. J’en demanderai l’impression au Moniteur.

- Adopté.

M. Desmet – Je me proposais aussi de demander l’impression des explications qui viennent d’être lues et que je trouve très claires. Cependant je crois devoir répondre dès à présent à quelques points. Quand on vous a dit qu’il y a quelques distillateurs qui peuvent observer le dimanche sans travailler, on dit vrai ; car celui qui travaille pour l’exportation qui a besoin de 36 ou 40 heures de fermentation peut en travaillant tard le samedi et en commençant de bonne heure le lundi chômer le dimanche. Ce ne sont pas ceux-là qui réclament, ce sont les petits distillateurs de campagne qui fabriquent des liqueurs pour l’intérieur, liqueurs qui n’ont pas besoin d’être ni si fines ni si blanches que celles qui doivent passer la ligne.

De la part de ceux-ci la réclamation est tellement générale que, pour concilier l’intérêt de l’industrie et le respect que vous devez à notre religion, vous devez la prendre en considération.

Je prie M. le ministre des finances de tâcher de formuler un petit article qui remplisse ce double objet. Je sens qu’il en résultera des difficultés pour l’exercice. Malgré cela, je pense qu’il faut faire droit à la réclamation.

La dissidence qui existe entre M. Dumortier et les partisans de la loi actuelle ne date pas d’aujourd’hui, je n’entrerai pas dans de grands détails pour lui répondre, je ne pourrais que répéter ce qui a déjà été dit ; mais je donnerai communication à la chambre d’un jugement non suspect porté sur cette question. Comme beaucoup d’autres, elle a été l’objet de l’examen de la commission d’enquête parlementaire et de ses interrogatoires, tant à Hasselt que dans d’autres endroits. Je ne rapporterai pas l’interrogatoire de Hasselt, parce que là tous étaient intéressés dans la question ; mais je crois fort utile de donner communication de réponses qui doivent être considérées comme très impartiale. Voici comment se sont énoncés différents membres de la chambre de commerce d’Anvers, interrogé par la commission d’enquête.

Voici ce qu’a dit le premier qui a été interrogé sur cette question, qui est un M. Hanegraff :

« Dans mon opinion, la législation existante sur les distilleries est bonne, simple, exempte de tout moyen vexatoire en matière fiscale, très favorable à l’agriculture, en un mot, ne laissant rien à désirer, si ce n’est sous le rapport de l’exportation ou du draw-back, qui, à la vérité, rembourse le droit acquitté, mais ne donne aucune protection.

« La preuve en est que journellement il nous arrive du genièvre de la Hollande, destiné en quelque sorte exclusivement à la réexportation même à tel point, que les provisions de bord n’en sont pas exemptes ; la cause provient non seulement de la restitution intégrale de droits payés en Hollande, mais d’une prime accordée à la sortie de 2 florins 50 c. des Pays-Bas pour 100 litres ; or, cette même protection nous est nécessaire en cas d’exportation, mais je crains qu’elle soit inefficace, par suite de la législation existante sur les graines, nos voisins ayant libre entrée des graines étrangères si favorables à la fabrication (ou l’entrée à un droit très modéré), tandis que ce même seigle importé en Belgique paie de 80 à 90 cents des Pays-Bas par hectolitre. Tout le monde a été frappé de la disproportion qui existe sous la législation actuelle entre le maximum pour la libre entré du froment et du seigle ; en effet, n’est-il pas étonnant de voir que la libre entrée du seigle ne peut avoir lieu que lorsque le prix moyen est de 15 francs pour toute la Belgique, tandis que la libre entrée du froment est permise à 20 francs ? On sait cependant que la proportion entre le prix du froment et du seigle est généralement de 12 à 7. Et d’après cette proportion la libre entrée du seigle devrait avoir lieu lorsque le prix moyen est de 12 francs.

« Le genièvre de Hollande à 9 5/10 degrés se livre, rendu franco à Anvers, au prix d’environ de 10 florins des Pays-Bas par hectolitre ; quel est le distillateur de notre pays qui puisse livrer aujourd’hui à ce taux, dans la plus mauvaise saison de l’année, pour la fabrication et lorsque les prix du grain sont si exorbitamment élevés ? Et n’est-il pas déplorable que des usines à grand appareil, montées à des frais aussi considérables que les nôtres, se voient lésées par suite d’une législation très adroite de la part de nos voisins. En 1836 et 1837, lorsqu’aucune importation en genièvre ne se faisait de la Hollande, par suite de la commotion politique, nous avons été dans le cas de faire d’assez fortes exportations à la Havane, où nos genièvres étaient assez voulus ; au besoin je pourrais même vous montrer une lettre très flatteuse pour la qualité d’un de ces envois, où il est dit, à propos de forts arrivages qui y avaient lieu, que c’était à la bonne qualité de ces genièvres que l’on devait la vente ; et comme j’ai vu avec satisfaction dans le cours de l’enquête que c’était à la Havane que nos relations ont pris de l’extension, j’ai l’espoir fondé qu’au moyen de cette même prime, on parviendrait à améliorer la situation des distilleries lus ou moins souffrantes en certaines saisons, par suite du trop plein. »

Voici commet s’est exprimé M. Catteaux-Wattel, président de la chambre de commerce :

« La seule chose que je voulais dire, c’est qu’il faut mettre le genièvre de production indigène en état d’être exporté avec avantage, car les expéditions de genièvre que la Belgique fait aujourd’hui se composent de genièvre hollandais. C’est la conséquence de la prime d’exportation accordé en Hollande, qui permet aux Hollandais de vendre ici leur genièvre en entrepôt au même prix auquel nos distillateurs peuvent l’offrir.

« Le genièvre est une matière d’encombrement pour les navires, et c’est précisément cette catégorie de marchandise qui nous manque dans le pays. Il y aurait donc lieu de majorer la restitution des droits, sauf à augmenter l’impôt de consommation et à mieux combiner cet impôt avec le développement à donner à cette industrie, de cette manière, on diminuerait la grande consommation du genièvre nuisible à la classe du peuple, et, d’un autre côté, l’on augmenterait au profit du commerce l’exportation de ce spiritueux si l’on maintiendrait les établissements créés en Belgique sous l’empire de la législation actuelle dans le même degré d’exploitation qu’ils ont atteint aujourd’hui. »

Un autre membre de la chambre de commerce et grand négociant, qui est M. Elsen, a donné la réponse suivante : « Le genièvre me permet de confirmer ce que M. Hanegraeff a dit. J’exporte souvent le genièvre en assez fortes quantités, et partout où je l’envoie, au Brésil, à la Havane, j’ai toujours eu de bons renseignements sur la qualité de nos genièvres à même de concourir avec les genièvres hollandais. M. Key qui fait les mêmes expéditions m’a dit à l’instant qu’à bord du même navire par lequel il expédiait du genièvre reçu de la Hollande en transit, il avait exporté du genièvre provenant des distilleries d’Anvers, et que le genièvre d’Anvers a été vendu 10 p.c. plus cher que le genièvre hollandais. »

Messieurs, vous voyez donc que la loi n’est pas jugée comme on le prétend, et tout le pays la juge ainsi.

Le député de Tournay a beaucoup critiqué la loi actuelle et il a, en retour, fait un éloge extraordinaire de la loi hollandaise de 1822 ; il voudrait même en faire le cadeau au pays, il est à espérer que son désir n’aura pas d’écho, mais comme il n’a pas fait la proposition de revenir à cette charmante loi, il n’est pas nécessaire de m’étendre sur les vices de cette loi. Je dirai seulement que depuis 1833, une nouvelle fabrication, celle de la rectification des esprits, a été introduite en Belgique. Aujourd’hui vous n’êtes plus tributaires de la France. Il n’y a plus une pipe d’eau-de-vie de Montpellier qui entre dans le pays. La rectification consomme au-delà de 4 millions d’hectolitres par an. 16 établissements de ce genre ont été érigés depuis la loi de 1833.

C’est une fabrication qu’on voudrait détruire ; c’est ainsi qu’on agit en Belgique : on veut détruire l’une après l’autre nos industries et travailler toujours dans l’intérêt de l’étranger, c’est vraiment déplorable que nous soignons si peu les intérêts de notre pays !

Tout à l’heure on a parlé de l’avantage que les petites distilleries trouveraient dans la loi de 1822. je crois qu’on n’a pas bien considéré cette loi. En effet, n’a-t-on pas dit que les moyens avaient changé, qu’avec les nouveaux procédés de distillation on pouvait faire en 4 heures ce qu’on faisait autrefois en 36. Je crois qu’ici on fait preuve qu’on ne comprend pas bien la loi qu’on veut critiquer, car c’est par la législation actuelle que ce privilège ne peut donner un avantage aux grandes distilleries sur les petites, puisque le droit y est uniquement établi sur les matières macérées et le temps de la fermentation.

Quand on demande le retour à la loi de 1822, on en parle sans la connaître. Elle se compose de 70 articles compliqués et difficiles à entendre, comme l’a prouvé M. Duvivier. A toutes les heures de la journée on pourrait faire des procès-verbaux à charge d’innocents.

Quant à la loi sur la consommation, je l’ai toujours envisagée comme très morale. C’est le seul moyen de porter remède à l’abus des liqueurs fortes, parce qu’elle atteint la consommation aussi bien des produits étrangers que des produits indigènes. Si vous frappez la fabrication, la consommation des produits étrangers vous échappe, c’est par cette loi de double patente qu’on trouvera le meilleur moyen de diminuer l’abus des boissons, des spiritueux et faire diminuer le grand nombre des petits cabarets, lieux où ont lieu les plus grand excès ; et si on réclame contre cette loi salutaire, ce ne peuvent être que les distillateurs ou les brasseurs qui ont peur que le nombre des cabarets diminuerait trop.

Je suis d’accord avec M. Dumortier sur ce point qu’il ne fait pas frapper les matières premières. Mais il ne faut pas frapper d’accises la fabrication intérieure, et ainsi détruire, comme je viens de le dire, détruire nos fabriques ! Nous avons cru, quand on a voté l’augmentation sur le foncier, qu’on aurait voté tous les budgets de dépenses pour connaître les besoins du pays et le taux auquel devaient être portées les recettes. Le budget de la guerre et celui des travaux publics sont assez considérables pour qu’on puisse espérer d’y opérer une réduction de quelques millions dont on aurait pu diminuer le chiffre du budget des recettes. Mais aujourd’hui nous ne discutons que par pièce et par morceau. Tantôt un morceau du budget des recettes, tantôt un morceau du budget des dépenses. Vraiment nos discussions de budgets sont étranges cette année.

Plusieurs sections et surtout la mienne ont insisté pour qu’on frappât de droits les objets qui peuvent l’être sans nuire à l’industrie indigène, et surtout ceux qui lui font concurrence. Elle a surtout insisté, parce qu’elle sait que quand les budgets seront votés, la session sera terminée, et on n’aura rien fait pour notre industrie et notre commerce ; sinon, peut-être, un deuxième budget des dépenses dans la loi sur les pensions, et voilà tout ce qu’on aura fait pour le pays qui pourtant est dans une grande misère.

Dans les pays voisins, on n’agit pas ainsi. Vous venez de voir en Hollande le roi qui vient de monter sur le trône modifier le tarif de douane ; quoique la Hollande soit un pays essentiellement commercial le nouveau tarif protège l’industrie nationale à tel point que nos toiles, par exemple sont maintenant imposées de 8 p.c. de plus qu’avant ; les étoffes de coton, les impressions et tous les tissus, sont imposés du triple et du quadruple. De même sur les objets dont nous avons besoin, il a augmenté le droit à la sortie, les cendres, par exemple. Il y a plus, le résidu des distilleries est prohibé, parce que dans les Flandres nos cultivateurs allaient en Hollande chercher ces résidus pour engraisser leur bétail.

Dans ce pays, qui est un pays commercial, on soigne bien les intérêts de l’industrie et de l’agriculture. Chez nous, malheureusement, cela ne se fait pas, il n’y a aucune protection à obtenir, on laisse tout envahir par l’étranger ; aussi la misère est à son comble.

Cependant, quand on veut augmenter les dépenses et les recettes, il ne faut pas laisser diminuer les moyens de produire. Car dans un pays où il n’y a plus de protection pour le commerce et l’industrie, il est impossible de payer des contributions qui augmentent tous les ans, car pour payer il faut gagner et quand on nous ôte successivement tous les moyens de travail et de production, comment pourrait-on gagner ?

Je dois revenir sur ce qui concerne les eaux intérieures de la Hollande. Notre navigation sur le canal de Terneuzen et les autres eaux dans l’intérieur de la Hollande est soumise à de nouveaux droits, qui ne nous permettent pas de lutter contre les Hollandais qui n’y sont pas assujettis.

Cette question a été traité dans les feuilles hollandaises ; on a dit qu’on n’avait pas le droit de demander la suppression des droits d’écluse et autres, attendu que le traité ne parle pas de cela. Je ferai remarquer que, dans la discussion du traité des vingt-quatre articles, sur une interpellation faite par moi, M. Nothomb a déclaré que les eaux intérieures de la Hollande seraient affranchies de tout droit pour la navigation belge. Ainsi, si vous restituez au commerce le péage sur l’Escaut, il faut lui restituer aussi le péage sur le canal de Terneuzen et sur les rivières. La promesse en a été faite par le gouvernement, quand on a voté le traité.

Je demande que le gouvernement fasse attention à cela, parce qu’il doit être juste en tout, aussi bien pour la petite navigation que pour la grande, et si on ne met pas la petite navigation sur le même rang que la grande, si elle n’est affranchie de tout droit de navigation, l’injustice est plus sensible, parce qu’elle atteint une classe pauvre qui ne vit que par la navigation.

J’ose me flatter que le gouvernement aura égard aux justes réclamations des bateliers qui souffrent par les vexations hollandaises, mais je dois avertir le ministre que je ne cesserai de réclamer jusqu’à ce que justice soit rendue et que la petite navigation sera affranchie de tout droit, aussi bien que la grande, et si le traité est sujet à être controversé sur ce point, il restera toujours certain que le gouvernement devra restituer à la petite navigation les droits, comme il les restitue à la grande.

M. Raymackers – La chambre se rappellera que, parmi les griefs contre le gouvernement précédent, on signala particulièrement le système odieux en matière d’impôts ; les lois sur la mouture, sur l’abattage, sur les distilleries, avaient excité des plaintes tellement vives que le gouvernement provisoire et le congrès se sont trouvés dans la nécessité d’abroger ou de modifier de suite les principales dispositions de ces lois fiscales qui avaient survécu à la révolution.

Par arrêté du 17 octobre 1830, ainsi dès les premières semaines de la révolution, le gouvernement provisoire apporta une première modification à la loi sur les distilleries en réduisant la prise en charge, qui était auparavant de 7 litres 26 centilitres, à 5 litres. Le congrès modifia de nouveau la loi de 1822, et il reconnut qu’il n’avait pas rempli sa tâche, puisqu’il recommanda à la législature future de pourvoir dans le plus bref délai possible par des lois séparées, aux finances ; aussi les modifications du gouvernement provisoire et du congrès parurent insuffisantes ; les plaintes des distillateurs ne cessèrent de se faire entendre ; il fallait enlever la source du mal, substituer un système libéral au système vexatoire qui subsistait encore. Déjà sous le gouvernement du régent une commission de distillateurs fut réunie ; elle reconnut à l’unanimité que le système d’impôt à établir devait être assis à la source et à la fabrication sur les matières mises en œuvre, sans l’étendre à la production, afin de laisser à l’industrie de distillation la plus grande liberté. C’est le résultat du travail de cette commission qui fut formulé en projet de loi et soumis au congrès le 30 mai 1831. Il est vrai que cette assemblée se sépara sans l’avoir discuté, et que ce ne fut qu’en 1833 que la législation hollandaise disparut totalement par l’adoption d’une loi qui a fixé l’impôt à 22 centimes par hectolitre de la capacité des vaisseaux à macération.

Cette loi, votée à l’unanimité par les chambres, fut bien accueillie par le pays. Le ministre d’alors vous disait qu’elle ranimerait une industrie qui se débattait péniblement au milieu des entraves de la législation hollandaise, qu’elle détruirait une fraude active et deviendrait un nouvel élément de prospérité agricole.

Les résultats que le ministre prévoyait se sont réalisés, bientôt le nombre des usines a augmenté, la fabrication a pris une telle extension que pendant les années 1834 et 1835, les distilleries ont consommé 8 à 9 millions d’hectolitres des matières premières par année, tandis que, pendant 1829, 1830, 1831 et 1832, la consommation n’a été que de 2 à 3 millions par année. Il est inutile de vous dire que, sous l’empire de la loi de 1833, la fraude a été immense, et que les effets des distilleries ont causé l’influence la plus heureuse sur l’agriculture. Malgré ces avantages quelques membres veulent supprimer le système de la loi de 1833 et le remplacer par le système odieux et vexatoire du gouvernement précédent que vous avez condamné et flétri vous-mêmes , et contre lequel un cri général s’était élevé dans le pays ; ne nous laissons pas ainsi entraîner par une réaction trop violente, de crainte de produire de plus grands maux que ceux auxquels on veut remédier ; ne nous exposons pas aussi légèrement à rétablir les griefs qui ont contribué à amener la chute du gouvernement précédent. Des lois vexatoires, des mesures acerbes, pourraient porter atteinte à l’attachement et à la sympathie que les Belges ont jusqu’à présent conservé pour le gouvernement de la révolution.

Avant de changer de système, il convient d’interroger le pays, les chambres de commerce, les députations provinciales sur les conséquences de la nouvelle législation qu’on veut rétablir. M. le ministre, tout en réclamant une majoration des droits, a maintenu par son projet le système de la loi actuelle ; de sorte que les industriels n’ont pu se douter qu’ils étaient de nouveau menacés du régime hollandais ; s’ils avaient eu l’occasion d’émettre une opinion concernant la loi de 1822, ils se seraient empressés de communiquer à la chambre leurs doléances et les craintes ; car tout en s’élevant contre la nouvelle majoration réclamée par le gouvernement, voyez dans quels termes les distillateurs de Hasselt s’expriment à l’égard du système hollandais.

« Il nous importe, messieurs, et nous le devons à notre conviction, de rendre hommage aux vues éclairées de M. le ministre qui, dans l’exposé des motifs des budgets, a si fortement flétri le déplorable système fiscal de 1822, d’odieuse mémoire, et dont la Hollande avait su doter notre pays. Oui, messieurs, nous pensons avec M. le ministre qu’un pareil système n’entre ni dans nos mœurs ni dans l’esprit de nos institutions. »

Après un langage aussi formel, pouvez-vous douter que le rétablissement de la loi de 1822 ne produirait pas le même mécontentement, les mêmes plaintes que sous le gouvernement précédent ? Et ces plaintes seraient d’autant plus fondées que le trésor ne retirerait aucun avantage du système hollandais. M. le ministre vous a prouvé que la loi actuelle modifiée d’après le projet soumis à la chambre, produira au trésor une somme plus élevée qu’on ne pourrait attendre du retour à la loi de 1822 ; et cela est évident, car, d’après l’augmentation proposée par le gouvernement, l’impôt produira en 1842, 3,784,090 francs ; ajoutez à cette somme 955,657 francs produit de l’abonnement des débitants, vous aurez une ressource pour le trésor de 4,739,247 francs ; et quant à la morale, la loi de 1822 ne sera pas plus efficace que le système actuel ; si les classes ouvrières ont consommé moins de genièvre sous le régime de la loi de 1822, peut-on conclure que le système de la loi de 1833 a été la cause de l’usage immodéré des boissons fortes, pendant les dernières années et que vous préviendrez le retour de désordre que vous ne cessez d’exagérer par le rétablissement de la loi de 1822 ; triplez, quadruplez les droits actuels, vous ne parviendrez pas à enlever l’usage du genièvre aux classes ouvrières, puisque le prix n’en sera jamais assez élevé pour empêcher les ouvriers de satisfaire leur goût, en exerçant par jour une retenue de quelques centimes de plus sur leur salaire ; vous avez à peu près doublé les droits en 1837 ; en 1838 vous avez également atteint les consommateurs par la loi sur le débit des boissons spiritueuses ; depuis cette époque, une autre cause a singulièrement augmenté le prix du genièvre, la cherté des céréales. En 1836, le seigle ne se vendait que huit à neuf francs l’hectolitre, tandis que pendant les dernières années, le prix a été constamment très élevé, il a été au-delà de 15 francs l’hectolitre. Eh bien, prétendrez-vous que, par suite de ces différentes causes, la majoration de l’impôt, la loi sur la consommation et la cherté des céréales, les populations, l’armée, les classes ouvrières ont été plus sobres, plus morales qu’elles ont bu moins de genièvre qu’auparavant ? Non, vous ne le prétendez pas ; puisque c’est encore l’immoralité, la débauche de ces classes que vous invoquez pour réclamer des droits exorbitants ; vous avouez donc par là que le remède que vous avez cru apporter au mal a été inefficace et que la morale n’a pas profité ni de la loi de 1837, ni de la loi sur la consommation, ni de la cherté des matières premières ; vous ne pouvez espérer d’atteindre le but que vous vous proposez, qu’en établissant des droits qui équivalent à une prohibition, et, si telle est votre intention, si au lieu de voter une loi d’impôt, vous voulez une loi prohibitive et détruire une industrie importante, dites-le franchement ; au moins les distillateurs sauront dans ce cas à quoi s’en tenir ; ils n’exposeront plus leurs capitaux aux chances de cette versatilité que vous avez mise dans vos dispositions depuis 1833.

Je ne nie point qu’il y a eu quelques excès produits par l’usage des liqueurs fortes, mais ces excès, il ne faut point les exagérer si la consommation du genièvre a augmenté depuis quelques années, c’est parce qu’il y a plus d’aisance dans le pays, c’est que la position de la classe ouvrière s’est améliorée par suite des développements de l’industrie, de l’agriculture et des immenses travaux publics en construction ; dès lors il n’est pas surprenant qu’il y a eu plus de réunions, plus de dépense et une plus forte consommation de genièvre parmi les ouvriers dont les salaires étaient augmentés ; mais ce n’est pas par des mesures fiscales que vous parviendrez à faire cesser l’usage immodéré des liqueurs fortes, c’est l’instruction et la religion qu’il faut employer pour atteindre ce but.

Je n’insisterai pas davantage sur ce point, je crois que les réponses données par le gouvernement aux renseignements demandés par la section centrale doivent convaincre tout le monde que le retour à l’ancienne législation détruirait une industrie importante et rencontrerait les plaintes qui se sont élevés dans tout le pays sans profiter ni au trésor ni à la moralisation.

Quant à la proposition du gouvernement, puisque le chiffre des dépenses dépasse celui des recettes, il est sans doute nécessaire de créer de nouvelles ressources soit par l’établissement de nouveaux impôts, soit par l’augmentation de ceux qui existent déjà.

J’avoue que le genièvre est une matière essentiellement imposable et que, sous ce rapport, il convient d’en retirer toutes les ressources possibles pour le trésor ; mais ne perdons cependant pas de vue qu’il existe, en matière d’impôt, une ligne qu’on ne peut dépasser sans s’exposer à paralyser à la fois les ressources qu’on eut créer et l’industrie qu’on cherche à atteindre.

L’impôt sur les distilleries, fixé primitivement par la loi de 1833 à 22 centimes a été portée à 40 centimes par la loi de 1837 ; en 1838, il a encore été augmenté indirectement par la loi sur le débit des boissons spiritueuses qui rapporte près d’un million ; aujourd’hui, le gouvernement propose de le fixer à 60 centimes, indépendamment des centimes additionnels ; de sorte que, en adoptant ce projet, l’impôt sur les distilleries serait quadruplé depuis 1837. Cette progression, messieurs, me paraît trop forte ; elle causera la ruine des industriels qui ont compté sur l’exercice de la loi de 1833. Les capitaux engagés sous la foi de cette loi, soit en construction de nouvelles usines, soit en acquisition de propriétés immobilières dans le but de les fertiliser ou de les améliorer à l’aide des distilleries, ne peuvent plus être retirés sans perte ; les capitaux, ainsi engagés sous la foi d’une loi libérale, diminueront de valeur dans la proportion de l’impôt ; plus vous élèverez cet impôt, plus vous compromettrez les intérêts de ceux qui ont eu confiance soit dans la loi de 1833, soit dans celle de 1837. Ainsi que les distillateurs de Huy le font observer dans la pétition adressée à la chambre, des marchés ont été conclus entre les distillateurs et les commerçants pour un temps plus ou moins long. En portant tout d’un coup l’impôt de 40 à 60 centimes, vous causez un préjudice trop notable aux distillateurs qui ont stipulé leurs prix sous le régime d’une législation plus favorable. Veuillez aussi ne pas perdre de vue que la fabrication languit depuis plusieurs années, tant à cause du prix élevé des céréales, qu’à cause du défaut de débouchés et de l’épizootie qui n’a cessé d’exercer de grands avantages parmi le bétail qui constitue la principe ressource du distillateur ; elle se ralentira davantage si, par un impôt trop élevé, vous favorisez la fraude et la concurrence des eaux-de-vie étrangères, qui, d’après la déclaration de M. le ministre, ne subiront pas d’augmentation équivalente à celle de l’impôt sur les distilleries indigènes ; nos distillateurs se trouveront par là dans l’impossibilité de lutter sur les marchés belges contre la France, la Hollande et la Prusse ; outre le privilège que vous accordez à ces pays voisins par votre nouvelle loi, ils jouissent encore d’un grand avantage par le drawback et la prime d’exportation qu’ils reçoivent à la sortie de leurs eaux-de-vie, et cet avantage sera d’autant plus nuisible aux distillateurs belges, puisqu’il est constant qu’en Prusse et en Hollande les distillateurs se trouvent dans des conditions plus favorables qu’en Belgique ; les céréales y sont moins chères, c’est dans ces deux pays que les distillateurs de la province du Limbourg ont fait leurs approvisionnement pendant les dernières années ; tout en favorisant également un nouvel aliment à la fraude intérieure, car en élevant les droits outre mesure, les intéressés trouveront les moyens de tromper la diligence des employés pour se soustraire au payement des droits ; il me paraît, par conséquent, que le moyen de concilier l’intérêt du trésor avec ceux des distillateurs, serait de fixer l’impôt à 50 centimes ; cette majoration de 10 centimes ne diminuera pas la fabrication, elle ne favorisera pas la fraude, et elle sera aussi productive au trésor que le chiffre proposé par le gouvernement ; car il est évident que les recettes n’augmentent point dans la proportion de l’augmentation de l’impôt ; c’est pour ces différentes considérations que j’aurai l’honneur de proposer à la chambre de substituer le chiffre de 50 à celui de 60 proposé par le gouvernement.

M. Mast de Vries – Je renonce à la parole.

M. Demonceau – Messieurs, j’ai résisté longtemps avant de me décider à accepter la proposition du gouvernement. Ce n’est pas que je ne désire pas voir adopter le droit le plus élevé sur le genièvre ; je voudrais même un droit beaucoup plus élevé que celui que propose le gouvernement, mais je pensais, et je continue à penser, qu’une augmentation de droits, avec la législation telle qu’elle est aujourd’hui, ne donnera pas au trésor beaucoup plus qu’il ne reçoit en ce moment. J’ai cependant fini par y consentir, dans l’esprit que le gouvernement veillera attentivement à la législation sur les distilleries. Je n’ai jamais dit, je ne dis pas encore aujourd’hui qu’il faille revenir à la législation de 1822, telle qu’elle fut d’abord. J’ai examiné attentivement cette législation ; elle renferme en effet des dispositions très vexatoires et telle qu’elle a été modifiée par le gouvernement provisoire et par le congrès, elle devient selon moi un non-sens. Car, calculs faits, il résulte du décret du congrès que cette assemblée, sans le vouloir certainement, a reconnu qu’on pouvait légalement frauder jusqu’à 30 p.c.. Vous concevez donc bien qu’il ne peut entrer dans ma pensée de demander le rétablissement d’une législation pareille.

Ce que je voudrais, le voici :

Sous l’empire de la loi de 1822, rectifiée par le gouvernement provisoire et par le congrès, le droit sur le genièvre était de 25 francs et quelques centimes par hectolitre ; il me semble qu’une législation qui frapperait le genièvre d’un droit de 25 francs par hectolitre, serait accueillie dans tout le pays avec faveur ; mais il faudrait que cette législation fût combinée de manière à concilier les intérêts de tous et notamment des établissements créés sous l’empire de la loi de 1837. Ce n’est pas dans mon opinion contre l’élévation des droits que les distillateurs doivent s’élever ; car, quels que soient les droits, lorsque la législation est bien combinée, le distillateur est remboursé par le consommateur. Je voudrais établir les droits sur la matière produite, c’est-à-dire, le genièvre ; mais ce n’est pas cette matière que la législation actuelle atteint, c’est au contraire, si je puis m’exprimer ainsi, la matière qui sert à la produire. Ce sont, en effet, les vaisseaux qui servent à produire le genièvre, qui sont imposés d’après leurs capacités et à tant par jour. On conçoit que celui qui, en raison de procédés qu’il emploie, obtient ces produits en moins de temps qu’un autre, a un avantage sur son concurrent ; et c’est, en effet, ce qui résulte des documents à nous transmis par M. le ministre des finances et annexé au premier rapport de la section centrale. Nous voyons que sur 763 distilleries qui ont été en activité en 1839, il y en a 333 qui travaillent en 24 heures et 430 qui travaillent en plus de 24 heures. Les 333 qui ont travaillé en 24 heures et plus ont fabriqué 3,055,316 hectolitres, tandis que les 430 qui ont travaillé en plus de 24 heures n’ont fabriqué que 2,996,855 hectolitres.

Ainsi, avec une différence d’environ 100 distilleries en plus, vous trouvez pour les dernières une production moindre. Quelles doivent être les conséquences de cette différence de production ? Les voici, toujours d’après les documents qui nous sont transmis par M. le ministre des finances. « Ceux qui travaillent en 24 heures et moins (dit M. le ministre des finances) ne devront payer qu’un droit de 12 francs ; ceux qui travaillent en plus de 24 heures paieront un droit qui pourra s’élever de 15 à 30 francs. » Si M. le ministre ne s’est pas trompé, et je dois croire à ses calculs, nous trouvons ici la preuve la plus évidente que les grandes distilleries doivent nécessairement anéantir les petites, car en travaillant en moins de 24 heures, il y a bénéfice de plus d’un quart, terme moyen. Le système actuel tend donc à la grande production, et avec ce système, renforcé surtout de la défense faite aux administrations communales d’établir les droits d’octroi à un taux supérieur à la moitié de ceux fixés en faveur du trésor, vous détruisez les distilleries des campagnes et faites refluer dans les villes toutes les grandes distilleries, et alors ces distilleries ont le monopole de la consommation des villes au grand préjudice des finances de ces mêmes villes.

Si vous vous rappelez ce qui s’est passé l’an dernier, à propos de la pétition du conseil communal d’Anvers, qui fut renvoyée à la section centrale des voies et moyens dont j’étais rapporteur, et sur laquelle il fut fait rapport au commencement de 1840, vous aurez une idée de l’avantage que la loi de 1837 a établie au profit des distillateurs et au préjudice des villes. En effet, les calculs produits alors par la régence d’Anvers établissent qu’en 1837 la taxe sur les eaux-de-vie avait produit 43,938 francs , tandis que pour 1838 elle était réduite à 29,642 francs. Différence en moins : 14,296 francs.

Cette administration ajoute même qu’en 1839 sous l’empire de la loi de 1822 cette taxe rapportait 90,000 francs par an.

Cette pétition fut renvoyée à MM. les ministres des finances et de l’intérieur avec demande d’explications sur la proposition de l’honorable M. Liedts, je pense ; le gouvernement voulait aggraver encore au lieu d’améliorer la position des villes, cependant il a fini par se rendre à l’avis de la section centrale, car il a déclaré se rallier au projet présenté par elle, ou la suppression du paragraphe 4 de la loi de 1837 est proposée.

Je le répète donc, je voudrais une législation qui eût pour but principal d’atteindre le genièvre d’un droit de 20 francs, plutôt plus que moins, par hectolitre ; ce droit ne me paraît pas trop élevé. J’avoue qu’il n’est pas trop facile d’arriver à ce résultat ; cependant je considère la chose comme possible avec un peu de bonne volonté de la part de l’administration. Du reste, je le déclare hautement avec la loi actuelle, il me paraît difficile d’atteindre le but que tous nous devons vouloir, à savoir, un droit plus élevé sur la consommation du genièvre. L’on parle souvent de la loi des débitants de boissons, de cette loi que l’on a qualifiée de loi morale et que moi j’ai toujours trouvée injuste et contre laquelle je me suis élevé avec force, de cette loi enfin que je voudrais voir abroger, parce qu’il ne me semble pas du tout moral de faire payer à celui qui vend 100 litres par an, autant qu’à celui qui en vend 1,000. Ah, si par ce moyen vous aviez diminuez la consommation ! peut-être serait-je disposé à excuser une législation aussi exceptionnelle, mais rien de semblable n’est arrivé ; vous avez déplacé le détail, rien de plus, vous avez enfin atteint le pauvre petit détaillant pour donner un plus fort débit au grand ; c’est une véritable patente que vous avez établie, et cette loi est d’autant plus inique que ceux qui payent le droit d’abonnement ne peuvent faire valoir ce qu’ils payent à effet d’exercer les droits électoraux.

M. le ministre des finances a reconnu que la loi de 1833 avait eu pour résultat d’augmenter la production de genièvre, et que cette grande production a nui à la morale publique. La grande production est prouvée à l’évidence, par ce que vient de dire M. le ministre des finances lui-même. En 1832, le droit sur le genièvre était de 25 francs ; en 1839, ce droit n’a été que 8 francs, et cependant, d’après M. le ministre, le droit en 1839, à raison de 8 francs, a produit autant qu’en 1832, à raison de 25 francs.

Il a donc fallu, c’est un calcul mathématique très exact, il a donc fallu que la production triple ; car si une telle quantité donnée à raison de 25 francs n’a pas produit plus qu’une telle quantité donnée à raison de 8 francs, il en résulte naturellement que vous avez une production triple et par suite une consommation de deux tiers en sus.

J’entends dire à mes côtés : vous oubliez ce qui se passe dans les établissements de rectification et qui n’existait pas en 1832. Eh bien ! 4 millions de litres font bien 40 mille hectolitres. Voyons, toujours d’après M. le ministre des finances, combien il s’est fabriqué de genièvre en 1839, et nous ferons la soustraction des 4 millions de litres dont on vient de parler. D’après les documents qui nous ont été transmis par M. le ministre des finances, il est prouvé qu’en 1839 la capacité des vaisseaux imposés était de 6,032,169 hectolitres qui auraient produit 363,130 hectolitres de genièvre à 50 degrés. Soustrayez-en 40,000 hectolitres, et il vous reste encore 323,130 hectolitres. Ainsi vous voyez que dans la masse énorme qui a été produite les 40,000 hectolitres ne figurent que pour peu de chose. Car calculez le droit à 8 francs l’hectolitre, cela ne fait que 320,000 francs.

Est-il bien convenable, messieurs, pour la Belgique, d’amener une production aussi exorbitante d’une manière qui a été plus d’une fois qualifiée, à juste titre, de délétère ? Voyez, messieurs, 363,130 hectolitres de production en Belgique pendant un an, mais c’est près de 10 litres de consommation intérieure par habitant.

Eh ! messieurs, qu’on ne parle pas ici de l’exportation, j’en entends souvent parler, j’entends dire que nos usines travaillent pour l’exportation. Je ne sais pas s’il y a de l’exportation, mais d’après les documents qui nous ont été transmis par M. le ministre des finances (je crois avoir tenu des notes exactes), pendant l’année dont je parle, pendant 1839, il n’a été exporté que 1,206 hectolitres de genièvre. Ainsi l’exportation constatée par le ministère est en quelque sorte insignifiante.

On prétend, messieurs, que le rendement que nous accordons à l’exportation n’est pas exactement calculé. J’ignore si au sein de la section centrale nous avons commis une erreur ; voici, du reste, comme nous avons procédé.

La restitution à la sortie, alors que le droit était de 40 c., était de 12 francs 50 c. Nous avons porté cette restitution à 18 francs 50 c. et si les renseignements que j’ai recueillis sont exacts, M. le ministre des finances pensait même que c’était aller trop loin.

Aujourd’hui, messieurs, on m’assure que les documents qui nous ont été transmis par M. le ministre des finances ne sont point exacts. J’avoue que je ne puis rien en dire, parce que ce sont des distillateurs qui l’avancent. Mais je dois cependant croire que les distillateurs qui avancent que M. le ministre s’est trompé n’ont pas fait sans doute leurs calculs sans beaucoup de réflexion.

J’appelle donc sur ce point l’attention de M. le ministre des finances. Une pétition qui vient de nous être distribuée et qui est signée par beaucoup de distillateurs, signale cette erreur, et j’espère que M. le ministre des finances voudra bien comparer ces réclamations avec les renseignements qu’il a communiqués à la section centrale. Je vous l’avoue, je crains tant la consommation du genièvre en Belgique, que je voudrais bien encore voir augmenter les moyens de l’exporter.

Je sais bien qu’on pourra me dire que je ne suis pas du tout partisan des primes. Mais enfin ; messieurs, puisque je dois subir, jusqu’à révision s’entend, une mauvaise législation, pourquoi ne chercherais-je pas tous les moyens d’empêcher les funestes effets de l’usage immodéré des liqueurs spiritueuses ; du reste ce n’est pas d’aujourd’hui, ce n’est pas depuis un an, c’est depuis bien longtemps que nous disons au gouvernement que cette législation est mauvaise. L’administration des finances semble reculer devant un changement de système et il faut bien le reconnaître, elle justifie mal sa résistance.

Je vous ai dit à l’instant que je ne comptais pas que le trésor recevrait beaucoup plus qu’il ne reçoit aujourd’hui. Voici, messieurs, comment je comprends la question, toujours d’après les documents émanés du ministère :

Plus on accélère la production, plus on économise sur les droits. Ainsi, par exemple, ceux qui travaillent en 24 heures, dit M. le ministre, paient un droit moindre que ceux qui opèrent en 30 et 36 heures. Je ne sais si la matière produite est de même qualité, cependant je dois dire qu’il a été assuré que l’accélération dans la production du genièvre serait préjudiciable aux établissements nouveaux, dont a parlé l’honorable M. Desmet, parce que, pour pouvoir rectifier ces eaux-de-vie indigènes, il faut un plus long travail de macération.

Je ne sais si je m’explique en termes de distillateur ; mais je parle d’après les renseignements qu’on a bien voulu me communiquer. Et, d’après ces renseignements, les grandes distilleries devraient anéantir les petites. Du reste, je n’entends causer aucun préjudice, si possible, aux producteurs du genièvre, et je persiste à croire que l’on peut obtenir un droit plus élevé si l’on veut sérieusement s’occuper de l’examen de notre législation.

M. Dumortier – Messieurs, en réponse aux observations que j’ai présentées tout à l’heure, M. le ministre des finances a dit qu’en revenant à l’ancienne législation, on voulait ramener le cortège des vexations de la loi hollandaise.

On perd de vue ce fait qui domine toute la discussion, et sur lequel je dois insister, c’est que ces vexations avaient été supprimées par le gouvernement provisoire et par le congrès. On perd de vue cette particularité importante que, dans le sein du congrès, ce sont les distillateurs eux-mêmes, ce sont les intéressés dans la question, qui ont fait la loi qui nous régissait auparavant. Ce sont les distillateurs ; et, certes, personne ne pouvait mieux connaître les moyens de faire cesser cette législation vexatoire que ceux qui en avaient été frappés. Effectivement, avant les modifications apportées à la loi, il y avait plus de 200 procès-verbaux par année ; il n’y en a plus eu après, parce que toutes les vexations avaient été supprimées. Qu’on ne parle donc plus de ces vexations qui ne subsistaient plus ; qu’on n’en parle donc plus, car il est constant encore une fois que ce sont les distillateurs qui, dans le sein du congrès, ont fait la législation de 1832. Puisque cette loi a été faite par les intéressés, elle doit présenter toute garantie pour les distillateurs.

Quant on a fait la loi en vigueur, le but était de donner plus d’extension à la fabrication ; c’était, en un mot, de favoriser la démoralisation du peuple. Un second motif était de protéger les distilleries agricoles qui fermentent en 36 heures ne peuvent lutter avec celles qui fermentent en 24 heures ; comme la loi les frappe d’un droit plus élevé de 50 p.c., il leur est impossible de soutenir la concurrence.

Cela est tellement vrai, qu’à différentes reprises, l’honorable M. d’Huart, lorsqu’il était encore ministre, a déclaré que la loi en vigueur avait nui aux distilleries agricoles, et que cet honorable collègue, que je regrette vivement de ne pas voir siéger dans cette discussion, a déclaré, il y a deux ans, dans cette assemblée, que l’expérience de cinq années prouvait qu’il fallait revenir à la législation de 1832.

Maintenant, messieurs, on demande sur le genièvre une prime à la sortie ; l’honorable M. Desmet voudrait qu’on accordât une prime à la sortie. Il signale ce qui se fait en Hollande.

Mais je conçois que la Hollande puisse accorder une prime élevée en présence du revenu considérable qu’elle retire de la fabrication du genièvre. Si le trésor retirait en Belgique 7, 8 ou 10 millions de cette fabrication, je serais le premier à accorder une prime. Mais quand nous ne recevons que trois millions, nous ne pouvons accorder un million de prime à la sortie.

Si vous voulez arriver au même résultat avec les distilleries qu’avec les fabriques de sucre, vous n’avez qu’à admettre le système qu’on vous propose. Vous verrez ce qui arrivera plus tard. On viendra vous dire que les distilleries se sont établies sous l’empire d’une loi qui établit un privilège, et que vous ne pouvez faire cesser ce privilège. Ce qui a eu lieu pour les fabriques de sucre arrivera nécessairement pour les distilleries.

Si vous voulez des primes, soit, je les voterai, pourvu que vous reveniez à la législation qui nous régissait il y a 7 ans ; quand le trésor public percevra 7 millions, alors je donnerai des primes.

On a prétendu aussi que sous la législation précédente, la rectification des esprits était impossible ; c’est là une grave erreur, messieurs ; la rectification des esprits n’a rien de commun avec la législation, elle vient des perfectionnements de la chimie appliquée à l’industrie ; on a trouvé le moyen de rendre les esprits purs de toute espèce de goût, c’est là un perfectionnement de l’industrie qui restera, quelles que soient les dispositions sur les distilleries.

Et ne croyez pas, messieurs, que les esprits belges puissent jamais se trouver dans le cas de ne pouvoir soutenir la lutte avec les esprits français ; le droit est beaucoup plus élevé sur les esprits français que sur les esprits belges et, dès lors, les craintes que l’on manifeste sous ce rapport ne sont que chimériques.

« Mais, dit-on, si vous augmentez les droits, il y aura fraude. » Voilà, messieurs, le nœud gordien de la question. Je vais avoir l’honneur de vous rappeler ce qui s’est passé à cet égard en 1833.

La commission du projet de loi de 1833 sur les distilleries, avait décidé d’abord que le droit ne pouvait s’élever qu’à 44 centimes, que si on adoptait un taux plus élevé, il y aurait fraude. Toutefois, cette opinion était contestée dans la commission, et l’on porta le chiffre du droit à 16 centimes ; on présenta le projet à la chambre avec ce chiffre de 16 centimes. La chambre ne partagea point l’opinion de la commission et elle éleva le droit à 18 centimes. Le projet fut envoyé au sénat qui remplaça le chiffre de 18 centimes par celui de 25 centimes ; la loi ainsi amendée revint à la chambre et M. Duvivier prit un terme moyen, il proposa de fixer le droit à 22 centimes. Eh bien, savez-vous ce que disaient alors les honorables députés qui étaient les auteurs du projet ? Voici comment s’exprimait l’honorable M. Rodenbach :

« Lorsque la commission des distilleries s’est assemblée, on avait décidé que l’impôt ne s’élèverait qu’à 14 centimes, par voie de conciliation on est allé à 16 centimes ; par voie de conciliation encore il a fallu porter le chiffre à 18 centimes. On veut renouveler l’emploi des voies de conciliation et porter le chiffre à 22 centimes. Si nous marchons ainsi de concessions en concessions, notre loi sera bonne à lacérer. Avec 18 centimes, il n’y a aucun intérêt à la fraude ; à 22 centimes, il y a déjà intérêt à la commettre. »

M. Zoude s’exprima dans le même sens.

Voici les paroles de M. Desmet :

« Si on fixe le droit à 22 centimes, on diminuera les revenus de l’impôt ; il est certain que le taux de l’impôt n’étant que de 16 ou 18 centimes, on sera moins enclin à se livrer à la fraude que quand il sera élevé à 22 ou 24 centimes. » L’honorable membre terminait ainsi : « Messieurs, le ministre assume sur lui la responsabilité et décharge à ce sujet celle des auteurs du projet de loi qui ont toujours émis l’opinion que le taux de l’impôt ne pouvait s’élever au-delà de 16 à 18 centimes pour être profitable au trésor. »

Voilà, messieurs, ce que l’on disait dans la séance du 3 septembre 1833.

On disait alors que le système proposé ne pouvait être admis que si le droit ne dépassait pas 18 centimes, que, s’il était plus élevé, il y aurait fraude, et aujourd’hui vous voulez admettre un droit de 60 centimes avec le même système. Mais, messieurs, c’est réellement une absurdité.

Tout cela prouve qu’il n’y a qu’un seul moyen, c’est d’en revenir à la législation ancienne, qui a été modifiée dans le congrès par les distillateurs eux-mêmes : voilà, messieurs, ce qu’il y a à faire, voilà ce que je demande dans l’intérêt du trésor et au nom de la morale publique.

Je ne demande point qu’on en revienne brusquement à cette loi, car la discussion n’est peut-être pas assez mûre pour cela, mais lorsque nous aurons voté le projet qui nous occupe en ce moment, je proposerai à la chambre de nommer une commission pour nous présenter une loi conçue dans le sens de celle qui nous régissait en 1832, ce serait là un acte méritoire, tant en ce qui concerne le trésor public que sous le rapport de la morale.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, l’honorable membre veut, dit-il, la loi de 1822, mais telle qu’elle a été modifiée par le congrès. Eh bien, cette législation, c’est le système de 1822 moins les garanties qu’il donnait au trésor, c’est-à-dire un système bâtard qui n’a plus rien d’efficace. J’ai déjà fait remarquer à la chambre qu’en 1832 l’impôt sur les distilleries n’a produit que 3,800,000 francs, si l’on tient compte des populations que nous avons perdues, par suite du traité des 24 articles, et j’ai ajouté qu’avec la loi actuelle nous obtiendrions, à 100,000 francs près, un produit égal. Quand on a supprimé le contrôle des farines, quand on a réduit le taux de production, on n’a plus eu la loi de 1822, mais une loi défectueuse et infiniment moins productive. Au reste, je dois le dire, il y a pour notre pays de très grandes difficultés à faire une bonne loi sur les distilleries ; deux causes s’opposent à ce que le droit soit élevé : notre situation géographique d’abord, et en second lieu l’état de l’industrie de la distillation en Belgique.

Nous sommes entourés de pays qui peuvent introduire frauduleusement des spiritueux chez nous avec une grande facilité et c’est ce qui arrivait sous le régime de la loi antérieure ; la fraude était alors très considérable ; depuis que la nouvelle loi a été portée, elle a presque entièrement cessé. J’ai dit que la seconde cause qui s’oppose à ce que nous établissions des droits élevé sur les distilleries, est la situation de cette industrie dans notre pays ; en effet, messieurs, chez nous les distilleries sont et doivent être disséminées dans toutes les localités et à de grandes distances des centres de population. Il faut donc un personnel très nombreux si l’on veut percevoir le droit intégral ; la chose est possible, mais elle exige des frais considérables. On cite l’exemple de l’Angleterre, mais il n’est pas étonnant que dans ce pays on obtienne des produits élevés au moyen du droit sur les distilleries.

Tout est restrictif dans la législation qui régit cette matière en Angleterre ; les restrictions y sont telles qu’il n’y existe que onze distilleries ; en Ecosse il y en a 250 et en Irlande 80, c’est-à-dire que le nombre des distilleries du Royaume-Uni tout entier ne s’élève pas à la moitié du nombre des distilleries que nous avons en Belgique. Les usines ne peuvent être situées à plus d’une lieue des centres de population, tandis qu’ici, au contraire, on veut et il est de l’intérêt de l’agriculteur, qu’elles soient disséminées dans tous les hameaux. Si l’on pouvait réduire le nombre des distilleries et si l’on pouvait forcer celles qui resteraient à s’établir dans les villes ou à proximité des villes, un droit élevé deviendrait possible sous le rapport de la surveillance ; mais nous n’éviterions jamais l’écueil que je signalais tout à l’heure, c’est-à-dire l’introduction frauduleuse des spiritueux étrangers.

L’honorable M. Dumortier a rappeler des opinions qui ont été exprimées en 1833. Sans doute lorsqu’on établissait une législation nouvelle, on a pu craindre qu’en élevant les droits on ne donnât lieu à une fraude considérable, mais depuis lors, l’expérience nous est venue en aide, le droit a été élevé à 40 centimes et la fraude n’est pas devenue considérable ; nous croyons qu’elle ne le sera pas encore, lorsque le droit aura été porté à 60 c. Si contre notre prévision il résultait de cette mesure une grande accélération dans la fermentation des matières, il serai temps alors de présenter quelques dispositions restrictives avec lesquelles la base actuelle de l’impôt pourrait très bien subsister ; mais je ne pense pas que de semblable mesures deviennent nécessaires ; je crois au contraire que la loi actuelle peut très bien être maintenue avec le droit d’accise porté à 60 cent.

M. Duvivier – J’avais l’intention, messieurs, de vous soumettre une partie des observations qui viennent d’être faites par M. le ministre des finances ; je n’aurai que peu de mots à ajouter.

Je ne conçois pas, pour mon compte, qu’on puisse venir demander le retour au régime de 1822, en présence de la masse des pétitions qui ont été adressées à la chambre, et dans lesquelles on proscrit à juste titre le système de 1822, en préconisant celui de 1833, en lui donnant le caractère qu’il a réellement, celui d’une législation libérale, qui ne gène en rien les mouvements de l’industrie, tandis que l’autre la gêne de toutes les manières.

Quant aux modifications qui ont été apportées à la loi de 1822, d’abord par le gouvernement provisoire et ensuite par le congrès, plus j’examine quels sont les hommes qui ont provoqué ces modifications, plus je suis étonné qu’on les ait adoptées.

L’honorable M. Demonceau, avec qui je m’entretenais précisément hier de cet objet, vous a dit qu’une de ces modifications autorise une fraude de 30 p.c. Voici comment les choses se sont passées : Le produit des distilleries ayant été amené au taux de 8 litres par hectolitre de matière, les membres du congrès qui, comme l’assure l’honorable M. Dumortier paraissaient s’y connaître, et notamment l’honorable M. Theuwens, sont venus déclarer au congrès que les distilleries qui se trouvaient dans les rayons des douanes pourraient obtenir un passavant jusqu’à concurrence de 130 hectolitres lorsqu’il n’auraient fait que 100 hectolitres. Or, je le demande, faut-il être connaisseur pour commettre une fraude comme celle-là ? (Interruption.)

C’est précisément parce que ces messieurs étaient censés s’y connaître que le congrès a donné dedans. (On rit.)

M. Dumortier – Lisez l’article.

M. Duvivier – Je vais le lire…

M. Dumortier – Je ne conteste pas ce que vous dites ; j’ai dit que c’étaient des intéressés qui avaient fait la loi.

M. Duvivier – Vous avez dit que c’étaient des hommes capables, des hommes instruits, des hommes forts dans la matière, voilà ce que vous avez dit.

Voici l’article :

« Les passavants ou tous autres documents ne sont requis que pour le territoire de surveillance. Les article 43 à 77 de la loi du 26 août 1822, sont et demeurent par conséquent abrogés.

« Il sera accordé des passavants aux distillateurs qui se trouvent dans la ligne, à raison de 30 p.c. au-dessus de la prise en charge. »

Pourquoi à 30 p.c. au-dessus de la prise en charge ? parce que cette prise en charge avait été fixée infiniment au-dessous de ce qu’elle était réellement.

Voilà donc une de ces réclamations qu’on dit devoir calmer toutes les inquiétudes que ferait naître l’arrêté-loi de 1822. Eh bien, vous voyez ce que c’est.

Une autre modification, c’est la suppression du contrôle des farines. Eh bien, je regarde cette modification comme si destructive du système de la loi, que si vous voulez le rétablir il faut rétablir le contrôle. Comment voulez-vous que, par la suppression du contrôle, les distillateurs puissent avoir des quantités de farine, en quelque masse que ce soit, dans leurs usines, dans leurs maisons, partout enfin, sans qu’il n’en résulte une facilité quelconque pour commettre la fraude ? Il faudrait donc infailliblement rétablir le contrôle ; alors vous retombez dans tout l’odieux du système contre lequel des contribuables nombreux et honorables ont protesté ; il faudrait recommencer par mettre un exercice à domicile dans chaque usine ; il faudrait renouveler toutes les inquiétudes qui résultaient de la mise en action de la loi de 1822. Je ne pense pas que la chambre veuille faire ce cadeau au pays, je pense au contraire qu’elle le maintiendra en possession du bonheur d’être délivré du régime de cette loi.

Je crois donc que la loi de 1822 ne peut pas être rétablie. Mais puisqu’on a essayé de mettre en contradiction d’honorables membres de cette chambre, MM. Rodenbach et Desmet, en opposant leurs paroles d’aujourd’hui aux discours qu’ils ont prononcé dans la discussion de la loi de 1833, je dirai à mon tour que du temps des états-généraux, après la loi de 1822, d’honorables députés des provinces méridionales du royaume, n’ont cessé, à chaque présentation de budget, de réclamer en faveur de notre pays contre le système de la loi de 1822. On peut recourir aux discussions de l’époque, et on verra que de généreux députés du pays n’ont cessé de réclamer contre les vexations de la loi de 1822, loi qui, comme on l’a dit, n’avait été faite que dans un intérêt purement hollandais.

Quant à la loi de 1833, nous disons qu’elle n’est pas parfaite, pas plus parfaite que d’autres, attendu que tout ce qui est ouvrage humain est rarement parfait.

Mais qu’on revoie (comme l’honorable M. Dumortier, comme la section centrale en a elle-même émis le vœu), qu’on revoie cette loi ; mais qu’on ne touche pas à l’article qui, suivant moi, est la source de tranquillité pour tous les industriels ; qu’on conserve cette base, et qu’on augmente alors l’impôt, si l’on croit que cela puisse se faire. Quant à moi, je ne refuserai pas une augmentation de droit.

Mais, en ce qui concerne cette augmentation, je ne saurais trop recommander à la chambre et au gouvernement de prendre au moins des mesures telles que cette élévation, lorsqu’elle aura été consentie, ne cause pas préjudice, et n’amène pas la fraude aux dépens de l’industrie du pays, c’est-à-dire qu’il y a deux précautions à prendre : c’est d’abord de maintenir les droits à l’entrée des spiritueux étrangers à un taux tel qu’il y ait protection suffisante pour nos industriels ; en second lieu, nous devons nous garder d’être dans une disposition telle vis-à-vis de la fraude extérieure que, par une foule de moyens frauduleux, les spiritueux des pays voisins puissent venir chez nous empêcher la consommation de nos produits. Voilà les deux points extrêmement essentiels que je recommande à la chambre et au gouvernement.

L’on a passé en revue les droits qui existent chez les puissances qui nous entourent, et l’on nous a dit que les droits y étaient, et notamment en Angleterre, d’une excessive hauteur, comparativement à ceux dont les spiritueux du pays sont frappés. Mais je ne conçois pas alors comment la consommation est tellement prodigieuse que des suicides nombreux et des malheurs de tous genres y sont amenés par l’ivrognerie. Je dois en conclure que l’ouvrier anglais est beaucoup plus heureux que les ouvriers des autres pays, et qu’il a beaucoup d’argent à consacrer à la consommation des spiritueux, car les droits étant à cette hauteur, il ne peut se donner cette jouissance, sans que cela ne lui coûte fort cher. Cependant l’on vous a dit que l’ouvrier anglais, malgré cet usage immodéré des spiritueux, n’en reste par moins robuste, et n’en fournit pas moins une longue carrière d’ouvrier, tandis que l’ouvrier chez nous affaiblirait sa constitution, tomberait dans le marasme, par l’excès du genièvre. Il faudrait tâcher d’arranger tout cela.

Messieurs, on vous a beaucoup parlé de la fermentation, des temps reconnus nécessaires pour la fermentation. Je crains beaucoup que les personnes qui se sont livrées à l’examen de cette partie de la distillerie, n’aient pas toute la pratique requise pour bien se prononcer sur ces choses-là.

Je dis qu’en général, toute fermentation dans les grands comme dans les petits établissements doit, selon moi, pour amener de bons produits, durer de 30 à 35 heures. Je pense que ceux qui, par de prétendus perfectionnements, croiront amener une fermentation plu prompte, n’auront pour produit que du mauvais genièvre, et que par conséquent ceux qui en feront de bons, auront le pas sur les autres.

M. Dumortier (pour un fait personnel) – Messieurs, lorsque je prononce des discours dans cette enceinte, je désirerais qu’on ne donnât pas à mes paroles une portée contraire à mes intentions.

Je n’ai pas présenté la loi de 1831 comme une œuvre parfaite ; loin de là, si je l’avais trouvée parfaite, j’aurais demandé qu’on en revînt immédiatement à cette loi. Je me suis borné à demander qu’on revît cette législation. Mais ce que j’ai dit, je le maintiens, c’est que cette loi avait fait disparaître toutes les vexations qui existaient avant cette époque ; que cette loi avait été faite par les intéressés.

Eh bien, l’honorable M. Duvivier vient de changer mes paroles et avance que j’aurais dit que cette loi avait été faite par des hommes instruits, par des hommes capables ; qu’elle est excellente. Je n’ai pas dit cela ; mais je conviens, avec l’honorable M. Duvivier, que les hommes dont il est question ont subtilisé le congrès ; oui, ils ont subtilisé le congrès, mais il semble que l’honorable M. Duvivier aurait dû le dire un peu plus tôt. A l’époque dont il s’agit, il était administrateur-général des douanes et accises, il aurait pu alors éclaircir la question. Si l’honorable M. Duvivier avait alors éclairci la question, il n’aurait pas eu à faire ces observations aujourd’hui ; cela aurait été beaucoup plus fructueux.

M. Duvivier (pour un fait personnel) – J’ai eu l’honneur d’avoir à cette époque plusieurs entretiens avec M. Teeuwens. Je lui ai dit : « que ferez-vous de vos excédants ? » M. Teeuwens me répondit : « Ma foi ! c’est vrai. » Et c’est alors qu’il est venu faire passer l’amendement de 30 p.c. en sus, pour couvrir l’excédant des prises en charge.

M. Raikem – Messieurs, mon intention n’est pas d’entrer dans les détails où se sont engagés d’honorables préopinants. Je veux uniquement vous exposer en peu de mots le système de la section centrale.

Par suite de la présentation du budget, elle a dû s’occuper de plusieurs impôts qui avaient fixé l’attention de sections et qui ont également fixé la sienne. Parmi ces impôts se trouvent ceux sur les eaux-de-vie, le sucre, la bière et le café.

Si une majoration d’impôt est nécessaire, s’est dit la section centrale, il faut frapper les eaux-de-vie et le sucre, préférablement à la bière et au café, et ceci, messieurs, vous explique les vœux qui ont été émis par la section centrale, quant à une majoration d’impôt sur le genièvre et sur le sucre.

Vous voyez donc, messieurs, et chacun conviendra que c’est avec raison que la section centrale a émis le vœu, non pas qu’on revînt promptement et immédiatement à la loi qui nous régissait en 1832, mais qu’on se livrât à la révision de la législation, quant à l’impôt sur les eaux-de-vie indigènes. Que le ministre des finances, a dit la section centrale, veuille, le plus tôt possible, nous présenter à cet égard un système de nature à faire produire davantage à l’impôt.

C’est dans ce sens que la section centrale a manifesté son intention, et en même temps c’est pour éviter de frapper la bière et le café. Mais, d’après le rapport de la section centrale, vous avez vu qu’elle a aussi considéré deux objets principaux qui ont été rappelés par un honorable préopinant, c’est de réserver autant que possible la consommation intérieure aux fabriques indigènes et de frapper par conséquent d’un droit suffisant les eaux-de-vie étrangères importées dans le pays ; c’est en même temps de favoriser l’exportation en rendant absolument indemnes les fabricants qui exporteraient. Ces deux conditions étant remplies, il me semble qu’une majoration d’impôt ne pourrait nuire à la fabrication indigène, qu’en ce sens qu’elle diminuerait la consommation. Or, je pense qu’il est de l’intérêt de la morale et conforme au vœu de la législature, de diminuer la consommation du genièvre en la frappant du plus fort droit possible. C’est le contraire pour les autres objets sur lesquels la section centrale refuse d’augmenter l’impôt ; il y a intérêt à en favoriser la consommation. Il est vrai qu’à cet égard on a fait une objection, c’est relativement à l’industrie des esprits dans lesquels entrent les eaux-de-vie indigènes destinées à être employées dans l’industrie.

Si cela se fait à l’égard d’autres objets, on pouvait faire une distinction pour celui-ci, je ne doute nullement que M. le ministre ne s’empresse de la faire comme il l’a faite lorsqu’il s’est agi de la proposition de la section centrale relative à l’impôt sur l’huile d’olive. Mais je ne pense pas qu’ici la chose soit possible. Toutefois, si dans la loi on combine les choses de manière que les esprits étrangers ne puissent concourir avec les nôtres, il y aura une protection pour nos fabriques indigènes.

Messieurs, on a paru croire qu’il ne serait pas possible d’en venir à un impôt plus élevé que celui qui est en ce moment présenté par M. le ministre des finances. Je ne crois pas décider s’il y a possibilité de majorer l’impôt proposé. Il paraît que non, avec le système actuel. Je m’en rapporte, à cet égard, à ce qu’a dit M. le ministre. D’autres pensent qu’avec un changement de système, on pourrait faire produire davantage à l’impôt. Cependant ce n’est pas que je veuille de plein saut revenir à la loi de 1822, telle qu’elle a été modifiée par le congrès ; mais je pense que cela mérite de faire l’objet de mûres méditations.

Lorsque je compare l’impôt perçu antérieurement avec l’impôt actuel qu’on propose de majorer, je demande s’il ne serait pas possible, non pas de retourner à l’ancien impôt, mais au moyen de mesures nouvelles proposées à la législature, de faire produire davantage à l’impôt.

Vous savez que sous la législation de 1822, les droits des villes étaient assez élevés. Sous cette législation modifiée par le congrès, l’impôt, comme le dit le ministre dans ses explications, était de 25 francs 44 centimes. On voit par le tableau des octrois des villes qui nous a été distribué, qu’en 1839, les taxes municipales étaient à Anvers et à Malines de 12 francs 70 centimes, et à Liége et à Verviers de 10 francs 15 centimes. Vous voyez donc que dans les villes que je viens de citer, l’hectolitre d’eau-de-vie de grain payait tant en impôt de l’Etat qu’en taxes municipales, la somme de 35 à 37 francs. Et aujourd’hui, par suite de la loi nouvelle, par suite de la disposition de la loi de 1837 qui limite les taxes municipales, à la moitié de l’impôt de l’Etat, il s’ensuit, je parle d’après les chiffres donnés par le ministre, que l’Etat percevant un droit de 8 francs et les villes un droit de moitié, c’est-à-dire de 4 francs, la totalité du droit se trouve de 12 francs. Voilà donc que cet impôt, y compris la taxe municipale, ne s’élève plus qu’au tiers de ce qu’il produisait tant pour l’Etat que pour les villes sous la législation antérieure.

Il est vrai qu’on propose l’augmentation du droit. Mais je demande si, au moyen de mesures nouvelles et en suivant le vœu de la section centrale, on ne pourrait pas parvenir à établir un impôt plus élevé.

On nous a parlé de l’introduction en fraude d’eaux-de-vie étrangères qui viendraient détruire les prévisions de la loi, en faveur des fabriques indigènes. Si, dit-on, vous élevez trop le droit, eu égard à notre situation topographique, on introduira du genièvre étranger en France, et les fabriques indigènes, contre le vœu de tous, ne pourront soutenir la concurrence.

Mais n’y aurait-il pas possibilité d’empêcher la fraude des eaux-de-vie même en augmentant le droit ? Du reste, je ne parle pas d’un retour absolu à la loi de 1822, mais de l’établissement d’un chiffre intermédiaire, en prenant des mesures propres à assurer la rentrée de l’impôt, sans entrer dans une voie qui amènerait trop de vexations.

Il y a, en outre, une amélioration dans le projet présenté par la section centrale ; c’est que les taxes municipales ne sont plus limitées. Le gouvernement pourra autoriser, sur une matière aussi imposable, l’établissement d’un droit favorable au revenu des villes, et prendre les mesures nécessaires pour empêcher la fraude.

Quant à la fraude extérieure, n’avons-nous rien à espérer du renforcement de la douane, votée au budget des finances ?

Dans la situation actuelle, M. Dumortier est également d’accord avec moi, qu’on ne pourrait pas statuer immédiatement sur le retour à la loi de 1822. Je ne demande pas le retour à cette loi, mais je crois qu’on fera bien d’accueillir la proposition de l’honorable membre, non pas tout à fait dans le sens dans lequel il l’a faite, car si j’ai bien compris, il a demandé la nomination d’une commission pour en revenir à la cette loi de 1822. je désirerais que cette commission, si la chambre juge à propos de la nommer, eût pour mission d’examiner tant la législation actuelle que la législation précédente, afin de trouver les mesures les plus favorables pour le trésor public, pour obtenir le plus haut impôt possible sur les eaux-de-vie indigènes sans nuire à l’exportation ni favoriser la concurrence du genièvre. Par ce moyen, nous augmenterons le revenu de l’Etat et jusqu’à un certain point on diminuerait la consommation qui est préjudiciable à la morale publique. Je désire qu’on en vienne à ces mesures plutôt que de frapper la bière et le café. Tel a été le système de la section centrale.

M. Rodenbach – J’avais demandé la parole pour répondre à M. Dumortier qui a voulu nous mettre en contradiction avec nous-mêmes, M. Zoude, M. Desmet et moi. Il a lu nos discours ou plutôt une partie de nos discours. Nous n’avons pas la prétention d’avoir fait alors une loi parfaite. Nous n’avons voulu faire qu’une loi d’expérience, comme je le disais dans mon discours et ce qu’aurait vu l’honorable membre, s’il l’avait lu en entier. L’expérience a prouvé que nous nous étions trompé, que le droit pouvait être plus élevé.

On s’était élevé contre la loi hollandaise qui était une loi odieuse et non sans raison, car cette loi, la loi de 1822, avait ruiné plus de 400 familles. Nous avons travaillé pendant deux mois pour trouver un système simple, qui rendît la fraude en quelque sorte impossible. Nous n’avons pas atteint complètement le but que nous nous étions proposé. Mais l’honorable M. Dumortier n’a pas, je pense, la prétention de ne jamais se tromper. Tout le monde est susceptible d’erreur. Nous avons cependant atteint une partie de notre but en ce sens que nous avons fait une loi libérale. Sans doute elle n’a pas produit tout ce qu’elle devait produire, mais cela tient à notre situation topographique.

Je défie qu’on remette maintenant en vigueur la loi de 1822. Depuis lors, différents systèmes ont été introduits. Il y a le bain-marie, il y a le système ancien, celui qu’on employait il y a un siècle, et d’autres qui sont au nombre de 6 ou 7. Il faudrait 6 ou 7 lois, et 6 ou 7 lois sur la même matière serait chose absurde. Il faudrait que les employés fussent en permanence dans les distilleries. Il faudrait 2 employés dans chaque distillerie, un seul ne pouvant pas verbaliser, cela vous ferait une augmentation de personnel d’un millier d’employés, qui coûterait au moins un million.

Peut-on, je vous le demande, revenir à la loi de 1822 en présence de ces divers systèmes ?

D’ailleurs, messieurs, M. le ministre des finances vous l’a dit, en 1832 cette législation modifiée a produit 4,000,000. Quand la loi de 1832 a-t-elle produit 4,000,000 ? Quand la Belgique était remplie de troupes, de militaires qui consommaient immensément de spiritueux. Mais telle qu’elle est proposée, la loi rapportera infiniment plus que celle de 1822, que vous réclamez à grands cris. Je sais que ceux qui ont perfectionné leurs procédés de fabrication ont un avantage, mais il en est ainsi dans toutes les industries. Lorsque M. de Brouckere était ministre, il demandait une loi sur les distilleries qui produisît d’un million à un million et demi. Avec la loi que nous avons votée cet impôt a produit de 1,800,000 francs à 2,000,000, nous ne nous sommes donc pas trompés dans nos prévisions.

Du reste, l’honorable M. Dumortier était membre de la section centrale, (dénégation de la part de M. Dumortier), c’est alors qu’il aurait dû dire que l’impôt était trop faible, au lieu de venir le dire après coup.

M. Dumortier – Je l’ai dit et répété cent fois.

M. Rodenbach – Je m’en souviens, c’est imprimé ; vous avez fait partie de la section centrale. J’ai dit.

M. Duvivier – J’irai plus loin que l’honorable M. Rodenbach, et je déclare de bonne foi que je suis revenu comme d’une erreur de l’idée où j’étais que le droit ne pouvait s’élever en maintenant la base actuelle.

On a déjà augmenté l’impôt sans qu’il en soit résulté plus de fraude ; il en sera de même si on augmente encore l’impôt.

Je reconnais avec M. le ministre des finances que, dans le système actuel, il n’y a qu’une fraude possible celle de distilleries entièrement clandestines, ou de cuves clandestines qui alimenteraient l’usine en fraude.

Maintenant, quant aux dangers de fraude, j’insisterai sur cette vérité qu’a dite M. le ministre des finances : Notre pays, sous ce rapport, n’est malheureusement pas comme un autre ; je le considère comme n’ayant pas de frontières, car la fraude se fait par l’infiltration aussi facilement que s’il n’y en avait pas. La malheureuse limite (je dis malheureuse, parce qu’elle nous sépare à jamais de nos frères) qui s’établira autour de nos frères ne sera que nominale. La fraude de fera de ce côté avec une grande facilité comme elle se fait du côté de la Campine.

Je rends tout hommage à la douane. J’habite au milieu du rayon de la douane ; je déclare que les douaniers font un service admirable, que leurs fatigues, dans les cas graves, sont immenses et au-delà de ce qu’on peut s’imaginer. Eh bien, je vais vous donner un exemple de fraude qui certes est concluant. Je connais des distillateurs qui vont à la frontière de France acheter les pipes vides dans lesquelles les spiritueux ont été introduits en fraude ; mais, je le déclare, le service de la douane se fait avec un zèle et un dévouement admirables.

M. Desmet – Les honorables MM. Rodenbach et Duvivier qui ont concouru à la loi de 1833, rétractent ce qu’ils ont avancé. J’ai aussi collaboré à cette loi, mais je ne viens pas me rétracter. Quand nous nous occupions de cette loi, nous étions sous l’empire de la loi de 1822, l’impôt sur les distilleries rapportait alors 1,800,000 francs. Nous avons dit qu’un droit sur la matière macérée produirait une somme double ou triple ; eh bien, nous ne nous sommes pas trompés. Il est résulté aussi des modifications que nous avons apportées à la loi que nos distillateurs ont perfectionné leurs procédés de fabrication, et il y en a plusieurs qui peuvent maintenant lutter contre la Hollande. De plus, on a réussi à introduire dans le pays la rectification des esprits ; après de tels résultats, je n’ai rien à rétracter de ce que j’ai dit.

M. Demonceau – Pour moi, messieurs, voici ce que je vois dans la loi de 1833, je vois une loi qui pousse à une grande production d’une manière de nature à compromettre la morale publique, et je veux arrêter les effets de cette loi. Il faut, me dit-on, supprimer le droit ; ce n’est pas ainsi que je l’entends, c’est au contraire en haussant le droit que je veux empêcher la consommation autant que possible. Il n’y a personne, dit l’honorable M. Duvivier, qui puisse fabriquer du bon genièvre en 24 heures ; mais je ne puis croire que les industriels de Belgique soient assez ennemis de leurs intérêts pour ne pas suivre le conseil de l’honorable M. Duvivier, s’il était bon. Quand je vois la moitié des distillateurs travailler en moins de 24 heures, je dis que c’est parce que cela leur donne un avantage sur ceux qui ne travaillent qu’en 36 heures.

On revient toujours sur ce que le droit fixé par la loi de 1822 n’a pas produit plus que ne produit le droit établi aujourd’hui. J’ai expliqué pourquoi on obtient autant avec 8 francs qu’on obtenait autrefois avec 25 francs, c’est parce qu’on produit trois fois autant que sous la loi de 1822, rectifiée par le gouvernement provisoire et le congrès.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne puis me dispenser de présenter une objection à ce que vient d’exposer l’honorable M. Demonceau, que ceux qui activent la fermentation de manière à l’achever en 24 heures, obtiennent les mêmes produits en quantité et qualité que ceux qui emploient plus de temps à la macération. Il n’en est pas ainsi.

Lorsque les manières ont fermenté avec une telle activité, les produits ne sont pas aussi considérables, ils sont moindres en quantité, et en général aussi en qualité ; on ne peut d’ailleurs obtenir une fermentation très accélérée qu’en chargeant moins les cuves à macération.

Quant au droit qu’il croit être toujours de 8 francs, il est vrai qu’il ne s’élève qu’à ce chiffre pour les distillateurs qui accélèrent la fermentation de manière à la produire en 24 heures, mais ceux qui fabriquent en 30 heures payent réellement un droit plus élevé. Toutefois, je dois convenir que la différence du droit n’est pas dans une proportion rigoureuse avec le temps employé.

Du reste, la proposition du gouvernement tend à faire cesser le mal dont se plaint l’honorable préopinant, puisqu’elle a pour objet d’augmenter la quotité de l’impôt. Si sous la législation précédente, qu’on semble invoquer, le produit de l’impôt n’a pas été plus considérable, bien que le droit fût plus élevé, c’est que la consommation a été moindre. La conséquence d’un changement de système dans le sens indiqué par plusieurs honorables préopinants, je le répèterai encore, serait aussi une diminution dans la consommation.

Du reste, j’ai déjà prouvé par des chiffres que l’établissement d’un droit élevé en Belgique n’augmenterait pas les revenus du trésor, il en résulterait un préjudice réel pour l’agriculture, puisque l’étranger fournirait une partie de notre consommation.

- La discussion générale est close.


M. le président – Il a été déposé une proposition de M. Dumortier ; un amendement de M. Lejeune et un autre amendement de MM. Coghen, Verhaegen, Raymaeckers, Desmet et de Renesse, sont ainsi conçus :

Amendement à la loi sur les distilleries de MM. Verhaegen, Coghen, Raymaeckers, Desmet et de Renesse

Nous avons l’honorable de proposer la substitution du chiffre 50 centimes à celui de 60 centimes, fixé par l’article 4 de la loi.

Article additionnel proposé par M. Lejeune

Par dérogation à l’article 13 de la loi du 18 juillet 1833 (Bulletin officiel, n°864), la déclaration pourra être faite pour une ou plusieurs séries de cinq jours au moins et de quinze jours au plus.


M. Dumortier (pour une motion d'ordre) – Je demande qu’une commission soit nommée pour réviser les dispositions existantes en 1832 sur les distilleries, afin de pouvoir soumettre à la chambre, le plus tôt possible, un système qui soit de nature à produire un accroissement d’impôt plus considérable que celui proposé.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de cette proposition et de ces amendements.

La séance est levée à 4 heures et demie.