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Chambre des représentants
de Belgique
Séance du
mercredi 6 mars 1839
Sommaire
a) Pièces adressées à la chambre
b) Présentation de divers projets de loi
c) Projets de loi concernant le
traité destiné à régler la séparation entre
(Moniteur belge du 7 mars 1839, n°66)
(Présidence de M. Raikem)
M. Lejeune fait l’appel nominal à midi 3/4.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.
PIECES ADRESSEES A
M. Lejeune présente l’analyse des pièces
adressées à la chambre :
« Des habitants de l’arrondissement de Charleroy déclarent adhérer à la pétition des habitants de cette ville, tendant à ce que la chambre rejette le traité qui lui est soumis. »
« Des habitants de la commune d’Ursel (Flandre orientale) protestent contre l’abandon de leurs frères du Limbourg et du Luxembourg. »
« Le sieur M. Canoy, commissaire de police et contrôleur de l’octroi municipal de Venloo, etc., demande que, dans le projet de loi relatif à la naturalisation des habitants du Limbourg et du Luxembourg, la chambre introduise une disposition qui assimile, quant au traitement, les fonctionnaires salariés par les communes à ceux salariés par l’état. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
_______________________
M. Gendebien fait savoir par lettre en date de ce jour qu’une indisposition le met dans l’impossibilité d’assister à la séance.
- Pris pour notification.
Présentation de projets de loi
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) présente quatre projets de loi.
Le premier, subsidiaire au projet de loi relatif au traité de paix, tend à maintenir, dans l’intérêt de l’agriculture et de l’industrie, une partie des rapports commerciaux entre les deux parties du Luxembourg.
Le deuxième tend à remettre en vigueur la loi relative aux droits d’entrée, de sortie et de transit sur les os, dont le terme est expiré.
Le troisième est relatif aux grains entreposés.
Le quatrième propose de conserver pendant une année le mode actuel de nomination des jurys d’examen, et de proroger également pendant une année la loi du 27 mars 1837, restrictive des examens pour les étudiants en droit.
- La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi, en ordonne l’impression et la distribution et renvoie, les 3 premiers, à l’examen des commissions qui seront nommées par le bureau, et le quatrième à l’examen de la section centrale saisie du projet de loi de révision de la loi sur l’enseignement supérieur.
Discussion générale
M. le président – La discussion générale continue. La parole est à M. Verhaegen, inscrit pour le projet
M. Verhaegen – Messieurs, c’est, il faut l’avouer, un bien singulier, un bien mémorable spectacle, que celui que nous sommes forcés de présenter à l’Europe en ce moment. Une nation née d’hier, qui compte à peine quatre millions d’habitants, qui n’est encore admise que par le fait au nombre des peuples indépendants, se trouve, malgré elle et par la force des événements, arbitre suprême du repos continental ; elle peut, si elle le veut, donner le signal d’une guerre générale ; en courant aux armes, elle entraîne avec elle et les peuples et les souverains. Mais, si elle le veut aussi, la paix est affermie pour longtemps, la sécurité et la prospérité, qui s’y rattachent si intimement, vont ouvrir une vaste voie au progrès et au développement des idées libérales.
Dans cette grave situation, la mission de la représentation nationale est difficile ; notre position, à nous mandataires de la nation, n’est pas sans embarras.
Ce ne sont, en effet, ni les passions, ni les préventions que nous devons écouter, mais le calme, la modération et l’appréciation froide et consciencieuse des besoins et des vœux réels du pays.
Tous nous avons à remplir
un des plus précieux devoirs qui puissent être confiés à des hommes, celui de
décider sur l’avenir de
Et surtout, dans les circonstances qui nous menacent, rallions-nous franchement autour de l’autel de la patrie ; réunissons tous nos efforts pour sauver notre Belgique, pour maintenir son indépendance, et quand les baïonnettes étrangères s’amoncellent sur nos frontières, quand la conférence nous dicte impérieusement ses conditions, quand l’absolutisme spécule déjà sur nos dissensions, oublions nos querelles intérieures, soyons Belges avant tout, et fidèles à notre devise nationale, frères, soyons unis et nous serons forts.
C’est avez un sentiment de profonde tristesse, mais non de découragement que j’élève la voix dans cette enceinte ; car, je l’avoue, l’avenir de mon pays m’inquiète. Le premier, le plus sacré de nos devoirs, est de conserver une Belgique, et voilà que des puissances, qui de force se sont constituées nos juges, disposent du sort d’un grand nombre de nos frères, les parquent comme de vils troupeaux et nous disent : « Ce qui est arrêté est irrévocable ; il faut l’accepter, sinon nous forcerons votre acceptation. »
Que pouvons-nous faire ?
Et personne pour nous
soutenir ! Notre sœur, notre dernier espoir,
C’est là pour nous une
cruelle déception ; car lorsque, pendant six années, nous avons cru que
les 24 articles ne seraient jamais exécutés, c’était dans la conviction que
l’appui de
On invoque les sympathies de l’opposition française ; mais depuis longtemps nous pouvons apprécier ces sympathies à leur juste valeur.
Dans une discussion toute
récente, à l’occasion de l’évacuation d’Ancône, le ministère se défendait en
invoquant le droit du pape. L’opposition avouait qu’Ancône n’appartenait pas à
Ainsi, l’opposition ne
s’occupait pas du droit et ne tenait compte que de l’intérêt de
Si donc
Ainsi soit que le
ministère actuel se maintienne en France, soit qu’on le remplace par un nouveau
cabinet, et c’est là le seul espoir que peuvent laisse les élections dont nous
connaissons déjà quelques résultats, nous n’avons pas de secours à espérer de
ce côté. Le ministère Molé regarde l’exécution des 24 articles comme un
droit ; un ministère Thiers ou tout autre serait-il même de gauche, dirait
que l’intérêt de
Et ne nous faisons pas
d’ailleurs illusion sur les véritables dispositions de
La nation française veut la paix et la sécurité. Assez de gloire et assez de malheurs l’ont tout à tout illustrée et désolée pour qu’elle aspire enfin au repos. Elle a hautement abjuré tout esprit de conquête, et ne revendique en ce moment que l’honneur de marcher à la tête de la phalange du progrès pacifique.
Si l’existence de
Et voilà précisément le
secret de l’agitation actuelle de
Oui, je comprends que des cœurs généreux, et il en est beaucoup, en Belgique, s’indignent à la pensée de cet abandon. Oui, je suis fier pour mon pays de l’entendre protester hautement, et énergiquement contre une semblable lâcheté. Il est cruel pour nous de voir jusqu’où peut aller l’abus de la force de peuple à peuple ; mais, d’un autre côté, il est honorable de remarquer qu’on ne nous a pas laissé de choix. On ne nous a pas proposé, demandé la cession de nos frères, on nous l’impose, on nous y contraint. C’est un hommage involontaire au caractère nationale des Belges.
Ainsi donc nul appui : une nation de quatre millions pressée par les cinq grande puissances européennes et menacées par la force si elle hésite, voilà notre position. Il y a un luxe remarquable dans ces menaces. Longtemps on s’était borné à ne pas nous reconnaître, à feindre de croire qu’il n’existait pas de Belgique indépendante ; mais si nous sommes un peuple faible numériquement parlant, nous sommes aussi un peuple essentiellement producteur et agricole, et on se passe moins facilement des produits de notre sol et de notre industrie que des révérences de nos ambassadeurs. Peu à peu on est venu à nous reconnaître, et on nous reconnaît tellement aujourd’hui que pour la paix générale, on nous sacrifie généreusement aux inquiétudes des gouvernements.
Devant cette coalition qui peut nous ruiner, nous anéantir, soit par la force d’inertie, soit par la violence, qu’avons-nous à faire ?
Deux choses : accepter le traité qui nous est imposé ou le repousser, en annonçant que nous sommes décidés à mourir les armes à la main, plutôt que d’abandonner nos frères ; et ici il n’y a pas de juste milieu, car un simulacre de guerre ne sauverait pas l’honneur national, il ne servirait qu’à nous faire bafouer par tous les peuples civilisés. D’ailleurs, loin d’alléger les peines de nos concitoyens déjà malheureux, ils les exposeraient encore à tous les nouveaux malheurs d’une invasion à main armée.
Dans l’examen auquel je
vais me livrer, je n’écouterai que la voix de ma conscience ; je puis me
tromper, il est vrai, mais au moins mes concitoyens, mes frères du Limbourg et
du Luxembourg peuvent être convaincus que je n’apporterai dans cette discussion
que bonne foi et loyauté ; personne ne doutera de mon entière indépendance
et de mon attachement inviolable à
D’abord on ne me fera pas à moi le reproche injurieux de vouloir sacrifier l’honneur du pays à mes intérêts privés, je suis étranger à tout agiotage, à toute opération de bourse, et j’affirme que je ne possède aucune action industrielle ; mais, étranger personnellement à l’industrie et à ses spéculations, je ne dois pas l’être à ses intérêts bien entendus, parce que ses besoins, dans un pays industriel comme le nôtre, sont réellement les besoins de la patrie. Plein de cette conviction, qu’il me soit permis, dans ma position désintéressée, de repousser une objection injuste qui s’est déjà produite dans plus d’une occasion ; que dans cette enceinte, où tous les intérêts sont représentés et doivent se faire entendre, il ne soit point permis de suspecter une opinion ou de lui refuser confiance, parce que son auteur appartiendra sous un rapport quelconque au commerce, à l’industrie. Que deviendrait le pays, si, pour apprécier ses besoins et décider de son sort, il fallait être étranger par position à tous les éléments qui donnent la garantie d’une appréciation éclairée ? loin qu’il faille se livrer à ceux qui ne tenant à aucun intérêt compromis, n’ont rien à perdre au débat, ce n’est pas au contraire, pour se ménager dans l’intérêt particulier des garanties pour l’intérêt général, que la constitution exige des électeurs un cens, qui atteste la possession effective, intéressée au maintien de l’ordre et aux bienfaits d’une bonne administration.
Oui, je soutiens l’industrie parce que je la considère comme la source vivifiante de la richesse des nations, et par suite comme le premier appui des idées libérales. D’autres, je le sais, lui ont depuis longtemps déclaré une guerre à mort, parce qu’ils la craignent ; ils savent bien que lorsque le peuple est bien nourri, bien vêtu, bien logé, il n’a besoin de personne, et qu’alors seulement existe pour lui la liberté de penser et d’agit sans égard à de préjugés surannés.
En second lieu, je ne suis pas dans l’habitude d’écouter les suggestions gouvernementales ni de caresser quelque parti que ce soit ; enfin, je n’ai ni faveurs ni distinctions à demander ; au contraire, je suis prêt à tous les sacrifices dans l’intérêt de mon pays ; mais en même temps je veux rester calme dans la crise et maître de mon opinion.
Pour pouvoir bien
apprécier la position du pays, je crois essentiel de rétrograder jusqu’à
l’époque où le roi Guillaume annonça l’intention de traiter pour la séparation
définitive de
A aucune époque,
Les capitaux étrangers venaient en foule s’associer aux capitaux belges ; les améliorations introduites par l’industrie étrangère étaient mises en pratique et profitaient au consommateur comme au producteur. Nos centres industriels, Mons, Liége, Gand, Charleroy, voyaient se réaliser en or tous leurs produits, partout, la valeur des propriétés foncières était augmentée, les capitaux ne manquaient à aucune entreprise utile, et nos grandes sociétés financières voyaient leurs opérations recherchées, leur crédit s’étendre sur les principales places de l’Europe.
Ce crédit a soutenu le gouvernement dans des temps de crise, et quand un honorable préopinant, dans la séance d’hier, en parlant de la société générale, lui a donné la qualification de banque du roi Guillaume, il n’a écouté que la voix de la passion ; son langage, comme citoyen belge, je dois le dire, a été celui de l’ingratitude, et, pour mon compte, je proteste énergiquement contre cette qualification tout au moins inconvenante.
Le grand véhicule de la
prospérité des peuples modernes, le travail, était devenu l’objet d’un culte
assidu.
Ne vit-on pas alors le gouvernement dans la nécessité de venir en aide à l’industrie en renvoyant à leurs ateliers les miliciens réclamés comme instruments indispensables ?
Notre chemin de fer s’exécutait rapidement et était un objet d’envie et d’admiration à la fois, pour les nombreux visiteurs qu’il attirait dans le pays.
Le pays entier offrait en outre un magnifique exemple des bienfaits de la liberté chez un peuple sage et laborieux. Partout régnaient l’ordre et la confiance : partout le calme d’espérances réalisées, la foi en l’avenir.
Enfin, malgré tant de prédictions contraires, cette Belgique si calomniée, cette Belgique qu’on avait essayé de représenter à l’Europe comme ne renfermant qu’une population de séditieux, d’esprits inquiets et turbulents, cette Belgique dont on avait fait un épouvantail à toutes les dynasties, se développait admirablement au milieu de la paix ; elle respectait tous ses engagements et méritait l’estime de toutes les nations par sa modération et son ardeur au travail, comme elle avait mérité leur respect par sa spontanéité à conquérir son indépendance. Tranquille après la victoire, elle se suffisait à elle-même et semblait borner son ambition à son bonheur intérieur, au maintien de ses droits.
Cet état de choses, inespéré, il faut l’avouer, avait trompé bien des prévision, détruit bien des calculs, et s’il se prolongeait pendant quelques années encore, il était à craindre pour le roi Guillaume que l’absolutisme lui-même, son unique appui, ne vînt à se laisser intéresser pour cette jeune nation, qui ne demandait à l’Europe qu’un rang dans la grande famille, à ses adversaires que le temps de prouver la modération et la justice de ses prétentions.
C’est alors que le roi
Guillaume désespérant de nous amener par la patience à la nécessité de traiter
avec lui, comprenant combien était riche l’avenir qui se déroulait devant nous,
fit à ses intérêts le sacrifice de ses répugnances personnelles : il
comprit que le seul moyen de nous nuire qui lui restait, était d’exciter chez
nous des inquiétudes sur la stabilité de notre position, de nous replonger dans
les incertitudes du provisoire, et ce fut d’après ce système qu’il fit annoncer
à la conférence son intention de traiter pour un arrangement définitif avec
Cette démarche était
habile de sa part, il faut le reconnaître ; mais d’un autre côté, et on
n’a pas accordé assez d’attention à cette face de la question, c’était aussi un
éclatant hommage rendu à notre Belgique par ce souverain inflexible, qui
pendant huit années avait refusé de reconnaître notre révolution. Celui qui
persistait à nous regarder comme des sujets révoltés, se rendait enfin à
l’évidence ; il constatait officiellement nos succès, nos droits
d’insurrection, il adhérait à l’indépendance de
Le roi Guillaume voulait traiter parce qu’il savait bien que le statu quo était plus avantageux que la mise à exécution du traité des 24 articles ; son intention était assurément de nous nuire. Mais pour nous nuire, il ne lui restait plus qu’un moyen, celui de reconnaître nos droits de peuple libre et indépendant, pour arriver à un traité avec nous.
Il est à croire, et tous ceux qui ont étudié le caractère et les actes du roi Guillaume auront cette conviction, que le raisonnement de notre ennemi aura été à peu près celui-ci :
Pour arrêter
immédiatement les progrès matériels de
Accepter,
Refuser,
Continuer les négociations.
S’il y a acceptation, je crée des divisions en Belgique, je discrédite son gouvernement en l’isolant d’une partie de sa nation, je dépopularise le roi Léopold, en qui les Belges ont tant de confiance : j’ajouterai « à juste titre », car le Roi n’est pas responsable de la faute de ses ministres.
S’il y a refus, c’est la
guerre, ou du moins l’expectative de la guerre ; ainsi plus de sécurité,
partout stagnation complète du commerce et de l’industrie, et intervention des
grandes puissances active ou inerte, mais toujours intervention pour contraindre
Si on veut continuer les négociations, grâce à la présence des armées, aux inquiétudes de l’Europe sur la paix générale, à des troubles intérieurs, que l’on peut susciter partout, j’aurai arrêté toute prospérité matérielle, excité des discordes intestines, et cette Belgique si florissante en ce moment, énervée par l’isolement et le marasme, sera bientôt forcée de réclamer une solution comme un bienfait.
Pour compléter l’ensemble de cette tactique que l’on peut deviner, d’après des faits récents et des antécédents non moins significatifs, qu’on ajoute le besoin, pour toutes les puissances absolutistes et autres, d’éloigner du Nord de l’Europe un foyer de dissensions politiques, le vœu général des populations pour le maintien de la paix, l’état de malaise de certains gouvernements, pressés de se trouver sans embarras à l’extérieur pour disposer librement de toutes leurs ressources à l’intérieur, la crainte d’avoir une guerre générale dans les phases de laquelle chacun pourrait être entraîné bien loin au-delà de ses prévisions, et on aura tous les motifs du traité qui nous est imposé.
En deux mots, on aspire après une solution définitive, on la veut à tout prix ; et comme nous sommes les plus jeunes, comme nos droits de nation ne sont pas encore entièrement reconnus, comme on nous a au préalable isolés de tous nos appuis, comme enfin on sait parfaitement que nous ne pouvons exister que par la paix et que toutes nos sympathies belliqueuses doivent finir par céder devant les exigences des intérêts matériels du pays, c’est sur nous qu’on fait peser tous les sacrifices ; on nous enlève nos frères, on démembre notre territoire, on nous force à l’ingratitude ; notre existence nationale est à ce prix.
Rejetons ce pacte impie, s’écrient quelques voix généreuses, restons fermes et calme en présence des bataillons de la sainte-alliance. Attendons qu’on nous attaque et nous nous défendrons. Mais on ne nous attaquera pas ; notre position est la même qu’en 1830 ; un coup de fusil tiré sur nos frontières serait le signal de la guerre générale, et les souverains ont autant et peut-être plus de raisons que nous d’éviter cette terrible extrémité.
Ce raisonnement est séduisant au premier abord, mais est-il fondé ?
Non, notre position n’est plus la même qu’en 1830, elle est bien plus belle, et c’est pour cela qu’il ne faut pas la compromettre.
En 1830 et 1831, les plus
beaux rêves sur l’avenir réservé à
Mais aujourd’hui, huit années de paix et de prospérité ont créé de nouvelles idées, des besoins tout autres. Toujours le pays veut sa nationalité, son indépendance ; mais du moment qu’elles ne sont pas menacées, il ne veut pas de mesures violentes. Il gémit d’être obligé d’abandonner des frères, mais il ne veut pas mettre en jeu l’existence nationale pour les conserver, d’autant plus qu’il a la conviction que ses efforts, quels qu’ils fussent, resteraient infructueux pour eux et deviendraient nécessairement très dangereux pour lui. Il y a ici une barrière sacrée qu’il ne peut franchir.
Voilà donc mon opinion
sur l’état réel des esprits en Belgique : si au moyen de sacrifices on
peut éviter la cession des territoires contestés, qu’on l’évite, le pays
s’imposera de nouvelle charges pour conserver ses frères, mais qu’on ne risque
pas le sort de
Ce sont là de tristes vérités, je le sais, je le déplore, mais c’est ainsi ; et quelques puissants que nous soyons, nous ne pouvons en cette circonstance changer l’opinion générale.
Mais c’est de l’égoïsme, dira-t-on.
Non, ce n’est pas de l’égoïsme : il n’en est pas des nations comme des individus ; le sentiment intime de la conservation, ce besoin incessant de consolider ce qui est, constituent l’essence de la société : un homme meurt pour défendre son honneur, une nation ne meurt pas, elle cède à la force, en attendant des temps plus favorables.
Je l’avoue hautement, car
je regarde comme un devoir sacré d’exprimer ici toute ma pensée. Oui,
messieurs, tous mes vœux, toutes mes sympathies, toutes mes affections sont
pour la conservation de
Mais si, au lieu de
l’armée hollandaise, c’est l’armée de l’Europe que nous devons
rencontrer ; si la force brutale exige l’exécution des volontés de
l’arbitraire ; si, sans appui, sans alliance, sans autres ressources que
les nôtres, il nous faut affronter toutes les puissances ; si enfin, comme
je le crois, notre résistance doit remettre en question l’existence de
Oui, mon pays avant tout, mon pays au-dessus de tout. Oui, avant tout je veux qu’il existe, et quelles que soient les entraves qu’on lui oppose aujourd’hui, malgré tous les sacrifices qu’on exige de lui, je lui crois assez de force et de vitalité pour attendre du temps un remède assuré aux blessures actuelles. Qu’elle vive d’abord notre Belgique, et Dieu aidant, elle saura bien se faire heureuse et honorée.
D’ailleurs, la résistance nous est-elle permise ? Nous a-t-on même laissé la liberté du choix ?
Hélas non ! la résistance même est impossible. Nos ennemis se cachent derrières les bataillons de la conférence.
Résistons, soit ; mais à qui ?
Est-ce à
Reste donc l’Europe… Qui
de nous peut songer à l’affronter ? et pourquoi
l’affronterions-nous ? elle est unie en ce moment pour nous écraser ;
elle veut la paix ; elle nous la présente à la pointe de ses baÏonnettes.
Qui donc oserait dire à
Irons-nous, nation de
quatre millions d’hommes, à peine sortie du berceau et encore emmaillotée dans
les langes de la diplomatie, nous placer en face de l’Europe et la provoquer au
combat ? Irons-nous demander à notre armée sur laquelle nous pourrions
nous reposer, s’il ne s’agissait que de
Mais, dit-on, les souverains représentés à la conférence reculeront devant la guerre. Sera-ce donc une guerre que l’invasion de leurs troupes en Belgique ? Non ; puisqu’on a osé demandé à un illustre initié de battre le briquet qu’il tient en main pour en tirer l’étincelle qui doit embraser l’Europe, puisqu’on veut une seconde Pologne, ce sera un massacre !... Nous aurons pour toute compensation l’honneur d’inscrire le nom de Bruxelles à côté de celui de Varsovie !
Aurons-nous rempli notre
devoir, nous mandataires de
Un orateur célèbre, combattant en 1831 l’adoption des 24 articles, que j’aurais repoussés avec lui à cette époque, menaçait les partisans de l’acceptation de ce stigmate mémorable : « Il était du congrès, il a vendu ses frères ! » Tous vous savez quel retentissement ont eu ces paroles.
Eh bien, moi, à cette
même tribune où parlait avec tant d’âme l’honorable M. Jaminé, je déclare
hautement que si, dans les circonstances critiques où se trouve placé mon pays,
je me laissais entraîné à voter pour la résistance, je craindrais que mes
concitoyens ne m’attribuassent un jour la cause de leurs désastres et ne me
fissent cet amer et juste reproche : « Il était de la chambre de
1839, il a compromis la nationalité et l’indépendance de
Qu’on ne vient pas parler
de
Mais admettons que les puissance signataires du traité n’emploient pas la violence contre nous : n’ont-elles pas encore l’usage de la force d’inertie ?
Elles ne nous attaqueront pas, mais elle nous bloqueront étroitement, elles établiront des cordons sanitaires, elles nous traiteront comme des pestiférés ; nous seront au ban de l’Europe ; notre nom de peuple n’existera plus pour elles ; au-dedans, on sèmera la discorde, on soldera des agitateurs, toutes nos affaires seront arrêtées, notre commerce et notre industrie frappés de mort, déjà ils sont à l’agonie ! Nous supporterions cet isolement pendant quelques mois, mais ensuite ?
Ensuite ? il nous faudra accepter le même traité rendu plus onéreux encore peut-être ; il nous faudra solliciter pour qu’on nous permette de le ratifier ; ainsi une honte de plus, et en outre des sacrifices inouïs sans aucune chance d’avantages.
Qu’on le remarque donc bien, il ne s’agit pas ici d’équité, de justice : pour les arbitres de nos destinées, l’équité et la justice, c’est la force ! Nous ne sommes pas les plus forts, donc nous devons souffrir, voilà leur raisonnement.
Et puis n’est-ce rien
pour cette conférence obligée par la puissance des faits de reconnaître une
nation qui s’est constituée elle-même par le droit de sa volonté, n’est-ce donc
rien que le plaisir de protester ipso facto contre le principe de la
souveraineté populaire qui domine les dates mémorables de juillet et de
septembre 1830 ? N’est-ce donc rien que cette satisfaction de
Maintenant, reste la voie des négociations à continuer, des délais à obtenir.
Nous réclamerons auprès de la conférence ; mais, ainsi que cela vient d’avoir lieu pour une note relative à un changement de domination pour les parties cédées, on nous répondra qu’il n’y a plus de changements possibles, attendu que le roi Guillaume a adhéré purement et simplement au traité.
Ensuite
Il faut cependant que
cette situation ait un terme, que le pays soit une bonne fois débarrassé de ces
sujets d’alarme, sans cesse exploités contre lui. Qu’on en finisse : tel
est le cri général…. Tel est le besoin de
De nouveaux délais, si tant est qu’on nous en accorde, ne serviraient qu’à prolonger la crise, et plus elle sera prolongée, plus le pays souffrira.
D’après ces considérations générales, je n’irai discuter ni la question de constitutionnalité qui est nettement tranchée par les articles 2, 3 et 68 de la constitution, ni les dispositions particulières du traité. Qu’importe sa teneur et sa forme, puisqu’on nous déclare les armes à la main qu’il est irrévocable ; puisque nous ne pouvons ni le jeter ni le modifier. On ne nous demande pas notre avis, on nous force à donner notre adhésion. Oui, on nous y force puisque notre refus nous attirerait l’emploi de la violence et compromettrait l’existence nationale.
Vous voyez bien que nous
ne sommes pas libres de choisir un parti : Nous qui croyons en
Pour bien apprécier quel
est l’intérêt de
Notre seul ennemi est le roi Guillaume, car entre nous et la nation hollandaise, il n’y a au fond d’inimitié réelle. S’il n’existait pas d’intermédiaire entre nous, les deux peuples s’entendraient facilement parce qu’ils ont des intérêts communes ; mais le roi Guillaume a une injure personnelle à venger ; nous avons repousser sa domination, et c’est là un crime qu’il ne nous pardonnera jamais.
Que fait le roi Guillaume ?
Il accepte le traité, et
chose bien remarquable, des journaux qui en Belgique se sont constitués ses
organes, se prononcent énergiquement pour que
Que conclure de là, sinon que le roi Guillaume n’a agi que dans l’espoir d’un refus de notre part ; refus dont il se promet bien de tirer profit, refus qu’il attend, qu’il excite lui-même, et qui dès lors doit nécessairement être onéreux pour nous.
En recherchant la cause de nos malheurs, vous parlerai-je de certaine effervescence excitée d’abord, puis calmée, puis excitée de nouveau, puis enfin arrêtée ?
Vous parlerai-je d’un revirement d’opinion accueilli par certains organes de la presse, avec ces paroles acerbes : « Puisque le pape aime mieux se faire le confesseur des peuples conduits au supplice, que de se mettre à la tête d’une sainte croisade pour la liberté, le clergé belge abandonnera le pape à cet esprit de vertige et de lâcheté qui entraîne pêle-mêle toutes les puissances vermoulue de l’Europe » (Belge, 22 février).
Non ; des récriminations seraient inconvenantes dans ce moment suprême où la patrie réclame l’union entre tous ses enfants : le mal existe, et il faut avant tout y porter remède. Nous réservons pour d’autres temps nos investigations sur les sources qui l’ont produit.
Reste une dernière, mais bien grave question à traiter, celle de l’honneur national.
Je l’avouerai avec ma
franchise habituelle, je ne vois pas que l’honneur national de
Avec-nous la liberté du choix ?
Y a-t-il un moyen praticable de repousser les ordres de la conférence ?
Notre volonté est-elle pour quelque chose dans cette décision ?
A moins qu’on ne vienne
soutenir, et on ne le fera pas, que
Il est évident pour tout
le monde que
Mais notre adresse en réponse au discours du trône ! Notre adresse qui, je dois le dire (car la franchise avant tout) ne peut pas être justifiée, parce qu’elle ne serait que conditionnelle.
La responsabilité de cette adresse ne doit pas, ne peut pas retomber sur la représentation nationale, mais sur le ministère tel qu’il était alors composé. A lui seul, on demandera compte un jour de tous ces millions inutilement dépensés, de toutes ces manifestations d’opinions maladroitement provoquées et aujourd’hui compromises, de toutes ces bravades qui auraient pu nous exposer à la risée de l’Europe, de ces angoisses entremêlées d’espérances auxquelles nos malheureux frères ont été en butte, de cette crise commerciale et industrielle enfin, qu’il a laissé éclater sans aucune utilité, car pour moi une diminution de la dette, un arrangement prétendument favorable pour la navigation de l’Escaut n’ont aucune importance en présence du morcellement de territoire qui était définitivement arrêté.
La chambre, elle, ignorait où en étaient les négociations avec la conférence : plusieurs fois elle avait demandé des renseignements que le ministère, sous prétexte d’inopportunité, a évité de donner. Dans un but qu’il est inutile de rechercher le gouvernement a voulu une manifestation officielle pour appuyer des réclamations qu’il savait déjà être tardives, car les pièces diplomatiques nous ont appris que, dès le mois d’avril, l’Angleterre fit déclarer au cabinet de Bruxelles qu’il considérait comme irrévocables les arrangements territoriaux du traité de 1831 ; et le 4 août suivant, notre envoyé à Londres annonçait qu’il ne restait plus le moindre espoir. Le discours de l’honorable M. Nothomb, prononcé à votre séance d’avant-hier, a confirmé nos assertions à cet égard.
Tous nous désirions
d’autres conditions que celles des 24 articles, et quand le ministère, par un
auguste organe, nous a parlé de persévérance et de courage, nous croyions qu’il
avait des moyens de résistance, et que tout au moins qu’il avait l’appui de
La commission de l’adresse était composée d’un membre du cabine et d’amis politiques du ministère, nommés sous son influence. Quand les membres de cette commission ont proposé l’adoption du projet, auquel aucun des cinq ministres n’a fait la moindre objection, la chambre a dû croire qu’ils étaient parfaitement d’accord avec le gouvernement, et que celui-ci avait fait des confidences sur les actes diplomatiques jusqu’alors secrets.
Mon honorable ami M. Dolez, et moi, avons vainement essayé d’obtenir quelque peu de temps pour peser et mûrement examiner un document de cette importance ; nous avons réclamé, comme un acte de justice et de convenance, qu’on nous permît au moins de lire le projet qu’on voulait mettre en discussion et qui venait seulement de nous être remis à notre entrée dans la chambre ; mais nos réclamations ne furent point écoutées : peu s’en fallu qu’on ne nous accusât de trahison. La majorité décida que la discussion aurait lieu immédiatement, et dès lors la chambre dut se borner à un vote de confiance. L’adresse fut votée à l’unanimité, parce qu’à en croire les auteurs du projet une unanimité seule pouvait sauver la patrie.
Depuis sont arrivées les injonctions de la conférence qui ne sont que le résultat de décisions antérieures qu’on avait eu soin de nous laisser ignorer. Ces injonctions rendaient notre adresse inutile ; on ne l’a pas même réfutée, on a passé outre.
Oui, nous voulions de la
persévérance et du courage dans le maintien de nos droits. Mais doit-on
entendre ces mots comme un défi jeté à toute l’Europe ? Non, sans doute…
nous avons fait preuve de persévérance pendant huit ans. Quant au courage on ne
veut pas que nous en montrions ; on se place entre nous et notre ennemi.
Serait-ce du courage que de résister aux cinq grandes puissances de
l’Europe ? Nous savions au moment de notre adresse que
Et on parle de honte pour
Parlez de douleur, de désespoir, mais qu’on ne prononce pas le mot honte, ce n’est pas sa place.
Où donc est-il écrit que l’abus de la force déshonore la victime ? qui osera dire à un peuple de quatre millions : Il fallait résister à des peuples de plus de cent millions et mourir plutôt que de céder !
Qui a jamais prétendu que
Elle a cédé à la force, le plus injuste mais le plus puissant des droits. Aujourd’hui que le temps a cicatrisé ses plaies, en est-elle moins la premier nation de l’Europe ?
Qu’on ne dise pas que
nous abandonnons nos frères ;
Non, la honte du traité
qu’on nous impose, qui nous est présenté à la pointe des baïonnettes de
l’Europe coalisée, n’atteindra jamais notre Belgique, placée entre sa perte et
une passive obéissance. Elle restera entière, éternelle cette honte, attachée au
front de nos persécuteurs. Ce sera un digne pendant à l’anéantissement de
Et vous dont la main serre encore la nôtre aujourd’hui, vous mes concitoyens du Limbourg et du Luxembourg, membres comme nous depuis des siècles de la grande famille, vous qui vous proclamez heureux et fiers d’avoir préparé et consolidé comme nous l’œuvre de l’indépendance, est-ce à croire que vous cesserez d’être Belges et que nous cesserons d’être frères parce que l’Europe coalisée vous aura dit la menace à la bouche : « Le joug que vous aviez secoué, il nous plaît de vous l’imposer de nouveau ; le maître que vous aviez rejeté, il nous plaît maintenant de vous le rendre. » Non, les traités imposés par la force ne prévalent nulle part sur les droits de l’humanité. La ligne de démarcation tracée par une politique égoïste n’affaiblira, j’en ai l’assurance, ni nos sentiments communs, ni nos communes sympathies : nous resterons ce que nous sommes, les fils d’une même mère, les rejetons d’une même race. Cette séparation que l’impérieuse nécessité nous prescrit et dont la honte ne retombera que sur ceux qui la veulent, rien ne suppose qu’elle doive être éternelle, ni même durable. C’est pour un temps peut-être très limité que nous vivrons sous un sceptre et sous des lois différentes. Une politique plus intelligente des vrais besoins des peuples fera place aux calculs étroits de la politique européenne actuelle. Nous ne nous séparons que pour nous retrouver un jour. Et si, des deux parts que la conférence a jugé à propos de faire du Limbourg et du Luxembourg, elle assigne à notre ennemi la plus peuplée, c’est pur nous, Belges de toutes les autres provinces, une raison de plus de penser que notre royaume retrouvera, en de meilleures circonstances, les limites que la nature et notre courage lui avait données. En acceptant donc le traité qui nous est, non pas offert, mais imposé, je renonce, il est vrai, à des droits actuels, mais c’est pour me réserver toutes mes espérances dans l’avenir.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Lors de l’adhésion du roi Guillaume au traité des 24 articles, le 14 mars dernier, le gouvernement belge avait à choisir entre trois partis : Il devait ou se montrer disposé à accepter immédiatement les clauses territoriales, ou repousser l’intervention de la conférence, ou temporiser et chercher à négocier.
Y aurait-il eu dignité à céder dès le mois de mars, sans faire aucune effort pour conserver les populations du Limbourg et du Luxembourg ? Les puissances eussent-elles été mieux disposées à entrer en arrangement, après avoir obtenu notre adhésion ? je n’hésite pas à dire que non. Du moment qu’on était assuré de notre adhésion, aucun changement n’était plus possible.
Mais, en adhérant
immédiatement, vous n’auriez pas seulement perdu le territoire, vous auriez
perdu encore une grande partie des arrérages, dont nous avons obtenu la
remise ; vous n’auriez obtenu aucune réduction sur la dette. Ce n’est pas
une vaine allégation. Dès le 27 avril dernier, le cabinet britannique me fit
notifier que tout espoir de
Avec des charges aussi
accablantes,
Le second système, celui de résister à la conférence, de protester contre la délimitation territoriale, conduisait au même résultat. Aussitôt que la délimitation territoriale aurait été officiellement contestée à la conférence, elle se serait empressée de (erratum, Moniteur du 8 mars 1839 : ) poser un acte par lequel toutes les négociations auraient été terminées. Dès lors toute chance, résultant des négociations, toute éventualité favorable étaient perdues. De plus, on ne pouvait manquer de concerter immédiatement les mesures coercitives, et l’on aurait fait d’autant plus facilement que les tribunes de France et d’Angleterre étaient muettes à cette époque. Les négociations sur les arrérages, sur la dette, sur l’Escaut, il ne pouvait en être question dans ce système. Voilà cependant le système qu’on a osé proposer au pays comme la véritable politique.
Celui que nous avons adopté est celui de la temporisation et des négociations.
Notre politique n’est pas restée inconnue ; elle vous a été indiquée dans le comité secret du mois d’avril dernier. Prolonger le statu quo aussi longtemps que ce sera raisonnablement possible, en s’efforçant d’arriver à un arrangement qui nous permette de conserver intacts le Limbourg et le Luxembourg, tel est le programme que nous avons posé dans cette séance. Cette politique peut être avouée hautement à l’intérieur ; car elle a obtenu non-seulement votre suffrage, mais ceux de tout le pays, comme l’ont prouvé des adresses d’un grand nombre de conseils communaux et de presque tous les conseils provinciaux.
Cette politique peut également être avouée à l’extérieur, et lorsque les craintes qui ont récemment agité l’Europe seront dissipées, elle rendra justice au sentiment patriotique qui a animé le gouvernement et le pays.
La politique du ministère avait-elle des chances de succès ? Oui, messieurs. En premier lieu un désaccord s’était manifesté entre les membres de la conférence, lorsqu’il s’est agi de constater par un protocole l’adhésion du roi Guillaume. La conférence a en quelque sorte été dissoute par ce désaccord. Jusqu’à ce que de nouvelles instructions aient été envoyées aux ambassadeurs des diverses puissances vers la fin de juillet.
En supposant les
négociations reprises comme elles l’ont été au mois d’août, ne pouvaient-elles
pas être rompues soit par un désaccord entre les puissances, soit par la
retraite du cabinet de
Les chances de voir
établir une trêve entre
La prolongation de l’état de possession du territoire était sans doute un des moyens les plus assurés de le conserver comme définitif. Plus les intérêts se multiplient, plus les liens se resserrent, et plus il est difficile de séparer les populations.
L’espoir d’une transaction moyennant une indemnité pécuniaire, était encore une ressource probable ; mais ce moyen on ne pouvait y avoir recours officiellement, qu’après avoir obtenu la réduction importante sur le chiffre exagéré de la dette qui nous avait été imposée en 1831 ; on devait en attendant se borner à l’indiquer.
Nous pouvions compter que
les états généraux de
La diète aurait peut-être trouvé dans la satisfaction complète des deux états une garantie plus forte pour le maintien de l’équilibre européen, que dans la possession de quelques cantons du Limbourg et du Luxembourg, ou que dans l’association de ces populations à la confédération germanique.
On pouvait encore
chercher une compensation territoriale qui eût été de nature à satisfaire les
prétentions de la diète. Par exemple, la constitution de la place de Maestricht
en place fédérale, qui aurait soulagé les Hollandais d’une charge militaire
très pesante, aurait offert à l’Allemagne un rempart plus précieux que la
possession des cantons ruraux du Limbourg et du Luxembourg, sans toutefois,
semble-t-il pouvoir porter ombrage à
Plusieurs événements indépendants de la question belge pouvaient encore surgir pendant le cours de la négociation : ainsi la question d’Orient pouvait appeler sur elle toute l’attention des grandes puissances ; elle pouvait faire tomber la nôtre dans l’oubli. C’était là un motif de plus pour ne pas nous presser relativement à la question territoriale.
Toutefois si le gouvernement a pris l’initiative de ce système, s’il l’a formulé dès l’ouverture de la négociation avant que les chambres ou le pays se fussent prononcés, ce serait une erreur de croire que le gouvernement ait jamais engagé les chambres ou le pays à faire des manifestations. Le gouvernement n’a pas pu s’exprimer sur ces voeux qu’on a fait entendre, parce qu’en cherchant à modérer les espérances du pays il aurait proclamé en quelque sorte lui-même l’abandon du territoire, ou qu’il ne concevait plus d’espoir de le conserver.
La politique du ministère a eu l’assentiment des chambres ; et cependant les chambres étaient divisées en deux grandes fractions dont l’une semblait disposée à tout risquer pour la conservation du Limbourg et du Luxembourg, tandis que l’autre paraissait fermement résolue à poser des limites aux sacrifices. Dans cette situation des opinions dans le sein des chambres, la politique du ministère devait être approuvée jusqu’au moment où les événements obligeraient le gouvernement à adopter le système de la paix, ou le système de la résistance ; je dis résistance pour éluder le mot guerre.
Aucune profession de foi n’a été exigée de notre part, et nous avons toujours évité de proclamer une opinion absolue sur cette question grave.
Dira-t-on que les chambres étaient persuadées du succès de la
négociation sur la question du territoire ? Non, messieurs, personne
d’entre vous ne le dira. Les actes diplomatiques invoqués contre nous vous
étaient connus ; la presse, vos relations habituelles avec les membres du
cabinet vous mettaient à même d’être suffisamment informés. Toujours vous avez
considéré la question territoriale comme très problématique.
Mais,
messieurs, avez-vous été induits en erreur à l’ouverture de votre
session ? Nullement, les faits étaient connus, et dans le sein de votre commission
de l’adresse j’ai eu soin de les expliquer en détail, sans aucune réserve, sans
aucune réticence. De quoi s’agissait-il alors ? d’exercer une grande
influence sur la tribune française. A cette époque aucune décision n’était
émanée de la conférence, les choses étaient encore entières.
Je
puis m’appuyer du rapport que le ministre des affaires étrangères de
« Ces
délibérations qui, d’abord, n’étaient que préparatoires et ne portaient pas le
caractère officiel, laissaient bien, à la fin de l’année dernière, supposer
jusqu’à un certain point leur résultat, mais n’avaient point encore acquis le
degré de maturité nécessaire pour permettre de faire quelques ouvertures sur
les particularités de la négociation. »
Vous
le voyez donc, ni vis-à-vis de
Une
sympathie vivement exprimée, un appui promis dans l’adresse des chambres
françaises, joints aux compensations pécuniaires que
Messieurs,
si nous eussions proféré dans cette enceinte des paroles de découragement, si
nous avions proclamé qu’il fallait se résigner au sacrifice, y eût-il eu des
expressions assez sévères pour accuser le ministère, et ne lui aurait-on pas
dit : Arrivés à cette époque si (erratum, Moniteur du 8 mars
1839 : ) précieuse de la réunion
des chambres françaises, et quand nul engagement nouveau n’existe entre les
plénipotentiaires de la conférence, comment pouvez-vous faire entendre des
paroles de désespoir ? Mais pourquoi exprime-t-on des regrets sur la
marche qui a été suivie ? C’est qu’il est dans la nature de l’homme de
s’occuper successivement d’espérance et de regret, n’eussiez-vous pas ressentis
si une politique contraire eût été adoptée, si le gouvernement s’était empressé
d’adhérer aux dispositions territoriales du 15 novembre 1831 ! Quels
regrets plus vifs encore vous eussent saisis si, suivant l’opinion de quelques
membres, le gouvernement se fût hâté de protester contre le traité du 15
novembre, si une telle protestation vous avait privés des avantages que nous
avons pu obtenir dans la négociation, et si cette protestation eût été suivie,
dès l’été dernier, d’une exécution militaire !!
Si
nous avons eu le malheur de ne point obtenir de succès sur la question
territoriales, au moins avons-nous remporté des avantages considérables en ce
qui concerne la remise des arrérages de la dette, la réduction sur la rente
annuelle, les stipulations sur l’Escaut.
Avec
quelles difficultés ces avantages ont-ils été obtenus, lorsque le roi Guillaume
adhérait purement et simplement au traité que nous avions nous-mêmes accepté,
lorsque cette adhésion était considérée par lui comme un sacrifice immense,
lorsqu’il la donnait à regret et sous la condition qu’aucune modification ne
serait apportée au traité.
Cependant,
messieurs, vous avez vu que, dans son adhésion aux nouvelles propositions du 23
janvier, il déclare que son attente a été déçue, que de nouveaux sacrifices lui
sont imposés. Ces paroles du plénipotentiaire hollandais, consignées dans la
note qu’il a adressée à la conférence, sont encore confirmées par le discours
du ministre des affaires étrangères de Hollande, dans la récente communication
qu’il a faite aux états-généraux. Voici en quels termes il s’exprime :
« La
comparaison des traités proposés par cette note, avec les 24 articles dont la
signature avait été offerte de notre part, présente diverses modifications à
ces articles, quelques-unes indifférentes ou préférables pour la rédaction,
d’autres défavorables à
Ainsi,
messieurs, le ministère a su obtenir pour le pays de grands avantages en ce qui
concerne ses intérêts matériels ; il a su conserver le concours entre le
gouvernement et les chambres dans les circonstances les plus difficiles, il a
su maintenir l’ordre intérieur au milieu de tant d’agitations, il a défendu
l’intérêt du Limbourg et du Luxembourg jusqu’aux dernières limites du
possible ; il leur a procuré toutes les chances d’événements et
d’arrangements favorables que pouvaient amener de longues négociations ;
finalement il s’est décidé à vous proposer l’acceptation du traité, et, dans
cet acte, les membres restants du ministère espèrent avoir mérité les suffrages
du pays : il n’y a eu, dans cette conduite, ni absence de système, ni
absence de volonté, ni absence de vigilance, ni absence de courage. Nous avons
résisté à toutes les instances qui ont été faites aussi longtemps que le
dernier protocole n’a point été revêtu de toutes les signatures,
aussi longtemps que l’adhésion du roi Guillaume n’a point été donnée.
C’est
dans ces circonstances cependant qu’on vous propose, messieurs, je ne dirai pas
de persévérer dans votre adresse, mais d’en exagérer le sens, car vous n’y avez
jamais attaché cette portée absolue, vous n’avez jamais entendu proclamer une
résistance sans limites. J’ai conservé le souvenir d’opinions individuelles
émises par un grand nombre de membres de cette assemblée et je puis affirmer
que jamais on n’a entendu proclamer en quelque sorte la ruine éventuelle du
pays.
D’ailleurs,
messieurs,
« (erratum,
Moniteur du 8 mars 1839 : ) Pour ce
qui concerne la forme du traité à conclure entre le roi des Pays-Bas et les
cinq cours, comme sa majesté a déclaré à la nation et à l’Europe ne pouvoir
souscrire aux 24 articles, leur signature actuelle compromettant son
honneur. »
Et
malgré une déclaration aussi positive, le roi Guillaume a donné son adhésion,
non seulement au traité des 24 articles, mais encore au traité du 23 janvier
dernier.
On
vous a rappelé, messieurs, l’exemple du congrès : cette assemblée
mémorable, dans sa séance du 1er février, rédigea une adresse à la
conférence dans laquelle elle s’exprimait en ces termes :
« Le congrès (erratum, Moniteur du 8 mars 1839 :
) n’abdiquera dans aucun cas en faveur
des cabinets étrangers l’exercice de souveraineté que la nation belge lui a
confié ; il ne se soumettra jamais à une décision qui détruirait
l’intégrité du territoire et qui mutilerait la représentation nationale ;
il réclamera toujours de la part des puissances étrangères le maintien du
principe de la non-intervention. »
Mais
on a oublié de vous rappeler que cette protestation si patriotique fut suivie
quelques mois plus tard de l’acceptation des 18 articles qui détachaient en
principe le Luxembourg et
On
vous a plusieurs fois entretenus de
On
vous a cité le courage héroïque de
Plus
heureux, messieurs, il nous est permis de délibérer sur un traité de
paix ,
Si
l’histoire doit honorer le nom polonais, parce que
Oui,
messieurs, la question de nationalité est ici en jeu ; qu’on ne se le dissimule
pas, depuis huit années la question hollando-belge a jeté l’inquiétude entre
toutes les puissances ; cette question doit avoir un terme, et si jamais
l’opinion venait à prévaloir que la nationalité belge est impossible, si la
représentation nationale proclamait, en repoussant le traité, que
M. Beerenbroeck – Messieurs, dans un moment solennel, lorsqu’on va décider du sort du pays, que la patrie est menacée de perdre ce qui doit lui être de plus cher, la conservation de son territoire, on ne devrait plus s’attacher à rechercher quels sont ceux qui, par un coupable aveuglement de leur ambition, ont conduit le pays au bord de l’abîme ; on ne devrait s’occuper que des moyens de surmonter les obstacles qui nous environnent ; mais, messieurs, la conduite de nos hommes d’état depuis quelques mois a été si inconséquente, qu’il est impossible de ne pas s’y arrêter un moment.
La lecture des deux rapports du ministère des affaires étrangères a tout mis au grand jour ; il n’y a qu’une opinion parmi le membres de cette chambre, opposants et défenseurs du traité, tous avouent que le ministère a mal conduit nos affaires, qu’il a mal dirigé l’opinion publique.
Il n’appartient pas à moi, qui repousse le traité, de me constituer le défenseur de ceux qui acceptent le traité et qui, malgré cela, blâmeront la conduite du gouvernement. Je laisse cette tâche aux membres qui appartiennent à cette fraction de la chambre. Leur rôle est facile, et le ministère n’échappera pas à ces critiques ; il trouve sa condamnation dans ses rapports mêmes.
Mais, messieurs, si ceux
qui acceptent le traité ne cachent pas leur mécontentent, à quelles accusations
les ministres ne doivent-ils pas s’attendre de notre part, de nous qui
repoussons cet odieux traité, de nous qui croyons qu’avec plus habilité on
aurait pu conjurer l’orage qui est venu fondre sur le pays ! Si nous
avions pu soupçonner la faiblesse de nos hommes d’état , pensez-vous que
nous n’aurions pas plutôt retiré notre confiance à ces hommes ? Mais nous
les croyions incapables, au moins quelques-uns, de venir défendre à cette tribune
un acte par lequel 350,000 habitants sont retranchés de
Pourquoi,
si le gouvernement n’a pas eu l’espoir de conserver le territoire, a-t-il
engagé la chambre et le pays à se prononcer avec tant de force contre le
démembrement ? Est-ce, comme le dit une brochure que le Moniteur a insérée
dans ses colonnes, probablement par ordre du ministère, qu’en contestant sur
trois points à la fois, le territoire, la dette et la navigation, il espérait
parvenir à un dégrèvement de la dette Mais, si tel a été son plan, il n’y
aurait pas d’expressions assez fortes pour flétrir les ministres.
Comment ! on aurait provoqué des manifestations patriotiques des
populations du Limbourg et du Luxembourg, et pourquoi ? Pour parvenir à un
dégrèvement de la dette ! Cette tactique, si elle est habile, comme on le
prétend, est au moins la plus immorale, la plus inhumaine qu’on ait jamais pu
imaginer. Si le fait pouvait être prouvé, il faudrait mettre en accusation ceux
qui se jouent ainsi d’un peuple.
Il
est vrai que le ministre, dans son rapport, a eu soin de dire que dans les
instructions adressées à nos agents diplomatiques, il leur a toujours
recommandé la question territoriale : si le fait est vrai, pourquoi ne
déposez-vous pas les pièces sur le bureau ? Vous justifieriez, de cette
manière, votre conduite ; mais puisque vous persistez à nous les refuser,
vous me permettrez de croire que vous avez mal négocié : vous direz tout
ce que vous voudrez, vous ne détruirez pas mes doutes ; je dirai plus, je
n’ajoute aucune foi à vos paroles ; il me faut des actes, et ce n’est que
lorsque je les aura parcourus, que je verrai si j’ai tort ou raison. Messieurs,
si le gouvernement ne se sentait pas de force ni de volonté pour conserver le
Limbourg et le Luxembourg, il aurait dû depuis quatre ans adopter une toute
autre politique envers nous. C’était pour lui un devoir de ne rien faire qui
fût de nature compromettre les
populations du territoire contesté envers leur ancien souverain£. Ce n’est pas
que je veuille dire qu’il aurait fallu les abandonner à elles-mêmes, non ;
mais l’action du gouvernement ne devait être que purement administrative ;
il ne fallait pas les contraindre à souscrire à des mesures politiques ;
si
L’histoire,
je l’espère, ne vous épargnera pas ; il sera écrit dans ses pages :
Un Limbourgeois et deux Luxembourgeois ont demandé le sacrifice de 350,000 de
leurs compatriotes.
Il
me semble que je comprends votre politique Tout ce que vous voulez, c’est de
faire reconnaître à tout prix la dynastie du roi Léopold ; mais ce n’est
pas au dix-neuvième siècle qu’on sacrifie des hommes à des vues politiques, ils
ne sont point comme jadis le patrimoine des rois ! Quelles que soient les
explications que vous viendrez donner pour vous justifier, vous n’y parviendrez
pas ; je le dirai toujours, votre règle de conduite était nettement tracée
par l’adresse du mois de novembre, vous l’avez acceptée, dès ce moment vous preniez
l’engagement de ne pas consentir au morcellement du territoire. Si vous ne vous
sentiez pas le courage, si vous n’aviez pas de foi en vos propres forces, il
était de votre devoir de quitter cos portefeuilles.
Mais
pourquoi, messieurs, m’arrêter plus longtemps aux fautes de nos hommes
d’état ? Il est temps de nous occuper de l’avenir. Et quel avenir,
messieurs !
Non,
messieurs, sommes-nous encore liés envers les cinq puissances par le traité du
15 novembre ? Plus d’une fois vous avez dans des circonstances solennelles
répondu négativement. Je me dispenserai donc de discuter longuement ce point.
Je ne pourrai que répéter ce qui a été dit à ce sujet, et d’ailleurs, les
meilleurs raisonnements ne changeraient en rien notre situation. Les puissances
ne veulent pas nous écouter ; c’est en invoquant les règles de l’équité et
sous prétexte d’accorder de grands avantages qu’elles demandent à
Selon
moi, tous les Belges ont droit aux mêmes avantages ; le Luxembourg doit y
être compris.
Messieurs,
vous n’accepterez plus le traité qui vous est soumis. Il a fait son temps, vous
l’avez déclaré par votre adresse du mois de novembre ; la loi des
circonstances malheureuses l’a créé, nous l’avons subie, mais aujourd’hui nous
demandons à notre tour à profiter des circonstances plus favorables qui se
présentent. Il faut distinguer les époques, nous ne sommes plus au temps qu’on
disposait de nous sans notre libre consentement ; il y a eu une époque de
résignation, nous étions faibles, nous venions de subir une défaite, suite à
une attaque imprévue. C’est sous l’impression de cette défaite que les
puissances nous présentèrent ce traité ; mais aujourd’hui que
Messieurs,
nous ne pouvons pas dans ce moment compter sur l’appui de nos alliés,
Mais,
me dira-t-on, vous voulez la guerre avec toutes ses conséquences ; vous ne
songez donc pas qu’il y a un commerce, une industrie en souffrance. A ceux qui
parlent ainsi, je répondrai : Ceux qui ont voulu la révolution et
l’indépendance doivent achever leur œuvre.
En
1830, le pays n’était pas sans commerce ; il y avait aussi une industrie
dans les provinces, et lorsque l’immense majorité de la population était lasse
du joug d’un gouvernement qui méconnaissait ses droits, elle n’a pas hésité à
acheter l’indépendance au prix d’une révolution ; si alors on avait
consulté l’industrie, si l’on s’était adressé aux intérêts qui vivent du calme,
la révolution se serait-elle faire ? évidemment non. On aurait reculé
devant les cris et les prédictions de ceux qui devaient perdre des désastres
qu’un mouvement populaire traîne souvent à sa suite ; mais ces alarmes ne
furent pas écoutées,
Pour
justifier l’abandon du Limbourg et du Luxembourg, on compare le pays à un homme
et l’on dit : Si un membre est attaqué d’une maladie qui menace de
compromettre l’existence du corps entier, il faut le couper pur conserver le
reste. L’argument ne me paraît pas concluant dans le cas qui nous occupe :
pour qu’il fût exact, il faudrait supposer que le membre que vous séparez fût
mort après l’amputation ; or, ce ne sera pas ici le cas, la partie amputée
à
C’est
au nom des intérêts matériels surtout qu’on demande aujourd’hui la paix :
la crise est épouvantable, disent ses partisans, et qui oserait en calculer les
suites, si l’état actuel des choses devait se prolonger ? J’apprécie ces
cris à leur juste valeur, on sait ce qu’il faut en croire. De tout temps on a
vu que ceux qui s’occupent du commerce et de l’industrie sacrifient l’avenir au
présent ; une mauvaise paix, pourvu qu’elle arrive immédiatement, leur
paraîtra toujours meilleure qu’une fin honorable qui se fait un peu attendre.
Mais, messieurs, puisque c’est au nom des intérêts matériels qu’on vous invite
à accepter le traité comme si la signature du Roi doit tout réparer, je
parlerai de mon côté aussi des mêmes besoins de ma province pour le rejeter.
Je
dirai toujours que nos intérêts moraux sont ceux que je défends en premier
lieu, mais croyez-vous que nos intérêts matériels ne se trouvent pas engagés
dans la question ? Indépendamment des impôts écrasants que nous devons
payer, je vous citerai encore les céréales, les bois, le bétail et beaucoup
d’autres objets trop longs à énumérer, objets sur lesquels nous avons été
appelés à faire des lois dans cette chambre, et dont les effets par l’adoption
du traité tourneront contre nous. Je n’oublierai pas non plus l’achèvement du
grand canal du Nord destiné à relier l’Escaut au Rhin, ouvrage d’un si haut
intérêt pour nous et pour
Mais,
messieurs, il est curieux de voir quels sont nos arbitres. Entre
Pour
mon compte, messieurs, je vois dans les tentatives de la conférence, non un
fait isolé, mais un achèvement vers une restauration ou peut-être le partage du
pays. On veut humilier
Messieurs,
si vous pliez si facilement aux exigences des grandes puissances, si vous
croyez que, chaque menace qu’on vous
fait, vous devez obéir de crainte de perdre votre nationalité, alors croyez
moi, vous serez souvent appelés à subir des affronts. Déjà les journaux
allemands nous apprennent que les cours du Nord exigent le renvoi du général
Scrzynecki, pour rester conséquent il faudra encore une fois céder. Et qui vous
garantit qu’on ne viendra pas bientôt vous dire : Votre liberté
religieuse, votre liberté d’enseignement trouvent trop de sympathie parmi nos
sujets catholiques ; votre liberté de presse trouble la tranquillité
intérieure de nos états, vos institutions provinciales et communales sont trop
anarchiques, vos débats parlementaires ont trop de retentissement chez nous,
votre pays est un foyer de conspirations, vous êtes un embarras pour nous, vous
êtes un obstacle à la paix européenne. Si vous voulez vivre en paix avec nous,
modifiez nos institutions ; à ce prix et à ce prix seulement nous vous
laisseront tranquilles. Que répondrez-vous à ces exigences ? Vous crierez
un peu ; mais bientôt, poursuivis par la peur et toujours préoccupés de
votre existence, vous vous soumettrez.
Messieurs,
les puissances du nord n’ont jamais abandonné leurs systèmes. Ces monarques ont
accepté la révolution comme un fait qu’ils ne pouvaient comprimer alors. Le
mouvement populaire en France, en Belgique, en Pologne, et dans d’autres états,
était trop général en 1830 pour pouvoir être comprimé ; on a laissé venir
le calme et maintenant qu’on se croit assez fort on ne se cache plus. C’est de
nouveau le droit divin qui doit triompher ; en un mot, il faut revenir aux
traités de 1815.
Mais,
me dira-t-on,
Quant à la guerre, je n’y crois
pas ; les puissances redoutent bien plus que nous de troubler la paix
européenne ; elles se garderont bien de s’y engager légèrement ; on
nous fait des menaces, on compte sur notre faiblesse, c’est de nouveau le
système d’intimidation qui a réussi en 1831 auquel on a recours aujourd’hui. Et
quelles seront donc les armées qui doivent nous envahir ? Ce ne sera pas
assurément
Reste donc la confédération germanique :
ce corps composé de plusieurs petits états d’Allemagne à la disposition de
Le roi Guillaume parviendra difficilement à gagner la confiance de ces populations, mais je vous le dis hautement, si vous avez le malheur de les renvoyer sous son sceptre, vous n’aurez pas de plus grands ennemis que les habitants du Luxembourg et du Limbourg.
Messieurs,
si nous croyions à la guerre, pensez-vous donc que nous voudrions engager le
pays dans une guerre générale ? mais non, messieurs, nous serions les
premiers à vous conseiller l’acceptation du traité ; mais nous pensons que
notre système vous préservera de la guerre, en même temps qu’il pourra sauver
les deux provinces contestées.
Prenons
donc du courage, ayons de la fermeté, surtout soyons unis et nous pourrons
encore sauver nos concitoyens ; faisons voir qu’il n’y a pas d’entêtement
de notre parti, que la question n’est pas non plus autant dans l’importance du
territoire que dans celui de l’honneur. C’est un sentiment d’honneur qui guide
Pour
triompher, messieurs, je le sais, nous aurons peut-être des épreuves à
surmonter. A l’intérieur, il y aura souffrance dans quelques intérêts, le
commerce et l’industrie élèveront la voix ; à l’extérieur, on nous
effraiera, des troupes seront envoyées sur nos frontières ; que tout cela
ne vous décourage pont ; n’oublions pas qu’une nation ne se constitue pas
sans qu’il ne lui en coûte quelques sacrifices : nous en avons déjà fait
quelques-uns, faisons encore un sacrifice pour achever dignement notre œuvre.
Pour
vous faire connaître mon opinion sur un des articles du traité , vous me
permettrez, messieurs, de dire quelques mots sur le projet de loi qui
accompagne celui de l’acceptation du traité, auquel on donne le titre de
« Loi de naturalisation des Limbourgeois et Luxembourgeois. » Ce
projet paraît être présenté pour faciliter l’adoption du traité. Vous voudrez
bien, à cause de ma position tout exceptionnelle, me permettre de faire
quelques réflexions à ce sujet. Je ne ferai pas un compliment au ministère de
sa sollicitude pour nous ; il aura au moins dû avoir la délicatesse de
garder son projet en portefeuille jusqu’à l’adoption du traité. Mais écoutez le
gouvernement, il nous veut tant de bien ! Non content d’avoir stipulé une
amnistie dans le traité, il veut bien nous dire d’avance que nous pouvons
rentrer en Belgique. Quant à l’amnistie, messieurs, nous concevons que nous ne
serons pas traduits devant la cour d’assises, mais que pour cela il n’y aura
pas une réaction ; nous ne sommes pas assez aveugles pour l’admettre. Eh
bien, c’est pour cela, répond le ministère, que nous vous présentons le second
projet. Venez avec nous, c’est en frères que nous vous traiterons ; vous
aurez des emplois ; rentrez en Belgique, nos bras vous sont ouverts.
Messieurs, j’ai sincèrement embrassé la
révolution dès son début. Je n’étais lié par aucun serment envers le roi
Guillaume. Jeune encore, les mots d’indépendance, de liberté, me souriaient,
quoique maintenant cette révolution tourne contre moi, je ne regretterai jamais
de m’être associé à votre cause ; j’en aurai toujours mérité cet avantage
que j’ai appris à connaître les hommes. Dans mon inexpérience je me figurais
trouver partout des sentiments généreux, et maintenant je m’aperçois que cette
belle qualité n’est tombée en partage qu’à un petit nombre : je vous avoue
que ce fait m’inspire un grand dégoût des affaires publiques.
Je
suis aujourd’hui, messieurs, appelé à profiter de la loi de
naturalisation ; ma position me permet une émigration : mais
croyez-vous, je n’accepterai pas vos offres. Si
La
patrie, je le veux bien, n’est pas toute entière au lieu qui nous a vus
naître ; mais l’homme a pour sa maison paternelle, pour sa famille, pour
ses concitoyens, pour ses propriétés, une affection qu’une poignée d’or ne
remplace pas toujours. Peu de personnes se résigneront à abandonner les lieux
où les attachent les souvenirs de leurs ancêtres, pour rentrer dans un pays
ingrat qui ne promettra qu’une existence précaire et dont le nom sera sans
prestige. Un petit nombre de fonctionnaires seul répondra à votre appel, et non
pas parce qu’ils s’honoreront du nom de Belge : non, messieurs, le nom de
Hollandais sera désormais au moins aussi considéré que le vôtre ; ils vous
suivront parce que leur sort est lié à celui de
Je
prie mes honorables collègues de croire que mes paroles sont le résultat d’une
profonde conviction, et fort de la justice de notre cause, j’attends avec calme
le jugement que vous allez porter. Mais si par malheur vous décidiez contre
nous, l’Europe entière sera là pour vous juger ; elle dira : La
majorité l’a emporté, et cependant le bon droit était du côté de la
minorité ! J’ai dit (Marques
nombreuses d’approbation.)
M. H. Vilain XIIII – Appelé pour la troisième fois à délibérer
sur les préliminaires de paix, bases futures et fondamentales de la nationalité
belge et gages de sa reconnaissance par tous les gouvernements, votre
assemblée, messieurs, aura-elle atteint par sa décision le terme de ce long
trajet d’incertitudes et de pénibles concessions que notre révolution a
parcouru ? Passant des dix-huit aux vingt-quatre articles, des
vingt-quatre aux présentes transactions, le pays trouvera-t-il dans celles-ci
la consommation des sacrifices d’hommes et de territoires exigés par l’Europe
pour son repos et son équilibre ? Fâcheuse position que nous fait à trois
reprises le congrès des puissances ! nécessité cruelle à subir que d’être
ainsi l’artisan de notre propre dislocation que de servir sans cesse de victime
expiatoire à la paix générale ! Œuvre ingrate imposée chaque fois à la
législature belge : entourée qu’elle est de passions et de sentiments
exaltés, c’est à elle qu’il est demandé d’étouffer de ses mains les ferments de
discordes prêts à embraser le continent, et, malgré ses embarras et se
répugnance, de poser la clef de voûte de l’édifice européen ! Œuvre dont
l’Europe n’apprécie pas assez les difficultés d’exécution, et qu’elle aurait dû
récompenser par de plus larges concessions territoriales, par une solution plus
prompte et plus franche, dans son sein, de notre jeune nationalité.
Ici,
messieurs, je ne discuterai pas la constitutionnalité de votre vote par rapport
à l’adoption du traité. Si la compétence de la chambre était de ce chef mise en
doute, le paragraphe 3 de l’article 68 devrait être effacé du code fondamental.
Il deviendrait un non-sens, et les discussions d’une chambre antérieure sont là
pour justifier notre opinion.
Mais,
quant au traité lui-même tel qu’il nous est soumis, cet acte contient, il faut
l’avouer, plusieurs améliorations, et plus de lumière, plus de certitude
environnent cette fois le résultat de son adoption. Si le gouvernement ratifie
l’acte du 23 janvier, ce ne sont plus des bases très vagues de négociations
qu’il aura reconnues ainsi qu’aux 18 articles, ce n’est plus un traité
provisoire et non consenti des deux parties auquel il adhérera, mais bien un
traité final de pacification signé à l’avance par son plus mortel ennemi. C’est
en même temps un acte de paix et de déchéance que le plénipotentiaire du roi
Guillaume donnera à notre envoyé. Le droit viendra se joindre au fait, et nous
connaissons dès ce jour cet avantage, et cette reconnaissance doit être d’un grand
poids dans notre détermination. La quote-part des dettes communes diminuée, une
navigation de l’Escaut plus libre et moins onéreuse, tous ces bénéfices nous
sont immédiatement acquis… et cette certitude réunirait l’unanimité de nos
votes si la fatale disposition des deux parties de provinces n’était pas en
même temps exigée. Sur ce point la conférence, méconnaissant et nos sympathies
et les garanties même de son futur repos, n’a point cédé à nos instances,
l’arrêt inique est prononcé, et pour l’infirmer les adversaires du traité
propose trois moyens : la guerre immédiate, la résistance armée et celle
non armée, en refusant le paiement de la dette. J’avoue que le moins logique de
ces trois systèmes me paraît être la résistance non armée et le refus de servir
la dette, car du moment où vous troupes seront rentrées dans leurs foyers,
Un
grand ministre l’a dit depuis longtemps : guerre défensive, guerre
consomptive. Combien la justice de cet axiome est-elle plus applicable à
Celle-ci
entreprise avec vigueur, avec témérité même, dès la connaissance des charges
onéreuses du traité, aurait pu changer la face des choses par ses heureux
résultats.
Nos
adversaires du nord et de l’est étaient désarmés. Peu de troupes dans le
Brabant, un nombre bien plus minime dans les provinces du Rhin, et 50,000
Belges jetés dans le Brabant septentrional, un pareil nombre présenté à
Et
tout cas, par la victoire on aurait crée des compensations de territoire ;
et si cette campagne qui ne pouvait être longue eût amené la défaite, celle-ci
n’eût pas été plus ruineuse qu’un statu quo prolongé, ni mît en plus grand
péril notre nationalité aussi fortement compromise par le refus d’acceptation et
une guerre défensive.
Le
parti de la résistance, qui n’est pas le mien, n’a pas immédiatement poussé à
cet expédient ; l’Europe s’est émue,
Les
heureux retards du roi Guillaume à signer le premier traité, retards bien
propres à lui enlever sa réputation de grand politique ; les efforts
multipliés de notre gouvernement à disputer le chiffre de la dette, ont amené
dans celle-ci quelque diminution, et si dans nos arbitres de la conférence,
dans ceux surtout de Londres et de Paris, nous eussions trouvé non point de
meilleurs amis, mais des juges plus équitables, ce chiffre eût encore été
considérablement réduit. Reste à voir si tel qu’il est posé, il comprend la
dette du livre auxiliaire belge, la liquidation des pensions et traitement
d’attente et les remboursement des engagères.
Le
texte de l’article 13 me paraît obscur sur ce point. L’alinéa 4 décide que
moyennant la création de ladite somme de rente de 5 millions de florins,
Le
pilotage de l’Escaut est aussi mieux déterminé, la concurrence des pilotes est
établie dans tout son cours, et le droit de tonnage, au lieu d’être indiqué
sous le mot « modéré », détermination vague et (erratum,
Moniteur du 10 mars 1839 : ) captieuse,
est fixé à 1 fr. 50 c., on n’a plus à craindre l’application accablante du
tarif de Mayence. J’appelle sur ce sujet l’attention du gouvernement sur les (erratum,
Moniteur du 10 mars 1839 : ) facilités
de tonnage et de navigation à procurer à la ville de Gand pour le parcours du
canal de Terneuse. La révolution est venue subitement interrompre le service de
ce grand débouché à peine ouvert ; mais déjà on avait pu apercevoir son
utilité. Les navires américains auraient pris cette direction pour le commerce
des cotons dont Gand devenait le marché, et les dépenses de ses immenses
bassins méritent bien qu’on relève aussitôt cette navigation.
Un
point plus important à vérifier pour la navigation nationale, c’est de
connaître si le régime de la neutralité stipulé pour le territoire de
Voilà,
messieurs, quelques-unes des améliorations du nouveau traité ; mais ces
perfections seraient-elles plus grandes encore, que ce traité n’en serait pas
moins, à mes yeux, un acte injuste et impolitique, que l’arbitraire volonté de
la conférence, que l’obstination de la diète m’obligent à accepter. Devant le
grand tribunal de l’opinion publique, tribunal au-dessus des rois, cette
cession d’hommes est déjà jugée.
Convient-il
de l’allumer, convient-il de jouer le tout pour le tout ? et
Fortifions
notre neutralité contre
Un
nouvel état, messieurs, ne se moule point d’un seul jet. Sa perfection, ses
nécessités de frontière et de territoire, ne s’obtiennent point immédiatement.
Sa jeune puissance doit s’établir d’abord et se faire reconnaître. Puis ses
alliances, ses affinités, se créent. L’esprit national prend de la force et en
donne aux extrémités. Parvenu à ce degré d’excellence et de stabilité, ayant
obtenu ses conditions premières d’existence, il profite alors par une politique
habile des moindres fautes et des accidents de dynasties ou de perturbations de
voisinage. Ainsi ont procédé au XVIe siècle les anciennes
Provinces-Unies ; ainsi le Brandebourg, se faisant d’abord reconnaître
comme royaume au commencement du XVIIIe siècle, puis s’agrandissant par des
acquêts, est parvenu de nos jours au premier rang des puissances. Ainsi sur
notre territoire même s’est élargi jadis le cerce de Bourgogne, auquel il n’a
manqué qu’une succession de chefs pour rester unis. La disjonction des deux
provinces est une cruelle phase de notre histoire ; tous nous la
déplorons, mais ce sacrifice nous est imposé par la volonté de six
puissances : l’évidence nous en est acquise, et vos retards, vos murmures
protestent à suffisances contre cet abandon.
M.
de Renesse – Messieurs, lorsque des ministres, qui s’étaient associés aux votes de
nos adresses au Roi pour le maintien de l’intégrité territoriale, nous ont
ensuite, par leurs actes, donné lieu de croire qu’ils suivraient la voie de
l’honneur que nous nous étions tracée, nous avons dû être étonnés de voir, lors
de la retraite de deux honorables ministres, que la majorité du ministère, ne
tenant aucun compte des paroles royales de défendre nos droits avec
persévérance et courage, ni des adresses des chambres, semblait se résigner à
ratifier un traité déshonorant, et venait maintenant nous proposer son
acceptation.
Aussi
longtemps que nous voyions parmi nos ministres des hommes d’énergie et à
sentiments généreux, la nation pouvait espérer que le gouvernement marcherait
avec l’opinion publique, si unanimement manifestée ; elle avait droit de
prétendre que tous les ministres, qui se sont associés aux votes patriotiques
de la chambre, ne manqueraient pas à leurs engagements les plus formels ;
l’on ne pouvait penser que la majorité du ministère voulait tromper la
représentation nationale ; car tout ministre, comme tout membre de la
chambre, doit savoir maintenir son vote, et ne doit point rétrograder lorsqu’il
a déclaré avec la chambre, et à la face de l’univers « que l’on ne
reculerait devant aucun sacrifice pour la défense du pays, si une force abusive
tentait de priver de leur patrie des concitoyens qui ne veulent pas cesser de
l’être. »
Si
vous, ministres, qui êtes restés au pouvoir, vous n’aviez pas la ferme volonté
de maintenir l’intégrité territoriale, il ne fallait pas placer dans le
discours du trône les mots de vouloir défendre nos droits, nos intérêts
« avec persévérance et courage », il ne fallait pas surtout
compromettre l’honneur de la royauté belge aux yeux de toutes les nations, en
reculant actuellement devant les conséquences de ces paroles, qui ont été
accueillies dans toute
En
suivant une politique aussi pusillanime, pouvez-vous espérer d’inspirer encore
quelque confiance à ceux qui ont à cœur la conservation de l’honneur
national ? Votre conduite est plus que blâmable, elle est surtout perfide,
parce que vous faisiez croire à la nation, par vos actes, que vous marchiez
d’accord avec elle, que vous ne reculeriez devant aucun moyen pour la défense
de ses droits. Si vous ne vouliez pas suivre la marche politique tracée par la
représentation nationale, il fallait avoir le courage, la franchise de déclarer
publiquement votre opinion à la face de la nation ; celle-ci aurait alors
avisé aux moyens, pour que le gouvernement ne méconnaisse point les
protestations unanimes contre le morcellement du territoire, et pour qu’il ne
s’écarte pas de la voie de l’honneur ; mais vous avez cru rendre la cause
de la résistance impopulaire, en demandant et dépensant inutilement les deniers
des contribuables, en rappelant surtout sous les armes les hommes mariés de la
réserve, si nécessaires chez eux à l’entretien de leurs familles, tandis que
des miliciens de classes postérieures étaient encore en congé ; vous avez
espéré amener ceux qui veulent la résistance à se courber sus le joug d’un
traité infâme, et leur dépeignant sous les couleurs les plus sombres la
situation du pays, par suite de la crise financière et industrielle que vous
laissez continuer malgré les vives démarches faites auprès du gouvernement pour
l’établissement d’une banque d’escompte qui rétablirait le crédit public ;
cependant la nation connaît les causes de cette crise ; elle sait que des
spéculations ne reposant que sur un agiotage poussé à l’excès, que la rivalité
de quelques sociétés financières qui voulaient accaparer et ruiner toutes les
industries particulières, on a amené ce désastre qui serait arrivé même sans
nos événements politiques, puisque déjà l’année dernière, avant l’acceptation
des 24 articles par le roi Guillaume, plusieurs des sociétés anonymes, pas nées
viables, marchaient vers leur déconfiture.
Vous
profitez maintenant de cette crise pour décrier avec le parti financier et industriel,
par les journaux à leur solde, ceux qui veulent une défense honorable ;
vous les représentez comme voulant la ruine du pays ; vous déclarez que
toute résistance ultérieure serait impossible, et vous ne restez au pouvoir que
pour consentir à notre déshonneur, pour fouler aux pieds nos intérêts les plus
chers, pour ne tenir aucun compte de toutes les protestations les plus
formelles contre la restauration de nos frères du Limbourg et du Luxembourg que
vous voulez lâchement abandonner sans avoir fait aucun effort pour les
défendre, et dont vous préjugez déjà le délaissement, en présentant à la
chambre, même avant qu’elle se soit prononcée sur le traité de « chair
humaine », un projet de loi, qui doit leur permettre de réclamer la
qualité de Belge, pour le cas où ils seraient obligés de quitter le foyer de
leurs pères, que vous n’avez pas eu le courage de leur conserver. Mais la
nation, qui a plus de patriotisme et de sentiments généreux que ceux qui sont
actuellement au timon de nos affaires, ne reculera devant aucun sacrifice, pour
maintenir et défendre l’intégrité territoriale ; elle sera votre
juge ; ses mandataires ne consentiront jamais à l’avilissement de la
nationalité belge, et j’ose espérer qu’ils n’assumeront pas sur eux la grave
responsabilité de vouloir le malheur et le déshonneur de
Le
refus que vous avez fait de déposer sur le bureau de la chambre les documents
relatifs aux négociations, et surtout vos instructions à nos agents
diplomatiques, semble prouver que vous craignez le contrôle des membres de la
chambre ; que vous voulez que nous ne puissions faire aucune investigation
sur la marche que vous avez suivie dans nos affaires politiques ; si, à
cet égard, vous n’aviez aucun reproche à vous faire, vous ne nous refuseriez
pas de nous produire les documents qui serviraient peut-être à éclairer notre
conviction, à prouver qu’il n’a pas dépendu de vous que nous n’ayons pu obtenir
des conditions plus équitables.
Maintenant,
ou la conférence méconnaît nos justes réclamations, ou elle a rejeté nos offres
pécuniaires ; il fallait suivre l’exemple du congrès national, et
protester avec nous contre un traité inique, qui doit nous arracher violemment
des populations généreuses qui veulent rester Belges, qui, en 1830, ont
repoussé avec nous la dynastie des Nassau, se sont constamment compromises
vis-à-vis du gouvernement de Guillaume, ont, par conséquent, droit à notre
appui pour les défendre et les protéger contre la restauration, et qui ne se
laisseront pas livrer à leur ennemi sans opposer une vive résistance, surtout
après que toutes leurs autorités provinciales et communales, qui sont électives
et représentent certainement l’opinion générale, ont protesté de la manière la
plus légale et la plus formelle contre toute cession de territoire, et prouvent
que les allégations du comte Molé et de lord Palmerston sont de la plus grande
inexactitude, lorsqu’ils prétendent que les habitants des districts à céder sont plus attachés au gouvernement
hollandais qu’à celui de
C’est
en soutenant l’union du gouvernement et des chambres, et non en cherchant à
semer la division que vous pouviez parvenir avec nous à surmonter toutes les
difficultés de notre situation actuelle ; mais en provoquant maintenant
vous-mêmes les pétitions de certaines villes, du parti industriel et financier,
pour l’acceptation d’un traité infâme, que vous avez le triste courage de
vouloir imposer à
En
adoptant une politique faible et peureuse à
J’ose
toutefois espérer que la chambre aura assez de patriotisme pour repousser avec
protestation un traité infâme et contraire à la constitution ; qu’elle
maintiendra ses votes des adresses au Roi, et que par les mesures énergiques
qu’en prendra actuellement, elle parviendra à sauver une partie de ses
concitoyens du Limbourg et du Luxembourg de la restauration, qui serait pour
eux le plus grand des malheurs. Si cependant la majorité de la chambre
faiblissait dans les circonstances actuelles, si elle méconnaissait et ne
respectait plus les protestations les plus formelles contre le morcellement du
territoire, il faudrait douter de l’avenir d’une nationalité déshonorée, et je
n’aurais qu’à déplorer que nos malheureux compatriotes se soient associés à une
révolution, et surtout à une nation qui a si peu de sentiments de générosité,
qui préfère le vil intérêt matériel à la conservation de populations
généreuses, qui ont versé leur sang pour l’indépendance commune, et ont droit
d’être maintenues Belges comme tous les autres habitants de
M. Hye-Hoys – Messieurs, si je m’abandonnais à des
sympathies ineffectives, à l’espoir d’une vengeance prochaine et au désir bien
vif de faire oublier les malheurs de la campagne de 1831 ; si je voyais le
moyen de soutenir nos prétentions avec succès, je voterais immédiatement pour
la résistance, et je la soutiendrais de toutes mes forces. Le Luxembourg et le
Limbourg qu’on nous réclame sont deux parties de provinces pleines de vie de
notre Belgique, et qui vont être malheureusement séparées d’un pays auquel
elles ont toujours appartenu. Personne plus que moi n’a d’affection pour ces
populations que huit années d’efforts communs, que les mêmes sentiments
politiques et religieux nous ont rendues frères à jamais. J’apprécie toute
l’étendu du malheur de ces deux pays qui, depuis huit ans, ont établi avec nous
des rapports sociaux solides et durables, rapports qu’il faut brusquement
rompre pour livrer de généreux citoyens à un gouvernement qui ne peut pas les
aimer. Si quelqu’un s’afflige de ce divorce et déplore cet abandon nécessaire,
j’ai le droit de dire que personne ne le fait plus sincèrement que moi.
Jusqu’au dernier moment, je me suis payé d’espoir, et si je renonce à toute
illusion, c’est qu’avec calme, j’ai examiné notre position et trop
malheureusement compris qu’il y va de notre avenir, si nous ne nous résignons à
ce grand sacrifice.
J’entends
partout des hommes généreux appelés à la résistance, fonder sur elle le plus
belles espérances !
Mais
sur quoi reposent ces vœux ? Si le succès était toujours pour les plus
justes causes, ils auraient raison d’appeler la guerre. Si l’enthousiasme et
l’amour de son pays pouvaient détourner les dangers qui nous menacent, je
m’associerais aussi à ces sentiments vraiment patriotiques ; mais quand je
jette mes regards sur l’avenir, de sinistres présages viennent m’apprendre quel
est notre véritable devoir et ce que le pays attend de nous.
Examinons
brièvement ce que feraient les partisans de la résistance ; il suffira, je
pense, d’indiquer les mesures qu’ils provoquent pour en démontrer
l’insuffisance et le danger. Les uns voudraient tenir l’armée au complet,
continuer les mesures de guerre et repousser ceux qui viendront nous enlever le
Limbourg et le Luxembourg.
L’exécution
de ce projet serait, je le pense, le signal de la guerre générale, et d’une
lutte entre
D’autres
voudraient réduire l’armée de moitié, d’un ou deux tiers même, lui donner les
provinces menacées à garder et à défendre au besoin. Je ne vois dans une
pareille proposition qu’une faute des plus grandes ; car s’il est de notre
dignité de faire la guerre, il est de notre devoir de ne pas la faire à demi,
et nous agirions contrairement à l’humanité, si nous livrions une armée réduite
et affaiblie à la merci d’un ennemi fort et puissant, sans avoir aucun espoir
de succès.
Enfin
d’autres voudraient maintenir l’armée au grand complet, jusqu’à l’arrivée de
l’ennemi, et se retirer à son approche sans coup férir. Je ne puis croire que
ce soit sérieusement que certaines personnes veuillent réaliser ce dernier
projet ; développer notre armée d’un air menaçant pour la faire battre en
retraite à l’approche de l’ennemi, c’est la soumettre à une épreuve honteuse,
ou faire un appel à l’insubordination. Mais ne craint-on pas qu’indépendamment
du danger qu’il y aurait à leurrer ainsi notre belle armée, il y aurait
impossibilité même à le faire ? Savons-nous quand les puissances viendront
exécuter le traité que nous discutons en ce moment ? Ne nous laisseront-elles
pas l’arme au bras jusqu’à ce que nous demandions à nous soumettre ?
Savons-nous jusqu’où ira leur patience ? Ne triomphera-t-elle pas de notre
courage ? et en attendant le moment de l’exécution et de notre retraite,
comment le trésor fera-t-il face à ces dépenses ? et à quoi d’ailleurs
auraient servi ces dépenses ? la chambre a-t-elle songé aux contributions
énormes, aux emprunts forcés qu’elle devra voter ; et pourquoi, messieurs,
le pays veut-il en définitive détruire ses ressources sans but ou pour nous
retirer au moment où nous aurons fait tout ce qui est en notre pouvoir, afin
d’exalter l’armée et l’opinion publique ? Non, non, messieurs, le pays ne
veut pas de ces mesures ; la résistance, telle que plusieurs l’entendent,
ne sera pas accueillie avec faveur par ceux qui aiment vraiment
Je
ne suis pas de ceux qui font au gouvernement un crime d’avoir pris des mesures
énergiques, qui ont pu faire croire à une guerre imminente. Le gouvernement a
agi avec la prudence convenable ; les circonstances seules lui ont
manqué ; ce n’est pas lui qu’il faut attaquer dans nos malheurs ;
nous ne pouvons nous en prendre qu’aux puissances qui sont unanimes pour nous
écraser, et n’allons pas, dans cette épouvantable loterie de la guerre, risquer
l’enjeu de notre pays, pour la conservation très éventuelle de deux fractions
de provinces. Gémissons, messieurs, sur ce divorce malheureux qu’il n’est pas
en notre pouvoir d’empêcher ; disons avec un autre membre un adieu qui ne
sera pas éternel à nos frères du Luxembourg et du Limbourg, et résignons-nous à
perdre momentanément la meilleure des causes, et à accepter un traité qu’on
nous impose par la force, mais que la prudence nous empêche de repousser.
-
La séance est levée à 4 heures et demie.