Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23 février 1838

(Moniteur belge n°55, du 24 février 1838)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. B. Dubus fait l’appel nominal à une heure.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

« Des distillateurs du canton de Deynze (Flandre orientale) demandent qu’il soit apporté des modifications à la loi sur les distilleries. »


« Les juges de paix de l’arrondissement de Termonde demandent que leur traitement soit augmenté dans la même proportion que ceux des autres membres de l’ordre judiciaire. »


« Plusieurs ex-receveuses de la loterie royale des Pays-Bas demandent une pension. »


- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


M. Lejeune informe la chambre que le décès d’un membre de sa famille l’oblige de s’absenter pour quelques jours.

Rapports sur des pétitions

M. le président. - L’ordre du jour appelle en premier lieu le rapport des pétitions.

M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition du 27 décembre 1836, le conseil communal de Venloo demande la construction du canal du Nord, projeté et exécuté en partie par le gouvernement français. »

La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics et le dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition en date du 23 décembre 1836, le conseil communal de Boom demande la construction d’un pont sur le Rupel. »

La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition en date du 20 décembre 1836, le sieur Van Haelen, négociant à Bruxelles, réclame le paiement d’une somme de 61,831 fr. 52 c., du chef de travaux faits au port d’Anvers. »

La commission propose le renvoi à M.. le ministre des travaux publics.

M. Verdussen. - Messieurs, je désirerais savoir si le pétitionnaire s’est adressé au gouvernement ; en cas de négative, il y aurait lieu de passer à l’ordre du jour ; car il est dans les attributions du gouvernement de commencer l’instruction de cette affaire.

M. de Longrée, rapporteur. - Je ne puis pas, pour le moment, donner tous les renseignements désirables ; j’avoue franchement avoir perdu les notes sur les pétitions.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition en date du 8 décembre 1836, le sieur Page, ex-major de la garde civique mobilisée, et pensionné depuis 1836, comme lieutenant adjudant-major, demande que sa pension soit augmentée. »

La commission propose le renvoi à M. le ministre de la guerre.

M. Dumortier. - Messieurs j’appelle toute votre attention sur la pétition dont il s’agit. Le pétitionnaire réclame, à mon avis, une chose juste : avant la révolution il était lieutenant-adjudant-major dans l’armée des Pays-Bas ; il fut mis à la retraite peu de temps avant la révolution, et reçut la pension de retraite à raison de son grade de lieutenant-adjudant-major. A l’époque de la révolution, il vint présenter ses services au gouvernement provisoire ; il entra dans l’armée, fût promu à divers grades, et en dernier lieu fut nommé, par le régent, major commandant d’un bataillon de la garde civique mobilisée, M. Page est resté major commandant de ce bataillon pendant tout le temps que la garde civique est restée sous les drapeaux. Après les événements de 1831, il fut maintenu par le Roi Léopold.

Lorsque le premier ban fut renvoyé dans ses foyers, le major Page qui, indépendamment des services qu’il avait rendus sous le gouvernement précédent, avait commandé pendant plusieurs années un bataillon de la garde civique et l’avait conduit au feu ; le major Page fut mis à la retraite avec la pension de lieutenant, qu’il avait avant la révolution, sans qu’on tînt aucun compte des services qu’il avait rendus depuis lors.

Il a adressé à cet égard une pétition à M. le ministre de la guerre ; mais ce ministre, des procédés duquel il se loue, du reste, n’a pas liquidé sa pension à raison de son dernier grade, et c’est là, messieurs, l’objet de la requête qu’il vous a présentée.

Incontestablement, si M. le major Page eût été nommé dans l’armée de ligne, il aurait obtenu, lors de sa retraite, la pension de son dernier grade ; mais il a été détaché comme officier dans la garde civique mobilisée qui s’est battue contre l’ennemi ; doit-il perdre ses droits, parce qu’il a été détaché dans la gardé civique ? Pour moi, je ne le crois pas ; d’ailleurs le décret du congrès du mois de décembre 1830 est positif ; ce décret dit que lorsque la garde civique est mobilisée, elle jouit de tous les avantages dont jouit l’armée de ligne ; ces avantages, vous le savez, c’est la solde, c’est la prestation en nature, c’est la pension, soit du chef des services, soit du chef des blessures.

Si M. le ministre de la guerre avait eu la garde civique dans ses attributions, il n’aurait sans doute pas hésité de liquider la pension du major Page à raison de son dernier grade.

Je demande que la pétition soit renvoyée à M. le ministre de la guerre avec demande d’explications ; par ce renvoi, le ministre de la guerre se trouvera, je pense, suffisamment autorisé à liquider la pension du pétitionnaire d’après son dernier grade.

M. de Muelenaere. - Je ne m’oppose pas à ce que la pétition soit renvoyée à M. le ministre de la guerre avec demande d’explications, mais je crois que c’est à cela que doit se borner le renvoi ; il ne faut pas que M. le ministre de la guerre puisse, par ce renvoi, se croire suffisamment autorisé à faire liquider la pension du pétitionnaire en qualité de major ; il faut que M. le ministre de la guerre se conforme à la loi, et s’il y a des doutes à cet égard, c’est à la chambre qu’il doit s’adresser pour faire lever ces doutes d’une manière législative. D’ailleurs, il est incontestable que les officiers de la garde civique mobilisée, par suite de leur licenciement n’ont pas acquis des droits à la pension.

Il me semble que toute la question est celle de savoir si l’officier dont il s’agit a été placé comme major de l’armée dans la garde civique. En cas d’affirmative, alors il aurait des droits à obtenir une pension du chef de son grade de major ; mais en cas du négative, il n’aurait pas des droits à cette pension.

M. Dumortier. - Messieurs, je n’ai pas dit que la chambre pouvait inviter M. le ministre de la guerre à faire liquider la pension du major Page d’après son dernier grade, j’ai dit seulement qu’il me paraissait que M. le ministre de la guerre se trouverait suffisamment autorisé à liquider la pension sur ce pied : l’honorable préopinant paraît avoir perdu de vue le décret du congrès qui dit que, lorsque la garde civique est mobilisé, elle jouit des mêmes droits que l’armée de ligne.

Lorsque la garde civique est mobilisée, elle devient une fraction de l’armée, elle n’est plus de la garde civique sédentaire.

M. A. Rodenbach. - Je suis de l’opinion du préopinant que le major Page mérite de la considération ; il est connu de tous les députés des Flandres qu’il s’est vaillamment conduit au Pont-de-Paille ; mais je partage aussi l’opinion de M. de Muelenaere qui demande le renvoi, mais sans rien préjuger sur le fond de la question. Cette demande est rationnelle. Mais je dois dire que la conduite du major Page le rend digne d’une récompense du gouvernement.

M. de Muelenaere. - Je ne conteste nullement les titres que peut avoir le pétitionnaire à la liquidation de la pension.

Je n’en ai jamais entendu parler que sous des rapports extrêmement avantageux ; mais je demande que la chambre se borne à renvoyer avec demande d’explications sans rien préjuge sur le fond. Le ministre viendra vous dire s’il se croit autorisé en vertu de la loi à liquider la pension ; s’il n’est pas autorisé et que le major Page ait rendu des services qui méritent qu’on fasse une exception en sa faveur, il vous fera une proposition.

- Le renvoi avec demande d’explications est adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition sans date, le sieur A. Jongelaelen, à Turnhout, chargé des expertises de la contribution personnelle pour l’exercice 1835, réclame le paiement d’une somme de 20 fr. 75 c., qu’il prétend lui revenir de ce chef, au lieu de celle de 7 fr. 41 c. qui lui a été payée. »

- La commission propose le renvoi M. le ministre des finances.

Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 16 janvier 1837, le sieur Pierre Robert, domestique, à Bruxelles, demande une indemnité du chef des pertes qu’il a essuyées par l’invasion hollandaise, en 1830, au faubourg de Schaerbeek, par le vol de ses effets. »

- La commission propose l’ordre du jour.

Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 25 décembre 1836, la dame veuve Cloquet, à Bruxelles, dont le mari est mort par suite des blessures qu’il a reçues pour la cause nationale, demande une pension. »

- La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 25 novembre 1836, la dame Catherine Preugnée, épouse de Pierre Buschots, demande que son mari, qui a contracté des infirmités en montant la garde bourgeoise, jouisse de la pension accordée aux blessés de la révolution. »

- La commission propose l’ordre du jour.

Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition datée du 7 décembre 1836, le sieur A. Lœis, ci-devant procureur du Roi près le tribunal de première instance Diekirch, mis à la pension depuis le 1er janvier 1834, demande l’arriéré de sa pension depuis 1830. »

- La commission s’étant convaincue, par l’examen des pièces jointes à cette pétition, que M. le ministre de la justice se trouvait dans l’impossibilité de satisfaire à la demande du pétitionnaire, vous propose l’ordre du jour.

Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition datée de Nodebais, le 31 décembre 1836, les propriétaires de chevaux et voitures de la commune de Nodebais, qui ont été requis, en 1831, pour les transports militaires de l’armée belge, réclament de ce chef le paiement de leur indemnité, s’élevant à 80 fr.»

La commission propose le renvoi à M. le ministre de la guerre.

M. Verdussen. - Le pétitionnaire s’est-il adressé au ministre de la guerre pour obtenir le paiement de cette somme ?

M. de Longrée, rapporteur. - Oui.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition du mois de juin 1836, le sieur J.-G. Douhet, soldat au 11ème régiment d’infanterie, demande qu’il lui soit accordé un congé illimité. »

La commission propose l’ordre du jour.

- Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition datée de Rixingen, le 19 janvier 1837, le sieur Henri Tielens, milicien de 1823, demande une pension du chef d’infirmités contractées au service. »

La commission propose l’ordre du jour.

- Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition sans date, des propriétaires du canton d’Oirsbeek, district de Maestricht, se plaignent d’une surtaxe en fait d’impositions foncières, comparativement aux autres cantons de la province de Limbourg. »

La commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances.

- Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition datée de Couthuin, arrondissement de Huy, le 10 janvier 1837, le sieur Jean-Nicolas Guillitte, fils unique et milicien de 1833, se plaint d’avoir été désigné pour le service, contrairement à l’article 15 de la loi du 27 avril 1820, et demande que la chambre intervienne pour faire prononcer son licenciement. »

La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. de Longrée, rapporteur. - « Par pétition datée de Mons, le 11 décembre 1836, le sieur A. Duplat, marchand boucher, à Mons, demande que la livraison de la viande pour la garnison de cette ville soit mise au concours. »

La commission propose l’ordre du jour.

- Adopté.


M. Andries, deuxième rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 27 mai 1836, le conseil de fabrique de Notre-Dame, à Verviers, demande que la chambre prenne une disposition qui assure aux vicaires le paiement de leur arriéré. »

« Par pétition présentée à la séance du 15 novembre 1836, les vicaires de plusieurs paroisses de la ville de Liége demandent le paiement de l’arriéré de leur traitement. »

La commission propose le renvoi de ces deux pétitions au ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Ces pétitions sont de 1836, c’est un objet terminé. Il a été fait à ces vicaires une avance égale à l’indemnité due par les régences, en réservant au gouvernement le recours contre les régences.

- L’ordre du jour est mis aux voix et adopté pour les motifs énoncés par M. le ministre de l’intérieur.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 30 mai 1836, le conseil de fabrique de l’église annexe de Koekelberg (Brabant) demande que les traitements des desservants d’annexes soient mis à la charge de l’Etat, comme l’est celui des desservants de succursales, et portés à la même somme de 800 fr. »

La commission propose le renvoi à M. le ministre de l’intérieur,

- Adopté.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 3 juin 1836, un grand nombre de négociants de Bruxelles demandent l’abrogation de l’arrêté du gouvernement provisoire, qui supprime les leges de douanes. »

La commission propose le renvoi au ministre des finances.

M. A. Rodenbach. - Je suis étonné de voir des négociants venir demander des leges en faveur des employés, car ce ne sont pas les négociants qui ont été froissés dans leurs intérêts par la suppression de ce qu’on appelait avec raison, du temps du congrès, un pourboire administratif. On s’est alors beaucoup récrié contre ces leges. Je demande qu’on ne renvoie pas la pétition au ministre des finances, mais qu’on se borne à en ordonner le dépôt au bureau des renseignements. Je devrais demander l’ordre du jour.

M. Dumortier. - Je demande l’ordre du jour.

M. A. Rodenbach. - Je me rallie à cette proposition.

M. Dumortier. - Lorsque la révolution a éclaté, on a supprimé les leges. Cet acte a été reçu avec reconnaissance par tout le pays. Le congrès a maintenu cet acte et on lui en a su gré dans le pays. Le rétablissement des leges serait une disposition fâcheuse. Si des négociants veulent payer des leges, qu’ils en paient, personne ne le trouvera mauvais. Mais qu’on ne contraigne pas à en payer ceux qui ne veulent pas en payer.

Cette disposition doit être envisagée sous plus d’un rapport. Dans l’état actuel des choses, on rétablit généralement sur les objets soumis aux droits de douanes un droit de sortie de 10 p. c. par 100 kilog. Précédemment il y avait libre sortie et l’on ne devait pas prendre d’acquit. Lorsque le droit de 10 p. c. est rétabli, on doit prendre un acquit. Jusqu’ici le gouvernement a eu le soin de prescrire aux employés de ne pas exiger d’acquit de sortie pour ne pas gêner le commerce interlope. Vous concevez, en effet, quelle gêne ce doit être pour le commerce interlope qu’il faille, pour une livre de café ou de tabac, aller au bureau de douanes prendre un acquit. Je pense donc qu’il y a lieu de prononcer l’ordre du jour. Si les pétitionnaires veulent accorder des leges, qu’ils les accordent. Mais le gouvernement provisoire a bien fait de les supprimer, et on aurait tort de les rétablir.

M. F. de Mérode. - Je ne comprends pas pourquoi on s’oppose au renvoi à M. le ministre des finances. La pétition est signée par un grand nombre de négociants. Je ne sais pas sur quels motifs elle est fondée ; mais il faut croire qu’elle est fondée sur des motifs quelconques ; car on ne demande pas à payer pour le plaisir de payer. Les leges ont été abolis ; à l’époque où on a pris cette mesure, on a cru bien faire ; niais s’il y a des motifs pour rétablir les leges, je ne vois pas pourquoi on ne les rétablirait pas. Le renvoi à M. le ministre des finances n’est pas le rétablissement les leges. Si ce renvoi était le rétablissement d’un abus, je voterais contre. Mais il ne s’agit pas de cela ; il s’agit simplement d’un renvoi, c’est-à-dire d’examiner la question. S’il ne convient pas de rétablir les leges, le ministre des finances vous le déclarera, après examen. En tout cas, la chambre décidera. Je ne vois pas pourquoi on repousserait la pétition, que la commission appuie sans doute par des motifs légitimes.

M. Gendebien. - Quand nous avons aboli les leges, nous avons cru faire une bonne chose. Mais il est possible que nous nous soyons trompés. Je serais porté à le croire, vu la demande extraordinaire des négociants de Bruxelles, qui demandent à payer les leges. Je crois qu’il serait dangereux de prononcer le renvoi au ministre des finances, qui est une espèce de recommandation. Il convient de s’éclairer avant de renvoyer la pétition ; j’en demande le dépôt au bureau des renseignements ; nous pourrons l’examiner, et si, en abolissant les leges, nous avons commis une erreur, je serai le premier à en demander le rétablissement.

M. Duvivier. - Je ne puis m’empêcher de relever certaines erreurs que l’on a commises à l’occasion de la pétition dont il s’agit. Quel que soit le sort de cette pétition, il n’est pas juste de dire que les employés peuvent toucher des leges, de la main à la main, comme générosité des négociants envers eux. Il est impossible que l’administration tolère pareille chose ; assurément elle ne le tolérerait pas ; ce serait un cas de destitution.

On a eu tort de parler de « pourboire administratif. » Cette expression est inconvenante. Il ne s’agit pas de pourboire administratif. Les leges ont été touchés par les employés, non en vertu des lois, je le reconnais, mais par suite d’arrêtés, pris par le souverain en vertu des lois. Il n’y a donc pas là de pourboire ; l’expression est impropre, J’ai cru devoir la relever. Car les leges étaient perçus légalement par les employés, en vertu de décrets relatifs à l’organisation des entrepôts et pour délivrance des expéditions. Aujourd’hui les leges sont supprimés ; mais il est possible, comme l’a dit un honorable membre, qu’il y ait eu erreur dans cette suppression. Je ne vois donc pas d’inconvénient à ce que M. le ministre des finances soit chargé, par le renvoi qui lui serait fait de la pétition, d’examiner si on a bien ou mal fait de supprimer les leges. Mais je déclare, et je suis persuadé que j’aurais l’approbation de M. le ministre des finances, s’il était présent, que les employés ne peuvent rien recevoir qu’en vertu des lois, ou de dispositions prises en vertu des lois.

M. Dumortier. - Nous savons bien que les employés ne doivent rien recevoir, qu’en vertu des lois. Nous croyons que dans notre pays les employés ne reçoivent rien qu’en vertu des lois, quoiqu’il n’en soit pas ainsi dans tous les pays. Mais ce n’est pas là la question. La question est de savoir s’il faut renvoyer la pétition à M. le ministre des finances. Comme l’a dit l’honorable M. Gendebien, il n’est pas douteux que le renvoi au ministre des finances est un préjugé en faveur de la question, et vous aurez décidé ainsi que vous approuvez la proposition de rétablir les leges. M. le ministre des finances n’a pas besoin que la pétition lui soit renvoyée pour examiner la question. Ne connaît-il pas les faits ? Les pétitionnaires ne peuvent-ils pas s’adresser à lui ? Ne sont-ils pas aussi près de M. le ministre des finances que de nous ? La chambre ne doit renvoyer des pétitions aux ministres que pour qu’il y soit fait droit. Autrement vous devenez un bureau de poste aux lettres, et on ne s’adressera jamais aux ministres sans employer votre intermédiaire. Tout ce que vous pouvez faire, c’est d’ordonner le dépôt de la pétition au bureau des renseignements, ainsi que l’a proposé l’honorable M. Gendebien. Ensuite, si quelque membre veut faire une motion, il lui sera libre de le faire.

Quant à moi, je regarde les leges en matière de douanes comme une chose préjudiciable au commerce et vraiment déplorables. Je demande donc le dépôt au bureau des renseignements ou l’ordre du jour. Quant au renvoi à M. le ministre des finances, je n’y oppose parce qu’il préjugerait votre assentiment au rétablissement des leges, sans que vous ayez examiné la question.

M. de Muelenaere. - Que la pétition soit renvoyée au ministre des finances ou soit déposée au bureau des renseignements, cela m’est assez indifférent. Il est vrai que le gouvernement provisoire a supprimé les leges ; je crois même que ce fut un des premiers actes du gouvernement provisoire. Mais il avait un motif grave pour prendre cette mesure. Des doutes s’étaient élevés sur la légalité de la perception des leges ; il est possible que le gouvernement provisoire ait été déterminé par ce motif et qu’il ait supprimé cette perception comme illégale.

Mais maintenant convient-il ou ne convient-il pas de rétablir les leges ? C’est une question sur laquelle je ne suis pas fixé. Après tout le renvoi à M. le ministre des finances n’offre aucun inconvénient. C’est un renvoi pur et simple ; ce n’est pas une recommandation.

Le renvoi ne sera autre chose qu’une invitation faite au ministre d’examiner la question. Et d’ailleurs, il est de fait, aujourd’hui, que les leges ne peuvent être perçus qu’en vertu d’une loi ; eh bien, le ministre des finances verra s’il croit devoir proposer le rétablissement des leges soit dans l’intérêt de l’administration, soit dans l’intérêt des employés.

M. F. de Mérode. - M. de Muelenaere vient de développer ma pensée ; le renvoi ne préjuge rien, il signifiera : Examinez.

M. Duvivier. - Je suis fort loin d’attribuer au renvoi à M. le ministre des finances l’importance que veut lui donner M. Dumortier. Il s’agira seulement par le renvoi d’engager ce haut fonctionnaire à examiner la question, et rien de plus.

On a dit que les employés recevaient des aliments suffisants par leurs traitements : c’est une erreur. Quand les leges existaient, on en calculait le montant probable, et l’on donnait en conséquence un traitement fixe à l’employé qui avait ainsi deux traitements, l’un constant, l’autre variable : quand on a supprimé les leges on n’a pas augmenté les traitements fixes, et ils se sont trouvés dans une plus mauvaise position qu’avant la révolution.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un fait personnel. L’honorable M. Duvivier m’a accusé d’erreur, et je tiens à démontrer que c’est lui qui est dans l’erreur. Il est tellement vrai que les leges ne figurent plus dans le traitement des employés qu’en 1834 on a augmenté le traitement des teneurs de livres par suite de la suppression des leges.

M. Dubus (aîné). - Je crois qu’on doit accueillir la pétition par un ordre du jour. Le gouvernement provisoire a aboli les leges parce que cet impôt était établi par arrêté royal : c’était une mesure de réparation que le peuple avait droit de demander. Que demande-t-on maintenant ? On demande d’abroger l’arrêté du gouvernement provisoire ; ainsi on demande l’abrogation d’un acte qui a fait droit à un grief manifeste, ou on veut le rétablissement des leges par arrêté royal.

M. Mercier. - Il me semble, messieurs, que nous ne devons pas nous arrêter au mot « abrogation ; » c’est la chose qu’il faut voir. Des négociants s’adressent à la chambre pour réclamer une disposition législative ; ils nous demandent une loi pour rétablir les leges, pour qu’ils soient perçus légalement et non en vertu de simples arrêtés du pouvoir exécutif. En décidant le renvoi de cette pétition au département des finances, la chambre ne préjuge rien : le gouvernement aura à examiner s’il juge convenable de présenter ou de ne pas présenter une loi aux chambres sur cet objet, et, dans l’affirmative, le pouvoir législatif se prononcera pour ou contre l’adoption du rétablissement des leges. Il n’y a donc pas le moindre inconvénient à renvoyer la pétition au ministre des finances.

- L’ordre du jour ayant la priorité est mis aux voix. Deux épreuves par assis et levé sont douteuses ; on procède à l’appel nominal.

60 membres sont présents.

25 répondent oui ;

31 répondent non ;

4 s’abstiennent.

En conséquence, l’ordre du jour est rejeté. Ont répondu oui : MM. Bekaert-Baeckelandt, Dechamps, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, Doignon, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Hye-Hoys, Jadot, Keppenne, Morel-Danheel, Pirmez, Pollénus A. Rodenbach, Scheyven, Seron, Thienpont, Ullens, Vandenbossche, Vergauwen, Peeters.

Ont répondu non : MM. Andries, Angillis, Coppieters, Corneli, de Behr, de Brouckere, de Florisone, de Langhe, de Longrée, F. de Mérode, de Muelenaere, de Puydt, Dequesne, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Lebeau, Lecreps, Maertens, Mercier, Metz, Milcamps, Nothomb, Raymaeckers, Rogier, Stas de Volder, Van Volxem, Verdussen.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à motiver leur abstention.

M. Gendebien. - Je me suis abstenu, messieurs, parce qu’il s’agit d’un acte dans lequel je suis intervenu autrefois, et parce qu’on a trouvé de l’inconvenance dans la pétition qui demande l’abrogation de cet acte.

M. Dubois. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pas assisté à la discussion.

M. Heptia et M. Zoude déclarent s’être abstenus par les mêmes motifs que M. Dubois.

M. Andries, rapporteur. - Je dois vous faire remarquer, que lorsque la pétition a été déposée sur le bureau, l’analyse en a été faite d’une manière quelque peu inexacte ; ce n’est pas précisément l’abrogation de l’arrêté du gouvernement provisoire que les pétitionnaires demandent, c’est seulement le rétablissement des frais d’expédition de douanes.

- Le dépôt au bureau des renseignements et le renvoi à MM. les ministres de l’intérieur et des finances sont successivement mis aux voix et adoptés.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition, présentée à la séance du 6 juin 1836, le sieur Moraux, ex-employé des douanes, admis à la retraite, réclame le paiement d’une somme de 61 fr. qui lui revient du chef de sa pension pour le premier semestre 1832.

La commission propose le renvoi au ministre des finances.

- Adopté.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 11 novembre 1836, le sieur Jacques Marechal, batelier à Jemeppe (Liége), demande une indemnité de 500 fr., du chef de dégâts essuyés par son bateau qui a servi à l’établissement d’un pont sur le canal de Maestricht à Bois-le-Duc en 1831, pour le passage des troupes. »

La commission propose le renvoi au ministre de la guerre.

- Adopté.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 11 novembre 1836, des habitants notables du faubourg de Schaerbeek demande une pension pour la veuve du notaire Herman, ex-bourgmestre de cette commune. »

La commission propose le dépôt au bureau des renseignements.

M. Milcamps. - Les pétitionnaires retirent leur demande.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 12 novembre 1836, le sieur J.-A. Borrekens, à Ixelles, demande qu’il soit fait rapport, par la commission des pétitions, de la requête du sieur Derudder, d’Anvers, tendant à ce que le gouvernement se constitue garant, comme l’avait fait l’ancien gouvernement aux porteurs d’actions créées pour la construction d’un entrepôt à Anvers. »

La commission propose le renvoi à MM. les ministres de l’intérieur et des finances, avec demande d’explications.

- Adopté.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 12 novembre 1836, le sieur François Callens, ébéniste, à Bruxelles, demande le remboursement, à titre d’indemnité, d’une somme de 2,000 fr. qui lui a été enlevée par les Hollandais en 1830. »

La commission propose le dépôt sur le bureau pendant la discussion de la loi sur les indemnités.

- Adopté.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 12 novembre 1836, le sieur Antoine, desservant de Compogne (Luxembourg) demande le paiement du secours qui était payé à son parent Antoine (Nicolas-Joseph), desservant démissionnaire pour infirmités, en remplacement de la pension à laquelle il avait droit en vertu de l’arrêté du 21 août 1816 ; secours qui n’a pas été payé depuis le 1er janvier jusqu’au 4 mai 1836, jour de son décès, et dont on refuse le paiement, parce qu’il n’y a pas eu d’arrêté de continuation de secours antérieur au décès. »

D’après les renseignements que la commission s’est empressée de prendre, il paraît que le réclamant a pris chez lui un desservant démissionnaire pour cause d’infirmité, qui, sous l’ancien régime, jouissait d’une pension, en vertu de l’arrêté du 21 août 1816. Comme du temps du gouvernement hollandais, les pensions étaient accordées en vertu d’un arrêté, on n’a pas pu, sous le régime constitutionnel, continuer à payer les pensions accordées de cette manière ; mais depuis la révolution on a payé aux titulaires de ces pensions, à titre de secours, les mêmes sommes qu’ils recevaient auparavant. Dans le cas dont nous nous occupons, il est arrivé que l’arrêté ministériel accordant le secours ne devait être rendu qu’au mois de juin, tandis que le titulaire est mort dans le mois de mai, de sorte que le sieur Antoine qui a prodigué ses soins à celui-ci, qui a payé les frais de la maladie n’a rien reçu en compensation de ses dépenses pendant quatre ou cinq mois. Il a fait une réclamation au ministère de l’intérieur, il lui a été répondu que le secours ne pouvait pas lui être payé parce que l’arrêté qui l’accorde est postérieur au décès. Il me paraît, messieurs, qu’il n’y a d’autres moyen de satisfaire à la juste réclamation du pétitionnaire que de voter un crédit supplémentaire lorsque nous nous occuperons du budget de l’intérieur ou de demandes de crédit pour dépenses arriérées de ce département.

La commission, messieurs, a l’honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de l’intérieur.

M. Metz. - J’appuierai vivement, messieurs, toute mesure qui tendrait à faire droit à la pétition ; j’ai déjà eu l’honneur de vous dire, dans une autre occasion, que dans la province de Luxembourg la position des ecclésiastiques est plus dure que partout ailleurs ; la position des ecclésiastiques démissionnaires est encore plus dure que celle des autres ; ils se retirent ordinairement lorsque, par leur âge avancé, ils sont sujets à de nombreuses infirmités ; ils sont presque toujours dépourvus de fortune. Le sieur Antoine s’est retiré après cinquante ans de service ; il a été reçu par le pétitionnaire qui se contentait, de recevoir, en dédommagement de ses soins et de ses frais, la modique pension du démissionnaire. Je pense, messieurs, que le pétitionnaire a fait preuve d’une charité louable pour qu’il ne faille pas l’encourager.

Je voterai, en conséquence, pour le renvoi de la pétition à M. le ministre de l’intérieur, avec prière d’y avoir tous les égards possibles.

M. le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, l’inconvénient dont il s’agit ne pourra plus se présenter à l’avenir, parce que dernièrement il a été pris un arrêté royal d’après lequel les secours accordés aux ecclésiastiques, pour leur tenir lieu de pension, seront réglés jour par jour. Quant au passé, le sieur Antoine n’est pas le seul qui se trouve dans la position dont il se plaint ; on a suivi un principe général en matière de secours, c’est que, si l’individu qui jouit d’un secours vient à mourir avant la signature de l’arrêté qui l’accorde, ce secours n’est point payé, parce qu’on regarde la chose comme purement personnelle. Cependant, comme les ecclésiastiques ne peuvent pas souffrir le retard qui a été apporté à la loi des pensions, j’ai proposé au Roi l’arrêté dont je viens de parler. Je crois qu’il est réellement juste de payer aux ecclésiastiques le secours qui remplace leur ancienne pension, jusqu’au jour de leur décès. Je me propose donc de présenter à la chambre une demande de crédit pour faire face à ces dépenses que je considère comme arriérées ; je crois qu’elles peuvent s’élever en totalité à 11,000 fr. depuis l’époque de la révolution.

M. de Muelenaere. - Messieurs, comme M. le ministre de l’intérieur vient d’annoncer qu’il présentera un projet de loi tendant à faire droit à la réclamation dont il s’agit, je n’ai plus rien à dire.

Mais il me semble aussi que cette réclamation est éminemment juste.

Le desservant dont il s’agit était pensionnaire en vertu de l’arrêté de 1816. Toutes ces pensions ont été converties en secours ; ces secours se paient par semestre ou par trimestre.

Il est incontestable que les anciens desservants de cette catégorie n’ont pour la plupart d’autres ressources que leur modique pension ; s’ils ne les reçoivent pas en temps utile, ils sont obligés de faire des dettes, et c’est dans l’espoir d’être remboursée lors du paiement de leur pension, qu’on leur accorde les avances dont ils peuvent avoir besoin. Je conçois fort bien que le mandat qui a été délivré après le décès du desservant ne puisse être liquidé au profit du sieur Antoine. mais il peut l’être au profit de ses héritiers sauf au sieur Antoine à s’entendre avec ces héritiers pour être payé de la somme qu’il a avancée.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 15 novembre 1836, la dame baronne de Messemaere, née de Doncker, demande que ce qu’elle reçoit du gouvernement à titre de secours, soit porté de 200 à 300 fl. »

La commission propose le renvoi au ministre de l’intérieur.

- Adopté.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 15 novembre 1830, un grand nombre d’habitants de Zeelhem (Limbourg) demandent

« 1° Que l’élection qui a eu lieu le 5 novembre 1836, en remplacement d’un membre du conseil communal qui avait donné sa démission, soit annulée ;

« 2° Que l’ancien bourgmestre qui fait de nouveau partie du conseil soit maintenu dans ses fonctions. »

La commission propose l’ordre du jour.

- Adopté.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 17 novembre 1830, la dame veuve du sieur Mersch, conservateur des hypothèques, à Liége, demande que sa pension de la caisse de retraite lui soit payée en intégralité, par conséquent soit portée de 6,000 à 9,902 fr. »

La commission propose le renvoi à la section centrale chargée du rapport du projet de loi relatif aux pensions.

M. de Renesse. - Messieurs, la pension de Mme la veuve Mersch a été liquidée à la somme de 9,902 fr. par résolution du conseil d’administration de la caisse de retraite, en date du 22 janvier 1836, et sur le pied des retenues considérables opérées pendant de longues années sur le traitement de M. Mersch, en son vivant directeur de l’enregistrement et conservateur des hypothèques à Liége. D’après les règlements et arrêtés sur la caisse de retraite, Mme la veuve Mersch avait un droit acquis à cette pension de 9,902 fr., à raison des 36 ans 7 mois et 27 jours de services de son mari, et d’un traitement de 19,810 fr. 95 c. ; mais, par un arrêté du 2 mai 1836, il fut décidé qu’il ne serait alloué à la pétitionnaire que, jusqu’à une disposition contraire, une pension annuelle de 6,000 fr. ; cette décision fut fondée sur ce que, dans l’état de la discussion, actuellement pendante devant la législature, en ce qui concerne les pensions de la caisse de retraite, il était rationnel de n’allouer définitivement aucune pension dépassant le taux de 6,000 fr. Mme la veuve Mersch, alarmée par le motif de cet arrêté, s’est adressée à la chambre des représentants de l’avis de plusieurs jurisconsultes distingués de Liége qui, dans un mémoire joint à la pétition, prouvent à l’évidence que la pétitionnaire est fondée en droit, et conformément à l’article 11 de la constitution, de réclamer la pension telle qu’elle a été liquidée par le conseil d’administration d’après les arrêtés et règlements sur la caisse de retraite, et qu’il serait d’ailleurs de toute injustice de liquider cette pension d’après toute autre base que celle sur laquelle toutes les autres pensions de la caisse de retraite avaient été liquidées, aussi longtemps qu’aucune nouvelle loi n’aurait réglé cette matière. Par ces motifs, que je crois très fondés, et, tout en appuyant la juste réclamation de Mme la veuve Mersch, j’ai l’honneur de demander le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances, et, en outre, à la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet de loi qui vient d’être présenté sur toutes les pensions civiles et ecclésiastiques, et qui, en examinant cette réclamation, pourra faire une proposition à la chambre si M. le ministre des finances ne croit pas, pour le moment pouvoir faire droit à la juste réclamation de Mme la veuve Mersch.

M. de Brouckere. - Messieurs, le mari de la pétitionnaire était conservateur des hypothèques à Liége. A l’époque de la mort de son mari, on a liquidé la pension à laquelle elle avait droit sur la caisse de retraite, et le montant de cette pension, en vertu des dispositions en vigueur, était de 9,902 fr. Mais vous vous rappelez que M. le ministre des finances, par suite des discussions qui avaient eu lieu les années antérieures dans la chambre, avait pris vis-à-vis de nous l’engagement de ne plus payer de pension qui fût supérieure à 6,000 fr., et de réduire provisoirement à ce taux les pensions dont le montant était plus fort.

Cette mesure a été appliquée à la pétitionnaire, à laquelle, dans les premiers temps, on n’a payé que 6,000 fr. ; mais depuis lors la chambre a voté une loi sur la caisse de retraite, et je suppose que maintenant on paie à la pétitionnaire toute la pension à laquelle elle a droit d’après les dispositions qui étaient en vigueur au moment de la mort de son mari.

Au reste, avant de prendre une décision sur la pétition, il faudrait attendre la présence de M. le ministre des finances.

M. Mercier. - Je vais donner quelques éclaircissements à la chambre : Aucune loi des pensions n’a été votée depuis la réclamation de la pétitionnaire, et elle se trouve encore dans la même position que lorsqu’elle s’est adressée la chambre. Depuis plus de deux ans, par suite du vœu exprimé par la chambre et de l’engagement que je pense avoir été pris par M. le ministre des finances, aucune pension n’a été fixée par arrêté royal à un taux supérieur à six mille francs, lors même qu’en vertu du règlement quelques-unes eussent dû dépasser cette somme.

Je crois qu’il n’y a nul inconvénient à renvoyer la pétition à M. le ministre des finances, et j’appuie la proposition faite à cette fin par l’honorable M. de Brouckere .

M. de Renesse. - Messieurs, il résulte des explications que l’honorable M. Mercier vient de de donner, que la veuve Mersch est toujours en réclamation auprès du ministre des finances, et qu’elle n’a pu obtenir le paiement de sa pension, telle que cette pension a été liquidée à l’époque du décès de son mari.

Je pense, en conséquence, que la pétition devrait être renvoyée à M. le ministre des finances.

M. de Brouckere. - S’il en est ainsi, et l’on ne peut pas en douter après les explications de l’honorable M. Mercier, j’appuie le renvoie de la pétition à M. le ministre des finances.

M. Dumortier. - Messieurs, quant à moi, j’appuie la proposition de la commission des pétitions, tendant à renvoyer la pétition à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi concernant les pensions.

Je pense que lorsqu’on jouit d’une pension de 6,000 francs, on n’est pas encore à rien ; il me semble qu’une pension de 9,902 fr., qui ressemble beaucoup à une pension de 10,000 fr. est très considérable, surtout alors qu’il s’agit d’une pension de veuve.

Le ministre des finances a pris l’engagement de ne plus payer de pension à un taux supérieur à 6,000 fr. ; et jusqu’à ce qu’une loi soit intervenue à cet égard, il me paraît qu’il y a lieu de laisser les choses dans l’état où elles sont. Il est probable que l’on discutera la loi sur les pensions dans le courant de la session, et la pétition dont nous nous occupons en ce moment pourra nous fournir alors d’utiles renseignements.

Je pense donc qu’il faut s’en tenir aux conclusions de la commission des pétitions. Le renvoi au ministre des finances pourrait avoir des inconvénients. Nous ne devons pas préjuger ces questions, ces questions ne sont pas toujours ce que les pétitionnaires prétendent. Ainsi, dans plusieurs fonctions de l’ordre financier, il existe, indépendamment du traitement, des sommes qu’on alloue aux employés à titre d’abonnement ; il existe encore d’autres bénéfices. Or, il y a des fonctionnaires qui prétendent que leur pension soit liquidée, non seulement à raison de leur traitement, mais encore en tenant compte de l’abonnement dont ils ont joui.

M. de Brouckere. - Je n’entends pas que la chambre décide aujourd’hui qu’il fallait payer à la pétitionnaire la pension de 9,902 francs, il n’est pas question de cela. Voici simplement de quoi il s’agit. Le mari de la pétitionnaire est mort sous l’empire de dispositions qui avaient été exécutées jusque-là. Elle a demandé qu’on exécutât aussi ces dispositions à son égard, puisqu’elles n’étaient pas abrogées au moment de la mort de son mari. Eh bien, c’est une question à examiner : je ne prétends la trancher ni dans l’un ni dans l’autre sens ; mais je vous demande si une question aussi importante ne doit pas faire l’objet d’un examen, non seulement de la part de chacun de nous, mais encore de la part du gouvernement. Eh bien, que faisons-nous, en renvoyant au ministre des finances la pétition, ainsi que la consultation dont est accompagnée et qui est signée par trois avocats du barreau de Liége ? Nous ne faisons pas autre chose qu’engager le ministre à examiner une question qui mérite une attention sérieuse ; on fait valoir des droits acquis, et d’autres considérations très graves. Le ministre examinera sans doute la question, avant que nous discutions la loi sur les pensions. Je ne propose que le simple renvoi de la pétition au département des finances, sans demander d’explications.

Je persiste à demander le renvoi au ministre des finances.

M. Mercier. - Je n’ai demandé la parole que pour faire observer que ce qui vient d’être allégué par l’honorable M. Dumortier prouve qu’il y a nécessité de hâter la discussion de la loi sur les pensons qui a été présentée à la chambre par le gouvernement, mais ne prouve rien contre l’objet de la pétition dont nous nous occupons en ce montent. Quand on a nommé une commission pour réviser les pensions, c’était pour examiner si elles étaient établies d’après les dispositions existantes et non pour les fixer arbitrairement.

J’appuie la proposition de l’honorable M. de Brouckere qui tend au renvoi de la pétition à M. le ministre des finances.

- Le renvoi à la section centrale qui sera chargée de l’examen du projet de loi sur les pensions est adopté.

La chambre adopte également le renvoi au ministre des finances.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 28 novembre 1836, le sieur Victoor, notaire à Messines (Flandre occidentale), adresse des observations sur le projet de nouvelle circonscription judiciaire, et demande qu’en cas de modification des cantons actuels, on modifie l’article 5 la loi de ventôse an XI. »

La commission avait proposé le renvoi au ministre de la justice, mais depuis qu’elle a examiné cette pétition, un projet de loi ayant été présenté à la chambre, elle a conclu au renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi relatif aux circonscriptions des justices de paix.

M. de Behr. - Les rapports ont été faits ; la section centrale est dessaisie ; je crois qu’il vaudrait mieux ordonner le dépôt sur le bureau, quand on discutera le projet de loi.

M. de Muelenaere. - Je demanderai le renvoi au ministre de la justice. La pétition renferme probablement quelques vues. Je crois que le gouvernement est décidé, avant de provoquer la discussion de ce projet d’attendre les observations des conseils provinciaux sur la matière.

M. le ministre a demandé en dernier lieu que les conseils provinciaux voulussent exprimer leur opinion sur les différents projets de circonscription antérieurs. Les conseils provinciaux ne se sont pas encore occupés de cette matière, parce qu’ils ont pensé qu’ils ne pourraient le faire que quand la chambre se serait prononcée sur la loi de compétence des justices de paix. Si la pétition renferme des vues utiles, et je le pense, car elle émane d’un notaire de la Flandre occidentale, il convient de la renvoyer au ministre de la justice, afin qu’il puisse la communiquer au besoin au conseil provincial de la Flandre occidentale.

- Le renvoi proposé est adopté.


M. Andries, rapporteur. - « Par pétition présentée à la séance du 29 novembre 1836, le sieur Herla, ancien directeur des contributions directes, etc., renouvelle sa demande que sa pension liquide en 1827 à fl. 1,617, et portée en 1828 sous la forme de toelage à fl. 4,000, lui soit payée sur ce dernier pied. »

La commission avait d’abord proposé l’ordre du jour, la chambre ayant refusé au ministre des finances les moyens de satisfaire aux pensions de la nature de celle dont il s’agit. Mais depuis cette décision, une commission ayant été chargée d’examiner la question d’attente, la commission des pétitions vous propose maintenant de renvoyer la pétition du sieur Herla à cette commission spéciale.

- Ce renvoi est adopté.

Projet de loi sur le jury

Discussion des articles

Article 5

M. le président. - Nous en étions restés à l’article 5 dont les diverses dispositions ont été adoptées avec les amendements de MM. Liedts et Devaux. Il nous restait à voter sur l’ensemble de cet article que je vais mettre aux voix.

- L’ensemble de l’article 5 est adopté tel qu’il a été amendé.

Article 6

« Art. 6. Après la délibération, chaque juré recevra un de ces bulletins, qui lui sera remis ouvert par le chef du jury.

« Le juré effacera ou raiera le mot « non » s’il veut répondre oui ; il effacera ou raiera le mot « oui, » s’il veut répondre non.

« Il fermera ensuite son bulletin et le remettra au chef du jury, qui le déposera dans une urne à ce destinée. »

M. le président. - C’est ici que vient l’amendement de M. Devaux adopté hier, et dont il a demandé le transfert à cet article.

« Dans les provinces où les langues flamande ou allemande sont en usage, chaque juré recevra, indépendamment du bulletin français, un bulletin flamand ou allemand. »

- L’article 6 avec cet amendement est adopté.

Articles 7 à 9

« Art. 7. Les jurés voteront séparément et distinctement, d’abord sur le fait principal ; ensuite sur chacune des circonstances aggravantes ; et, s’il y a lieu, sur chacune des questions posées dans les cas prévus par les articles 339 et 540 du code d’instruction criminelle. »

- Adopté.


« Art. 8. La table servant aux opérations du jury sera disposée de manière que personne ne puisse voir ce qui sera fait par chaque juré. »

- Adopté.


« Art. 9. Après chaque scrutin, le chef du jury le dépouillera en présence des jurés, et consignera immédiatement la résolution en marge de la question, sans exprimer le nombre de suffrages, si ce n’est dans le cas où la déclaration affirmative sur le fait principal n’aurait été formée qu’à la simple majorité. »

- Adopté.

Article 10

« Art. 10. Le bulletin sur lequel les mots « oui » et « non « seraient tous les deux effacés ou rayés, ou ne le seraient ni l’un ni l’autre, sera compté comme portant une réponse négative à la question posée. »

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je crois qu’il faudrait substituer aux mots « négative à la question posée, » ceux-ci : « favorable à l’accusé. »

En voici la raison : c’est qu’il pourrait arriver que la question tombe sur une excuse. Dans ce cas, ne pas voter, c’est admettre l’excuse. Considérer le vote comme négatif, c’est rejeter l’excuse. Ce n’est pas comme cela que l’a entendu la section centrale.

M. le président. - M. Metz propose à l’article 10 un amendement ainsi conçu : « Les bulletins sur lesquels les mots « oui » et « non » seraient tous deux effacés ou ne le seraient ni l’un ni l’autre, de même que les bulletins manquants et les billets blancs trouvés au dépouillement, seront comptés comme portant une réponse favorable à l’accusé. »

M. Metz. - Vous voyez, messieurs, que j’ajoute que s’il arrivait qu’au dépouillement du scrutin on ne trouvât pas le nombre complet des bulletins ou qu’on y trouvât des bulletins blancs, l’absence d’un ou de plusieurs bulletins et la présence de bulletins blancs seront interprétées en faveur de l’accusé. Je pense que cela ne peut pas rencontrer de difficulté.

Il pourrait arriver qu’un chef du jury, voyant une condamnation imminente et voulant du bien à l’accusé, supprimât un bulletin. Le cas n’étant pas prévu par la loi, ce scrutin serait nul, il faudrait renvoyer à une autre session. Il en serait de même si, par les mêmes motifs, un juré mettait dans l’urne un billet blanc au lieu du bulletin qui lui est remis.

Voilà les inconvénients auxquels mon amendement a pour but de parer.

M. Pollénus. - Je crois que l’amendement proposé par M. Metz est inadmissible. En effet, cet honorable membre propose d’admettre d’autres bulletins que ceux remis aux jurés ; mais ce serait admettre une disposition contraire à l’article 6 déjà voté. Il me semble impossible de considérer comme votes favorables à l’accusé des votes manquants, à moins que vous ne vouliez dispenser des jurés de voter. S’il manque des bulletins, c’est probablement qu’il y a eu erreur, et dans ce cas je ne vois aucun motif pour ne pas recommencer. Je ne vois donc aucune raison pour admettre cet amendement. Quant aux billets blancs, les dispositions déjà votées ne permettent pas d’y avoir égard.

M. Metz. - Je suis étonné que l’honorable préopinant ne puisse concevoir l’utilité de ma proposition. C’est autoriser, dit-il, un juré à ne pas voter. Si telle était la conséquence de mon amendement, je ne l’aurais pas proposé. J’ai voulu parer à des inconvénients qui, s’ils ne sont pas probables, sont au moins possibles. Il peut arriver qu’un juré ayant une opinion favorable à l’accusé mette dans l’urne un bulletin où il aura effacé le oui et le non, ou un bulletin où il n’aura effacé ni l’un ni l’autre.

Dans ces deux cas l’opinion personnelle du juré sera favorable à l’accusé, mais cette opinion n’empêchera peut-être pas la condamnation parce que, à côté de ce vote favorable, il peut y avoir 11 votes défavorables qui entraîneront la condamnation. Mais il peut arriver aussi, si la loi ne prévoit pas le cas, qu’un juré conserve le bulletin imprimé qui lui aura été remis, plie un billet blanc et le remette au chef du jury qui déposera dans l’urne ce billet blanc. Dans ce cas, direz-vous, si la loi ne prévoit pas le cas, le vote sera nul, et il faudra recommencer. Mais le juré pourra continuer de remettre des billets blancs, et vous pourrez recommencer ainsi 25 fois de suite sans résultat. Il faut prévoir ce cas qui est possible ; il faut donner à la société la garantie que le coupable sera puni ; vous arrivez à ce résultat en considérant le billet blanc comme favorable à l’accusé.

Les mêmes motifs doivent vous faire regarder comme favorables à l’accusé les bulletins manquants.

Je crois avoir justifié mon amendement, j’espère que la chambre l’adoptera.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - La loi ayant indiqué le vote par bulletins imprimés comme seule manière de voter, le juré qui n’a pas voté de cette manière n’a pas voté ; il n’y a pas eu vote de tous les jurés, il faut donc recommencer.

On pose deux hypothèses ; l’une où il y aurait un bulletin de moins, hypothèse difficile à réaliser, mais qui n’est pas absolument impossible. Dans ce cas, tout le monde n’ayant pas voté, on recommencera l’opération. Il n’est pas à croire que ce cas extraordinaire se représente plus d’une fois ; s’il pouvait se présenter plus d’une fois dans le vote par bulletins, il aurait pu se présenter aussi bien dans le vote oral, et cela n’est jamais arrivé.

Le deuxième cas est celui où il se trouve un billet blanc dans l’urne. Le juré ne voudrait-il pas répondre par bulletins imprimé ? Cela n’est pas supposable ; au reste, s’il y a un billet blanc, tout le monde n’ayant pas voté, on recommencera. On ne doit pas prévoir ce cas dans la loi ; c’est comme si dans le vote oral un juré se refusait à répondre par oui ou par non.

M. Metz. - Dans ce cas la loi le punit.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Nous n’avons pas besoin de prévoir ce cas, parce que dans le vote secret on ne pourrait savoir qui a remis le bulletin blanc. Mais la loi punît-elle le juré, il n’en est pas moins vrai qu’il n’y aurait pas de vote, la difficulté serait la même. Je ne pense pas que la loi puisse donner une valeur à un bulletin blanc, puisqu’elle réprouve tout vote autre que par bulletins imprimés. Elle ne peut autoriser la violation du devoir qu’elle impose. Par ces motifs, je m’oppose à l’amendement.

M. Metz. - M. le ministre de la justice dit que vous ne pouvez pas admettre une autre manière de voter que celle par bulletins imprimés admise dans un précédent article ; cependant, après avoir dit que le juré devait effacer le oui ou le non, vous dites que s’il n’efface ni l’un ni l’autre, ou s’il efface tous les deux, son vote est considéré comme favorable à l’accusé. Ici la loi prévoit le cas où le juré n’obéira pas à la loi. Que demandé-je de plus par mon amendement ? Songez que si vous ne l’adoptez pas, il y a des cas où la condamnation ne pourra avoir lieu. M. le ministre de la justice dit qu’il n’est pas à supposer qu’un juré remette un bulletin blanc au lieu d’un bulletin imprimé.

Mais, messieurs, si pour chercher à sauver un accusé dont la condamnation est très probable, un juré se fait comprendre dans le jury du jugement comme je l’ai vu cent fois, il ne manquera pas, si vous ne prévoyez pas le cas d’un bulletin blanc, de substituer un bulletin blanc au bulletin imprimé pour annuler le vote. Comment saurez-vous quel est le juré qui remit ce bulletin blanc, et si on recommence le vote, qui empêchera le juré de remettre encore un bulletin blanc ? M. le ministre de la justice dit qu’il en est de même pour le vote oral ; c’est une erreur que je ne conçois pas de la part de M. le ministre de la justice.

Quand un juré est appelé hautement par le chef du jury, en présence de ses collègues, et quand il a promis de parler avec la fermeté qui convient à un homme probe et libre, comment pourrait-il refuser de répondre ? S’il pouvait oublier ses devoirs, au point de ne pas répondre, la loi est là pour le punir.

Mon amendement donne une sorte de sanction à votre loi qui consacre le vote secret, quoique je ne sois pas partisan de cette manière de voter ; mais je l’ai proposé consciencieusement. L’expérience que j’ai du jury m’apprend que l’on fera cent fois usage du moyen que j’indique.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Quel intérêt un juré peut-il avoir à remettre deux fois un billet blanc ? C’est d’empêcher une condamnation ; mais il remplit cette intention par un vote favorable à l’accusé.

M. Metz. - Mais le billet blanc rend le scrutin nul.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je viens de dire que le juré n’a aucun intérêt à déposer un billet blanc, car le billet blanc serait un vote favorable selon l’amendement du préopinant ; il est probable que le billet blanc est le résultat d’une erreur, et il ne faut pas supposer qu’un juré dépose plusieurs fois, successivement, un tel billet.

Dans les réponses orales par oui et par non, il n’y a pas d’exemple qu’un juré se soit refusé de répondre ; il n’y aura pas non plus d’exemple qu’un juré se refuse de répondre par scrutin secret. Tous les jurés réunis, quand ils verraient constamment arriver un bulletin blanc, en témoigneraient leur indignation et finiraient bien par s’apercevoir d’où vient ce billet blanc. Il suffira donc de recommencer quelquefois le scrutin pour que cette manœuvre ne se renouvelle plus.

M. Gendebien. - La discussion qui s’élève prouve que l’on est dans une fausse voie ; plus on avancera dans l’examen de la loi et plus on en sera convaincu. L’amendement de M. Metz est le complément nécessaire de la loi ; mais comme il s’applique à une loi mauvaise, il ne peut être bon, il pourrait même conduire à de fâcheux résultats. Si un chef du jury est favorable à un accusé, s’il veut le faire absoudre, il retiendra un ou deux billets qui portent condamnation ; quelle en sera la conséquence ? En supprimant un billet, il fournit deux votes favorables à l’accusé ; s’il retranche un vote qui condamne, il diminue le nombre des votes pour la condamnation, et il augmente en même temps ceux pour l’absolution, puisque l’absence d’un vote compte pour l’absolution. Voilà où conduit l’amendement.

On ne peut se dissimuler que la chose ne puisse arriver. Le chef du jury pénétrera facilement l’opinion de ceux qui seront défavorables à l’accusé, puisqu’on prend toujours pour chef du jury l’homme qui paraît le plus habile des douze jurés. Eh bien, il pourra retenir un billet défavorable ; personne n’a contesté la possibilité du fait ; tous les orateurs, au contraire, l’ont reconnue ; seulement les uns veulent que l’absence d’un billet soit favorable à l’accusé, les autres disent qu’il faudra recommencer : recommencer ! mais combien de fois ? Quel moyen coercitif avez-vous pour mettre un terme à cette manœuvre ? Vous voyez que les plus simples objections vous arrêtent, vous voyez que les embarras se multiplient sous vos pas ; vous voyez combien votre système est incomplet et combien vous vous êtes témérairement lancés dans une fausse voie. Pour les réponses orales, rien n’est plus simple : si quelqu’un refuse de répondre, il y a moyen de l’y contraindre. Pour le vote secret, avez-vous un moyen de contraindre un membre du jury qui refuserait de remettre son bulletin ? Vous n’avez pas même prévu ce cas qui ne manquera pas de se présenter. Il y a une autre observation à faire sur les bulletins, et cette observation a été faite par M. Persil, ministre de la justice en France. On peut plier le bulletin sur lequel on vient d’effacer le oui ou le non, de façon que ces deux mots s’appliquent l’un sur l’autre ; la barre qui a effacé l’un d’eux pourra s’empreindre sur l’autre ; il en résultera, d’après l’article 10, un billet favorable à l’accusé dans le cas même où le juré aurait été pour la condamnation ; encore une fois, voilà un billet pour la condamnation qui, par un événement indépendant du jury, procurera un double vote favorable à l’accusé, Ainsi plus vous avancez, plus vous augmentez les chances d’erreur et les chances d’absolution que vous voulez diminuer.

Maintenant je demanderai ce qui arrivera si le corps du jury trouve à propos de ne pas procéder par bulletins et s’il déclare d’emblée que l’accusé est innocent ou coupable sans procéder par bulletins ? Que fera-t-on, en effet, dans ce cas ? La loi ne le prévoit pas. Elle devrait s’expliquer d’autant plus que le ministre vient de dire que l’on ne pouvait procéder légalement que par bulletins, et que la loi l’exige. Mais si le jury vote autrement, cela entraînera-t-il un moyen de cassation ? C’est ce qu’on devrait dire dans la loi, si on veut une sanction. De deux choses l’une : ou vous voulez que la loi s’exécute et alors il fait à la loi une sanction qui, à peine de nullité, contraindra les jurés à procéder à la longue et fastidieuse opérations des bulletins et des nombreux dépouillements, alors même qu’ils seraient tous d’accord, en entrant dans la chambre du conseil, de condamner ou d’absoudre même à l’unanimité, ou il faudra abandonner à la volonté ou au caprice des jurés, ou même de quelques-uns d’eux, l’exécution du vote par bulletins, et dans ce dernier cas la loi est impuissance et tombera bientôt dans le ridicule de la désuétude.

Vous voyez que non seulement les inconvénients se multiplient à mesure que nous avançons, mais que la loi se montre à chaque instant plus incomplète. J’avais donc raison de dire qu’il faut et qu’il serait plus facile de faire une loi complète. Je voterai contre celle qui est en délibération, comme je vote contre l’article en délibération.

M. Metz. - Je retire la partie de mon amendement relative aux bulletins manquants, la disposition qui ordonne que chaque juré remettra son bulletin au chef du jury la rend inutile. Je n’avais fait la proposition que parce que je croyais que la loi ordonnerait que chaque juré mettrait lui-même dans l’urne son bulletin.

Je maintiens la partie de mon amendement relative au bulletin blanc qui sera dans l’urne ; tout bulletin blanc rend le scrutin valable et est compté en faveur de l’accusé.

M. Pollénus. - Messieurs, j’ai entendu dire, par les partisans de l’amendement, qu’il faut tout prévoir dans la loi ; je crois, néanmoins, qu’il est certaines choses qu’il faut éviter de prévoir, c’est l’absurde. Si l’on suppose qu’il y aura des jurés qui se refuseront de voter dans la forme prescrite par la loi, il faut pousser la prévision plus loin, et supposer que plusieurs jurés et même tous les jurés pourraient refuser de voter, ou d’émettre un vote dans les formes prescrites ; dans ces cas-là, et autres cas possibles qui ne se présentent pas à mon esprit, quelle est la sanction de la loi, demande-t-on ?

Messieurs, s’il était possible de prévoir qu’en Belgique on trouvera des jurés qui refusassent d’émettre un vote ou s’obstinassent à vouloir paralyser l’action de la justice répressive, ce qu’il y aurait à faire ? Ce serait de supprimer le jury, de l’effacer de nos lois, parce que cela démontrerait que le peuple n’est pas mûr pour cette institution. Mais cette supposition est absurde, et le législateur ne doit pas admettre des suppositions semblables.

En admettant l’amendement de M. Metz, par lequel on serait censé donner un vote favorable à l’accusé en donnant un billet blanc, ce serait admettre une disposition contraire à l’article 5 que vous avez voté. Cet article 5 parle des bulletins que le chef du jury est seul autorisé à recevoir ; or, il ne peut recevoir que les bulletins portant le timbre de la cour d’assises ; et si un juré présentait au chef du jury un bulletin qui serait dépourvu des caractères déterminés par la loi, le chef du jury devrait refuser de mettre dans l’urne un semblable bulletin ; et le juré qui refuserait d’émettre son vote dans la forme déterminée, devrait être considéré comme refusant de voter et de remplir les devoirs de son poste.

Vous voyez donc, messieurs, qu’en présence des votes que la chambré a émis, il est impossible d’adopter l’amendement de l’honorable M. Metz qui est en opposition directe avec les dispositions précédemment votées par la chambre.

M. de Behr, rapporteur. - Messieurs, j’ajouterai aux observations de l’honorable préopinant que c’est précisément pour empêcher la substitution de billets que les bulletins doivent être marqués du timbre de la cour. Quand un juré remettra son bulletin, le chef du jury examinera si ce bulletin porte l’empreinte prescrite, et s’il ne la porte pas, le juré sera invité à déposer ce bulletin timbré ; si après cela le jury refuse, il sera considéré comme ne voulant pas voter, et il encourra de ce chef les peines comminées par la loi. Je ne vois donc pas que l’inconvénient signalé par l’honorable M. Metz puisse réellement exister.

M. Gendebien. - M. le ministre de la justice vous a dit tout à l’heure, messieurs, que la seule manière de procéder en chambre du conseil, c’est de déposer les bulletins remis par le président de la cour au chef du jury, et par le chef du jury, à chacun des jurés ; mais ainsi que je l’ai déjà dit, si le jury tout entier croyait inutile de procéder de cette manière, et s’il opérait comme actuellement ou d’une autre façon, y aurait-il un moyen de cassation parce que le jury n’aurait pas procédé conformément à la loi, alors que le jury à l’unanimité aurait cru ne pas devoir observer dans tous ses détails le mode de voter prescrit par la loi ? Qu’on veuille bien me répondre, la chose en vaut la peine, croyez-moi, car plus d’un arrêt sera cassé, plus d’une procédure devra être recommencée.

M. de Behr, rapporteur. - Je ne vois pas, messieurs, pourquoi les jurés ne seraient pas obligés d’émettre leur vote de la manière établie par la loi ; s’il arriverait qu’un jury n’eût pas voté selon le mode prescrit par la loi, le président de la cour le ferait rentrer dans la salle des délibérations, et si le jury persistait, il serait condamné à l’amende ; je ne vois aucune difficulté à cela.

M. Metz. - Messieurs, vous venez d’entendre l’honorable rapporteur de la section centrale et l’honorable M. Pollénus, qui supposent que la loi a déjà prévu l’inconvénient que j’ai signalé ; les bulletins remis aux jurés porteront le timbre de la cour d’assises, et, dès lors, disent les honorables préopinants, il n’y a plus d’erreur possible ; d’abord, messieurs, la loi n’a pas encore dit que le timbre se trouvera à l’extérieur du bulletin, et s’il en était autrement on ne pourrait faire la vérification sans que le secret du vote ne fût trahi ; mais il est une autre observation, messieurs : de quel droit obligerez-vous les jurés à plier leurs bulletins de manière que le timbre soit visible ? Si un bulletin est plie de manière que le timbre se trouve à l’intérieur, il faudra donc que le chef du jury l’ouvre pour découvrir s’il porte réellement le timbre, et alors le secret du vote n’existera plus.

M. le ministre de la justice a dit qu’un juré ne pourra pas persister plusieurs fois à déposer un billet blanc, parce que dans ce cas les autres jurés s’écrieraient : « Ce n’est pas moi, car j’ai voté dans tel ou tel sens. » Mais alors, messieurs, que devient le secret du vote ?

Messieurs, si vous inscrivez dans la loi que lorsqu’il y a un billet blanc, le vote sera nul, un juré dévoué à l’accusé déposera 25 fois des billets blancs pour rendre le jugement impossible. Il me semble donc qu’il vaut beaucoup mieux dire que s’il y a un billet blanc, il comptera en faveur de l’accusé.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, la discussion sur le vote secret ne sera pas sans utilité pour le gouvernement qui aura à prendre certaines mesures d’exécution. C’est ainsi que les observations de M. le rapporteur me suggèrent un moyen bien simple quant au timbre des bulletins : on pourra placer ce timbre à l’extérieur et aux quatre coins du bulletin, de manière que de quelque façon qu’il soit plié, le président du jury verra de suite si le bulletin déposé par un juré est réellement celui qui a été donné.

- L’amendement de M. Metz est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

L’amendement qui consiste à remplacer les mots : « négative à la question posée, » par ceux-ci : « favorable à l’accusé, » est mis aux voix et adopté.

L’article 10 ainsi modifié est également adopté.

Articles 11 et 12

« Art. 11. Après le dépouillement de chaque scrutin, les bulletins seront brûlés en présence du jury. »

- Adopté.


« Art. 12. Le président de la cour d’assises, en remettant les questions aux jurés, les avertira sur la manière dont ils doivent procéder et émettre leurs votes.

« Les articles 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 seront imprimés en gros caractères et affichés dans la salle des délibérations du jury. »

- Adopté.

Article 13

M. le président. - Désire-t-on maintenant passer à l’article 13 ou revenir à la partie de l’article premier qui n’est pas encore adoptée ?

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je crois, messieurs, que le plus rationnel serait de continuer jusqu’à la fin le projet de la section centrale, d’autant plus que l’adoption ou le rejet de l’article qui concerne le moyen de correctionnaliser certains crimes peut exercer de l’influence sur la question du cens. D’ailleurs, la discussion de l’article 13 me paraît devoir être peu étendue, et il serait possible qu’elle fût terminée encore aujourd’hui.

M. Pollénus. - Je pense, au contraire, qu’il est plus rationnel de terminer d’abord tout ce qui concerne le jury, et de n’entamer la discussion des modifications à introduire dans le code pénal qu’après que la chambre se sera prononcée sur toutes les dispositions relatives au jury. Il est très probable que la discussion de l’article premier ne sera pas très longue, tandis que l’article 13 pourra soulever des débats assez étendus, car je rappellerai à la chambre qu’au début de la discussion, l’honorable M. Demonceau a appelé l’attention de la chambre sur la portée immense de la disposition du projet, sur la gravité qu’il pourrait y avoir à détruire d’un seul trait de plume toute l’harmonie du code pénal. Je crois donc, messieurs, qu’il faut terminer en premier l’article premier.

M. Lebeau. - Je crois, messieurs, qu’il convient de procéder comme l’a proposé M. le ministre de la justice, car si vous réduisez le nombre des causes qui seront soumises aux cours d’assises, il est évident que vous pourrez sans inconvénient réduire, dans la même proportion, le nombre des personnes appelées à faire partie du jury. Si vous diminuez de moitié, le nombre des causes sur lesquelles le jury aura à se prononcer, vous aurez alors à examiner s’il ne convient pas, dans l’intérêt de la bonne composition du jury de réduire de moitié le nombre des personnes appelées à exercer les fonctions de juré. Je pense donc qu’il faut s’occuper, en premier lieu, des articles qui permettent de renvoyer aux tribunaux correctionnels certaines causes qui n’ont été soumises jusqu’ici qu’aux cours d’assises.

M. Pollénus. - Je persiste à croire, messieurs, que l’ordre naturel exige qu’on termine ce qui est relatif au jury avant de s’occuper des modifications à introduire dans le code pénal. L’honorable M. Lebeau objecte la corrélation intime qu’il y aurait, selon lui, entre l’article 13 et l’article premier ; mais je ferai remarquer à l’honorable membre que si cette corrélation existait, il s’en serait sans doute aperçu lorsqu’il a présenté le projet de loi ; cependant les articles 13 et suivants ne se trouvaient pas dans le projet qu’il nous a soumis, c’est la section centrale qui les a proposés. Il m’est donc permis de ne pas être d’accord avec l’honorable M. Lebeau sur la corrélation qu’il prétend exister entre les articles premier et 13, corrélation qu’il paraît ne pas avoir aperçue en présentant, comme ministre, le projet qui nous occupe.

Quant à moi, il me semble que dans l’ordre même qu’a procédé la section centrale, il faut achever l’article premier avec les amendements qui s’y rapportent, avant de nous occuper de ce qui est relatif au code pénal ; il me paraît que cela est rationnel. Au reste, je ne tiens pas le moins du monde à ce que la chambre discute l’un avant l’autre, c’est dans le seul intérêt de la discussion que j’ai présenté ces observations.

- La proposition de M. le ministre de la justice, tendant à ce que la chambre aborde la discussion de l’article 13, est mis aux voix et adoptée.

« Art. 13 (proposé par M. le ministre de la justice, et remplaçant les articles 13 et 14 du projet de la section centrale). Dans les cas où le fait imputé est punissable de la réclusion, si, sur le rapport fait à la chambre du conseil, les juges sont unanimement d’avis qu’il y a lieu de commuer cette peine en celle de l’emprisonnement, par application de l’arrêté du 9 septembre 1814 (Bulletin officiel, n°34), ils pourront renvoyer le prévenu au tribunal de police correctionnelle en exprimant les circonstances atténuantes, ainsi que le préjudice causé.

« La chambre des mises en accusation pourra, à la simple majorité, exercer la même faculté.

« Le ministère public et la partie civile pourront former opposition à l’ordonnance de la chambre du conseil, conformément aux dispositions du code d’instruction criminelle. »

M. Pollénus. - Messieurs, voici en peu de mots les motifs pour lesquels il m’a été impossible de me rallier à l’opinion de la majorité de mes honorables collègues de la section centrale.

Il m’a paru qu’une disposition générale, au moyen de laquelle on change l’économie de tout notre système pénal, présentait du danger à être introduite incidemment.

Si j’ai considéré les premiers articles du projet comme une amélioration pour le jury, je dois déclarer que j’envisage l’article dont nous nous occupons comme une disposition contre l’institution du jury, puisqu’au moyen de cette disposition, on veut soustraire à la connaissance du jury à peu près toutes les causes criminelles qui occupent aujourd’hui nos cours d’assises.

Tous les faits auxquels s’applique la peine de la réclusion pourront ainsi être jugés par les tribunaux correctionnels ; le faux, le viol et plusieurs autres, car je crois que si l’on fait la nomenclature des articles du code pénal où la peine de la réclusion est comminée, on en trouvera au moins trente, et ce sont précisément les crimes les plus fréquents ; les autres heureusement sont rares.

Ainsi, pour tous ces faits, ce n’est plus le jury qui devra les apprécier, ce sont les tribunaux qui seront appelés à les connaître.

Je partage, messieurs, l’avis de ceux qui veulent introduire des améliorations dans notre système pénal, et désirerais abaisser des pénalités qui sont en général hors de proportion avec la gravité des faits. Mais veuillez remarquer qu’en correctionnalisant des faits qui sont déclarés crimes par les lois actuelles, vous n’abaissez l’échelle des peines que pour ceux de ces faits auxquels s’appliquent la peine de la réclusion. Pour les cas qui ne diffèrent de ceux-ci que du plus au moins, et auxquels s’applique la peine des travaux forcés à temps, ou les travaux forcés à perpétuité, les cours d’assises continueront à appliquer ces peines ; de manière qu’il arrivera que des faits qui ne diffèrent entre eux que par des nuances légères, seront jugés les uns par les tribunaux correctionnels, les autres par les cours criminels.

De l’avis de tous les criminalistes, c’est au haut de l’échelle des peines que le code pénal présenté les plus grands défauts ; la peine de mort y est prodiguée ; nulle proportion entre un grand nombre de faits et les pénalités terribles qui s’y rattachent. Vous voulez réformer la législation pénale et vous maintenez ce qu’elle présente de plus disparate. C’est donc par le haut de l’échelle qu’il faudrait commencer.

D’après ces considérations, il me semblait qu’en attendant la réforme de notre législation pénale, il était préférable de laisser au jury la connaissance des affaires qui lui sont attribuées aujourd’hui. Je pensais qu’en appelant le jury à juger fréquemment, on le mettait à même, par cet exercice fréquent de ses fonctions, à comprendre l’étendue de ses devoirs et les besoins du pays.

Voici donc en deux mots où se trouve le grand inconvénient que je viens de signaler ; c’est qu’au moyen d’une disposition générale, vous introduisez une innovation pour des faits punissables de la peine de la réclusion, et vous maintenez ce qui existe actuellement pour tous les cas indistinctement où le carcan, la peine des travaux forcés et la peine de mort sont appliqués. L’échelle des peines est donc rompue ; la règle dans leur application est détruite, et avec elles s’évanouissent les bienfaits de la législation modifiée : les crimes redeviendront arbitraires.

Mais je m’attends à cette objection : que la loi a posé des limites, limites qui se trouvent consignées dans les conditions exprimées dans la loi, notamment dans les circonstances atténuantes, et dans l’évaluation d’un préjudice de 50 francs. Les circonstances atténuantes ! Mais, messieurs, vous savez ce qu’on est convenu d’entendre par là. Quelle garantie a présentée l’article 363 du code pénal ? Le juge ne se donne pas seulement la peine d’exprimer les circonstances atténuantes. Tout fait, l’honneur du citoyen, du magistrat, est souvent évalué au-dessous de 25 francs.

Mais, dit-on, la garantie est dans cette limite, que le préjudice causé n’excède pas 50 francs. Dans le cas d’un des crimes que j’ai cités tout à l’heure, dans le cas du viol, par exemple, vous admettez donc qu’au moyen de votre disposition générale, vous pouvez apprécier le dommage et le réduire à 50 francs : n’est-ce pas une amère dérision ?

Messieurs, c’est en examinant de près une disposition générale qui détruit l’économie de notre système pénal, que je trouve le danger de voter une semblable disposition ; il me semble qu’on ne peut adopter une pareille mesure, sans avoir fait une étude approfondie de notre système pénal. Qui de nous a médité la portée du projet ? Qui pourra me dire quelle sera la portée de son vote ? C’est pour ce motif que je ne me suis pas rallié à l’opinion de la section centrale dont le système, à mon avis, va trop loin, mais qui, une fois admis, doit être porté plus loin et s’appliquer à toute l’échelle des peines établies par le code criminel.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, l’honorable préopinant objecte qu’on laisse subsister des peines très fortes, par exemple les travaux forcés à temps et à perpétuité, dans des circonstances où il serait juste de modifier les lois pénales, et qu’on vient improviser en quelque sorte une disposition pour des peines inférieures, pour la réclusion.

J’aurai l’honneur de répondre que si les peines des travaux forcés à temps et à perpétuité ne sont pas encore réduites dans les cas où les progrès du droit pénal et l’opinion publique semblent réclamer un adoucissement, ce n’est certes pas la faute du gouvernement, puisque, ainsi que l’a dit mon honorable prédécesseur, la chambre est saisie d’un projet complet de révision du code pénal. Mais on a prévu combien il faudrait encore attendre avant que ce projet fût converti en loi, et il est urgent d’introduire les améliorations indiquées par l’opinion unanime de la magistrature.

Et ici je réponds d’une manière indirecte à une autre observation de l’honorable préopinant. L’on improvise, dit-il, des modifications importantes. Mais, messieurs, l’on ne peut pas dire que rien soit improvisé dans la disposition dont nous nous occupons. Tous les jurisconsultes sont depuis longtemps d’accord sur ce point, qu’il y a lieu d’autoriser les chambres de conseil et des mises en accusation de correctionnaliser certains faits emportant la peine de la réclusion.

Messieurs, il n’y a rien de plus arbitraire que la loi qui caractérise les crimes et les délits. Souvent un fait est qualifié crime et punissable de la réclusion, tandis que, d’après les circonstances de l’action, il n’a pas plus de gravité que tel autre fait qui n’est qu’un délit punissable de l’emprisonnement. Il n’est pas juste de traîner devant la cour d’assises celui qui, d’après la nature du fait bien apprécié, ne devrait paraître que devant le tribunal correctionnel.

Messieurs, l’opinion publique établit une différence immense entre la comparution d’un homme devant une cour d’assises, et sa comparution devant un tribunal correctionnel, alors même que la cour d’assises ne prononce contre lui qu’une peine correctionnelle. Aussi les magistrats ont en quelque sorte anticipé sur cette innovation dans la législation. Personne n’ignore que fréquemment, quand il s’agit de coups et blessures, de vols de peu d’importance, le fait se présente aux yeux des magistrats comme n’étant pas un crime, d’après l’esprit de la législation, d’après l’équité.

J’en conviens, il vaut mieux suivre la loi ; c’est précisément pour concilier les bienfaits de la jurisprudence actuelle avec le respect de la loi, que j’ai eu l’honneur de vous faire la proposition dont vous êtes saisis. Quant aux garanties, vous en avez de suffisantes ; ce ne sera jamais que dans l’intérêt du prévenu que le fait sera correctionnalisé, et non pour soustraire l’affaire au jury ; cette pensée, on ne peut la supposer.

M. le président. - M. Verhaegen vient de déposer l’amendement suivant :

« La cour d’assises pourra, dans tous les cas, mitiger d’un degré la peine comminée par le code pénal. »

M. Verhaegen. - Messieurs je partage l’avis du ministre de la justice, et je crois que la disposition de l’article 13 est très utile. L’inconvénient que vient de signaler M. Pollénus n’existe pas ; s’il existait, ce serait dans l’arrêté du 9 septembre 1814 qui est encore en vigueur. Il se plaint que l’économie du code pénal serait détruite. Mais si cette économie est détruite, ce n’est pas par la disposition proposée, mais par l’arrêté que je viens de citer, qui permet de commuer la peine de la réclusion en celle de l’emprisonnement. Quelle est la question qui vous est soumise ? C’est celle de savoir s’il y a lieu de porter devant les cours d’assises ou devant les tribunaux qui, ordinairement, jugent les délits pareils, les délits qui ne sont punis que de peines correctionnelles, les faits prévus par l’arrêté de 1814. Je ne vois à cela aucun inconvénient. Dès qu’on adopte le principe, il faut en subir les conséquences. Je vois là une amélioration.

Il n’est pas rare de voir comparaître devant les cours d’assises des individus qui, en dernière analyse, ne sont condamnés qu’à des peines correctionnelles. Si on considère la perte de temps qui en résulte pour les magistrats composant la cour d’assises et pour les jurés, qui regardent comme une charge très lourde de rester longtemps occupés d’affaires criminelles, on sentira la nécessité de renvoyer devant les tribunaux correctionnels les affaires qui, en définitive, ne sont considérées que comme correctionnelles, telles qu’un vol domestique de peu de valeur, un vol d’une gerbe de blé ou de quelques pommes dans la campagne, délits qui, en dernière analyse, ne sont punis que d’’un mois de prison, de quinze ou même de huit jours de prison : on en a des exemples. Je le répète, du moment qu’on admet le principe, il faut aussi admettre les conséquences.

L’honorable M. Pollénus ne critique pas l’arrêté de 1814, mais seulement le renvoi devant le tribunal correctionnel, lorsque les juges qui auront examiné l’affaire auront pensé, d’après les circonstances, qu’il n’y a lieu d’appliquer qu’une peine correctionnelle. Je vois que les juges, dans la chambre du conseil, doivent être unanimement d’avis qu’il y a lieu de commuer la peine de la en réclusion en celle de l’emprisonnement, et, dans la chambre des mises en accusation, il faut la majorité. Ne pouvez-vous pas vous en rapporter à cette majorité, lorsqu’une majorité aussi imposante aura déclaré que le fait dont il s’agit ne peut pas entraîner plus qu’une peine correctionnelle ?

Puisqu’on a touché tant soit peu au code pénal, il me semble qu’il y a un pas de plus à faire. C’est ce qui m’a donné l’idée de vous présenter la proposition que je viens de déposer sur le bureau. L’arrêté de 1815 est en quelque sorte le complément de l’arrêté pris en 1814. D’après l’arrêté de 1815, on peut commuer en la peine de la réclusion la peine des travaux forcés à temps. On a senti que, dans certaines circonstances, la peine des travaux forcés à temps est encore trop rigoureuse. L’expérience a démontré que plusieurs autres peines sont aussi trop rigoureuses, et que le jury recule devant une déclaration affirmative en raison de l’énormité de la peine qui doit en être la conséquence.

Hier, on vous a parlé d’acquittements scandaleux, c’est l’expression dont on s’est servi ; on ne peut les attribuer qu’à l’énormité de la peine que le jury a toujours devant les yeux, peine qui n’est pas toujours proportionnée au fait.

En matière d’infanticide par exemple, vous verrez rarement une condamnation. Le jury recule devant une déclaration de culpabilité parce qu’il sait qu’une tête doit tomber quand il aura prononcé le oui fatal. On sait qu’aujourd’hui on n’a pas cela à craindre ; mais la peine est là, elle existe ; si elle n’existe pas en fait, elle existe en droit. Pour le crime d’incendie, encore, le crime de fausse monnaie, l’énormité de la peine arrête le jury. Si on laisse à l’arbitrage de la cour d’assises de descendre d’un degré, le juré n’assumant pas sur lui d’une manière absolue la conséquence de sa déclaration pour un fait d’assassinat, dira : oui, parce que cette déclaration n’entraîne pas nécessairement la peine capitale, la cour d’assises pouvant abaisser la peine d’un degré.

Vous pouvez laisser à l’appréciation de la cour d’assises la question de savoir s’il y a lieu de commuer la peine capitale en celle des travaux forcés à perpétuité. S’il arrivait qu’elle fît à tort une commutation de la peine capitale en celle des travails forcés à perpétuité, le mal ne serait pas grand, la société n’en serait pas plus en danger.

Mais le jury serait plus à son aise quand il dirait oui ; la responsabilité de l’application de la peine capitale ne tomberait pas sur lui, mais sur la cour d’assises.

Voilà comment vous éviterez les acquittements scandaleux. Si vous voulez des condamnations dans l’intérêt de la vindicte publique, vous pourrez les obtenir quand il y aura lieu. Je crois que M. le ministre de la justice n’est pas éloigné de mon idée, car il a dit que déjà le gouvernement y avait songé ; mais il a pensé qu’il serait trop difficile de refondre le code pénal. Il ne s’agit pas ici de refondre le code pénal, mais d’une seule disposition qui autorise de mitiger les peines trop rigoureuses, de commuer la peine capitale en celle des travaux forcés à perpétuité, la peine de travaux forcés à perpétuité en celle des travaux forcés à temps, et ainsi de suite en descendant d’un degré.

Je ne fais qu’étendre le principe admis dans l’arrêté de 1815 qui est le corollaire de celui de 1814. Alors le système me paraîtrait assez complet. Je ne verrai pas le moindre inconvénient pour les cas qui entraînent la réclusion ; quand la chambre d’accusation pensera que, par les circonstances qui les accompagnent, ils sont de nature à être punis correctionnellement, on les renvoie devant les tribunaux correctionnels. Pour les autres crimes, quand il s’agit des travaux forcés à temps, des travaux forcés à perpétuité ou de la peine capitale, si vous autorisez la cour d’assises à appliquer la peine immédiatement inférieure à la peine encourue, le jury pourra tout à son aise donner une déclaration sans assumer cette grande responsabilité.

Je dis grande responsabilité ; car, pour une personne qui connaît son devoir, la conséquence de la déclaration ne doit pas être considérée, elle ne doit pas la voir, elle doit prononcer son verdict suivant sa conscience. Mais, si tout le monde faisait son devoir, il ne faudrait pas de vote secret. C’est là la meilleure preuve de la faiblesse des hommes. Puisque vous l’avez décrétée en principe, puisqu’il en est ainsi, il faut prendre les choses où elles en sont et arriver à donner aux jurés le moins de responsabilité possible. C’est le but que vous vous êtes proposé. Je pense que cette disposition est de nature à fixer votre attention. Je trouve très bon le système des amendements présentés par M. le ministre ; je pense qu’en y réfléchissant mûrement, il trouvera que ma proposition additionnelle n’est que le complément de son système.

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je regrette de ne pouvoir user de réciprocité à l’égard de l’honorable préopinant, en appuyant son amendement comme il a bien voulu appuyer le mien. L’honorable membre m’a mal compris quand il m’a fait dire que le gouvernement s’était déjà occupé d’une disposition analogue à celle qu’il présente. J’ai dit que, dans certains cas où des peines trop fortes sont comminées, il serait nécessaire de les descendre d’un degré ; que vous étiez saisis d’un projet sur lequel je désirerais vous voir prendre une décision le plus tôt possible. Mais investir la cour d’assises du droit d’abaisser d’un degré l’échelle des peines pour quelque crime que ce soit, jamais je ne donnerai mon adhésion à ce système. Si c’était le moment de le discuter, je développerais mon opinion. Comment ! celui qui commettra un assassinat accompagné de vol ne saura pas que la mort l’attend si le fait est déclaré constant ! Pour ces crimes-là, la peine de mort doit toujours rester dans nos lois pénales.

Il ne faut pas qu’il dépende des magistrats de ne pas appliquer la loi. Le préopinant a dit que la peine de mort était dans le droit et pas dans le fait. Je conteste cette proposition.

J’ai pensé et je pense encore que l’intérêt du pays exige que dans certaines circonstances il soit donné de grands exemples de sévérité. Malgré les grands exemples qui ont été donnés, nous avons vu récemment la sécurité de la capitale et celle d’une ville voisine troublées par des assassinats atroces.

La proposition que je combats n’a d’ailleurs aucun rapport avec la loi que vous discutez. Mon amendement soulève la question de savoir si tels ou tels crimes seront renvoyés devant les tribunaux correctionnels ou continueront à être jugés par le jury, et se rattache ainsi à l’organisation du jury. Mais il en est tout autrement de l’amendement de l’honorable M. Verhaegen. De quelque manière que vous décidiez sur sa proposition, les affaires qu’elle concerne ne resteront pas moins des affaires criminelles et du ressort de la cour d’assises.

- La discussion est renvoyée à demain,

La séance est levée à 5 heures.