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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 15 avril 1837

(Moniteur belge n°106, du 16 avril 1837 et Moniteur belge n°107, du 17 avril 1837)

(Moniteur belge n°106, du 16 avril 1837)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Verdussen procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Kervyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Verdussen présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les administrations communales et un grand nombre d’électeurs de la ville et du canton de Wavre, de la ville et du canton de Jodoigne, du canton de Perwez et de 37 communes de ces 3 cantons, demandent pour la ville de Wavre le siège tant des affaires administratives que judiciaires du troisième arrondissement de la province de Brabant, actuellement à Nivelles. »


« Autre pétition des électeurs de la ville de Wavre demandant le transfert à Wavre du siége du troisième arrondissement électoral. »


« Des électeurs et propriétaires fonciers du district de Verviers adressent des observations sur le projet de loi relatif aux mines. »


« Le sieur Th. Bolens, domicilié à Roggel, ci-devant brasseur et aubergiste à Gardelegen (Prusse), ayant été arrêté du chef de prétendue complicité dans un vol commis en Prusse, demande que la chambre intervienne pour empêcher son extradition dans ce pays. »


- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


« Des distillateurs de la Flandre occidentale demandent que la loi des distilleries soit modifiée dans sa disposition qui concerne le travail les dimanches et jours fériés, et que le distillateur obtienne restitution des droits pour arrêter ses bouillées et ses rectifications pendant les jour de fête. »

- Dépôt sur le bureau de la chambre pendant la discussion du projet de loi relatif aux distilleries.


M. Ullens annonce par lettre que des affaires personnelles l’empêcheront de se rendre à la séance d’aujourd’hui.

- Pris pour notification.


M. le ministre de la justice (M. Ernst) transmet par lettre, accompagnées de renseignements relatifs à chacune d’elles, neuf demandes en naturalisation.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Motions d'ordre

M. Seron. - Messieurs, je demande la parole pour une motion d’ordre.

A diverses reprises les administrations communales des trois cantons de Jodoigne, Perwez et Wavre (province du Brabant), ont adressé à la chambre un grand nombre de pétitions, tendantes à obtenir que le siège de l’arrondissement, maintenant à Nivelles, fût transféré à Wavre, c’est-à-dire de l’extrémité au centre, pour la commodité de la généralité des votants, et afin d’en amener un plus grand nombre aux opérations électorales. La députation permanente a jugé leur réclamation fondée ; elle a décidé à l’unanimité qu’elle l’appuierait et solliciterait du gouvernement la présentation, dans la session actuelle, d’un projet de loi pour effectuer cette translation. En attendant, 58 nouvelles pétitions, revêtues de la signature de 2,074 électeurs et administrateurs de communes, vous sont présentées, toujours à la même fin. Je demande que votre commission soit invitée à vous en faire un prompt rapport, pour mettre M. le ministre de l'intérieur en situation de présenter incessamment le projet de loi. Il y a urgence : les électeurs de l’arrondissement seront tout à l’heure appelés à donner leur suffrage pour le renouvellement partiel de la chambre, et si l’on veut que le très grand nombre prenne part à l’élection, il ne faut pas qu’elle continue à se faire à Nivelles, ville trop éloignée et du centre de l’arrondissement et des cantons qui réclament pour que les nombreux électeurs de ces cantons ne négligent pas de se rendre à leur poste comme ils ont fait jusqu’à présent. Il y a urgence, je le répète, car ce qui est relatif aux opérations électorales intéresse la société tout entière, surtout lorsqu’il s’agit de nommer les membres de la représentation nationale.

M. Milcamps. - Je ne m’opposerai pas à la proposition de l’honorable M. Seron, mais je dois faire remarquer à la chambre que je suis informe que la ville de Nivelles et les communes des deux justices de paix et du canton de Genappe sont en ce moment occupées à faire une pétition contre celle de la ville de Wavre.

Il me semble que la commission ne devrait pas être invitée à faire ce rapport avant que les pétitions dont je viens de parler soient arrivées.

Je ferai remarquer d’un autre côté que transférer le bureau électoral à Wavre, ce ne sera que déplacer la difficulté. La ville de Wavre se plaint de ce que le chef-lieu étant trop éloigné, les électeurs ne peuvent exercer facilement leurs droits politiques. Mais si vous transférez le bureau électoral à Wavre, les électeurs de Nivelles, qui sont en grand nombre, n’iront pas voter à Wavre.

Je ne demande pas mieux que tous les citoyens soient appelés à exercer leurs droits politiques. Mais il faut au moins que tous aient cette facilité-là. Et ce n’est pas le moyen d’atteindre le but…

M. de Brouckere. - C’est le fonds.

M. Milcamps. - Puisqu’on m’objecte que j’entre dans la discussion du fonds, je me bornerai à faire observer que dans d’autres localités les électeurs ont un long voyage à faire pour user de leurs droits électoraux. Ainsi les électeurs de Chimay vont voter à Charleroy dont ils sont éloignes de 12 ou 14 lieues. Si donc l’on fait un projet de loi, il faut que ce projet de loi comprenne non seulement l’arrondissement de Nivelles, mais encore les autres localités.

M. de Brouckere. - Je ferai d’abord remarquer à la chambre que ce n’est pas seulement la ville de Wavre qui pétitionne, mais les cantons de Wavre, de Perwez et de Jodoigne, c’est-à-dire à peu près les 2/3 de l’arrondissement de Nivelles.

Il y a, comme l’a dit l’honorable M. Seron, sur ces pétitions deux mille signatures, parmi lesquelles figurent celles d’un grand nombre de bourgmestres et des fonctionnaires municipaux. Maintenant la proposition de M. Seron tend à ce que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport. M. Milcamps désire que le rapport ne soit pas fait avant que nous ayons reçu la pétition de Nivelles et celle de quelques autres communes environnantes. Si nous adoptons une semblable proposition, je suis convaincu (et d’autres le sont sans doute avec moi) que la ville de Nivelles ne fera pas de pétition, car les pétitions dont il s’agit sont contraires à la ville de Nivelles. Si donc nous devons attendre le concours de cette ville, nous ne nous en occuperons jamais.

Si la ville de Nivelles veut contre-pétitionner, qu’elle le fasse dans un délai rapproché ; cela n’empêchera pas que la proposition de M. Seron ne soit adoptée. Le rapport peut-être fait d’ici à 8 jours.

Les habitants de Nivelles ont le temps, avant que ce rapport ne soit fait, d’adresser leur pétition à la chambre. Je ne répondrai pas à ce qu’a dit le préopinant, quand, décidant ce que demandent les habitants des cantons de Wavre, Jodoigne et Perwez, on ne ferait que déplacer la difficulté ; c’est là la question du fonds. Quand nous traiterons cette question, je crois que nous pourrons répondre victorieusement à cet argument de l’honorable membre.

Je demande donc que la chambre adopte la proposition de M. Seron qui tend à ce que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur la question dont il s’agit.

- La proposition de M. Seron est mise aux voix et adoptée ; en conséquence, la commission des pétitions est invitée à faire un prompt rapport sur les pétitions relatives au transfert à Wavre du chef-lieu électoral présentement à Nivelles.


M. Lejeune. - Nous venons d’entendre l’analyse d’une pétition concernant les distilleries. Cette pétition a pour objet de réclamer contre la disposition de la loi qui oblige les distillateurs à travailler le dimanche pour soutenir la concurrence.

Cette question est de nature à être traitée dans la discussion. Jusqu’ici je ne pense pas que le gouvernement se soit prononcé sur cette question. Je demande qu’il le fasse ; et pour ce qui concerne la pétition, j’en demanderai la lecture. Je crois qu’elle n’est pas longue.

M. de Brouckere. - Si vous ordonnez la lecture de cette pétition, il faudra faire la même chose pour toutes celles qui vous arriveront ; il n’y a pas de raison pour traiter une avec plus de faveur que les autres. Il suffit de la déposer sur le bureau.

M. Lejeune. - Je crois que la pétition dont je demande la lecture est la seule concernant cet objet qui soit sur le bureau ; les autres ont été analysées ou imprimées, ce qui est plus qu’une simple lecture. Cette pétition est d’ailleurs très courte, on ne perdrait pas grand temps à la lire.

- La proposition est mise aux voix. Deux épreuves sont douteuses.

M. Lejeune. - Je retire ma proposition pour ne pas passer à l’appel nominal.

La pétition restant déposée sur le bureau, chacun pourra aller la consulter.

Projet de loi relatif aux droits sur les os

Vote sur l’ensemble du projet

M. le président. - Nous passons à l’objet de l’ordre du jour.

- La chambre confirme, sans discussion, l’amendement qu’elle a adopté et consistant dans la substitution du droit de sortie de 30 fr. à celui de 50 fr. adopté par le sénat.

- On procède à l’appel nominal qui donne le résultat suivant :

Nombre des votants, 57.

Pour l’adoption, 51.

Contre, 6.

En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Andries, Beerenbroeck, Bekaert-Baeckelandt, Berger, Coppieters, David, de Brouckere, de Jaegher, de Man d’Attenrode, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Doignon, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Ernst, Gendebien, Goblet, Hye-Hoys, Jadot, Keppenne, Kervyn, Lejeune, Liedts, Milcamps, Morel-Danheel, Pirson, Raymaeckers, A. Rodenbach, Seron, Simons, Smits, Thienpont, Troye, Vandenbossche, Vandenhove, Vanden Wiele, Vanderbelen, Verdussen, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Watlet, Zoude et Raikem.

Ont répondra non : MM. Brabant, Dequesne, Lebeau, Mast de Vries, Polfvliet et Vilain XIIII.

Projet de loi relatif à l'impôt sur les distilleries

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Messieurs, le ministre des finances ne pourra pas assister à la séance, son enfant étant dangereusement malade. Cependant il a témoigné le désir que la discussion de la loi sur les distilleries ne fût pas interrompue.

M. de Brouckere. - J’avais demandé la parole avant l’ouverture de la séance ; mon intention n’était point de me livrer à l’examen du projet de loi qui vous est soumis. La discussion me semble arrivée à son terme, et nous pourrons la fermer, je pense, quand nous aurons entendu M. le rapporteur. L’absence du ministre des finances est une raison de plus pour que nous en agissions ainsi. Je désire seulement expliquer mon vote.

Messieurs, lorsque le gouvernement, poussé en quelque sorte par l’opinion, eut la faiblesse de présenter la loi de 1833, il y eut dans la chambre un concert presque unanime d’applaudissements, et la loi, après quinze jours de discussion, fut votée par 59 voix contre 13. Je fus au nombre des opposants, et j’adressai même à cette occasion, dans la séance du 23 février, des reproches un peu durs au ministre, sur son imprévoyance et sa trop grande facilité à abandonner les intérêts du trésor.

Une expérience de quatre ans a prouvé que les opposants n’avaient pas tout à fait tort, et ceux-là même qui applaudissaient le plus à la loi de 1833, sont aujourd’hui les plus ardents à la renverser.

Je n’étais pas de leur opinion en 1833, je n’en suis pas entièrement aujourd’hui, parce que je pense que toute transition en matière d’impôts est mauvaise, quand elle est trop prompte, trop violente. Elle froisse alors les intérêts de ceux qu’elle frappe d’une manière qui doit amener une perturbation, et nuire au trésor lui-même.

C’est par ces motifs et ceux qu’ont développés plusieurs orateurs, qui ont pris la parole dans les séances précédentes, que je voterai contre le projet du gouvernement, qui ne tend à rien moins qu’à doubler le droit existant, et pour celui de la commission, qui me semble renfermer une augmentation convenable.

M. Duvivier, rapporteur. - Messieurs, avant de résumer les principaux discours prononcés dans la discussion de la loi qui nous occupe en ce moment, je crois devoir entretenir un instant la chambre des motifs du retard qu’a éprouvé la présentation du rapport. Je me crois d’autant plus obligé de le faire, qu’hier encore M. le ministre des finances s’est défendu de tout reproche qu’on pourrait lui adresser de ce chef. Messieurs, on ne peut pas plus adresser de reproche à la commission.

Vous vous rappellerez sans doute que c’est en décembre 1835 que le premier projet du gouvernement a été présenté dans un article du budget des voies et moyens de 1836. A la fin de ce mois de décembre, l’honorable rapporteur de la section centrale qui a examiné le budget de voies et moyens, a conclu, au nom de cette section centrale, à ce que cette partie du budget fût renvoyée à l’examen d’une commission spéciale. Vous avez adopté cette mesure, et quelques jours après le bureau a désigné une commission à l’effet d’examiner ce premier projet.

Comme, dans les premières séances qu’elle a tenues dans le courant de janvier 1836, la commission a décidé que ce serait par voie d’enquête qu’elle procéderait à l’examen des propositions du gouvernement, il s’en est suivi un retard tout à fait inséparable d’un semblable examen, inhérent à cette manière de procéder. Ce n’est que dans le cours de la session que tous les distillateurs des diverses classes ont été mandés et se sont rendus à Bruxelles pour donner à la commission les renseignements qu’elle avait à leur demander.

Nous étions prêts à vous faire notre rapport quand fut close la session de 1835 à 1836.

Aussitôt notre retour, nous avons présenté ce rapport, en novembre, avant la discussion du budget des voies et moyens pour l’exercice actuel, de manière qu’on aurait pu passer immédiatement à la discussion. Mais vous savez qu’à cette époque la discussion des budgets était bien autrement importante que celle de la loi sur les distilleries.

Le 18 janvier, le gouvernement vint nous présenter un nouveau projet sur lequel la chambre a désiré avoir un nouveau rapport. Diverses circonstances et une maladie grave qui m’a retenu deux mois, m’ont empêché de faire ce second rapport. Mais eût-il été fait, que cela n’en aurait pas hâté la discussion, puisque la chambre vient seulement de terminer la discussion des budgets et notamment du budget de la guerre, et que nous n’aurions pu avant aujourd’hui nous occuper de cette loi.

J’entre maintenant en matière sur l’objet qui nous occupe.

Un nombre d’orateurs à peu près égal s’est prononcé pour ou contre le système de la commission. M. le ministre des finances, dans le deuxième projet qu’il a présenté, demande une augmentation en principal de l’impôt actuel sur les distilleries, et il demande ensuite l’extension de l’impôt à tous les vaisseaux de l’intérieur d’une distillerie servant à la macération et à toutes les autres opérations de la distillation et de la rectification.

La commission à laquelle vous avez confié l’examen de ce deuxième projet a maintenu les conclusions de son premier rapport sur le premier projet du ministre ; son second rapport est identique au premier, sauf que l’honorable ministre des finances a abandonné l’extension de l’impôt aux alambics et aux colonnes distillatoires ; mais en demandant par revanche une augmentation d’impôt de dix centimes par hectolitre de matière en macération ou par capacité des autres vaisseaux de l’usine. La commission vous a proposé, messieurs, d’adopter la majoration de 22 centimes à 30 centimes, en repoussant à une grande majorité l’extension de l’impôt aux vaisseaux servant aux bouillées, à la distillation et à la rectification. Ses motifs sont amplement développés dans son premier rapport qui vous a été soumis le 28 novembre dernier.

Elle ne les récapitulera pas tous ici ; elle se bornera à vous rappeler qu’il y a dans ce mode d’extension de l’impôt aux vaisseaux auxiliaires une inégalité patente dans la répartition de l’impôt. Je vous prie de recourir aux articles 27 et 28 du rapport, et vous trouverez d’une manière sans réplique pourquoi cette inégalité existe.

Il est constant que dans les grandes distilleries, où le travail a lieu en quelque sorte jour et nuit, on paiera moins, par la raison que la plus grande quantité de produits se répartira sur les vaisseaux auxiliaires d’une manière infiniment plus avantageuse que dans les petites distilleries.

Quelquefois les travaux des petites distilleries se ralentissent, notamment vers l’époque où il faut fournir les derniers engrais aux bestiaux qui sont encore dans les étables ; cependant l’impôt se percevra toujours sur la capacité des vaisseaux auxiliaires, et ces distilleries sont ainsi exposées à payer beaucoup plus que celles de première classe. Ceci est de toute évidence pour ceux qui ont quelques notions pratiques de la distillation, et cela ressort de l’enquête à laquelle la commission s’est livrée.

A l’occasion de cette enquête, faite avec le plus grand soin, le plus grand scrupule, et la plus grande impartialité, un honorable orateur a dit que nous n’avions entendu que les grands distillateurs ; cependant je tiens de vous prouver que les petits distillateurs sont ceux qui souffriraient le plus de l’extension de l’impôt aux vaisseaux auxiliaires. Au reste, il me semble qu’il est répondu à l’honorable député de Tournay d’une matière péremptoire dans le premier rapport de la commission au chapitre de l’enquête, page 3.

La commission, dès ses premières séances, a décidé qu’elle procéderait par voie d’enquête pour constater l’utilité et l’opportunité de modifications à porter à la loi en vigueur ; et elle a écrit aux grands, aux moyens et aux petits distillateurs, en leur annonçant qu’elle les entendrait dans le courant du mois de mars.

Ils se sont rendus à l’invitation de la commission ; elle a même entendu plus de petits distillateurs que de grands. La liste de ceux qui ont répondu à notre appel, se trouve déposée entre les mains d’un honorable membre de la commission, M. Desmet, qui connaissait personnellement le plus grand nombre des distillateurs entendus. D’après cette liste, il serait facile de se convaincre qu’on a entendu autant, et même plus, de petits distillateurs que de grands.

Par les diverses considérations que je viens d’exposer, la commission persiste dans son refus d’étendre l’impôt aux vaisseaux auxiliaires de toute espèce, qui se trouvent dans l’intérieur des usines pour la distillation et la rectification.

Mais si le gouvernement a compté de ce chef sur une augmentation du produit de l’impôt, l’obtiendrait-il ? Je ne le pense pas. J’ai indiqué dans mon premier rapport que, immanquablement, les distillateurs modifieraient leurs instruments si on les imposait tous, et qu’ils en supprimeraient quelques-uns. Par exemple, s’ils ne supprimaient pas la cuve de réunion, ils en réduiraient beaucoup la capacité ordinairement considérable, afin d’éviter une partie de l’impôt. Il en serait de même de la cuve de vitesse.

L’impôt sur tous les vaisseaux aurait encore pour effet d’empêcher de faire usage d’un perfectionnement apporté dans les appareils distillatoires, perfectionnement qui mérite des éloges. (Voyez le premier rapport de la commission, pages 27 et 28.)

Je dis donc que l’augmentation de l’impôt, en frappant tous les vaisseaux, n’aura pas lieu ou sera beaucoup réduite, et qu’ainsi le calcul qu’a fait le gouvernement fléchira de beaucoup s’il n’est pas annulé complètement.

Il faudra donc, et M. le ministre des finances vous l’a laissé entrevoir dans la séance d’hier, il faudra donc pourvoir, par une autre augmentation, au déficit que je viens d’indiquer ; ainsi on augmenterait les droits de fabrication de centimes additionnels, ou on augmenterait le principal de l’accise. Mais où tout cela mènerait-il ?

Cela mènerait à perdre tous les avantages du système actuel, avantages dont on a fait l’énumération dans le premier rapport de la commission ; et le tout, pour ne point arriver aux fins que le gouvernement veut atteindre, le renchérissement du genièvre dans le débit.

Dans l’état actuel des choses, je soutiens que cette augmentation n’aura pas lieu, même en accueillant favorablement toutes les propositions du gouvernement.

Vous avez, dans le premier rapport de la commission, un état (page 31) où figure le produit de l’impôt dans toutes les phases qu’il a subies jusqu’à présent, et le produit présumable par l’augmentation qu’il éprouverait par suite de la proposition du gouvernement. La colonne n°5 est relative au droit de 30 centimes que propose la commission, mais sans extension aux vaisseaux auxiliaires. Dans cette hypothèse, le droit serait de 8 à 9 ; tandis que dans la colonne n°6, avec les propositions du gouvernement à 30 centimes, le droit ne sera que de 9 à 10. Je demande si une pareille différence fera augmenter le moins du monde le genièvre au débit ?

La législation de 1822 avait porté l’impôt à 35 centimes ; vous l’avez réduit à 22 centimes en 1833, et il est constant que le genièvre n’a pas diminué de prix chez les débitants.

On peut inférer de là, avec une probabilité équivalente à la certitude, que l’augmentation que propose le gouvernement ne fera pas augmenter le prix actuel du genièvre au débit.

Mais, dit-on, il s’est commis les excès les plus graves depuis quelque temps, et ces excès, on les attribue à l’usage exclusif, immodéré des eaux-de-vie.

Messieurs, je ne pense pas que le bas prix du genièvre soit la cause unique de ces excès ; je crois qu’il faut en chercher la cause dans l’usage de toute autre boisson. Je ne contesterai pas les aperçus statistiques qui ont été mis sous les yeux de la chambre par M. le ministre de la justice. Je les admets naturellement, parce qu’il faut se rendre aux chiffres, et ensuite à la confiance que nous inspire M. le ministre de la justice. Je conviens, en conséquence, qu’il y a eu des excès commis par suite d’abus de boisson. Mais est-ce bien par l’effet exclusif de l’abus du genièvre ? Voilà, messieurs, la question que je me suis faite.

Messieurs, si le devais juger des autres pays par celui que j’habite, je dirais qu’en général les querelles qui proviennent de l’ivrognerie, ont lieu les après-dîners, les soirs et les nuits ; or, il est constant qu’à ces diverses heures c’est l’usage de la bière, et non celui du genièvre, qui produit l’ivrognerie.

Citons Bruxelles, par exemple. Il est avéré que les dimanches et les lundis, la classe ouvrière de la capitale fait une consommation prodigieuse de boisson ; eh bien, il est hors de doute que le genièvre et les eaux-de-vie n’entrent pour rien dans cette consommation. Et cependant il ne manque pas d’ivrognes ces deux jours-là, sans compter les autres. (On rit.)

Qu’on fréquente les villages, lors des kermesses ou des réunions pour un motif quelconque, et l’on y verra exclusivement l’usage de la bière, et jamais celui des spiritueux.

Mais, dit-il, ces excès de boissons se sont même propagés dans une classe où il serait bien désirable qu’ils n’eussent pas lieu, parce que les peines qui résultent de l’ivresse sont on ne peut pas plus sévères. Je veux parler des militaires, qu’on a également représentés comme se livrant à un usage immodéré du genièvre.

Eh bien, messieurs, j’admets encore cela. Mais je crois que ce n’est pas du tout dans le prix du genièvre (si toutefois le genièvre a renchéri) qu’il faut chercher la cause de ces cas plus fréquents d’ivrognerie parmi les soldats. Cette cause est ailleurs ; il faut la chercher dans la comparaison de la paie du soldat des pays voisins avec celle du soldat belge ; on me comprend assez, pour que je ne sois pas obligé de tirer la conséquence de ce fait.

J’ajouterai encore qu’il faut chercher les causes de la grande extension qu’a prise l’usage des boissons dans la classe ouvrière, qu’il faut chercher ces causes, dis-je, dans l’aisance générale qui s’accroît de jour en jour dans le pays ; malheureusement l’ouvrier, généralement parlant, n’est pas économe ; quand il gagne peu, il boit peu ; quand il gagne beaucoup, il boit à proportion. Cet accroissement d’aisance est donc encore une raison pour laquelle il se commet aujourd’hui plus d’excès de boisson qu’il ne s’en commettait autrefois.

On a été effrayé dans la chambre de la quantité énorme de matières mises en macération, et par conséquent de la quantité considérable de nos eaux-de-vie qu’a produite la loi de 1833.

Certes, messieurs, depuis la promulgation de cette loi, la fabrication a pris une très grande extension ; mais divers membres qui ont soutenu le système de la commission vous ont fait voir que toute la quantité d’eau-de-vie qui a été fabriquée n’a pas passé à la consommation en détail ou à l’usage des populations. On vous a rappelé que des industries qui autrefois ne faisaient pas usage des produits des distilleries en emploient aujourd’hui une quantité considérable. On vous a rappelé en outre que par la modicité des droits actuels, et par l’heureuse position dans laquelle se trouve placée, de ce chef, la Belgique, vis-à-vis des pays voisins, il en résulte une infiltration continuelle de nos genièvres dans ces pays voisins, tandis que les genièvres de ces contrées, frappés de droits beaucoup plus élevés, ne pouvaient être importés en Belgique.

Et cela est si vrai, messieurs, que des pétitionnaires nous disent que sous l’empire de la loi de 1822, alors que les droits étaient plus forts en Belgique que dans les voisins, les opérations du commerce interlope avaient lieu en sens contraire, c’est-à-dire que nous recevions une grande quantité des spiritueux des pays voisins, et que ceux-ci ne recevaient rien des nôtres.

D’honorables membres de la chambre, M. Donny et d’autres collègues, s’en sont formellement expliqués ; ces honorables membres, dis-je, ont reconnu que l’augmentation du droit ne ferait pas renchérir le prix du genièvre, et quelques-uns d’entre eux ont essayé de venir au secours du droit de la fabrication, tel qu’il est proposé par le gouvernement, en frappant d’une patente plus forte les distillateurs et les débitants de genièvre.

Je vais dire deux mots sur l’emploi de ce moyen.

D’abord ce système a été repoussé par le gouvernement comme par la commission, lorsqu’elle a examiné ce moyen : il est constant que toutes les patentes indistinctement doivent être proportionnelles aux gains et aux bénéfices des débitants ; dans l’espèce, il faudrait donc des exercices pour faire une juste application de ce régime : c’est là l’histoire des droits réunis telle que M. le ministre des finances vous l’a rappelée hier. Eh bien, remarquez, messieurs, ce défaut de logique, j’ose le dire, dans lequel sont tombés certaine membres, en regrettant le régime de la loi de 1822 : la loi de 1822, dans son exécution, n’est autre chose qu’une suite d’exercices dans les usines jour et nuit ; et lorsqu’on a parlé de la majoration du droit de patente, des membres ont déclaré ne pas vouloir de ce système, parce qu’ils repoussent l’emploi des exercices, et pourtant ces membres regrettent la loi de 1822. Mais, messieurs, cela ne peut pas s’accorder, il y a là absence de toute logique.

Car il est constant que si vous ramenez le régime de la loi de 1822, vous vous exposerez à revoir se renouveler les effets désastreux de ce régime. Tout le monde sait que sous l’empire de cette loi les droits ont été constamment fraudés ; que la fraude, comme j’ai eu occasion de le dire, était permanente.

Or, vous craignez la démoralisation, messieurs ; le retour de la loi de 1822 n’amènerait-il pas cette démoralisation, puisqu’il serait impossible à tout industriel de faire ses affaires sous l’empire de cette loi sans se livrer à la fraude.

Ainsi donc, si nous ne pouvons établir la patente par l’odieux que présente l’exercice, nous ne pouvons pas plus ramener le système de 1822.

D’ailleurs est-il bien nécessaire de rétablir ce système ? Pour moi, je ne le pense pas, et la commission partage mon avis. Si M. le ministre veut absolument changer la nature du système, le rendre purement financier, eh bien, qu’on conserve la base contre laquelle ne s’élève aucune réclamation, et qu’on majore le principal de l’accise. Mais qu’on laisse, je le répète, la base telle qu’elle est, avec ou sans les vaisseaux auxiliaires ; qu’on laisse l’impôt comme tout le monde le désire, le contribuable aussi bien que le fisc, l’impôt qui consiste à frapper les capacités des vaisseaux à macération. Qu’on élève ensuite le droit ; l’impôt dès lors sera un véritable abonnement, et la perception n’en sera pas vexatoire.

Maintenant je dois revenir sur une partie du second rapport que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre au nom de la commission.

Vous vous rappellerez, messieurs, que lorsque le gouvernement a déposé son deuxième projet, son organe, M. le ministre des finances, vous a dit que la fabrication des spiritueux était une matière essentiellement imposable, et que dans tous les pays voisins, on tirait de cette branche d’impôt un parti bien plus avantageux pour le trésor qu’on ne le fait en Belgique. M. le ministre vous a donné, à l’appui de son assertion, un aperçu des droits dont les spiritueux sont frappés en Prusse et en France.

Or, dans mon rapport, j’inférais de la position particulière de la Belgique, où l’impôt est inférieur à celui des pays voisins ; j’en inférais, dis-je, que nous n’avions nullement à craindre l’introduction frauduleuse en Belgique des eaux-de-vie de ces pays voisins, tandis que nos industriels pouvaient y faire entrer leurs produits.

Mais, a dit hier M. le ministre des finances, on restitue les droits à l’exportation. Ce n’est pas du tout, messieurs, cette exportation que j’ai eue en vue ; j’ai voulu parler de l’exportation qui a lieu dans des pays qui nous touchent, par une infiltration frauduleuse, tandis que l’exportation proprement dite, et qui est effectuée avec restitution des droits, ne peut être opérée qu’à certaines quantités pour les pays d’outre-mer.

Il ne pouvait donc y avoir aucun doute sur l’assertion que j’ai émise dans mon second rapport.

Ainsi, messieurs, je crois pouvoir résumer ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire.

Le gouvernement obtînt-il de la chambre l’augmentation qu’il demande sur le principal de l’impôt, et l’application de ce même impôt aux vaisseaux auxiliaires, je crois, et je suis même convaincu, qu’il ne s’opérera aucun mouvement de hausse dans le prix du genièvre, et qu’en conséquence il faudra revenir à d’autres moyens, si toutefois l’on veut une loi financière, au lieu d’une loi industrielle et protectrice du commerce et de l’agriculture, comme l’est celle de 1833.

(Moniteur belge n°107, du 17 avril 1837) M. Simons. - Bien que la loi de juillet ne compte pas quatre années d’existence, il est incontestable que les bienfaits que l’industrie agricole en a recueillis sont immenses.

Je ne pense pas avancer un paradoxe en soutenant que les distilleries sont, en grande partie, la cause qu’au moment où je parle, l’industrie agricole, qui forme la véritable richesse de notre beau pays, ne s’y trouve plongée dans la plus profonde détresse.

Grâces donc aux auteurs de la loi de 1833, d’avoir doté le pays d’un système tutélaire en faveur de l’industrie agricole. Grâces à cette législature d’avoir détruit le régime odieux hollandais, qui en même temps qu’il empêchait les distilleries de prendre tout leur développement, portait un coup mortel à la classe la plus intéressante du peuple belge.

En effet, messieurs, les distilleries ne sont-elles pas, sous tous les rapports, les auxiliaires indispensables de l’agriculture ? Ne constituent-elles pas, pour ainsi dire, dans notre pays le véritable moteur de l’industrie agricole ? Le sort de celle-ci est intimement lié à l’existence de l’autre. Ces deux industriels se prêtent mutuellement aide et assistance, au point que, si les distilleries languissent, l’agriculture est presque toujours en souffrance : le passé est là pour l’attester.

Depuis notre révolution toutes les branches de la richesse publique ont une marche progressive vraiment effrayante en Belgique ; l’industrie agricole seule est restée stationnaire.

Je le demande maintenant à l’observateur impartial et de bonne loi, au milieu de cette prospérité générale, l’agriculture se serait-elle soutenue dans la situation modeste dans laquelle elle se trouve, sans les distilleries ? Non ; assurément non. Ce sont les distilleries seules qui ont contribué efficacement à procurer un écoulement avantageux aux produits agricoles ; ce sont les distilleries qui ont maintenu les céréales à un prix modéré qui permet au fermer de continuer son exploitation, et le met à même de faire péniblement face aux frais indispensables.

Les avantages que l’agriculture a retirés du nouveau système de 1833, ne se bornent pas là. Il est reconnu que le bétail constitue une des premières ressources du cultivateur. Lors même que les céréales sont à bon compte et ne produisent pas suffisamment pour qu’il y trouve une juste récompense de ses sueurs, et trouve moyen de se soutenir par le produit de son bétail.

Eh bien ! qu’aurait-il fait de son bétail maigre sans les distilleries ? Cette source de bien-être aurait encore été tarie pour lui.

A ces considérations déjà si puissantes s’en joignent bien d’autres, pour démontrer combien il serait désastreux de retourner au régime d’odieuse mémoire de Guillaume. Si je voulais les passer toutes en revue, je ne finirais pas. Celles que je viens d’énumérer, par cela seul qu’elles s’attachent au bien-être de la première de toutes les industries de notre pays, suffisent sans doute pour vous faire sentir toute l’importance de la matière.

Oui, messieurs, je vous supplie, ne touchez pas au système que le législateur de 1833 a élevé si sagement, plutôt dans l’intérêt du cultivateur que du distillateur lui-même ; n’y touchez pas sans trembler. Les conséquences de la loi que vous allez voter sont incalculables. La portée en est immense, parce que du choix que vous ferez de tel ou tel système, dépend en quelque sorte, non seulement le sort du distillateur, mais plus spécialement celui du cultivateur.

Ne perdez par de vue que nos campagnes forment la véritable richesse de notre pays ; que ce sont elles qui sont la principale cause que notre prospérité, toujours croissante, n’a pu ni ne peut nous être enlevée.

Cependant, comme, dans ce siècle aux grands projets, il importe d’intéresser à la chose les partisans de ces associations gigantesques, qui ne reculent devant aucune entreprise, quelque colossale qu’elle soit, permettez, messieurs, que j’ajoute encore une considération qui milite puissamment pour maintenir le système que l’on veut bouleverser.

Vous vous rappelez que, parmi les grandes conceptions des nos hommes entreprenants, il en est une qui sans doute mérite sous bien des rapports l’honneur de leurs hautes méditations. C’est le projet de la canalisation de la Campine. Déjà le plan en est conçu et vous a été distribué et probablement au premier jour vous verrez surgir une société pour en demander la concession.

Pour mon compte, quoique peu partisan de ces sociétés, bien entendu lorsqu’elles dépassent certaines bornes tracées par la natures de choses, je pense que cette spéculation ne peut être qu’avantageuse tant aux particuliers qui y prêteront leurs capitaux qu’aux pays.

Eh bien, c’est encore en faveur de la bonne réussite de cette association que j’appelle de tous mes vœux parce qu’elle sera éminemment utile, aussi bien que dans l’intérêt de la culture en général, que j’ose espérer que le régime actuel ne subira aucune modification quant au fond.

En effet, pour vendre la terre productive, vous aurez beau sillonner nos vastes bruyères de canaux, en tous sens et dans toutes les directions ; à moins que vous ne parveniez à les alimenter d’une eau qui ait la vertu de fertiliser par elle seule les terrains qu’elle arrosera, vous ne parviendrez jamais à convertir ces bruyères en terres labourables.

Vos billets de banque, quelles qu’en soient leur valeur numérique, votre or, toutes vos ressources matérielles ordinaires et qui constituent votre principal levier, ne peuvent rien dans cette entreprise, si vous n’êtes secondés puissamment par des distilleries.

La terre, cette bonne mère, ne vous demande ni or ni argent. Plus généreuse que les sociétés de nos jours, elle vous accorde tout gratuitement, pourvu que vous mettiez la main à l’œuvre ; seulement elle exige encore en sus des sueurs de votre front que vous y déposiez comme premier germe productif force engrais pour amender le terrain inculte et pour, par ce moyen, le forcer à ouvrir son sein à l’abondance.

Eh bien, où chercherez-vous ces engrais, si vous énervez, si vous paralysez l’action des distilleries ? Si, après un essai aussi heureux que celui que nous donne une expérience de trois à quatre années et qui, comme je crois l’avoir démontré, a si avantageusement influé sur le bien-être de notre agriculture, vous aviez le malheur de replonger nos distilleries dans le marasme où les avait réduites le régime fiscal de 1822.

Après ces considérations, que je n’ai fait qu’effleurer et auxquelles je pourrais en ajouter bien d’autres, convenez, messieurs, avec moi, que les deux industries, les distilleries et la culture, sont intimement liées entre elles ; que surtout la prospérité de cette dernière dépend en grande partie du progrès de l’autre. Si la terre procure la matière première aux distilleries, par contre celles-ci donnent en abondance la matière première indispensable (l’engrais) à la terre. Elles ne se bornent pas là ; les distilleries procurent en outre un débouché certain et facile aux produits agricoles, en même temps qu’elles contribuent puissamment à maintenir le bétail à un prix raisonnable sans lequel il est impossible un cultivateur, un fermier, de trouver dans ses produits de quoi faire face aux dépenses indispensables de son exploitation.

Arrêtons-nous à cette considération capitale qui domine toute la loi : industrie agricole et distilleries, surtout dans notre belle patrie, sont absolument corrélatives, en ce sens que nous ne pouvons toucher à l’une sans secouer violemment l’autre.

Porter une main sacrilège au régime de 1833, qui a été riche en si grands résultats pour ce qui concerne les intérêts matériels de cette branche d’industrie, c’est attaquer de front notre industrie agricole, c’est lui porter un coup terrible, surtout dans le moment ou nos grains n’ont presque aucun autre débouché,

Pour vous le prouver, il n’est pas nécessaire que j’aie recours aux doctrines de nos économistes modernes. Je ne suis pas grand partisan des théories systématiques qui le plus souvent n’ont pour elles que le mérite de la nouveauté. Je préfère moi puiser mes preuves dans l’expérience en fait d’économie politique, l’expérience est incontestablement le meilleur des maîtres.

Eh bien, messieurs, reportons-nous en idée à l’époque où le système de Guillaume pesait de tout son poids sur nos distilleries. Il me répugne d’entrer dans les détails révoltants qui en ont été les conséquences. Qu’il me suffise de vous rappeler que, continuellement en butte aux vexations les plus odieuses, constamment entourées d’une nuée d’employés, assujetties à mille et une formalités minutieuses, les distilleries ne se soutenaient qu’en luttant péniblement, corps à corps, contre le fisc ; elles ne vivotaient, en un mot, que par la fraude.

Cette position n’était pas tenable ; aussi pour tout observateur impartial il n’était pas difficile de prévoir que bientôt cette branche importante de notre industrie aurait été totalement détruite en Belgique, si une ère nouvelle ne l’eût pas sauvée de l’abîme que le fisc hollandais, en haine de nos richesses agricoles, avait, petit à petit, creusé pour la perdre, et assurer par ce moyen le monopole aux distilleries de Schiedam.

C’est à dessein que j’ai placé la question sur ce terrain, pour vous faire sentir de plus en plus l’importance de la question que vous êtes appelés à résoudre.

S’il ne s’agissait que des distilleries prises isolément, nous n’aurions pas à balancer. Je serais le premier à frapper et à frapper fort sur cette matière qui, sous tous les rapports, est particulièrement imposable. La morale publique, l’intérêt des familles, celui de la société entière et du trésor m’en imposeraient le devoir impérieux.

Maintenant que j’ai la conviction intime que toutes nos richesses territoriales agricoles se trouveraient gravement compromises ou menacées, si pas d’une ruine totale, au moins d’un malaise inévitable, je ne puis donner les mains à un système destructif de nos distilleries, vers lequel on vous propose de faire le premier pas.

Je dis le premier pas : et en effet, et en cela je suis absolument d’accord avec M. le ministre des finances, une fois placé sur la pente irrésistible d’un système qui met le fisc en état d’hostilité ouverte avec les distillateurs, il est impossible de s’arrêter.

Cet état hostile de la part du fisc engendre nécessairement d’un côte la tendance à la fraude, et par suite nécessité de l’autre côté des moyens répressifs ; de conséquence en conséquence l’on se trouvera entraîné, malgré lui, dans le système odieusement fiscal du roi Guillaume, et l’on se trouvera placé, sans le savoir dans la position fatale dont notre révolution nous a si heureusement tirés.

Réfléchissez-y bien, messieurs, vous avez à choisir aujourd’hui entre le système odieux hollandais que vous avez secoué, et le système libéral de 1833 qui a été si riche en résultats.

Pour mon compte le choix ne sera pas douteux.

Je repousserai pour ma part toute modification qui pourrait en déranger la base principale ; savoir une liberté au distillateur pour qu’il puisse donner à son industrie tout le développement dont elle est susceptible, et un droit modéré qui ôte au distillateur tout intérêt à la fraude, et qui le met à même de lutter avec avantage contre la concurrence étrangère.

Pour le surplus, je m’associerai au gouvernement pour ce qui concerne toute disposition qui tendra à réprimer la fraude. Lorsque la loi a largement accordé à l’industriel cette liberté d’action, sans laquelle aucune industrie puisse se promettre une réussite complète ; lorsqu’elle n’exige du contribuable qu’un droit modéré, la fraude n’est plus seulement blâmable. Elle est souverainement criminelle, et par suite elle ne peut être trop rigoureusement réprimée. Pour mon compte, je suis d’avis qu’un tel fraudeur, comme suicide de sa propre industrie, mérite toute l’animadversion de la société et ne peut être trop sévèrement puni.

M. Dumortier. - Messieurs, lors de la discussion de la loi de 1833, l’on nous a présenté cette loi comme devant être une source de bien-être pour le pays. A entendre les orateurs qui la défendirent, il semblait que l’agriculture allait prendre un nouvel essor ; que la nourriture première du peuple, la viande, allait diminuer infiniment de prix. Il semblait que l’exportation des produits des distilleries devait amener de grands avantages pour le commerce ; il semblait encore que la fraude devait cesser entièrement. En un mot, la loi était présentée comme devant faire de la Belgique un nouvel Eldorado.

Eh bien, vous avez vu, messieurs, les résultats de cette loi, et personne ne peut nier que ces résultats n’aient été des plus déplorables.

Je ne partage nullement l’opinion d’un honorable préopinant qui regarde cette loi comme ayant fait le bonheur du pays ; moi, je la considère, au contraire, comme une des lois les plus malheureuses que nous ayons jamais faites : je n’en veux d’autre preuve que la manière dont la plupart d’entre nous sont revenus sur leur opinion antérieure.

Je vous rappellerai, messieurs, que dans cette discussion j’ai combattu pas à pas la loi qui a été admise ; malheureusement aucun des amendements qui ont été présentés par mes honorables amis et moi n’a été admis, et la loi a été adoptée telle qu’elle avait été présentée. Or, quelle a été la conséquence de cette adoption. Vous le savez tous, messieurs : ce résultat est vraiment effrayant pour la morale publique : le tableau que M. le ministre de la justice vous amis sous les yeux prouve assez combien les crimes et les délits se sont multipliés par suite de l’existence seule de la loi de 1833.

Jusqu’en 1832, le droit sur les boissons spirituelles a été d’environ 36 fr. par hectolitre ; aujourd’hui, à la somme de 8 fr., tout au plus ; malgré cette différence dans le droit, l’impôt a rapporté pendant l’exercice précédent une somme égale à celle qu’il avait rapporté en 1832 ; or, le droit se trouvant aujourd’hui diminué de quatre fois et demie, il en résulte évidemment que la consommation a augmenté de quatre fois et demie ; à cette époque la moyenne de la consommation était estimée par l’honorable M. Rodenbach à 10 litres par individu ; si cette estimation était juste (et je suis persuadé qu’elle l’était), la consommation serait aujourd’hui de 45 litres par individu. (Réclamations.) Ce que j’avance est évident, messieurs ; je dis qu’en 1832, lorsque le droit était de 36 fr., l’impôt rapportait deux millions, et qu’aujourd’hui que le droit est diminué de quatre fois et demie, il rapporte encore 2 millions : il faut donc nécessairement que la consommation ait augmenté de quatre fois et demie ; or, à moins que l’arithmétique soit en défaut, si à cette époque la moyenne de la consommation était de 10 litres par individu, cette moyenne doit évidemment être aujourd’hui de 45 litres par individu. Eh bien, messieurs, je vous le demande, ce résultat n’est-il pas effrayant ? Aussi les crimes et les délits ont augmenté précisément en raison de l’augmentation de la consommation des spiritueux.

Messieurs, je voterai en faveur de la loi qui nous est proposée par le gouvernement, quoique je ne la regarde que comme un très faible palliatif ; dans mon opinion ce n’est pas une loi semblable, mais une réforme radicale qu’il faut ; je voudrais qu’on eût l’énergie de remettre en vigueur la loi de 1822, qui pourrait seule porter remède à un aussi grand mal ; mais n’ayant pas l’espoir de voir une semblable proposition admise par la chambre, je le la fera pas ; si toutefois elle était faite, je l’appuierais de toutes mes forces, car avant tout c’est la morale qu’il faut à un peuple libre : un peuple qui s’adonne à l’ivrognerie devient bientôt indigne et incapable de jouir de la liberté. La loi actuelle est donc contraire aux mœurs et à la liberté ; il faut la supprimer au plus tôt, et celle par laquelle elle pourrait plus convenablement être remplacée est sans contredit la loi de 1822.

Quand je dis qu’il faudrait remettre en vigueur la loi de 1822, je n’entends certes pas qu’il faudrait rétablir tout le cortège de vexations dont l’a accompagnée le gouvernement déchu : rien ne serait plus facile que d’exécuter la loi de 1822, sans renouveler les abus auxquels elle a donné lieu sous le roi Guillaume ; si nous avions assez d’énergie pour prendre une semblable mesure, nous obtiendrions ce grand résultat d’avoir contribué de tous nos moyens à l’amélioration de la morale publique.

Lorsque la loi de 1833 a été discutée, il semblait, à entendre ceux qui la défendaient, que le pays allait se couvrir immédiatement d’une foule de distilleries agricoles, et c’était principalement dans l’intérêt de l’industrie agricole qu’on demandait cette loi ; eh bien, messieurs, le contraire de ce qu’on promettait a eu lieu ; le petit nombre de distilleries agricoles qui existaient ont tout à fait disparu, sauf toutefois dans la province de Luxembourg, pour laquelle il a été fait une exception dans la loi. On disait aussi que le prix de la viande allait beaucoup baisser, que la fraude allait cesser complètement ; eh bien, messieurs, le prix de la viande n’a pas baissé, la fraude continue d’avoir lieu de la manière la plus scandaleuse ; aucun des résultats qu’on attendait de la loi n’a été obtenu, et la morale publique a souffert de la manière la plus déplorable.

Je le répète donc, messieurs, je ne regarde la loi que nous a proposée M. le ministre des finances que comme un vain palliatif ; le seul moyen de faire cesser autant que possible les excès de boisson, c’est de rétablir la loi de 1822 ; ce n’est pas la crainte de gêner plus ou moins quelques centaines de distillateurs qui doit nous porter à exposer tout le peuple aux maux que M. le ministre de la justice nous a signalés.

M. Gendebien. - Je n’ai pas l’intention, messieurs, de prolonger la discussion, je veux seulement motiver mon vote ; je n’ai d’ailleurs aucune connaissance dans la matière toute spéciale qui nous occupe, et je laisserai parler ceux qui connaissent mieux que moi tous les détails de la branche d’industrie dont il s’agit.

Toutes les conséquences que mes honorables amis et moi nous avons dit, il y a quatre ans, devoir résulter de cette loi qu’on veut remplacer aujourd’hui, ont en effet découlé de cette loi ; après quatre ans d’essai (car pour l’obtenir, on a dit que ce n’était qu’un essai), on en est enfin venu à sentir la nécessité d’y apporter des changements, et on propose une augmentation du droit. Mais quel sera le résultat de cette augmentation ? Un appât de plus pour la fraude ! Nous vous avions prédit que malgré l’établissement considérable du droit, on frauderait encore ; eh bien, on a continué à frauder ; aujourd’hui, je ne crains pas de prédire que, par suite de l’élévation du droit, on fraudera beaucoup plus.

Depuis quatre ans, je n’ai cessé d’indiquer un remède qui me semble devoir concilier tous les intérêts et surtout satisfaire à ceux de la morale publique ; j’ai constamment proposé l’établissement d’une patente très forte sur les distillateurs et sur les débitants de boissons spiritueuses ; on ne m’a jamais fait qu’une seule objection, qu’on a toujours renouvelée quoique j’y eusse chaque fois répondu d’une manière péremptoire : on m’a dit qu’il est impossible d’établir une semblable patente sans renouveler les anciens exercices des droits réunis, parce que, dit-on, il serait impossible, sans exercice, d’évaluer le bénéfice du patentable ; et c’est sur le bénéfice présumé que la patente doit être établie. Je ferai encore à cette objection la réponse que j’y ai toujours faite ; toutes les professions sont soumises au droit de patente ; avez-vous, pour le régler et pour le percevoir, recours aux exercices des droits réunis ?

Il n’y a qu’à ajouter un article de plus à la liste immense des objets qui sont frappés du droit de patente ; faudra-t-il pour ce seul article, les exercices des droits réunis ? Si l’on peut répondre, messieurs, que l’on réponde sérieusement, qu’on dise quelque chose de plus raisonnable que ce qu’on vient de dire. Les distillateurs sont aujourd’hui divisés en plusieurs classes, et ils paient patente suivant la classe dans laquelle ils se trouvent.

Les tenant-cafés et cabaretiers paient patente en proportion de leur débit : est-ce parce que vous ajouterez un article de plus à cette patente qu’il sera nécessaire de renouveler les exercices des droits réunis ? Je ne développerai pas, messieurs, tout ce que j’ai dit précédemment en faveur de la patente que je voudrais voir établir, parce que je sais bien qu’en ce moment on ne veut pas admettre ce système ; on n’en veut pas ; c’est là la seule raison qu’on puisse donner ! Mais si l’on n’en veut pas, qu’on le dise franchement sans recourir à des arguments qui ne prouvent absolument rien.

J’attendrai, pour développer ma proposition, que la chambre soit plus disposée à l’accueillir ; mais je répéterai, en attendant, que c’est le seul moyen d’augmenter le droit sur le genièvre, sans donner un appât à la fraude et sans diminuer en aucune manière l’exportation des produits de nos distilleries. La patente ne grèverait en rien le genièvre exporté, et elle produirait au trésor public une somme d’au moins un million. La morale publique s’en ressentirait surtout de la manière la plus avantageuse ; car les quinze ou vingt francs que vous percevriez sur le débitant serait repris par lui sur le consommateur au double, au triple au quadruple. Le genièvre augmentant de prix chez les débitants, beaucoup d’individus qui en boivent aujourd’hui s’en passeront ou en boiront moins ; d’autres, pour échapper au droit de patente qu’ils devraient rembourser au débitant, prendront leur genièvre chez le distillateur pour le consommer à domicile ; et là il y aura toujours un des deux chefs de famille qui sera plus sage que l’autre, et qui empêchera celui-ci de faire un usage trop immodéré de cette boisson malfaisante ; le nombre des consommateurs du genièvre acheté à la distillerie et transporté à domicile étant ainsi augmenté, il en résultera encore que la part de chaque membre de la famille sera moindre. D’ailleurs, si l’on s’abandonne à des excès dans l’intérieur, les rixes et tout le scandale que nous avons aujourd’hui à déplorer seront considérablement diminués. Et en vérité, messieurs, il me semble que les faits qui vous ont été signalés par M. le ministre de la justice sont de nature à être pris en mûre considération.

Je m’abstiendrai d’entrer dans des développements ultérieurs ; je le déclare, je ne veux pas de la loi de 1822 ; je n’ai pas voulu de celle de 1833, je ne veux pas davantage de celle qu’on nous propose aujourd’hui. Nous tournons continuellement dans un cercle vicieux ; quand il plaira à la chambre d’en sortir, je prendrai part à la discussion ; jusque-là on me permettra de m’abstenir.

M. Zoude. - A entendre les attaques qui ont été livrées hier à la loi des distilleries, il semblerait que ses auteurs seraient des hommes bien coupables, qu’ils auraient à se reprocher tous les maux qu’on vous a signalés sur les abus de la boisson, sur le déficit que le trésor a éprouvé, et qu’accablés enfin sous le poids des reproches qui ont été accumulés, ils devraient désirer que leurs noms restassent ensevelis à jamais dans l’oubli.

Eh bien, messieurs, semblables à ces êtres endurcis qui ont secoués toute honte, nous sommes parvenus à ce point que nous nous enorgueillissions encore de notre ouvrage, et que nous regardons la loi de 1833 comme une des belles conquêtes de la révolution.

Cette loi, messieurs, résistera à tous les efforts, à toutes les attaques que l’on dirigera contre elle. On aura beau la mutiler, les bases qu’elle a posées subsisteront aussi longtemps que la Belgique sera indépendante ; vous pourrez l’entraver, ruiner même des distillateurs trop confiants dans nos institutions ; mais, comme le phénix, ils renaîtront de leurs cendres.

La loi que vous voulez proscrire et que vous mutilerez peut-être, les législatures à venir la rétabliront ; il ne faut pas être grand prophète pour faire une telle prédiction ; il y a plus, c’est que le temps viendra où on ira plus loi que nous n’avons été, et les distilleries seront un jour émancipées. Et quoi que vous fassiez, vous ne toucherez pas aux principes fondamentaux de cette loi.

A entendre nos adversaires, on croirait que le gouvernement et la chambre auraient été induits en erreur sur la hauteur du produit de cet impôt ; mais il n’en est rien ; nous avons dit à satiété que nous n’atteindrions que difficilement le chiffre de 1,800 mille francs ; pour vous en convaincre, veuillez relire le rapport que la commission vous a présenté le 19 décembre 1832. Un seul membre alors, l’honorable M. Brabant, était d’opinion que les premières et deuxièmes années ne dépasseraient peut-être pas nos prévisions, mais que pour les suivantes le revenu serait plus élevé ; et si mes souvenirs sont fidèles, il nous prédisait un revenu de 3 millions au moins.

Nous avons si peu dissimulé la hauteur du revenu, que tous mes efforts tendirent à repousser les calculs de nos adversaires, qui prétendirent qu’on n’obtiendrait pas même le chiffre de 500 mille fr. ; reportez-vous, s’il vous plaît, aux discussions chaleureuses qui ont eu lieu particulièrement au sénat.

Quant à nous, messieurs, nous avions établi le chiffre de 1,800 mille francs comme maximum, et s’il a excédé assez souvent, nous le devons aux infiltrations que nous avons faites chez nos voisins.

Nous comptions pour beaucoup alors les services éminents que la distillerie rendait à l’agriculture, les engrais qu’elle lui fournissait et l’écoulement qu’elle procurait aux céréales qui en provenaient ; et, sans l’essor que notre loi a donné à cette industrie, qui eût pu apprécier où se serait arrêtée la crise qui a menacé, il y a 2 ans, de plonger nos cultivateurs dans la misère au milieu de l’abondance, crise qui vous a déterminés à la loi des céréales, si amèrement critiquée d’abord, et qui a été si heureuse dans ses résultats ?

Nous avions encore calculé sur les perfectionnements que la liberté d’action permettrait aux distillateurs d’atteindre, et de concourir par là avec les Hollandais sur tous les marchés du monde. Mais une main imprudente, et l’événement encore a justifié nos prévisions, est venue fermer nos ports à l’exportation, en s’obstinant à refuser le remboursement du droit payé à l’Etat, restitution que tous les gouvernements accordent non seulement, mais à laquelle ils ajoutent encore une prime, notamment celui de Hollande, auquel on rendait naguère hommage dans cette enceinte en disant qu’il était le plus expérimenté à suivre les richesses dans toutes leurs transformations.

Ces primes on veut les proscrire partout, comme si on rougissait de faire ici ce qui se fait et a toujours été fait partout.

Messieurs, ce qui se pratique partout, et s’est pratiqué en tout temps, porte avec lui un cachet d’utilité et de vérité.

Quelle est la nation qui, pour cette nature de produits, aurait plus de motifs que la nôtre à accorder des primes ? Nous regorgeons de grains, et par l’exportation du genièvre nous en procurerions l’écoulement, en laissant dans le pays le bénéfice de la fabrication, les résidus pour nos bestiaux, qui à leur tour nous fournissent la matière première de nos céréales ; mais, de crainte d’accorder l’ombre d’une prime, nous refusons même la restitution du droit ; aussi, en 1834 et 1835, il ne s’est pas fait la moindre exportation. Mais je me trompe, messieurs, et je me rappelle que lorsqu’on a vanté les quantités de produits indigènes qu’importaient les navires étrangers qui nous avaient amenés des bois du Nord, j’ai vu que l’un d’eux, qui figurait comme sorti avec charge, avait en effet pris à bord un hectolitre de genièvre.

Nous sommes donc parvenus, étant libres d’entraves, à donner à nos genièvres tout ce qui jusqu’ici avait fait donner la préférence à la Hollande. Nous avons fait plus, c’est que nous en sommes venus au point de pouvoir nous affranchir totalement de la France, en produisant nous-mêmes des esprits de grain qui sont aussi efficaces dans leur application aux arts que ceux de vin que la France nous livrait.

C’est encore par la même liberté de travail que la distillerie de levure de pommes de terre peut nous fournir aujourd’hui une eau-de-vie que les palais les plus délicats ne peuvent plus guère distinguer de celle de Montpellier.

Voilà donc encore un service rendu à l’agriculture par une grande distillerie qui permet de substituer aux grains, souvent trop abondants, une autre culture plus productive. Cette conquête du pays sur la France, par la rectification des esprits, équivaut à celle du sucre de betterave sur celui de cannes.

Mais, comme la distillerie, la fabrication du sucre de betterave aura aussi ses jours de tribulations ; mais la victoire couronnera également ses efforts, si elle sait se défendre avec persévérance.

Toutefois, en défendant la loi, nous n’entendons pas justifier les excès qu’entraîne l’abus de la boisson, nous voulons seulement prouver que votre projet n’atteindra pas le but que vous vous proposez : vos partisans même sont d’accord avec nous à cet égard, et ils vous ont dit avec nous que vous devrez frapper des droits à la consommation ; mais si vous ne reculez pas, comme vous le dites, devant la loi de 1822, je ne reculerai pas davantage devant l’établissement des exercices ; élaguez tout ce qu’il y a d’acerbe, d’odieux dans les mesures fiscales d’alors, et nous aurons encore dans la moralité de vos employés une garantie de plus contre les abus.

Le régime de 1822 avait enchaîné l’agriculture, et j’en appelle aux discours éloquents qui ont été prononcés plusieurs fois aux états-généraux par les plus zélés défenseurs des intérêts de nos provinces ; tels sont les de Muelenaere, les Dotrenge, les Barthelemy, les Zuyphen, et j’ajouterai que la sympathie que la cause qu’ils défendaient avait rencontrée dans nos campagnes, aigries par les vexations et les injustices que cette loi leur a fait éprouver, avait répandu dans la nation les premiers germes de mécontentement dont d’autres injustices du gouvernement hollandais ont hâté le développement qui a facilité l’explosion générale qui a éclaté au moment de la révolution.

Si vous ne voulez pas rétablir les exercices, admettez l’élévation des patentes que l’on vous propose. Le travail est tout tracé par la loi du 21 mai 1819 qui nous régit, il ne s’agit que de changer les rangs et les classes portés au tarif (page 154 du neuvième volume, de mai 1819 au 8 juin 1820.) Décuplez certaines patentes de débitant, triplez, quadruplez les autres.

Mais cela ne vous suffit pas, c’est plus d’argent qu’il vous faut, et cependant vous convenez que l’augmentation que vous proposez n’est qu’un palliatif, c’est-à-dire que vous voulez laisser invétérer le mal avant d’y apporter un remède, et ce remède nous vous l’offrons. La commission a consenti à l’élévation du chiffre de 22 à 30.

D’autres membres de la chambre vous proposent de renforcer le droit des distilleries par l’élévation des patentes des distillateurs et des débitants de boissons.

Acceptez les deux moyens, et vous verrez, par l’expérience, si vous avez atteint suffisamment le but que vous vous proposez.

Si je savais que le gouvernement appuierait ma proposition, je présenterais un amendement.

M. Devaux. - Messieurs, d’après les calculs de la commission, on a, en 1835, réduit le droit qui était de 35 1/4 centimes par litre, à 5 1/2 centimes ; depuis lors, par les centimes additionnels, il a été élevé à 6 1/2 centimes ; aujourd’hui le gouvernement a proposé d’abord de l’élever (toujours d’après les calculs de la commission) à 9 1/2 centimes avec les additionnels ; maintenant M. le ministre propose une nouvelle augmentation d’un tiers, ce qui le porterait à environ 13 centimes. Voilà la marche que les idées ont suivie, qu’aujourd’hui quelques membres vont plus loin encore et énoncent l’espoir de revenir à la loi de 1822, c’est-à-dire aux 35 centimes.

Je pense qu’en 1833, en abaissant le droit comme nous l’avons fait, nous avons commis une exagération, et cette mesure a eu le sort de toutes les exagérations, c’est-à-dire qu’après avoir exagéré dans un sens, on veut exagérer dans un sens opposé ; on se trouve ainsi dans un cercle vicieux de réactions contraires. Car il me semble évident qu’aujourd’hui, en cette matière, les esprits sont tournés à une réaction véritable ; et les discours prononcés à la séance d’hier, et notamment ceux de M. Brabant et de M. le ministre des finances en sont la preuve. Il arrive à la loi sur les distilleries ce qui est arrivé à la loi sur les os. Les os étaient prohibés à la sortie, sans transition on est passé à une liberté presque absolue. Cette réaction en a amené une autre, car aujourd’hui on voudrait en revenir à la prohibition. Je pense qu’il est bon de faire nos efforts pour nous arrêter dans un juste milieu. Je crois que le chiffre primitivement proposé par le ministre est pour le montent suffisant. En matière d’industrie, je n’aime pas les mesures brusques. Doubler le droit en un an, c’est trop ; je crois qu’en adoptant le chiffre de 50 centimes que propose la commission et qui augmente le droit de moitié, c’est tout ce qu’on peut faire sagement. Aujourd’hui le droit rapporte deux millions ; en l’augmentant de moitié, il en rapportera trois, ce sera un million de plus ; et quand une seule industrie est chargée de fournir un surcroît de revenu d’un million, on peut dire que pour une année c’est assez. Il ne faut pas oublier que, sur la foi d’une législation quelconque, des capitaux s’engagent sans pouvoir être retirés quand on le veut ; c’est une considération qu’il ne faut jamais perdre de vue, quand il s’agit de prendre des mesures qui touchent au commerce et à l’industrie.

On a parlé des effets immoraux de la loi de 1833. Je pense que l’ivrognerie a augmenté ; c’est un grand mal, et je pense que la loi de 1833 peut y être pour quelque chose, mais je crois aussi qu’on a exagéré l’influence qu’elle a pu avoir à cet égard. J’en vais donner quelques preuves.

Selon moi, dans cette extension du vice de l’ivrognerie, il faut compter pour beaucoup l’augmentation de l’aisance générale de la classe ouvrière. Il est naturel que les procureurs du roi et les procureurs généraux, quand ils voient augmenter les délits, en recherchent la cause ; comme l’aisance n’est pas une chose qui saule aux yeux, qui se précise, et qu’à côté d’eux ils ont une raison beaucoup plus palpable, une raison qui leur est indiquée, l’influence des distilleries, il est naturel qu’il lui attribue tout.

M. le ministre de la justice a cité des faits qui ont produit une grande impression sur l’assemblée et sur moi-même. Mais en tenant ces faits pour exacts, je dis qu’il y a exagération dans les conséquences tirées par lui et les autres orateurs qui se sont appuyés sur les chiffres posés.

M. le ministre de la justice a dit que jusqu’en 1833 la moyenne des délits de coups et blessures avait été de 2,600, et le nombre des prévenus de 4,400 ; qu’en 1834 le nombre des affaires avait été de 3,340 et le nombre des prévenus de 6,051 ; et en 1835, le nombre des affaires a été de 3,575, celui des prévenus de 6,547.

Ainsi il y a eu en 1835 900 affaires et 2,000 prévenus de plus que la moyenne de 1831 à 1833.

Il est possible qu’une partie de cette augmentation doive être mise sur le compte du bas prix du genièvre, mais une partie beaucoup plus grande doit être attribuée à l’augmentation du bien-être du peuple, et à quelques autres circonstances. Les calculs de M. le ministre ne remontent qu’à 1831. Sa statistique ne commence qu’à cette époque ; s’il était remonté aux années antérieures, il aurait reconnu l’erreur non des chiffres qu’il a présentés, mais des conséquences qu’il a déduites.

Avant la révolution on avait commence une statistique qui comprenait les années 1827, 1828 et 1829. En 1827 il y a eu 5,300 prévenus de délits de coups et blessures, en 1828 il y en a eu 6,042, et en 1829, 5,512. Ainsi, le chiffre le plus élevé présenté par M. le ministre de la justice est celui de 1835. Il répond à celui de 1828, à une différence près de 500.

Celui de 1835 est de 6,042 prévenus, celui de 1828 est de 6,587. En 1828 le nombre de ces affaires était de 3,446, en 1835 de 3,575.

Vous voyez que puisque les faits étaient tels en 1828, on ne peut attribuer à la loi de 1833 toute l’augmentation de 1835 sur le chiffre de 31 à 33. La cause de la plus grande partie de cette augmentation, je le répète, doit être attribuée à l’accroissement progressif de l’aisance générale depuis 1831 à 1837, aisance qui avait été momentanément diminuée par les événements politiques.

Si l’aisance fait diminuer beaucoup de délits, les vols, par exemple, elle augmente les rixes d’où viennent les coups et blessures, car elle augmente les réunions du peuple pour ses plaisirs où ces disputes ont généralement leur origine.

Je ne nie pas l’influence de l’abaissement du prix du genièvre sur l’augmentation de ces délits, mais je veux dire qu’on l’a singulièrement exagérée et que, réduite à ce qu’elle a été en réalité, elle est beaucoup moins forte qu’on ne l’a supposé.

Si on augmentait trop le droit, il est inutile de dire qu’il y aura augmentation dans la fraude ; on arrivera donc à un résultat contraire à celui qu’on se propose.

Si vous augmentez le droit sur la production, vous deviez aussi augmenter la restitution à la sortie, et il arrivera qu’on fraudera, non seulement à l’intérieur, mais aussi à la douane ; et vous aurez un résultat semblable à celui qu’on dit exister pour les sucres.

Je pense qu’il faut s’arrêter dans de justes limites. Quant à moi, je n’irai pas plus loin que le premier chiffre du ministre et que propose la commission.

Plusieurs personnes ont énoncé l’idée de prélever un droit sur les cabaretiers et autres détaillants de liqueurs fortes. Quoi qu’on ait dit en sens contraire, on ne m’a pas prouvé que cette mesure ne serait pas exécutable et plus efficace que l’impôt sur la production. Ne pouvant pas imposer directement les buveurs, il faut atteindre la denrée le plus près possible du consommateur, sur le comptoir du détaillant, dans le cabaret.

On dit qu’il y a 55 mille détaillants dans le pays ; malgré cela, il ne serait pas difficile d’exercer la surveillance, je dis même que cette surveillance serait extrêmement facile. Si vous augmentez le droit de patente, sans doute on cherchera à frauder ; mais vous avez toujours moyen de diminuer cet inconvénient, vous pouvez prendre vos bases d’une manière telle qu’il n’y ait guère sujet à contestation ni à fraude.

Vous pourrez d’ailleurs tenir le minimum de la patente assez élevé ; si cela diminue le nombre des détaillants, ce sera déjà un grand bien. Ce qui provoque le plus à l’ivrognerie, ce sont les petites échoppes ; l’ouvrier en trouve à chaque pas ; il n’entre pas dans une boutique sans trouver une bouteille ou un petit verre sur le comptoir. Ainsi, quand vous ne feriez que diminuer le nombre des détaillants, je le répète, ce serait déjà un avantage ; car ce serait une bonne chose que l’ouvrier dût faire un détour pour trouver du genièvre.

Je ne vois pas la nécessité de droits réunis pour découvrir la fraude. Je mets en fait que deux employés dans la ville de Bruxelles suffiraient pour exercer la surveillance. Rien de plus facile que de voir quand un débitant de boisson vend de la liqueur. Si on fraude, eh bien, on sera obligé de se cacher, et on n’en vendra plus autant. C’est comme pour les loteries : il est possible qu’il y ait des loteries secrètes, mais elles font moins de mal que ne faisaient les loteries publiques. Les loteries cachées n’ont pas la même clientèle que les loteries publiques.

S il y a 55,000 détaillants, une moyenne de 20 fr. donnerait déjà un million, ce serait un beau revenu. Le nombre, dit-on, serait réduit. En adoptant d’autres mesures de ce genre, par exemple, la licence, en demandant au débitant une somme une fois payée, on obtiendrait un produit considérable. On verrait si cela ne donnerait pas une garantie de moralité de la part du détaillant.

Quant à moi, je serai prêt à appuyer l’examen d’une pareille mesure ; elle mériterait, je crois, d’être examinée mûrement.

Quand à la base que propose le ministre, en opposition à la commission, j’attendrai la suite de la discussion pour me prononcer. Jusqu’à présent cependant je penche pour la base proposée par le gouvernement.

M. Verdussen. - Je ne dirai que peu de mots. La matière dont il s’agit m’est trop étrangère pour que je puisse avoir la prétention de jeter de nouvelles lumières dans la discussion. Je veux seulement présenter quelques observations qui m’ont été suggérées par le discouru de M. le rapporteur

Parmi les griefs qu’on a fait valoir contre le projet du gouvernement, on a cité l’art. 2 qui impose tous les vaisseaux existants dans une distillerie. Nous venons d’entendre dire par quelques préopinants que cela aurait un grand effet ; M. de Brouckere même a porté jusqu’au double le produit que donnerait l’impôt, si on adoptait le projet ministériel, non seulement pour les 10 centimes de plus que demandent les ministres, mais pour tous les vaisseaux employés. Mais le rapporteur nous dit que la plupart des vaisseaux ne sont pas indispensables à la fabrication et que le nombre de ces vaisseaux pourra être réduit. On a beaucoup parlé des vexations auxquelles donnerait lieu de l’art. 2, qui a soulevé beaucoup de réclamations. Et cependant, si l’on retranche les vaisseaux qui ne sont pas indispensables à la fabrication, la vexation n’existe plus, et l’article devient très utile, parce que le ministre nous a fait sentir qu’on ferait usage des vaisseaux pour la fraude, à la répression de laquelle tendrait uniquement l’art. 2.

Il est encore une contradiction qui se montre dans cette discussion sur le résultat que doit amener l’augmentation de droits, quant au prix du genièvre, dans la vente en détail de ces spiritueux. Quelques orateurs disent qu’il y aura une très grande augmentation dan le prix.

L’honorable M. Gendebien vient de dire que le gain des détaillants augmenterait, attendu que s’ils sont obligés de payer 2 francs de plus par hectolitre de genièvre au fabricant, ils répéteront au décuple cette augmentation sur le consommateur. D’autres, au contraire, disent que cela ne fait rien, et que l’augmentation de droits deviendra imperceptible dans la vente par petits verres de cette boisson spiritueuse.

Je crois que l’un et l’autre peuvent être exacts. La suite seule des temps nous éclairera sur les conséquences de l’augmentation de droits. Il est possible, ainsi que l’honorable rapporteur vient de le dire, qu’elle influe beaucoup sur la vente. Dans l’une et l’autre hypothèse il faut que la loi amène un résultat heureux.

Si elle influe beaucoup sur le prix du genièvre au détail, il y aura moins de buveurs, parce qu’il faudra payer plus cher pour se soûler au moyen de cette boisson spiritueuse. Si, au contraire, les détaillants seuls souffrent de l’augmentation de droits, s’il le leur est pas possible de prélever sur le consommateur le double, le triple de ce qu’ils devront payer au fabricant de genièvre, le nombre des détaillants diminuera, et dès lors, l’occasion venant à diminuer pour les amateurs de ces excès, nous verrons également diminuer les excès.

Il me semble donc qu’il faut espérer ce bon résultat que, par l’un ou l’autre motif : de la diminution des occasions et de l’augmentation du prix, le nombre des buveurs diminuera.

M. Gendebien. - L’honorable M. Verdussen suppose que j’admette l’augmentation de droits, et que, selon moi, cette augmentation aura pour résultat d’augmenter le grain des détaillants. Mais je n’ai pas dit un mot de cela. Au contraire, je me suis opposé à une augmentation, parce que j’ai dit qu’elle n’aurait pas le résultat que l’on veut atteindre et ne serait qu’un nouvel appât à la fraude. Mais j’ai dit qu’il fallait établir un droit de patente sur les distillateurs et les débitants, et je dis que cette patente, pesant directement sur les débitants, amènerait seule une augmentation sur le prix de la boisson qu’il débiterait, parce que les débitants ne se borneraient pas à faire payer une fois au consommation la somme de 20 fr., prix de la patente ; ils calculeraient le prix de la boisson de manière à faire payer 3 et 4 fois au consommateur cette somme de 20 fr.

C’est dans ce sens que j’ai dit qu’on pourrait diminuer le nombre des consommateurs et par suite le nombre des débitants ; mais je n’ai pas parlé d’augmentation, car je n’en veux pas ; je ne veux ni des lois passées, ni de la loi présente, ni d’aucun de vos systèmes.

M. Brabant. - On a parlé de la loi de 1822, et le désir de revenir à ce système a été exprimé assez franchement par deux orateurs. Ce n’est pas là l’objet de la discussion. Aucune proposition n’a été faite à cet égard. Deux propositions sont en présence : l’une, présentée par le gouvernement ; l’autre, tendant à amender le projet du gouvernement dans le taux des droits fixés par la loi du 18 juillet 1833.

Le projet du gouvernement, à la différence du taux de l’impôt, n’est que l’application exacte de la loi du 18 juillet 1833. Ainsi peuvent cesser les alarmes de tous ceux qui voient dans l’adoption du projet du gouvernement l’anéantissement de toutes les distilleries.

La loi de 1822, de funeste mémoire suivant certains orateurs, cette loi qui a été un des grands griefs, une des principales causes de la révolution, a cependant laissé subsister un assez bon nombre de distilleries. En janvier 1831, à l’époque où la loi de 1822 était en grande partie en vigueur, et où seulement le taux de la prise en charge avait été réduit par l’arrêté d’octobre 1830, il y avait 599 distilleries.

Les dispositions du décret du 4 mai 1831 parurent si favorables aux distillateurs, que dès 1832 il y avait 762 distilleries, et par conséquent une augmentation de 163.

Je ne refuserai jamais une juste part d’intérêt à toute industrie, à une industrie surtout qui se rattache au sol, qui facilite l’écoulement de ses produits et fournit le moyen d’augmenter ses richesses ; mais n’allons pas exagérer l’importance des distilleries quant à leur influence sur l’agriculture. C’est, je crois, évident. En effet, il y a 1,000 distilleries ; la surface de la Belgique est de 4,000,000 d’hectares, c’est donc une distillerie par 4,000 hectares. Eh bien, croyez-vous qu’une distillerie puisse beaucoup améliorer l’agriculture dans 4,000 hectares ?

Je vous ai demande, à la séance d’hier, d’établir une juste proportion dans l’impôt sur deux fabrications tout à fait semblables, deux fabrications qui consomment également les produits du sol.

Personne ne s’est jamais avisé de demander une réduction des droits sur la bière. Si l’on en demandait une, tout intéressé que j’y suis, je serais le premier la combattre ; et je prouverais qu’on ne peut pas réduire les droits sur la bière. Mais je demanderai aussi que votre sollicitude pour l’agriculture ait aussi ses effets sur une branche d’industrie qui consomme deux fois autant de produits du sol, et qui fournit à la nourriture du bétail deux fois autant de matières que les distilleries.

Il est surtout trois provinces qui ont besoin de beaucoup d’engrais, parce qu’une grande partie de leur sol est peu fertile : les provinces d’Anvers, de la Flandre occidentale et du Limbourg. Eh bien, ce n’est pas là que les distilleries sont le plus nombreuses. Voici leur nombre dans les provinces :

Province d’Anvers, 66.

Province de la Flandre occidentale, 92.

Province de Limbourg, 164.

D’un autre côté, voici quel est le nombre des distilleries dans trois autres provinces :

Province de Brabant, 246.

Province de la Flandre orientale, 255.

Province de Hainaut, 156.

On a, tout à l’heure, cité l’opinion que j’ai émise à l’époque de la présentation de la loi de 1833. Je n’ai, dans la discussion publique, émis aucune opinion sur les résultats de ce système. Je viens de parcourir le Moniteur qui le prouve.

M. Zoude. - Et dans la commission ?

M. Brabant. - Dans la commission, j’ai parlé, cela est vrai ; et je complèterai maintenant les renseignements que l’on a jugé à propos de produire sur l’opinion que j’ai émise.

Dans la commission des distilleries, je crois que tous entretenaient des craintes sur le fâcheux effet qu’aurait sur le peuple, quant à sa moralité, la réduction du prix du genièvre résultant du système. Deux membres particulièrement était de cette opinion ; c’étaient l’honorable M. Dautrebande et moi. Pendant les deux premières années, l’impôt a, à peu près, produit autant que les années précédentes. Mais l’impôt est resté stationnaire, et n’a pas produit ensuite un centime de plus que les premières années.

Mais tous n’ont pas été heureux dans cette discussion : je parle ici de la séance publique. Il ne s’agit plus de ce qui se passe dans l’intérieur de la commission.

Voici ce que je lis dans le Moniteur :

« Mais il est des hommes dont les intentions sont pures et patriotiques, et qui, dans leur sollicitude pour les intérêts du trésor, craignent de voir tarir une des ressources des revenus de l’Etat.

« Pour les détromper, nous rappellerons les faits à notre secours, et nous leur dirons que l’impôt qui est proposé à 16 centimes n’était en 1815, que 7 1/5 centimes, après déduction de 1/10 accordé sur la capacité de la cuve, et que cependant il a produit au trésor une somme de 1,700,000 fr. ; d’où devrait résulter que si l’industrie était restée stationnaire, une égale quantité de fabrications rapporterait, d’après le projet, une somme de 3,800,000 fr. »

C’était subordonné à une condition comme vous voyez ; mais en même temps on vous annonçait que cette condition était tout à fait accomplie. Je continue de lire :

« Eh bien, messieurs, sous le rapport de la fermentation qui fait la base du projet, cette industrie est restée à peu près stationnaire. »

C’est l’honorable M. Zoude qui s’exprimait de cette manière.

Voici un autre membre de la commission :

« Le taux de l’impôt est fixé à 10 centimes par jour et par hectolitre de capacité des cuves matières déclarées, plus que le double qu’il l’était par la loi de 1814. Alors que le droit n’était élevé que de 7 1/5 centimes, il produisait annuellement, pour les provinces belges, contenant une population de 3,100,000 habitants, 1,700,000 fr, Qui pourrait douter qu’a présent, avec une population de 4,000,000 d’habitants, il produira au moins le double, 3,4 00,000 fr. ? »

C’est M. Desmet.

Maintenant, messieurs, en voici un autre qui était plus modéré dans ses évaluations, et qui pourtant s’est trompé d’un cinquième c’est M. A. Rodenbach.

« Nous avons dit seulement qu’en adoptant un système de liberté, toutes les petites distilleries reprendraient leurs travaux, de sorte qu’on pouvait compter approximativement sur un produit de 2,500,000 fr.

Messieurs, vous voyez que les auteurs du projet, car la commission était à peu près appelée à juger son propre ouvrage ; elle était père ou parrain (on rit) ; vous voyez qu’ils s’étaient complètement trompés dans leurs prévisions. Ils reconnaissaient par là que l’impôt sur les distilleries devait produire environ 3 millions 800 mille francs ; eh bien, les a-t-on obtenus ? Non, et le projet du gouvernement tend à rappeler à l’égalité proportionnelle deux bases d’impôt ?

Le projet anéantira-t-il les distilleries ? Causera-t-il cette gêne si nuisible dans l’exercice de toute industrie ? J’ai déjà eu l’honneur de dire hier que toute la loi se trouvait dans les articles 2 et 3.

Dans l’art. 3 on majore l’impôt ; dans l’art. 2 on y soumet certains vaisseaux qui jusqu’à cette heure sont restés libres d’impôt ; mais cela donnera-t-il lieu à ces entraves contre lesquelles on réclame avec tant de chaleur ?

La loi de 1833 n’impose pas seulement la cuve de fermentation, elle impose la durée du travail dans cette cuve ; mais n’est-ce pas là un moyen d’activer la fermentation que d’employer une cuve à levain, une cuve de réunion, un condensateur ? Evidemment, oui. Il n’y a que deux vaisseaux indispensables dans une distillerie, c’est la cuve de fermentation et l’alambic ; tous les autres vaisseaux aident puissamment la fabrication, ils abrègent le temps, .ils permettent d’obtenir des produits plus parfaits : mais abréger le temps, c’est gagner sur le droit et tout vaisseau qui vous permet de gagner du temps réduit la proportion du droit ; dès lors il n’y a aucune injustice à l’atteindre.

Quant aux vexations, s’il peut y en avoir, c’est la loi de 1833 qui y donnera lieu. Vous ne pouvez user de la cuve de vitesse, vaisseau principal, qu’à moins de laisser un vide correspondant dans une des cuves de macération ; quand la cuve de vitesse sera imposée, vous pourrez laisser séjourner tant qu’il vous semblera convenable les matières en fermentation dans la cuve de vitesse et dans la cuve de réunion.

Et remarquez, messieurs, qu’aujourd’hui l’employé trouvant des matières dans la cuve de vitesse peut toujours soutenir qu’elles ne sont pas complètement fermentées ; qu’il y a encore un mouvement de fermentation qui s’y opère, ce qui donnerait lieu à un impôt sur cette cuve de vitesse ; et à défaut de déclaration il peut y avoir procès-verbal. C’est ce qui est arrivé. La catégorie des contraventions qui offrent le plus de procès-verbaux ? c’est précisément le dépôt de matières dans les cuves de vitesse lors des bouillées.

On a dit : Il y aura inégalité dans l’impôt si vous taxez ces appareils, parce que, aujourd’hui, à cause d’un nombreux bétail qu’on a dans les étables, on est obligé de travailler avec plus de cuves que l’on fera quand le bétail sera moins nombreux ; mais si la distillation est réduite, on pourra se passer de la cuve de vitesse, car elle n’est là que pour faire la bouillée avec plus de promptitude ; et il devient inutile de la faire avec plus de promptitude quand on n’en a qu’une ou deux à exécuter par jour.

Je crois superflu de revenir sur les considérations morales qui ont été présentées à l’appui du projet de loi. Ce n’est probablement que pour faire un argument ad hominem qu’on a dit qu’on s’enivrait plus avec la bière qu’avec le genièvre, et c’est à ma profession qu’on a voulu l’appliquer.

M. Duvivier, rapporteur, fait des signes négatifs.

M. Brabant. - On est entré dans des détails qui, sont extrêmement vulgaires et peu dignes de la gravité qui devrait présider à nos débats : quoi qu’il en soit, pour le même prix je vous garantis qu’il serait très difficile de s’enivrer avec de la bière, et très facile au contraire de s’enivrer avec du genièvre. Il est beaucoup de gens qui peuvent supporter quelques verres de bière pour 35 centimes, et qui ne supporteraient pas, sans s’enivrer, pour 35 centimes de genièvre.

Un moyen proposé pour diminuer la consommation et pour rendre l’impôt plus productif, c’est une augmentation de la patente des distillateurs et des débitants d’eau-de-vie, mais ce n’est pas le genièvre seul que l’on atteindrait par là, on atteindrait aussi le débitant de bière, or, la bière est déjà largement imposée ; elle produit aujourd’hui, en accise seulement, le onzième de la recette brute du royaume ; croyez-vous qu’elle ne paie pas suffisamment sa part dans les revenus de l’Etat ? Ensuite, par la patente sur les débitants, vous atteindriez 56,000 individus, au lieu que vous n’en atteindrez que mille par le projet actuel.

Il faut tenir compte du nombre dans des lois semblables ; quand il est nécessaire de gêner, il ne faut gêner que le plus petit nombre ; et mieux vaux, en ce sens, une augmentation sur la fabrication qu’une augmentation sur le débit.

M. Duvivier, rapporteur. - A la prochaine séance nous verrons probablement M. le ministre des finances ; il faut espérer que les motifs qui l’ont empêché d’assister à la séance d’aujourd’hui auront heureusement cessé, et je ne doute pas qu’il ne fasse connaître à la chambre tons les motifs qui l’ont déterminé à repousser l’augmentation de la patente que plusieurs honorables membres paraissent désirer, pour renforcer le produit de l’impôt sur le genièvre ; en attendant, je me permettrai de faire quelques réflexions qui montreront à la chambre les obstacles qui s’opposent à l’emploi de ce moyen, surtout en ce qui concerne les débitants de genièvre.

Il n’y a pas de débit exclusif de genièvre ; c’est ordinairement un cabaretier, on un marchand de liqueurs, qui, sur le comptoir, vend les spiritueux au petit verre ; si donc on augmentait, la patente, ce débitant commencerait par prétendre qu’il doit être compris dans une classe inférieure.

D’autres débitants iraient plus loin : vendant et du genièvre et de la bière, ils déclareront ne vendre que de la bière ; comment constater que leur déclaration est inexacte ? Il faudrait un exercice ou un espionnage des employés ; il faudrait que les agents du fisc, se glissassent déguisés chez les cabaretiers, qu’ils se fassent donner du genièvre et qu’ils dressassent procès-verbal sur-le-champ. Or, vous en avez 56,000 : je le demande, combien n’y aura-t-il pas qui emploieront cette manœuvre pour se soustraire à la patente ?

Mais voici un inconvénient bien plus grave qui résulterait de l’adoption du système qu’on propose : quand vous aurez constaté les contraventions, il faudra les punir devant les tribunaux correctionnels et encombrer ceux-ci de toutes ces petites causes de fraudes commises dans le débit du genièvre. Quels frais, quels embarras ne résulterait-il pas d’un semblable état de choses ! Cet inconvénient sera d’autant plus réel, qu’on refuse au ministre la faculté de mettre à néant des contestations par la voie de transactions.

Je suis persuadé, messieurs, que M. le ministre des finances qui désire sans doute faire entrer au trésor les plus grosses sommes possibles par l’impôt des distilleries aura mûrement examiné la question dont il s’agit, et qu’outre les inconvénients que je vous ai démontré devoir résulter du système qu’on vous propose, il vous en signalera d’autres encore, car je suis convaincu qu’il a eu les motifs les plus fondés pour repousser un semblable système.

Je dirai un mot encore de la statistique malheureuse qui nous a été présentée par M. le ministre de la justice : je ne pense pas que les déplorables excès qu’il a signalés puissent être exclusivement attribués à la consommation du genièvre, car certainement on peut très bien s’enivrer en buvant de la bière dans la plupart des fêtes de patronage, des kermesses, je dirai même des jubilés, en un mot dans toutes les réunions populaires, dans toutes les réjouissances de l’après-dînée, du soir, de la nuit, il y a pour ainsi dire absence complète de l’usage des spiritueux ; mais, par contre, ou y prend de la bière en grande abondance.

Plusieurs membres. - La clôture la clôture !

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - Nous allons passer à la discussion des articles.

M. Gendebien. - Ne conviendrait-il pas de remettre la discussion des articles à lundi, afin que M. le ministre des finances puisse y prendre part ?

M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux). - Messieurs, l’observation de l’honorable M. Gendebien est parfaitement juste ; cependant je pense que rien ne s’oppose à ce qu’on commence la discussion de l’article 1er, sauf seulement à ne pas voter avant qu’on ait entendu M. le ministre des finances : si des orateurs ont préparé des discours ils pourraient toujours les communiquer à la chambre, et alors, dans la séance de lundi, M. le ministre des finances pourrait répondre aux diverses observations qui auraient été faites.

M. Brabant. - Messieurs, M. le ministre des finances qui n’a pu se rendre aujourd’hui à la chambre m’a prié de le représenter autant que je le pourrais ; il souhaite qu’au lieu de commencer par l’art. 1er on commence par l’art. 2 ; l’art. 1er porte seulement abrogation des articles de l’ancienne loi auxquels dérogeront les dispositions nouvelles que la chambre voudra adopter ; or, avant d’abroger les dispositions existantes, il est convenable de voter celles par lesquelles on veut les remplacer ; car sans cela la chambre pourrait se trouver en contradiction avec elle-même ; elle pourrait, après avoir abrogé les dispositions de la loi actuelle, ne pas adopter celles qu’on propose d’y substituer.

C’est pour ces motifs que M. le ministre des finances désire qu’on ne vote l’art. 1er qu’après avoir voté les autres articles de la loi.

Article 2

M. le président donne lecture de l’art. 2 du projet du gouvernement et fait connaître les modifications que la commission propose d’y introduire.

Plusieurs membres demandent que la discussion soit remise à lundi.

M. Brabant. - Messieurs, comme toute la loi gît dans l’art. 2, je demanderai que la chambre veuille bien en remettre la discussion à lundi. (Adhésion.)

- La séance est levée à 4 heures.