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Chambre des représentants de Belgique
Séance
du lundi 6 avril 1835
Sommaire
1) Pièces
adressées à la chambre, notamment pétition relative à l’industrie cotonnière (A. Rodenbach)
2)
Proposition de loi relative à l’abolition de la peine de mort et révision du
code pénal (Milcamps, de
Brouckere, Jullien, de Roo, Ernst, Devaux, Jullien,
Ernst, Gendebien, Ernst, de Brouckere)
3) Projet
de loi relatif aux péages et au mode d’exploitation du chemin de fer (de Puydt, Legrelle, Gendebien, de Theux, Gendebien, de Theux, Jullien, de Theux, Desmet, Jullien, A. Rodenbach, Liedts, Milcamps, Legrelle, Dumont, de Muelenaere, Gendebien, de Theux, de Puydt, Liedts, de Theux, Jullien, de Puydt, Smits, Gendebien, Jullien)
4) Projet
de loi relatif à l’avancement des officiers dans l’armée (+école royale
militaire) (Evain, de Puydt, Jullien, de Puydt)
5)
Fixation de l’ordre des travaux de la chambre
(Moniteur belge n°97, du 7 avril 1835 et Moniteur belge n°98, du 8 avril
1835)
(Présidence de M. Raikem.)
(Moniteur belge n°97, du 7 avril 1835) M. Verdussen
procède à l’appel nominal à une heure.
M.
Brixhe donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la
rédaction en est adoptée.
M.
Verdussen fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
PIECES ADRESSEES A
« Plusieurs propriétaires
de moulins à Liége s’élèvent contre la faveur accordée à MM. Dubois et compagnie,
d’introduire en franchise de droit les farines provenant de leur moulin situé à
Maestricht. »
__________________
« Le sieur Herman Martin, à
Bruxelles, demande qu’il lui soit confié des chevaux morveux qu’il prétend
guérir. »
__________________
« Le sieur Louvroy demande que la chambre
adopte une loi qui fixe la péréquation cadastrale pour servir de base à la
contribution foncière. »
__________________
« Les habitants de Nieuport exposent la
détresse du commerce de cette ville et demandent qu’il y soit établi une
garnison. »
- Ces pièces sont renvoyées à
la commission des pétitions.
__________________
« Les fabricants de tissus de coton de
St-Nicolas, Iseghem et Roulers, en adhérant aux mémoires présentés par les
industriels de Gand, demandent que la chambre discute, avant la fin de la
session, la proposition de loi faite par les députés des Flandres. »
__________________
«Le sieur Villiot Mayaud, fabricant, demande
que la chambre s’occupe au plus tôt de la proposition des représentants des
Flandres. »
- Ces pétitions sont renvoyées
à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’industrie
cotonnière.
Il est donné lecture de deux
messages du sénat faisant connaître l’adoption par cette chambre d’un projet de
loi autorisant un transfert de 75,000 fr. au budget des non-valeurs de 1831, et
d’un projet de loi relatif aux pensions civiques.
__________________
M.
A. Rodenbach. - J’ai entendu lire l’analyse d’une pétition sur l’industrie
cotonnière de St.-Nicolas, Roulers, Iseghem. Je demande que cette pétition soit
renvoyée à la section centrale, car si on la renvoyait ) la commission des
pétitions, on ne pourrait pas en avoir communication.
- La proposition de M.
Rodenbach est mise aux voix et adoptée.
M.
Milcamps monte à la tribune pour donner lecture d’un rapport relatif à
la proposition de M. H. de Brouckere.
M.
de Brouckere. - Je demande que la chambre veuille bien entendre le
rapport de l’honorable M. Milcamps.
Ce rapport est très court et n’occupera que très peu de temps.
M.
Milcamps. - Messieurs, la section centrale chargée d’examiner la
proposition faite par M. de Brouckere pour l’abolition de la peine de mort et
pour la suppression de la mutilation du poing et de la marque, m’a confié la
mission de rendre compte du résultat de ses délibérations.
Aucune des sections n’a examiné
le fond de la proposition de M. de Brouckere, toutes ont été d’avis de
l’ajourner jusqu’à l’époque où l’on s’occuperait du projet de loi présenté par
le gouvernement portant des modifications au code pénal. Quelques-unes se sont
arrêtées à l’idée qu’il s’agissait d’une question à laquelle se rapportait la
réforme entière de notre système pénal ; les 3ème, 4ème et 6ème ont pensé que
sur une matière aussi grave, il convenait de consulter préalablement les cours
et les tribunaux.
Les sections ne s’étant pas prononcées
explicitement sur l’utilité et l’opportunité de l’abolition de la peine de
mort, j’éprouve le besoin de dire que MM. les rapporteurs ont déclaré dans le
sein de la section centrale que, dans l’opinion commune des sections, il
importait de chercher les moyens de diminuer le nombre des cas où la peine de
mort est textuellement prononcée par la loi.
C’est dans cet état que la
proposition de notre honorable collègue s’est présentée à la délibération de la
section centrale.
Deux questions ont été proposées.
Enverra-t-on l’examen de la proposition de M. de Brouckere à l’époque de
l’examen du projet de loi présenté par le gouvernement ? Appellera-t-on sur
cette proposition les lumières des cours et des tribunaux ?
Une discussion s’est élevée à
cet égard dans le sein de la section centrale. D’une part, on reconnaissait que
ces questions : « Si la peine de mort doit disparaître entièrement de nos codes
criminels ; si le nombre des cas où cette peine est prononcée par la loi doit
être diminué ; si, quant aux peines pour crimes politiques, l’état de nos mœurs
et de la civilisation réclame un adoucissement, » étaient des questions d’une
grande gravité, qui se rattachaient au système pénal en général. D’autre part
on observait qu’à une époque où les mœurs tendent à adoucir les lois, où des
cœurs généreux voudraient que le législateur eût déjà diminué le nombre des cas
où la peine de mort est textuellement prononcée par la loi, il y avait utilité
et opportunité de s’occuper de ces questions, quelque graves qu’elles fussent.
Après cette discussion la section centrale a été d’avis à l’unanimité qu’il y
avait lieu de s’occuper de la proposition de M. de Brouckere, séparément du
projet de loi présente par le gouvernement, et de consulter les cours et les
tribunaux des chefs-lieux des provinces sur les questions suivantes :
« Y
a-t-il lieu d’abolir la peine de mort dans tous les cas ? »
« Dans la négative
indiquer les cas où l’on penserait que la peine de mort dût être abolie et
remplacée par une autre peine ? »
« Quelle serait cette
peine ? »
Si la chambre partage
l’opinion de la section centrale, il y aura lieu d’inviter les autorités
auxquelles ces questions seront transmises à y répondre séparément de l’avis
qu’elles sont appelées à donner sur le projet de loi présenté par le gouvernement
tendant à introduire des améliorations dans le code pénal.
Au nom de
la section centrale j’ai l’honneur de vous proposer l’adoption des propositions
qui précèdent.
M. Jullien. - Je demande si cette proposition est
à l’ordre du jour et si on délibérera de suite.
M.
de Brouckere. - Si l’honorable préopinant a des observations à faire
sur les conclusions de la section centrale, il lui sera aussi facile de les
faire maintenant qu’un autre jour.
M. de Roo. - M. le ministre de la justice nous
avait promis une statistique sur les crimes commis avant et depuis la
révolution ; je demande, si cette statistique est faite, qu’elle soit jointe au
rapport de la section centrale.
M. le
ministre de la justice (M. Ernst). - Depuis que j’ai fait à la chambre
la promesse de fournir cette statistique, on y a travaillé sans relâche dans
les bureaux de mon ministère, et je ne pourrai cependant la déposer avant six
semaines environ.
M.
Devaux. - Ce que nous avons demandé à M. le ministre de la justice
n’est pas une statistique judiciaire complète, il faudrait plus de 6 mois pour
cela. J’ai demandé un état des grands crimes commis avant et depuis la
révolution en une même période de temps, et j’ai dit que pour cela il faudrait
tout au plus deux fois 24 heures. Je conçois que si nous exigions une
statistique avec mention d’âge, de lieu, de nom, de circonstances cela
demanderait beaucoup de temps ; mais ce n’est pas ce que nous avons entendu, et
je regrette beaucoup que M. le ministre de la justice ne puisse pas nous
fournir l’état dont j’ai parlé.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Je n’ai
point l’intention de publier une statistique judiciaire complète ; le but des
travaux ordonnés dans les bureaux du ministère de la justice, c’est de
recueillir une statistique exacte des crimes et délits commis depuis et avant
la révolution, et de comparer ces crimes et délits depuis l’abolition de la
peine de mort, avec ce qu’ils étaient préalablement. Si l’on ne demande cette
statistique que pour les grands crimes, il faut d’abord dire ce qu’on entend
par grands crimes. Il n’est personne qui connaisse exactement le nombre de ces
crimes. J’ai recueilli des matériaux à cet égard, mais ils ne sont pas complets
; le travail dont on s’occupe ne pourra être terminé que dans six semaines.
J’ai mis tous mes soins à ce qu’il se fît promptement ; j’ai même distrait,
d’autres divisions, des employés pour les y faire concourir. Dans tous les cas,
je crois bien préférable de faire un travail presque complet qu’un autre qui ne
s’appliquerait qu’aux grands crimes dont on parle.
M. Jullien. - Je crois que M. le ministre de la
justice doit avoir dans ses bureaux tous les éléments des renseignements qu’on
lui demande, d’autant plus qu’il y a été déposé une statistique faite par un
administrateur des prisons, l’honorable M. Ducpétiaux. Dans cette statistique on
a parfaitement distingué le nombre, la nature des grands crimes commis. Si ces
documents sont dans les bureaux de M. le ministre ou en possession d’un
administrateur des prisons, il me semble très facile de se les procurer.
Je ne vois pas, d’ailleurs,
d’inconvénients à renvoyer la proposition de l’honorable M. de Brouckere à
l’avis des cours et des tribunaux du royaume. C’est une question immense, une
question de la plus haute gravité, et je suis disposé à adopter les conclusions
de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Personne
ne s’est opposé jusqu’ici aux conclusions de la section centrale. Je crois que
c’est une proposition très sage et qui mérite d’être bien accueillie.
Je dois répondre à un
honorable préopinant que les renseignements dont il parle ne sont pas dans les
bureaux, et que dans tous les cas personne n’en possède de complets. Quand
j’affirme que, dès le principe, je me suis empressé de demander aux autorités
compétentes les matériaux qu’elles pouvaient me fournir, quand j’ajoute que
sous six semaines ces travaux pourront être terminés, il me semble que toute
insistance devient inutile.
M. Gendebien. - Dès l’instant qu’on est
d’accord de renvoyer la question à l’avis des cours et des tribunaux, je n’ai
rien à dire. Mais je persiste à faire remarquer à M. le ministre de la justice
qu’il y a plus de six semaines que l’honorable M. de Brouckere a demandé non
pas une statistique générale, mais une simple liste des crimes emportant peine
de mort avant la révolution et depuis, afin qu’on puisse faire une comparaison
et répondre à des assertions au moins fort légères qui prétendaient qu’il se
commettait plus de crimes depuis la révolution qu’auparavant. Trois semaines avant
l’honorable M. de Brouckere, j’avais fait cette demande à M. le ministre de la
justice qui avait promis d’y faire droit. Il n’a pas rempli le but qu’on se
proposait, qui était, selon moi, de détruire des assertions qui étaient à mes
yeux des calomnies envers le pays et la révolution. Je trouve bien que M. le
ministre s’entoure de tous les renseignements nécessaires, mais je ne crois pas
qu’il doive attendre six semaines pour donner une simple liste des crimes
emportant peine de mort.
M. le ministre de la justice (M. Ernst). - Dans une
séance à laquelle vient de faire allusion l’honorable préopinant, il n’a jamais
été demandé précisément de donner un tableau des crimes emportant peine
capitale. Si j’avais pensé que tel était le vœu de la chambre, je m’y serais
rendu ; mais j’avais la persuasion qu’on ne s’occuperait pas de la proposition
de l’honorable M. de Brouckere assez tôt pour qu’il me fût impossible de
recueillir les documents que je jugeais essentiels. J’avais déjà répondu que
les condamnations avaient été bien plus nombreuses en 1834 que dans les années
précédentes. Car elles se sont élevées, en 1834, sans parler des condamnations
militaires, de 25 à 30. De manière que, si j’avais fourni un tableau, il aurait
évidemment prouvé ce que j’avance.
M.
de Brouckere. - Je ne m’oppose pas à ce que les conclusions de la
section centrale soient adoptées. Il est bon de dire que je ne m’attends pas à
ce que la plupart des corps judiciaires se déclarent en faveur de l’abolition
de la peine de mort, mais je désire que ceux qui se prononceraient contre
motivent leur opinion : je ne reculerai pas devant l’énonciation d’une opinion
contraire à la mienne ; mais je juge à propos de dire que je ne m’abuse pas sur
le sort qu’aura ma proposition.
- Les conclusions de la
section centrale sont mises aux voix et adoptées.
PROJET DE LOI RELATIF AUX PEAGES A ETABLIR
PROVISOIREMENT SUR LES PARTIES DE
Discussion générale
M. le
président. - La discussion générale est ouverte sur l’ensemble du
projet de la section centrale auquel s’est rallié M. le ministre de
l'intérieur.
M.
de Puydt. - Messieurs, je n’ai pas la prétention d’empêcher le
gouvernement de s’engager dans la malencontreuse voie où l’entraîne l’influence
de quelques fausses idées en matière de travaux publics ; je ne présenterai
donc que quelques considérations courtes et générales sur la loi qui nous est
soumise.
Cependant il ne faut pas qu’on
se trompe sur mes intentions.
En 1834, j’ai combattu le
projet de loi sur le chemin de fer non en ennemi de ce genre de communication,
mais en adversaire de son exécution par le gouvernement. Je suis partisan des
chemins de fer comme je le suis de tous les progrès : ce n’est pas
d’aujourd’hui seulement que j’ai reconnu leur utilité, car longtemps avant la
révolution j’avais exposé dans plusieurs mémoires mes vues sur leur application
à l’industrie du pays.
En 1835, je viens de nouveau,
dirigé par les mêmes convictions, m’opposer au projet présenté, parce que je
considère la libre concurrence de l’industrie privée comme aussi essentielle à
la prospérité de l’exploitation du chemin de fer, qu’indispensable à sa bonne
exécution, parce que je voudrais que le succès de cette entreprise fût un
exempte propre à en multiplier l’application.
L’exposé des motifs du projet
de loi, expliqué plus amplement par M. le ministre de l’intérieur à la section
centrale, fait connaître le but que le gouvernement s’est proposé.
J’examinerai d’abord ces
motifs, et j’espère démontrer qu’il n’y a aucune nécessité d’établir une régie
de transport, mais qu’il y a toute convenance de mettre l’exploitation de la
route en adjudication publique.
Considérant ensuite la
proposition en elle-même, j’espère également pouvoir démontrer qu’elle serait
nuisible au commerce si elle était adoptée.
On lit dans l’exposé dont il
s’agit : « Lors de la mémorable discussion qui a eu lieu dans le sein des
chambres, sur le projet général du chemin de fer, il a été reconnu en principe
que la nouveauté en Belgique des moyens de transport par une pareille voie
rendait nécessaire l’intervention directe du gouvernement dans l’exploitation
première de la route, attendu que cette intervention devait le mettre à même
d’apprécier exactement et les revenus et les besoins du service. »
Ce fait que l’on avance ici,
messieurs, je le conteste et je déclare que, quant à moi, je n’ai jamais
compris que le principe dont il s’agit fût reconnu. Rien dans la loi du 1er mai
ne le prouve.
L’art. 5 de cette loi, le seul
qui fasse mention des produits de la route, s’exprime ainsi :
« Les produits de la route
provenant des péages, qui devront annuellement être réglés par une loi,
serviront à couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt, ainsi que les
dépenses annuelles d’entretien et d’administration de la nouvelle voie. »
De cet article, il résulte
clairement que l’on n’a entendu prescrire l’intervention du gouvernement qu’à
l’égard des péages, et non de l’exploitation.
Je vais expliquer la
différence que cela présente :
Les dépenses de transports sur
une route quelconque se composent de deux éléments principaux : le fret simple
et le péage.
Le fret simple, c’est la
dépense de transport proprement dite comprenant l’usure des moteurs et autres
moyens matériels de locomotive, le bénéfice et les frais de roulage, etc.
Le péage ou droit de barrière
est une taxe entièrement relative à la construction de la route dont elle est
destinée à couvrir l’entretien et à amortir le capital.
On conçoit l’intervention du
gouvernement en ce qui concerne le péage d’une route qu’il a construite. La loi
fixe le taux de ce péage et l’administration en règle la perception : il n’y a
là rien que de juste. La loi peut encore autoriser des réductions de péage sur
des routes concédées avec l’assentiment des concessionnaires et moyennant
indemnité.
Mais la loi peut-elle
intervenir, dans les dépenses de transports, les régler d’autorité, les
abaisser, les hausser arbitrairement ? Ce serait créer un privilège sur
une route ou en faveur d’un moyen de transport quelconque.
L’art. 5 de la loi du premier
mai n’a eu en vue que la perception du péage de la route en fer. Elle a voulu
qu’une modération de ce péage pût au besoin avoir une influence sur le prix des
transports, et cela en regard d’une concurrence étrangère : cette modération
ainsi opérée ne blesse aucun intérêt national, elle suffit pour le but qu’on
s’était propose : on n’avait donc eu besoin de poser aucun autre principe.
Cette explication détruit, ce
me semble, le premier motif présenté en tête de la loi.
Je passe à la nécessité d’une
expérience préalable que le gouvernement veut faire considérer comme
indispensable pour fixer la hauteur du péage.
En général, est-on dans
l’habitude de faire de pareilles expériences ? J’avoue que je n’en ai jamais
entendu parler, et dans l’espèce il ne m’est pas démontré que la nouveauté des
chemins de fer en Belgique soit un motif valable.
Industriellement parlant, il
n’y a pas de nouveauté dans le cas dont il s’agit. Quand une chose existe,
quand elle est connue dans ses moyens d’exécution, dans ses moyens d’action,
elle n’est plus nouvelle pour personne ; il n’y a de nouveauté qu’au moment de
l’invention, et l’inventeur pourrait tout au plus déclarer alors d’en faire
l’expérience avant de l’appliquer ; mais cela n’est pas même arrivé à l’égard
des chemins de fer.
Construite dans l’origine pour
l’usage des établissements industriels, pour l’exploitation des mines, les
chemins de fer n’ont été appliques à l’usage du public et des transports
généraux que depuis quinze ans au plus ; mais outre que c’est assez pour
apprendre à connaître leur puissance d’action, je dirai que, même avant de
faire cette application, il n’y a jamais eu d’incertitude à ce sujet.
Les inventeurs de cette
amélioration étaient de simples particuliers ; ils n’ont jamais songé à dire à
leurs gouvernements : Autorisez-nous à faire un essai de chemin de fer, à y
établir par forme d’expérience un mode d’exploitation qui nous permette d’en
apprécier les effets. Ces particuliers, clairvoyants comme le sont toujours les
industriels agissant dans la plénitude de leur liberté, ont pu au contraire
fixer du premier coup la hauteur des divers frais. Ils ont proposé des tarifs
que des enquêtes publiques ont réglés, et c’est spontanément, sans tâtonnements
préalables, que l’on a vu naître et se développer avec tant de rapidité l’un
des plus remarquables perfectionnements industriels de l’époque.
Eh bien, ce que l’on a pu
faire avant qu’il existât aucun exemple d’application en grand des chemins de
fer, pourquoi ne le pourrait-on plus après 15 ans d’exemples nombreux et de
succès constatés !
Quand des particuliers ont pu
mettre ces chemins en exploitation en Angleterre, en France, en Bohème, à la
satisfaction générale du commerce, faut-il qu’un gouvernement, qui a certes le
droit de se dire éclairé, vienne avouer ici son impuissance et poser en
principe la nécessité de mettre en expérience une chose connue, appréciée dans
ses résultats, soumise depuis longtemps à des calculs rigoureux à la portée de
tout le monde ? Cela n’est pas concevable, et je ne puis l’admettre en thèse
générale. L’essai qu’on veut faire n’est nullement justifié ; tout s’accorde au
contraire pour le faire considérer comme superflu.
D’ailleurs pourquoi nous
écarter des règles suivies et fondées sur notre propre législation ?
Sommes-nous dans un cas particulier ?
La loi sur les travaux publics
veut que les péages soient fixés par une enquête et mis en adjudication ;
est-il besoin de prendre aujourd’hui une autre marche ? l’expérience que l’on
voudrait faire n’est-elle pas au contraire tout entière dans une adjudication ?
C’est, selon moi, la seule bonne expérience à tenter.
Voyons cependant ce que dit
l’exposé des motifs.
« Le mode de régie directe
auquel nous avons cru devoir nous arrêter n’offre d’ailleurs aucun inconvénient
; mais il présente l’inappréciable avantage de faire fructifier immédiatement
au profit de l’Etat toutes les parties du chemin de fer au fur et à mesure de
leur achèvement (…) Aujourd’hui les péages ne sauraient être que provisoires et
variables suivant les localités et le plus ou moins d’étendue des parties de
route qui seront mises en exploitation ; mais c’est parce qu’il ne saurait en
être autrement et que les intérêts de l’Etat pourraient être gravement lésés,
si, de prime abord, et sans connaître les produits exacts de la communication,
on livrait celle-ci à l’exploitation particulière, que le mode de régie par le
gouvernement doit être préféré. »
Je ne vois dans ces mots rien
qui oblige à mettre la route en fer dans un cas exceptionnel ; j’y vois ce qui
se rencontre partout quand une nouvelle communication s’ouvre, de quelque mode
qu’elle soit.
L’Etat doit tirer fruit de sa
route puisqu’il l’a construite ; cela est vrai en ce sens qu’il doit assurer,
par le produit du péage, l’intérêt des fonds qu’il aura employés, l’entretien
annuel et la prime de remboursement du capital : tout autre produit doit lui
être interdit, parce qu’il ne pourrait l’obtenir qu’aux dépens de la liberté du
commerce. Eh bien, est-il si difficile de déterminer le montant des charges
annuelles ? On en possède tous les éléments, il suffit de les soumettre à un
calcul très simple.
Rendre la route productive à
mesure qu’une section est achevée, c’est d’une administration sage ; mais on
atteindra plutôt ce but par l’exploitation particulière que par une régie.
Chaque section de route peut être
considérée isolément comme une route entière, du moment qu’elle est prise entre
deux points assez importants pour avoir des relations réciproques de commerce.
Rien ne s’oppose à ce que les péages sur ces sections soient variables, et
lorsque toutes les sections exploitées successivement et séparément seront
achevées, on pourra établir, si on le juge à propos, une moyenne de péage pour
la totalité de la route.
Il est impossible que les
intérêts de l’Etat soient lésés par ce mode si l’on a eu soin de prendre pour
base de calculs les charges annuelles de chaque section.
Ainsi, par exemple, en
admettant que la partie entre Bruxelles et Malines ait coûté un million et
demi, et qu’il faille, pour couvrir les charges annuelles, un produit brut de 8
p. c. ou 120,000 francs, le gouvernement mettra ce prix en adjudication
publique en fixant un maximum de tarif par tonneau et par kilomètre.
Ce qui se pratiquerait pour la
section de Malines serait également suivi pour les autres.
On ne peut disconvenir que par
là l’intérêt de l’Etat ne soit garanti, et qu’en outre les intérêts du commerce
ne s’en trouvent bien, puisque la concurrence aura fait opérer des rabais sur
les données premières, si elles étaient trop élevées, car le commerce est bien
meilleur juge de ses intérêts que le gouvernement.
Je voudrais que l’on pût me
démontrer que cela n’est pas praticable, ou que cela présente des
inconvénients.
Le maximum du tarif ne peut-il
être fixé au moins provisoirement, et pour avoir un point de départ ? Mais les
ingénieurs, auteurs du projet, ont établi des calculs à ce sujet. Sans les
admettre comme rigoureux, on peut les considérer comme une mise à prix
d’adjudication : on agit de même dans tous les cas semblables.
Quand on met en concession un
canal, en France ou ailleurs, le maximum du péage n’est jamais qu’une hypothèse
que l’adjudication sanctionne ou modifie, et que les ingénieurs ont
préalablement établie par des calculs et des raisonnements. C’est pour cela que
les ingénieurs sont faits. Si, au lieu de marcher de la sorte franchement et
droit à son but, on a besoin d’essayer, de tâtonner pour atteindre le résultat
le plus simple, je ne vois plus à quoi les ingénieurs peuvent être bons.
On m’objectera, je le sais
bien, qu’il peut ne pas y avoir de concurrence, ou même que personne ne se
présentera pour exploiter la partie de route achevée, ce qui rendrait le péage
nul. Je me permettrai de n’en rien croire, ou bien je considérerai cette
supposition comme une preuve que l’on aurait eu tort de faire la route, car si
personne ne se présente pour l’exploiter, c’est qu’elle n’est pas exploitable.
Si, au contraire, il y a chance d’activité de transport, comme je n’en doute
pas, l’industrie ne l’ignorera pas, elle saura bien apprécier cette activité et
la réduire en valeur. D’ailleurs, il n’est pas raisonnable de condamner les
résultats de l’adjudication avant de l’avoir tentée.
En présence d’un moyen
d’exploitation si bien en harmonie avec notre législation, il m’est difficile
de comprendre que le gouvernement puisse vouloir prendre sur lui la
responsabilité d’une régie qui embrasserait non seulement le péage, mais même
les transports.
Les conséquences d’un pareil
système seraient ruineuses pour lui et pour le commerce.
En effet, une régie exigera
l’acquisition d’un matériel qui coûtera toujours au gouvernement plus cher
qu’il ne coûterait à des particuliers. C’est là une vérité reconnue de tous
temps.
Une régie exigera
l’organisation d’un personnel dont les traitements devront être d’autant plus
élevés que la durée du service sera d’une nature plus temporaire.
Le gouvernement enfin qui
n’est ni industriel ni spéculateur, ne
pouvant surveiller par lui-même ses agents subalternes, devra placer entre eux
et lui des agents principaux pour diriger le service.
Or, si toutes les conditions
premières de l’exploitation sont ainsi aggravées, il est évident que l’excédant
de dépense qui en résulte influera sur le prix des transports : le gouvernement
et le commerce seront donc lésés tous deux, et loin qu’une pareille expérience
conduise à bien établir les véritables effets de l’introduction des chemins de
fer en Belgique, elle vous trompera sur ces effets. C’est enfin, à mon avis, le
coup le plus funeste que l’on puisse porter à l’avenir de ce moyen de
communication.
Si plus tard on veut renoncer
à cette régie et mettre l’exploitation entre les mains du public, il faudra
faire abandon du matériel avec plus ou moins de perte, et l’on restera chargé
de tout ou partie d’un personnel que l’on ne cède pas aussi facilement que l’on
cède des locomotives.
Le but cherché, le minimum des
prix, ne peut donc être atteint par la régie du gouvernement. Au moyen de
l’adjudication et de la libre exploitation, vous appelez la concurrence ; les
éléments des prix sont fournis par les lumières et l’expérience des
industriels. Par le monopole vous restez seul arbitre, vous n’avez plus
d’éléments que ceux qui se déduisent de vos dépenses, et comme elles sont plus
élevées, vous arrivez à des prix désavantageux, et vous pesez sur le commerce
dont vous comprimez l’élan.
Messieurs, nous avons un
exemple sous les yeux, c’est la régie des postes en Prusse.
Sons le rapport de la
régularité du service, on ne peut rien désirer de mieux ; mais sous le rapport
des intérêts du commerce il n’en est pas de même, je le prouve par un seul
fait.
Le prix des diligences du
gouvernement en Prusse est d’environ 75 c. par lieue.
Le prix des diligences sur nos
routes les plus fréquentées est de 33 à 40 c, et sur les routes de France, de
50 c. par lieue.
C’est-à-dire que la libre
concurrence établie en France et en Belgique présente un avantage de près de 50
à 100 p. c . sur le monopole des transports exercé par le gouvernement
prussien.
Voilà en
deux mots le résultat des deux systèmes comparés. Le gouvernement a d’autant
plus tort de se défier de l’industrie particulière et de chercher à la
paralyser, que
Je n’en dirai pas davantage
sur cette question si souvent débattue.
Je m’opposerai par mon vote au
monopole que le gouvernement veut établir.
M.
Legrelle. - L’honorable préopinant a longuement argumenté en faveur de
la libre concurrence ; c’est aussi mon avis : mais il faut aussi que les bases
de cette libre concurrence puissent être établies d’une manière positive,
c’est-à-dire que le gouvernement, après une épreuve de quelques mois, puisse
avoir un tarif arrêté. La question est de savoir si le gouvernement peut
exploiter provisoirement les chemins de fer : cette question a été résolue
affirmativement dans la section centrale à la majorité de 5 voix contre 1.
Je crois que le terme fixé
pour cet essai va jusqu’au premier juillet 1836. Je suis d’avis qu’il pourrait
être raccourci de quelques mois et fixé au 1er mai 1836, si même on ne le
raccourcit pas davantage. C’est là le seul amendement que je veux porter à cet
article.
Je me permettrai une autre réflexion
à l’égard de ce que dit le rapport relativement aux péages. Voici ce qu’il dit
:
« Selon toute apparence,
les rétributions pour le transport des personnes pourront être réglées, sur la
section de Malines à Bruxelles, au maximum ci-après :
Voitures
de 1ère classe, fr. 3 00
Voitures de 2ème classe, fr. 2
35
Voitures de 3ème classe, fr. 1
75 »
Notez bien qu’aujourd’hui,
pour faire la route de Bruxelles à Anvers, il n’en coûterait guère davantage
d’avoir les meilleures places dans les voitures publiques. Il s’agit de fixer
un maximum ; celui-ci me paraît trop élevé. Si on veut retirer des chemins de
fer tout le fruit qu’on s’en propose, il faut les rendre accessibles à tout le
monde. Quant au mode d’essai, je pense que le gouvernement peut le faire tout
en raccourcissant le terme.
(Moniteur belge n°98, du 8 avril 1835) M. Gendebien.
- Je demande la parole pour une motion d’ordre. Dans la dernière séance, j’ai
dit que je n’avais pas compris d’après le projet de loi présenté qu’il s’agît
de l’exploitation complète de la route en fer. C’est ce qui semblerait résulter
de toute la discussion. Or je ne vois rien de cela dans la loi. Entend-on
percevoir le prix des places des voyageurs qui iront par la route en fer de
Bruxelles à Malines, et le prix du transport des marchandises ? (Oui ! oui !) Mais, encore une fois, il
n’y a rien de cela dans la loi.
Que M. le ministre de
l’intérieur veuille bien s’expliquer à cet égard et dire sa pensée tout
entière. Je sais qu’il est fort difficile d’établir le péage par kilomètres sur
une pareille route ; mais est-ce un motif pour que le gouvernement adopte un
système par lequel il se constituerait conducteur de voitures, entrepreneur de
diligences !
Avant tout, je demande que le
gouvernement s’explique afin que nous sachions ce qui est en discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- L’explication que réclame l’honorable préopinant se trouve consignée dans le
rapport de la section centrale ; il y est dit :
« L’intention du gouvernement
est d’exploiter par lui-même, au moins provisoirement, les transports de la
route en fer, au moyen de ses voitures ou tout au moins de ses moteurs, à
l’effet de remorquer, dans ce dernier cas, les voitures appartenant à des
particuliers, et d’en percevoir une rétribution de ceux qui useront de la route
pour la parcourir, ou pour faire transporter des marchandises ou autres
objets. »
Ainsi le péage ne comprend pas
seulement le remboursement du capital employé à la construction de la route, et
des frais de son entretien, mais il comprend aussi les frais de transports
effectués dans des voitures par le gouvernement et pour son compte.
C’est exactement comme si la
concession était accordée à un entrepreneur ; il fixerait le prix des places et
du transport des marchandises pour s’indemniser des frais de l’établissement de
la route et des frais de transport dans des voitures ; la position est
exactement la même.
M. Gendebien. - Je le répète, je ne vois rien
dans la loi qui ressemble à ce que demande maintenant le gouvernement.
Je reproduis mon observation.
Je demande si l’intention du gouvernement est d’établir à Bruxelles, Vilvorde,
Malines et successivement à Anvers, des bureaux à l’effet de recevoir la
déclaration des voyageurs et vice-versa, de recevoir les marchandises et de les
faire arriver à leur destination. Si telle est l’intention du gouvernement, il
importe de le consigner dans la loi.
Si le gouvernement se
constitue ainsi voiturier et entrepreneur de diligences, ce devient une régie
comme celle des tabacs en France, comme celles de messageries en Prusse. Quand
on sera entre dans cette voie, il sera difficile d’en sortir.
Voilà l’observation que je
voulais présenter. Si tel est le sens de la loi, il me sera impossible de voter
pour son adoption.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je donnerai toutes les explications ultérieures que l’on pourra désirer pour
prouver que le projet présenté est en harmonie avec le projet adopté par la
chambre dans la dernière session, quant à l’exploitation provisoire par le
gouvernement ; car, comme il est dit dans l’exposé des motifs, ce n’est pas un
système permanent que nous proposons ; nous voulons seulement acquérir par une
exploitation provisoire tous les éléments d’une tarification définitive.
J’attendrai la continuation de
la discussion, pour donner toutes les explications que l’on pourra demander.
M.
Jullien. - Lorsque, dans la dernière session, on agitait dans cette
enceinte la question des routes en fer, vous vous rappelez sans doute que la
construction de ces routes ne rencontra par elle-même aucune opposition. Mais
tous les efforts de l’opposition portèrent sur la question de savoir si l’on
mettrait les chemins de fer en concession, ou si on en abandonnerait le
monopole au gouvernement : c’est ce monopole du gouvernement que l’opposition
voulait éviter. Rappelez-vous ce que l’on disait pour contredire notre
opposition. Nous soutenions que le système des concessions était plus favorable
à l’industrie et au commerce, qu’il était suivi en Angleterre et en France ; et
il s’est tellement perfectionné, surtout dans ce dernier pays, que vous avez pu
voir qu’un projet vient d’être présenté à la chambre française par le ministre
de l’intérieur de France, projet qui tend à mettre en adjudication la
construction d’un chemin de fer de Paris au Havre, parce que de tous côtés,
l’industrie est attentive et recherche de telles spéculations, parce que pour
toute entreprise de ce genre on trouvera des concessionnaires.
Lorsque nous faisions valoir
cet argument, le gouvernement répondait qu’il savait que des concessionnaires
feraient d’immenses bénéfices, et qu’il ne fallait pas abandonner ces bénéfices
à des particuliers, quand le gouvernement pouvait les faire lui-même. Ainsi,
d’un côté on disait qu’il ne fallait pas abandonner à des concessionnaires le
bénéfice immense qui résulterait de cette concession ; et d’un autre coté,
quand nous demandions la concession, on disait qu’il ne se présenterait aucun
concessionnaire, parce qu’il était très difficile d’apprécier la dépense.
L’expérience de très peu de temps a suffi pour démentir les prévisions du
gouvernement ; car, dans la province du Hainaut, on se dispute la concession de
chemins de fer pour l’exploitation des houillères. Déjà de telles concessions
ont été données par le gouvernement ; d’autres entrepreneurs demandent des
concessions nouvelles ; les anciens concessionnaires s’y opposent. Enfin de
tous côtés on se presse pour obtenir des concessions.
Quand vous arrêtez des
capitaux qui veulent se porter sur les travaux publics, qu’en résulte-t-il ? Il
en résulte ce que vous voyez tous les jours, c’est que ces capitaux se portent
sur l’agiotage, sur l’usure. Dieu sait si ces spéculations profiteront autant à
leurs auteurs que celles qu’ils auraient faites sur l’exécution de travaux
publics !
Comme vous l’observait très
bien tout à l’heure un honorable préopinant, quelles raisons peuvent-vous
porter à demander le monopole ? Vous allez être obligés de vous faire
entrepreneur de diligences, de faire des achats de voitures, de wagons, de vous
munir d’un matériel considérable, de créer tout un personnel ; cela pour une
exploitation qui ne doit durer qu’une année, et dont vous ne savez pas calculer
par avance le produit.
Calculez d’abord les
inconvénients qui sont la suite de ce projet. Le gouvernement se faisant
monopoleur crée un personnel qui va s’attacher au budget, et vous savez que
quand on a attaché au budget un personnel quelconque, il est difficile de l’en
détacher.
On ne sait pas, dit-on, quel
serait le produit de l’exploitation du chemin de fer. Mais il n’y a pas de
meilleurs moyens pour connaître le produit réel de cette exploitation que la
concession, que l’adjudication publique.
Déjà j’ai entendu que dans le
commerce on réclamait contre le projet du gouvernement. Les spéculateurs n’en
sont pas à la première expérience de chemins de fer ; ils ont vu comment cela
se passe en Angleterre et en France ; ils peuvent établir leurs calculs ; ils
demandent pourquoi le gouvernement se saisit de ces bénéfices au préjudice du
commerce et de l’industrie. Ce système décourage l’industrie qui ne demande
qu’à se livrer à de telles spéculations.
J’avoue que jusqu’à présent,
je n’ai pas compris pourquoi M. le ministre de l’intérieur insistait si fort
pour l’exploitation par le gouvernement. Si M. le ministre pouvait démontrer la
nécessité de l’exploitation directe, mon vote serait acquis au projet de loi. Mais,
s’il ne peut démontrer cette nécessité, je voterai contre le projet, parce que
je voterai toujours contre le monopole.
Le monopole, nous le savons,
est paresseux ; le monopole est insouciant ; le monopole est insolent. (On rit.)
Lorsque les voyageurs seront
obligés de s’adresser aux employés du gouvernement pour des places dans les
voitures publiques, ils n’obtiendront jamais les avantages et les facilités que
leur offriraient le commerce et l’industrie. Le commerce et l’industrie vont
toujours au-devant des besoins parce que cela leur est nécessaire pour
augmenter leur produit.
Vous
voulez connaître le produit de l’exploitation de la route en fer. Précisément,
avec le système que vous voulez faire prévaloir, vous ne pouvez le connaître.
Comment vérifierez-vous ce produit ? Vous serez obligés de vous fier à des
employés nouveaux et souvent infidèles ; tandis que si vous livrez
l’exploitation à l’adjudication publique, en surveillant bien les
entrepreneurs, vous connaîtrez aussi exactement que possible le produit du
chemin de fer.
L’adjudication vous offre
encore cet avantage que vous n’aurez pas à vous débarrasser, et à vous
débarrasser avec perte, d’un matériel immense ; que vous n’aurez pas à faire
droit aux réclamations des nouveaux employés que vous aurez placés et qui
seront sans pain, si vous êtes obligés d’abandonner l’exploitation directe.
Ainsi, de tous côtés des inconvénients dans le système du gouvernement, tandis
que je n’aperçois que des avantages dans le système des concessions.
Cependant, d’après l’assurance
avec laquelle M. le ministre de l'intérieur a parlé de la nécessité de
l’exploitation directe, je crois devoir réserver mon vote. Mais, si M. le
ministre de l’intérieur ne démontre pas cette nécessité, je voterai contre le
projet.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Ce que le gouvernement vous demande aujourd’hui, messieurs, n’est autre chose
que ce qu’avaient proposé, dès le principe, les ingénieurs auteur du projet de
chemin de fer, autre chose que ce qu’avait demandé le gouvernement dans le
projet qu’il a présenté, ce que la section centrale a admis et que dès lors la
chambre a sanctionné.
En effet, dans le premier
mémoire qui fut distribué aux membres de la législature et qui fut rédigé par
les ingénieurs auteurs du projet, on trouve à la page 101, § Exploitation de
transports, « qu’afin de rendre la route utile au public dès l’achèvement
de chaque section, et d’empêcher qu’avant l’établissement d’une concurrence suffisante,
des intérêts particuliers ne viennent faire peser un monopole sur les premiers
transports, ce qui arrêterait l’essor du mouvement commercial et compromettrait
la rentrée des recettes, il importe que la commission directrice (on supposait
alors que la loi établirait une commission directrice) soit autorisée à
maintenir en activité des moyens de transport capables d’assurer le service et
de réduire le prix du fret à un taux raisonnable. L’emprunt supplémentaire qui
serait autorisé à cet effet serait spécialement couvert par les sommes payées
pour le transport, et par la location ou la rente successive dudit
matériel. »
Les frais de l’établissement
d’une route en fer d’Anvers à la frontière de Prusse avaient, en effet, été
évalués à 16 millions et demi, et les frais d’exploitation à un million et
demi.
Voici ce qu’on lit dans
l’exposé des motifs en date du 19 juin 1833 : « C’est d’après ces motifs et
d’autres qui pourront être ultérieurement développés, que le gouvernement a été
conduit à vous demander l’autorisation de pouvoir faire un emprunt de 18
millions de francs, nécessaire pour la première partie de la route à
construire, y compris un million et demi pour les dépenses
d’exploitation. »
Dès lors la chose avait été
clairement annoncée par le gouvernement.
Voici maintenant ce que nous
lisons dans le rapport de la section centrale ; d’abord à la page 8 : « Il
n’y a, d’ailleurs, aucun motif plausible d’abandonner à des particuliers les
bénéfices certains de l’exploitation, et qu’il est, au contraire, de son devoir
de les faire tourner au profit de la généralité, en en faisant l’objet d’un
revenu après l’extinction des charges. »
Dans le sein de la section
centrale un membre avait fait la proposition que l’honorable M. de Puydt
renouvelle aujourd’hui ; voici comment la section centrale combattit cette
proposition :
« Enfin, messieurs, et
pour terminer la partie de ce rapport qui a trait à la discussion générale du
projet, nous croyons devoir vous rendre compte encore qu’un membre de la
section centrale a demandé que la perception des péages et l’exploitation des
transports fussent mises en affermage, mais que cette proposition a été
écartée, afin de ne pas tomber dans les inconvénients semblables à ceux qu’on a
voulu éviter par le rejet du mode des concessions, c’est-à-dire pour ne pas
subordonner le gouvernement à la volonté d’un fermier, et ne pas le forcer à
des transactions onéreuses, lorsqu’il jugerait devoir réduire les
tarifs. »
La section centrale, en
conséquence de son opinion, avait non seulement admis les 18 millions demandés
par le gouvernement tant pour l’établissement d’un chemin de fer que pour les
frais de son entretien et de son exploitation ; elle y avait ajouté 500,000
francs et avait porté l’allocation à 18,500,000 fr. pour la partie du chemin
comprise dans le projet du gouvernement.
Mais on dit que l’art. 5 de la
loi du 1er mai 1834 est en opposition avec ce projet ; je dis que c’est là une
erreur. En effet, la section centrale, qui avait admis et la dépense
d’exploitation et l’exploitation même, avait dès lors proposé un article tout à
fait semblable à l’art. 5 et dans les mêmes termes. Voilà ce que portait l’art.
8 proposé par la section centrale et qui a été converti en loi :
« Les produits de la
route provenant des péages qui devront être annuellement réglés par la loi,
serviront à couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt ainsi que les
dépenses annuelles d’entretien et d’administration de la nouvelle voie. »
Et cependant vous venez
d’entendre par le rapport de la section centrale qu’elle fournit au
gouvernement les moyens d’exploiter la route, et que son intention était que le
gouvernement fît lui-même cette exploitation.
L’on fait diverses objections
sur les inconvénients qui pourraient résulter de l’exploitation faite par le
gouvernement et pour son propre compte. Ces mêmes inconvénients pourraient être
également signalés pour le cas où un fermier exploiterait la route pour son
propre compte.
En effet, le fermier de la
route en fer serait obligés d’établir des receveurs pour percevoir le montant
des péages, un contrôleur pour surveiller cette perception, des gardes magasins
et autres employés subalternes de la même manière que le gouvernement. Il ne
pourrait pas faire le service avec moins d’employés et à moins de frais que le
gouvernement. Il ne pourrait pas plus que le gouvernement même assurer un sort
aux employés, puisqu’il serait incertain si l’année suivante la ferme de la
route lui serait continuée. Sous ces divers rapports, la position serait la
même.
De même, pour les transports,
le fermier de la route devrait, comme le gouvernement, se procurer des
locomoteurs et des diligences, et si après l’expiration du bail, il n’était pas
renouvelé, le fermier serait dans le cas de vendre les locomoteurs et les
diligences.
Mais je demanderai de quelle
manière on entend que le gouvernement concède à un tiers ou à des tiers
l’exploitation de la route.
Sera-ce un seul individu qui
aura la faculté d’établir exclusivement et sans concurrence des locomoteurs et
des diligences sur la route en fer ? Mais dès lors n’est-il pas préférable que
ce soit le gouvernement qui ait provisoirement cette faculté ! N’est-il pas
juste que le gouvernement se procure par cette exploitation provisoire toutes
les lumières nécessaires pour assurer au pays les bénéfices qu’il doit tirer de
la route en fer ! Est-il juste de laisser ces éléments d’appréciation à un
tiers, qui les tiendra secrets, et qui pourra dès lors, à l’époque de la
réadjudication, écarter toute espèce de concurrence, personne n’étant à même de
soumissionner avec les mêmes avantages l’exploitation ultérieure de la route !
Au contraire, le gouvernement exploitant lui-même la route rendra un compte
détaillé des opérations, le rendra public et assurera ainsi une concurrence
réelle et efficace.
Entend-on au contraire que le
gouvernement permette à différents individus d’établir des locomoteurs et des
diligences sur le chemin de fer ? Mais alors quelle règle adoptera-t-on ? Quel
sera le taux de la perception à opérer sur ceux qui établiront des locomoteurs
et des diligences ? Evidemment, nous manquons ici d’antécédents.
Mais,
dit-on, lorsque, dans les concessions, le gouvernement fixe les péages pour un
temps déterminé, il faut qu’il abandonne ces premiers éléments d’appréciation.
Je dirai qu’en effet le gouvernement est forcé de fixer les péages uniformément
pour toute la durée de la concession. Mais ce sont précisément les arguments
que l’on a tirés de cet état de choses qui ont déterminé la construction de la
route aux frais de l’Etat. On a dit qu’il y avait le plus grand danger à
abandonner à des tiers l’exploitation d’une pareille route, alors que l’on
n’avait aucun moyen d’en apprécier à l’avance le produit.
Ainsi les arguments que l’on
reproduit pour écarter la proposition du gouvernement sont ceux qui ont
succombé dans la mémorable discussion de la loi relative à la construction du
chemin de fer. Au contraire, les motifs que le gouvernement met en avant pour
faire un essai d’exploitation sont ceux qui ont triomphé dans cette discussion.
Dès lors, je ne pense pas que vous reveniez sur ce que vous avez décidé ; je ne
doute pas que vous n’adoptiez les conséquences immédiates de votre précédente
décision.
M.
Desmet. - Messieurs, je ne parle pas sur le texte de la loi qu’on vous
présente, car dans celui-là je ne vois qu’un péage ; mais je parle sur la
déclaration que vient de vous faire M. le ministre de l’intérieur ; et dans ce
cas, je suis fâché de le dire, messieurs, mais vous devez reconnaître que c’est
un véritable monopole qu’on vous propose de sanctionner.
C’est l’honorable ministre de
l’intérieur qui désire que vous lui prêtiez une main sacrilège pour encore une
fois enlever à la pauvre Belgique une de ses libertés, et la faire traiter à la
prussienne.
Il vient vous engager à ce que
vous lui donniez l’autorisation d’établir lui seul, sur une de vos routes
publiques, tous les post-wagen et vragt-karren qu’il trouvera bon et
profitable d’y faire circuler.
Il veut avoir à lui seul, sur
la nouvelle route, le transport exclusif des voyageurs et des marchandises. Le
public n’aura usage de la voie publique, y circulera et y fera passer ses
marchandises que quand il plaira à M. de Theux, ou à ses deux commissaires MM.
de Ridder et Simons, et vous paierez tout ce qu’ils vous ordonneront de payer.
Qui aurait pu croire qu’en
Belgique on aurait jamais dû subir l’exécrable régime du monopole, et que c’est
surtout après une si belle révolution que nous sommes forcés de voir cette
horreur ?
Jamais notre pays ne l’avait dû supporter ; et toujours les Belges
ont eu le monopole en exécration...
Je pense que l’honorable M. de
Theux connaît l’histoire de son pays et qu’il a quelque connaissance de sa
législation ancienne. Eh bien qu’il veuille regarder un peu derrière lui, il se
persuadera que l’on n’a jamais su en Belgique ce que c’était qu’un monopole et
que, quand des imprudents ont, d’une manière quelconque, voulu l’introduire,
toujours il a causé les plus grands troubles.
Charles-Quint, qui savait si
bien apprécier le caractère et les moeurs des Belges, s’était pénétré que pour
conserver la tranquillité dans le pays et se faire aimer de nos ancêtres, il
devait prévenir toute espèce de monopole qui aurait pu s’établir. C’est
pourquoi, entre autres lois, il publia son édit du 4 octobre 1540, par lequel
ce prince prévoyant statua que : « Vu les dommages qui procèdent des
monopoles pour la chose publique, il défendait à toute ville, communauté,
collège d’administration, consuls et suppôts, corps de métiers ou confréries ou
autres, de faire aucuns statuts, ordonnances ou édits sentant monopole et
préjudiciables à la chose publique, et déclara nuls et de nulle valeur tous
semblables qui auraient existé (…) »
Oui, messieurs, jamais votre
pays n’a dû subir les vexations d’un monopole quelconque, toujours ils y ont
été condamnés.
C’est pour cette raison que la
loi du 29 août 1790 sur la liberté des messageries n’a porté aucun changement
dans notre législation sur cette matière…
Vous savez, messieurs, que
c’est par cette loi du 29 août 1790 qu’en France le droit connu sous le nom de
droit de permis et celui du transport exclusif des voyageurs et marchandises au
profit du gouvernement ont été abolis, et qu’à compter de la même époque, tout
particulier a pu voyager, conduire ou faire conduire librement les voyageurs,
ballots, paquets et les marchandises de toutes les espèces sur les voies
publiques, ainsi et de la manière dont les voyageurs, expéditionnaires et
voituriers, trouveraient convenable.
Je le dis encore, qui aurait
pu soupçonner que sous l’égide d’une constitution aussi libérale que celle que
nous a procurée la révolution de septembre, et qui consacre si positivement le
principe de liberté et d’égalité universelles, nous aurions vu arriver le
monopole des Prussiens, et qu’après quatre ans seulement qu’on s’est défait
d’un gouvernement, pour ses vexations et son administration tyrannique et
abusive, on serait venu donner un démenti aussi formel à cette révolution, et
qu’après un si petit laps de temps la nouvelle administration aurait fait
renaître tous les griefs pour lesquels nous nous sommes, avec tant de raison et
de justice, révoltés contre le gouvernement des Van Maanen et des autres
suppôts du régime despotique des Hollandais ? On ne saurait mieux servir la
cause de Guillaume ! Et les imprudents qui osent tout et ne respectent rien ne
connaissent pas, je veux le croire, le mal qu’ils font au pays et au nouvel
ordre des choses et la considération qu’ils ôtent au gouvernement du digne
prince que
Rien de plus détestable et de
plus dangereux pour un pays qu’un régime de déception et de tromperie !
Il est clair comme le jour
qu’on a tenté de surprendre la religion de la chambre.
Ou a eu l’intention
d’introduire en Belgique cet exécrable monopole qu’elle n’a jamais connu, et
dans les développements qu’on vous présente du projet, on n’en dit pas un mot ;
c’est tellement vrai qu’aucune de vos sections n’en a eu le moindre soupçon,
qu’aucune ne s’en est occupée : toutes n’ont eu en vue que de simples péages.
D’ailleurs le texte du projet
parle uniquement de péages ; et ce mot, le péage est assez bien connu et défini
pour qu’on ne puisse jamais l’appliquer à l’exploitation d’une route. Qui peut
l’entendre autrement que pour le droit de passe ?
Pourquoi n’a-t-on pas déclaré
franchement, comme on a été obligé de le faire après à la section centrale,
qu’on voulait introduire dans le pays le monopole des transports sur la
nouvelle route ? Alors du moins les sections auraient pu délibérer sur cette importante
question ; je pense qu’elle en valait bien la peine.
Et je me demande toujours
pourquoi, dans le texte de la disposition de l’article du projet, on a cité
l’art. 6 de la loi du 1er mai 1834, au lieu de citer l’art. 5, qui était le
seul dont on pouvait faire mention.
Peut-être avait-on reconnu que
la disposition de l’art. 5 de la loi sur le chemin de fer était absolument
contraire au système que l’on veut introduire !
Et il est certain, messieurs,
que quand vous avez voté la loi de la confection du chemin de fer, vous n’avez
jamais songé à ce que le gouvernement aurait exigé le monopole de la route.
Dans toute la longue discussion qui a eu lieu pour le chemin de fer, on n’en a
dit mot ; et d’ailleurs, on ne pouvait traiter cette question, puisque le
gouvernement n’en a jamais fourni l’occasion : au contraire, le ministre et les
commissaires du gouvernement qui ont défendu le projet ont toujours raisonné et
posé leurs calculs sur les péages proprement dits, sur un simple droit de passe
; consultez leurs nombreux et volumineux mémoires et leurs notes multipliées,
vous trouverez qu’on n’y traite que de droits de péages, et vous verrez que
leurs calculs étaient établis, du produit des péages, à raison de 4 centimes
par tonneau et par kilom., et de 30 centimes pour le passage de chaque plan
incliné (page 92 du mémoire des auteurs du projet).
Mais on vous dit : Ce n’est
qu’un essai qu’on désire de faire, pour s’assurer quels seront les produits de
la nouvelle route. Mais, en faisant cet aveu, on reconnaît qu’on a l’intention
d’y établir le monopole des transports d’une manière ou d’autre ; car, quand on
veut faire un essai par l’administration ou régie, c’est une preuve qu’on veut
continuer le mode sur lequel on fait l’essai, autrement je ne connais aucun essai
possible.
Et il doit vous paraître
étrange, messieurs, qu’on vienne vous parler aujourd’hui d’un essai à faire,
pour connaître le produit des péages sur la route, quand vous devez vous
ressouvenir avec quelle assurance et certitude on vous a posé les calculs du
produit qu’on vous a certifiés mathématiquement exacts et ne pouvant jamais
manquer.
M. le rapporteur de la section
centrale dit que ce n’est qu’une question domaniale, que le gouvernement a le
droit de se l’attribuer. Mais la gestion domaniale de l’honorable M. Milcamps
constitue un véritable monopole ; cet honorable membre croit-il que nous
pouvons le laisser exercer par le gouvernement ? Pense-t-il que le monopole
n’est pas contraire à l’esprit de liberté et d’égalité qui domine dans notre
constitution ? Pourrait-il assurer que quand il a voté le chemin de fer, il a
voulu que le gouvernement eût ce monopole ?
Ce n’est pas ainsi qu’on peut
comprendre une gestion domaniale ; l’honorable membre sait mieux que moi que le
monopole de l’exploitation d’une route publique, d’une route nationale est tout
autre chose que l’administration particulière d’un fonds ou d’un bien
quelconque appartenant au domaine ; il sait bien aussi qu’ici le monopole n’est
pas douteux, comme il sait aussi qu’il sera très difficile de trouver le droit
que nous aurons d’exclure le public de l’usage d’une voie publique.
Je ne parlerai point des
résultats de ce monopole, je crains qu’on ne les sente que trop tôt, ni de tous
les dommages qu’il causera au trésor même. Je ferai ici une seule remarque,
celle que le public ne cesse de faire, c’est que ce gigantesque travail du
chemin de fer est uniquement abandonné aux soins de deux individus, et que tous
les millions que le trésor y verse le sont d’après leur unique et bon plaisir !
Pour une simple réparation de route vous exigez que toute la hiérarchie des
ponts et chaussées soit consultée, et quand vous allez dépenser un demi-budget,
vous mettez toute votre confiance dans les deux plus jeunes ingénieurs du corps
! Ceci est chose difficile à expliquer, surtout quand on ne peut ignorer que de
criants abus ont eu lieu et ont encore lieu tous les jours dans la confection
du chemin.
Dans ce
que le ministre vient de vous dire, il a toujours parlé d’établir ou de laisser
établir des locomotives, d’exploiter ou de mettre en ferme l’exploitation de la
route ; mais si M. le ministre n’a pas traité la véritable question, il l’a
toujours esquivée ; il ne peut s’agir d’exploiter ou de laisser exploiter la
route, il ne peut être question que de percevoir des péages ou des droits de
passe. C’est ainsi que vous avez voté la loi sur le chemin de fer, et jamais,
messieurs, vous n’avez songé qu’un jour le gouvernement aurait eu
l’exploitation exclusive du transport ; la délibération des sections l’a prouvé
à l’évidence, aucune n’a songé de discuter la matière de l’exploitation, toutes
n’ont eu en vue que les droits de péages.
Vraiment je ne sais pas ce que
veut M. le ministre : une fois il vous dit qu’on veut exclusivement exploiter
le transport sur la route par le gouvernement, et une autre fois il vous assure
que cette exploitation ne doit durer qu’un an, que ce n’est qu’un simple essai
qu’on veut faire, et qu’après ce temps le gouvernement ne touchera que le droit
de passage. Mais je le dis encore, à quoi peut servir l’essai d’un mode qu’on
dit ne vouloir continuer, et quelle expérience ferez-vous sur le produit des
péages, quand vous aurez un an exercé l’exploitation des transports ? Si vous
voulez faire une expérience utile, faites-le sur le produit du droit de
passage. Tout ce que je puis soupçonner. c’est que réellement on a l’intention
d’exploiter exclusivement le transport, et que M. le ministre veut introduire
en Belgique ce qui existe en Prusse ; que le gouvernement aura l’exploitation
exclusive de la nouvelle route.
M.
Jullien. - Le ministre de l’intérieur a demandé tout à l’heure pourquoi
le gouvernement abandonnerait des bénéfices certains, lorsqu’il peut maintenant
réaliser ces bénéfices. Messieurs, la réponse à cette interpellation est
extrêmement facile ; c’est que le gouvernement ne doit jamais faire de bénéfice
au moyen du monopole. Je demanderai, moi, à M. le ministre pourquoi le
gouvernement n’abandonnerait pas au commerce et à l’industrie les bénéfices
qu’ils peuvent faire, lorsqu’il est reconnu que c’est le commerce et
l’industrie qui font la prospérité d’un pays ? Quand le gouvernement, au moyen
de péages établis, en appelant la concurrence, retire l’intérêt des capitaux
qu’il a employés, et de quoi fournir à l’amortissement des avances qu’il a
faites et aux frais d’entretien des constructions qu’il a achevées, que peut-il
exiger davantage ? Si le raisonnement de M. le ministre de l’intérieur était
juste, ne pourrait-on pas lui demander encore pourquoi il ne l’applique pas aux
bénéfices que l’on peut faire sur les diligences qui circulent sur les routes
pavées, et aux transports qui se font par voie d’eau ? car les routes et les
canaux appartiennent aussi bien au gouvernement que les chemins de fer. Dès que
vous introduisez le monopole dans une branche d’industrie, vous pouvez
l’introduire partout : il n’y a pas de différence entre une voie ferrée et une
voie pavée ou une voie par eau.
En étendant davantage
l’argumentation ministérielle, le gouvernement pourrait faire aussi des
bénéfices sur les mines, sur les charbonnages, et par conséquent pourrait
s’emparer de ces exploitations. Voilà des vérités élémentaires comprises par
tout le monde, et je serais étonné que M. le ministre de l’intérieur fût le
seul qui ne les comprît pas.
On a parlé des inconvénients
pour le gouvernement d’acheter des diligences, des wagons, un matériel
considérable, de créer en outre un nombreux personnel, et M. le ministre a répondu
que cet inconvénient existera pour les adjudicataires comme pour le
gouvernement ; mais il y a cette différence que nous ne sommes pas ici pour
défendre les intérêts des spéculateurs, lesquels doivent jouir de toute
liberté, même de la liberté de se ruiner, et que nous sommes ici pour défendre
les intérêts du commerce et de l’industrie. Il me semble que c’est mal
connaître des derniers intérêts que de placer le monopole dans les mains du
gouvernement. Prenez-y garde, cet abus porterait tôt ou tard ses fruits.
Il ne
se présentera pas d’adjudicataires, a-t-on objecté contre le système de
concurrence ; il n’y a pas de spéculateur assez insensé, a-t-on ajouté pour
acheter un matériel qui ne servirait qu’une seule année peut-être à
l’exploitation du chemin de fer. Moi, je suis convaincu qu’il se présentera des
adjudicataires.
S’il ne s’en présentait pas,
eh bien, vous resteriez dans votre droit ; vous seriez maîtres d’exploiter par
vous-mêmes ; mais le gouvernement, du moins, aurait fait ce qu’il doit faire
pour le commerce et pour l’industrie, et on n’aurait pas de reproche à lui
adresser. Jusqu’à présent je ne suis pas convaincu de l’impossibilité de faire
un appel à l’industrie pour l’exploitation du chemin de fer.
M.
A. Rodenbach. - Je ne suis pas plus partisan du monopole que les
honorables préopinants ; cependant il est des cas où une espèce de monopole est
tout à fait nécessaire, et je crois que nous nous trouvons précisément dans un
de ces cas. Il ne s’agit pas d’accorder au gouvernement une exploitation
exclusive pour cinq ou six ans, ni même pour quatre ou cinq ans ; il s’agit de
l’autoriser à faire un essai pendant une année environ. Et encore remarquez que
l’autorisation ne sera pas aussi exclusive qu’on le dit. Si j’ai bien compris
les développements dans lesquels la section centrale est entrée, le
gouvernement n’aurait que le monopole des machines locomotives ; tout
entrepreneur de diligences ou de transports de marchandises pourrait entrer en
arrangement avec le gouvernement, avoir ses voitures ou ses wagons pour le
transport des voyageurs et des marchandises, et les faire remorquer.
Les
particuliers pourraient même posséder des machines locomotives : en sorte que
le gouvernement n’aurait que le monopole de la route en fer elle-même. En ce
sens, je fais l’apologie du monopole. Je ne veux pas qu’une entreprise qui peut
être si utile au pays soit cédée, même pour une année, à ces grands
spéculateurs ; car ils sauraient bien ensuite se la faire donner exclusivement
pour un temps indéfini. Je crains les intrigues et la puissance des moyens
immoraux qu’ils savent employer pour parvenir à leurs fins. Il y aurait danger
pour le commerce que la route en fer fût exploitée par des particuliers ; il y
aurait danger peut-être pour les voyageurs qu’il en fût ainsi : c’est au
gouvernement à veiller dans les premières années à leur sécurité. Je le répète,
je ne veux pas que le gouvernement se mette entrepreneur de diligences, ni
entrepreneur de roulage ; je veux qu’il prenne des arrangements avec tous les
parties tiers qui voudront acheter des diligences et des wagons. Je ne crois
pas alors que ce soit là un monopole que l’on puisse attaquer.
M.
Liedts. - Le peu de mots que j’ai à dire a moins pour but d’éclairer la
question que de m’éclairer moi-même.
Tout le monde convient que le
monopole est un mal ; cependant on veut, dans le cas dont il s’agit, nous le
faire considérer comme un mal nécessaire, parce qu’il peut servir à déterminer,
plus tard, des tarifs qu’on ne saurait établir maintenant. J’ai peu de
connaissances en cette matière ; toutefois il me semble que le moyen proposé
par le gouvernement est le moins propre à conduire à une évaluation juste des
taxes pour le transport des voyageurs et des marchandises sur le chemin de fer.
Un voyageur, de Bruxelles à
Malines, paierait au moins 1 fr. 75 centimes, et au plus 3 fr. ; c’est ce qu’a
déclaré M. le ministre de l’intérieur à la section centrale. Comparez ces prix
à ceux qui existent. Vous savez que d’Anvers à Bruxelles un voyageur ne paie
que 3 fr., et que de Bruxelles à Malines il ne paie que 4 fr. 50 c. ; d’après
cela voyez quel avantage il pourra y avoir à prendre le chemin de fer ? Cet
avantage ne sera pas dans le prix, il se trouvera dans la vitesse.
Mais, dans les circonstances
dont il s’agit, la rapidité sera-t-elle réellement un avantage ?
Malines n’est pas un lieu de
destination ; cette ville n’est qu’une espèce de relais pour les voyageurs ;
c’est Anvers, c’est
On me répondra que des
entrepreneurs de messageries s’empresseront de leur offrir les moyens de le
continuer ; néanmoins, qui assurera que tous les voyageurs trouveront des
places dans les diligences ? Par la route en fer, on peut transporter en une
seule fois cent voyageurs : pourront-ils tous monter dans des diligences qui
offrent douze ou quinze places ? Voilà donc un grave inconvénient.
Il est évident qu’ils
préféreront aller moins vite dans une courte partie de la route qu’ils ont à
parcourir, payer moins cher, et être assurés qu’ils seront transportés sans
retard là où ils veulent arriver.
Je crains que vous n’ayez
aucun voyageur si vous ne diminuez pas vos tarifs, ou si vous n’employez pas un
autre mode d’exploitation que celui qui est proposé dans le projet de loi.
Je voudrais qu’il fût permis à
tous les entrepreneurs de messageries de faire remorquer des diligences aux
machines locomotives sur le chemin de fer. On prétend qu’on est sans base pour
évaluer la rétribution à exiger des entrepreneurs de messageries ; mais vous
n’en savez réellement pas davantage pour évaluer la rétribution à exiger des
voyageurs ; vous ne pouvez faire autre chose que d’établir maintenant des prix
variables et par approximation.
En
donnant actuellement au gouvernement l’exploitation de la section du chemin de
fer de Bruxelles à Malines, j’ai encore d’autres craintes ; j’ai peur qu’il ne
se serve de ce vote comme d’un précédent, pour obtenir l’exploitation de toutes
les autres sections du chemin de fer à mesure qu’elles seront exécutées. A
défaut de raisons on ne manquera pas de prétexter pour vous faire des demandes
semblables à celle sur laquelle nous délibérons, on vous dira que la section de
Bruxelles à Malines ne pourrait rien apprendre quant aux tarifs ; que
l’expérience était incomplète ; qu’il faut étudier ce que produit le transport
des voyageurs de Bruxelles à Anvers, par exemple, avant de dresser un tableau
des prix : on fera des raisonnements pareils pour les autres embranchements.
D’année en année, on obtiendra
de vous la continuation de l’exploitation, et, en attendant l’application d’un
autre système, on vous créera un personnel nombreux que vous ne pourrez plus
faire sortir de vos budgets.
D’après ces considérations, je
demande que les particuliers soient autorisés à faire remorquer des diligences
ou des wagon aux machines locomotives, et que le gouvernement ait le droit de hausser
et de baisser les prix de transport, selon les indications données par
l’expérience.
M. Milcamps, rapporteur. - On prétend qu’en accordant au
gouvernement l’autorisation d’opérer le transport des voyageurs et des
marchandises, on constituera en faveur de l’Etat un véritable monopole.
Messieurs, je ferai remarquer
qu’on donne à ce mot de monopole une signification fort large, et qu’on
l’applique à bien des choses. On va même jusqu’à dire que celui qui, dans une
assemblée, parle souvent, a le monopole de la parole. Cependant, quand on
emploie un mot, il faut lui donner un sens légal. Or, dans le sens de la loi,
le monopole est la spéculation que font des particuliers pour s’emparer de
tontes les marchandises d’une même espèce, afin de les vendre plus cher.
C’est en
prenant le monopole dans cette acception que Charles-Quint a en effet rendu un
édit pour le proscrire, ainsi que vient de le rappeler un honorable membre.
C’est dans cette acception que la législation a toujours frappé le monopole.
Par cette explication vous voyez, messieurs, que l’objection que l’on fait
n’est que spécieuse, et que le projet de loi en discussion n’a point pour but
de créer un monopole au profit de l’Etat. Pour constituer un monopole
quelconque, il faut arriver à ce but que le consommateur soit entièrement dans
la dépendance du spéculateur ou de l’exploitateur ; or, vous ne supposez pas
que ce soit ici l’intention du gouvernement ni celle de la section centrale.
Examinez l’économie de la loi, et vous verrez que le gouvernement ne pourra
point exiger des prix plus élevés que les prix demandés par des entrepreneurs
particuliers.
Si la section centrale a voulu
que le gouvernement fît seul les transports sur le chemin de fer, c’est qu’elle
a senti la nécessité de débuter ainsi dans cette exploitation. On manque des
moyens d’établir un tarif ; on ne peut donc mettre l’entreprise en
adjudication. Le gouvernement verra jusqu’à quel point il peut baisser les prix
; c’est dans l’intérêt du commerce et de l’industrie que la section centrale a
conclu à l’adoption du projet du gouvernement.
M.
Legrelle. - Je conviens que le gouvernement doit faire un essai, qu’il
lui serait impossible actuellement de dresser un tarif ; mais, tout en donnant
au gouvernement le moyen de faire cet essai, je pense qu’il ne doit pas
s’emparer de tous les transports, qu’il doit admettre sur le chemin de fer les
diligences et les wagons des particuliers, qu’il doit entrer en arrangement
avec les entrepreneurs de messageries, et qu’il ne doit se réserver que le
monopole des machismes locomotives et des rails du chemin de fer. Mais combien
prendra-t-il aux entrepreneurs de transports, ou combien prendra-t-il pour
effectuer lui-même les transports ? c’est là ce qu’il apprendra de
l’expérience.
Une
adjudication est donc impossible maintenant. Il faut au moins un essai d’une
année, avant de rien pouvoir évaluer même approximativement. Donnons donc au
gouvernement la faculté de faire cet essai ; et ne lui défendons pas tout à
fait d’adjuger tout ou partie de la route s’il le juge convenable.
M.
Jullien. - Qui garantit cela ?
M.
Legrelle. - L’art. 2 du projet de lot est ainsi conçu :
« Le gouvernement pourra
également établir des règlements pour l’exploitation et la police de la
nouvelle voie. » C’est encore une nécessité de laisser au gouvernement le
droit de faire ces règlements ; mais je voudrais que le gouvernement ne pût les
faire que pour un temps fixé, par exemple, que pour jusqu’au premier mai
M.
Dumont. - Il est difficile de se faire une idée exacte de ce que veut
le gouvernement. Dans le projet de loi, il n’est nullement question de lui
donner le monopole de l’exploitation ; il n’y est question que des péages. On
voit bien que ces péages seront perçus par les agents du gouvernement ; mais on
ne voit pas que le gouvernement exploitera exclusivement la route ; c’est
d’après les explications données par le ministre de l’intérieur que l’on a
compris qu’il s’agissait réellement de concéder un monopole à l’Etat. Nul autre
que le gouvernement ne pourra avoir sur le chemin de fer, ni machines
locomotives, ni diligences, ni wagons : on ne pourra faire usage de la route en
fer qu’en s’adressant au gouvernement.
Les adversaires du projet de
loi présentent un autre système. Ils voudraient que les particuliers fussent autorisés
à mettre sur le chemin de fer des diligences, des wagons ; et qu’enfin la
concurrence pût s’établir pour le transport soit des marchandises, soit des
voyageurs.
Tel le est la pensée de M. de
Puydt ; et elle paraît conçue dans l’intérêt du commerce et des voyageurs.
Si le gouvernement se charge
lui seul de l’exploitation. on fait remarquer combien seront immenses les
dépenses qu’entraînera ce monopole. Le gouvernement devra acheter toutes les
machines locomotives, toutes les diligences, tous les wagons, tandis que
d’après le système de la concurrence ces objets seraient achetés par un grand
nombre de particuliers intéressés à lier leurs entreprises à celle du chemin de
fer. Un particulier pourrait n’avoir qu’un wagon ; un autre pourrait en avoir deux
; de cette matière le matériel serait très divisé, et il n’y aurait, pour
personne, danger de faire des pertes énormes ; le gouvernement serait au
contraire exposé à ce danger s’il voulait être entrepreneur exclusif.
Mais,
dit-on, le gouvernement n’exploitera par lui-même que pour connaître les prix
qu’il faudra mettre aux transports. Messieurs, veuillez remarquer que ce n’est
là qu’un prétexte ; tous les jours le gouvernement met en adjudication des
objets dont il ne connaît pas la valeur ; ce sont les enchérisseurs qui lui
font connaître cette valeur : quand le gouvernement vend une coupe de bois, se
fait-il auparavant marchand de bois afin de connaître le prix des arbres ?
Quand il s’agit d’une route
nouvelle, voit-on le gouvernement commencer par l’exploiter lui-même ?
M.
le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Sans doute.
M.
Dumont. - Veuillez me citer des exemples. Quant à moi je ne le crois
pas. Il en est de même pour les canaux. Je pense que le plus mauvais moyen de
connaître les revenus exacts de la route est l’exploitation par le
gouvernement. Il est bien certain que le gouvernement ne travaille pas à aussi
bon marché que l’industrie particulière. Il fera donc des frais plus
considérables que les particuliers. Il en résultera qu’il élèvera beaucoup trop
les conditions de son adjudication, et peut-être plus tard y aurait-il
impossibilité de trouver des adjudicataires. Je crois qu’il n’y a que
l’industrie particulière qui puisse exploiter la route avec avantage.
J’attendrai les réponses que l’on voudra bien faire à mes observations.
M.
le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il me semble
que la chambre ne doit pas s’effrayer d’un fantôme. En effet s’agit-il
réellement d’un monopole dans le sens véritable de ce mot ?
Voyons l’art. 1er de la loi :
« Provisoirement, en
attendant que l’expérience ait permis de fixer d’une manière définitive les
péages à percevoir sur la route susdite, conformément à l’art. 5 de la loi du
premier mai 1834 ces péages seront réglés par un arrêté royal. La perception
s’en fera, en vertu de cet arrêté, jusqu’au premier juillet 1836. »
Vous voyez, messieurs, que ce
que le gouvernement propose est une mesure purement provisoire. Le monopole du
transport des personnes et des marchandises serait odieux entre les mains du
gouvernement ; mais ce monopole ne serait pas moins odieux entre les mains d’un
particulier ou d’une société. C’est un mal qu’il faut éviter. Or, pour éviter
ce mal, il faut que le gouvernement parvienne à acquérir les éléments
nécessaires pour pouvoir mettre en adjudication publique soit l’exploitation de
la route, soit la perception du droit à payer sur la route. Dans le moment
actuel cela me paraît impossible, en supposant même qu’une adjudication pût
avoir lieu. Il n’y aurait qu’une société ou un particulier par trop
entreprenant qui osât se présenter comme adjudicataire soit de l’exploitation
de la route, soit de la perception du droit : c’est un mal qu’il faut éviter.
Il faut que l’adjudication ait
lieu avec concurrence et publicité. Pour qu’il y ait concurrence, il faut que
l’on connaisse les produits de la route et les avantages qu’elle peut offrir.
L’exploitation par le
gouvernement et la perception du droit doivent avoir pour but principal
d’arriver à une connaissance aussi exacte que possible des frais affectés à
cette exploitation et des bénéfices que la route peut donner, afin d’arriver à
une adjudication qui soit réellement publique, dans laquelle tous les
intéressés puissent concourir. Pour cela il me semble que le gouvernement doit
commencer par percevoir le droit par lui-même et rendre publics en temps utile
les frais qui auront été faits, et les bénéfices que la route a pu donner.
Quand cette publicité aura eu lieu, les particuliers pourront établir leur
concurrence. Alors seulement il y aura réellement concurrence.
La loi ne parle pas de
l’exploitation de la route en elle-même. La loi ne parle que de la perception
des péages. Je crois que c’est là une chose fort sage. La perception des péages
se fera par le gouvernement lui-même, qui fixera le montant du droit à payer.
Quant à l’exploitation, vous
laissez au gouvernement une latitude indéfinie. La route une fois établie, il
faut qu’elle soit exploitée dans l’intérêt du trésor, du commerce et de
l’industrie. L’exploiter uniquement dans l’intérêt du trésor serait une
absurdité. La route a été construite dans l’intérêt du commerce et de
l’industrie. C’est ce but qu’elle doit atteindre avant tout. Si le
gouvernement, après quelques mois d’expérience, parvient à une exploitation
plus régulière de la route en admettant les particuliers à la concurrence, sauf
à percevoir lui-même le péage pendant un certain laps de temps, ce sera le moyen
le plus utile et le plus favorable au commerce, à l’industrie et au trésor en
même temps. La loi ne dit rien à cet égard, et en cela, je le répète, elle agit
fort sagement. SI des concurrents ne se présentaient pas à l’époque où la route
sera ouverte (en supposant qu’on en mette l’exploitation en adjudication),
personne n’en ferait donc usage. Il est dès lors nécessaire que le gouvernement
l’exploite lui-même, puisqu’il est intéressé à ce que la route soit employée du
moment qu’elle pourra être livrée à la circulation.
Je crois que c’est ainsi que
la loi en discussion doit être comprise. Le droit des péages sera réglé par un
arrêté royal. La perception s’en fera en vertu de l’arrêté du gouvernement
jusqu’au premier juillet 1836. Elle mettra l’administration à même de ne pas
être sans données lors des adjudications qui pourront avoir lieu plus tard.
Quant à l’exploitation de la route elle-même, la loi ne pose aucune règle. Il
est désirable qu’il y ait concurrence, que les particuliers soient admis à
cette concurrence. Mais il n’y a pas de certitude qu’elle puisse exister. Dès
lors vous devez permettre au gouvernement de faire l’exploitation lui-même. Si
les résultats des adjudications ne satisfont pas le gouvernement, il fera
encore l’exploitation de la route par lui-même. Dans tous les cas, il ne sera
en possession de le faire que pour un délai déterminé, que pour un terme très
court.
L’on a cité contre le système
du gouvernement des exemples qui ne prouvent rien. L’on a assimilé
l’exploitation du chemin de fer à la vente d’une coupe de bois. Mais chaque
propriétaire connaît à peu près la valeur des bois à l’époque où se fait la
vente. Les administrations sont même à cet égard obligées de procéder avec la
plus grande circonspection, quand les coupes sont d’une certaine importance,
que ce sont des coupes de haute futaie ; l’on fait procéder à une expertise
préalable des bois, et les adjudications n’ont lieu qu’à la condition que le
prix de vente ne soit pas au-dessous du prix de l’expertise.
L’on a parlé des routes
nouvelles. Vous savez tous, messieurs, que le droit de barrière sur les routes
nouvelles, appartenant au gouvernement, à la province ou à la commune, est
perçu d’abord pendant un certain temps par des employés du gouvernement, que la
perception se fasse pour son compte ou pour celui de la province ou de la
commune. C’est le seul moyen d’arriver à une base certaine pour les
adjudications.
Dans le
cas présent l’on veut appliquer le même principe. Je n’y vois aucun
inconvénient ; il n’y a pas là de monopole proprement dit. Le gouvernement ne
demande pas l’exploitation du chemin de fer pour un temps indéterminé. Il la
demande pour un délai fixé de quelques mois afin d’arriver à obtenir tous les
éléments nécessaires pour mettre la route en adjudication et renoncer ainsi au
monopole afin qu’il ne puisse s’établir au profit d’une société ou de
particuliers. Si l’on mettait immédiatement la route en adjudication, une
société ou un particulier qui aurait calculé ses bénéfices d’avance, se
présenterait comme adjudicataire, et l’on créerait ainsi un monopole au profit
d’une société ou d’un particulier.
L’adjudication d’une route
d’une importance aussi grande, ne pourrait se faire en en ce moment que pour un
terme assez long, pour un terme de 3 ou de 6 ans. Il n’entre certainement dans
la pensée de personne d’engager pour un aussi long espace de temps les produits
d’une route sur lesquels nous n’avons aucune espèce de renseignements
quelconques.
C’est dans ce sens qu’il faut
comprendre la loi. Elle n’exclura pas la concurrence des particuliers, sauf à
eux à s’entendre avec le gouvernement sur la part qu’ils auront dans
l’exploitation. (La clôture !)
M.
Gendebien. - Il faut que les ministres se mettent d’accord avec
différents membres avant que nous abordions la discussion des articles. J’ai
demandé que l’on s’expliquât catégoriquement sur la portée de la loi. J’ai
adressé à MM les ministres cette question :
Le gouvernement entend-il
faire autre chose que d’établir des locomoteurs sur la route ? Entend-il faire
courir à ses frais les wagons, les diligences ? Entend-il se faire aussi
entrepreneur des moyens de transport ? M. le ministre de l’intérieur a répondu
oui. L’honorable M. Legrelle a répondu non. Le gouvernement ne se chargera pas
de transporter les personnes et les marchandises, de percevoir le prix des
places.
J’admets un moment qu’il
faille que le gouvernement s’immisce dans ces opérations pour pouvoir apprécier
les produits. C’est une concession que je fais. Car tel n’est pas mon avis. Je
crois que l’intérêt aura deviné plus tôt que le gouvernement les véritables
bénéfices que présente l’entreprise de la route en fer. Mais en admettant que
le gouvernement soit obligé de s’instruire par sa propre expérience, s’en
suit-il qu’il faille qu’il se constitue entrepreneur de diligences ou de
roulage ?
Que le gouvernement se borne à
faire construire des locomotives. Il en a déjà 3, à ce que l’on vous a dit :
qu’il en construise davantage si cela est nécessaire, qu’il fasse payer un
droit aux particuliers qui attacheront leurs diligences ou wagons à la remorque
de ces locomotives pour le transport des personnes ou des marchandises.
J’admets cette faculté,
quoique je n’en reconnaisse pas la nécessité. Mais si vous voulez aller
au-delà, que ce soit un monopole ou non, peu m’importe : il est certain qu’il
faudra un bureau à Bruxelles, un entre Bruxelles et Malines, un troisième à
Malines, un quatrième entre Anvers et Malines, un cinquième à Anvers.
Il faudra des employés du
gouvernement dans ces bureaux. Vous constituerez toute une administration, un
personnel complet. Qu’en ferez-vous au bout de l’année ? Votre matériel, vous
trouverez toujours moyen de vous en défaire quand vous le voudrez ; mais votre
personnel, qu’en ferez-vous ?
M.
Jullien. - On en fera ce que l’on fera du matériel.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Cela est dit dans le rapport.
M.
Gendebien. - Je ne m’occupe pas de ce que dit le rapport. Nous ne
faisons pas des lois pour consacrer des rapports. Les rapports ne servent qu’à
expliquer le but de la loi.
Demandez aux chambres la
liberté d’exploiter la route en fer comme bon vous semblera. Dites que vous
voulez faire l’essai de locomoteurs, de transports, de wagons ; nous saurons à
quoi nous en tenir.
M. le ministre des affaires
étrangères vient de nous dire que les particuliers seront admis à concourir
dans l’exploitation de la route. Soit ; mais dites-le dans la loi.
Je suis convaincu que
l’intérêt privé, toujours plus actif que le gouvernement, saura évaluer mieux
et plus sûrement que lui les bénéfices de la route.
Faites une expérience. Livrez
la route au public pendant trois mois sans demander un sou. Etablissez de
distance en distance des commis chargés de tenir note de ce qui s’y passe. Je
suis convaincu que vous rendrez un service au public. Et vous ferez une
économie en vous privant du produit qui sera très grand dans les commencements.
Mais j’aimerais mieux voir le
gouvernement faire ce sacrifice que de le savoir chargé d’un personnel dont
plus tard il ne saura plus que faire. S’il faut parler franchement, je crois
que la pensée du gouvernement est de s’embarrasser d’un personnel nombreux,
afin de le garder indéfiniment.
M. A. Rodenbach. - Les chambres ne sont-elles
pas là !
M.
Gendebien. - Sans doute les chambres sont là. Mais une fois que le
gouvernement aura obtenu d’elles la faculté de nommer ce personnel, il viendra
vous dire : La circulation croissante de la route nous a forcés à acheter un
plus grand nombre de locomotives, de diligences, de wagons ; le personnel s’est
accru en raison de cette augmentation. D’autres sections de la route sont
achevées. Faisons servir ce personnel à la même expérience sur ces portions
nouvelles. Ainsi se perpétuera la régie par le gouvernement. Vous serez entrés
dans une fausse voie. Vous reculerez devant les pertes qu’occasionnera un
changement de système, et pour faire une économie, vous consacrerez le
monopole.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Quelques orateurs ont paru ne pas comprendre la portée du mot péage. Il est
évident que le péage sur la route en fer est analogue à celui sur les rivières
qui comprend le droit et l’usage des bacs et des bateaux. Ainsi il y aurait
analogie en tant que le gouvernement ferait lui-même le transport des
marchandises et des personnes au moyen de ses locomotives. Mais, ainsi que l’a
dit M. le ministre des affaires étrangères, le gouvernement ne prend pas
l’obligation de continuer pendant une année le transport des personnes et des
marchandises. Il lui sera libre de se défaire de ses diligences, de ses wagons,
et d’admettre la concurrence de l’industrie particulière. Mais il a pensé que
le moment opportun n’était pas encore venu. En effet, si vous ne voulez pas
livrer tout à fait la route en fer à la spéculation d’un seul individu, qui en
fera son bénéfice, vous êtes obligés d’admettre le mode que le gouvernement
vous propose.
Quelle espèce de concurrence y
aurait-il en ce moment pour l’exploitation de la route en fer, exploitation qui
commencera le 1er jour du mois de mai ? Quels sont les individus qui ont les
locomotives, les diligences préparées à cet effet ? Il n’y en a pas.
Le gouvernement a cru devoir
se procurer les locomotives et les diligences nécessaires à l’exploitation de
la route. Il pourra en faire la vente, lorsque cette exploitation sera livrée
au public. Si l’on admettait immédiatement le mode d’adjudication, tous les
entrepreneurs des diligences vers Anvers seraient ruinés. Aujourd’hui, au
contraire, le gouvernement transportera les voyageurs jusqu’à Malines, et là
les entrepreneurs de diligences les prendront pour les transporter jusqu’à
Anvers. Si le gouvernement se trouve assez éclairé, il pourra, avant
l’expiration du délai fixé dans la présente loi (délai qui n’est après tout que
d’une année), vendre ses locomotives, ou admettre les particuliers à en établir
de concurrence avec lui. Il y a toute garantie à cet égard, puisque le
gouvernement sera obligé de rendre des comptes au bout de l’année. Le
gouvernement, s’il ne le faisait par zèle pour l’intérêt public, le ferait par
zèle pour sa réputation administrative, Il ne voudrait pas s’exposer au
désagrément d’avoir fait une mauvaise affaire pour le compte de l’Etat.
L’on est encore revenu sur le
personnel que le gouvernement sera obligé de créer. Les employés ne seront que
temporaires. Le gouvernement fera ce qu’un entrepreneur ferait. Il sera dans la
même position que les particuliers. Un particulier, à l’expiration de son bail,
serait obligé de vendre son matériel et de renvoyer ses employés. C’est ce que
fera le gouvernement.
Il n’est pas à craindre qu’il
ne vende son matériel avantageusement. La nécessité des locomotives se fera
sentir à mesure que le gouvernement achèvera les parties de la route qui sont
en instruction.
Un orateur a voulu établir une
comparaison entre l’exploitation d’une route pavée et celle d’une route en fer.
Il n’y a aucun terme de comparaison. Tout le monde a des voitures nécessaires à
l’exploitation des routes ordinaires. Chacun en connaît les bénéfices. Les
routes en fer exigent au contraire des moyens de transport plus dispendieux et
d’une autre nature. La route en fer ne pourra être livrée à la concurrence que
quand l’expérience aura éclairé le gouvernement sur ses produits. Lorsqu’il en
aura livré les résultats à la publicité, chacun établira ses calculs et il s’en
suivra un grand bien pour le pays.
Il est donc d’une utilité
évidente d’autoriser le gouvernement à fixer le taux des péages, à exploiter
provisoirement le chemin de fer, sauf, lorsqu’il le jugera convenable, à lui
laisser la faculté d’admettre la concurrence particulière.
- La discussion générale est
fermée.
Article premier
M. le
président. - « Art. 1er. Provisoirement, en attendant que
l’expérience ait permis de fixer d’une manière définitive les péages à percevoir
sur la route susdite, conformément à l’article 5 de la loi du 1er mai 1834, ces
péages seront règles par un arrêté royal. La perception s’en fera, en vertu de
cet arrêté, jusqu’au 1er juillet 1836. »
M. de Puydt propose
l’amendement suivant :
« La section de route en
fer de Bruxelles à Malines sera livrée à la circulation publique immédiatement
après son achèvement : Le gouvernement mettra en adjudication la perception du
péage sur un maximum de tarif et sur un minimum de produit.
« Dans le cas où il ne se
présenterait pas d’adjudicataires pour faire des rabais sur le tarif, le
gouvernement pourra faire percevoir le péage en régie. »
La parole
est à M. de Puydt pour développer son amendement.
M.
de Puydt. - Les considérations que j’ai fait valoir dans la discussion
générale expliquent suffisamment mon amendement. J’attendrai qu’on le combatte
pour répondre aux objections qu’on pourra présenter.
M. le
président. - Voici la disposition additionnelle proposée par M. Liedts :
« Chacun aura la faculté
de faire remorquer ses voitures par les locomotives appartenant au
gouvernement, en payant la rétribution et en se soumettant aux conditions qui
seront ultérieurement fixées par un règlement d’administration générale. »
La parole est à M. Liedts.
M. Liedts. - J’ai fait connaître dans la
discussion générale les motifs qui m’ont déterminé à présenter mon amendement.
Je veux rendre impossible le
monopole du gouvernement comme celui des particuliers, et mon amendement a de
plus cet avantage qu’il évite la création d’une administration coûteuse dont on
ne pourra pas se débarrasser plus tard. On dit, il est vrai, qu’on ne nommera
que des employés temporaires qu’on pourra renvoyer quand on voudra. Mais nous
avons, dans ce qui se passe pour l’administration du cadastre, un exemple de ce
qui arrivera quand il faudra remettre sur le pavé tous ces employés qu’on aura
nommés. L’administration du cadastre vient de terminer se travaux, les employés
de cette administration ne devaient avoir droit ni à une indemnité, ni à une
place nouvelle ; cependant on les place au détriment des anciens employés ; la
même chose arrivera pour les individus qu’on emploiera dans l’administration de
la route en fer.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Je ne ferai qu’une seule observation. Je crois qu’il est impossible de
comparer les employés d’une administration provisoire, comme celle de la route
en fer, avec les employés du cadastre qui, depuis tant d’années, sont occupés
dans cette partie.
M.
Liedts. - L’essai que le gouvernement demande aujourd’hui à être
autorisé de faire, devra être poussé plus loin. Car d’ici à Malines on ne
transportera pas de marchandises, et quand la section de Malines à Anvers sera
terminée, le gouvernement viendra nous dire : Nous avons bien pu faire un essai
pour le transport des voyageurs, en exploitant la route de Bruxelles à Malines
; il faut maintenant que nous fassions un essai pour le transport des
marchandises, et pour cela nous vous demandons de nous autoriser à exploiter la
route jusqu’à Anvers. Et vous verrez ainsi se perpétuer cette administration
qu’on ne veut créer, comme on dit, que pour un temps,
M.
Jullien. - Nous avons à peu près tous compris dans la discussion
générale que l’expérience que le gouvernement se propose de faire, ne durerait
que jusqu’au 1er juillet 1836. Cependant, d’après la manière dont l’article
premier est rédigé, il me semble que le gouvernement se propose de continuer
l’expérience aussi longtemps qu’il pourra nous dire qu’il n’a pas acquis la
connaissance des produits de la route et qu’il ne peut pas fixer d’une manière
définitive les péages à percevoir. Je vous prie de faire attention à cette
rédaction et, je demande au ministre de vouloir au moins nous dire quelle est
sa pensée.
« En attendant, dit
l’article 1er, que l’expérience ait permis de fixer d’une manière définitive
les péages à percevoir sur la route susdite, conformément à l’art. 5 de la loi
du 1er mai 1834, ces péages seront réglés par un arrêté royal. La perception
s’en fera, en vertu de cet arrêté, jusqu’au 1er juillet 1836. »
Je vois, par cet article, que
la perception se fera, en vertu de l’arrêté royal, jusqu’au 1er juillet 1836,
mais que l’exploitation sera conservée au gouvernement jusqu’à ce qu’il lui
soit permis de fixer les péages d’une manière définitive.
Je
désirerais que le ministre voulût bien s’expliquer sur ce point, nous dire s’il
entend terminer l’expérience au 1er juillet 1836 ou bien si à cette époque il
pourra nous venir dire que l’essai doit être continué indéfiniment. C’est ce
que je crains, si on laisse subsister l’article tel qu’il est rédigé, car nous
n’avons pas d’assurance que l’expérience doive cesser au 1er juillet 1836.
Je pense que les ministres,
fatigués d’être traînés à la remorque, veulent se donner la petite satisfaction
de remorquer les autres. (On rit.)
Mais je voudrais savoir pendant
combien de temps ils veulent conserver cette faculté. C’est là le but de
l’interpellation que j’ai l’honneur d’adresser à M. le ministre.
M.
de Puydt. - Je crois que mon amendement a besoin de quelques
explications pour être compris.
La section de route en fer de
Bruxelles à Malines sera livrée à la circulation publique immédiatement après
son achèvement, c’est-à-dire que l’exploitation sera entièrement libre, que
tous les particuliers pourront établir des moyens de transport pour les
voyageurs et les marchandises. Le gouvernement n’est pas exclu de cette
exploitation.
Le gouvernement mettra en
adjudication la perception du péage sur un maximum de tarif que provisoirement
il est autorisé à fixer, et sur un minimum de produit.
Le
gouvernement ayant construit la route à ses frais, il est juste qu’il rentre
dans ses fonds, qu’il couvre annuellement l’intérêt de son capital et les frais
d’entretien de cette route. Le gouvernement évaluera à quelle somme doivent
s’élever ces frais annuels, et fixera cette somme comme le produit que
l’adjudicataire doit lui payer. Il fixera ensuite le maximum du tarif sur
lequel la concurrence sera appelée à faire des rabais. De cette manière le
gouvernement sera couvert de ses frais, et le public jouira de la route au
tarif porté au minimum par ceux qui se présenteront pour obtenir
l’adjudication.
Dans le cas où il ne se
présenterait pas d’adjudicataires pour faire des rabais sur le tarif, le
gouvernement pourra faire percevoir le péage en régie.
S’il ne se présente pas
d’adjudicataires pour la perception des péages sur la route en fer, il est tout
à fait naturel que le gouvernement soit autorisé à établir une régie, comme il
le ferait sur toute autre route qu’il aurait ouverte à ses frais dans une
contrée où il n’existerait pas de communication.
M.
Smits. - Messieurs, la discussion générale a suffisamment expliqué le
projet de loi présenté par le gouvernement. L’amendement de l’honorable M. de
Puydt en détruirait toute l’économie. Cet honorable membre propose de mettre
immédiatement en adjudication le produit des péages, sans que le gouvernement
sache quel sera ce produit. Pourquoi le gouvernement demande-t-il qu’on lui
laisse faire une année d’expérience ? C’est pour connaître les revenus que
pourra produire la route. Or on ne peut connaître ces revenus qu’autant qu’on
aura pu évaluer les dépenses de l’exploitation.
On connaîtra bien le produit
du droit de barrière pour le trajet des voitures mais on ne connaîtra pas les dépenses
du matériel et il faut connaître ces dépenses pour évaluer les produits de la
route.
D’après la proposition de M.
de Puydt, le gouvernement rentrera dans l’intérêt et l’amortissement de son
argent. Je suppose que la section du chemin de fer de Bruxelles à Malines coûte
un million et demi, l’intérêt serait de 75 mille fr. ; en ajoutant 1 p. c.
d’amortissement, soit 15 mille fr., vous avez un total de 90 mille francs qui
serait le maximum que le gouvernement devrait recevoir. Mais si la route est susceptible
de produire 300 mille fr., pourquoi laisser ce bénéfice à l’exploitation
particulière, et ne pas le faire entrer dans les caisses de l’Etat ?
On a dit : Il est inutile que
le gouvernement ait des machines locomotives et tout le matériel nécessaire à
l’exploitation d’une pareille route. Je ferai observer que ce matériel est
indispensable dans tout état de choses. Le gouvernement doit avoir ce matériel
précisément pour prévenir le monopole.
Qu’arriverait-il,
si la route était laissée à l’exploitation particulière ? Il en résulterait
qu’un seul individu, une compagnie pourrait exploiter la route à son bénéfice.
Si les particuliers voulaient porter à un prix trop élevé les places des
voyageurs, le gouvernement viendrait avec son matériel sur la route établir la
concurrence et détruire le monopole. Je crois donc qu’il faut adopter le projet
du gouvernement, et écarter l’amendement de M. de Puydt ainsi que celui de M.
Liedts.
Comme l’ont dit MM. les
ministres de l’intérieur et des affaires étrangères, ce n’est qu’après quelques
mois d’exploitation que le gouvernement pourra voir s’il peut admettre les
voitures particulières sur la section de route qui va s’ouvrir. (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement de M. de Puydt
est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
M. le président. - L’amendement de M. Liedts est
une disposition additionnelle à l’article 1er ; je le mettrai aux voix après
cet article.
M.
Gendebien. - Je ne voterai pour l’art 1er qu’autant que cet amendement
sera adopté. Ainsi il faut le mettre d’abord aux voix.
- L’amendement de M. Liedts
est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
« Art. 1er.
Provisoirement, en attendant que l’expérience ait permis de fixer d’une manière
définitive les péages à percevoir sur la route susdite, conformément à l’art. 5
de la loi du 1er mai 1834, ces péages seront réglés par un arrêté royal. La
perception s’en fera, en vertu de cet arrêté, jusqu’au 1er juillet 1836. »
M.
Jullien. - J’ai tout à l’heure prié M. le ministre de l'intérieur
d’expliquer la portée de cet article ; de nous dire s’il entend que
l’expérience pourra durer au-delà du 1er juillet 1836, ou si elle devra cesser
à cette époque. La rédaction a quelque chose d’obscur.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- Il est évident que cet article n’a d’effet que jusqu’au 1er juillet 1836.
- L’art. 1er est mis aux voix
et adopté.
Articles 2 à 4
« Art. 2. Le gouvernement
pourra également établir des règlements pour l’exploitation et la police de la
nouvelle voie. »
- Adopté.
« Art. 3. Il pourra
déterminer les peines, conformément à la loi du 6 mars 1818, pour réprimer les
infractions aux dispositions prises en vertu de la présente loi. »
- Adopté.
« Art. 4. Le produit des
péages sera versé au trésor pour servir aux dépenses d’entretien et
d’administration de la route, ainsi qu’au remboursement des intérêts et des
capitaux affectés à sa construction. »
- Adopté.
Considérants
M. le
président. - Je vais maintenant mettre aux voix les considérants :
« Considérant que des
parties du chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834, n°330 (Bulletin officiel, XXIX), pourront être
prochainement livrées à la circulation publique.
« Vu l’art. 110 de la
constitution ;
« Nous avons, de commun
accord avec les chambres, etc. »
- Adopté.
Vote sur l’ensemble du projet
On passe à l’appel nominal sur
l’ensemble de la loi.
En voici le résultat.
Nombre des votants, 59.
Pour, 48.
Contre, 11.
Le projet est adopté. En
conséquence il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Bekaert,
Bosquet, Brixhe, Coghen, Coppieters, Cornet de Grez, Davignon, de Behr, de
Foere, A. Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de
Renesse, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de
Theux, Devaux, d’Hane, Donny, Eloy de Burdinne, Ernst, Hye-Hoys, Lardinois,
Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, A. Rodenbach, C.
Rodenbach, Rouppe, Schaetzen, Simons, Smits, Trentesaux, Ullens, Vandenhove,
Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen, L. Vuylsteke, Watlet et Raikem.
Ont répondu non : MM. de Meer
de Moorsel, de Puydt, Desmet, Doignon, Dumont, Gendebien, Jullien, Liedts,
Troye, Vanden Wiele et Vergauwen.
M. le
ministre de la guerre (M. Evain). - J’aurai l’honneur de proposer à la
chambre le projet de loi sur l’avancement des officiers dans l’armée. C’est le complément
du travail commencé pour le classement des officiers. Comme le projet de loi et
le rapport explicatif sont très longs, je demanderai la permission de les
déposer sur le bureau. (Oui ! oui !)
M. le
président. - La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation
du projet de loi qu’il vient de déposer sur le bureau. Ce projet et les motifs
qui l’accompagnent seront imprimés et distribués aux membres de la chambre.
Entend-on renvoyer ce projet
aux sections ou à une commission ?
M. le
ministre de la guerre (M. Evain). - Les conclusions de mon rapport
tendent au renvoi à une commission.
M.
de Puydt. - Je pense qu’on pourrait renvoyer à la section centrale
chargée de l’examen de la loi relative à l’organisation de l’école militaire,
la loi relative à l’avancement dans l’armée. Cette section centrale pourrait
être organisée en commission et saisie de ce projet de loi.
M. le président. - Je vais d’abord mettre aux voix
le renvoi à une commission. Je consulterai ensuite l’assemblée sur la
proposition de M. de Puydt.
- La
chambre consultée décide que le projet de loi sera renvoyé à une commission.
M. le
président. - Je vais mettre maintenant la proposition de M. de Puydt de
constituer en commission la section centrale chargée d’examiner la loi relative
à l’organisation de l’école militaire, pour la saisir du projet de loi sur
l’avancement dans l’armée.
M.
Jullien. - Je vois bien qu’il s’agit de militaires de part et d’autre,
mais je ne trouve pas de connexité entre la loi d’organisation de l’école
militaire et celle de l’avancement dans l’armée.
M.
de Puydt. - Plusieurs rapporteurs ont témoigné de la part de leurs
sections le désir de voir la loi sur l’avancement dans l’armée présentée avant
le vote de celle relative à l’organisation de l’école militaire, afin de
connaître dans quelle proportion les élèves pourraient concourir aux emplois de
sous-lieutenant. Ce rapport entre les deux lois a fait désirer que la même
commission s’occupât de toutes deux. La section centrale nommée pour examiner
l’une pourrait être saisie de l’autre et chargée d’en faire le rapport.
- La proposition de M. de
Puydt est mise aux voix et adoptée.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE
M. le
président. - Il faut maintenant fixer le jour et l’ordre du jour de la
prochaine séance.
Plusieurs voix. - Il faut s’ajourner jusqu’à convocation.
M.
Legrelle. - Je vous
prie, messieurs, de vous rappeler que nous avons des pétitions importantes qui
nous ont été adressées il y a plusieurs mois et dont le rapport est prêt. C’est
faute de temps si dans notre dernière séance vous n’avez pas entendu M.
Verrue-Lafrancq. Je demande que ces rapports soient mis à l’ordre du jour de
demain.
Plusieurs membres. - Le rapporteur est absent.
M.
Verdussen. - Je demanderai qu’on mette à l’ordre du jour une loi dont
le rapport est fait depuis longtemps, la loi d’organisation des cantons
judiciaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux).
- J’apprends à l’instant que la section centrale a terminé son travail sur la
loi des expropriations pour cause d’utilité publique, et que demain le rapport
sera livré à l’impression. Si la chambre voulait s’occuper des pétitions
demain, après-demain ou jeudi, on pourrait s’occuper de cette loi, et le temps
serait employé d’une manière utile.
Plusieurs membres. - A jeudi ! à jeudi !
- La séance est fixée à jeudi
à midi.
La séance est levée à 4 heures
un quart.