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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 14 juin 1834
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Proposition de loi relative au droit de sortie sur le bétail
3) Fixation de l’ordre des travaux de la chambre. Droit sur le bétail (d’Hoffschmidt), droit sur les lins et sur les toiles, loi communale (A. Rodenbach), idem et circonscriptions judiciaires (de Robaulx), indemnités pour dégâts par faits de la révolution (Legrelle), droit sur les lins (A. Rodenbach), formation des listes électorales (Dubus), droit sur les lins et sur les toiles (Desmet), (Eloy de Burdinne), personnel de certaines cours et tribunaux (Lebeau, Pollénus, Lebeau)
4) Projet de loi portant organisation des provinces. Second vote des articles. Approbation par le Roi du budget provincial (notamment droit de refuser certaines dépenses ou d’y inscrire une dépense obligatoire) (Jullien, Lebeau, de Theux, Dubus, de Theux, Jullien, Rogier, de Robaulx, Lebeau, Rogier, de Robaulx, de Theux, Rogier, de Robaulx, Gendebien), interdiction pour les membres de la députation d’intervenir dans certains marchés publics (de Theux, de Robaulx, Gendebien, H. Dellafaille, de Theux, Gendebien, H. Dellafaille, de Robaulx, de Theux, Gendebien, Jullien, Gendebien), délégation de mission à un membre de la députation (Verdussen, de Theux), publicité des actes de la députation pris en l’absence du conseil (Doignon, Rogier), possibilité pour la députation de faire des adresses (Doignon, Rogier), exécution par le gouverneur des délibérations du conseil et de la députation (Dewitte), droit de suspension et d’annulation d’un acte qui sort des attributions provinciales ou blesse l’intérêt général (Verdussen)
(Moniteur belge n°166 du 15 juin 1834 et Moniteur belge n°167 du 16 juin
1834)
(Présidence de M. Raikem)
(Moniteur belge n°166 du 15 juin 1834)
M. Liedts fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la
rédaction en est adoptée.
M. Liedts fait connaître l’objet des pièces adressées à
la chambre.
PIECES ADRESSEES A
« Cinq fabricants
de rubanerie demandent qu’il soit établi un droit de 100 fr. par 100 kilog. de
rubans, fils de lin ou coton étrangers, à leur entrée en Belgique. »
- Cette pétition est
renvoyée à la commission d’industrie.
_________________
« Les sieurs Petit
et Nehoul, fabricants de pipes, appellent l’attention de la chambre sur l’état
de détresse de leur industrie, et demandent que le droit d’entrée des pipes
étrangères soit augmenté jusqu’à fr. 4-23 par mille. »
_________________
« Le sieur Cluren,
cultivateur réfugié du polder inondé de Lillo, demande un à compte sur
l’indemnité qui lui revient du chef des pertes qu’il a éprouvées par
l’inondation. »
_________________
« Le sieur F.-M.
Benoist demande le paiement de l’indemnité qui revient au sieur Bricoux aux
droits duquel il est substitué du chef des pertes essuyées par lui en septembre
1830. »
_________________
« Le sieur
David-Guillaume-Town Altimor, officier pensionné, demande la
naturalisation. »
_________________
- Ces pièces sont
renvoyées à la commission des pétitions.
PROPOSITION DE LOI
RELATIVE AU DROIT DE SORTIE SUR LE BETAIL
M. Zoude, au nom de la commission d’industrie, présente
un rapport sur la proposition de M. d’Hoffschmidt, relative à la sortie du
bétail. (Ce rapport paraîtra dans le Moniteur).
M. d’Hoffschmidt. - Je demande que ma proposition
soit discutée immédiatement après le vote définitif de la loi provinciale. Je
pense qu’elle n’occupera pas longtemps l’assemblée ; elle se compose d’un très
petit nombre d’articles qui seront probablement adoptés sans aucune difficulté.
M.
A. Rodenbach. - J’appuie la demande de l’honorable préopinant ; sa
proposition ne nous occupera guère qu’une heure ou deux. Son adoption ne peut
pas souffrir de difficulté, car il s’agit de faire cesser une anomalie
hollandaise. La discussion pourrait avoir lieu lundi ou mardi.
Puisque j’ai la parole,
je demanderai qu’immédiatement après la discussion de la proposition relative à
la sortie du bétail, la chambre s’occupe de la proposition relative aux lins et
aux toiles. Il paraît que le rapport sur la loi communale ne sera déposé sur le
bureau que mardi. Il s’écoulera bien dix jours avant que ce rapport soit
imprimé.
M.
de Robaulx. - Il ne faut pas dix jours pour l’impression d’un rapport.
M.
A. Rodenbach. - Il paraît que ce rapport est très volumineux. Sa
discussion pourrait, tout au plus, commencer à la fin de la semaine prochaine.
Or, d’ici là, quand nous aurons terminé la loi provinciale et voté la
proposition sur le bétail, nous n’aurons rien à faire. Je demande donc qu’en
attendant la loi communale, on s’occupe de la loi relative aux lins.
M.
de Robaulx. - Je ne m’oppose nullement à ce que la proposition relative
à la sortie du bétail soit discutée immédiatement après le vote définitif de la
loi provinciale ; car je ne pense pas qu’elle doive occuper longtemps
l’assemblée. Mais je m’oppose à ce qu’on mette à l’ordre du jour, avant la loi
communale, la loi relative aux lins et aux toiles, loi qui doit, je pense,
donner lieu à de longs débats. Je ferai d’ailleurs remarquer qu’indépendamment
même de la loi communale, nous avons une autre loi plus urgente à discuter,
parce qu’il y a pour cette autre loi un délai fixé au ministre : c’est la loi
relative aux circonscriptions judiciaires. Vous savez (si je me trompe, M. le
ministre de la justice pourra me contredire), vous savez que le gouvernement
n’a que jusqu’au 1er octobre pour changer les juges de paix et les nommer
définitivement. (M. le ministre de la
justice fait un signe d’assentiment.)
Il
faut donc de toute nécessité que cette loi soit votée dans cette session même,
afin que le ministre sache quelles justices de paix il doit pourvoir de
titulaires. Il faut que cette loi soit votée le plus tôt possible et avant la
loi des lins.
Je demande que la
discussion de la loi communale ait lieu immédiatement après que le rapport sur
cette loi aura été présenté ; car c’est une matière que tout le monde connaît,
on n’a pas besoin pour s’en occuper d’un examen préparatoire. Si la chambre
croit devoir mettre un délai entre le rapport et la discussion de la loi
communale, je demande que dans cet intervalle de temps nous nous occupions, non
pas de la loi sur les lins, mais de la loi des circonscriptions judiciaires.
M.
Legrelle. - J’appuie la demande de M. d’Hoffschmidt tendant à ce que sa
proposition relative à la sortie du bétail soit discutée immédiatement après le
vote de la loi provinciale. C’est une loi libérale qui est dans l’intérêt de
l’agriculture et que j’approuve autant que je désapprouve telle autre loi dont
un honorable préopinant désire tant voir commencer la discussion. Si l’une,
comme je l’ai dit, est favorable à l’agriculture, l’autre est évidemment contraire
à ses intérêts.
J’appuie
également les observations de M. de Robaulx sur la nécessité de la loi des
circonscriptions judiciaires, Mais je rappellerai qu’il est une autre loi
encore plus urgente, c’est la loi des indemnités. Il y a très longtemps qu’on
demande où en est cette loi. On répond toujours que le rapport n’est pas fait.
Messieurs, c’est une loi d’équité et de justice ; vous ne pouvez vous empêcher
de faire un rapport sur cette loi. Des milliers de malheureux souffrent depuis
3 ans : lorsqu’il dépend de nous de mettre un terme à leurs maux, nous ne
devons pas nous y refuser.
Le ministère n’a rien à
se reprocher à cet égard. Il a présenté un projet de loi. Si la chambre n’y
donne pas de suite, c’est qu’elle ne l’aura pas voulu. Si elle se sépare sans
l’avoir votée, elle aura à se reprocher que les malheureux passeront l’hiver
sans recevoir des secours auxquels ils ont droit. Je demande, et l’équité
l’exige, que le rapport soit fait sur la loi des indemnités et qu’elle soit
votée dans cette session.
M.
A. Rodenbach. - Je ne suivrai pas l’exemple de l’honorable préopinant.
Je n’entrerai pas dans le fond de la question. Je me bornerai à persister dans
la demande que j’ai faite tendant à ce que la loi relative à la sortie des lins
soit mise à l’ordre du jour immédiatement après la discussion de la proposition
sur la sortie des bestiaux. Il ne s’agit pas ici de quelques individus, il
s’agit de l’industrie d’une population de 200,000 habitants qui attend, qui
demande cette loi à grands cris.
M.
Dubus. - Je rappellerai à la chambre qu’elle décidé que ma proposition
relative à la formation des listes électorales serait discutée immédiatement
après le vote définitif de la loi provinciale.
Un grand nombre de voix. - Oui, certainement.
M.
le président. - Voici comment la chambre a réglé jusqu’à présent son
ordre du jour : Fin du vote définitif de la loi provinciale ; discussion de la
proposition de M. Dubus ; discussion de la proposition de M. d’Hoffschmidt.
Plusieurs membres. - C’est cela.
M.
Desmet. - Je suis fâché de contredire l’honorable M. de Robaulx ; mais
si cet honorable membre connaissait toute l’importance de l’industrie linière,
je crois qu’il ne repousserait pas avec tant de véhémence, et vraiment sans de
trop bonnes raisons, la discussion du projet de loi sur l’entrée des toiles
étrangères et la sortie des lins. Si cette industrie n’est pas absolument dans
l’intérêt de sa province, je ne puis cependant soupçonner qu’un député aussi
libéral et aussi désintéressé que lui veuille mettre des entraves à ce que soit
mis en délibération un projet de loi qui a pour objet de favoriser une
industrie qui est d’un si haut intérêt pour les Flandres et d’on dépend
l’existence de leur populeuse classe de prolétaires. Je dois donc appuyer tout
ce que vient de dire, à ce sujet, l’honorable M. Alexandre
Rodenbach, et je fais la proposition formelle que le projet de loi sur les
toiles et les lins soit mis à l’ordre du jour immédiatement près le vote du
projet de loi sur la sortie du bétail. Je me flatte que la chambre n’agira pas
dans cet esprit de partialité, et qu’elle voudra aussi bien s’intéresser à la
prospérité et au bien-être des provinces de Flandres que des autres provinces
du royaume.
Plusieurs membres. - L’ordre du jour.
M.
Eloy de Burdinne. - Je demande que la chambre passe à l’ordre du jour
sans rien préjuger et en se réservant de décider quel est l’objet le plus
urgent, quel est l’objet dont elle s’occupera dans l’intervalle qui s’écoulera
entre le vote de la proposition de M. d’Hoffschmidt et le moment où la
distribution de la loi communale nous permettra de la commencer.
- L’ordre du jour est
mis aux voix et adopté.
M. le ministre
de la justice (M. Lebeau) - Je demanderai à M. le secrétaire de la commission chargée de l’examen
du projet de loi relatif à l’augmentation du personnel de quelques cours et
tribunaux, ce qui peut arrêter le travail de cette commission. Je reçois chaque
jour des différents magistrats et même du barreau de Bruxelles, les
réclamations les plus vives sur les entraves qu’éprouve constamment
l’administration de la justice civile et la justice correctionnelle en ce qui
concerne Bruxelles. Si, comme je le crois, ce qui a retardé la commission,
c’est l’indisposition de l’un de ses membres, indisposition qui,
malheureusement n’est pas encore sur le point de cesser, je provoquerai de la
part de la chambre ou du bureau une résolution tendant à compléter la
commission. La loi qu’elle a à examiner est très urgente. J’insiste pour qu’il
en soit fait rapport dans un bref délai.
M.
Pollénus. - L’indisposition de l’honorable. M. de Brouckere est en
effet cause que la commission n’a pas encore terminé l’examen du projet dont il
s’agit. Je viens d’avoir aujourd’hui un entretien avec M. le président de la
commission ; et quelque désir que nous ayons d’être aidés des lumières de
l’honorable M. de Brouckere, nous avons cru qu’il importait que la commission
reprît son travail. C’était une chose convenue avant l’interpellation de M. le
ministre de la justice. La chambre jugera s’il est nécessaire de compléter la
commission.
M. le ministre de la
justice (M. Lebeau) - Je commencerai par exprimer publiquement le vif regret que j’ai
devoir la commission privée des lumières de l’honorable M. de Brouckere ; si
l’objet était moins urgent, je serais le premier à demander qu’on attendît son
rétablissement. Mais l’urgence du projet est telle que je n’hésite pas à
demander que la commission soit complétée et termine son travail le plus tôt
possible.
M.
le président. - Peut-être la commission est-elle assez nombreuse pour
qu’on puisse se dispenser de la compléter ; elle se compose de MM. de Behr, Fleussu,
Schaetzen, de Brouckere, Liedts, Helias d’Huddeghem, Coppieters, Dubus et
Pollénus.
M. le ministre de la
justice (M. Lebeau) - Vu le nombre des membres de la commission, je retire ma proposition.
Second vote des
articles
Titre VI. Du conseil
provincial
Chapitre II. Des
attributions du conseil
M.
le président. - Voici un amendement au paragraphe 2 de l’art. 87
nouveau, que propose M. Jullien :
« Néanmoins le Roi
peut, sauf les exceptions mentionnées aux paragraphes 3 et 4 de l’article qui
précède, refuser son approbation à un ou plusieurs articles du budget et
approuver pour le surplus. »
M. le ministre de la
justice (M. Lebeau) - En l’absence momentanée de M. le ministre de l’intérieur, je crois
pouvoir déclarer qu’il ne se rallie pas à cet amendement.
M.
Jullien. - Messieurs, le long débat qui s’est élevé sur
l’interprétation du paragraphe 2 de l’art. 87 nouveau a pu vous convaincre
qu’il y a nécessité absolue à lui donner une solution claire, une solution
précise, parce que si vous le laissez subsister tel qu’il est, dès la première
formation des budgets des provinces, elles se trouveront en opposition
flagrante avec le gouvernement. En effet, messieurs, il suffit de se rappeler
le fond de ce débat.
D’un côté, le
gouvernement a soutenu que si vous n’adoptiez pas le deuxième paragraphe de
l’art. 87, vous détruisiez l’effet du paragraphe premier de l’art. 86, qui
soumet à l’approbation du Roi le budget de la province.
D’un autre côté, les
adversaires de cette interprétation ont dit au ministre : Si vous laissez
subsister le paragraphe 2 de l’art. 87, et surtout l’interprétation que vous
lui donnez, vous détruisez l’effet des exceptions portées dans les paragraphes
3 et 4 de l’art. 86.
Ces deux propositions ne
peuvent coexister à la fois : il faut donc chercher ce qui est vrai et donner
une solution à cette discussion.
Eh bien, voilà ce qui
est vrai : vous avez voulu, dans l’art. 86, soumettre à l’approbation du Roi,
avant d’être mises à exécution, les délibérations du conseil sur les objets
suivants : le budget, la création d’établissements publics, les acquisitions,
échanges, aliénations et transactions ; la construction des routes, canaux ;
les règlements de police, etc. Voilà ce que vous avez voulu soumettre
directement à l’approbation du Roi. Cependant vous avez posé dans ce même
article les exceptions qui se rapportent aux dépenses que vous avez laissées
comme facultatives aux états provinciaux. Ces exceptions sont énoncées dans les
paragraphes 3 et 4 de l’art. 86.
Quelle est la
conséquence des exceptions ? c’est sans doute qu’elles portent sur le budget
comme sur les autres actes du conseil, vous soumettez à l’approbation du Roi le
budget, les aliénations, les échanges, les règlements de police ; mais vous
posez une exception, et cette exception porte nominativement sur telle et telle
nature de dépense qui n’excède pas 10,000 fr. ou 50,000 fr. Ainsi toutes les
dépenses qui rentrent dans les limites du pouvoir laissé aux conseils
provinciaux ne peuvent être soumises à l’approbation.
En laissant l’article 86
comme vous l’avez adopté, et en l’isolant de l’interprétation donnée par M. le
ministre au deuxième paragraphe de l’art. 87, je défie un tribunal, un
jurisconsulte, un homme qui a quelque notion des lois et de la jurisprudence,
de lui donner une autre interprétation ; car toutes les fois qu’il y a une
exception posée, il faut interpréter la loi de manière à ce que l’exception ait
son effet, et cependant c’est ce que ne voudrait pas le ministre de l’intérieur
par le moyen du paragraphe 2 de l’article 87 nouveau ou plutôt par
l’interprétation qu’il lui donne.
Je crois avoir démontré
que si l’art. 86 subsiste tel qu’il est, il n’est pas possible de ne pas
comprendre le budget des conseils provinciaux dans les restrictions des
paragraphes 3 et 4, aussi bien que les actes dont parlent ces paragraphes et
qui de leur nature constituent le budget.
Voyons maintenant le
paragraphe 2 de l’art. 87 ; il dit : « Néanmoins. le Roi peut refuser son
approbation à un ou plusieurs articles du budget et l’approuver pour le
surplus. » Nous avons demandé à M. le ministre de l’intérieur quel était
le sens qu’il attachait à ce paragraphe. Entendez-vous que cette disposition
donne au Roi la faculté de désapprouver les dépenses comprises dans les limites
des paragraphes 3 et 4 de l’art. 86 ? Le ministre n’a pas hésité à répondre :
Oui, tout le budget est soumis à l’approbation du Roi ; les dépenses
facultatives comme les autres. C’est alors que nous avons soutenu que c’était
retirer d’une main ce que l’on donnait de l’autre.
Le ministre de
l’intérieur a essayé de justifier son interprétation en disant que sous
l’ancien gouvernement les budgets étaient soumis à deux sortes d’approbation :
l’approbation relative à la fixation de la dépense, ensuite l’approbation
relative à l’application de la dépense ; et il a ajouté que sous ce rapport il
n’était plus besoin, aujourd’hui que d’une simple approbation, et que c’était
en ce sens que consistait l’émancipation donnée aux conseils provinciaux. Je
demande s’il n’y a pas quelque chose d’ironique dans cette manière d’émanciper
? Quoi, les provinces sont émancipées parce que sous l’ancien gouvernement
hollandais leurs dépenses étaient soumises à deux approbations, et que
désormais elles ne seront soumises qu’à une approbation ? Mais que m’importe
votre seconde approbation si vous me refusez la première ? Si vous rejetez un
article de mon budget, n’est-il pas ridicule de venir m’opposer que je suis
émancipé parce que je n’ai pas besoin d’une seconde approbation ? J’avoue que
je n’ai pas compris le raisonnement de M. le ministre ; c’est sans doute le
défaut de mon intelligence.
Le but de mon amendement
est facile à saisir ; c’est de ne laisser aucun doute sur la réalité de
l’émancipation qu’on a voulu accorder aux provinces, jusqu’à la concurrence de
certaines sommes.
Je vous prie de faire
attention à une observation qui, je crois, n’a pas encore été soulevée et qui
est celle-ci : c’est que le paragraphe 2 de l’art. 87 n’est lui-même qu’une
restriction au paragraphe premier de ce même article. Veuillez examiner la
combinaison de ces deux paragraphes ; vous avez posé des restrictions dans
l’art. 86, maintenant voici ce que porte l’art. 87 : « Les délibérations
dont il s’agit à l’article précédent, seront approuvées, s’il y a lieu, telles
qu’elles auront été votées par le conseil, et
sans modification. » Ainsi, messieurs, il est entendu par cette
première disposition que le Roi aura le droit d’approuver ou de désapprouver
les délibérations dont il s’agit dans l’art. 86, mais qu’il devra faire cette
approbation, ou cette désapprobation, sans modification, c’est-à-dire sans rien
changer à l’acte du conseil ; il pourra dire seulement : J’approuve ou je
désapprouve.
Mais on a voulu faire
une exception à cette disposition précisément pour le budget ; on a dit : Quant
au budget, qui doit contenir la dépense facultative, et celles qui ne le sont
pas, le Roi pourra refuser d’approuver tel article, rejeter ou supprimer tel autre,
et approuver pour le surplus ; en adoptant cette disposition, vous avez voulu
faciliter la marche de l’administration provinciale, car s’il avait fallu
rejeter tout le budget pour un seul article soumis a l’approbation, on aurait
paralysé le service le plus essentiel de toute administration.
Voilà, messieurs, le
seul but de cette exception ; on a voulu restreindre la disposition sans
modification aux articles du budget qui sont susceptibles d’être approuvés par
le Roi.
Maintenant, si vous
voulez détruire au moyen d’une interprétation les restrictions des 3ème et 4ème
paragraphes de l’article 86, vous aurez fait une œuvre inutile ; car à quoi bon
poser les exceptions dans un article, si vous les enlevez dans un autre au
moyen d’un paragraphe plus ou moins obscur ? Il n’y a pas moyen de répondre
d’une manière logique à cet argument.
Ainsi, je crois avoir
démontre clairement que vous avez admis l’article 86 d’une manière absolue, et
que vous ne pouvez revenir sur ses dispositions par une voie détournée.
J’ai pensé, messieurs,
que vous ne pouvez laisser les choses comme elles sont, malgré la discussion
lumineuse à laquelle M. le ministre de l’intérieur s’est livré ; car je suis
convaincu que si la loi reste écrite comme elle l’est, et que les conseils
provinciaux fassent leurs budgets en conséquence, ils seront fondés à soutenir
que le gouvernement n’a pas le droit de rejeter les dépenses facultatives
portées dans le budget, attendu que le vote de ces dépenses est dans la limite
des pouvoirs qui leur sont accordés par les paragraphes 2 et 3 de l’art. 86.
En
résumé, messieurs, toute l’économie de la loi prouve qu’on a voulu débarrasser
les provinces des entraves de tout genre contre lesquelles on n’a cessé de
réclamer sous tous les gouvernements précédents ; on n’a pas voulu que, pour
des affaires de peu d’importance, il fallût continuellement recourir au pouvoir
central, aux risques de voir périr dans les lenteurs de la bureaucratie les
intérêts qui formaient l’objet de ce recours.
On n’a certes pas voulu
affranchir les provinces de toute tutelle, de tout contrôle ; on ne les laisse
pas maîtresses de compromettre leurs principales ressources, mais on a voulu
les relever d’une tutelle tracassière, ruineuse, absolue, en leur laissant dans
de sages limites une liberté d’action, qui devient nulle, dérisoire avec votre
interprétation.
M.
de Theux, rapporteur. - L’honorable préopinant estime que, d’après les
dispositions des art. 86 et 87, telles que la chambre les a votées, les
conseils provinciaux seront en droit de se croire autorisés à faire les
dépenses facultatives contenues dans les paragraphes 3 et 4 de l’art. 86, alors
même que les dépenses ne se trouveraient pas autorisées dans le budget par le
Roi.
Messieurs, si la
conviction de l’honorable préopinant était aussi forte qu’il l’a énoncé, il se
serait abstenu de proposer son amendement ; il se serait contenté de la
rédaction qui doit le satisfaire entièrement dans son opinion.
Mais l’honorable M.
Jullien s’est trompé à l’égard de l’art. 86 ; il a perdu de vue que la chambre
a elle-même fixé son opinion sur le sens de cet art. 86, en rejetant un
amendement de M. Fallon, amendement qui est identiquement le même que celui que
propose aujourd’hui M. Jullien ; il suffirait en effet de retourner la
rédaction de M. Fallon pour avoir la disposition de M. Jullien.
M. Jullien dit : Le Roi
peut, sauf les exceptions mentionnées aux paragraphes 3 et 4 de l’art. 86,
refuser sou approbation à un ou plusieurs articles du budget et l’approuver
pour le surplus. » Ainsi l’honorable M. Jullien refuse au Roi le droit de
refuser son approbation aux articles du budget qui contiendraient les dépenses
énumérées dans les paragraphes 3 et 4 de l’art. 86, lesquelles dépenses ne sont
pas soumises à l’approbation spéciale du gouvernement ; or, c’est précisément
ce qu’avait proposé l’amendement de M.
Fallon.
Voici cet amendement :
« Néanmoins, le Roi peut refuser son approbation à tout article du budget
qui aurait pour objet l’exécution d’une délibération sujette à son approbation
par l’article précédent, si cette délibération n’a point été préalablement
approuvée, et il devra approuver le budget pour le surplus. »
Je crois que c’est à bon
droit que vous avez rejeté le premier amendement, et que vous persisterez dans
votre opinion.
J’essaierai, messieurs,
d’exposer le système clairement établie dans la loi.
L’art. 86 porte en
principe que toutes les dépenses provinciales doivent être portées au budget de
la province ; d’un autre côté, l’art. 112 établit ce principe qu’aucun mandat
ne peut être payé que dans les limites des crédits ouverts aux budgets de la
province.
Il est donc constant
que, dans le système de la loi, on ne peut jamais faire de dépenses avant
qu’elles ne se trouvent établies dans le budget, et que les fonds nécessaires
pour les couvrir ne s’y trouvent portés.
J’en viens à ce qui
concerne l’approbation du Roi. Le chapitre III est ainsi intitulé : « De
l’approbation et de l’intervention du Roi ou du pouvoir législatif relativement
aux actes du conseil. »
L’art.. 86 contient donc
six catégories d’objets qui doivent chacune recevoir l’approbation spéciale du
Roi avant de pouvoir recevoir aucune espèce d’exécution. Les numéros 3 et 4 ne
sont pas, comme l’a dit l’honorable M. Jullien, des amendements du n°1. Il
suffit de jeter les yeux sur ces divers numéros pour se convaincre du
contraire. Le numéro 1 porte que le budget provincial devra être approuvé par
le Roi. A l’égard du budget, il n’y a pas la moindre limitation. L’approbation
royale doit porter sur tous et chacun des articles du budget, là où la loi ne
fait pas de distinction, nous ne pouvons pas non plus en établir. Le numéro 2
exige l’approbation royale pour la création d’établissements d’utilité publique
aux frais de la province. Ici la loi n’établit pas non plus de distinction et
ne prend pas en considération le plus ou moins d’importance des objets rentrant
dans cette catégorie. Le numéro 3 est ainsi conçu : (Ici l’orateur cite le texte de ce numéro.)
Ce numéro ne renferme
donc pas un amendement au n°1°, comme on l’a avancé, mais bien à lui-même. Cela
est tellement vrai qu’il énumère des objets qui ne doivent pas faire partie du
budget. Ainsi, la plupart du temps, les transactions et les aliénations ne sont
pas portées au budget. Ce n’est que lorsque l’aliénation est consommée, que les
fonds provenus de ce chef figurent dans le budget des voies et moyens comme
recette provinciale. Le n°4 porte : (Ici
l’orateur cite le texte de ce numéro.)
Ainsi, même distinction
qu’au numéro précèdent, relative à l’importance des objets. Les deux numéros
suivants n’établissent aucune espèce de distinction.
Maintenant l’on dit : A
quoi bon excepter de l’approbation du Roi les acquisitions ou les aliénations
d’une somme au-dessous du chiffre de 10,000 francs ? A quoi bon excepter de
l’approbation royale les dépenses relatives à des travaux publics qui ne
montent pas à une somme totale de 50,000 francs ? Si toutes les dépenses de
cette nature doivent être portées au budget, il suffit que le Roi puisse
rejeter la dépense lors de la présentation du budget, pour rendre illusoire la
faculté accordée au conseil.
Je répondrai qu’outre
l’approbation du budget provincial, si les n°3 et 4 n’y pourvoyaient, il faudrait
une approbation spéciale pour chacun des objets spécifiés dans ces numéros :
c’est là que commence l’indépendance financière de la province.
Si les exceptions
ci-dessus mentionnées n’étaient pas établies, il faudrait que la députation ou
le conseil, avant de pouvoir entreprendre un ouvrage quelconque d’une valeur
au-dessous de 50,000 fr., soumissent les plans et devis de cet ouvrage à
l’autorité supérieure, afin d’en obtenir l’autorisation spéciale de les mettre
à exécution. Or, c’est cette autorisation dont l’obligation vient d’être
supprimée. Le gouvernement n’a plus besoin de se faire produire les plans et
devis d’un ouvrage dont la valeur n’excède pas cinquante mille francs ; il lui
suffit d’obtenir l’assurance que la dépense ne dépasse pas cette somme. Il en
est de même à l’égard des acquisitions, transactions ou aliénations : il se
contente de savoir si la somme affectée ne s’élève pas à plus de 10,000 fr.
Les
numéros 3 et 4 apportent donc des modifications au système actuel, et leurs dispositions
ne contredisent en aucune manière celles qui font l’objet du numéro 1°. Mais le
système de M. Jullien constitue une contradiction formelle avec ce numéro 1°,
et c’est à cette partie de l’art. 86 que son amendement aurait dû trouver
place. Il aurait dû, lors du vote de ce numéro, ajouter à la fin ces mots : « à
l’exception des objets mentionnés dans les articles 3 et 4. » Mais puisque
ce numéro 1° a été voté sans observation, je ne conçois pas que l’on revienne
sur la décision prise par la chambre en lui soumettant l’amendement que je
combats. Je ne pense pas devoir insister davantage sur ce point.
Dans mon opinion,
l’interprétation de l’art. 86 est trop évidente pour qu’elle puisse donner
matière à un doute sérieux. S’il avait pu exister, il aurait été dissipé
entièrement par le rejet de l’amendement de M. Fallon ; et le sort semblable
qu’éprouvera probablement celui de M. Jullien, confirmera surabondamment la
législation à l’égard de la question qu’il a soulevée.
M.
Dubus. - Selon l’honorable préopinant, la question n’est pas dans la
portée du premier paragraphe de l’art. 87, mais bien dans l’art. 86. Cet
article a été voté sans amendement. Vous ne pouvez revenir sur la décision de
la chambre. Je crois que j’entre bien dans le sens des paroles de l’honorable
rapporteur de la section centrale. Eh bien, en ce point, je suis d’accord avec
lui ; je pense aussi que toute la question est dans la portée de l’art. 86 déjà
voté. Plus je considère la manière dont l’art.
Le gouvernement, ainsi
que la section centrale, avait proposé l’art. 86, sans le faire suivre des
dispositions de l’art. 87. Remarquez bien que cet article n’a pas été proposé
pour amender le précédent dans un sens défavorable à la liberté des provinces,
mais c’est pour résoudre un doute conçu par un honorable membre de cette
assemblée qu’il a été inséré dans la loi. Il fallait faire consacrer le
principe de l’indivisibilité des résolutions du conseil. Quant à l’approbation
royale à laquelle elles pouvaient se trouver soumises par l’art. 66, le
deuxième paragraphe de l’art. 87 n’a d’autre portée que de faire exception à ce
principe d’indivisibilité en ce qui concerne le budget, c’est-à-dire, il
établit que le Roi peut diviser le budget en approuvant certaines parties ;
mais il n’a point pour objet d’autoriser le Roi à retrancher du budget telle
dépense qu’il lui plairait, si déjà il résultait de l’art. 86 qu’il ne peut
refuser de sanctionner certaines dépenses.
Examinons donc si, en
effet, il est dans l’art. 86 des objets pour lesquels l’approbation royale ne
peut être refusée.
Je reporte donc la
question à l’article 86. D’abord, quel est l’objet de cet article ? C’est
d’abord de soumettre certains actes spéciaux à l’approbation royale, d’une autre
part d’excepter spécialement certains autres actes de la nécessité de cette
approbation. Quelle est donc la conséquence de cette différence établie entre
les délibérations de nature diverse des conseils provinciaux ? C’est que les
actes soumis à l’approbation du Roi ne sont exécutoires, ne sont obligatoires
pour la province que du jour que l’approbation royale les a sanctionnés, tandis
que les actes exceptés de cette approbation ont force de loi et engagent même
la province du moment que le conseil provincial les a votés.
Si leur nature est de
produire des obligations, si ce sont des contrats, ils lient irrévocablement la
province du moment que le conseil provincial a prononcé. Je suppose que
l’honorable M. de Theux ne contestera pas ces prémisses.
Prenons des exemples. Le
n°1 de l’article 86 cite entre autres objets soumis à l’approbation royale les
emprunts contractés par la province. Du moment qu’ils auront été revêtus de
cette approbation, ils deviendront dette de la province quant au capital et aux
intérêts.
Par conséquent le
paiement de ces intérêts annuels devient une dépense obligatoire de la
province, et une dépense de nature telle que le gouvernement, par aucun moyen,
ne peut s’y opposer.
Je suppose, dans
l’espèce du n°4 du même art. 86, que le conseil vote la construction d’un
ouvrage. De deux choses l’une : ou bien cet ouvrage, dont il approuve
l’adjudication, emporte une dépense de plus de 50 mille francs, ou bien la
dépense doit rester au-dessous de ce chiffre. Dans le premier cas, il n’y a aucun
engagement pour la province jusqu’à l’approbation du gouvernement ; mais, après
cette approbation, la dépense devient obligatoire pour la province. Si au
contraire la dépense n’excède pas 50 mille francs, l’obligation existe du
moment du vote du conseil ; elle lie tout autant la province sans l’approbation
royale, que la première du moment où l’approbation royale a été donnée. S’il
était question d’une acquisition, je ferai la même distinction pour le cas où
elle excéderait 10 mille francs, et pour celui où elle ne serait que de 10
mille francs. S’agit-il d’aliénation ? Même distinction ; elle est consommée du
moment du vote du conseil, si le prix est de 10 mille francs et au-dessous.
L’aliénation est
tellement consommée que la propriété passe à l’acquéreur sans qu’on puisse la
révoquer. Alors le prix est acquis à la province et devient une somme à porter
nécessairement aux voies et moyens de la province. Si, au contraire, le prix de
l’aliénation excède dix mille francs, alors elle n’est consommée que du moment
que l’approbation du Roi a été donnée. Voilà ce qui, dans mon opinion, résulte
nécessairement de l’article 86. Que les actes soient soumis à l’approbation
royale, une fois cette approbation donnée, ou qu’ils soient formellement
exceptés de cette approbation, l’effet est le même. Dans un cas, comme dans
l’autre, il en résulte pour la province une dette légitime, irrévocable, que la
province ne peut pas s’empêcher de payer, dont le gouvernement n’a pas le
pouvoir de libérer la province. Je pense que sur ce point je serai encore
d’accord avec l’honorable préopinant.
Mais ici je me heurte à
la véritable difficulté que soulève le préopinant. D’après le n°1 du même
article, dit-il, sont soumis à l’approbation du Roi les budgets des dépenses de
la province et les moyens d’y faire face. Cela est vrai ; mais que résulte-t-il
de cette nécessité de soumettre à l’approbation du Roi le budget des dépenses
et les moyens d’y faire face ? Je dis que pour résoudre cette question, il faut
distinguer la nature des dépenses, comme la nature des voies et moyens ; il
faut distinguer les dépenses obligatoires et les dépenses facultatives. Quelles
sont les dépenses obligatoires ? Ce sont : 1° les dépenses imposées à la
province par les lois ; 2° celles que la province aurait contractées avec
l’approbation du Roi, dans les cas où l’approbation est requise, ainsi que les
dépenses résultant d’engagements contractés sans l’approbation du Roi, dans les
cas qui sont formellement exceptés de la nécessité de cette approbation. Toutes
ces dépenses sont aussi obligatoires l’une que l’autre ; le pouvoir royal ne
peut pas plus affranchir la province de l’une que de l’autre de ces
obligations.
Eh bien, que fera le
gouvernement dans ces circonstances ? pensez-vous que, de ce qu’il a droit d’approuver
le budget, il puisse rayer ces dépenses et déclarer que la province est quitte,
qu’elle ne devra pas les payer ? Assurément ce n’est pas là ce que vous voulez,
ni ce que vous pouvez vouloir dire.
Je pense que toute
l’action du gouvernement, relativement à ces dépenses, se bornera à examiner si
les sommes portées au budget n’excèdent pas à ce quoi la province est obligée.
Si ces dépenses sont le montant fixe d’engagements pris, on ne peut que les
maintenir au budget ; si elles sont d’une nature plus ou moins variable, il y a
à examiner s’il n’y a pas excès dans les prévisions. Le gouvernement ne peut
pas aller plus loin ; vous n’avez pas pu lui donner le droit de forcer une
province à manquer à ses engagements, en un mot à faire banqueroute.
Il n’en est pas de même
pour les dépenses facultatives ; le gouvernement examine non seulement si elles
sont excessives, mais si elles sont utiles. Cette question d’utilité ne peut
pas se présenter dans les cas précédents, parce qu’on ne peut pas examiner s’il
y a utilité pour une province de payer des dettes quand elles sont exigibles.
Il y a nécessité. Voilà ce que le gouvernement est, selon moi, est droit de
faire quant aux dépenses du budget des provinces.
J’arrive à la seconde
partie du budget, aux moyens de faire face aux dépenses. Eh bien, il y a encore
ici une distinction à faire. Il peut y avoir des moyens, un actif certain
résultant d’actes antérieurs ou approuvés ou dispensés d’approbations. Ainsi si
la province a contracté un emprunt avec l’autorisation du Roi, le capital de
cet emprunt est un actif que je ne crois pas au pouvoir du gouvernement de
rayer du budget des voies et moyens. Voilà un article qui échappe au contrôle
du gouvernement, en ce sens qu’il n’est pas en son pouvoir de priver la province
de cet actif, en rayant la somme du budget. La province a-t-elle fait une
aliénation d’immeuble d’une valeur supérieure à dix mille francs ? Si
l’aliénation a été approuvée par le Roi et que le prix soit exigible dans
l’année pour laquelle le budget est fait, voilà encore une somme portée aux
voies et moyens sans que le gouvernement puisse s’y opposer, sur laquelle le
gouvernement n’a plus de contrôle à exercer. Si l’immeuble aliéné est d’une
valeur qui n’excède pas dix mille francs, comme l’aliénation est consommée du
jour où elle a été votée par le conseil, se trouvant formellement exceptée de
l’approbation royale, le prix doit également être porté au budget, sans que le
gouvernement puisse la rayer. La propriété a irrévocablement passé à
l’acquéreur. S’agit-il d’impôts consentis pour plusieurs années avec
approbation du gouvernement ? Le produit de cet impôt est légalement porté au
budget. Le gouvernement ne peut pas rapporter sa décision antérieure.
Mais s’agit-il d’autres
moyens de faire aux dépenses, notamment des moyens extraordinaires ? Ici
s’exerce dans toute sa plénitude le contrôle du gouvernement. Il examine si ces
moyens sont convenables ou les plus convenables, ou n’excédant pas les besoins.
Tout cela est soumis au contrôle du gouvernement qui n’approuve qu’après avoir
examiné toutes ces questions. Voilà comme je conçois l’action du gouvernement,
en exécution du n°1 de l’art. 86.
Il me semble qu’il y
aurait absurdité à l’entendre autrement. Cela revient à ceci : contrôle des
dépenses obligatoires, mais seulement pour vérifier s’il n’y a pas excès ;
contrôle des dépenses facultatives pour s’assurer si elles sont utiles ou ne
sont pas excessives ; contrôle des moyens de faire face aux dépenses, mais afin
de s’assurer si, outre les moyens que fournissent déjà des actes irrévocables,
outre les moyens ordinaires résultant de délibérations antérieures et
approuvées, il y a lieu, pour satisfaire à des besoins extraordinaires, de
s’arrêter à tel moyen extraordinaire plutôt qu’à tel autre, pour faire face aux
dépenses.
Il me semble, messieurs,
que voilà bien toute la théorie de l’art. 86. L’entendre autrement, ce serait
réduire cet article au n°1, car tout serait renfermé dans ce numéro et le reste
serait devenu complètement inutile.
Maintenant, je reviens à
l’art. 87, et je demande s’il a modifié le sens de l’art. 86, tel que je viens
de l’exposer.
Je l’ai dit en
commençant, aucune modification semblable ne résulte des termes des deux
premiers paragraphes de l’art. 87. Pour toutes les délibérations du conseil, il
y a indivisibilité quant à l’approbation excepté pour le budget. D’où il
résulte, disent nos adversaires, que le gouvernement peut approuver une partie
sans approuver le reste. Cela est vrai pour certains cas, mais il n’en résulte
pas qu’il puisse retrancher un article de la dépense ou un article de l’actif
qui, nécessairement, est de droit d’après les n°3 et 4 de l’art. 86. Il n’y a
rien dans l’article 87 qui se prête à d’aussi étranges conséquences.
Je crois avoir présenté
l’art. 86 dans son véritable sens, et si vous ne l’admettez pas, il faut
reconnaître alors que les 3° et 4° ne signifient absolument rien. On soutient
toutefois qu’ils présenteront encore de l’utilité, et pour le prouver, on a
fait une supposition. Le conseil provincial, dit-on, pourra porter au budget
une somme de 100,000 fr., par exemple, pour acquisitions, échanges,
aliénations, construction de routes, canaux, et voter dans l’année pour
laquelle le budget est fait ; et après que cet article du budget aura été
approuvé, la province pourra sans nouvelle approbation faire, tant qu’elle le
jugera convenable, des acquisitions, échanges, aliénations et transactions
relatives à des biens dont la valeur n’excède pas 10,000 fr., faire construire
des routes, canaux et autres ouvrages dont la dépense totale ne soit pas
au-dessus de 50,000 fr. A cet égard-là, dit-on, vous aurez les coudées
franches.
A cela je répondrai que
jamais le conseil ne portera au budget des articles semblables, et que s’il en
porte, jamais le gouvernement ne les approuvera. D’abord le conseil ne votera
pas de telles dépenses, parce que, quant à lui, il se réserverait inutilement
de voter l’application spéciale de la somme ainsi votée. Comment, lui qui ne
siège que 15 jours par année, irait-il porter au budget une somme de 100,000
fr. dont il lui serait impossible de déterminer l’application ? Ce serait comme
s’il mettait cette somme à la discrétion de la députation. Or, je ne crois pas
qu’il agisse ainsi ; je pense qu’il comprendra autrement son mandat.
En deuxième lieu, ai-je
dit, le gouvernement n’approuverait pas de telles sommes dans le budget
provincial. Le gouvernement, à qui on demandera 100,000 francs sans application
spécial, dira : Je veux connaître l’application de la dépense. Je ne veux pas
approuver une somme dont l’emploi ne m’est pas bien connu, jusqu’à ce qu’on lui
ait donné ces indications, il dira : J’ai le droit de ne pas approuver le
budget ; et, en effet, il y refusera son approbation. Et les paragraphes 3 et 4
de l’art. 86 se trouveront ainsi réduits à rien.
Pour que ces paragraphes
signifient quelque chose, il faut supposer que pour les dépenses de la nature
dont il s’agit, et dans la limite des sommes déterminées, il ne pourra pas y
avoir de premier contrôle du gouvernement ; car, ainsi que l’a fait remarquer
un honorable préopinant, il importe fort peu de diminuer le nombre de vos
approbations, et ce n’est pas émanciper la province que décider que telle ou
telle résolution du conseil, au lieu de deux approbations, n’aura besoin que
d’en recevoir une.
Voici, à mon avis,
comment les choses se passeront.
Je viens de faire
remarquer que le conseil ne se réunirait en session ordinaire qu’une fois par
année et seulement pour 15 jours environ. Dans ces 15 jours il fera tout ce qu’il
importe de faire. Ainsi il pourra approuver l’adjudication de la construction
d’une route ou de tout autre ouvrage public dont la dépense totale coûtera par
exemple 40,000 francs, et dans la même session il portera ces 40,000 francs au
budget. D’après le texte de l’article 86, les dépenses de cette nature étant
dans ces limites dispensées de l’approbation royale, l’adjudication des travaux
sera irrévocable du moment que le conseil l’aura approuvée, et par l’effet même
de ce vote la province sera valablement obligée ; elle sera obligée en
droit, elle sera obligée devant la loi, devant la justice. En droit le conseil
sera tenu de payer cette somme de 40,000 francs. Et cependant en fait il ne le
pourra pas, si le gouvernement s’attribue le droit de refuser son approbation à
cet article du budget. Il ya ici contradiction manifeste.
Il n’y a qu’un seul cas
dans lequel le gouvernement pourrait porter, pour quelque temps du moins, une
sorte d’atteinte à des engagements valablement pris par le conseil ; ce serait
le cas où les dépenses portées au budget excéderaient les ressources
ordinaires, le budget des voies et moyens.
Voilà pourquoi je serais
d’accord avec l’honorable préopinant, s’il avait persisté à dire qu’une somme
portée en dépense au budget en exécution d’une résolution du conseil dispensée
de l’approbation doit y rester pour autant qu’elle est dans la limite du budget
des voies et moyens. Je serais demeuré d’accord avec lui s’il avait expliqué
ainsi l’art. 87, et tel était le sens des explications que j’avais demandées
dans la séance d’hier ; mais les explications qu’il a données ne rentrent pas
dans ce système ; il entend que le premier paragraphe de l’art 86 absorbe tout
le reste de l’article : le reste n’est plus qu’une superfluité. Or je ne crois
pas qu’on puisse interpréter l’article de cette manière.
D’après la portée que
donne le préopinant au premier paragraphe de l’art. 86 et au paragraphe de
l’art. 87, la somme nécessaire pour payer les intérêts d’un emprunt contracté
avec l’approbation du Roi pourrait être rayée du budget ; le Roi pourrait
refuser son approbation à cette partie du budget. Or, il est évident qu’il n’en
est pas ainsi, que le Roi ne peut refuser d’approuver une dépense à faire en
vertu d’un engagement parfait et irrévocable.
Quant
à l’amendement proposé par l’honorable
M. Jullien, il devient inutile si l’art.
M.
de Theux, rapporteur. - Si seulement M. Jullien avait persisté dans
l’opinion qu’il a émise sur l’art. 86, j’aurais cru suffisant ce que j’ai dit
précédemment, je n’aurais pas parlé de nouveau ; mais l’honorable M. Dubus a
présenté des arguments auxquels il est nécessaire que je réponde. Toutefois, je
ne répondrai pas à ce qu’il a dit sur le budget des voies et moyens, car cet
objet n’est pas en discussion. Il a dit que le gouvernement serait obligé
d’approuver les acquisitions, échanges, aliénations relatives à des biens dont
la valeur n’excéderait pas 10,000 fr., la construction d’ouvrages publics dont
la dépense totale ne dépasserait pas 50,000 fr. : je le pense comme lui ; je
pense que loin de rejeter du budget de telles dépenses votées par le conseil,
le gouvernement les y ferait porter si elles n’y figuraient pas.
De ce chef, je ne suis
pas en contradiction avec l’honorable préopinant.
Je reviens au budget des
dépenses ; ici je suivrai l’orateur dans les distinctions qu’il a établies. Il
a posé en principe que les dépenses déterminées par les paragraphes 3 et 4 de
l’art. 86 n’avaient pas besoin de l’approbation royale, qu’elles étaient
parfaites par le seul effet de la délibération du conseil, aussi parfaites que
le sont par suite de l’approbation du Roi celles qui y sont soumises par la loi.
A cet égard je suis d’accord avec l’honorable préopinant ; mais voici où nous
différons : le préopinant pense que par cela seul que la construction
d’ouvrages publics a reçu l’approbation du Roi ou qu’elle a été votée par le
conseil dans la limite de ses attributions, le conseil peut immédiatement faire
la dépense. Non, il ne peut pas la faire.
Il faut que la somme
soit portée dans le budget ; il faut que la dépense, après avoir été délibérée
par un acte particulier du conseil, soit, par une autre délibération, portée
ultérieurement dans le budget des dépenses, et que le budget des voies et
moyens fournisse de quoi couvrir la dépense : alors seulement l’acte du conseil
devient exécutoire, et toute exécution donnée avant l’approbation du budget,
est une exécution aux risques et périls de celui qui l’entreprend ; sans cela
vous devez rayer plusieurs dispositions de votre loi.
Messieurs, il me reste
une autre observation à faire sur les paragraphes 3 et 4 de l’art. 86 ; c’est
que si l’on admettait l’interprétation que leur a donnée l’honorable
préopinant, ces paragraphes seraient incomplets. Ils seraient incomplets, parce
qu’ils ne peuvent pas autoriser chaque province à faire des dépenses au-dessus
de 10,000 ou au-dessus de 50,000 fr,, sans dire jusqu’à quelle limite la
province doit s’arrêter : si la province ne doit pas s’arrêter, elle fera
plusieurs dépenses de 10,000 fr. et plusieurs dépenses de 50,000 fr., et pourra
compromettre sa situation financière ; elle pourra s’endetter.
Les numéros 3 et 4
n’ayant pas de limite, ils ne peuvent recevoir d’explication fondée que celle
que je leur donne : l’acte peut être délibéré ; mais, après avoir été délibéré,
il doit figurer au budget, et obtenir là l’approbation royale, quant aux
ressources nécessaires à l’exécution de l’acte. Sans ressources point de
dépenses possibles ; point de dépenses tolérées.
A quoi servent donc les
numéros ? nous dit-on. Je ne peux trop le répéter : ils reçoivent leur
application en ce sens que la délibération du conseil n’a pas besoin d’approbation
en tant que délibération particulière. Ainsi le conseil décide la construction
d’un établissement d’utilité publique d’une valeur de 50,000 francs ou
au-dessous, et on n’envoie pas la délibération à l’approbation du Roi. Mais
lorsque la province présentera son budget, le conseil sera bien obligé de
porter une somme de 50,000 francs en conséquence de sa délibération, et le Roi
pourra rayer la somme s’il trouve qu’elle excède les ressources ordinaires de
la province. Mais, soit que le Roi autorise ou refuse l’allocation portée au
budget, il ne fera pas examen de la délibération. Voilà l’explication des
numéros 3 et 4 de l’article 86. (Aux voix
! aux voix (Erratum inséré au
Moniteur belge n°134, du 14 mai 1834 : « A M.
le directeur du Moniteur belge.
« Monsieur, je viens de remarquer que, dans les sept dernières
lignes du discours que j’ai prononcé dans la dernière séance, en réponse à
celui de M. Dubus, le sténographe m’a mis en contradiction avec la suite de mon
discours et avec l’opinion que j’ai constamment soutenue dans cette discussion.
Je vous prie, monsieur, de faire insérer dans votre plus prochain numéro la
rectification suivante, qui doit remplacer ces lignes :
« Il a dit (M. Dubus) que le gouvernement serait tenu d’admettre au
budget des voies et moyens le produit d’une aliénation de 10,000 fr. ou
au-dessous, faite sans son autorisation, aussi bien que le produit d’une
aliénation plus considérable faite en vertu de son autorisation ; je le pense.
comme lui, parce que cette aliénation est légale.
« de Theux. »)
(Moniteur belge n°167, du 16 juin 1834) M.
Jullien. - M. le rapporteur, en me répondant, m’a fait cet argument :
il a dit que si j’avais été convaincu que le deuxième paragraphe de l’art. 87
ne détruit pas les exceptions portées par les paragraphes 3 et 4 de l’art. 86,
je n’aurais pas présente mon amendement. Messieurs, l’amendement que j’ai
proposé n’a pas été déterminé par ma conviction particulière, mais bien par la
divergence des opinions sur ces mêmes paragraphes, et parce que j’ai vu qu’il
pouvait en résulter une collision entre les conseils et le gouvernement.
Toutefois je suis tellement resté dans mes convictions, et les raisonnements de
l’honorable rapporteur les ont si peu ébranlées, que je retire mon amendement.
Les conseils provinciaux interpréteront eux-mêmes les paragraphes 3 et 4 de
l’art. 80 et en feront leur affaire.
Messieurs, les
principaux arguments, les arguments qui paraissent péremptoires à l’honorable
rapporteur, sont ceux-ci :
Vous avez, dit-il, dans
le paragraphe premier de l’art. 86, soumis le budget à l’approbation du Roi ;
ainsi, c’est tout le budget qui a besoin d’approbation.
Oui, nous avons voulu
soumettre tout le budget à l’approbation du Roi ; mais comment ? Dans toute
espèce de loi comme dans tout raisonnement on pose d’abord le principe, puis
viennent les exceptions. S’il n’y avait, dans l’article, que le paragraphe, il
est vrai que tous les articles du budget seraient soumis à l’approbation royale
; mais il y a six paragraphes, et dans les numéros 3 et 4 vous avez posé les
exceptions.
Cela ne concerne pas le
budget, dit le rapporteur ; mais est-il possible de constituer le budget
autrement qu’avec ce qui constitue les dépenses et les recettes, autrement
qu’avec ce qui constitue le ménage financier de la province ?
Il résulterait du
singulier raisonnement de M. le rapporteur que les actes formellement compris
dans les n°3 et 4 de l’art. 86, s’ils
sont isolés, ne sont pas soumis à l’approbation du Roi ; mais que lorsqu’ils
sont portés au budget, lorsqu’ils sont réunis en faisceau, ils sont soumis à
l’approbation. N’est-ce pas là une subtilité ? Aussi, l’émancipation tant
prônée est donc une pure illusion. Cette émancipation des conseils provinciaux
consiste, dit-on, à pouvoir délibérer sur les actes en question sans
autorisation : mais on n’a pas besoin de votre émancipation pour délibérer ;
tous les conseils provinciaux peuvent délibérer dès qu’ils sont assemblés ; ils
ne sont pas assemblés pour autre chose.
Mais,
dit encore le ministre de l’intérieur, ils n’ont plus besoin de deux
approbations ; il ne leur en faut qu’une ; comme si, pour empêcher de marcher,
il fallait autre chose que d’arrêter le premier pas ! Vous voyez, messieurs,
tous ces raisonnements sont insignifiants ; et c’est par suite de cette
conviction intime, profonde, que j’ai retiré mon amendement. Si j’avais
l’honneur de faire partie d’un conseil provincial, je déclare à MM. les
ministres que sous l’empire de l’art. 86, tel qu’il est adopté, je ne me
soucierais guère de leur approbation ou de leur désapprobation, si la
délibération portait sur un objet compris dans les exceptions des paragraphes 3
et 4. Que l’on crie tout ce que l’on voudra, que c’est là faire un appel à la
rébellion future des conseils provinciaux, c’est ainsi que j’entends l’article
86 et je l’interpréterais comme je l’entends. C’est en protestant de cette
interprétation que je voterai l’art 87 comme il est conçu.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Puisque l’on en est déjà aux
protestations, je proteste pour ma part que nous n’entendons nullement
l’article 86 comme l’entendent MM. Jullien et Dubus.
M.
Dubus. - Il est voté.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - S’il résulte des doutes sur le
sens de cet article, nous aviserons aux moyens de les faire cesser. Il est voté
ici, mais il n’est pas voté dans l’autre chambre. Si je m’étonne d’une chose,
c’est que cet article n’ait pu parvenir à se faire comprendre par des esprits
aussi intelligents que les honorables préopinants.
On a répété à satiété
que l’article 86 comprenait des choses toutes différentes, des catégories
d’actes indépendant les uns des autres. On a dit que, dans l’état actuel des
choses, le gouvernement avait l’approbation du budget, c’est-à-dire, de toutes
les dépenses que pourraient faire les provinces. Voilà donc quant au budget un
acte pour lequel l’approbation royale est requise.
Il est encore
aujourd’hui d’autres actes indépendants du budget qui sont soumis à l’approbation
du Roi ; je citerai, par exemple, les délibérations sur les acquisitions, les
échanges, les travaux de routes et canaux, quelle que soit l’importance de ces
actes.
D’après la loi que vous
votez, les délibérations spéciales relatives aux objets que je viens de
rappeler ne sont soumises à l’approbation du Roi qu’autant que la dépense va
au-delà de 10,000 francs ; aujourd’hui, si les provinces ont à entreprendre la
construction de routes ou de canaux, il faut soumettre les projets de ces
constructions au contrôle de l’administration supérieure. L’examen en est
soumis au conseil des ponts et chaussées. Les provinces se plaignent de cet
état de choses, et disent que leurs ingénieurs seraient, aussi bien que les
ingénieurs du gouvernement, en état d’examiner le plan des constructions à
entreprendre. La loi actuelle autorisera les provinces à faire exécuter, comme
il leur plaira, les divers travaux qu’elles ne peuvent aujourd’hui faire
exécuter qu’en les soumettant à une autorité supérieure.
Je dis qu’il y a là une
émancipation pour les provinces, et cela est frappant.
Je m’étonne d’une chose
de la part des honorables préopinants, c’est que, dans leur bonne volonté
d’émanciper les provinces, ils s’en soient tenus aux dépenses relatives aux
acquisitions, aux échanges et aux constructions de routes ou de canaux.
Lorsqu’il s’agit de
disposer de légères sommes à appliquer aux écoles, à des subsides pour
l’agriculture, les provinces doivent demander l’autorisation du gouvernement.
Comment les honorables préopinants peuvent-ils vouloir que les provinces soient
obligées de demander l’autorisation du gouvernement, par exemple, pour une
dépense de 10 fr. relative aux écoles, et vouloir en même temps que les
provinces demandent l’autorisation, lorsqu’il s’agit de dépenses de 10,000 fr.
dans un cas, et de 50,000 fr. dans un autre ? Evidemment, vous devez demander
que l’approbation du Roi ne soit exigée pour aucune de ces diverses dépenses ;
alors vous aurez un système conséquent ; alors vous émanciperez financièrement
la province. En effet, voilà comment il faut agir, si on veut émanciper
entièrement les provinces.
Dans ce système, le seul
raisonnable, le seul qui puisse être défendu, l’approbation royale, que la loi
réserve dans certains cas, deviendrait une véritable inutilité. Les budgets
annuels des provinces sont divisés en articles dont tous ou presque tous sont
inférieurs à 50,000 fr. Je tiens ici un assez grand nombre de budgets
provinciaux, et je ne trouve nulle part un article de l’importance de cette
somme ; de cette manière, les provinces absorberont toutes les dépenses ; et
elles présenteront au Roi un budget dont tous les articles seront en blanc.
On dit que l’approbation
du Roi sera requise pour que toutes les dépenses obligatoires sont portées au
budget. Je ne vois pas ce que viendrait faire à cet égard l’approbation royale
; j’aime beaucoup mieux le commandement de la loi que le contrôle du
gouvernement. Je crois que les conseils provinciaux auront plus de respect pour
la loi que pour le pouvoir central, dont on a soin de lui faire tant peur.
Laissez agir la loi dans toute sa force, dans toute sa plénitude, et fiez-vous
à l’excellent esprit qui animera les conseils provinciaux pour porter au budget
toutes les dépenses que la loi aura voulu qu’on y portât.
Je
soutiens que le système des honorables préopinant tend à détruire ce que vous
avez consacré par les paragraphes 3 et 4 de l’article 86.
Mais d’après les paroles
prononcées ici par de graves orateurs, d’après les protestations anticipées que
l’on conseille, le gouvernement apportera toute son attention à donner à l’art.
86 un sens tel, que la plus mauvaise foi n’y puisse trouver matière à doute.
Quant à nous, nous
déclarons ne pas avoir vu dans l’article le moindre doute, malgré la discussion
qu’il a soulevée ; cependant, comme ce qui a été dit mérite les réflexions du
gouvernement, il ne manquera pas d’aviser à tous les inconvénients dont les
honorables préopinants ont parlé.
M.
de Robaulx. - Je ne conçois pas en vérité que le gouvernement se
réserve de délibérer sur l’article ; mais nous, nous aurons donc voté pour rire
? Quel rôle fait-on jouer à la représentation nationale ?
Le ministre dit : Si
l’art. 86 soulève des doutes, nous l’expliquerons dans un sens tel que la plus
mauvaise foi ne pourra plus y trouver des doutes ; si c’est là ce qui résulte
de votre discours, expliquez-vous.
Ce qu’a avancé M. le
ministre est en dehors de toute raison ; il dit : Si vous voulez émanciper tout
à fait les provinces, demandez que toutes les dépenses provinciales ne soient
pas sujettes à l’approbation royale ; mais c’est justement parce que l’on n’a
pas demandé cela, que l’émancipation des provinces doit être complète à l’égard
des deux cas prévus pas les paragraphes 3 et 4 de l’art. 86. Pour moi, j’ai
toujours cru que les délibérations dont il s’agit dans ces paragraphes étaient
dispensées du contrôle de l’administration supérieure, et la majorité de la
chambre l’a reconnu.
Je ne puis comprendre
que de pareilles dispositions puissent donner encore lieu à des doutes ; mais
l’honorable rapporteur a été plus loin, et vraiment il y a des choses qui, à
force de les discuter, s’embrouillent alors qu’elles sont cependant bien claires.
M. le rapporteur a dit,
après avoir comme délayé une goutte de vin dans une tonne d’eau, que tous les
objets ayant rapport aux dépenses dont il est parlé dans les 3 et 4 de
l’article 86, étaient soumis à un seul contrôle, et que les autres dépenses
étaient sujettes à deux contrôles, c’est-à-dire que, pour les premières
dépenses, le conseil pourra délibérer et non exécuter.
Ainsi, vous ministres,
après avoir tant mûri votre loi provinciale, vous nous présentez des articles
sur lesquels vous vous proposez de délibérer et vous nous faites voter pour
rire.
Lisez l’article 86, son
sens est clair et précis : « Sont exceptés de l’approbation du Roi les
acquisitions, échanges, aliénations, constructions de routes, etc. » Cela
ne veut-il pas dire que ces actes ne sont pas soumis à l’approbation supérieure
avant leur exécution ?
Une chose me scandalise,
c’est que quand on vote une loi, on se préoccupe des difficultés les plus
éloignées, et on abandonne les meilleurs principes dans l’appréhension de ces
inconvénients.
Du moment qu’un bon
principe existe dans une loi, il faut qu’il soit mis à exécution.
On ne nous a pas encore
balayés de cette enceinte, et nous croyons tous à l’existence de la
représentation nationale ; eh bien, si les deux exceptions dont il s’agit dans
l’article 86 jettent la perturbation dans l’administration provinciale, nous
reviendrons ici, et nous modifierons la loi à cet égard.
En attendant, puisque
vous avez donné cette petite émancipation aux provinces, vous ne pouvez la leur
retirer avant qu’elles en aient fait usage, avant qu’elles en aient abusé.
On vient dire que le Roi
ou plutôt le gouvernement pourra rayer du budget la somme qui sera nécessaire
pour l’exécution d’un acte que l’on a reconnu être dans les attributions du
conseil.
Je soutiens qu’il n’est
pas besoin que cet acte soit approuvé pour être exécuté. Je suppose, par
exemple, que le conseil décide d’acheter une propriété de 6,000 francs. Il
s’agit d’une chose urgente ; le conseil vote la dépense en s’autorisant de
l’article 86, et il la porte ensuite au budget ; maintenant le gouvernement
pourra-t-il rayer cette dépense ? voilà toute la question. Le gouvernement dit
oui à ses adversaires ; ceux qui interprètent sainement l’article 86 disent
non.
Mais, messieurs, il y a
oui et non. On a parlé de la dette de la province ; eh bien, chaque fois qu’une
dette est reconnue ou établie par une loi, comme les frais de casernement de la
gendarmerie, par exemple, que vous avez mis à la charge de la province, c’est
une dette aussi ; il ne s’agit cependant ni d’acquisition ni de route : le
gouvernement peut-il rejeter cette dépense du budget ? sans doute, il le peut,
s’il n’a pas assez de bon sens pour savoir qu’il faut exécuter la loi, puisque,
d’après la loi, il a selon nous le droit de rayer du budget tel article qu’il
lui plaît. Il serait cependant ridicule de supposer que le gouvernement le
fera. Il en est de même dans le cas dont il s’agit ; s’il y a une disposition
particulière qui autorise la province à faire une acquisition qui ne dépasse pas
dix mille fr., je pose en fait que quand même le gouvernement aurait le droit
de rayer du budget tel article qu’il lui convient, il ne pourrait rejeter
l’article destiné à faire face à cette dépense.
Vous reconnaissez que
dès l’instant que le conseil provincial a délibéré dans le sens des n°3 et 4,
vendu ou acquis une propriété d’une valeur qui ne dépasse pas dix mille francs,
il a contracté d’une manière irrévocable, engagé irrévocablement la province
vis-à-vis de l’acheteur ou du vendeur, et qu’il l’a engagée, comme si une loi
avait été portée. Dans le sens du n°4, on a délibéré une route de 40 mille fr.
; l’adjudication a été faite, dès lors il y a un adjudicataire qui a des droits
et des devoirs vis-à-vis de la province. On porte les 40 mille fr. au budget.
Je demande si le gouvernement peut rejeter cette dépense ? Vous direz oui. Mais
direz-vous que les tribunaux ne forceront pas la province à exécuter un
engagement pris par le conseil dans les limites de ses attributions ? Le
gouvernement serait-il assez peu raisonnable pour rejeter du budget une somme
destinée à faire face à un engagement pris par un conseil dans les limites de
ses attributions ? L’entrepreneur, le vendeur ou l’acquéreur ne viendra-t-il
pas demander l’exécution de son contrat devant les tribunaux, et les tribunaux
ne condamneront-ils pas la province ? On pourra, dira-t-on,
refuser d’exécuter le jugement. Je sais que les tribunaux peuvent condamner une
province à payer, mais ils ne peuvent la forcer à exécuter le jugement, à
porter la somme au budget. Mais dès l’instant que la province est condamnée, il
n’y a pas possibilité que le gouvernement s’oppose à ce que l’allocation soit
portée au budget.
Je ne vois pas, au
reste, l’importance de cette discussion. Aux termes de l’article, les conseils
provinciaux peuvent faire des acquisitions qui ne dépassent pas 10 mille fr. et
des entreprises qui ne dépassent pas 50 mille fr ; laissez-les dans ces
limites, et si plus tard vous voyez qu’on en abuse, vous proposerez une
modification à la loi.
M. le ministre de la
justice (M. Lebeau) - Je demande la parole.
Un grand nombre de membres. - La clôture ! la clôture !
M. le ministre de la
justice (M. Lebeau) - Si on veut clore la discussion, je renoncerai à la parole.
M.
de Robaulx. - Si on entend clore la discussion sur l’article, je
réclamerai la parole. Je voudrais présenter un amendement.
Je proposerai d’ajouter
au troisième paragraphe, après le mot gouvernement,
ceux-ci : « après avoir pris l’avis de la députation. »
Ce paragraphe porte « Si
le conseil ne porte point au budget, en tout ou en partie, les allocations
nécessaires pour le paiement des dépenses obligatoires que les lois mettent à
la charge de la province, le gouvernement les y portera, etc. »
Je
conçois cette disposition, je conçois que le gouvernement porte ces dépenses au
budget de la province si le conseil s’y refuse ; mais il me semble qu’il
convient, avant d’user des droit que lui donne cette disposition, prenne l’avis
de la députation pour savoir les motifs de cette omission, qui peut n’être
qu’un oubli involontaire, ou avoir d’autres raisons que le gouvernement
approuverait.
Il ne sera pas moins
libre dans son action après avoir pris l’avis de la députation. Je pense qu’il
ne faut pas porter d’office des dépenses au budget d’une province, avant
d’avoir entendu les administrateurs de cette province.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je commence par reconnaître que
l’amendement de M. de Robaulx, ne liant pas le gouvernement d’une manière
absolue, ne présente pas non plus d’inconvénients absolus ; mais je trouve des
inconvénients relatifs à la députation. Car il pourra arriver que la députation
soit placée, par la demande d’avis du gouvernement, dans une très fausse
position vis-à-vis du conseil. Si elle pense que le conseil a eu tort de ne pas
porter l’allocation au budget, et qu’elle donne son avis en conscience, ce dont
je ne doute pas, elle se mettra en opposition avec le conseil.
M.
de Robaulx. - Il n’y aurait pas de mal à cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mais si elle craint de déplaire
au conseil, elle ne donnera pas un avis consciencieux. Je ne vois pas, au
reste, l’utilité de la disposition. Si le gouvernement pouvait avoir quelque
doute sur la question de savoir si la dépense est ou non obligatoire, il
demanderait à son agent direct, le gouverneur, comment a été faite l’omission
de la dépense, si c’est un oubli ou une omission, et quels peuvent en être les
motifs. Il n’aura pas besoin de recourir aux lumières de la députation du
conseil.
M.
de Robaulx. - Je ne conçois pas la crainte du ministre, quand il dit
qu’il peut arriver que la députation soit d’un avis différent de celui du
conseil. S’il y a eu délibération, cette délibération aura été publique, et on
connaîtra les opinions émises. Rien n’empêche que les membres de la députation
qui auront déjà exprimé publiquement leur opinion comme membres du conseil ne
la donnent de nouveau comme députation. Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir là
de choquant.
Mais
je suppose que le conseil ne porte pas pour l’entretien des enfants trouvés,
entretien qu’on a l’intention, je crois, de faire supporter par l’Etat, la
province et peut-être les communes ; qu’il oublie de porter, n’y étant pas
habitué, la somme nécessaire pour cet objet ; ne porte rien, ou ne porte pas
assez : que fait le gouvernement ? Le gouvernement, qui doit concourir avec les
provinces et les communes, chargera naturellement la province le plus qu’il
pourra, puisqu’il en a le droit, de manière à concourir à cette dépense le
moins possible.
Si le gouvernement ne
s’entend pas avec la députation de la province pour déterminer jusqu’à quelle
somme la province doit concourir, vous voulez donc que le gouvernement proprio motu mette arbitrairement une
somme à la charge de la province sans être obligé de la consulter. Je ne vois
pas pourquoi le gouvernement refuserait l’avis de la députation ; cet avis ne
peut pas contrarier la marche du gouvernement puisqu’il pourra ne pas s’y
arrêter.
M.
de Theux, rapporteur. - M. de Robaulx m’accuser de témérité, dût-il
dire que je délaie une goutte d’eau dans son tonneau de vin, je me permettrai
d’ajouter quelques observations à l’appui de son amendement ; je ne vois pas de
motifs pour lesquels le ministre s’y oppose. La députation devra donner son
avis au gouvernement sur le montant du chiffre qu’il convient de porter au
budget pour telle ou telle dépense obligatoire que le conseil aurait négligée.
L’amendement proposé me paraît donc ne pouvoir être que très utile ; il ne pourra
en aucune manière entraver le gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Interprété comme il l’est par
l’honorable préopinant, l’amendement présenté par M. de Robaulx peut présenter
une certaine utilité, puisqu’il tend dès lors à éclairer le gouvernement par
l’intermédiaire de la députation sur la proportion des dépenses obligatoires.
Mais il n’a plus le même caractère que lui attachait son auteur. Il voulait que
le gouvernement consultât la députation sur le quantum de ces sortes de
dépenses, sur la question de savoir si elles étaient obligatoires ou non.
M.
de Robaulx. - Ce n’est pas ainsi que je l’ai entendu.
M. le ministre
de l'intérieur (M. Rogier) - Dans ce cas, si ce n’est pas le quantum des dépenses obligatoires que
porte l’amendement de M. de Robaulx, je ne vois pas le moindre inconvénient à
ce qu’on l’admette. Je ferai seulement observer qu’il est complètement attendu
que le gouvernement ne manquera jamais de consulter la députation sur l’objet
sur lequel M. de Robaulx a appelé l’attention de la chambre.
M.
Gendebien. - L’amendement présenté par M. de Robaulx ayant subi déjà
une interprétation différente de celle que lui donne son auteur, je serais
d’avis, pour éviter l’inconvénient qui pourrait en résulter, de rédiger cet
amendement en ces termes : « la députation préalablement entendue. » Il ne
pourrait plus subsister aucun doute.
M.
de Robaulx. - Comme je ne tiens pas aux termes, mais bien au fond, je me
rallie à la rédaction proposée par M. Gendebien.
- L’amendement de M. de
Robaulx, modifié par la rédaction de M. Gendebien, est mis aux voix et adopté.
L’ensemble de l’art. 87
est mis aux voix et adopté.
Titre VII. De la députation permanente du conseil
Chapitre II.
Dispositions générales concernant la députation
M.
le président. - La discussion est ouverte sur l’art. 108 ainsi conçu :
« Les membres de la
députation ne peuvent prendre part directement ni indirectement dans aucun
service, perception de droit, fourniture ou adjudication de travaux publics
pour compte de l’Etat, de la province ou des communes de la province. »
M.
le président. - M. de Theux a présenté un amendement tendant à
substituer aux mots : de la province,
ceux-ci : dans la province.
M.
de Theux, rapporteur. - L’objet de l’amendement que j’ai présenté sur
l’art. 108 est de lever tout doute que peut présenter, relativement aux travaux
publics exécutés dans la province, la question de savoir si un membre de la
députation ne pourra pas même être intéressé dans des entreprises de cette
nature exécutées dans une autre province. Il n’y a aucun motif à prononcer dans
ce cas l’interdiction portée par l’art.
108. En insérant ces mots dans la province, il ne pourra être élevé
aucun doute sur cette disposition.
M.
de Robaulx. - Je demanderai à M. de Theux s’il entend que lorsqu’une
route sera divisée entre deux provinces, les membres de la députation pourront
être intéressés dans la section de la route non comprise dans la province même.
M.
de Theux, rapporteur. - Dans le cas de division d’une route entre deux
provinces, je ne vois pas d’inconvénient qu’un membre de la députation ait un
intérêt quelconque dans la construction de la partie de la route, qui se
trouvant en dehors de la province, ne sera pas placée sous sa surveillance.
M.
Gendebien. - Je voudrais m’assurer du véritable sens dans lequel la
chambre entend l’art. 108. Je désirerais savoir si les dispositions en sont
applicables aux travaux exécutés dans la province par voie de concession on au
moyen d’actions. Lorsque l’exécution d’une route sera entreprise par une
société quelconque moyennant une concession d’un certain nombre d’années, les membres
de la députation ne pourront-ils concourir à la construction de cette route,
soit comme actionnaires directs, soit comme porteurs de coupons d’actions ? Il
me semble résulter de l’article 108 que cette faculté n’est pas ôtée aux
membres de la députation. Un mot inséré dans cet article semblerait cependant
l’interdire. C’est le mot indirectement.
On pourrait penser qu’il implique la défense aux membres dés députations d’être
intéressés dans des travaux de concessions. J’invite donc M. le rapporteur de la
section centrale de vouloir bien donner à la chambre des explications à ce
sujet.
M.
H. Dellafaille - Messieurs, je crois qu’en ce qui concerne les
adjudications ou les concessions, il faut suivre la même règle que pour les
travaux entrepris aux frais de la province. On a défendu aux membres de la
députation d’être intéressés dans des travaux qu’ils sont appelés à surveiller,
afin que leur intérêt particulier ne fût pas en opposition avec les intérêts de
la province. Le cas est à peu près identique relativement aux travails par voie
de concession. Les intérêts du concessionnaire et de la province seraient
opposés en ce sens que si celle-ci ne fournit pas de fonds, son intérêt est que
le terme de la concession soit le plus court possible, tandis que le
concessionnaire désire au contraire le prolonger le plus possible.
Quant
à la question des actions prises de prime abord ou achetées par des membres de
la députation, je crois qu’il y a une distinction à faire. Quand un ouvrage a
été mis en concession, les actions qui représentent le capital affecté à cet
ouvrage deviennent des effets ordinaires que tout le monde peut acheter, pourvu
toutefois que le membre de la députation n’ait pas fait un acte simulé en
employant un prête-nom. Alors il y aurait fraude, et la loi ne doit pas
supposer ce cas. Je pense donc qu’il n’y aurait pas d’inconvénient à ce que des
membres de la députation fussent porteurs d’actions de travaux en concession.
M.
de Theux, rapporteur. - Je ne pense pas que la difficulté signalée par
l’honorable M. Gendebien consiste dans les mots directement ou indirectement. L’honorable préopinant a expliqué le
véritable sens de l’article. Le mot indirectement
y a été inséré afin que ce que les membres de la députation ne peuvent faire
ostensiblement, ils ne le pussent faire par une voie détournée.
Mais la question de
savoir si un membre de la députation peut prendre part à une concession de
route présente quelque difficulté. D’abord il est évident qu’un membre de la
députation qui ferait partie d’une société formée à l’effet de construire une
route dans la province ne pourrait prendre part aux délibérations de la
députation sur cette matière. Ceci répond à une des craintes manifestées par
l’honorable M. Gendebien. Il a été pourvu sur ce point par l’article 65 du
projet qui a été rendu applicable à la députation ; voici cet article :
« Aucun membre du
conseil ne peut prendre part à une délibération à laquelle lui ou un de ses
parents ou alliés jusqu’au 4ème degré inclusivement, ont un intérêt personnel
direct. »
Il
est donc constant que du moment qu’un membre de la députation serait associé à
une concession de route, il ne pourrait prendre part aux délibérations
relatives à ces travaux. Quant à la question de savoir si l’on a compris
également dans l’exclusion de l’article en discussion les actions dans les
travaux par concession, je ne crois pas que l’on puisse élever de doute à cet
égard pour une concession perpétuelle. Je ne crois pas que dans ce cas la
participation d’un membre de la députation puisse avoir aucune portée. Quant
aux concessions à terme, elles ne paraissent pas non plus être désignées sous
le nom d’adjudication de travaux publics. Un concessionnaire peut diriger les
travaux d’une tout autre manière que le simple adjudicataire. Il serait
difficile de faire l’application de l’art. 108 aux concessions de routes. Les
prohibitions doivent se prendre dans un sens étroit que l’on ne peut pas
étendre.
M.
Gendebien. - Le sens de l’article dont il s’agit, qui d’abord m’avait
paru très clair, devient obscur pour moi depuis que j’ai entendu les deux
honorables membres de la section centrale qui parlent le plus habituellement
dans cette discussion. (On rit.) L’un
des deux, le premier, a dit que les concessions à terme présentaient les mêmes
dangers que les adjudications ordinaires. M. de Theux a dit au contraire que
les concessions perpétuelles et à terme n’offraient aucun danger, et qu’il n’y
avait pas lieu à leur appliquer l’art. 108. Voici deux opinions divergentes.
Peut-être si nous entendions encore un autre membre de la section centrale,
exprimerait-il une opinion tierce. Je demande d’après cela s’il n’y a pas doute
sur cet article. La chambre sentira, sans que j’aille plus loin, qu’à cet égard
une explication est nécessaire.
On a dit que les actions
relatives à des ouvrages publics prises de prime abord, étaient interdites ;
mais que celles prises après coup ne l’étaient pas. Or il n’y a rien dans
l’article qui fasse cette distinction.
L’art. 108 porte :
« Les membres de la députation ne peuvent prendre part directement ni
indirectement dans aucun service, perception de droit, fourniture ou
adjudication de travaux publics pour compte de l’Etat, de la province ou des
communes de la province. »
Eh bien, vous le voyez,
ils ne pourront prendre part même indirectement à aucun ouvrage public ; ils ne
pourront même pas acquérir des actions d’une compagnie de concessionnaires.
Maintenant je suppose des actions relatives à un ouvrage terminé ; je suppose
par exempte que les propriétaires du canal de Charleroy ou de tel autre ouvrage
public émettent des actions. S’il en est ainsi, les voilà prenant part
indirectement à un service public, fournissant des moyens de transport ; les
voilà en contravention avec votre article d’après la manière dont il est
rédigé. Vous voyez donc que mes observations subsistent, que ma demande
d’explications est fondée.
L’art.
63 porte : « Aucun membre du conseil ne peut prendre part à une
délibération à laquelle lui ou un de ses parents ou alliés jusqu’au 4ème degré
inclusivement, ont un intérêt personnel direct. »
Là vous vous êtes bornés
à employer le mot direct. Si dans l’art. 108 vous dites « directement ni
indirectement, » c’est que vous voulez aller plus loin. Où s’arrêtera le
sens du mot indirectement ? C’est sous ce rapport que je désirerais une
explication.
M.
H. Dellafaille - M. le rapporteur de la section centrale est chargé de
rendre compte à la chambre des motifs qui ont dirigé la section centrale ; pour
moi je ne puis dire que la manière dont j’entends l’art. 108. Or, je crois que
le mot indirectement ne tend qu’à
interdire aux membres de la députation de faire par personnes interposées ce
que le reste de l’article leur défend de faire par eux-mêmes.
Je
crois qu’en fait de travaux publics, qu’il s’agisse d’adjudications ou de
concessions, le cas est identique. La concession n’est qu’un mode différent de
paiement : au lieu de payer en espèces, le gouvernement paie en abandonnant la
perception du revenu. Les concessions et les adjudications doivent donc être
mises sur la même ligne.
Quant aux actions d’une
société concessionnaire qui seraient mises en vente, je ne pense pas que
l’article puisse leur être appliqué. M. Gendebien a cité l’exemple du canal de
Charleroy. Il est hors de doute que cet ouvrage étant terminé, les actions qui
seraient mises en vente pourraient sans aucune difficulté être achetées par les
membres de la députation, puisqu’alors le motif qui leur faisait interdire de
telles opérations n’existe plus.
M.
de Robaulx. - La difficulté soulevée par l’honorable M. Gendebien me paraît
assez importante pour qu’on y donne une solution. Plusieurs honorables
préopinants ont établi des catégories dans l’art. 108, ont fait des
distinctions entre les concessions et les adjudications, entre certaines
opérations auxquelles les membres de la députation pourraient prendre part, et
d’autres qui leur seraient interdites. Pour moi, je pense que l’article doit
être entendu dans le sens le plus absolu. Je pense que les membres de la
députation ne doivent prendre part à aucuns travaux publics, soit par
adjudication, soit par concession ni même après coup.
Il
sera à regretter peut-être que tous les capitaux ne soient pas consacrés à ces
spéculations, à la construction de routes surtout dont le pays à un si grand
besoin ; mais vous manqueriez votre but en permettant aux membres de la
députation de s’immiscer, de quelque manière que ce soit, dans ces entreprises.
Lorsqu’un membre de la députation aurait un intérêt dans une route, dans un
canal, et qu’il serait question d’établir en concurrence une communication
nouvelle, son intérêt personnel serait en jeu, et il pourrait l’emporter sur
l’intérêt provincial.
Il faut que le membre de
la députation soit exclusivement l’homme de la province. Il faut que nous ne
voyions plus se renouveler ces tripotages comme nous en avons trop vu : ces
concessionnaires, parents avec les membres de la députation, qui savaient
toujours avoir raison même contre l’administration, contre les ingénieurs. Je
conclus à ce que toute participation directe ou indirecte à toute espèce de
travaux publics soit interdite aux membres de la députation. C’est dans ce sens
que je voterai.
M.
de Theux, rapporteur. - On est revenu sur le mot directement qui, a-t-on fait remarquer, ne se trouve pas dans
l’art. 63. C’est que cet article a trait à un objet de tout autre nature. Son
but a bien été d’interdire aux membres des conseils provinciaux la
participation aux délibérations dans lesquelles ils auraient un intérêt
personnel et direct, mais de leur permettre de prendre part à celles où ils
qu’un intérêt indirect. Ainsi il s’agit de voter pour la construction d’une
route. Les conseillers domiciliés dans une commune que la route doit traverser
y ont un intérêt indirect ; ils pourront prendre part à la délibération.
Quant
au mot indirectement, il n’a d’autre
but que d’interdire aux membres de la députation de faire d’une manière
détournée ou simulée ce qu’ils ne peuvent pas faire directement. Je persiste à
penser que les termes de l’article n’atteignent pas les concessions ; car dans
ce cas-là les travaux ne sont exécutés que pour le compte des concessionnaires
; c’est pour leur compte aussi que le montant des péages est perçu.
Si dans mon opinion il
est permis à un membre de la députation de prendre part à une concession qui
n’est pas encore votée, à plus forte raison il lui est permis d’acquérir des
actions dans une concession déjà accordée. Dans l’exemple cité par M.
Gendebien, je ne verrais pas pourquoi on empêcherait un membre d’acheter des
actions sur le canal de Charleroy. Si l’on veut frapper d’une prohibition les
actions, il faut le dire.
M.
Gendebien. - J’insisterai seulement sur un point, c’est que deux
membres de la section centrale ne sont pas d’accord sur le sens et la portée de
l’article en discussion.
Dès lors, messieurs,
vous sentirez sans doute la nécessité d’une explication ultérieure. Je ne
propose pas d’amendement parce que je n’ai élevé des doutes que sur des
observations qui venaient de m’être faites, et je pense que la chose n’est pas
assez instruite pour en délibérer mûrement.
S’il
fallait prendre un parti pour admettre dans la députation ou les en exclure,
les membres du conseil qui prendraient des actions dans une concession votée
par le conseil, je serais fort embarrassé. Si je vois des inconvénients à les
admettre, je vois aussi des inconvénients à les exclure. Il faut éviter que des
individus très capables ne puissent faire partie de la députation, en les
obligeant à ne pas se livrer à leurs spéculations ; ce serait d’ailleurs
éloigner la concurrence et affaiblir l’esprit d’association. J’aime mieux
laisser l’article tel qu’il est ; les conseils provinciaux l’interpréteront
soit dans le sens que lui attribue M. Dellafaille, soit dans le sens que lui
attribue M. de Theux. Je m’en
rapporte à la sagesse de ces conseils ; j’ai plus de confiance en eux que ne
leur en montre le ministère.
M.
Jullien. - Il me semble qu’on pourrait supprimer l’article 108. Les
inconvénients que l’on signale sont prévus par l’article 175 du code pénal. Il
suffit de lire cet article pour être convaincu que tous les cas de
malversation, d’une manière directe ou indirecte, sont défendus aux
fonctionnaires publics et qu’ainsi il est inutile de prévoir dans une loi
spéciale ce qui est prévu dans une loi générale. L’article 175 dit :
« Tout fonctionnaire,
tout officier public, tout agent du gouvernement, soit directement, soit par
acte simulé, ou par interposition de personnes, qui aura pris ou reçu quelque
intérêt que ce soit dans des actes, adjudications, entreprises ou régies dont
il avait en tout ou en partie l’administration ou la surveillance, sera puni,
etc. »
Ainsi
vous voyez, messieurs, que le code pénal a prévu tous les cas sur lesquels vous
discutez d’une manière beaucoup plus complète et qu’il vaut beaucoup mieux, ce
me semble, rester dans le droit commun que de hasarder une disposition nouvelle
qu’il sera peut-être difficile de mettre en harmonie avec celle qui existe
déjà.
Je propose la
suppression de l’art. 108.
Je ne vois pas la
nécessité de mettre dans la loi provinciale une disposition beaucoup moins
complète que celle de l’art. 175.
M.
Gendebien. - Messieurs, si j’avais compris l’article 108 dans le sens
des prohibitions qu’y a trouvées M. Dellafaille, je serais de l’avis de mon
honorable ami M. Jullien ; l’article 175 du code pénal le rendrait complètement
inutile. Mais c’est précisément parce que cet article punit en général ces
sortes de participations des fonctionnaires publiques que j’ai pensé que
l’article 108 devait s’entendre dans un sens restrictif ; car, s’il ne devait
pas porter une modification à l’art. 175, je ne comprendrais plus son utilité ;
ce serait un véritable non-sens législatif. C’est précisément en considération de
l’art. 175 mis en rapport avec l’article 108, que j’ai cru devoir provoquer des
explications sur la portée de l’art. 108, sur le sens duquel les deux membres
de la section centrale qui ont parlé sont en complet désaccord. Pour éviter
tout doute, pour bien établir dans quel sens la chambre va le voter, je crois
devoir lui faire remarquer que si elle repousse l’article, c’est qu’elle le
considère comme inutile, comme rentrant dans les dispositions générales de
l’art. 175 ; et dans ce cas c’est l’art. 175 et toutes ses prohibitions qui
sont applicables même aux concessions perpétuelles ou à terme.
Si au contraire la
chambre l’admet, dans ce cas elle lui donnera nécessairement le sens que M. de
Theux et moi lui avons donné, sans cela ce serait une disposition complètement
inutile ; et comme la législature n’est jamais censée faire volontairement
chose inutile, il s’ensuit qu’il faut rejeter l’article si vous voulez les
prohibitions de l’art. 175 ; au contraire, en l’adoptant, vous dérogez à
l’art.175 et vous ne généralisez pas les prohibitions, vous les bornez aux
travaux qui se font par adjudication. Choisissez maintenant ; vous agirez au
moins avec connaissance de cause. (Aux
voix ! aux voix ! La clôture !)
- L’amendement de M. de
Theux mis aux voix est adopté.
L’article 108 ainsi
amendé est adopté.
M.
le président. - « Article 109. La députation peut charger un ou plusieurs
membres d’une mission lorsque l’intérêt du service l’exige. »
M.
Verdussen. - Dans l’art. 84 il est dit que le conseil peut déléguer un
de ses membres ; je crois que dans l’intérêt provincial il pourrait être utile
de déléguer plusieurs membres : je demande que l’on mette dans l’art. 84, ainsi
que dans l’art. 109, qu’un ou plusieurs membres pourront recevoir mandat.
- La proposition de M.
Verdussen est appuyée.
M.
de Theux. - Je crois que la disposition qui vous est proposée, pour
être fondée, devrait s’appliquer au conseil comme à la députation. Aussi
devrait-elle être proposée d’abord à l’art. 84.
Quelques voix. - On peut adopter l’amendement à
l’égard de l’article 84.
- L’article 110 est
adopté avec l’amendement de M. Verdussen, La chambre adopte également cette
disposition à l’égard de l’article 84.
Les articles 111, 112,
113, 114, 115 sont confirmés sans donner lieu à aucune discussion.
M.
le président. - « Art. 116. Sont applicables à la députation l’art.
63, le n°2 de l’art. 82, l’art. 86 dans les cas prévus par l’art. 107, et les
art. 89 et 91 de la présente loi. »
M. Doignon propose
l’amendement suivant :
« Dans les cas
prévus par l’art. 107, les résolutions et les actes de la députation seront aussitôt
rendus publics par leur insertion au Mémorial
administratif. »
M.
Doignon. - Mon dessein, messieurs, dit l’honorable membre, en vous
présentant cet amendement, n’est pas de soumettre à la publicité tous les actes
qui tombent dans les attributions ordinaires de la députation, mais uniquement
les actes qui appartiennent au conseil, et sur lesquels la députation est
appelée à prononcer en son absence et pour cause d’urgence.
Ces actes, détaillés
spécialement dans l’article 86, sont d’une haute importance ; si le conseil ne
peut délibérer à leur égard qu’en séance publique, il est dans l’ordre, il me
semble, que la députation qui représente le conseil, et le remplace en cette
circonstance, donne quelque publicité à ces mêmes actes. La députation n’est
pas tenue de tenir ses séances publiques, mais il existe un autre mode de
publicité, c’est l’insertion au Mémorial
administratif.
Déjà vous avez entendu
M, le ministre de l’intérieur vous dire qu’en sa qualité de gouverneur
d’Anvers, il avait adopté l’usage de faire insérer dans le Mémorial administratif tous les actes de la députation des états
provinciaux ; mon amendement ne va pas même aussi loin, il se borne aux actes prévus
par l’art. 107. Je pense donc qu’il ne verra pas d’inconvénient à ce que cet
amendement soit adopté.
L’art. 107, auquel se
réfère l’art. 116 en discussion, porte :
« Lorsque le
conseil ne sera pas assemblé, la députation pourra prononcer sur les affaires
qui sont spécialement réservées au conseil, dans tous les cas où elles ne
seront point susceptibles de remise et à charge de lui en donner connaissance à
la première réunion. »
L’art. 86, dont il est
fait aussi mention dans l’art. 116, contient la disposition suivante :
« Sont soumis à l’approbation du Roi le budget des dépenses de la
province, les moyens d’y faire face et les emprunts, les délibérations
relatives aux établissements d’utilité publique, aux ventes, achats et
transactions, aux constructions de routes, canaux, etc. »
Vous
voyez, messieurs, qu’il est question, d’après ces deux articles, d’attribuer à
la députation, en l’absence du conseil, des délibérations du plus haut intérêt
pour la province. Puisque le conseil lui-même ne pourrait s’en occuper qu’en
séance publique, ce serait à leur égard éluder le principe de la publicité, si
on n’obligeait la députation à les rendre au moins publiques par la voie du Mémorial administratif.
La publicité, messieurs,
est le premier frein dans un gouvernement constitutionnel ; une garantie que
vous ne devez pas négliger.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Loin de m’opposer à l’amendement,
je ne puis qu’y applaudir ; je regrette que son honorable auteur ait restreint
ses dispositions à certains cas.
Quant à moi, je pense
qu’il n’y a pas le moindre inconvénient à ce que les procès-verbaux de la
députation, tels qu’ils seront rédigés, soient insérés au Mémorial administratif, et je me rallierai aux amendements qui
auront ce but.
Nous
aussi, nous sommes très grands amis de la publicité ; j’appuie la disposition
de M. Doignon.
- L’amendement de M.
Doignon est mis aux voix et adopté.
M.
le président. - M. Doignon propose un autre amendement ainsi conçu :
« Sera applicable aux membres de la députation, seulement la première
partie de l’art. 91. »
M.
Doignon. - Dans la dernière séance, M. Ernst vous a démontré combien
déjà était rigoureuse à l’égard du conseil la deuxième partie de l’art 91,
relative aux adresses et proclamations : il vous a prouvé que dans tous les cas
l’on aurait dû distinguer entre les proclamations séditieuses et celles que le
conseil croirait devoir faire dans l’intérêt de la province.
Je pense que cette
disposition ne peut évidemment pas s’appliquer à la députation. Je pose en fait
qu’il est moralement impossible d’administrer une province comme une commune
sans parler aux habitants, sans leur faire des adresses ou des proclamations.
Il est une infinité de circonstances et de cas particuliers qui exigent de
semblables proclamations pour les besoins et le bien-être de la province. Par
exemple. le choléra envahit-il une province ; eh bien, il est du devoir de la
députation de la province de faire une proclamation pour indiquer les mesures
de précaution à prendre pour éviter ce fléau. Jusqu’à ce moment, les
députations des états provinciaux font tous les jours de semblables
proclamations et adresses sans avoir besoin de l’assentiment du gouverneur. Une
proclamation, une adresse, est donc évidemment un acte d’administration.
Or. M. le gouverneur ne
peut pas avoir le droit d’empêcher un acte d’administration ordinaire. Cet acte
doit être délibéré dans le conseil et dans les formes ordinaires, telles
qu’elles sont déterminées à l’art. 105. Dans cette réunion, le gouverneur a
voix délibérative comme les autres membres, mais il ne lui est pas permis de se
rendre maître de toute une délibération et d’entraver ainsi l’administration
quand il le voudra. Si la proclamation ou adresse a un caractère séditieux,
contient quelque chose de répréhensible. de contraire aux lois, ou blessât
l’intérêt général, alors le droit d’annulation est là ; le gouverneur, aux
termes de l’art. 121, peut y mettre son veto.
Il
est certain que le gouvernement a dans cet article une garantie d’ordre
suffisante. Quand la députation provinciale fait des actes tels que ceux dont
j’ai parlé, elle n’a pas besoin de l’assentiment du gouverneur qui, ayant voix
délibérative, peut les combattre, s’il le juge à propos, dans le sein de la
députation. On dit qu’il n’abusera point de la disposition. Messieurs, avec cet
argument banal, il faudrait renoncer à toute garantie ; il faudrait dire que le
gouvernement provincial est inutile, qu’on peut abandonner toute
l’administration provinciale au gouverneur, parce qu’il agira toujours selon
les règles de la justice et de l’équité. Vous voyez que cet argument, pour
prouver trop, ne prouve rien. Mais je peux le rétorquer avec avantage, et dire
que, de son côté, la députation n’abusera pas d’avantage de la faculté que je
veux lui donner par mon amendement. Au reste, de ce que le gouverneur n’abusera
pas, comme on le suppose, il ne s’ensuit pas qu’il faille lui donner, par la
loi, le droit d’abuser.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Dès le moment qu’on a admis pour
le conseil entier la présomption qu’il pourrait faire des proclamations, des
adresses de nature à troubler la paix publique, il me semble qu’on ne peut,
sans faire injure au conseil, ne pas admettre la même présomption à l’égard de
la députation. On dit que la députation est un corps purement administratif, et
que ces adresses n’auront pour but que de faciliter la marche de
l’administration ; mais dès lors il faut penser que le gouverneur, qui préside
la députation et est chargé de l’exécution de ses décisions, donnera son
assentiment à ces proclamations.
On prétend qu’il pourra
ne pas le faire. Mais on vient de dire qu’actuellement ces adresses se font
tous les jours. Je ne vois pas pourquoi le gouverneur ne continuerait pas à
faire ce qu’il fait aujourd’hui. Je n’ai pas connaissance d’un refus donné par
un gouverneur dans les circonstances qu’on a signalées. Quand l’intérêt de la
province exige des adresses ou proclamations, jamais un gouverneur ne méconnaît
assez ses devoirs pour refuser son assentiment. (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement de M. Doignon
est mis aux voix, Il n’est pas adopté.
L’article 91 est mis aux
voix et adopté avec le premier amendement de M. Doignon.
Article 116 à 123
La chambre reprend
l’art. 116 qui est confirmé ainsi que les articles 117, 118, 119, 120, 121 122
et 123.
M.
le président. - La discussion est ouverte sur l’art. 124 ainsi conçu :
« Le gouverneur est
seul chargé de l’exécution des délibérations prises par le conseil ou la
députation.
« Les actions de la
province, en demandant ou en défendant, sont exercées au nom de la députation,
poursuite et diligence du gouverneur. »
M.
le président. - M. Dewitte propose d’ajouter au premier paragraphe ces
mots : « et les actes conservatoires faits au nom de la province. »
M.
Dewitte. - J’ai proposé cet amendement afin de faire concorder l’art.
124 avec l’art. 102 qui fait mention des actes conservatoires.
M.
Gendebien. - Je ne vois pas trop l’utilité d’exprimer dans la loi que
les actes conservatoires seront faits au nom du gouverneur. Tout autre chose
est d’intenter une action ou de faire un acte conservatoire. Dans le premier
cas il faut avoir qualité. Dans le second tout le monde possède un mandat
tacite.
M.
Dewitte. - Si l’on croit mon amendement inutile, je le retire.
- L’art. 124 demeure
adopté.
M.
le président. - La discussion est ouverte sur l’art. 125, ainsi conçu :
« Lorsque le
conseil ou la députation a pris une résolution qui sort de ses attributions ou
blesse l’intérêt général, le gouverneur est tenu de prendre son recours auprès
du gouvernement, dans les dix jours, et de le notifier au conseil ou à la
députation dans le jour qui suit le recours.
« Le recours est
suspensif de pendant trente jours, à dater de la notification.
« Si, dans ce
délai, le gouvernement n’a pas prononcé, la résolution sera exécutoire. »
M.
Verdussen. - Je conçois très bien le sens de cet article. Mais je crois
qu’il y aurait lieu de modifier la rédaction. D’un côté l’on dit :
« Lorsque le
conseil ou la députation a pris une résolution qui sort de ses attributions ou
blesse l’intérêt général, etc. »
De l’autre on dit :
« Si, dans ce délai, le gouvernement n’a pas prononcé, la résolution sera
exécutoire. » Ainsi une résolution qui sort des attributions du conseil ou
de la députation, ou qui blesse l’intérêt général, serait exécutoire : ce n’est
pas ce que le législateur doit dire. Je propose donc de modifier le premier
paragraphe de cet article de la manière suivante :
« Lorsque le
gouverneur est d’avis que le conseil de la députation a pris, etc. »
J’en fais l’objet d’un
amendement.
- La chambre n’étant
plus en nombre pour délibérer, la séance est levée.