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Note
d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du mercredi 18 septembre 1833
Sommaire
1) Membres
absents sans congé
2) Proposition de
loi relative aux droits de sortie sur les lins (de Foere,
A. Rodenbach, de Roo, Desmet)
3) Pamphlet visant à troubler la tranquillité publique (orangisme).
Réponse du ministre (Lebeau)
4) Projet de loi portant
le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1833. Discussion des
articles. Instruction publique. Rôle de l’Etat dans l’instruction publique
(notamment dans l’enseignement moyen et/ou primaire) (A.
Rodenbach, Rogier, (+question des partis politiques
et influence du clergé) Jullien, Legrelle,
de Brouckere, (+universités) Rogier,
de Foere)
(Moniteur belge n°263, du 20 septembre 1833)
(Présidence de M. Coppieters,
vice-président).
M.
de Renesse
fait l’appel nominal à midi et un quart.
MEMBRES
ABSENTS SANS CONGE
Membres absents sans congé :
MM. Angillis. Berger, Brabant, Dams, Dautrebande, Davignon, de Behr, de
Laminne, de Muelenaere, de Nef, de Robaulx, de Robiano, Devaux, Domis, Dubois,
Fleussu, Gendebien, Goblet, Lardinois, Morel-Danheel, Pirson., C. Rodenbach,
Teichmann, Van Hoobrouck, Vilain XIIII, Wallaert.
M. Liedts donne lecture du procès-verbal à une heure moins
un quart ; la rédaction en est adoptée.
M. le président. - La parole est à M. de Foere pour exposer le
développement de la proposition qu’il a présentée à l’assemblée.
- La chambre ordonne l’impression
dans le Moniteur du discours prononcé
par l’honorable M. de Foere. Nous le publierons aussitôt que nous en aurons
reçu le manuscrit. (Remarque du
webmaster : le manuscrit de ce discours n’avait pas encore été transmis à
la chambre à la fin de la session, ce qui conduisait un autre parlementaire à
insister pour l’obtenir, dans la séance du 3 septembre 1833)
M. le président. - Je dois consulter la chambre pour
savoir quel jour elle voudra discuter la prise en considération de la
proposition.
M.
A. Rodenbach. - J’ai soumis à la chambre une proposition sur le même objet ; j’ai
demandé la permission de la développer après les budgets ; je crois qu’on doit
discuter la prise en considération à la même époque.
M.
de Roo. - Avant de
s’occuper de la prise en considération, il faut savoir, aux termes du
règlement, si la proposition est appuyée.
M. le président consulte la chambre. La proposition est
appuyée par un très grand nombre de membres, et la prise en considération est
renvoyée après la discussion de tous les budgets.
M. Desmet est appelé à la tribune pour donner lecture de la
proposition qu’il a déposée sur le bureau de la chambre. Voici comment est
conçue cette proposition, dont le développement sera présenté après la
discussion des budgets :
« LEOPOLD, etc.
« Considérant que la
récolte du lin a généralement manqué cette année, et que l’accaparement qui se
fait de cette matière première par les étrangers doit nécessairement en
augmenter la rareté et la cherté, et qu’il en résulterait un préjudice notable
pour une des branches essentielles de notre industrie ;
« Nous avons, de commun
accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :
« Article unique. Par
modification aux tarifs des douanes des 26 avril 1822 et 14 septembre 1828, en
ce qui concerne les articles de lin et étoupes de lin, l’exportation desdites
étoupes est prohibée à la sortie par mer comme par terre, et les droits
d’exportation du lin brut non peigné sont fixés, par
« La présente loi cessera
ses effets le 1er octobre 1834. »
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, j’ai promis de revenir
aujourd’hui sur une interpellation qu’on m’a fait l’honneur de m’adresser dans
la séance d’hier. J’ai constaté, en effet, que des poursuites sont exercées à
Louvain contre deux pamphlets qui ont été distribués avec profusion dans cette
cité, et que, jusqu’au 9 du mois courant, les poursuites dirigées contre la
première de ces publications avaient été sans résultat. J’ai constaté, de plus,
que le 9 de ce mois un autre pamphlet avait également été distribué avec
profusion ; qu’il était, comme le pamphlet précédent, susceptible d’une
poursuite judiciaire sous deux rapports : d’abord par son contenu, qui a paru
aux officiers du ministère public présenter des provocations à la guerre
civile, et des inculpations très graves contre une classe de citoyens ; et
ensuite, rentrer dans une disposition du code pénal par l’absence de
l’indication du nom de l’auteur ou de l’imprimeur. Ce dernier reproche est
commun aux deux écrits. Des poursuites sont dirigées avec la plus grande
activité contre le second pamphlet comme contre le premier. C’est tout ce que
je puis dire sur ces faits.
La chambre a déjà compris la
réserve que j’ai mise, en parlant de ces écrits, sur les présomptions
auxquelles on pourrait se livrer sur leurs auteurs et sur le but qu’ils se
seraient proposé. (Bien ! bien !)
Discussion des articles
Chapitre X. (devenu
chapitre XII) - Instruction publique
M.
A. Rodenbach. - Messieurs, dans la séance d’hier on a traité longuement la question de
l’instruction publique ; il ne reste donc que peu de chose à dire. Quoi qu’il
en soit, je tâcherai d’éviter les redites et je continuerai à compléter la
statistique de l’instruction primaire commencée par mon honorable ami, le
député de Tournay. Elle prouvera qu’en Belgique l’instruction n’est pas dans un
état alarmant, comme le prétendent quelques orateurs pessimistes. L’on convient
généralement que l’instruction est bonne dans les athénées de Bruxelles, de
Liège, Ath, Tournay, Thuin, et dans l’athénée industriel de Namur ; mais on
doit aussi convenir que, malgré les subsides, les petits collèges du
gouvernement sont et resteront stationnaires, et pour cause. Les chefs mêmes de
l’instruction publique partagent cette opinion, et avancent en outre que nos
universités sont des universités tronquées. Maintenant, messieurs, je vais vous
entretenir un instant de nos établissements libres. Chaque jour la libre
concurrence en établit de nouveaux, grâce à l’art. 17 de notre constitution,
que quelques pseudo-libéraux voudraient effacer de notre pacte fondamental,
s’ils en avaient le pouvoir. Nos collèges libres prospèrent ; cela est
incontestable, parce que l’instruction y est à la hauteur du siècle. Autrefois.
on s’attachait spécialement à enseigner les langues mortes ; outre les langues
grecques et latines, on y enseigne actuellement les langues vivantes, telles
que les langues française, allemande, anglaise et italienne. La chimie, la
physique et les sciences exactes y sont également enseignées. Je pourrais en
citer des exemples sans sortir du district que je représente. Une grande cause
de la prospérité de ces établissements, ce sont les bonnes mœurs et la grande
surveillance que l’on y observe : voilà ce qui inspire de la confiance aux
parents.
Mais abordons l’instruction
primaire : celle-ci dépasse toute attente. Le nombre des élèves qui fréquentent
ces écoles est vraiment surprenant. Mon honorable collègue M. Dumortier, dans
la séance d’hier, vous a fait connaître des tableaux statistiques des écoles de
sa province : il vous a également cité le nombre des élèves qui fréquentent les
écoles dans les deux Flandres. Il s’est basé sur un ancien tableau.
Je vais, messieurs, vous faire
connaître une statistique plus récente. Dans les deux Flandres les élèves qui
fréquentent les écoles en 1833 sont au nombre de 130,000 ; cela fait un élève
sur dix habitants, et d’après des rapports officiels du précédent gouvernement,
il n’y en avait qu’un sur 15. Dans la province de Namur, avant la révolution,
le nombre des écoles était de 233 ; maintenant on en compte 333, ce qui
fait une augmentation de 100 écoles, et le nombre des élèves, qui était de
23,000, s’est accru à 28,000. Dans les provinces de Liége et du Limbourg, on
comptait avant la révolution 620 écoles, maintenant on en compte 975 ; le nombre
des élèves n’était sous Guillaume que de 40,000, aujourd’hui il se monte à
60,000. Dans les provinces d’Anvers et du Brabant il y avait en 1830 975
écoles, actuellement il y en a 1,225. Ou ne comptait en 1830 que 70,800 élèves,
aujourd’hui ou en porte le nombre à 84,500.
Voilà,
messieurs, des documents statistiques pour éclairer la chambre et le public sur
la situation actuelle de l’enseignement, et pour persuader qu’avec la liberté
de l’instruction, nous pouvons être tranquilles sur le sort des lumières et de
l’éducation dans notre pays. Je termine, messieurs, en faisant une question au
ministère. Lorsque les collèges ou écoles acceptent des subsides, sont-ils sous
la surveillance immédiate du gouvernement, et le pouvoir se croit-il le droit
de nommer les professeurs ? C’est ainsi que l’on agissait sous Guillaume aussi
bien pour 10,000 fr. de subsides que pour 100 fr. Si l’on voulait introduire ce
principe dans notre pays, j’ai la certitude que le collège de Courtray et une
foule d’autres repousseraient les subsides. A cet égard je demande une
explication franche.
On nous a parlé
d’obscurantisme, d’ennemis des lumières ; les chiffres que je viens de poser
répondent aux phrases que l’on a faites. Que peut-on craindre ? Avec le
principe de la liberté illimitée de l’instruction publique, avec la liberté de
la presse, il est impossible que les lumières puissent rétrograder.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier) - L’interpellation que l’on vient de faire est
tellement directe que je dois y répondre sur-le-champ.
Non seulement le gouvernement
déchu s’attribuait la nomination des professeurs dans les établissements
auxquels il accordait des subsides, mais il s’attribuait la même nomination
dans les établissements qu’il ne subsidiait pas. C’était à l’aide de ces
bureaux administratifs, que j’ai été étrangement étonné de voir regretter par
l’honorable M. Dumortier, que le gouvernement intervenait dans l’instruction
communale ; c’étaient ces bureaux qui faisaient les présentations des candidats
au professorat, et le gouvernement nommait souvent sans même prendre l’avis de
l’administration communale.
Cet état de choses n’existe
plus.
Là où le gouvernement
n’accorde pas de subsides, il ne s’attribue pas le droit de surveillance et de
nomination. Dans certains établissements qui reçoivent un subside considérable,
le gouvernement s’est encore réservé, avec le concours du conseil de la
commune, la nomination des professeurs. Ce mode de nomination a lieu pour les
athénées de Liège et de Tournay ; dans d’autres établissements, il ne s’est pas
réservé cette nomination. Il a pu être dans le cas de regretter d’avoir
abandonné ce droit ; mais il a poussé si loin le respect pour les libertés
communales, que, dans tel collège, il n’a point renvoyé un professeur connu
pour endoctriner les élèves dans des idées propres à faire regretter le
gouvernement déchu.
Voilà
avec quelle réserve le gouvernement se conduit vis-à-vis d’établissements qu’on
l’accuse de vouloir attirer dans ses filets. J’aurai occasion de revenir sur
cette partie de l’accusation dirigée contre l’administrateur et
l’administration de l’instruction publique, accusation que je dois regarder
comme dirigée contre moi, parce qu’il n’y a pas d’administrateur responsable,
et parce que le ministre encourt le blâme qui tomberait sur un administrateur
sous ses ordres.
Ce n’est pas non plus le
gouvernement qui nomme les instituteurs, il accorde des subsides. Mais il est
bien entendu que si la commune présentait des instituteurs qui ne paraissent
pas convenables, le gouvernement n’accorderait pas de subsides.
Je me réserve de revenir sur
d’autres faits mis en avant dans la séance d’hier.
M. Jullien. - Je commencerai par rendre grâces à
notre collègue M. Dumortier de ce que, par ses attaques virulentes contre le
libéralisme et contre les libéraux, il nous a mis, mes honorables amis et moi,
tout à fait à l’aise, en nous plaçant dans la légitime défense.
Le député de Tournay a jugé
sans doute que le temps était venu d’abandonner les voies souterraines ; c’est
au grand jour qu’il veut combattre ; je l’en félicite, chacun de nous pourra du
moins reconnaître son drapeau. Il a séparé la chambre en deux camps, les
catholiques et les libéraux : ainsi, notre allure sera désormais plus franche,
et nous marcherons enseignes déployées.
Messieurs, je vais aller droit
à la question, et je ne répondrai qu’aux objections qui m’ont paru principales.
La section centrale, après
avoir proposé dans le chapitre II la suppression de l’administrateur et de
l’administration de l’instruction publique, vous a proposé dans le chap. II de
supprimer les subsides qui avaient été accordés aux établissements publics, aux
athénées et aux collèges. La section centrale est tout fait conséquente avec
elle-même car, si elle pense que vous n’avez pas besoin d’administrateur et
d’administration, il est tout simple que l’on supprime le but et l’objet de
cette administration.
J’examinerai à quels titres
les athénées et collèges jouissaient des subsistes qu’on veut leur enlever ;
ensuite nous verrons quels sont les motifs que l’on donne pour les en priver.
Sous le gouvernement français
les lycées, auxquels les athénées ont succédé, étaient entièrement à la charge
de l’Etat ; c’était l’Etat qui en faisait les frais. Lorsque
Vous voyez donc, messieurs,
que si, par suite de manque de moyens financiers, les établissements
d’instruction publique se sont adressés à vous, ils n’ont fait que chercher à
reprendre la position dans laquelle ils étaient.
Pour quelle raison veut-on
maintenant leur dénier les subsides qu’on leur accordait, et que la législature
leur a rendus depuis la révolution de 1830 ? On a parlé de la liberté de
l’enseignement ; on prétend que, d’après l’art. 17 de la constitution, cette
liberté doit exister sans restriction ; on assure qu’il n’est pas possible que
l’on emploie contre elle des mesures préventives.
On repousse même toute
influence du gouvernement sur l’éducation publique, et l’idée de cette
influence a seule suffi pour faire frissonner l’honorable député de Tournay.
Voyons d’abord si nous sommes
d’accord sur la question de liberté d’enseignement. Puisqu’on nous a jeté le
gant, il faut bien le relever. Nous convenons que la liberté de l’instruction
existe d’après l’art. 17 de la constitution ; qu’on ne peut y porter atteinte
par des mesures préventives ; que le gouvernement ne peut avoir aucune espèce
d’influence sur les établissements particuliers ; qu’il n’a aucun compte à leur
demander. Cela est si vrai, que, pour enseigner en Belgique, on n’a besoin de
justifier d’aucune capacité. L’homme le plus ignare peut s’annoncer comme
enseignant les lettres, les sciences et les arts. S’il parvient à tromper la
confiance publique, tant pis pour les parents, tant pis pour les élèves.
Mais s’il ne faut pas de
capacité, il faudra au moins des mœurs ?... pas davantage… L’homme de mœurs les
plus dissolues, un échappé des bagnes peut, s’il lui plaît, se faire
instituteur ; le gouvernement n’a rien à y voir. S’il abuse de la crédulité, de
la bonne foi des parents, tant pis pour eux ; ils devaient se tenir sur leurs
gardes.
Mais si le gouvernement n’a
rien à dire à la capacité et à la moralité, il pourra du moins s’enquérir des
matières de l’enseignement ; il pourra demander aux maîtres, ne fût-ce que dans
l’intérêt de la statistique, le nombre des élèves ? Eh bien, non : on lui
répondra, comme on l’a déjà fait, que ce ne sont pas ses affaires ; ainsi,
l’instituteur pourra verser dans l’âme de ses élèves des doctrines
empoisonnées, des principes subversifs de l’ordre social ; le gouvernement
n’interviendra que dans les cas de flagrant délit, ou si l’instituteur tombe
dans le cas des délits prévus par le code pénal ; car, encore une fois, toute
mesure préventive est interdite, et la répression des délits n’est réglée que
par la loi.
J’espère, messieurs, que j’ai
interprété l’article 17 d’une manière assez large, et que, sur la question de
liberté illimité de l’enseignement, nous voilà d’accord avec nos adversaires.
J’ai quelquefois réfléchi sur
cet article 17, et je me suis persuadé que deux arrière-pensées devaient avoir
présidé à sa rédaction. Parmi ceux qui l’ont adopté, les uns ont certainement
cru qu’au moyen de la restriction posée dans la dernière partie (celle qui
accorde au gouvernement le droit de donner une instruction publique à ses
frais), qu’au moyen de cette restriction, dis-je, on ne manquerait pas de
détruire les funestes conséquences de cette liberté illimitée que la première
partie de l’article consacrait ; les autres ont pense qu’en raison de leur
influence, de leur caractère et de leur position sociale, ils parviendraient, à
l’aide de ce prestige de liberté illimitée, à s’emparer du monopole de
l’enseignement. Autrement, messieurs, l’idée d’abandonner l’instruction
publique à toutes les chances de l’industrie et du commerce, sans que le
gouvernement puisse y exercer aucune action, aucune influence ; une pareille
idée, je ne crains pas de le dire, eût été, ainsi que l’a fait entendre mon
honorable ami M. Ernst une idée antisociale. Je ne pense pas même qu’elle soit
jamais venue dans la tête des doctrinaires. (On rit.)
Mais si la liberté de
l’enseignement est illimitée pour tout le monde, elle l’est aussi sans doute,
pour le gouvernement : pourquoi donc n’en jouirait-il pas comme les
particuliers ou au même titre que d’autres sociétés ?
Je dis qu’il n’a même pas
besoin d’invoquer ce principe de liberté, parce que d’après l’art. 17 il doit
être donné une instruction publique aux frais de l’Etat.
C’est donc dans le pacte
fondamental que le gouvernement puise le droit de créer des établissements
d’instruction : lui seul peut le faire dans des vues de perpétuité et de durée,
et s’il est en droit de les former, il faut bien qu’il ait le droit de les
surveiller et de les administrer : la conséquence est rigoureuse.
Il y a plus, ce n’est pas
seulement pour lui une faculté, c’est un devoir ; car si l’instruction est une
marchandise, on ne la donnera pas pour rien. L’honorable abbé qui siège à mes
côtés vient de dire tout à l’heure, en développant sa proposition sur les lins,
qu’un travail sans bénéfice n’était pas dans la nature. Je crois que ce sont là
ses paroles. (M. de Foere fait un signe
d’assentiment).
M de Foere dit que c’est vrai.
(On rit.) Or, vous voyez bien que
s’il en est ainsi, l’instruction ne sera pas donnée gratis ; et cependant c’est
un principe admis dans toutes les sociétés civilisées que l’on doit
l’instruction aux pauvres au même titre que la nourriture.
Quelle serait la conséquence
du rejet des subsides qui sont demandés pour divers athénées et collèges ? Ce
serait à la longue la chute de ces établissements, et la section centrale n’a
peut-être pas pensé que cette chute aurait lieu au profit des jésuites et des
petits séminaires ; car sans cela je doute qu’elle nous eût présenté les
conclusions qui se trouvent dans son rapport.
On a dit dans ce rapport, pour
justifier en quelque sorte le retrait de ces subsides : « Le gouvernement
sorti de la révolution continue à soumettre à sa surveillance tous les
établissements d’instruction qui reçoivent des subsides du trésor. »
Mais quand bien même, au moyen
de ces subsides fournis aux villes qui ne peuvent pas subvenir par elles-mêmes
aux frais de leurs athénées et collèges, le gouvernement y apporterait son intervention,
où donc serait le grand mal ? Est-ce que le gouvernement peut vouloir, pour la
direction de ces établissements, autre chose que les régences des villes, des
grandes communes où sont situés les athénées et collèges, ne veulent
elles-mêmes ?
Si elles veulent se soustraire
à l’influence du gouvernement, le moyen est facile ; c’est de ne pas demander
ou de ne pas recevoir de subsides. Mais si elles accordent au gouvernement une
part de surveillance sur leurs établissements, en raison des fonds qu’elles en
auront reçus, elles ne feront qu’un acte de raison et de justice. Il est
d’ailleurs inexact de dire qu’à cause de cela ces établissements seront placés
sous le patronage du gouvernement. Je puis attester qu’à Bruges la régente a
conservé la nomination des professeurs, la direction des établissements
d’instruction publique ; mais elle a reçu avec reconnaissance les subsides que
le gouvernement avait demandés en leur faveur et que la législature avait
accordés.
On a parlé des universités. Je
suis à cet égard de l’avis de ceux qui pensent que pour le moment il ne faut
pas faire de nominations nouvelles, à moins qu’elles ne soient absolument
nécessaires, parce que si, comme on le demande, la suppression de l’une ou
l’autre des universités doit avoir lieu, plus il y aurait de professeurs, plus
aussi il y aurait d’existences dérangées. Ainsi, nous devons seulement tenir à
ce que ces établissements continuent d’exister comme ils sont, et à ce qu’on ne
fasse que les nominations nécessaires, pour que l’enseignement n’ait pas trop à
souffrir.
Un honorable membre de la
section centrale, pour la justifier des reproches adressés à son rapport, a
cherché à jeter toute la défaveur possible sur l’administrateur de
l’instruction publique. Je n’ai pas l’honneur de connaître cet administrateur,
mais il est absent et je le défendrai. On a dit qu’il distribuait les subsides
à tort et à travers, qu’il jetait de toutes parts ses filets pour enlacer les
athénées et collèges dans son influence. Si ces termes ne sont pas polis, au
moins ils sont clairs. (Hilarité.)
Mais si ce fonctionnaire était dans cette enceinte, il pourrait renvoyer
l’inculpation à celui qui l’en a chargé ; car si la distribution des subsides
que nous votons se fait à tort et travers, c’est à vous, messieurs, que le
reproche s’adresse car on ne vous demande pas ces allocations in globo, mais pour tel et tel établissement, et vous les
accordez pour qu’ils aient la destination indiquée par le gouvernement ou
l’administrateur de l’instruction publique. Il m’a semblé, à ce ton
d’acrimonie, que c’était plutôt à la place qu’à l’homme qu’on en voulait, car
en vérité l’homme n’est pas coupable.
Il y a, dit-on, inégalité dans
la distribution des subsides.
Mais comment voulez-vous que
cela ne soit pas ? Comment voulez-vous, par exemple, que la ville de Bruxelles,
à cause de l’importance de son athénée qui fait honneur à la capitale comme au
pays, ne reçoive pas uns somme plus considérable que les autres ? L’inégalité
est dans l’essence de la chose même. L’administrateur ne pouvait faire qu’elle
n’existât pas. Il en est de même pour les autres villes. C’est en raison de
leurs demandes et de leurs besoins que vos subsides ont été distribués d’après
le vote de la législature.
Messieurs, c’est l’honorable
M. Dumortier qui nous a appris que la section centrale ne proposait de retirer
ces allocations que pour forcer le gouvernement à présenter une loi sur
l’instruction publique. Je suis étonné que ce soit aussi tard qu’on vienne nous
donner cette excuse, parce que, si c’était là le but évident de la section
centrale, elle ne devait pas en faire un mystère pour nous ; si c’était là ses
motifs, elle n’avait pas besoin d’en chercher d’autres. Mais concevez-vous bien
ce singulier moyen de forcer la main au gouvernement ?
Vous avez entendu les
partisans du système de cette section nous dire que cette suppression était
demandée dans des vues d’ordre et d’économie, et pour ramener le gouvernement
aux principes de la justice distributive. Mais si cela est, comment
arriverez-vous par ce moyen au but que vous vous proposez ? l’ordre sera
rétabli, et voilà tout. Convenez donc que c’était plutôt dans une vue
désorganisatrice, car ce n’est que la crainte de cette désorganisation qui
pourrait forcer le gouvernement à entrer dans vos vues.
L’honorable député de Tournay
nous a parlé de torches incendiaires dans les mains des libéraux. Messieurs, il
s’est trompé. Le libéralisme a un flambeau, c’est le fanatisme qui a des
torches. (Mouvement d’approbation.)
La population des collèges et
des athénées a, dit-il, diminué considérablement depuis que l’enseignement est
libre, tandis que les autres écoles se sont renforcées. Le beau miracle, quand
on répandait la calomnie sur tous les établissements publics et qu’on forçait
par là les parents à envoyer leurs enfants dans les séminaires et chez les
jésuites ! Entre mille preuves j’en citerai une qui m’est particulière comme
membre de la régence de Bruges. Ce ne sera pas une preuve en l’air ; elle se
trouve dans une correspondance entre Mgr. l’évêque de Gand et la régence de la
ville dont je viens de parler.
En 1831, à la fin de l’année
scolaire, le principal de l’athénée de Bruges, qui en était en même temps
l’aumônier, ayant donné sa démission, la régence s’est adressée à Mgr. l’évêque
de Gand pour obtenir de lui, un ecclésiastique qui serait à la fois principal,
aumônier et professeur de cet athénée.
Monseigneur répondit qu’il le
voulait bien, mais à condition que cet ecclésiastique serait le maître de
l’enseignement, qu’il nommerait et révoquerait les professeurs, et qu’il
pourrait renvoyer les élèves ; à des conditions enfin qui faisaient de la
régence un simple caissier.
La régence, en toute humilité
chrétienne, fit des remontrances à monseigneur l’évêque ; elle chercha à
concilier ces prétentions avec l’intérêt de l’instruction publique et sa propre
dignité ; elle étendit plus loin qu’elle ne l’avait fait le pouvoir du
principal ;, Mais la réponse fut encore la même. Enfin la régence s’est
bornée à demander un ecclésiastique pour chanter la messe du Saint-Esprit à la
rentrée des classes, et l’ecclésiastique a été refusé. La messe du Saint-Esprit
n’a pas été chantée. Je n’ai pas entendu dire que les élèves et les professeurs
eussent été moins bien illuminés pour cela pendant toute l’année. (Bruyante hilarité.) Mais toujours est-il
qu’il n’y a pas eu de messe du Saint-Esprit.
Eh bien ! voilà comme les gens
d’un certain parti entendent la liberté de l’enseignement. N’est-il pas clair
que si on refuse à un établissement public d’instruction l’assistance de la
religion que chacun de nous réclame pour ses enfants, on parviendra
nécessairement à le faire tomber ? Aussi a-t-il fallu que cet athénée renonçât
à son pensionnat et qu’il se bornât à recevoir des externes, qui pour leurs
devoirs religieux restent sous la surveillance de leurs parents.
On a parlé de l’immoralité qui
régnait dans certains collèges, de vices honteux des élèves ; mais si ces faits
sont exacts, pourquoi ne les a-t-on pas dénoncés ? Que penser des
administrations publiques, des autorités municipales, qui auraient souffert
sous leurs yeux de pareils débordements ? Croyez-moi, ne parlez pas de ces
choses-là, de peur de réveiller des souvenirs historiques qui ne feraient pas
honneur à ceux qui aspirent au monopole de l’instruction.
Le catholicisme, a-t-on dit,
ne sait qu’édifier et construire, tandis que le libéralisme ne fait que
détruire et démolir.
Ce n’est pas moi qui me donne
la peine de répondre à uns étrange apostrophe ; c’est l’Italie, c’est
l’Espagne, c’est le Portugal qui vous répondront.
Voyez ce que sont devenus les
plus beaux pays de la terre sous l’influence des moines et des capucins qu’on
veut nous rendre, et qui, si on n’y met ordre, couvriront bientôt le sol de
Mais, pour cette tourbe
d’intrigants, d’hypocrites, de tartuffes nouveaux, qui font de la religion
métier et marchandise, que leur importe la religion ! Ce n’est pas le triomphe
de la religion qu’ils cherchent, mais bien le triomphe de leur parti, comme
moyen de satisfaire leur ambition et leur cupidité. Messieurs, ceux qui aiment
sincèrement la religion sont ceux qui la veulent pure comme l’Evangile,
tolérante comme la loi, dégagée de toutes les superstitions, de toutes les
jongleries du moyen-âge. Ceux-là ont la religion dans le cœur ; les fanatiques
l’ont dans la tête. (Nouvelles marques
d’approbation.)
L’instruction, dit-on, doit
être abandonnée aux particuliers. Je crois qu’on a déjà suffisamment réfuté
cette proposition ; mais je dirai à ceux qui l’ont mise en avant : Vous n’êtes
pas des particuliers, vous êtes un corps compact, vous êtes la milice de Rome,
et s’il faut à Rome des prêtres, il nous faut à nous, il faut à l’Etat des
citoyens. Puis on ajoute qu’on veut bien laisser sous la surveillance du gouvernement
les écoles vétérinaires, l’école polytechnique ; on prêche même l’établissement
de ces écoles.
Je le
crois bien : je n’ai jamais entendu dire que les docteurs en théologie
aspirassent à devenir artistes vétérinaires (hilarité), et jusqu’à présent du moins ils n’ont pas fait invasion
dans les écoles polytechniques. Aussi, on abandonnera volontiers à toute
l’influence, à toute la surveillance du gouvernement, ces établissements ; mais
pour les autres, on les lui disputera jusqu’à la fin.
Messieurs, ce n’est pas sans
une sorte de regret que je suis entré dans toutes ces considérations ; j’aurais
voulu éviter ces débats qui ont toujours du retentissement au-dehors ; mais
comment se taire quand on nous a provoqués par les apostrophes les plus
virulentes, quand on prend à partie nos bancs tout entiers ? Car n’a-t-on pas
prétendu que c’était nous-mêmes qui, dans d’autres temps, nous étions montrés
les ennemis des lumières et de l’instruction ? Nous, les ennemis des lumières,
quand l’étude de toute notre vie a été de les répandre ! A qui donc, à quelle
époque, à quel discours, l’honorable député de Tournay a-t-il voulu faire
allusion ?
Messieurs, j’ai rempli ma
tâche ; je voterai pour le maintien de tout ce qui est, jusqu’à ce qu’une loi
sur l’instruction publique intervienne ; j’allouerai même tous les subsides
nouveaux qui sont demandés, et notamment les 5,000 fr. réclamés par la ville de
Courtray, parce que je sais que cette ville industrieuse a besoin de ce
secours.
M. Legrelle. - Messieurs, j’avais demandé hier la parole ; c’était pour protester à
mon tour contre la manière dont on a interprété les intentions de la section
centrale. Ce que je pourrais dire à cet égard ne serait que la répétition de ce
que vous avez entendu, et il n’est jamais dans la volonté de la section
centrale de récriminer. Elle a voté, quoi qu’en dise M. Jullien, tout ce qui
existait, excepté toutefois qu’elle a
demandé des explications sur un commis. Elle a exprimé le vœu que de nouvelles
nominations n’eussent pas lieu jusqu’à la promulgation de la loi qui doit
régler l’instruction publique ; mais cette loi nous est due d’après les termes
formels de la constitution. Je ne sais pas ce qui a pu motiver l’acrimonie
qu’on a montrée contre la section centrale. J’avoue que d’abord j’ai été frappé
d’étonnement ; j’ai rappelé en ma mémoire tout ce qui s’était passé au sein de
cette section, toutes les opinions qu’on y avait émises, et je n’ai rien vu qui
pût légitimer ce qui s’est dit dans cette chambre. J’en appelle au témoignage
de MM. d’Huart, Dellafaille et Corbisier. Les honorables membres qui font le
procès à la section centrale oublient qu’ils le font en même temps à toutes les
sections, car nous n’avons que résumé leur opinion.
Il importe que dans cette circonstance le
public ne soit pas induit en erreur, qu’il sache que la section n’a pas pensé,
n’a pas dit tout ce qu’on lui a faire dire. Je craignais d’abord que quelques
phrases équivoques ou erronées dans le rapport de l’honorable M. Dubus
n’eussent donné lieu à de fausses interprétations ; mais en le relisant avec
bonne foi, avec impartialité, je vous avoue que je n’en ai trouvé aucune. J’ai
demandé tout à l’heure à l’honorable M. Ernst de vouloir bien me désigner les
passages qui l’avaient blessé. Il a bien voulu me montrer celui-ci : « Le
gouvernement sorti de la révolution continue à soumettre à la surveillance tous
les établissements d’instruction qui reçoivent les subsides du trésor, et en
multipliant ces subsides, il tend, en effet, à centraliser de nouveaux dans ses
mains la direction de l’enseignement, avant qu’aucune loi n’ait réglé encore
cette matière importante. »
Eh
bien, messieurs, la section a manifesté là toute sa pensée et elle a exprimé le
vœu que des subsides ne fussent plus accordés avant une loi nouvelle. Il faut
que M. Jullien n’ait pas lu ce rapport ; sans cela il aurait vu que cela se
trouvait textuellement à la page 29.
L’allocation que l’on demande
se trouve répartie entre divers collèges et athénées ; or, n’est-il pas tout à
fait arbitraire d’allouer des subsides à tel établissement communal, et de ne
pas en allouer à d’autres ? De deux choses l’une : ou il faut laisser aux
communes les dépenses qui leur incombent, ou il faut leur donner à toutes les
secours auquel elles ont droit. Or, je ne vois figurer dans la liste que
Bruxelles, Namur, Tournay et seize autres communes encore. Je m’étonne que
plusieurs villes qui ont demandé des subsides n’y soient pas comprises.
A Anvers on fait une dépense
de 100,000 fr. et au-delà pour l’instruction publique. Et c’est en présence de
pareils faits et des efforts qui ont été tentés depuis trois ans, qu’on nous
accuse de vouloir nous opposer à l’essor de l’instruction publique ! Cela seul
suffira pour faire connaître nos véritables intentions. Du reste, mes collègues
ont pleinement justifié la section centrale, et ce que je viens de dire, c’est
seulement pour confirmer ce qu’ils ont développé avec beaucoup plus d’éloquence
et de force que moi.
M. de Brouckere. - S’il se trouvait au milieu de nous un homme totalement étranger à nos
débats, ne s’étant point fait rendre compte du sens qu’il faut attacher aux
expressions de catholiques et de libéraux dont on se sert quelquefois ici,
ignorant ce qui divise ceux auxquels s’appliquent ces qualifications, ne
sachant ni les vues des uns ni les craintes des autres, quel ne serait pas son
étonnement en voyant la chambre se diviser en deux camps à l’occasion d’une
majoration de quelques mille francs réclamée par le gouvernement en faveur de
l’enseignement ? Et si l’on disait à cet homme que ceux qui se prononcent en
faveur de cette majoration sont précisément ceux qui le plus souvent forment ce
qu’on appelle l’opposition dans la chambre, si on lui faisait observer que dans
une discussion aussi vive, aussi animée, les ministres seuls gardent le
silence, restent indifférents, comme si la chose ne les concernait pas, je vous
le demande, comment pourrait-il se rendre compte de ce qui se passe depuis
quelques jours dans le sein de cette assemblée ?
Je ne rentrerai pas dans la
discussion des faits avancés par les uns, contestés par les autres ; on a
vainement tenté de réfuter ce qu’avaient dit avec tant de force et d’éloquence
les orateurs qui ont pris la parole ; malgré la virulence avec laquelle ils ont
été attaqués, on ne leur a point prouvé qu’ils avaient eu tort. Je
m’abstiendrai de me livrer à aucun reproche, à aucune récrimination, pas même
envers l’honorable député de Tournay qui a si légèrement parlé de la manière
révoltante avec laquelle certains de ses collègues n’ont cessé d’attaquer les
collègues, n’ont cessé d’attaquer la doctrine et la moralité chrétienne, alors
que ces collègues respectent autant que lui cette doctrine et cette morale.
Quelle est la véritable
question ? Accorderez-vous au gouvernement les fonds nécessaires pour soutenir
les universités et les établissements moyens, ou les mettrez-vous dans une
position telle qu’il soit forcé de
laisser dépérir et les uns et les autres ?
Laisser dépérir, ai-je dit, et
c’est ce qui arriverait infailliblement si on adoptait pour règle de conduite
de ne créer aucune nouvelle chaire, de ne nommer aucun professeur nouveau, même
pour les chaires devenues vacantes ; si on se décidait, comme le voudrait la
section centrale, à ne plus accorder à l’avenir de subsides aux athénées et
collèges, puisque les universités dépourvues de certaines chaires, les athénées
et collèges privés de certains cours, deviendraient nécessairement déserts, et
que les élèves qui les fréquentent seraient forcés de se présenter ailleurs,
Mais on m’arrête et l’on me
dit : Les mesures que nous proposons ne sont que provisoires ; elles seront
abandonnées dès qu’une loi aura été votée sur l’instruction publique qui doit
être donnée aux frais de l’Etat. Or, cette loi, nous l’appelons de tous nos
vœux.
Suivre une semblable conduite
ce serait faire à peu prés ce que fait le propriétaire d’un édifice menaçant
ruine, et qui, au lieu de se hâter et de faire les réparations urgentes,
perdrait son temps à discuter quel plan il adoptera et laisserait crouler
l’édifice. Vous appelez de tous vos vœux cette loi ! Et moi aussi, messieurs,
je l’appelle de tous mes vœux ; et je ne me contente pas de le dire, je le
prouve. En effet, il y a près d’un an que j’ai proposé à la chambre, alors que
le gouvernement nous avait parlé avec quelque hésitation de son intention, de
nous présenter un projet de loi sur l’instruction ; j’ai proposé, dis-je, de
l’engager à accomplir cette intention dans le plus bref délai ; ma proposition
fut rejetée, et ce n’est pas la seule fois qu’une partie de l’assemblée a
exprimé des sentiments aussi peu favorables à l’instruction publique. Personne
n’a oublié ce qui s’est passé à l’occasion d’un projet de loi présenté par les
honorables MM. Seron et de Robaulx ; cette proposition n’eut même pas les
honneurs de la prise en considération, contre laquelle des ministres ne
craignirent pas de voter.
L’empressement des ministres
qui gouvernent aujourd’hui
Nous n’aurons donc
probablement pas d’ici à longtemps une instruction, et en attendant on
laisserait dépérir universités et collèges. Non, messieurs, nous ne nous
exposerons pas à encourir le reproche, que nous mériterions alors, de chercher
à étouffer les lumières, d’aller en rétrogradant dans la carrière de la
civilisation.
Mais, dit-on, les subsides se
distribuent arbitrairement et d’après le bon plaisir de l’administrateur, qui
les donne à tort et à travers, les jette pour ainsi dire à la tête de ceux qui
ne les réclament pas. Cette distribution doit être réglée par une loi et non
par le caprice d’un homme.
Encore une fois, cette loi,
nous la réclamons depuis longtemps ; mais nous faisons d’inutiles efforts
; ils sont étouffés avec empressement. Et jusqu’à ce que nous l’obtenions, il
est à coup sûr dans l’esprit de l’art 17, puisque l’on invoque l’esprit de
cette constitution, que l’instruction publique ne reste point sans subside.
Mais est-il vrai de dire que
le caprice et l’arbitraire servent seuls de règle ? Cela est ici si peu exact,
que le gouvernement ne cache point l’emploi qu’il compte faire des subsides
qu’il sollicite.
Les établissements pour
lesquels des subsides sont demandés sont les suivants :
Pour l’athénée de Bruxelles,
une somme de 27,155 fr. Si cette somme est retirée, cet établissement tombe au
degré le plus bas de tous ceux du pays. On doit supprimer et renvoyer les
professeurs de tous les cours autres que ceux de langue grecque et latine :
Mathématiques transcendantes,
physique, chimie ;
Mathématiques élémentaires ;
Cours de commerce et de tenue
des livres ;
Histoire naturelle, botanique
;
Histoire ancienne, histoire
générale ;
Grammaire générale ;
Langue française ;
Langue anglaise ;
Langue allemande ;
Dessin linéaire ;
Dessin ombré ;
Calligraphie ;
Cours qui font de l’athénée de
Bruxelles, l’établissement le plus complet d’enseignement moyen et le mieux
approprié aux véritables besoins de l’époque ; qui en font un établissement
modèle, comme l’honorable M. Dumortier en convient lui-même ;
Pour les athénées de Namur et
Tournay, la continuation des sommes accordées sous l’ancien gouvernement,
augmentées, quant à Namur, en raison d’une suppression opérée par la régence
d’une partie du subside municipal ;
Pour l’athénée de Bruges, une
somme de 6,350 fr. que l’état des finances de cette ville rendait indispensable
;
Pour l’athénée à fonder à
Arlon et destiné à remplacer celui du Luxembourg, qui coûtait au gouvernement
9,000 fl., une somme de 10,000 fr. qui, pour cette année, se bornerait à 2,500,
eu égard aux premiers trimestres écoulés avant la fondation de l’établissement
;
Pour le collège de Nivelles
2,539 fr., subside qui était payé avant la révolution, plus une augmentation de
800 fr. pour achat d’instruments pour le cours de physique ;
Pour les collèges d’Ath et de
Liége, deux subsides de 4,232 et 6,350 fr. destinés à maintenir l’enseignement
à la hauteur des besoins ;
Pour le collège de Chimay, la
continuation de son subside ;
Pour ceux
de Mons, St.-Trond, Bouillon, Tongres, Ypres, Menin,
Dinant, Lierre, Verviers, Huy et Stavelot, de très légers subsides, faute de
quoi les administrations communales sont sur le point d’abandonner
l’enseignement.
En tout pour l’enseignement
moyen, 115,000 fr.
Dans cette nomenclature sont
encore omis des établissements qui jouissaient de subsides sous l’ancien
gouvernement, et je citerai entre autres le collège de Ruremonde, auquel je
crois qu’il serait injuste de refuser à l’avenir l’avantage dont il a joui
pendant les trois années qui ont précédé la révolution.
Mais les sommes que nous
sommes d’intention de voter sont-elles donc exorbitantes ? Loin de là,
messieurs, et c’est par cette observation que je terminerai le peu de mots que
j’ai cru devoir dire. Il y a en Belgique quatre millions d’habitants ;
l’instruction publique n’y coûte actuellement qu’un millions, c’est-à-dire 25
centimes par habitant. Est-ce là de la prodigalité ? Je ne pense pas qu’on ose
le soutenir.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Rogier) -
Messieurs, l’honorable orateur qui vient de prendre la parole a reproché au
ministère l’espèce d’indifférence avec laquelle il assistait à la discussion
qui s’est élevée à la séance d’hier, et non pas depuis plusieurs jours, à
l’occasion de la partie de mon budget qui concerne l’instruction publique. A la
vérité nous ne nous étions pas attendus à ce qu’un débat aussi grave et même
aussi passionné s’agiterait dans cette enceinte au sujet de faits qui ne se
présentent pas pour la première fois à votre délibération. Nous avions cru que
la plupart des questions délicates qui ont été abordées trouveraient mieux leur
place dans la discussion de la loi sur l’instruction publique, dont le projet
vous a été annoncé il y a déjà un an et qui n’a pu encore vous être soumis.
Messieurs, il est un point que
chacun de vous pourra apprécier, c’est que le gouvernement souffre tout le
premier, dans le pays, de l’état véritablement anarchique, où l’instruction
publique a été jetée par la commission révolutionnaire. Le premier, il sent le
besoin de voir ses droits et ses devoirs légalement réglés. Ce n’est donc pas
par des motifs particuliers au gouvernement que ce projet de loi ne vous a pas
encore été apporté. Mais la chambre est surchargée de travaux ; elle a à
délibérer sur la loi provinciale, la loi communale, sur beaucoup d’autres dont
les projets lui ont été proposés ou annoncés ; c’est vous dire que la
présentation d’un projet de loi sur l’instruction publique dans de telles
circonstances serait une œuvre inutile ; J’ajouterai qu’à voir les passions que
cette matière délicate excite dans cette enceinte, je ne sais si ce ne serait
pas aujourd’hui une œuvre inopportune.
L’honorable M. Dumortier, dans
un discours rempli d’ailleurs de faits exacts et plein d’intérêt, s’est livré,
contre un arrêté du 16 décembre, à des attaques d’une telle violence, et d’une
telle injustice, que je ne puis m’empêcher d’en prendre la défense. D’abord, il
a été proposé au gouvernement provisoire par un ministre laborieux auquel on
doit rendre cette justice, qu’il a mis l’ordre dans l’administration civile,
alors que presque partout ailleurs régnait encore le désordre.
Vous savez, messieurs, que
parmi les griefs du pays, sous l’ancien gouvernement, l’instruction publique ne
figurait pas en dernière ligne. L’impopularité des établissements d’instruction
publique était portée à ce point qu’après la révolution il fut impossible de
les rouvrir ; les universités durent dans ce cas. Le gouvernement provisoire
dut attendre qu’un grand nombre de réclamations lui fussent parvenues avant
d’essayer de les rétablir, mais il dut toutefois modifier les bases de
l’enseignement ; les nombreux abus dont on s’était plaint lui en faisaient une
nécessité. Il y avait des vices sans nombre à faire disparaître, et voilà le
but de l’arrêté du mois de décembre, de cet arrêté que l’on a qualifié de
désorganisateur, et que j’ose appeler, moi, réparateur.
Un des abus reprochés à
l’enseignement universitaire consistait dans les rétributions trop élevées
imposées aux élèves ; un des premiers soins du gouvernement provisoire fut de
réduire d’un tiers les frais et les rétributions exigées ; les cours cessèrent
aussi d’être obligatoires pour l’obtention de grades, et il y eut ainsi plus de
liberté et d’économie à la fois pour les études.
La langue latine que, par
haine sans doute de la langue française, l’ancien gouvernement avait rendue
obligatoire dans un grand nombre de cours, ne fut plus dominante. L’emploi du
latin, d’obligatoire qu’il était dans les cours, les promotions et les thèses,
devint facultatif ; l’arrêté prescrivit aux professeurs de se servir de la
langue qui convenait le mieux à la nature du cours, ainsi qu’aux besoins des
élèves.
Faut-il aussi vous rappeler
que les élèves étaient anciennement tenus de justifier d’avoir suivi un cours
de langue et de littérature hollandaises, et que cette obligation n’existe plus
?
L’usage des thèses, le specimen inaugurale qui, par parenthèse, était
soumis à la censure préalable de la faculté, était devenu un objet de
réclamations et de railleries. Il était dégénéré en une sorte de parade dans
laquelle l’attaque et la défense avaient été concertées à l’avance, et dont on
venait faire ensuite une répétition publique, suivie d’un repas joyeux. La thèse
devait être soutenue dans la langue latine, Aujourd’hui la thèse est
facultative comme la langue elle-même. Maintenant je demande si l’arrêté est
conçu dans un esprit illibéral ou rétrograde ; je le demande surtout à ceux qui
se souviennent encore des réclamations légitimes qu’avait excitées l’arrêté
vraiment barbare de 1825 qui fermait les universités, et interdisait les
fonctions aux Belges qui ne pouvaient pas justifier d’avoir fait leurs études
dans l’intérieur du pays. Sous l’empire de l’arrêté de 1830, toutes les études
portent leurs fruits ; qu’elles aient été faites en Allemagne, en Angleterre,
en France, aussi bien qu’en Belgique. En accordant aux élèves toutes ces
mesures réparatrices, le gouvernement provisoire a poussé ses soins jusqu’à
accorder aux professeurs eux-mêmes des faveurs qu’ils n’avaient pas réclamées.
La nomination du recteur passa
du gouvernement au conseil académique. Le sénat académique, auquel appartient
la surveillance de la discipline académique et des études, n’était composé que
des professeurs ordinaires, et formait comme un corps privilégié dans le corps
universitaire. Le gouvernement substitua à ce régime un régime plus libéral.
Les professeurs ordinaires, les professeurs extraordinaires, les membres de
toutes les facultés furent appelés à faire partie du sénat académique.
Il faut bien en convenir,
toutes ces mesures furent accueillies avec faveur, et il est très vraisemblable
qu’elles passeront pour la plupart dans la nouvelle organisation qui se
prépare.
J’en viens à la partie de
l’arrêté qui supprime plusieurs facultés, savoir :
A Gand, suppression de la
faculté des sciences et de la faculté des lettres ;
A Liége, suppression de la
faculté des lettres ;
A Louvain, suppression de la
faculté des sciences et de la jurisprudence ; mais cette dernière faculté fut
bientôt après rétablie.
Lorsque le gouvernement
supprima ces quatre facultés, se fit-il un jeu de porter la hache dans
l’édifice de l’instruction publique ? Voulut-il en effet la ruine de ces
établissements ? Non, messieurs ; mais il dut céder à des nécessités que ne se
rappellent sans doute plus les adversaires de l’arrêté de
Il ne s’agissait pas, en
effet, de préférer des titres patriotiques à des titres scientifiques. Mais
lorsqu’il a pu rencontrer les conditions de savoir et de patriotisme réunies, il
n’a pas hésité dans le choix.
On a parlé de replacer les
anciens professeurs. Il en est cinq qui seraient dans ce cas.
Les autres ont renoncé au
pays. Avec ce personnel, si tant est que le gouvernement crût devoir les
rappeler, je demande s’il serait possible de reconnaître les facultés dont on
déplore la suppression. D’ailleurs, ce serait une question à examiner que celle
de savoir si, dans l’intérêt des bonnes études, il ne convient pas que les
élèves soient forcés d’aller recueillir les sciences à divers foyers
d’instruction.
On a parlé de diplômes
colportés et vendus : c’est là, messieurs, un reproche très grave. Le
gouvernement y a été sensible, et comme le fait avait retenti dans les journaux
longtemps avant d’avoir été signalé à cette tribune, nous ne sommes pas restés
sans prendre des mesures pour découvrir l’abus et le réprimer s’il existe. Je
ferai remarquer que sous l’ancien gouvernement les mêmes abus était aussi
dénoncés, et avec d’autant plus de vraisemblance que le prix de vente était
meilleur.
On reprochait aux universités
des admissions faciles, complaisantes ou vénales : il est de fait que très peu
d’élèves ne parvenaient pas au grade qu’ils réclamaient.
Une des universités étaient
particulièrement signalée comme s’étant livrée à cet infâme trafic ; elle m’a
donné les preuves certaines que, dans le courant de l’année qui vient de
s’écouler, beaucoup des candidats avaient été refusés, et quelques-uns même à
plusieurs reprises.
Dans cette circonstance, comme
toutes les fois qu’il s’agit de nomination quelconque, il faut tenir compte des
dépits qu’un refus amène toujours à sa suite. Un seul élève, renvoyé pour
ignorance, peut donner lieu à des attaques, si les plaintes de son amour-propre
sont trop légèrement accueillies par les journaux.
On a vivement attaqué
l’existence des commissions d’examen. Ces commissions se bornent à conférer les
grades de candidats Je pense qu’il est possible que des abus existent de ce
côté ; on examinera s’ils ont un caractère de gravité tel, que nous devions
appréhender de voir ces commissions continuer leur office jusqu’à
l’organisation nouvelle.
On a signalé d’autres abus
encore. Mais, de bonne foi, le gouvernement ne saurait en être responsable. Le
nombre des élèves est descendu de quinze cents à mille, c’est possible ; mais
oubliez-vous que le gouvernement a permis aux élèves d’aller étudier où bon
leur semble ? Cette diminution n’est donc après tout que le résultat de la
concurrence succédant au monopole.
Les époques n’ont pas été bien
choisies pour comparer entre eux les chiffres d’élèves qui fréquentaient les
universités.
Avant la révolution, une seule
carrière, pour ainsi dire, était ouverte aux jeunes Belges, la carrière
scientifique, et ils s’y jetaient de nécessité. Aujourd’hui les rangs de
l’armée leur sont ouvertes, les administrations les reçoivent, et voilà un des
secrets de l’abandon des universités. Du reste, messieurs, la diminution du
nombre des élèves n’indique nullement que les études soient ralenties ; le
nombre des promotions universitaires, qui n’a pas été en diminuant, en fait
foi.
Je passe à la partie purement
financière de la discussion : la section centrale a refusé au gouvernement une
somme assez forte, sous prétexte que ce crédit n’avait pas été accordé l’an
dernier.
Cependant la nécessité de
cette somme, qui a eu le malheur d’être rejetée en 1832, se justifie
complètement par les développements du budget ; il suffit de lire la note 3 du
chapitre XI ; j’y trouve détaillée chaque répartition, on voit à quel objet
elle est destinée ; si la section centrale avait prouvé qu’il y a trop pour la
bibliothèque de Louvain, par exemple, trop pour le jardin botanique de Liége,
et ainsi de suite, peut-être aurions-nous pu consentir, après examen, quelques
économies. Je regrette vivement que l’on semble ignorer ici que, par les
réductions des années antérieures, le service des universités a été gravement
compromis.
Par suite des suppressions
faites en 1831, beaucoup d’ouvrages périodiques auxquels on était abonné ont
été suspendus. Plusieurs ventes publiques ont eu lieu, elles offraient des
richesses précieuses pour le pays ; le gouvernement s’est vu dans
l’impossibilité de les acquérir.
Puisque nous en sommes à la
discussion générale, et que le ministre s’est vu forcé d’y prendre part, je
dirai quelques mots des athénées et des collèges. Ici pas plus qu’ailleurs le
gouvernement ne s’est montré animé par un esprit de mesquine économie non plus
que par un désir de domination ; au lieu de chercher à enlacer dans ses filets,
comme on l’a dit, toute l’instruction communale, il s’est plutôt privé de ses
moyens de surveillance ; je ne veux pas dire qu’il ait bien fait, car lorsqu’il
accorde des subsides, il lui revient un droit de surveillance ; c’est aux
communes qui ne veulent pas de ce contrôle à repousser le subside.
Il est bien étonnant qu’on
vienne aujourd’hui reprocher au gouvernement de n’exercer aucune surveillance,
après qu’on l’a forcé à supprimer les inspecteurs d’université, les inspecteurs
des écoles et ceux des athénées moins un, dont l’existence est encore
compromise par les propositions de la section centrale.
Le gouvernement, en supprimant
les bureaux de surveillance, n’avait pas voulu renoncer à toute inspection sur
les établissements ; il se proposait seulement d’instituer ces bureaux sur une
base plus libérale, mais ses efforts furent infructueux. L’honorable député de
Tournay doit en savoir quelque chose.
On a signalé des faits graves
d’immoralité : aucun d’eux n’est parvenu à notre connaissance. Notre premier
devoir eût été de retirer tout subside à l’établissement où de pareils abus se
seraient impunément passés. On a reproché au gouvernement d’avoir été au-devant
du désir des régences, de leur avoir jeté les fonds à la tête ; mais,
messieurs, nous nous trouvons liés par un arrêté du gouvernement provisoire. Le
ministre actuel et ceux qui l’ont précédé ont dû chercher à maintenir ce qui
existait.
Dans le principe de la
révolution, les administrations locales étaient entraînées dans une réaction
assez naturelle contre tous les établissements soumis au régime oppresseur de
l’ancien gouvernement. Elles faisaient tous leurs efforts pour se débarrasser
de leurs propres collèges.
C’est alors que le
gouvernement intervint officiellement. Leur caisse était en souffrance, le
gouvernement leur offrir une part du trésor public. Plusieurs régences se
tinrent en défiance contre ces avances. Elles craignaient qu’elles ne
couvrissent quelques intentions de monopole ; le gouvernement n’insista pas. Et
telle a été l’avidité du gouvernement à s’emparer de l’instruction des villes,
que la ville d’Anvers tenta depuis de vaines démarches pour obtenir un subside
qu’elle avait primitivement refusé.
On a attribué la diminution du
nombre des élèves dans les établissements publics, tantôt à ce que le
gouvernement avait trop fait, tantôt à ce qu’il n’avait pas fait assez. Au
milieu de ces reproches contradictoires, chacun à dû rendre hommage au
gouvernement pour le développement qu’ont pris les études à l’athénée de Bruxelles
sous l’influence du subside.
On a parlé de la ville de Mons
; malheureusement l’exemple est mal choisi, car cette ville n’a reçu encore
aucun subside. Mais la régence, qui ne paraît pas croire que ce subside dût
porter un coup si funeste à l’instruction locale, insiste pour l’obtenir.
Quant à
l’instruction primaire, le gouvernement a l’avantage de se trouver d’accord
avec la section centrale pour les subsides destinés aux instituteurs. Ces
subsides n’ont pas été accordés légèrement ou sans conditions ; on a d’abord
maintenu les subsides accordés sous l’ancien gouvernement. Quant aux autres
subsides, il faut que le besoin en soit révélé par la commune. Il faut ensuite
que l’on prouve l’insuffisance des fonds communaux, et dans certains cas
l’insuffisance des fonds provinciaux.
Il fait enfin que
l’instituteur s’engage à donner l’instruction gratuite à un certain nombre
d’enfants indigents.
C’est avec raison que
l’honorable M. Dumortier a observé que le nombre des élèves des écoles
primaires s’est accru d’une manière considérable. Je mettrai sous les yeux de
la chambre un tableau qui constate les grands progrès de cette partie de
l’instruction publique sous le régime de la liberté.
Nous voulons pour
l’enseignement la plus grande liberté possible ; cette liberté, nous l’avons
réclamée sous l’empire du monopole et nous nous faisons honneur d’être de ceux
qui l’ont introduite dans la législation nouvelle. Mais, messieurs, cette
liberté, il la faut pour le gouvernement comme pour les particuliers. Si la loi
sur l’instruction publique en ordonnait autrement contre le vœu de la
constitution, il resterait au gouvernement la question de savoir s’il lui
convient de devenir l’agent d’une pareille loi.
(Moniteur belge n°264, du 21 septembre 1833) M. de Foere. - Messieurs, cette discussion vous donne une
nouvelle preuve que la logique des partis exploite souvent les questions qui
les divisent. L’attention publique est détournée des seuls objets qui
l’intéressent. Les véritables amis du pays, la masse de la nation a placé ses
espérances dans le développement progressif de la civilisation ; elle est
impatiente de voir disparaître une à une toutes les questions irritantes.
N’attendez donc pas de moi que
je m’enfonce dans la bourbe des passions. Non, messieurs, il est temps de finir
toutes discussions envenimées dans lesquelles on se renvoie la torche les uns
aux autres.
Ni la religion, ni le vrai
libéralisme ne sont responsables de ces accusations. La responsabilité en
retombe tout entière sur quelques hommes qui abusent de l’une et de l’autre. Il
est donc injuste d’accuser les masses. A quoi bon, je le demande, ces
déclamations contre les jésuites, contre les moines ; contre telle classe de la
société ou contre telle autre ? Je pourrais en prendre la défense, puisqu’ils
sont absents ; mais le bon sens, l’esprit de tolérance, de sagesse, a fait de
tels progrès parmi les Belges, que le mot de jésuite, qui peut bien être encore
un talisman en France, ne pourra jamais être employés dans notre pays pour y semer
la division.
Je tâcherai de rapprocher les
partis, s’il est possible ; car c’est notre mission à nous tous dans cette
enceinte. Je renverrai toutes les déclamations aux brochures des factions. Ce
sont des matériaux qui ne sont bons qu’à figurer dans une Belgique de lady
Morgan, par exemple, dans une Belgique représentée comme l’ont été l’Italie et
Chez nous, toutes les
accusations surannées ne sont pas destinées à faire fortune. Elles
appartiennent aux déclamateurs de 93. D’ici là la distance est immense.
L’honorable député de Bruges peut y compter.
Si je n’avais à combattre que
de simples erreurs, j’oserais me flatter, sinon de changer les opinions de nos
honorables adversaires, tout au moins de les modifier. Malheureusement les
préjugés compliquent la question, et vous savez combien il est difficile de les
surmonter même dans les meilleurs esprits.
Toutefois, messieurs, j’ai
lieu de croire que mes observations ne seront pas totalement perdues, dans ce
sens que les opinions divergentes pourraient se rapprocher davantage d’une
conciliation pacifique et des vrais intérêts du pays.
Déjà un grand point a été
emporté. Nous voulons tous le développement des arts et des sciences,
l’extension de toutes les connaissances humaines, de celles surtout qui sont
utiles à notre espèce, qui intéressent le sort des masses et qui influent
puissamment sur leur amélioration physique, morale et industrielle Cette
conviction me paraît générale dans cette chambre, et, s’il en est en dehors de
son enceinte qui en doutent ou qui, en méconnaissant nos intentions, se
récrient contre des vues d’obscurantisme, je ne leur répondrai que par le
silence. C’est la seule réponse qui convient à des attaques dirigées contre
l’évidence.
L’opinion de la chambre est
unanime sur le but de l’instruction que nous tous nous voulons atteindre.
Seulement il y a divergence sur les moyens. Les uns veulent soustraite
l’instruction à l’action du pouvoir, décentraliser cette branche
d’administration, la livrer tout entière à l’industrie particulière, à la libre
concurrence des talents, à la rivalité, à l’émulation, comme à autant
d’impulsions qui lui communiqueront l’activité la plus énergique. Les autres
voudraient que l’instruction publique fût plus ou moins organisée, qu’elle
reçût, sous certains rapports, ses mouvements de l’action du pouvoir, tout en
laissant à la famille et à l’industrie sa part de liberté. Ils craignent que,
sans une organisation quelconque, l’instruction, livrée elle-même, ne donne pas assez d’impulsion aux
intelligences.
C’est dans cette divergence
d’opinions qui gît tout le nœud de la question. Or, par qui et comment, posée
sur ce terrain, a-t-elle été traitée ? C’est de la solution de cette question
que dépend mon vote. Après l’avoir mûrement examinée dans tous ses rapports et
sous toutes ses faces, je suis arrivé à la conviction profonde que nous
donnerons plus d’activité, plus d’étendue, plus de développement à
l’instruction en la livrant tout entière à la concurrence publique des talents
et de la conduite.
Les adversaires de cette
opinion auraient le droit de me demander ici où j’ai puisé cette conviction. Je
pourrais, de mon côté, user aussi de mon droit en leur demandant où ils ont
puisé une conviction contraire. Car, je le répète, la question n’a point été
traitée en ce sens. En attendant leurs révélations à cet égard, je commencerai
par faire les miennes.
Je vous l’ai déclaré souvent,
messieurs, je ne cherche pas les appuis de mon opinion dans de vaines théories,
encore moins dans les préjugés et les passions des partis ; mais dans les
faits, dont l’inexorable autorité seule est capable de prouver quelque chose.
Personne ne disconvient que,
comparativement parlant, la nation anglaise ne soit plus instruite que les
autres nations. L’instruction est répandue en Angleterre, dans toutes les
classes de la société ; la grande majorité de la classe inférieure sait lire,
écrire et chiffrer. Cependant le gouvernement n’exerce aucune influence
financière ou intellectuelle sur les établissements d’instruction publique. Les
universités d’Oxford et de Cambridge y subsistent par leurs propres ressources.
Le corps universitaire nomme ses professeurs. Il y a quatre ou cinq ans qu’une
université d’opposition a été érigée à Londres même. Tout vit en Angleterre par
la libre concurrence. Il n’y a que le collège de Maimouth
en Irlande qui reçoive des subsides de l’Etat ; mais le gouvernement n’exerce
aucune influence sur l’enseignement.
En France, l’enseignement est
tout entier sous la dépendance du gouvernement. Les voyageurs ont pu y remarquer
l’ignorance de la masse du peuple. Les Français eux-mêmes l’avouent ; aussi les
cours particuliers, établis par la libre concurrence du talent à côté de
l’université de Paris, sont assidûment fréquentés par un grand nombre d’élèves
de l’université même, tandis que l’enseignement académique, celui du
gouvernement, est presqu’abandonné. Je l’ai observé moi-même, et d’autres, qui
ont fréquenté ces cours particuliers, me l’ont confirmé. L’intérêt privé,
l’industrie, la concurrence, la gloire stimulent le travail et les talents de
ces professeurs particuliers. Là, dans ces cours d’étude privés, on a des
talents, non de par et par la grâce du gouvernement, mais par ses propres
ressources. Les professeurs, posés sur le terrain de la concurrence, ne sont
pas dispensés de mériter l’estime publique, comme il en est souvent des
professeurs officiels salariés. Il importe souvent peu à ceux-ci qu’ils aient,
ou non, des élèves ; que ceux qu’ils ont fassent, ou non, des progrès ; qu’ils
aient ou qu’ils n’aient pas une conduite honorable ; qu’ils s’appliquent à
leurs devoirs ou qu’ils ne s’y appliquent pas : l’essentiel pour eux est de
toucher leur traitement. Cependant la nation les paie… S’agit-il de les
destituer pour cause de négligence ou autres ? ils ont des protecteurs, ils ont
une famille, ils font des promesses ; et mille autres considérations mesquines
et personnelles influent sur la pusillanimité du ministère. Vous le savez,
messieurs, c’est ainsi que ces affaires se traitent. Entre-temps, la nation
reste victime, et pour les impôts qu’elle paie pour l’enseignement salarié, et
pour ses enfants qui sont livrés en pareilles mains. Voilà des faits qu’une
longue expérience a confirmés.
Il en est autrement,
messieurs, de l’instruction donnée par la libre concurrence du talent et du
devoir. Les succès de cette instruction reposent sur le mobile qui fait agir la
plupart des hommes. L’intérêt et la gloire sont les stimulants naturels des
talents et des succès, et c’est leur influence que la société du législateur
doit appeler à son secours pour protéger efficacement l’instruction.
D’autres faits, non moins
significatifs et avoués par nos adversaires, nous entourent ; je veux parler de
l’esprit du siècle et de l’éducation des circonstances, sur laquelle j’ai lu
dernièrement dans
Nous aussi, nous l’affirmons ;
mais nous n’en désavouons pas les conséquences. Nous savons que tout le monde
veut être instruit, que toutes les familles veulent faire jouir leurs enfants
du bienfait de l’instruction ; mais c’est la raison pour laquelle nous ne
voulons pas d’établissements factices, salariés, forcés ; nous les croyons
inutiles, précisément parce que le siècle marche. Nous avons quelque foi dans
ce mouvement des esprits. En effet, peut-on croire sérieusement que, dans
l’état actuel de la civilisation, et dans un pays situé, comme le nôtre, entre
Quant à moi, messieurs, j’ai
quelque confiance dans le mouvement du siècle, dans la disposition des esprits
; l’industrie du talent, j’en ai la persuasion, s’emparera de cette
disposition. C’est la raison pour laquelle je ne veux pas charger inutilement
le trésor public.
Nos adversaires auront sans
doute plus de confiance dans l’opinion de Mirabeau. Ils seront peut-être
quelque peu étonnés que cet orateur célèbre ne fût pas très éloigné de
l’opinion que j’émets ici à l’égard du moyen le plus efficace de propager
l’instruction, Après avoir fait ressortir les avantages d’une instruction
donnée par l’industrie intellectuelle, par la concurrence publique, Mirabeau
met en problème si cette instruction ne serait pas préférable à toute autre.
Il ne voulait surtout, à aucun prix,
« qu’aucun pouvoir permanent eût à sa disposition des armes aussi
redoutables. » Il craignait, avec raison, pour la liberté. Nos libéraux
sont bien dégénérés depuis. Dans la supposition qu’une partie de l’instruction
fût donnée par l’autorité, il voulait que les collèges et les académies fusse
entre les mains des magistrats de la province, qui représentent, disait-il,
véritablement le peuple, qui sont élus et fréquemment renouvelés par lui. (L’orateur lit quelques passages de Mirabeau
pour justifier son assertion.)
D’après l’esprit qui règne
dans tout le discours du célèbre membre de la convention nationale, j’ai lieu
de croire que, s’il vivait de notre temps, s’il était témoin de notre
civilisation actuelle et des libertés que nous nous sommes acquises, il
partagerait notre opinion sur les moyens de protéger l’instruction.
En adoptant la libre
concurrence des talents, en dehors de toute action du pouvoir, comme le moyen
le plus efficace, il en résulterait pour l’Etat d’autres avantages très
importants. D’abord le trésor ne serait pas chargé de sommes énormes, payées
d’ailleurs par des contribuables qui ne demandent pas d’être instruits de par le
gouvernement. Ensuite on ne créerait pas d’avance ces déplorables collisions
entre les établissements du gouvernement et des particuliers, collisions qui,
je le crains, retiendront la nation dans des troubles continuels plus
redoutables peut-être que l’action gouvernementale elle-même sur l’instruction
publique. Puis, nous ne mettrions pas à la disposition des ministres présents
et à venir des armes aussi redoutables pour la liberté, et si favorables à la
corruption et à la tyrannie des intelligences et des consciences. Enfin,
l’instruction nationale se trouverait sous la surveillance beaucoup plus
rationnelle, plus sûre et plus efficace des parents, des savants, des vrais
amis du pays et d’une sage censure publique.
Il semble encore ici que nos
adversaires ont perdu leur foi dans la liberté de la presse. Dans sa
sollicitude pour la morale, l’honorable député de Bruges craint que la liberté
de l’enseignement n’autorise les maîtres immoraux, incapables, ignorants, à
corrompre notre innocente jeunesse et à abrutir nos enfants. Ces résultats du
libre enseignement me paraissent plus métaphysiques, plus visionnaires que
réels. J’ai, moi, quelque confiance dans la surveillance et dans la censure de
la presse. Elle saura bien signaler l’immoralité et l’ignorance dogmatisantes. Ces vices se rencontrent rarement dans les
établissements non salariés. L’intérêt privé les stimule diversement. S’il faut
craindre ces vices, c’est dans l’établissement des gouvernements. Là les
maîtres sont, ou non, immoraux ; ils n’en sont pas moins payés. Les journaux
feront alternativement l’éloge et le blâme des maisons d’éducation. Des
familles appartenant à telle opinion se diront : Le Courrier et le Libéral
blâment tel établissement, donc il est bon. (Hilarité générale.) D’autres se diront : L’Union fait l’éloge de
telle maison d’éducation, donc elle est mauvaise, (On rit.) De temps en temps ils se choquent ; la bonne et la
mauvaise foi en jaillissent ; l’opinion et la vérité s’établissent. Nos
adversaires ont si souvent signalé eux-mêmes l’action vigoureuse de la presse.
Cet instrument ne leur servirait-il pas assez ? Y a-t-il peut-être quelque
résistance dans la sagesse de l’opinion ? Ou bien faudrait-il encore dire ici
que ce qui aurait été vrai en tel temps et sous tel rapport, ne l’est plus en
tel autre et sous le même rapport ?
Je crois en avoir assez dit
pour poser la discussion sur un autre terrain, et pour amener les partis, s’il
est possible, à conciliation. Aussi il résulte de la manière de laquelle j’ai
envisagé la question que j’aurais pu me charger de tous les péchés de la
section centrale. (Hilarité.) Ils
disparaissent tous devant les considérations nouvelles que je viens d’avoir
l’honneur de vous présenter. En finissant, je le répète, nous avons tous le
même but. Entendons-nous sur les meilleurs moyens de développer chez nous les
sciences utiles et les arts industriels. Le reste est en dehors de nos
attributions.
Je n’ai plus que quelques mots
à ajouter. L’honorable député de Bruges nous a signalé un fait qu’il a puisé,
dit-il, dans une correspondance de la régence de cette ville avec l’évêque de
Gand. Je ne le connais pas exactement, mais j’en ai entendu parler. Quoi qu’il
en soit, j’accepte le fait tel qu’il a été posé. Des conditions ont été
offertes d’une part, et refusées de l’autre. Cette partie en propose de
nouvelles, l’autre ne les accepte pas. Le tout se passe de part et d’autre avec
franchise et loyauté.
Le collège de Bruges subsiste
; il marche, il se développe, il ne rencontre aucune entrave ; et, chose
étonnante, M. Jullien en conclut, par une exclamation, précisément le contraire
de ce qu’il aurait dû en conclure. Voilà, s’écrie-t-il, comment certaines
personnes entendent la liberté de l’enseignement ! J’ai dit.
(Moniteur belge n°263, du 20 septembre 1833) La séance est levée à
quatre heures et demie.