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Note
d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du vendredi 16 août 1833
Sommaire
1) Projet de
portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1833
2) Projet de loi relatif aux
procédures d’extradition. Discussion des articles (Ernst,
de Brouckere, Rogier, Lebeau, Gendebien, Lebeau, Gendebien, Lebeau, de Brouckere, de Robaulx)
(Moniteur belge n°229 et 230, du 17 et 18 août 1833)
(Présidence de M. Raikem)
La séance est ouverte à deux heures et quart.
Après l’appel nominal M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de
la dernière séance, qui est adopté.
- Quelques pétitions
sont analysées et renvoyées à la commission.
M. Frison demande un congé de huit jours.
- Accordé.
M. le président. - Une proposition a été déposée sur
le bureau.
- Elle sera renvoyée aux
sections pour savoir si elles en autorisent la lecture.
Rapport de la section centrale sur les amendements
M. le président. - La parole est à M. Ernst pour
faire un nouveau rapport au nom de la section centrale.
M. Ernst, rapporteur. - Messieurs, la
chambre a envoyé à l’examen de la section centrale les amendements proposés par
nos honorables collègues MM. Gendebien et Liedts, et lui a soumis la question
de savoir s’il est utile de faire actuellement une loi sur l’extradition.
Les honorables auteurs
des amendements ont bien voulu se réunir à la section centrale, et nous aider
de leurs lumières.
La question d’utilité a
d’abord été mise en discussion ; elle a été résolue affirmativement par tous
les membres de la section.
Voici les principales
raisons de cette opinion :
Dans un petit pays dont
l’entrée et la sortie sont si faciles, ne pas autoriser l’extradition, c’est
encourager le crime, et faire un appel aux malfaiteurs étrangers. Ceux qui
habitent près des frontières auront un moyen sûr d’impunité ; ce moyen
dangereux n’est pas encore connu : gardons-nous d’en proclamer publiquement et
solennellement l’existence.
Le commerce sera
inquiet, s’il est livré sans défense aux entreprises téméraires des faussaires
et des banqueroutiers.
Si des puissances amies
nous proposent un traité d’extradition réciproque pour des attentats contre les
personnes et les propriétés, convient-il que nous montrions moins
d’empressement qu’elles à garantir l’ordre public et la morale ; que nous
attachions moins d’honneur et d’intérêt à l’observation des lois naturelles, et
à la punition des coupables ?
Mais on abusera de la
loi pour livrer des réfugiés politiques.
La section centrale,
dans son premier travail, avait fait tous ses efforts pour prévenir cet abus :
si le projet ne présente pas de garanties suffisantes, si d’autres sont
nécessaires et possibles, l’occasion d’en introduire de nouvelles se présente
naturellement, à l’occasion des amendements proposés.
L’amendement de M.
Gendebien sur l’article 1er consiste à ne pas permettre l’extradition de
l’étranger mis en accusation mais seulement lorsqu’il est condamné au moins par
contumace.
Après un nouvel examen,
la section centrale a persévéré, à l’unanimité, dans sa résolution antérieure.
La chambre des mises en
accusation ne renvoie le prévenu à la cour d’assises que sur des preuves ou des
indices graves. Elle prend connaissance de toutes les pièces, des mémoires
mêmes que le prévenu est autorisé à fournir. Si l’instruction n’est pas
suffisante, elle ordonne de nouvelles informations.
Quelle sûreté de plus
aura-t-on dans un arrêt de contumace ? Qu’importe la publicité de cet arrêt,
quand on n’entend ni les témoins, ni le prévenu, ni son défenseur ? Aussi rien
n’est-il plus rare que de voir un accusé acquitté par contumace.
A l’art.
Le troisième amendement
de M. Gendebien et celui déposé par M. Liedts ont donné lieu à discuter trois
questions :
1° Exigera-t-on
l’intervention d’un corps judiciaire avant d’autoriser l’extradition ?
2° Faudra-t-il une
décision, ou se contentera-t-on d’un simple avis ?
3° Quel sera le corps
judiciaire qui interviendra ?
La première question a
été résolue affirmativement à la majorité de quatre voix contre une ; un membre
s’est abstenu.
Il en résultera une
garantie importante pour les réfugiés : une cour de justice examinera les
pièces, entendra l’étranger et le ministère public ; s’assurera que le crime
n’a aucun rapport avec la politique.
Sur la deuxième
question, nous avons tous pensé qu’on ne peut exiger qu’un avis : le pouvoir
exécutif doit être libre dans son action pour l’exécution du traité ; sans
cette liberté, ou ne peut concevoir ni relations de gouvernement à
gouvernement, ni réciprocité, ni responsabilité ministérielle.
3° Quelle autorité
judiciaire sera consultée ? Nous avons pensé tous que ce ne devait pas être la
cour de cassation, parce qu’elle est plutôt appelée à examiner des points de
droit que des points de fait ; qu’il y aurait d’ailleurs plus de difficulté à
faire comparaître l’étranger devant cette cour, et enfin à saison de sa haute
juridiction sur les ministres.
La chambre du conseil,
que deux membres de la section auraient préférée, n’a pas offert à la majorité
de la section une sûreté suffisante.
Parmi les autres corps
judiciaires, c’est à la chambre des mises en accusation de la cour d’appel,
dans le ressort de laquelle l’étranger est arrêté, qu’il a paru le plus
convenable de conférer cette attribution spéciale. Les lumières des
conseillers, leur nombre, leur position, doivent inspirer toute confiance et
donneront un grand poids à leur avis.
Par suite de ces
résolutions la section centrale propose de modifier et de rédiger l’art. 2 du
projet de la manière suivante :
« Art. 2. :
L’extradition ne sera accordée que sur la production du jugement, ou de l’arrêt
de condamnation, ou de l’arrêt de la chambre des mises en accusation, en
original ou en expédition authentique délivrés par l’autorité compétente, et
après avoir pris l’avis de la chambre des mises en accusation de la cour
d’appel dans le ressort de laquelle l’étranger aura été arrêté.
« Le ministère
public et l’étranger seront entendus en chambre du conseil. Dans la quinzaine,
à dater de la réception des pièces, elles seront renvoyées avec l’avis motivé
au ministre de la justice. »
En quatrième lieu, M. Gendebien
propose la suppression des art. 3 et 4 relatifs à
l’arrestation provisoire.
Cet amendement a été
rejeté à la majorité de quatre voix contre deux.
Les deux membres qui ont
voté pour l’amendement ont été déterminés par la crainte que la police étrangère
ne puisse, au moyen d’un mandat de justice, opprimer un réfugié, et se procurer
des papiers qui compromettraient d’autres personnes à qui on imputerait des
délits politiques.
La majorité de la
section a pensé qu’en supprimant les deux articles dont il s’agit, on
détruirait toute l’économie du projet, dans lequel on a cherché à concilier
l’intérêt de l’étranger avec la nécessité de ne pas laisser perdre les moyens
de faire rendre justice ; par ce motif on n’autorise pas l’extradition en vertu
d’un mandat de justice, mais seulement une arrestation qui ne peut jamais durer
que trois mois.
Le cinquième amendement
de M. Gendebien contient deux propositions.
Une d’elle consiste à
n’autoriser l’extradition que « pour des faits postérieurs aux traités
; » elle a été rejetée par la section centrale à l’unanimité.
Il n’y a ni injustice ni
rétroactivité à faire l’extradition pour un crime antérieur aux traités. Les
étrangers seront avertis par la publicité ordonnée ; ils pourront se mettre en
mesure. D’ailleurs, les traités d’extradition ont toujours été appliqués de
cette manière.
L’autre proposition
modifie l’art. 6 du projet de la section centrale en ce sens que l’engagement
de ne pas poursuivre pour délit politique devrait nécessairement être stipulé
dans le traité.
Cette proposition a
aussi été rejetée, mais à la majorité de quatre voix contre deux.
Les deux membres qui ont
été d’avis d’accueillir cette modification, ont cru qu’elle offrait une
garantie de plus à l’égard de délits politiques ; en ce qu’on ne violerait pas
au facilement une disposition du traité qu’un autre engagement, et que cette
violation entraînerait la rupture du traité.
La majorité de la
section a pensé que l’engagement a la même force et a les mêmes effets, qu’il
soit stipulé séparément ou dans le traité ; qu’il convient de laisser le choix
au gouvernement pour agir suivant les circonstances ; que la loi doit être
faite de manière qu’elle puisse recevoir son exécution.
La dernière disposition
proposée par M. Gendebien est un article additionnel ainsi conçu :
« Toutes les lois,
décrets ou règlements, en un mot toutes dispositions autres que celles qui se
trouvent dans le code pénal, et relatives à l’extradition ou à l’expulsion,
sont et demeurent abrogées. »
Cet article n’a pas été
admis : il n’y pas de législation antérieure qui autorise l’extradition, il est
donc inutile de l’abroger.
Quant à l’expulsion, il
est prudent de ne rien préjuger sur une matière qui diffère complètement de
celle qui fait l’objet de la présente loi, et qui demande un travail spécial.
La section centrale a
fait ce qui dépendait d’elle pour améliorer encore le projet et justifier votre
confiance ; vous lui tiendrez compte de ses efforts, et vous voudrez bien juger
son rapporteur avec indulgence.
Articles 1er et 2
M. le président. - A la dernière séance on était
parvenu à l’art. 1er du projet de loi. Un amendement a été proposé sur cet
article par M. Gendebien.
M. de Brouckere. - Je trouve à ma place l’amendement
déjà imprimé de la section centrale à l’art. 2 de son projet primitif ; cet
amendement, messieurs, change toute l’économie de la loi, à tel point qu’on
laissait au gouvernement la faculté d’ordonner l’extradition d’un étranger sans
avoir recours à l’autorité judiciaire, tandis que maintenant, par suite de
l’amendement, le gouvernement ne pourra plus ordonner l’extradition d un
étranger dans quelque situation qu’il se trouve, sans avoir pris l’avis de la
cour supérieure de justice. L’économie de la loi, son principe en quelque sorte
est donc complètement changé. Je ne sais pas si la chambre jugera à propos de
procéder à la discussion immédiate. Je ne m’y oppose pas ; mais je crois
qu’avant il faudrait savoir si le gouvernement adhère au projet ainsi modifié,
oui ou non.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Messieurs, en l’absence de mon
collègue M. le ministre de la justice, je ne saurais dire son opinion positive
sur cet amendement. Mais je sais que dans un entretien particulier il m’a
déclaré n’avoir aucun motif de s’opposer à un pareil amendement dans le cas où
il serait proposé.
-
En ce moment M. le ministre de la justice entre dans la salle.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, le droit d’extradition
se résumant toujours en mesures plus ou moins odieuses dans leurs résultats
immédiats et particuliers, résultats qui ne se compensent que par des
conséquences d’utilité générale, le gouvernement partagera toujours avec
plaisir sa responsabilité, soit avec le pouvoir législatif, soit avec le
pouvoir judiciaire, parce que de ce partage s’ensuivra pour lui une moindre
part de responsabilité et de récriminations. C est donc avec satisfaction que
j’adhère à l’amendement.
M. Gendebien. - Il est bon de s’entendre sur le sens des paroles de M. le ministre de
la justice. S’il entend parler de la responsabilité morale, il est certain
qu’elle sera moindre pour le gouvernement par suite de l’avis qu’il prendra de
membres d’une cour judiciaire. Mais, quant à la responsabilité ministérielle,
elle restera toujours la même : si c’est dans ce sens que M. le ministre l’a
entendu, je m’abstiendrai d’observations ultérieures sur ce point.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Je suis parfaitement d’accord avec l’honorable membre sur le sens de
la responsabilité ministérielle. Je ne chercherai jamais en aucune circonstance
à diminuer cette responsabilité telle que l’entend la constitution.
M. le président. - M. Gendebien a proposé de
supprimer à l’art. 1er les mots : « mis en accusation ou, » et à
l’art. 2 les mots : « ou de l’arrêt de la chambre des mises en
accusation. » M. Gendebien a la parole pour développer son amendement.
M. Gendebien. - Messieurs il me semble que peu de
mots suffiront pour justifier mon amendement. Vous avez rejeté l’extradition
sur un simple mandat d’arrêt. Je crois que la même raison existe pour repousser
une disposition qui tendrait à livrer à un gouvernement étranger un réfugié en
Belgique, sur une mise en accusation. Il y a bien là quelques garanties de plus
mais, tout en respectant la magistrature, je crois qu’il faut cependant faire
aussi la part de la faiblesse humaine, et nous ne pouvons point nous dissimuler
qu’il n’est pas de cour, dans quelque pays que ce soit, où il ne se trouve
trois membres susceptibles de se laisser influencer. Or, l’avis de ces trois
membres suffisant pour mettre un étranger en accusation, nous le livrerions au
gouvernement de son pays en laissant subsister la disposition telle qu’elle a
été conçue par la section centrale, quoiqu’elle ait beaucoup modifié le projet
ministériel. La loi que nous faisons n’est pas seulement pour les pays dont
nous connaissons la législation, mais pour tous les pays. Eh bien ! dans ceux dont nous ne connaissons pas la législation,
quelle est l’autorité qui remplacera la chambre des mises en accusation ? On ne
le dit pas. Cela restera donc à l’arbitrage du ministre, qui pourra s’excuser
sur l’obscurité de la loi et la nécessité de l’interpréter. Dès lors,
l’étranger n’a pas les mêmes garanties que s’il y avait un arrêt.
SI la loi exige un arrêt
contradictoire ou par contumace, vous connaîtrez alors bien positivement le
fait qui lui est imputé, et le crime s’il y en a un. Vous aurez une garantie de
plus et vous pourrez peut-être atteindre le but d’utilité qu’on se propose, en
prévenant des erreurs qu’on pourrait commettre et auxquelles on serait souvent
exposé dans l’état actuel des choses. Tel est le but de mon amendement.
Je ferai en outre
observer que si l’on arrêtait un étranger sur un simple mandat, il serait
considéré comme un coupable alors qu’il n’aurait commis dans notre pays aucun
acte punissable par les lois. N’est-il pas reconnu qu’un homme est censé probe,
honnête jusqu’à preuve contraire ?
Eh bien ! où sera la preuve que cet homme sera criminel ? Pour son
arrestation il n’y a qu’un mandat d’arrêt, et pour son extradition qu’un simple
arrêt de prévention. Nous ne pouvons pas être moins exigeants que ne l’étaient
certains députés hollandais, alors qu’il s’agissait non pas d’extradition, mais
simplement de l’expulsion d’une personne qui prétendait résider dans telle
partie du royaume plutôt que dans telle autre ; je veux parler de Fontan, Je vais citer les paroles de M. Luyben,
député du nord, et je ne pense pas que les Belges veuillent être moins
philanthropes qu’un Hollandais. Voici ce qu’a dit M. Luyben
à la séance du 30 novembre 1829 à La Haye :
« Le respect de nos
ancêtres pour la liberté, bien plus que leur force maritime, les avait placés
au premier rang parmi les nations ; le droit d’asile, sacré pour eux, est
consacré de nouveau dans la loi fondamentale ; permettre qu’on la viole serait
fausser le serment de député. » L’orateur ne recherche pas qui est Fontan, ni pourquoi il s’était réfugié ici. Ces
considérations sont étrangères à la question, mais il ne conçoit pas comment on
a violé contre le pétitionnaire l’esprit et la lettre de l’art. 4 de la loi
fondamentale, lorsqu’on admet et emploie même comme écrivains, de grands
scélérats. Il ne craint pas que le droit d’asile fasse de notre pays un repaire
de brigands ; cependant il aimerait que l’art. 4 de la loi fondamentale fût
moins positif ; mais puisqu’il existe, il faut le respecter. C’est au pouvoir
suprême qu’il faut envoyer la plainte, c’est au prince qui a pour devise je maintiendrai, qu’il faut dénoncer une
infraction à la constitution. L’honorable membre appuiera le renvoi au ministre
de la justice pour que la pétition puisse être présentée par son entremise au
Roi.
Je soumettrai maintenant
à la chambre un passage d’un ouvrage du comte de Hogendorp,
passage qu’a rappelé M. Surlet de Chokier à la séance du 30 novembre
« Voici comment
s’exprime M. le comte de Hogendorp dans un ouvrage
hollandais portant le titre de Bydragen tot Huyshouding ; je fais
observer que M. de Hogendorp est un de ces anciens
républicains hollandais pénétré des avantages que la liberté a procurés
autrefois à sa patrie, et qu’il en comprend mieux les bienfaits que ces hommes
qu’on a vus figurer sous tous les gouvernements et qui ont toujours le pied
levé pour passer au besoin du camp d’Israël sous les tentes des
Philistins. »
Suit le paragraphe dont
il s’agit :
« Je ne dis point
que les étrangers qui ont a leur charge un jugement de
condamnation eussent dû trouver protection chez nous ; je ne dis pas que nous
eussions dû tolérer des étrangers qui déchirent l’administration de notre pays,
mais je dis qu’il existe une contradiction manifeste entre l’art. 4 et
l’expulsion d’un étranger ordonnée autrement que par jugement, et cette
contradiction résulte du texte même de l’art. 4 qui place les étrangers et les
régnicoles sur la même ligne ; mais je dis que l’art. 4 s’oppose même à
l’extradition des malfaiteurs, quels qu’ils soient.
« Cc passage
suffit, je crois, pour répondre à tout et pour prouver qu’en attendant qu’une
loi organique de l’art. 4 ait réglé les conditions auxquelles devront se
soumettre les étrangers, on doit scrupuleusement en observer à leur égard les
dispositions, et que nous devons veiller à leur maintien.
« En effet
serons-nous des sentinelles moins vigilantes pour la conservation de notre
pacte social que la cour d’assises de la province de Namur, qui, dans la
session d’octobre dernier, a condamné à la dégradation civique le juge de paix
de Couvin comme convaincu d’extradition illégale et d’attentat à la liberté
individuelle sur la personne du sieur Marchand.
« Le sieur
Marchand, Français, s’était refugié depuis deux ans dans le royaume pour éviter
des poursuites, qui étaient dirigées contre lui du chef d’un vol domestique
qu’il aurait commis à Paris ; il semble même qu’il a été condamné à cinq ans de
réclusion par la cour d’assises du département de
« Parcetus corvis, vexat censura columbas. »
Eh bien ! messieurs, vous voulez donc être moins libéraux que M. de Hogendorp, que le gouvernement hollandais, que le
gouvernement de Charles X lui-même, et cela parce que le gouvernement de
Louis-Philippe est moins libéral que celui de Charles X ? Je vous demande après
cela, si ce ne serait pas tomber au dernier degré d’avilissement que de livrer
sans défense à l’étranger qui le réclame un malheureux condamné.
Voilà pour les choses
qui se passent ordinairement ; mais dans la situation extraordinaire et forcée
où nous nous trouvons, dans la position où sont placés tous les gouvernements
voisins, dans l’état de faiblesse où notre administration nous a plongés, de
quels dangers ne sommes-nous pas menacés si nous dévions de cette jurisprudence
judiciaire et parlementaire consacrée même sous le roi Guillaume ?
Si vous portez une loi
adoptant l’extradition, vous serez assaillis de demandes sans fin tendantes,
non pas à obtenir la punition de crimes ou d’attentats contre la fortune des
particuliers et contre la fortune publique, mais pour faire punir l’élan
patriotique qui a poussé quelques dupes à faire des révolutions. Faites un
traité avec
Si les gouvernements
étaient institués dans l’intérêt des gouvernés, si les sociétés entre elles ne
songeaient qu’à se purger mutuellement des malfaiteurs, je donnerais mon
assentiment à la loi moyennant des modifications ; mais comme il est reconnu
aujourd’hui que les gouvernements ne sont institués que dans leur propre
intérêt, dans l’intérêt des dynasties et non dans l’intérêt national, je ne
veux pas livrer les individus réfugiés sur notre sol à telle ou telle dynastie,
y compris celle de France. Dans l’état actuel des choses, je ne voterai pas
votre loi même telle qu’elle a été modifiée par la section centrale, aux
membres de laquelle du reste je rends toute justice. Une discussion de 3 heures
et demie a eu lieu dans son sein, mais je reste toujours convaincu qu’alors que
la liberté individuelle et la société vous demandent des garanties, vous ne
pouvez pas les refuser.
- Un
grand nombre de membres demandent la parole.
M. le président. - La parole est à M. le ministre de
la justice.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, l’honorable préopinant
ne s’est pas borné à attaquer les dispositions de la section centrale qu’il se
propose d’amender ; il s’est encore élevé contre l’extradition en général. Il
lui semble que le gouvernement lorsqu’il a présenté un projet de loi sur
l’extradition, a perdu de vue la politique des gouvernements constitutionnels,
des gouvernements fondés, non dans un intérêt de dynastie ou de caste, mais dans
l’intérêt de la généralité pour adopter avec une sorte d’empressement les
exemples des gouvernements absolus.
Il est de mon devoir de
vous prouver que le gouvernement a puisé les motifs du projet qu’il vous expose
en cc moment, dans des antécédents d’une nature toute différente de celle qui
vous a été signalée par l’honorable M . Gendebien.
Une assemblée dont
personne ne contestera sans doute les intentions libérales, l’assemblée
constituante elle-même, avait reconnu la nécessité de consacrer le principe de
l’extradition, et d’en formuler le mode d’application. La première fois que
cette question vint à être agitée dans le sein de l’assemblée nationale, ce fut
à l’occasion de 3 employés de la banque de Vienne, réfugiés à Huningue, et
prévenus d’avoir contrefait des billets de la banque autrichienne.
Le comité diplomatique,
qui avait été saisi de cette question, fut chargé d’en faire un rapport. M. Duchâtelet, nommé rapporteur, se prononça comme organe du
comité diplomatique, décidant à l’unanimité, pour que l’extradition fût
accordée. M. Regnault partageait cette opinion, et voici comment il s’exprimait
(à quelle époque ? Messieurs, remarquez la date, c’était le 19 février 1791) :
« Je crois qu’en
principe il est vrai qu’une nation doit toujours rendre les criminels
transfuges d’une puissance étrangère qui les réclame ; mais ce ne doit pas être
sur une simple réquisition d’un ministre, sur une réquisition arbitraire. Il
faut que les personnes arrêtées ne soient rendues que lorsque le ministre de la
puissance réclamante présentera un décret de prise de corps légalement rendu
par un tribunal, etc. »
M. Rewbell,
le même, je crois, qui fut depuis appelé à remplir les fonctions de membre du
directoire, admit ce principe sans contestation et demanda le maintien de
l’arrestation provisoire des détenus d’Huningue. Personne, retenez-le bien,
personne ne combattit l’arrestation provisoire ; personne ne combattit le
principe du droit d’extradition.
L’assemblée constituante
renvoya la question à un nouvel examen et le comité de constitution fut chargé
de se réunir au comité diplomatique pour rédiger un projet de loi sur les
formalités nécessaires de l’application du droit généralement reconnu
d’extradition. Mais, en attendant l’arrestation provisoire des trois prévenus
fut maintenue ainsi que les scellés apposés sur leurs effets et sur leurs
biens. Il est vrai que l’assemblée constituante, absorbée par des travaux d’une
plus haute importance, absorbée surtout par le grand travail de la constitution
française, ne donna pas suite au projet de renvoi aux comités diplomatique et
de constitution. Il ne résulte pas moins du fait que j’ai cité, que pas un
orateur ne s’est élevé contre le droit d’extradition, que personne n’a demandé
que l’arrestation provisoire cessât.
Les Etats-Unis peuvent
faire autorité, je pense dans la matière qui nous occupe. Eh bien ! les Etats-Unis reconnaissent le droit d’extradition ;
j’aurai l’occasion d’en administrer bientôt la preuve à la chambre, et il faut
reconnaître que là aussi on admet l’arrestation provisoire comme conséquence
nécessaire du but et de l’objet de l’extradition.
Par un traité du 4
vendémiaire an XII,
J’ai déjà avancé
d’ailleurs, dans une séance précédente, que le droit d’extradition renfermé
dans les limites où l’on doit le circonscrire, c’est-à-dire dans les crimes
étrangers à la politique, a été exercé dans le royaume des Pays-Bas, sans que
jamais l’opposition ait élevé une seule réclamation contre le droit réduit à
ses justes proportions.
Ce n’est pas d’une
manière occulte que le droit d extradition a été converti en traité entre les
Pays-Bas et les pays voisins. Un traite de cette nature a été conclu pour la
remise de déserteurs avec
J’irai plus loin, et je
dirai qu’un traité d’extradition a été conclu avec
Remarquez bien,
messieurs, que cela se passait en 1829, à une époque où l’opposition était
active et vigilante, où la presse veillait aussi avec énergie au maintien des
prérogatives de la nation.
Qu’on ne vienne donc
plus vous dire que nous n’avons de notre côté aucun antécédent avouable ; que
c’est dans les arsenaux du despotisme que nous prenons les armes avec
lesquelles nous défendons un projet qui doit consacrer l’extradition pour les
délits à la répression desquels toutes les sociétés, quelles que soient les
formes de leur gouvernement, sont puissamment intéressées.
Après cette digression
que j’aurais voulu pouvoir éviter, j’arrive à l’amendement qu’on vous propose,
et je rencontrerai en même temps ici l’argument d’un honorable député de
Tournay qui a pris la parole dans une séance précédente. Cet honorable membre a
trouvé qu’il n’y avait pas une garantie suffisante pour le fugitif, si l’on
pouvait appliquer l’extradition sur la production d’un simple arrêté de la
chambre des mises en accusation du lieu de son domicile ; on a reproché à la
chambre des mises en accusation de siéger à huis-clos ; on lui a reproché le
petit nombre de ses juges ; on lui a reproché de prononcer sans avoir entendu
la défense de l’inculpé ! Eh bien ! messieurs, ces
reproches peuvent s’appliquer à un arrêt rendu par contumace. Ces arrêts sont
rendus à huis clos, sans que le prévenu ait été entendu, sans que sa défense
ait été proposée. Il y a plus : le nombre des juges n’est pas même aussi
considérable. En France, la cour d’assises se compose aujourd’hui de trois
juges ; il en faut cinq pour former la chambre des mises en accusation.
Si nous en sommes
réduits à mettre le pouvoir judiciaire lui-même en suspicion, lui si
complètement désintéressé dans les questions de cette nature ; si nous doutons
de son indépendance, si solidement assise aujourd’hui en France et en Belgique
; si nous en sommes réduits là, il ne faut pas même vous arrêter à la garantie
d’un arrêt par contumace : il faut déclarer que le droit d’extradition est
d’une impossibilité radicale dans son application.
Je ne sais, messieurs,
mais il me semble que si nous substituons l’arrêt par contumace à l’arrêt de la
chambre des mises en accusation, nous aurons aggravé la position de ceux dont
nous voulons précisément garantir les intérêts. Car, messieurs, l’arrêt de la
chambre des mises en accusation n’a pas d’effet immédiat sur les ressources,
sur les propriétés de l’accusé, tandis que l’arrêt par contumace, outre
l’inconvénient de la publicité dont il est précédé, frappe l’inculpé et sa
famille dans leurs ressources les plus nécessaires. Prenez donc garde d’empirer
la situation du malheureux dont vous voulez adoucir le sort.
D’ailleurs,
le correctif que le préopinant voudrait trouver dans les dispositions du projet
primitif, on le trouve dans le nouvel amendement de la section centrale. Car
maintenant il ne faudra plus seulement soit un arrêt de contumace, soit un
arrêt de la chambre des mises en accusation du domicile, mais encore un arrêt
de la chambre des mises en accusation du lien où l’inculpé est trouvé. Il me
semble que quand on entoure un prévenu de ces diverses précautions, on a fait
tout ce que la justice et l’humanité réclament, en même temps qu’on satisfait
au vœu de la société, qui a aussi ses droits ; et pour ne pas rendre le droit
d’extradition impossible, illusoire, même contre la volonté de ceux qui
l’admettent et en reconnaissent la nécessité, il ne faut pas aller au-delà de
ce qu’a voulu la section centrale, et de ce que le gouvernement se plaît à
vouloir avec elle.
M. de Brouckere. - Je demande la
parole.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je me suis trompé lorsque j’ai dit
que les arrêts par contumace étaient rendus à huis clos ; de droit il n’en est
pas ainsi ; mais il est toujours vrai qu’il n y a ni défense, ni débats
contradictoires. La publicité elle-même est de fait, bien plus que de droit ;
la plupart du temps, ces arrêts sont rendus sans que personne en ait
connaissance autrement que par les journaux.
M. de Brouckere. - Messieurs, dans
une séance précédente, j’ai exprimé mes doutes sur la question de savoir s’il
était bien nécessaire, bien urgent, de voter dès aujourd’hui, et dans les
circonstances difficiles où nous nous trouvons, un projet de loi sur
l’extradition. Ces doutes, je les ai conservés, et comme je vous l’ai déjà fait
entendre, je suis porté à croire qu’il eût mieux valu renvoyer ces débats à un
autre temps.
C’est ma conviction que,
malgré tous nos efforts, nous ne pouvons faire qu’une loi d’essai ; oui,
messieurs, c’est une loi d’essai, et soyez-en certains, l’essai sera
malheureux. Vous n’aurez jamais à vous en applaudir ; quoi que vous fassiez, je
vous le dis, vous ne donnerez au pays qu’une loi vicieuse et très vicieuse.
Toutefois, la majorité
de la section centrale n’a pas partagé cette opinion. D’un avis unanime elle a
demandé qu’une loi fût portée instantanément. Il est possible, il est probable,
que la majorité de la chambre partagera l’opinion de la majorité de la section
centrale. Mais je ne puis m’empêcher de dire que si le projet actuel eût été
présenté devant l’assemblée des anciens membres des députations du midi aux
états-généraux, il eût été rejeté, mal accueilli. J’en ai pour garants les
discours prononcés par la plupart de ces membres. M. Gendebien vous a cité des
paroles remarquables ; je pourrais y ajouter celles de MM. de Stassart,
Angillis et de tant d’autres.
J’ai sous les yeux les
discours de quelques-uns de ces honorables citoyens, et je ne suis pas fâché de
pouvoir vous citer quelques paroles de M. Surlet de Chokier. Vous verrez avec
quelle énergie cet homme honorable à tous les égards s’élevait contre
l’extradition en général, et vous y trouverez de plus la preuve que si nous
accusons quelquefois avec un peu d’amertume et de violence les ministres qui
nous semblent avoir violé la constitution ou la loi, aux états-généraux aussi
on savait trouver de expressions d’une certaine violence pour leur reprocher
des faits de la nature de celui dont il s’est agi parmi nous. Ecoutez,
messieurs, comment l’honorable citoyen que j’ai cité s’exprimait :
« Quoi ! au moment
où les états-généraux sont occupés des questions les plus importantes, dans le
moment où les esprits sont encore fortement agités… comment, dans des
circonstances aussi difficiles et pour le gouvernement et pour nous, se
trouve-t-il un homme ou des hommes assez imprudents, assez mal avisés pour oser
assumer sur leur responsabilité, et sans nécessité urgente pour le salut de
l’Etat, un acte dont les conséquences ne peuvent manquer de devenir un nouveau
ferment d’irritation et de discorde, au moins un sujet de discussions, auquel
se rattacheront peut-être encore d’autres questions qu’ils ont personnellement
le plus grand intérêt de ne pas soulever !
« Mais oui, ils
existent ces imprudents, dont rien ne peut calmer les passions délirantes, qui,
même au risque de tout perdre, de tout compromettre, s’abandonnent
inconsidérément à leurs funestes penchants, fussent-ils après ne se voir
entourés que de débris et de ruines.
« Voilà, messieurs,
ces hommes qui vont peut-être se vanter d’être les plus fidèles serviteurs du
trône, et les plus zélés amis de leur pays et de la paix publique qu’ils
viennent graduellement troubler, et dans quelles circonstances, grand Dieu
! »
Assurément, si M. Surlet
de Chokier siégeait encore parmi nous, il ne manquerait pas d’adresser an
ministre de la justice les paroles un peu dures qu’il adressait au ministre du
roi Guillaume.
Enfin, pour le cas où la
majorité trouverait à propos d’adopter la loi d’extradition, je crois de mon
devoir de chercher à ce que cette loi ne contienne que les dispositions les
moins sévères qu’il sera possible. Je dois aussi répondre deux mois à M. le
ministre de la justice, et lui faire observer que s’il est vrai que sous
l’assemblée constituante il fut question d’extradition, à propos d’individus
réfugiés en France et prévenus de falsification de billets de banque,
c’est-à-dire d’un crime de nature à jeter la perturbation dans le commerce de
tous les pays en relation avec cette banque, du moins dans aucun temps, pas
plus avant qu’après l’assemblée constituante, on n’a vu un ministre assez mal
avisé pour oser ordonner une extradition de son propre mouvement ; un tel
ministre ne s’est rencontré qu’en Belgique. (On rit.)
On craignait que la
falsification des billets de la banque de Vienne ne jetât l’alarme et la
perturbation, non seulement dans le commerce autrichien mais aussi dans le
commerce français, et alors que fait le ministre ? Il consulte l’assemblée
nationale ; il a agi sagement et avec prudence. A celui-là du moins, on ne peut
reprocher d’avoir trahi, violé la loi, la constitution de son propre mouvement.
Mais, chez nous, le ministre commence par faire l’extradition sans en informer
personne, et ce n’est que lorsque les journaux ont porté le fait à la
connaissance du public et de la chambre, qu’il vient consulter la représentation
nationale, et nous apporter le projet de loi le plus imparfait qui nous ait
encore été soumis.
Je ne reviendrai pas sur
cette sorte d’arrangement qui ne devait avoir de valeur qu’autant que la
chambre y aurait adhéré. M. le ministre de la justice vous a parlé de ce qui se
passait dans différents pays, et certes, vous n’avez pas tiré de tout cela
cette conclusion que l’extradition fût nulle part en grand honneur. Je voudrais
que M. le ministre, qui nous cite si souvent
Il ne le pourrait pas,
messieurs, et j’ai de bonnes raisons pour le croire, c’est que toute les lois
fondamentales du pays s’opposaient à ce qu’on pût porter aucune atteinte au
droit d’asile. Comme j’aime beaucoup à pouvoir citer un homme que tout le monde
honore, je vous rapporterai encore quelques paroles de M. Surlet de Chokier ;
elles viennent à l’appui de cette allégation formelle que j’ai faite, et qui
consiste à dire que sous le gouvernement autrichien lui-même aucune extradition
à l’étranger n’a eu lieu.
« Le droit d’asile
et de refuge était sacré dans les provinces méridionales, et particulièrement
dans celle du Brabant : mille faits attestent ce que j’avance. Je me permettrai
de vous faire part d’un seul, pour vous prouver jusqu’où l’on portait le
respect pour la liberté individuelle. Mon ancien collègue et ami, Dotrenge, l’a déjà rapporté en 1816 ; mais comme il existe
maintenant peu de membres de cette époque, je ne crois pas déplacé
de vous le répéter aujourd’hui. On se rappelle encore la scandaleuse affaire du
collier : une certaine demoiselle d’Oliva avait joué dans cette mystification
le rôle de la reine Marie-Antoinette ; à la suite de cela, elle avait dû fuir
de France, et était venue se réfugier à Bruxelles. Lorsque la police française
apprit le lieu de sa retraite, le gouvernement français demanda au gouvernement
des Pays-Bas autrichiens l’extradition de ladite demoiselle d’Oliva. Refus
formel de la part de ce dernier, quoiqu’à cette époque, et notez bien cette
circonstance, le prince qui régnait en Belgique fût frère de la reine de
France, si odieusement et si scandaleusement compromise par cette demoiselle
d’Oliva ; malgré toutes ces considérations, il persista dans son refus. »
Mais, nous a dit M. le
ministre, depuis que le royaume des Pays-Bas existe, il y a eu des extraditions
; oui, j’en conviens, il y en a eu de fréquentes, mais ce n’était pas là le
seul abus qui se soit glissé parmi nous sous l’ancien gouvernement ? N’en a-t-on
pas vu dans tous les genres ? Mais il ne faudrait pas prétendre qu’aucune
réclamation ne fût élevée. Votre mémoire vous trompe singulièrement, M. le
ministre, si elle ne vous rappelle les énergiques réclamations que l’on fit
entendre à propos de Fontan et de Simon. Vous avez
tort de vouloir nous persuader que ces violations de la loi ne rencontrèrent
dans les anciennes assemblées que de la froideur et de l’indifférence. On n’a
pas réclamé, dites-vous ; mais qui donc s’en étonnera, si l’on se rappelle combien
il était difficile d’attirer l’attention des chambres sur des questions
étrangères au projet à l’ordre de jour ? En vain l’on voulait dénoncer une
illégalité, un acte arbitraire ; les députés du nord étaient là pour vous
répondre par les cris : la clôture ! la clôture ! aux voix ! (On rit.)
Les députés du midi se trouvaient ainsi bâillonnés.
J’arrive maintenant aux
dispositions que renferme le projet que nous discutons. Vous avez remarqué
comme moi qu’il ne reste plus de vestiges du projet ministériel. Il a déjà
passé par deux épreuves. Le principe, l’essence pour ainsi dire, en est
changée. Cependant, le ministre s’est empressé d’adhérer à tous les
changements. Ce qu’il demande en effet, c’est un projet, et quels qu’en soient
les termes, il le trouvera bon. Ce qu’il redoute par dessus tout, c’est un vote
négatif, et vous concevez sa frayeur. Il vous a déclaré qu’un vote négatif
serait une condamnation du ministère ; or, comme il ne veut à aucun prix être
condamné, il en passera par tout ce que vous voudrez : votre loi serait rédigée
de telle façon que dans aucun cas un étranger ne pût être livré, le ministre
s’en contenterait encore. (On rit.)
Ce qui lui importe, c’est un vote affirmatif, et voilà tout.
La section centrale
s’est livrée à un nouvel examen du projet, et elle vous a proposé une
disposition ainsi conçue :
« L’extradition ne
sera accordée que sur la production du jugement ou de l’arrêt de condamnation
ou de l’arrêt de la chambre des mises en accusation, en original ou en
expédition authentique délivrés par l’autorité compétente, et après avoir pris
l’avis de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel dans le ressort
de laquelle l’étranger aura été arrêté.
« Le ministère public et
l’étranger seront entendus en chambre du conseil : Dans la quinzaine, à dater
de la réception des pièces, el]es seront renvoyées
avec l’avis motivé au ministre de la justice. »
Au premier abord, et à
la simple lecture, il semble que de ces termes doive résulter une grande
garantie pour l’étranger dont l’extradition pourrait être demandée, et dans des
circonstances telles qu’on pourrait les réclamer sans intentions pour ainsi
dire cruelles. Eh bien ! vous allez voir que cette
sorte de garantie se réduit à rien en définitive.
L’art. 1er donne au
gouvernement le pouvoir de faire des traités avec les puissances étrangères et
lui permet de s’engager à rendre tous les individus qui se trouvent dans les
cas prévus par la loi. Si donc vous votez la loi, le gouvernement n’aura rien
de plus empressé que de signer ces sortes de traités, et par là, il se trouvera
formellement engagé à livrer tous les étrangers qui se trouveront dans les
catégories établies par la loi.
Maintenant, je suppose
qu’une demande est faite. Le ministre l’envoie à la cour de justice ; l’affaire
est portée devant la chambre des mises en accusation. Qu’a-t-elle à faire cette
chambre ? Tout simplement à déclarer si l’étranger se trouve dans les cas
prévus par la loi. Ainsi, quand bien même il existerait mille raisons de
s’opposer à la demande d’extradition, la chambre des mises en accusation serait
obligée de répondre d’une manière affirmative. Le ministre viendrait lui dire :
Je vous ai fait demander si tel individu se trouve dans les catégories établies
par la loi ; vous n’avez pas à répondre à d’autre sujet. Quant aux
circonstances atténuantes il ne peut en être question pour vous.
S’il en est ainsi, que
devient donc la grande garantie renfermée dans l’article ?
Je le sais bien, la
certitude que pas un des étrangers non compris dans les catégories de la loi ne
pourra être livré, cette pensée vous rassure ; mais, messieurs, ne savez-vous
pas que parfois, dans certaines circonstances, le malheur a plus de part à une
action que le crime ? Eh bien, vous ne réservez pas même aux magistrats la
faculté de déclarer qu’il n’y a pas lieu à permettre l’extradition. Ne
l’oubliez pas, le ministre pourra toujours se présenter, fort de la loi et de
ses transactions, et dira à la chambre des mises en accusation ; je ne vous
demande rien autre chose que de déclarer si tel individu rentre dans une des
catégories de la loi.
Les dispositions de la
loi établissent donc des garanties trop faibles pour qu’elles puissent me
paraître bonnes.
On a présenté un
amendement qui a pour but de restreindre la partie du paragraphe 6. Je pense
que nous devons la restreindre aux crimes emportant des peines afflictives ou
infamantes. Or, messieurs, vous le savez, le vol ne peut être puni que d’un
emprisonnement de 5 ans, lequel peut lui-même être réduit à un jour.
Pensez-vous qu’il convienne d’appliquer l’extradition à un individu coupable de
vol ?
L’art.
407 du code pénal prévoit le délit de celui qui, abusant d’un blanc-seing qui
lui aura été confié, aura frauduleusement écrit un acte qui compromet la
fortune d’autrui ; ainsi, à la nomenclature de l’article 1er, il faut ajouter
le délit prévu par l’art. 407. Je pourrais citer beaucoup d’autres cas qu’il
faudrait ajouter à cette nomenclature, si nous voulons être conséquents et
justes ; car on n’est jamais juste si on n’est pas conséquent : voyez l’art.
345 du code pénal, qui punit de la réclusion l’enlèvement ou la supposition
d’un enfant. Puisque le projet ne fait pas mention de ces délits, pourquoi
ferions-nous mention du simple vol ou de l’escroquerie ? Il faut que
l’extradition ne puisse avoir lieu que pour les crimes emportant peine
afflictive ou infamante ; alors la loi sera moins mauvaise, moins sévère et
moins menaçante : toutefois, améliorée ainsi, elle n’aura pas mon assentiment.
M. le président. - M. de Brouckere propose de mettre
dans l’article premier : « pour vol accompagné de circonstances
aggravantes, » et de supprimer le simple vol, l’escroquerie.
M. de Robaulx a la
parole.
M. de Robaulx. - Messieurs, depuis trois ans que la
révolution belge existe, nous ne nous sommes encore guère occupés d’objets que
le peuple attend avec anxiété, avec impatience ; nous ne nous sommes guère
occupés de ces lois réparatrices des griefs pour lesquels on a fait la
révolution : des lois sur les impositions, par exemple ; de ces lois contre
lesquelles on s’est tant récrié ; Comment se fait-il que depuis si longtemps
que nous combattons dans cette enceinte pour obtenir des institutions en faveur
du peuple, le ministère ne s’en occupe-t-il pas ? Mais ces institutions sont
loin de sa pensée.
Quand il s’agit de
fouiller dans les arsenaux du despotisme, c’est alors que l’administration est
active ; alors le ministère Lebeau se met à la besogne, et il nous donne la loi
sur l’extradition.
Nous avons besoin de
lois provinciales, de lois communales ; nous avons besoin de lois sur l’armée,
nous avons besoin de lois sur le cumul, sur le scandaleux cumul qui nous choque
tous les jours ; nous avons besoin de lois déclarées urgentes par la
constitution : eh bien ! le ministère garde le silence
sur ces lois ; il veut des lois pour organiser le despotisme, et rien autre
chose.
J’ai entendu avec
intérêt les observations présentées par nos honorables collègues, MM. Gendebien
et de Brouckere, dans la séance, et par M. Jullien dans la séance précédente ;
je rends justice à leur philanthropie, et je voudrais que leurs voix eussent
plus de retentissement, parmi nous ; mais je désirerais qu’on se préoccupât
moins des détails de la loi, et qu’on examinât davantage le principe sur lequel
elle repose ; je voudrais d’abord qu’on examinât la question de savoir si le
droit d’asile doit rester intact dans
Il me paraît encore que
l’on n’a pas fait assez d’attention à ce grand principe dans la discussion :
c’est que chaque société, chaque nation est régie par des lois particulières,
et que les lois pénales de chaque nation ne sont portées que contre les
infractions aux règlements spéciaux de ces sociétés. Il est une maxime
universelle dans le droit des gens, c’est que chaque société doit sévir contre
les infractions faites à ses propres lois, et n’a point à venger les
infractions faites aux lois étrangères : les infractions faites aux lois
françaises ou prussiennes, ou turques, ne regardent pas les lois pénales de la
Belgique ; vos institutions ne sont pas établies pour protéger la législation
des autres pays ; elles sont établies pour maintenir l’ordre, la tranquillité
dans le vôtre. Voilà le principe que malheureusement on méconnaît trop dans
cette assemblée.
Partant de là, est-il
bien vrai que des raisons d’Etat, des raisons de convenance, que des rapports
de puissance à puissance soient aujourd’hui suffisants pour déroger au droit
d’asile, au droit d’hospitalité, et pour y déroger en faveur des puissances
étrangères ? Je dis en faveur des puissances étrangères, parce que nous serons
toujours dans des rapports peu avantageux avec les sociétés d’une étendue plus
grande que la nôtre.
Comment se fait-il que
dans l’état actuel de nos affaires, au moment où nous ne savons pas encore si
nous existerons, car enfin vous n’avez pas d’existence en Europe ; votre traité
du 15 novembre est rasé, et c’est M. Lebeau et tous ses collègues qui l’ont
rasé. (On rit.)
Comment se fait-il que
lorsque vous n’avez pas de traité avec
Vous avez fait une
révolution pour être indépendants ; mais la véritable indépendance respecte
l’asile du coupable. Dans les temps anciens un malheureux condamné par ses
juges naturels choisissait un temple pour asile, et là son malheur était
respecté. Mais, il faut l’avouer, nous valons bien moins que les anciens, sous
ce rapport du moins.
Sur un simple mandat
d’une commission militaire, présidée ou dirigée par quelque farouche
gouverneur, nous livrerons des malheureux aux simulacres de juges où le
despotisme règne ; nous enverrons à Varsovie des Polonais, accusés par des
commissaires : il suffira qu’une commission ait porté une accusation de vol ou
de meurtre, faits qui accompagnent inévitablement les révolutions puisqu’alors
on s’empare des armes que l’on trouve pour repousser les oppresseurs, pour
livrer aux bourreaux des hommes qu’ici vous entourez de votre admiration, et
qui sont l’objet de vos respects individuels !
L’extradition est un
acte de faiblesse ; c’est un acte de cruauté froide et réfléchie et presque
toujours inutile.
Je conçois que, dans
l’intérêt de l’ordre public, les nations doivent avoir chacune le droit de
repousser de leur sein tous les individus dont la présence pourrait troubler la
tranquillité, ôter toute sécurité : le droit d’asile ne peut être interprété de
manière à recevoir tous les coupables qui voudraient se rendre sur notre sol ;
mais du moins attendez que l’ordre public soit menacé pour nous demander des
mesures contre les malfaiteurs, pour nous demander le droit de les expulser ;
alors nous serons les premiers à vous octroyer le pouvoir de chasser de notre
pays ceux qui voudraient y apporter le désordre. Mais accorder l’extradition,
mais accorder aux ministres le droit de livrer des étrangers aux suppôts du
despotisme, nous ne le pouvons pas.
J’entends par suppôts du
despotisme les commissions militaires, les juges exceptionnels ; je ne qualifie
pas ainsi les tribunaux de France.
Le projet est conçu de
telle manière qu’il faudra livrer les individus que réclameront tous les
gouvernements ; qu’il faudra remettre aux Prussiens, aux Russes même, ceux qui
auront été atteints par des décisions de commissaires. Il ne vous appartiendra
pas d’examiner jusqu’à quel point la commission militaire aura bien ou mal
informé ; il suffira qu’il y ait jugement rendu par elle pour lui envoyer les
hommes honorables qu’elle réclamera, c’est-à-dire, pour envoyer en Sibérie un
grand nombre de Polonais qui sont actuellement dans nos murs. Les commissions
vous enverront des sentences où ils seront condamnés comme voleurs, comme meurtriers,
sentences qu’il n’est pas difficile de porter contre des hommes d’action
politique.
Un simple duel peut
entraîner une condamnation comme meurtrier, en Russie. Voulez-vous être obligés
à envoyer des victimes aux bourreaux qui les réclament ?
Mais, nous dit le
ministre de la justice, nous sommes appuyés sur des précédents qu’offre la
France : l’assemblée constituante a autorisé l’extradition. Je n’ai pas pu
examiner les éléments dont le ministre a fait usage ; mais les noms qu’il a
cités me suffisent pour répudier ou pareil témoignage.
Le comité diplomatique a
approuve l’extradition, et Regnault de St-Jean-d’Angely
a soutenu ce principe ; plusieurs membres de l’assemblée constituante se sont
joints à lui, et pas un seul n’a élevé la voix contre cette doctrine. Il n’y a
qu’une réponse à faire, c’est que l’assemblée constituante n’a pas cru la chose
aussi évidente que notre ministre de la justice le dit, puisque la loi sur
l’extradition n’a pas été portée.
L’assemblée
constituante, si soucieuse d’honneur et de liberté, n’a point décrété
l’extradition ; dès lors, qu’on ne vienne pas citer le nom de Regnault de Saint-Jean-d’Angely. Je dois respecter sa cendre ;
toutefois qu’on ne vienne pas parler de sou amour pour la liberté : il a été
l’adulateur de tous les despotismes qui se sont succédé en France, il a été
surtout l’adulateur de Napoléon dans les moments de sa puissance ; et on ne
peut pas invoquer le nom Regnault de Saint-Jean-d’Angely
dans une assemblée émanée du principe populaire.
Le ministre ne s’en
tient pas à cette citation. L’Amérique, dit-il, pays où la liberté est bien
entendue, l’Amérique connaît l’extradition.
Le ministre n’a pas cité
les traités en vertu desquels l’extradition existerait en Amérique, et jusqu’à
ce qu’il les ait cités, je demanderai la permission de douter.
Mais comment se fait-il
que le ministre invoque l’Amérique aujourd’hui ? Lorsque nous voulons citer ce
pays, pour la liberté du choix du gouvernement par exemple, on nous dit : C’est
un pays différent du nôtre ; là il y a table rase, on peut y établir ce que
l’on veut ; c’est un pays plus avancé que nous. Lorsque nous invoquons les
institutions libérales de l’Amérique, on se récrie : Vous parlez de l’Amérique,
et l’esclavage est écrit dans ses lois. L’Amérique ne serait-elle bonne à
citer, selon nos ministres, que lorsqu’elle offre des armes à deux tranchants ?
Un autre pays, poursuit
M.. Lebeau, un pays républicain,
La loi que nous
discutons est, à mon avis, dangereuse. Dans la main de tous les ministres elle
peut être une arme funeste ; nous ne devons donc pas en armer des ministres qui
n’ont pas notre confiance, et qui rendent
Si les observations que
je fais valoir dans l’intérêt de l’indépendance, de l’honneur du pays, ne peuvent
vous convaincre, respectez au moins des intérêts matériels.
Je ne connais pas la
statistique du pays ; le ministre peut m’éclairer sur ce point, et je vais
présenter des chiffres au hasard.
Nous avons peut-être à
Bruxelles trois cents réfugiés, soit pour cause politique, soit pour
banqueroute ; ces réfugiés ont apporté de grands capitaux qu’ils dépensent ou
font valoir. Croyez-vous qu’ils se trouveront en sûreté quand votre loi sera
rendue. A leur place, dès qu’elle sera promulguée, je ferais ma malle, j’irais
en Angleterre ou dans tout autre pays où la liberté est plus respectée ; je
trouverais peu de sécurité dans la loi, et j’en trouverai encore moins dans le
personnel du ministère actuel.
Il est une question
qu’il faut résoudre : il faut savoir si tous ceux qui sont entrés en Belgique
antérieurement à la loi seront frappés par elle. Il ne faut pas tendre de
pièges aux réfugiés ; il faut au moins que nous soyons assez généreux pour leur
dire que nous pourrions bien les livrer à leurs bourreaux
Je me résume. La loi est
contraire aux principes d’indépendance et d’honneur de notre pays. Je voudrais
conserver en Belgique notre antique réputation d’hospitalité envers les
malheureux ; je voudrais que nous ne fissions pas des lois pour punir les
infractions faites aux institutions des pays étrangers ; je voudrais qu’on
laissât aux étrangers le soin de venger leurs lois méconnues ; nous ne sommes
pas chargés de faire respecter leurs législations ; je voudrais enfin que nous
ne fissions que maintenir l’ordre et la tranquillité chez nous, et que nous
nous bornassions à donner asile et protection à tout étranger qui se
conformerait à nos lois.
Je voterai le rejet de
la loi parce qu’elle est contraire à l’honneur national et à nos libertés.
M. le président. - La parole est à M. Milcamps.
De toutes parts. - A demain ! à
demain !
- La séance est levée à
quatre heures et demie.