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Note
d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance
du mercredi 7 août 1833
Sommaire
1) Projet de loi
relatif au budget des dotations pour l’exercice 1833
2) Proposition de loi relative aux
avocats près la cour de cassation
3) Projet de loi visant à permettre (notamment
aux juges de paix) d’ordonner l’expulsion des fermiers et locataires de
mauvaise foi. Discussion générale (Liedts, Doignon, Milcamps, Jullien, Liedts, Hélias
d’Huddeghem, Dubus, de
Muelenaere, Liedts, de
Muelenaere, Jullien, A.
Rodenbach, Jullien, de Theux,
Fallon, de Brouckere)
(Moniteur belge n°221, du 9 août 1833 et Moniteur belge n°222, du 10 août 1833)
(Présidence de M. Raikem)
(Moniteur belge n°221, du 9 août 1833) M. Liedts fait l’appel nominal à midi et demi,
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la
rédaction en est adoptée.
PROJET
DE LOI RELATIF AU BUDGET DES DOTATIONS POUR L’EXERCICE 1833
M. Dumortier, rapporteur, a la parole.
(Nous donnerons son rapport.)
L’honorable membre annonce que dans une des prochaines séances il
présentera le rapport sur le budget concernant la dette publique.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE AUX AVOCATS PRES LA
COUR DE CASSATION
M. Schaetzen,
rapporteur, s’exprime en ces termes : (suit
le rapport de la section centrale, non repris dans la présente version
numérisée.)
- La chambre, consultée, décide que la proposition sera discutée lundi.
Discussion
générale
M. Liedts. - A la
vue des nombreuses pétitions arrivées au congrès et à la chambre, pour vous
signaler les vices de la législation sur les demandes en expulsion des fermiers
et locataires ; convaincu d’ailleurs, par l’expérience, que ces réclamations
n’avaient rien que de juste et de fondé,
j’ai cru de mon devoir de provoquer de la chambre une révision si
vivement sollicitée et si longtemps attendue. Mais, en vous présentant mon
projet, je n’ai pas eu la prétention de la croire si parfait qu’il ne fût
susceptible d’aucune amélioration ; je me suis même volontiers associé aux
travaux de votre commission pour y introduire les changements nécessaires, à
l’effet de le mettre en harmonie avec tout le système de législation en
vigueur.
Ma proposition présentait trois grands avantages sur la législation
actuellement existante 1° En mettant le juge de paix à la place des tribunaux
de première instance, elle rapprochait le juge du justiciable, qui était ainsi
dispensé de se rendre au chef-lieu d’arrondissement pour une simple demande en
expulsion. En second lieu, à une procédure lente elle substituait des formalités
simples et à la portée de tous les citoyens ; et enfin, ce qui en était la
conséquence, des procès, qui souvent absorbaient le capital, étaient remplacés
par une procédure peu coûteuse.
Voyons jusqu’à quel point ces mêmes avantages sont obtenus par la
proposition amendée par la commission. Elle divise les demandes d’expulsion en
deux catégories : la première rentre dans la compétence des juges de paix, et
sur les autres il peut être provisoirement statué par le juge des référés. Il
en résultera que ces affaires seront expédiées avec au moins autant de célérité
que si ma proposition primitive avait été adoptée. Cette célérité sera même
telle, que quatre ou cinq jours suffiront pour demander et exécuter
l’expulsion.
Quant aux frais la procédure en référé n’en entraîne pas plus que celle
devant le juge de paix ; et il y aura même cette différence que l’ordonnance du
juge des référés sera toujours exécutoire sur minute, tandis que le jugement du
juge de paix ne peut être mis à exécution qu’en levant l’expédition du
jugement.
On ne manquera pas de dire sans doute que, le président ne statuant que
provisoirement, le locataire se pourvoira chaque fois à l’audience pour faire
réformer la décision du président ; c’est une crainte, messieurs, que je ne
puis partager. Tous ceux qui ont l’expérience du barreau savent que presque
toujours les locataires de mauvaise foi qui refusent de quitter les lieux à
l’expiration du bail, n’ont d’autre but, en s’opposant à l’action en expulsion,
que de prolonger autant que possible leur possession ou de déterminer le
propriétaire à une transaction par la crainte des frais ; mais du moment que
l’expulsion est consommée, du moment que le locataire se voit privé de la
possession, il ne pousse pas plus loin son opposition contre la demande parce
qu’il sait trop bien d’avance qu’il ne peut plus rentrer dans cette possession
qui formait le seul objet de ses désirs.
Je pense donc, messieurs, que, sous le double rapport de la célérité et
de l’économie, le projet amendé ne laisse rien à désirer.
Pour ce qui regarde le troisième avantage que présentait la proposition
primitive, et qui consistait à rapprocher le juge des justiciables, celui-là ne
se rencontre pas tout à fait dans la proposition de la commission. Mais il est
largement compensé par les garanties qu’il ajoute au projet primitif, en
substituant dans certains cas, au juge de paix, un magistrat dont on peut
attendre plus de lumières et plus d’expérience.
La proposition première offrait encore un inconvénient qui a échappé à
la commission, et qui me paraît si grave, qu’il suffirait seul pour faire
adopter le changement qu’on lui a fait subir. En effet, messieurs, en
permettant aux juges de paix de la campagne à connaître, dans presque tous les
cas, des actions en déguerpissement, on faisait plus que doubler le nombre de
leurs affaires, et par cela même on doublait aussi le nombre des agents
d’affaires, parmi lesquels il se rencontre sans doute des honnêtes gens, mais
qui pour la plupart enfantent les procès, exploitent les justices de paix,
assiègent la salle d’audience, et s’emparent de toutes les causes qui s’y
présentent, bonnes ou mauvaises. Ce fléau de nos campagnes, qui augmente à
mesure qu’il trouve plus d’aliment, aura moins l’occasion de s’étendre avec la
proposition amendée qu’avec la proposition primitive.
On serait tenté de croire, à une première lecture
de l’article 1er qui vous est proposé, qu’il ne trouvera presque jamais son
application. En effet, dira-t-on, rendre le juge de paix compétent pour
connaître d’un bail dont le loyer de toutes les années réunies n’excède pas 100
fr., c’est une disposition illusoire ! Mais si l’on veut bien remarquer, d’un
côté, que la loi est principalement proposée dans l’intérêt de la petite
propriété, et d’un autre côté, que généralement les propriétés sont occupées ou
sans bail, ou par tacite reconduction, et que dans ces deux cas le bail n’est,
d’après l’usage de presque toutes nos provinces, que d’une année, on
s’apercevra qu’en réalité le juge de paix, par cet article 1er, est rendu compétent
pour connaître de la plupart des baux dont le prix annuel n’excède pas 100
francs. Et quel mal, après, que la valeur du bail excède la compétence du juge
de paix, puisqu’aux termes de l’article 2, on pourra obtenir dans ce cas
l’expulsion en s’adressant au président du tribunal de première instance, qui
statuera aussi rapidement et sans causer plus de frais que le juge de canton.
Voilà, messieurs, les motifs qui m’ont engagé à me rallier à la
proposition de la commission ; je me réserve de répondre aux objections dont
elle pourrait être l’objet.
(Moniteur belge n°222, du 10 août
1833) M.
Doignon. - Messieurs, il n’est personne qui ne partage le désir de
l’honorable M. Liedts, de faire droit enfin aux justes plaintes des propriétaires
sur la lenteur et les frais excessifs de la procédure à laquelle ils sont tenus
de se soumettre jusqu’ici, pour expulser les locataires qui prétendent
continuer la jouissance de leurs biens sans droit ni titre, ou après
l’expiration de leur bail.
Mais son projet, en attribuant aux juges de paix la connaissance des
actions en déguerpissement, atteignait-il bien le but qu’il se proposait ? présentait-il en effet la marche la plus prompte, la plus
sûre et la plus économique ? Nous adoptons à cet égard l’avis de la commission,
qui est conforme à l’opinion que nous avons toujours professée sur cette
matière. En admettant, messieurs, sa proposition, vous consacrerez par la
législature ce que déjà on voit depuis longtemps se pratiquer par quelques-uns
de nos tribunaux. D’après la jurisprudence qui s’y est formée, on assigne dans
les vingt-quatre heures en expulsion provisoire devant le président du tribunal
civil, siégeant en audience de référé ; et ce magistrat, après avoir entendu
les parties, et s’être assuré que le locataire n’a ni droit ni titre, lui
ordonne, sans autre forme, de déguerpir, en autorisant au besoin l’exécution de
son ordonnance sur minute.
Nos jurisconsultes, tout en reconnaissant les avantages de cette
procédure, n’exprimaient qu’un regret, celui de ne pas voir la compétence du
président, en cette matière, formellement reconnue par la loi. En effet,
messieurs, la marche de cette action est de cette manière aussi simple et aussi
rapide que le comporte la nature de la cause qui, dès lors, devient
nécessairement urgente. Lorsqu’un locataire n’a point de bail, ou que son bail
est expiré, et que nonobstant il s’obstine sans aucune raison légitime à
demeurer en possession, n’est-il pas rationner de le même sur la même ligne que
l’usurpateur qui s’empare de l’héritage d’autrui et veut s’y maintenir ? Fur videtur, dit le jurisconsulte romain. Dès que le
président a une fois constaté sa mauvaise foi évidente, il devient aussi juste
qu’urgent de le faire déguerpir au moins par provision. Le propriétaire ayant
compté sur la libre disposition de sa maison à l’époque fixée, l’a
ordinairement louée à un autre ou a pris des mesures pour venir l’habiter avec
sa famille ; mais, ne voulant pas se faire justice lui-même, il attend en
quelque sorte chaque moment à la porte de sa maison que le magistrat veuille
bien lui en remettre les clefs : son nouveau locataire ou lui-même, ayant
déménagé, se trouvent pour ainsi dire sur le pavé avec leur mobilier ; ou bien,
si eux-mêmes continuent leur occupation après avoir pris l’engagement envers
d’autres de sortir à telle époque, ils
font souffrir à leur tour à ceux-ci les mêmes désagréments et le même préjudice
qu’on leur fait essuyer et c’est ainsi que, par suite de la mauvaise foi d’un
seul locataire, plusieurs se trouvent dans des embarras très pressants, et
éprouvent chaque jour toute espèce de dommage.
Ces demandes en expulsion doivent donc naturellement tomber dans la
catégorie des cas d’urgence prévus par l’art. 806 du code judiciaire.
A l’égard de l’occupation des terres, la nature des choses veut
également que l’action soit suivie avec célérité ; la terre exige pendant la
majeure partie de l’année des actes de culture, des soins presque continus,
dont la moindre négligence est plus ou moins nuisible.
Quant aux dépens, il ne serait pas possible de faire rentrer le
propriétaire dans la possession de son bien avec moins de frais. Une simple
citation en référé, une ordonnance du président suivie d’un commandement, telle
sont les seules formalités à remplir pour arriser au déguerpissement du
locataire de mauvaise foi. On ne peut trouver une procédure plus sommaire et
moins dispendieuse : l’exécution de l’ordonnance sur minute peut même dispenser
de frais d’une expédition de jugement, qui serait toujours nécessaire devant le
juge de paix.
Mais d’autres considérations puissantes doivent nous déterminer à
attribuer de préférence au président du tribunal l’expulsion provisoire ; comme
ce n’est que dans les cas douteux ou difficiles que ce magistrat aura réellement
quelque chose à juger, le propriétaire comme le locataire trouveront assurément
dans le président plus de lumières et d’expérience que dans les juges de canton
qui, pour la plupart ne sont pas licencié en droit. La position élevée de ce
magistrat, en même temps qu’elle inspire plus de respect, écarte toute espèce
d’inconvénient. Le juge de paix, tous les jours en rapport arec les
cultivateurs, peut se voir quelquefois dans une position fâcheuse à leur égard.
Mais les demandes en déguerpissement sont d’ailleurs d’une trop grande
importance pour en saisir les juges de canton, et puisque la procédure du
référé devant le président procure également les avantages de l’économie dans
les frais et de la célérité dans l’action, il ne résulterait aucune raison
plausible de dévier ici de la règle ordinaire à l’égard de la compétence des
juges de paix. Non seulement il s’agit toujours d’un objet d’une valeur
indéterminée, et qui peut être aussi bien de 50,000 fr. que de 500 ou 50 fr.,
mais souvent même de l’établissement du locataire ou du propriétaire, et
peut-être même de toute leur fortune. La loi d’organisation judiciaire de 1822
n’avait point étendu la juridiction du juge de paix de canton à l’expulsion des
fermes et terres, parce que cet objet était d’un trop grand intérêt. On sait
qu’il n’y a déjà que trop d’inconvénients à rendre les actions possessoires de
la compétence des juges de paix ; il n’est presque pas un de leurs jugements
qui ne soit porté en appel et réformé. Or, si le possessoire emporte souvent
pour le propriétaire la question de propriété, le déguerpissement aussi emporte
souvent pour le locataire la question de son établissement, ou plutôt de son
existence, et ces observations sont applicables aux petits comme aux grands
locataires ou propriétaires. Il ne s élève que trop souvent, dans les demandes
en expulsion, de demandes de droit et de fait qui embarrassent les tribunaux
ordinaires eux-mêmes. La reconduction, l’interprétation des conventions écrites
ou verbales, la validité des congés, les clauses relatives à la sortie du
preneur etc., font naître assez fréquemment les contestations les plus
sérieuses. Qu’on y prenne garde. Si l’on ne craignait pas de déférer aux juges
de canton des causes d’un intérêt aussi majeur, il n’y aurait pas de motif pour
ne pas leur en attribuer aussi bien d’autres qui sont de la compétence des
tribunaux civils. Par exemple, pourquoi ne leur donnerait-on pas également à
juger d’autres matières sommaires telles que les demandes purement
personnelles, à quelque source qu’elles puissent remonter quand il y a titre,
et qu’il n’est pas contesté ? Et une fois que l’on aurait ainsi franchi les
limite fixées pour la compétence des justices de canton, on ne sait plus
réellement où il faudrait s arrêter.
Le but du projet de loi est de faire obtenir au propriétaire promptement
et à très peu du frais la libre possession de son bien, lorsqu’il est évident
que celui qui occupe est sans droit ni titre pour le détenir plus longtemps.
Or, la faculté laissée au président d’accorder l’expulsion provisoire en
audience de référé atteindra parfaitement ce but. La sagacité ordinaire de ce
magistrat lui fera apercevoir aussitôt quand la défense du locataire n’est
réellement pas soutenable ; et dans ce cas, et alors seulement, il lui ordonnera
de déguerpir provisoirement, sauf à celui-ci à ramener immédiatement la cause
au tribunal, pour faire statuer définitivement, s’il le juge convenable. Le
président sera d’autant plus circonspect dans l’usage de cette faculté, que sa
décision peut être de suite soumise à la censure du tribunal qu’il préside. Or,
on sent que, pour les locataires de mauvaise foi qui auraient l’envie de se
maintenir à toute fin, ce provisoire ainsi accordé par le président emporte le
fond ; et, obligés de se résigner à son ordonnance, ils seront peu tentés de
poursuivre devant le tribunal une procédure en pure perte. De plus, ces mauvais
locataires, sachant qu’il existe une manière aussi expéditive et aussi peu
conteuse de les faire expulser, ne s’aviseront guère de continuer leur
occupation contre le gré des propriétaires ; mais, convaincus de l’inutilité de
leur opposition et ne consultant que leur propre intérêt, ils prendront à
l’avance leur mesure pour sortir des lieux au terme convenu, et se pourvoir
ailleurs.
Mais si au contraire, le président du tribunal, après avoir pesé les
raisons du demandeur et du défendeur, juge qu’il y a doute ou difficulté, dans
ce cas il se fera un devoir de refuser le provisoire qui ne peut être dû qu’à
la certitude ou à l’évidence du fait, et il renverra la cause à la plus
prochaine audience de tribunal qui prononcera sur le tout. Dans cette dernière
hypothèse qui se présente moins fréquemment, une contestation réellement
sérieuse s’étant engagée entre le preneur et le propriétaire, et son objet
étant d une valeur indéterminée, c’est au tribunal de 1ère instance qu’il doit
appartenir de la juger : le refus du président d’accorder un référé à
l’expulsion provisoire est une preuve que quelque présomption milite en faveur
du locataire, et qu’ainsi il ne peut plus être question de le traiter avec
rigueur et par urgence, mais d’examiner ses droits avec la plus grande
attention. Le propriétaire comme le locataire préféreront avoir pour juge d’un
litige aussi important, et peut-être d’une question ardue, le tribunal de
première instance qui, pour des cas semblables, leur inspire à juste titre plus
de confiance.
Mais, du reste, devant le tribunal civil, une cause de cette nature est
rangée de droit parmi celles qui requièrent célérité, et les frais sont taxés
modérément comme en matière sommaire, ce qui même sera peut-être moins coûteux
que si, à cause des difficultés que présente l’affaire et des intérêts majeurs
qu’elle eût à défendre, les parties se voyaient obligées d’envoyer leurs
avocats à l’audience du juge de canton.
S’il y a matière à transaction, la médiation du président ou du tribunal
sera tout au moins aussi utile que celle du juge de paix.
Nous devons donc conclure avec lui qu’il n’y a nulle nécessité de
recourir aux juges de canton pour remédier au mal dont se plaignent le
propriétaires, mais qu’il est satisfait à tout ce qu’exigent la protection due
à la propriété et même l’intérêt bien entendu des locataires, en autorisant le
président du tribunal civil a accorder selon les circonstances, aussitôt et
presque sana frais, l’expulsion provisoire sur une simple citation. Or,
puisqu’on trouve à cette fin, au titre XVI du livre 5 du code judiciaire, une
procédure toute faite, dont la pratique est connue et familière à tout le
monde, le législateur aurait donc rempli sa tâche en déclarant simplement
applicables aux cas dont il s’agit les dispositions des articles 805 et
suivants de ce code.
Déjà l’art. 135 établit comme règle générale que l’expulsion provisoire
peut être prononcée par le tribunal lorsqu’il n’existe point de bail ou que le
bail est expiré ; mais on suppose dans cet article que les délais et les
formalités ordinaires telles que les préliminaire de la conciliation, etc., ont
été accomplis ; or, c’est justement ce que l’on a en vue d’éviter ici en
saisissant d’abord le président de la connaissance de l’affaire pour accorder
s’il y a lieu cette provision avant le jugement définitif.
Au surplus, l’extension que l’on voudrait donner à la compétence des
juges de paix se lierait aussi avec la grande question de savoir si, en
principe, il est à propos d’augmenter leur juridiction. Mais ce principe ne
doit être discuté que lorsque la législation s’occupera de leur organisation,
et jusque-là il nous paraît prudent de ne rien préjuger sur ce point.
Mais nous prierons ici la commission de nous faire connaître pourquoi
elle a cependant jugé à propos d’anticiper, relativement aux intérêts de la
petite propriété. Il lui a semblé, dit-elle, que lorsque la valeur de loyer ou
fermages pour toute la durée du bail n’excède pas les limites de la compétence
du juge de paix, il peut connaître de la demande en expulsion à son expiration.
Mai dans ce cas, l’objet de la demande en déguerpissement n’excède-t-il pas
toujours les limites de sa compétence, puisqu’il ne cesse d’être d’une valeur
indéterminée ? Pourquoi cette distinction entre la grande et la petite
propriété ? Les petits propriétaires ou locataires n’ont-ils pas, comme les
grands, le même intérêt à obtenir les meilleures garanties pour qu’il leur soit
fait bonne justice ? Si, lorsqu’il s’agit de déguerpissement, la justice de
paix, telle qu’elle est organisée maintenant, est reconnue vicieuse pour le
château, pourquoi en serait-il autrement lorsqu’il s’agit de la chaumière ? Les
petits propriétaires ou locataires attachent certainement un aussi haut prix à
la jouissance de leur petit héritage, d’un quartier ou d’un demi-bonnier de terre, que les grands celle d’un domaine
considérable. Pour les premiers, ce petit héritage sera souvent l’unique moyen
d’existence d une famille, et son sort tout entier se trouvera entre les mains
du juge de paix et dépendra de sa décision. Son mal jugé peut entraîner sa
ruine pour toujours. Au contraire, quant aux seconds, l’erreur de ce juge leur
sera moins souvent aussi fatale. Il paraît donc que si la juridiction actuelle
de la justice de paix n’offre pas assez de garantie pour le déguerpissement de
la grande propriété, il y a peut-être plus de motifs pour qu’il en soit de même
à l’égard de la petite. Les justices de paix, dit le rapport de la section
centrale n’ont été instituées que pour décider des contestations de peu
d’importance, et elles n’ont même pas répondu aux espérances que l’on en avait
conçues. Mais, relativement aux petit laboureurs ou locataires, le droit de jouir
de leurs fonds de terre ou maison est pour eux de la plus haute importance. Ce
n’est aucunement d’après le prix du loyer ou fermage qu’on peut l’évaluer ; tel
bien ou telle maison peuvent ne valoir que 100 francs de location et en valoir
au preneur plus de 500 ou 1,000 annuellement et au-delà. Cette jouissance est
donc certainement inappréciable dans tous les cas.
L’appréciation du titre en son entier appartient au juge de paix, dit la
commission, dans le cas où la valeur des loyers ou fermage pour toute la durée
du bail n’excède pas les limites tracées à la justice de paix par la loi de
1790.
Sans doute, si c’est une somme fixe, inférieure à 100 francs et due pour
loyer, qui est mise en jugement, on conçoit que le juge de paix puisse alors
connaître du titre en son entier ; mais il ne peut être question ici d’une
somme fixe, mais du déguerpissement, dont l’objet est, par sa nature, d’une
valeur indéterminée et ordinairement de l’intérêt le plus majeur.
Ne convient-il donc pas de faire disparaître cette distinction entre le
déguerpissement de la petite et de la grande propriété, distinction qui peut
sembler d’autant plus choquante que tous les Belges sont égaux devant la
justice comme devant la loi. Ne pourrait-on pas, en déclarant urgentes les
demandes en expulsion lorsqu’il n’y a point de bail ou que le bail est expiré,
leur appliquer indistinctement les dispositions de l’article 806 et suivants du
code judicaire ? Nous attendrons sur tous ces points les explications de M. le
rapporteur de la commission. Il importe aussi de connaître si son projet
prévoit le cas où le preneur n’a pas eu de bail écrit, ou si l’on a entendu
qu’il y est compris.
Loin de nous la pensée que la section centrale aurait voulu accorder un
privilège à la grande propriété ; nous ne doutons pas au contraire qu’il n’ait
été dans son intention de faire quelque chose de favorable à la petite
propriété. Mais, dans ce cas, nous le demandons, pourquoi lui donner pour juge
le juge de paix, au lieu du président du tribunal civil ?
A l’égard de la demande en résolution et expulsion pour défaut de
paiement du loyer, lorsqu’il existe un bail et qu’il n’est pas expiré, la
provision étant due à ce titre, ne semble-t-il pas qu’on ne peut appliquer à ce
cas la procédure des référés ?
Les mêmes raisons militent pour continuer aux
tribunaux ordinaires la connaissance de ces affaires, car la résolution du bail
est dans ce cas, comme dans les autres, d’un intérêt urgent, et peut dépendre
d’une foule de circonstances qu’il est plus prudent de laisser, comme
précédemment, à l’appréciation des tribunaux civils. Seulement, puisque dans
l’intérêt des propriétaires ou rentiers, on a dispensé du préliminaire de la
conciliation la demande en paiement de loyer ou de fermage, il paraît tout à
fait rationnel d’en exempter également la demande en expulsion qui en est la
suite. Par ce moyen on pourrait saisir les tribunaux civils de ces deux objets
par un seul et même exploit. On pourrait aussi, afin d’empêcher les parties de
se faire trop de frais pour une location de peu de valeur, autoriser ces
tribunaux à prononcer en dernier ressort et sans appel, lorsque le prix annuel
n’excède pas 150 fr.
Telles sont, messieurs, les observations que j’ai l’honneur de vous
soumettre sur le projet de loi en discussion.
M. Milcamps. - Le
projet de loi présenté par la commission chargée de l’examen de la proposition
de M. Liedts, continue aux juges de paix l’attribution de connaître tant de la
demande en résolution du bail que de celle en expulsion à son expiration,
lorsque la valeur des loyers ou fermages pour toute la durée du bail n’excède
pas les limites de sa compétence.
Mais quand la valeur des fermages excédera-t-elle les limites de la
compétence du juge de paix ? En matière personnelle le juge de paix connaît des
demandes à charge d’appel jusqu’à concurrence de 100 fr., et en dernier ressort
jusqu’à concurrence de 50 fr.
Ainsi, s’il s’agit par exemple de la demande en résolution pour défaut
de paiement d’un bail pour un terme de 6 ans, il est évident que le juge de
paix ne pourra en connaître en dernier ressort qu’autant que le prix du bail
soit de 8 fr. 33 c., et en premier ressort qu’autant
que le prix du bail soit de 16 fr. 66 c.
S’il s’agit d’une demande en résolution d’un bail verbal pour une maison,
ou pour des biens ruraux dont les fruits se récoltent en entier dans le cours
d’une année, le juge de paix en connaîtra en dernier ressort su le prix
n’excède pas 50 fr. et en premier ressort si le prix n’excède pas 100 fr.
Ainsi, il est vrai de dire que la proposition de la commission maintient
la compétence actuelle des juges de paix avec cet avantage de faire cesser ne
controverse, avec cette seule différence que le jugement du juge de paix rendu
en premier ressort sera exécutoire par provision, nonobstant appel et sans
donner caution.
Mais le projet de la commission, pour les cas où le juge de paix ne sera
pas compétent, et ces cas seront les plus nombreux, dispose que la demande en
expulsion formée, soit à l’expiration du bail, soit pour défaut de paiement,
pourra être portée directement en référé devant le président du tribunal, qui
statuera provisoirement sur la demande, sans préjudice au principal pour lequel
les parties pourront se pourvoir à l’audience dans préliminaire de
conciliation, et l’ordonnance du président sera exécutoire sur la minute,
nonobstant opposition ou appel, et sans caution.
Cette proposition à la vérité présente l’avantage de dispenser du
préliminaire de conciliation les demandes en expulsion après l’expiration des
baux, mais ces sortes de demandes sont assez rares ; elle présente le même
avantage relativement aux demandes en résiliation de baux pour défaut de
paiement qui sont plus fréquentes, surtout en ce qui concerne les locataires de
maisons qui, malgré qu’ils n’acquittent pas leurs fermages, se refusent souvent
à déguerpir.
Mais cette proposition étendue aux baux de grandes fermes peut donner
lieu à de graves inconvénients.
Un propriétaire agira par voie de référé en expulsion de la ferme, après
l’expiration du bail, et son locataire prétendra avoir droit à la tacite
reconduction.
Un propriétaire agira en résolution du bail pour défaut de paiement ; le
locataire soutiendra que de son côté le propriétaire n’a pas rempli ses
obligations, ou qu’il ne doit rien.
La proposition de la commission fait cependant une obligation, un
devoir, au président du tribunal, de statuer provisoirement, n’y eût-il pas
même urgence à statuer.
S’il décide contre le fermier, son ordonnance sera exécutoire sur la
minute ; ainsi on pourra, en vertu de cette ordonnance, faire mettre les
meubles du fermier sur le carreau le faire déguerpir.
A la vérité le fermier pourra se pourvoir à l’audience, pour faire
prononcer par le tribunal sur le principal.
Mais pour le fermier les choses ne seront plus entières ; il aura dû
abandonner sa ferme, vendre ses bestiaux, disposer de ses denrées.
Messieurs, je crains, je vous l’avoue, de donner un aussi grand pouvoir
à un président de tribunal.
Les états-généraux du ci-devant royaume, dans la
loi d’organisation du pouvoir judicaire de 1827, étaient moins hardis ; d’après
cette loi le juge de paix ne connaissait des demandes en expulsion, après
l’expiration du bail, que pour les maisons, et des demandes en résolution des
baux de maisons et fermes, pour défaut de paiement sans appel, qu’autant que le
prix du bail ne s’élevait pas au-delà de 50 fl., et à charge d’appel, lorsque
le prix du bail n’était pas au-dessus de 200 fl.
Messieurs, les développements de la proposition de la commission ne nous
ayant été remis que hier, l’on doit sentir que le temps a dû nous manquer pour
bien apprécier les avantages et les désavantages de cette proposition. Les
observations que je viens de présenter ne sont pas le fruit d’une méditation ;
ce sont simplement des idées que la lecture de la proposition m’a suggérées, et
que je ne reproduis ici que pour provoquer des explications des membres de la
commission.
M.
Jullien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Pour tous ceux qui par état ou par expérience peuvent apprécier les
difficultés sans nombre qu’il faut surmonter, les frais, le temps qu’il faut
dépenser pour parvenir à faire déguerpir un locataire de mauvaise foi, la
proposition de M. Liedts amendée par la commission, est un véritable bienfait
pour les justiciables. En effet, rien n’est pas commun que les locataires de
mauvaise foi qui, lorsqu’ils sont devenus solvables, persistent à continuer la
jouissance des biens dont ils ne peuvent pas acquitter le loyer, ou qui, à
l’expiration de leur bail authentique, restent malgré le propriétaire, causent
des dégâts dans les fermes et traînent la contestation pendant des années ; et
quand la contestation est vidée, le propriétaire a dépensé beaucoup d’argent et
le fermier a absorbé le peu de ressources qui lui restaient. Mais d’un autre
côté, s’il est des locataires de mauvaise foi, il est aussi des propriétaires
de mauvaise foi, des propriétaires infiniment exigeants, des propriétaires qui,
lorsqu’ils se sont brouillés avec leurs fermiers, cherchent à s’en débarrasser
par tous les moyens.
Il faut donc, dans le projet qui vous est soumis, chercher à concilier
ces deux intérêts, l’intérêt du propriétaire et celui du locataire ; car, si
vous devez conserver intact le droit du propriétaire, vous devez considérer que
toute la fortune d’un fermier est dans la jouissance de son bail. Le projet de
la commission répond-il à ces vues ? Malheureusement je ne le pense pas. Je
suis persuadé qu’il vous sera présenté beaucoup d’amendements, sur lesquels il
sera difficile de s’entendre. Pourquoi ? Parce que le projet de loi n’a pas été
assez mûri. Si vous voulez en avoir la preuve, examinez l’article 1er par
lequel on a proposé de donner aux juges de paix la connaissance, dans les
limites de leur compétence, de toutes les demandes en résiliation de baux ; eh
bien ! la compétence des juges de paix n’excède pas
100 fr. ; or, pour les Flandres, je vous demande ce que c’est qu’un bail de 3,
6 ou 9 années, qui n’excède pas 100 fr. ? Il n’y en a pas de cette espèce, ou ils
sont infiniment rares.
D’un autre côté, on parle de saisie des meubles et effets d’un locataire
qui a un bail de 100 fr. Si on parlait d’un procès-verbal de carence, à la
bonne heure. Vous voyez bien que l’article premier est insuffisant, à moins
qu’on n’étende la compétence du juge de paix. Il faudrait qu’on l’étendît
jusqu’à 5 ou 600 fr., pour que la loi s’appliquât à une grande partie du
royaume ; autrement elle sera inutile.
Par l’article 2, on peut demander référé, lorsque
le bail est expiré, et lorsqu’on demande résolution de bail par défaut de
paiement. Ainsi on suppose qu’il y a demande en résolution ; le président du
tribunal se trouve dès lors dans une position difficile, car il pourra
prononcer d’une façon, et le tribunal prononcer d’une autre.
Je ne pense pas, messieurs, que pareille chose puisse exister. Il est
vrai que l’expulsion du fermier, d’après le projet, ne porte pas préjudice au
principal ; d’où il suit qu’un fermier expulsé pourrait être réintégré, et dans
ce cas il faudrait lui donner des dommages-intérêts considérables.
Les inconvénients du projet, s’il n’était pas amendé, seraient peut-être
plus grands que ceux que l’on veut éviter.
Je demande que le projet de loi soit renvoyé à l’avis des cours et
tribunaux, c’est-à-dire soit soumis aux cours et tribunaux qui seraient invités
à donner leur opinion.
M. Liedts. - Je
concevrais l’utilité d’un renvoi aux cours et tribunaux, si le projet bouleversait
totalement la jurisprudence : dans une circonstance semblable, sans doute qu’il
serait nécessaire de recueillir l’opinion des magistrats.
Mais la proposition n’est pas un bouleversement de la jurisprudence ;
elle n’est qu’un moyen d’arriver à une jurisprudence uniforme. A quoi tend
l’article 1er ? Il tend à déclarer, par une loi formelle, que ce qui existe en
France existera dans tout le royaume. La jurisprudence de la cour de cassation
française est constante sur ce point. La jurisprudence de la cour de Liége est
même conforme à la jurisprudence française, elle déclare les juges de paix
compétents ; il en est autrement à Bruxelles. Ainsi l’art. 1er tend à supprimer
la diversité des décisions de nos cours.
M. Jullien a manifesté la crainte qu’en référé le
président ne prononçât autrement que le tribunal qui serait saisi de la
question au fond ; mais l’article 2 contient moins une disposition nouvelle que
l’explication de l’article 806 du code de procédure civile.
De plus, la crainte de M. Jullien est la
condamnation de tous les jugements en référé. Sans doute que le président peut
ordonner le déguerpissement ; et que le tribunal peut repousser la demande en
résiliation de bail ; alors il faudra des dommages et intérêts, dans ce cas il
vaut mieux que ce soit le propriétaire qui les donne, parce qu’il présente plus
de garanties que le fermier.
M. Helias d’Huddeghem lit un discours pour appuyer la proposition
de M. Jullien. L’honorable membre ne nous ayant pas communiqué son manuscrit,
nous ne pouvons publier ce discours.
M. Dubus. -
Messieurs, je ne suis pas convaincu de l’utilité de soumettre le projet aux
cours et tribunaux.
Je conçois une pareille mesure quand il s’agit d’une loi importante,
d’une loi qui embrasse un système ; mais lorsqu’il s’agit d’une simple
modification à la loi existante, et que la difficulté se réduit à un point
aussi simple, je ne sais pourquoi on irait occuper les magistrats du pays d’une
semblable chose. Cette mesure serait d’ailleurs sans exemple dans la chambre,
et il est inutile de créer un précédent.
La chambre a renvoyé devant les cours et tribunaux le projet sur
l’organisation judiciaire, mais ce projet était un système tout entier. On ne
propose ici que deux dispositions tout à fait en harmonie avec les dispositions
de nos codes ; tout ce qu’il y a de jurisconsultes éclairés dans l’assemblée
peut très bien apprécier les modifications qui seraient proposées à la loi.
M. Jullien présente une objection, tirée de ce que
le président en référé pourrait décider autrement que le tribunal ; eh bien,
dans ce cas, si le président a ordonné l’expulsion, il faudra réintégrer le
fermier. Cet inconvénient a lieu dans beaucoup d’autres cas ; il est
inévitable, ce n’est donc pas là une objection. On fait le procès à la
législation en vigueur, et non au projet de loi.
Quant aux autres critiques qui ont été faites, elles sont de nature à
être appréciées dans la discussion des articles ; elles pourront amener des
amendements, et il y a lieu à continuer la discussion.
M. de Muelenaere. - Je ne
suis pas entièrement convaincu de la nécessité de renvoyer le projet actuel
devant les cours et tribunaux ; je crois cependant qu’il est nécessaire de le
soumettre à un examen plus approfondi. Tout le monde a senti les vices de la
législation existante sur la procédure à laquelle sont soumises les actions en
déguerpissement ; tout le monde a senti le besoin de la modifier, et sous ce
rapport la proposition de M. Liedts a été accueillie avec faveur. Mais il me
semble que, telle que nous la voyons aujourd’hui, elle est bien loin de
répondre à l’attente du pays. En effet, messieurs, le projet contient deux
clauses seulement. Par la première on consacre une jurisprudence déjà établie
dans plusieurs localités ; par la seconde on se borne à déclarer que les
actions en déguerpissement seront réputées urgentes.
Quant au premier point, l’article est insuffisant, car il ne remédiera à
aucun des inconvénients actuels. Quant au deuxième, l’article est mal rédigé,
et j’avoue que je ne le comprends pas.
M. Liedts. - Je
prie alors M. le président de donner lecture de l’amendement que j’ai proposé
sur l’article 2.
M. le président. - Le
voici :
« Art. 2. Lorsque le juge de paix n’est pas compétent pour en
connaître, la demande en expulsion soit pour cause d’expiration du bail, soit
pour défaut de paiement pourra, etc. »
M. Liedts propose également à l’article 2, § 2, la suppression des mots
: « nonobstant opposition. »
M. de Muelenaere. -
D’après cet amendement le vice de la rédaction disparaît en partie, mais il
reste encore vrai que l’introduction de cet amendement ne nous fera pas encore
toucher le but qui est de simplifier la législation et de la rendre plus
expéditive.
Par tous ces motifs, il semble que le projet de loi devrait être soumis
à un nouvel examen. D ailleurs, plusieurs difficultés ont été soulevées par M.
Milcamps ; il n’y a pas encore été répondu et le projet n’y pourvoit pas d’une
manière satisfaisante.
M.
Jullien. - Le projet dont nous nous occupons a paru aux
uns d’un médiocre intérêt, et aux autres, d’une très grande importance. Je pense
que si tout le monde était bien convaincu qu’une simple lacune, qu’une seule
omission, qu’un sens obscur peuvent entraîner la ruine
de plusieurs familles, on y regarderait de plus près avant de voter de
semblables articles. C’est précisément parce qu’il s’agit d’une matière
judiciaire qu’il faut adopter des dispositions précises, afin de ne donner
aucune prise à la chicane. Or, sous ce point de vue déjà, le projet ferait plus
de mal que de bien.
On dit que l’on veut respecter la juridiction des juges de paix, mais
c’est précisément ce qui est en question. Jusqu’à présent on avait admis la
compétence des juges de paix jusqu’à la concurrence de 100 fr., pour les
actions pures, mobilières et personnelles ; mais on avait considéré les
résiliations de bail comme une action mixte. On a dit que les dispositions de
l’art. 2 étaient la conséquence de ce qui se pratique ordinairement ; mais
pourquoi multiplier les actions lorsqu’on peut éviter un résultat aussi fâcheux
? pourquoi s’enfermer, comme on le propose, dans un
cercle vicieux ?
On peut quelquefois, lorsqu’il s’agit de
l’exécution d’une action, apprécier si l’obstacle que l’on oppose vient d’un
esprit de chicane, parce que l’action est là et permet d’en juger. Mais
lorsqu’on demande d’expulser un fermier sous prétexte qu’il n’a pas payé, et
que de son côté le fermier prétend ou qu’il a payé ou qu’il n’a pas eu toutes
les jouissances qu’il avait stipulées, et que, par conséquent, il y a lieu pour
lui à des indemnités, comment voulez-vous que le juge ordonne l’expulsion,
quand devant son propre tribunal il a été porté une demande en résiliation de
bail ?
On ne risque jamais rien à s’entourer de lumières ; d’ailleurs, je ne
vous propose pas de créer un précédent. Jusqu’ici, lorsqu’il s’est agi de
dispositions judiciaires pour innover à une loi, ou pour la refaire, on a
toujours eu le bon esprit de donner une grande publicité au projet et de
consulter les cours et tribunaux. En adoptant ma proposition, la chambre ne
créera donc pas un précédent ; elle ne fera que se conformer à ses précédents.
M. A. Rodenbach. - Il me
semble que le renvoi demandé nous ferait perdre encore du temps, et le projet
est urgent car voilà bientôt trois années que l’on pétitionne à cet égard. Je
demande qu’une nouvelle commission soit nommée, et qu’on en prenne les membres
parmi ceux qui sont opposés au projet. Il y a d’ailleurs, parmi nous, un grand
nombre de jurisconsultes distingués auxquels on pourrait soumettre de nouveau
la proposition de M. Liedts.
M.
Jullien. - Je ne connais pas de jurisconsultes plus
distingués que ceux auxquels la proposition a été soumise. Certainement, sous
le rapport des lumières et des aperçus, il n y a rien à reprendre dans le
rapport de l’honorable M. Fallon, et cependant le projet est défectueux. C’est
que le projet présente de très grandes difficultés.
Il y a plusieurs années, dit-on, que l’on réclame ; mais on a réclamé
aussi en France et ailleurs. Le sujet a paru si grave, qu’on n’a pas voulu s’en
rapporter à l’avis de Merlin. La question est difficile, et rien ne s’oppose à
ce que nous demandions aux cours et tribunaux leur avis, en les priant de nous
les faire parvenir dans un délai déterminé.
M. A. Rodenbach. - Mon intention
est que l’on renvoie la proposition de M. Liedts à la commission, à laquelle
devront s’adjoindre les membres et les jurisconsultes distingués opposés au
projet ; de cette manière nous éviterons des retards. Il est temps, messieurs,
il est bien temps de donner des lois à la nation.
M. de Theux. - Ce n’est pas la
première fois qu’un projet présente de graves difficultés, que cependant la chambre
parvient à écarter. Je propose de nous conformer dans cette occasion à l’usage
qu’elle a constamment suivi. Quand un projet difficile donne lieu à des
amendements, on les fait imprimer, et la chambre les examine. Je demande que
les membres qui ont critiqué le projet déposent des amendements ; nous pourrons
les discuter samedi.
M. A. Rodenbach. - Je
désire que les membres de la commission répondent à la question que je vais
faire :
Serait-il nécessaire à ceux qui vont en référé devant un président de se
faire assister d’un avocat ou d’un avoué ?
Cette question m’intéresse, car je n’aime pas les frais de ce genre.
M. Fallon. - Je puis
satisfaire à la demande de M. Rodenbach ; la commission a choisi la voie du
référé précisément pour éviter le service d’un avocat ou d’un avoué.
M. le président. - La
proposition de M. de Theux est-elle appuyée ? (Oui ! oui !)
M. de Brouckere. - Il y aurait un
moyen de concilier toutes les opinions, ce serait d’ordonner le renvoi des
amendements à la commission, en priant les membres qui les ont proposés de
s’adjoindre à elle. (Appuyé ! appuyé !)
- La proposition de M. de Theux, modifiée par M. de Brouckere, est mise
aux voix et adoptée.
Le nouveau rapport sur la proposition de M. Liedts aura lieu samedi.
- La séance est levée à trois heures
M. le président. - La
chambre devant aller en corps à la cérémonie du baptême, j’invite messieurs les
députés à se rendre au palais de la chambre à dix heures et demie.