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Note
d’intention
Chambre des représentants de
Belgique
Séance
du samedi 3 août 1833
Sommaire
1) Proposition
visant à ce que la chambre se rende en corps au baptême princier
2) Projet de loi relatif aux frais
d’entretien, par les communes, des indigents dans les dépôts de mendicité.
Discussion générale (Lebeau, Ernst,
Lebeau, Legrelle, Ernst, Boucqueau de Villeraie, Fallon, Liedts, d’Hoffschmidt, Soudan de
Niederwerth, Doignon, Brabant,
Jullien, Lebeau, Fleussu, de Theux, de Brouckere, Dubus)
(Moniteur belge n°217, du 5 août 1833 et Moniteur belge n°218, du 6 août
1833)
(Présidence de M. Raikem)
(Moniteur belge n°217, du 5 août 1833) M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la
rédaction en est adoptée.
M. Verdussen, à l’occasion de la lecture du
procès-verbal, signale une omission dans le compte-rendu de la séance d’hier.
Relativement à la dernière requête adressée par les huissiers à la chambre, on
a oublié de mentionner qu’elle a été renvoyée à M. le ministre de la justice
avec demande d’explications.
M. le président. - Une proposition déposée sur le bureau est ainsi
conçue : « Nous avons l’honneur de proposer que la chambre se rende en
corps à la cérémonie du baptême du Prince royal. » Elle est signée par MM.
Pollénus, C. Rodenbach, Dellafaille, de Theux, Dewitte, Brixhe, Vuylsteke, Legrelle, Dubus, de
Terbecq, Vanderbelen, H. Dellafaille, de Stembier, Domis, Eloy de
Burdinne, de Meer, Cols, d’Hane, Milcamps, Dubois,
Simons, Zoude, Doignon, Poschet, Schaetzen,
Bekaert, Thienpont, Olislagers, Boucqueau
de Villeraie, Wallaert, Coppieters, de Nef, Vanderheylen, etc., etc. »
- La proposition mise aux voix
est adoptée sans opposition.
Aucun membre ne s’est levé
contre.
M. le président. - En conséquence, la chambre décide
qu’elle se rendra en corps à la cérémonie du baptême du Prince royal. Il en
sera donné communication au gouvernement.
Discussion
générale
M. le président.- M. le ministre de la justice se
rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, le point important pour le
gouvernement est l’admission du principe sur lequel repose le projet de loi,
c’est-à-dire la reconnaissance que les frais d’entretien des dépôts de
mendicité est une charge communale ; or, ce principe est admis par la section
centrale. Quant aux autres points, ils sont susceptibles d’être plus ou moins
admis, puisqu’ils ne sont que des moyens d’exécution. Je ne vous aucun
inconvénient à me rallier à présent au projet de la section centrale et à
consentir qu’on lui accorde la priorité dans la discussion.
M. le président. - La discussion générale est ouverte. La
parole est à M. Ernst.
M. Ernst. - La nécessité de réviser la législation en matière de secours public
pour les indigents est généralement sentie ; on reconnaît aussi qu’il faut
améliorer les dépôts de mendicité, mais à charge de qui sera la dépense ? C’est
là la question fondamentale qui domine toutes les autres.
Deux points importants sont
organisés et dans le projet de loi du gouvernement et dans le projet de loi de
la section centrale : à l’avenir imposera-t-on aux communes l’obligation de
fournir aux besoins des indigents ? Leur imposera-t-on l’obligation de payer
l’arriéré ? Quant la première proposition, je ne trouve aucune difficulté à
admettre le principe du projet de loi. Il est juste que les frais qu’occasionne
l’entretien des indigents soient à la charge des communes de leur domicile,
sauf à appeler le concours des provinces et même celui du gouvernement, dans le
cas où les communes ne pourraient subvenir à toutes les dépenses. Mais une
question sur laquelle je me suis déjà expliqué dans la section centrale, où
j’ai fait valoir l’opinion de la cinquième section, est celle de savoir si la
législature peut poser la règle énoncée par l’article 5 du projet de loi,
« que les communes sont tenues au paiement des pensions arriérées. »
Cette disposition, messieurs,
contient deux vices législatifs fort remarquables, et
si elle ne subit pas des modifications, elle ne me permettra pas de donner un
vote approbatif à la loi dont il s’agit.
Déclarer que les communes
seront obligées de payer une dette antérieure, est-ce porter une loi ? non, c’est juger entre une commune et l’Etat. C’est non
seulement porter un jugement, c’est la condamner sans l’entendre. Les droits
des communes sont-ils différents, par leur nature, des droits des particuliers
? Un être collectif, réunissant les intérêts de plusieurs personnes, a-t-il des
droits moins sacrés que ceux d’un individu ? Ce serait porter atteinte au
pouvoir judiciaire que de porter une décision qui est dans ses attributions.
La limite entre le pouvoir
judiciaire et le pouvoir législatif est une de celles qu’on ne saurait franchir
sans exposer l’édifice constitutionnel aux plus graves lésions. La chambre a
toujours montré le respect le plus grand pour les attributions judiciaires.
Récemment, dans cette enceinte, quand on a prétendu que les routes construites
aux frais des provinces ou des communes n’appartenaient pas à l’Etat, la
chambre a décidé qu’il s’agissait d’une question de propriété qui n’était pas
de sa compétence.
Eh bien ! il
s’agit ici d’une question analogue ; si vous ne pouvez pas juger quels sont les
droits des communes à l’égard de l’Etat, il ne doit pas en être autrement de
leurs obligations respectives. Pour vous engager dans une voie dangereuse, on
vous parlera de l’utilité qu’il y aura à déclarer que les communes doivent
payer ; on dira qu’il y aura des retards, des frais considérables par suite des
procès qui seront suscités, si on ne fait pas une loi expresse ; j’admets tous
ces inconvénients ; mais ils se présentent dans toutes les affaires
judiciaires.
Pour couvrir
l’inconstitutionnalité que je vois dans cet empiétement sur le pouvoir
judiciaire, on dira encore que la matière est administrative, et qu’alors la
législature peut toujours intervenir.
Certainement, messieurs,
lorsqu’il s’agit d’organiser les communes, de régler leurs attributions, de
déterminer leurs rapports avec l’Etat, ce sont des points d’administration qui
entrent dans le domaine de la législation ; mais il s’agit d’un patrimoine
d’une commune ; or ce patrimoine est-il d’une nature différente que celui d’un
particulier ? Est-ce que ses créanciers, ses dettes sont administratives ?
C’est une question qu’il suffit de poser pour qu’elle soit résolue. On tend
donc évidemment à usurper le pouvoir judiciaire ; vous ne le permettrez pas,
messieurs ; ou bien on veut faire une loi rétroactive, attentat non moins grave
que l’envahissement du pouvoir judiciaire.
On prétendra peut-être que la
loi est interprétative ; qu’une telle loi peut agir sur le passé ; qu’elle se
reporte au droit antérieur qu’elle explique ; que le pouvoir d’interpréter les
lois appartient à la législature. Oui, messieurs, ce pouvoir appartient à la
législature ; l’article 26 de la constitution ne laisse aucun doute à cet
égard. Il a posé un principe proclamé pendant la révolution française c’est que
le droit d’interpréter les lois appartient aux assemblées législatives. La
première loi qui a violé ce principe, c’est celle du 26 septembre 1807. Mais
dans toutes les lois qui statuent sur l’interprétation authentique, on a
déterminé les cas où il y aurait lieu à cette interprétation.
Si le pouvoir législatif
abusait de ce droit, il y aurait confusion et contradiction dans l’ordre
constitutionnel. En effet, lorsque les tribunaux voudraient interpréter une
loi, la législature s’emparerait de la question : pour éviter qu’une loi soit
attaquée comme rétroactive, on dirait qu’elle est explicative ; sous le
prétexte d’interpréter les lois, on entrerait dans le domaine du passé qui
échappe à la législature.
Quel est le but de
l’interprétation des lois par voie d’autorité législative ? Est-ce de prévenir
l’interprétation judiciaire. Non, c’est d’y suppléer.
Quand il
existe une grande contrariété dans les arrêts des cours ; quand les débats
judiciaires paraissent devoir être interminables, alors le pouvoir législatif
intervient. C’est ainsi que la chose a lieu en France
; c’est dans cet esprit que notre constitution a été faite. Je me demande si,
dans le cas actuel, il y a nécessité que vous interveniez dans le débat.
A-t-on, en effet, épuisé les moyens judiciaires ordinaires ? On ne les a même
pas tentés. On a menacé la ville de Mons de la poursuivre, mais aucune
poursuite n’a eu lieu. Si des poursuites sont dirigées, si des arrêts
contradictoires sont rendus par les cours d’appel, alors on pourra avoir
recours à la législature.
Messieurs, quand nous
arriverons à la discussion de l’art. 5, je proposerai un amendement dont le but
sera de donner un moyen de contrainte contre les communes récalcitrantes, tout
en laissant à celles-ci le droit de faire valoir leurs prétentions en justice ;
si cet amendement n’est pas admis, je serai forcé de voter contre la loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je reconnais que dans tout
ce qui concerne l’interprétation des lois, dans tout ce qui concerne la
connaissance des principes du droit et de la rétroactivité des lois, l’autorité
du préopinant est fort imposante. J’ai écouté ses paroles avec recueillement ;
mais je dois l’avouer, il ne m’a pas convaincu.
Il me semble que l’honorable
préopinant s’est écarté de la question en ne tenant aucun compte d’un fait qui
est placé par lui-même hors de controverse. En effet, il vous a dit que, selon
la législation en vigueur, il n’y avait aucun droit que la charge de
l’entretien des dépôts de mendicité ne fût principalement imposée aux communes.
Je puis lui dire que les lois qui se sont succédé depuis l’assemblée
constituante jusqu’au dernier gouvernement, n’ont fait que consacrer
implicitement ce principe.
A cet égard, messieurs, il
suffit de jeter les yeux sur la loi du 13 juin 1790, sur la loi du 27
vendémiaire an II, sur la loi du 11 frimaire an VII, sur le décret du 5 juillet
1808 et sur la loi du 28 novembre 1818, pour reconnaître que le principe est
devenu peu contestable.
S’il en est ainsi, il ne
s’agit pas de créer aujourd’hui une législation nouvelle et de l’appliquer tout
à la fois à l’avenir et au passé ; il ne s’agit pas de constituer un droit pour
le gouvernement ; il ne s’agit pas de lui reconnaître ce droit par le projet de
loi. Le préopinant s’est trompé sur le but principal du projet.
Le gouvernement n’a pas pensé
qu’on pût mettre en doute qu’aux communes appartient la charge principale des
dépôts de mendicité. Mais lorsque le gouvernement a voulu commencer des
poursuites pour l’exécution de ces lois, il lui a été signalé une lacune dans
les moyens de contrainte, de coercition. En présence des réclamations des états
provinciaux que le ministère avait chargés de prescrire des poursuites, et qui
n’ont pas cru pouvoir le faire, nous avons cité la loi du 18 vendémiaire an
XII, pour faire voir que les voies de coercition avaient été déterminées par la
législation ; on nous a répondu que cette loi pouvait tout au plus offrir
quelques analogies, mais que le droit de poursuivre contre les communes
relativement aux dépôts de mendicité n’y était pas clairement établi.
C’est sur les moyens de
coercition que le gouvernement a senti la nécessité de vous présenter un projet
de loi où ces moyens soient nettement et précisément établis. C’est, messieurs,
de cette manière qu’ont procédé par la loi du 11 frimaire an VII, le conseil
des anciens et le conseil des cinq cents lorsque, par cette loi, on a imposé
les communes par application d’une législation préexistante ; on a déclaré que
les communes étaient tenues de fournir aux dépenses antérieures à l’an VII. La
législature alors n’a pas créé la charge incombant aux communes ; elle a
reconnu l’existence du droit, et c’est ce que nous faisons. L’administration,
éprouvant de difficultés semblables à celles que nous éprouvons aujourd’hui,
s’est adressée à la législature qui a déclaré qu’il serait pourvu au
remboursement des frais de l’année courante et des années antérieures.
Nous
avons voulu lever l’obstacle qui dérive de la diversité des opinions sur les
moyens de coercition que la loi présentait ; voila le but principal du projet
de loi.
Quand le principe de la débition est reconnu par le préopinant, je crois que c’est
mal à propos qu’il invoque les principes de non-rétroactivité et les principes
relatif à l’interprétation des lois : il ne s’agit pas de cela ici, quand il
n’y a pas collision entre les tribunaux et les cours d’appel et la cour de
cassation. Ce serait alors seulement qu’il y aurait lieu à interprétation ;
mais ici la législation n’est pas obscure ; elle est, selon nous, formelle et
il s’agit de son exécution.
M. Legrelle. - Je demande la parole pour rectifier un
fait qui a été avancé. M. Ernst a dit que dans une circonstance, dans la
discussion relative à la revendication de propriété des routes par les
communes, les provinces ou même les particuliers, la chambre avait décidé que
la solution de cette question appartenait aux tribunaux. Je ferai observer que
rien n’a été décidé à cet égard. Un membre seul a émis l’opinion citée par M.
Ernst ; mais la chambre n’a rien entendu statuer. La question est restée
intacte.
M. Ernst. - C’est à l’occasion d’une proposition
faite par l’honorable député de Namur que la question a été soulevée dans la
chambre ; alors on a demandé s’il était convenable que les communes fusent
propriétaires des routes faites à leurs frais. M. Julien et d’autres orateurs
ont pris la parole, et la proposition de MM. Fallon et de M. Boucqueau de Villeraie a été
écartée.
M. Boucqueau de Villeraie. - Mais la chambre n’a pas dit que c’était aux tribunaux à prononcer, elle
n’a rien déclaré ; la question est restée indécise, elle est restée intacte.
M. Fallon a la parole sur la suite de la discussion
générale. - Messieurs, dit-il, plusieurs communes se sont refusées à
l’exécution ultérieure de règlements du gouvernement précèdent, qui ont mis à
leur charge l’entretien des indigents dans les dépôts de mendicité.
Pour faire cesser les
difficultés qui résultent de ces oppositions, le gouvernement nous a proposé un
projet de loi.
Je lis dans le rapport de la
section centrale que ces difficultés ont paru assez sérieuses pour faire
généralement sentir le besoin de la révision du régime des dépôts de mendicité,
mais j’y cherche en vain une solution satisfaisante sur les questions
importantes que les communes opposantes ont soulevées.
Pouvons-nous, sans violer la
constitution, ordonner l’exécution des règlements du gouvernement précédents
sur le régime des dépôts de mendicité ?
En cas affirmatif, la mesure
est-elle juste dans son principe et dans son application ?
Voila des questions qui
méritent un sérieux examen avant de rejeter soit définitivement soit
transitoirement, l’opposition des communes.
Je vois bien que la section
centrale a pensé ne pas devoir s’y arrêter pour le moment, et je ne fais pas de
doute que ce n’est pas sans motifs qu’elle a pris cette détermination.
Mais le rapport me laisse
ignorer ces motifs ; et c’est parce que je désire d’être éclairé avant de
former mon opinion sur la constitutionnalité, la légalité et l’opportunité du
projet, que je me détermine à vous soumettre mes doutes sur des difficultés
qui, pour moi, sont graves et sérieuses.
L’entretien non seulement des
reclus par jugement, mais en outre des reclus sans jugement, et généralement
des indigents dans les dépôts de mendicité, constitue-t-il bien une charge
municipale ?
Je ne le pense pas, et, sur ce
point, je ne suis pas d’accord avec la section centrale, ni par suite avec le
régime de arrêtés du gouvernement hollandais ; je crois l’être avec les lois
constitutives des dépôts de mendicité, et je crois également que je suis
d’accord avec les principes administratifs.
Une charge suppose
nécessairement une obligation, et, à moins que l’obligation ne soit
formellement imposée par la loi, elle ne peut résulter que d’un consentement.
J’examinerai à l’instant
l’obligation de l’entretien des reclus par jugement, et surtout des reclus sans
jugement dans les dépôts de mendicité a été imposée par
la loi, exclusivement aux communes.
Il faut d’abord discuter le
principe.
Où puise-t-on le principe de
cette obligation ?
Est-ce parce que le mendiant
fait partie d’une fraction de l’Etat que nous qualifions du nom de communes ?
Non sans doute, car un mendiant
n’est pas plus l’habitant de la fraction de l’Etat que nous appelons commune,
qu’il n’est l’habitant de la plus grande fraction que nous appelons province,
qu’il n’est enfin l’habitant de l’Etat pris collectivement.
Par conséquent, s’il y a
obligation pour la commune d’entretenir le mendiant, parce que le mendiant est
un de ses habitants, il y a obligation pour la province d’entretenir les
mendiants de la province, comme il y a obligation pour l’Etat d’entretenir les
mendiants de l’Etat.
Les communes, pas plus que les
provinces, ne forment des Etats séparés dans l’Etat.
Sans doute, en ce qui regarde
les intérêts domestiques de la commune, ce sont là des besoins de localité
auxquels il est de son devoir de satisfaire. Mais en ce qui touche les besoins
d’intérêts généraux, l’obligation d’y satisfaire est l’obligation de la
généralité, et la charge que produit cette obligation n’est pas la charge de
telle ou telle fraction du pays, c’est la charge de tout le pays pris
collectivement.
C’est dans l’intérêt général,
et non dans l’intérêt de telle ou telle localité, que l’on a voulu réprimer la
mendicité, et qu’on en a fait l’objet d’un délit ; c’est pour satisfaire à cet
intérêt général, et non à l’intérêt spécial des communes, que les dépôts de
mendicité ont été établis.
C’est donc sur les fonds
généraux et non sur les fonds spéciaux des communes que ces établissements
doivent être alimentés.
Tels sont, messieurs, les
principes qui ont servi de base à l’institution des dépôts de mendicité. Ce
n’est qu’au despotisme exercé sur les communes dans les derniers temps de
l’empire, et surtout sous le gouvernement hollandais, que nous devons les
relâchements qui se sont opérés dans l’application de ces principes.
C’est sur le budget de l’Etat,
et exclusivement sur le budget de l’Etat, que la loi du 18-25 février 1791
avait pourvu à la dépense des dépôts de mendicité.
Une première modification fut
apportée au principe par le décret organique du 5 juillet 1808, mais elle ne
fut pas portée toutefois jusqu’au point de considérer la charge d’entretien des
reclus plutôt comme charge de la commune que comme charge de la province et de
l’Etat.
Par l’art. 7 de ce décret, il
fut ordonné que ces dépenses seraient faites concurremment par le trésor, les
départements et les communes.
Et voyez, messieurs, à quelles
inconséquences on se livre lorsque l’on commence à se relâcher du principe.
Ce décret organique du 5
juillet 1807 fut suivi d’un arrêté d’exécution du 27 octobre suivant, et voici
comment les communes étaient appelées à contribuer à la dépense.
L’art. 150 de cet arrêté
déclara que la dépense serait acquittée sur les revenus patrimoniaux de
l’établissement et sur les fonds de supplément qui seraient accordés.
Et l’art. 152 déclara que ces fonds
de supplément seraient fournis, tant par la caisse du département que par les
communes dont les revenus excéderaient les besoins, et que sur la désignation
qui en serait faite de ces communes par les préfets.
Voilà un premier acte de
despotisme bien conditionné ; mais comme vous voyez, il n’était pas exercé
comme conséquence du principe que la charge d’entretien serait une charge
communale, puisqu’on ne l’imposait qu’aux communes qui avaient un excédant de
revenus sur leurs dépenses ; et que les autres communes en étaient exemptes.
En fait d’arbitraire et de
despotisme le gouvernement hollandais ne voulut pas de demi-mesure, et sans
qu’il existât aucune loi qui l’y autorisât, il généralisa la mesure et il alla
beaucoup plus loin.
Sous prétexte qu’une loi
du 28 novembre 1818 avait déterminé,
mais sans relation aucune avec le régime des dépôts de mendicité, quel serait
le domicile de secours de l’indigent, il déclara d’abord, par arrêté du 12
octobre 1819, qu’à partir du 1er janvier 1820, les individus entretenus dans
les dépôts de mendicité y seraient à la charge des communes où ils avaient leur
domicile de secours, et par un autre arrêté du 12 octobre 1825, il dénatura
complètement l’institution. Il transforma les dépôts de mendicité, qui ne
devaient servir qu’à la répression de la mendicité et où l’on ne pouvait être
reclus que sur jugement, en véritables hôtelleries où chaque mendiant, qui
trouvait bon de se présenter, était hébergé aux frais des communes.
Cette manière d’attirer ainsi
les mendiants dans les dépôts de mendicité ne constituait pas seulement une
charge arbitrairement imposée aux communes, elle était en outre une violation
flagrante des lois d’ordre public.
Une fois entré, le mendiant
n’en sortait plus à sa volonté et sans jugement ; il y était arbitrairement
séquestré.
Voilà, messieurs, dans quelles
ornières on nous propose de marcher transitoirement.
Dans tout cela, je vois bien
des arrêtés qui ont érigés en principe que la charge d’entretien dans les
dépôts est une charge communale, et qui ont en outre abusé de ce principe ;
mais je ne trouve ce principe établi par aucune loi, ni sur aucun raisonnement
que ma conviction puisse adopter.
Voyons toutefois comment ce
principe est justifié dans le rapport de la section centrale :
« Aux lois citées dans
l’exposé des motifs, y est-il dit, on peut ajouter l’art. 9 de la loi du 11
frimaire an VII sur la classification des dépenses. »
Je ferai remarquer d’abord que
cette loi ne dit pas un mot de l’entretien des mendiants dans les dépôts de
mendicité ; elle ne s’occupe que des secours à domicile et aux hospices, et
encore elle n’en fait pas la charge de la commune, mais la charge du canton.
Du reste il ne s’agit pas ici
de savoir si les subsides aux bureaux de bienfaisance et aux hospices sont des
charges communales, il s’agit ici d’établissements tout autres que des
établissements municipaux ; il s’agit des dépôts de mendicité établis dans les
intérêts généraux et non dans des intérêts de localité.
La mendicité, dit-on, est
défendue par les lois ; c’est un délit.
Soit : cela ne regarde d’abord
que ceux qui ont été condamné pour fait de mendicité et non les vagabonds, les
gens sans aveu, ni ceux qui trouvent bon d’aller s’installer dans les dépôts
sans jugement préalable.
Et puis, si c’est un délit, la
commune n’en doit pas être plus responsable que de tout autre délit, et,
jusqu’à présent, on n’a pas encore pensé de constituer les communes
responsables des dépenses qu’occasionnent à la généralité les crimes et les
délits commis par leurs habitants.
Le décret du 5 juillet 1808,
en établissant les dépôts, a mis, dit le rapport, les dépenses d’entretien
annuel de la maison et les moyens d’y pourvoir aux frais du département et des
communes.
Cette assertion n’est pas tout
à fait exacte.
L’art. 7 du décret dit, en
termes, que ces dépenses seront faites concurremment par le trésor public, les
départements et les communes ; et, comme je l’ai déjà fait remarquer, l’arrêté
d’exécution du 27 octobre même année dit positivement que cela ne concerne que
les communes qui ont un excédant de revenus sur leurs besoins.
C’est donc, comme l’avoue
d’ailleurs la section centrale, non pas dans la loi, mais dans l’arrêté du 12
octobre 1819, qu’il faut puiser la sanction du principe qui fait de l’entretien
des mendiants et des indigents dans les dépôts une charge exclusivement
communale.
Cet arrêté, dont j’ai déjà
signalé l’arbitraire, est, dit-on, conforme à la législation et à l’équité, par
la raison, ajoute-t-on, que les indigents sont une charge des communes et des
établissements communaux.
Mais, encore toujours, cet
argument ne prouve rien, parce qu’il ne s’agit pas ici d’établissements
communaux, mais bien d’établissements d’intérêt général.
Faute de moyen de droit, on en
vient au chapitre des considérations.
« La mendicité, dit-on,
n’aurait point de frein, si les communes n’étaient intéressées à la prévenir,
soit en occupant les indigents, soit en les secourant à domicile. La charge de
l’entretien sera ainsi un puissant stimulant pour engager les communes à
employer tous leurs efforts pour extirper la mendicité. »
Fort bien, pour les communes
qui, à raison des ressources de la localité, se trouvent en position de pouvoir
utiliser des bras à l’industrie et de procurer du travail aux indigents, ce qui
n’est nullement applicable au plus grand nombre des communes et surtout aux
communes pauvres.
Fort bien encore, pour ce qui
regarde les indigents valides et qui ne préfèrent pas, au travail, la facilité
d’aller chercher une subsistance ay dépôt en restant à rien faire.
Mais, pour ce qui concerne
ceux qui préfèrent se livrer au vagabondage ou à la mendicité, cette
considération ira précisément en sens inverse du but que la section centrale
veut atteindre.
L’expérience est là, elle doit
servir de leçon.
Lorsque les communes se sont senties
trop oppressées par les frais d’entretien des reclus, elles se sont bien
gardées de mettre en mouvement la police municipale pour faire arrêter leurs
mendiants, puisqu’en agissant ainsi elles aggravaient leurs charges ; et, comme
cela se voit encore, on a fini par laisser mendier librement.
Un autre abus non moins
révoltant du régime hollandais, et que l’expérience encore n’a que trop
signalé, c’est que, sous prétexte qu’ils se trouvaient astreints à une police
trop sévère ou à un travail trop incommode, des indigents ont déserté par
compagnies des hospices municipaux où ils étaient entretenus aux frais de ces
établissements, pour aller se livrer à la fainéantise des dépôts de mendicité
et surcharger ainsi la commune de frais auxquels pourvoyaient à sa décharge les
maisons de charité établies dans son sein.
La faculté accordée aux
indigents de se rendre volontairement dans les dépôts de mendicité est un des
plus grands vices du système hollandais, puisque d’un côté cela n’a pas empêché
qu’on ne soit resté assailli de mendiants qui profèrent mendier que de s’y
rendre, et que d’un autre côté on a placé les administrations municipales à la
discrétion de fainéants qui, tandis qu’avec leur travail et les secours qu’ils
reçoivent de la commune ils pourraient fort bien subsister, menacent d’aller au
dépôt si l’on n’augmente pas ces secours.
Eh bien, messieurs, ce grave
inconvénient que le gouvernement faisait tout au moins cesser par son projet,
la section centrale le reproduit tout entier dans le sien, et cela par quel
motif ?... Le voici : c’est que, sans cette faculté, c’est rendre inapplicable
l’article 274 du code pénal ; c’est qu’il y aurait souveraine injustice de
punir de la prison le mendiant, sous prétexte qu’il aurait pu éviter la
mendicité en profitant d’un établissement public dont cependant l’entrée ne lui
serait pas librement ouverte.
Ce sont bien là des sentiments
philanthropiques auxquels je m’empresse de rendre hommage, Mais si, dans la
mise en pratique de ces sentiments qui coûtent de l’argent, car c’est bien
d’une question d’argent qu’il s’agit, l’art. 274 du cade pénal devient d’une
application difficile ou injuste, à qui appartient-il d’y pourvoir ?
C’est là la question, et la
réponse me paraît tout autre que celle que je lis dans le rapport de la section
centrale.
Ce n’est pas dans l’intérêt
spécial des communes, mais dans l’intérêt de l’ordre public, mais dans les
intérêts généraux que la disposition de l’art. 274 se trouve insérée dans le
code pénal. Or, si, pour rendre cette disposition d’une exécution plus facile
ou plus juste, des dépenses doivent être faites, il doit en être sans doute de
ce délit qualifié comme de tout autre délit. C’est dès lors une raison pour que
les dépenses soient faites aux frais de la généralité, et ce n’en est certainement
pas une, quels que soient d’ailleurs les sentiments philanthropiques qui
provoquent ces dépenses, pour en faire l’objet d’une charge communale.
Je crois avoir suffisamment
démontré, messieurs, que tout le travail de la section centrale repose sur une
question de principe qu’elle a tranchée, mais qu’elle n’a pas résolue.
Le principe qui fait une
charge communale de l’obligation de fournir l’entretien aux reclus et aux
indigents admis dans les dépôts de mendicité, n’est établi par aucune loi, mais
seulement par les arrêtés qui ont faussé ce principe et qui en ont fait une
application tout à fait injuste et arbitraire.
Et ce qui prouve encore
combien peu ce principe doit faire impression lorsqu’on le soumet à l’examen,
c’est qu’alors que le gouvernement s’occupait de rassembler tout ce qui devait
être considéré comme charges communales, l’idée d’y comprendre les frais
d’entretien des reclus et des indigents dans les dépôts de mendicité ne lui est
pas venue.
Ouvrez le projet de loi
communale : l’art. 129 donne la nomenclature de tout
ce que l’on doit considérer comme charges communales, et vous n’y trouverez pas
les frais d’entretien de ces établissements.
Sauf éclaircissements
ultérieurs, je devrai donc repousser comme illégal, faux et injuste, le principe
que l’on veut ériger en loi, de convertir en charge communale ce qui est
évidemment une charge de l’Etat.
J’aborde maintenant la
question constitutionnelle, et ici ma tâche est plus facile à remplir.
Je n’ai pas à réfuter, sur ce
point, ni l’exposé des motifs du projet du gouvernement, ni le rapport de la
section centrale, puisqu’ils n’ont pas touché cette question.
Je n’ai pas, non plus, à
entrer dans beaucoup de développements, puisque la régence de Mons vous a déjà
exposé, d’une manière claire et logique, tous les moyens de solution.
Je me bornerai donc à un
simple résumé.
Pour la discussion de cette
question, messieurs, il n’est pas besoin d’examiner si la charge que l’on veut
imposer aux communes est légale, ou si elle n’est que le résultat du régime
arbitraire des arrêtés du gouvernement précédent ; si elle repose sur un
principe juste, ou bien si elle n’a pour base qu’une fausse application des
règles administratives.
S’agit-il de constituer ou de
légaliser une charge communale ? Voila tout ce qui suffit à la question
constitutionnelle.
Or, c’est bien une charge
communale que l’exposé des motifs et le rapport de la section centrale
s’attachent à nous faire reconnaître.
C’est bien une charge
communale qu’on nous propose de mettre à exécution par une loi.
Eh bien s’il s’agit d’imposer
une charge communale, la constitution exige un préalable que nous ne pouvons
franchir sans la violer.
« Aucune charge communale
ne peut être établie que du consentement du conseil communal. » Telle est
la disposition formelle de l’art. 110.
Mais, dit-on, l’exception suit
immédiatement la règle, et le même article réserve à la loi le pouvoir d’y
déroger.
C’est là, messieurs, une grave
erreur qu’une lecture attentive de cet article met en évidence.
La règle embrasse les charges
et les impositions, et l’exception se borne aux impositions.
Si charges et impositions
étaient choses de même nature, on pourrait peut-être admettre qu’en adaptant
l’exception à l’une de ces choses, elles doivent être censées comprises toutes
deux dans l’exception.
Mais ce sont là des choses
tout à fait différentes qu’il n’est pas possible de confondre, et que la
constitution a d’ailleurs pris soin de distinguer.
Etablir une charge, c’est
constituer une obligation.
Etablir une imposition, c’est se
procurer le moyen de se libérer de la charge.
Ce sont là des choses
essentiellement différentes, que le langage administratif a toujours soin de
distinguer.
Ouvrez, messieurs, le projet
de loi communale, et vous verrez que les charges et les impositions communales
forment l’objet de deux chapitres séparés.
Impossible donc de contester
qu’en exigeant le consentement préalable du conseil communal pour
l’établissement des charges et des impositions, la règle constitutionnelle
embrasse deux ordres de choses essentiellement différentes.
Voyons maintenant si
l’exception absorbe la règle dans toutes ses parties.
Il suffit de lire pour se
convaincre que le pouvoir de déroger à la règle, qui est réservé à la loi ne
peut s’exercer qu’en ce qui regarde les impositions et non en ce qui concerne
les charges.
Dans le doute, et lorsque les
termes n’y répugnent pas, on peut quelquefois sacrifier l’esprit à la lettre ;
mais ici les termes ne permettent pas de discuter sur le sens ; ils sont
tellement clairs qu’ils ne peuvent se prêter à aucune interprétation.
Et, en effet, pour interpréter
le dernier paragraphe de l’article 110 de manière à ce qu’il puisse atteindre
autant bien les charges que les impositions, ce ne sont pas des mots qu’il
faudrait interpréter, c’est la moitié du paragraphe qu’il faudrait supprimer,
ce sont ces expressions : « relativement aux impositions provinciales et
communales », qu’il faudrait retrancher ; et un semblable mode
d’interprétation n’est sans doute pas admissible.
Ce n’est pas d’ailleurs sans
raison que l’exception a été limitée aux impositions seulement.
Sous la législation de
l’empire et sous celle du gouvernement précédent, mainte fois, pour réserver à
d’autres dépenses une partie des ressources du trésor, on avait arbitrairement
reporté sur les communes des charges qui n’avaient pour objet que de satisfaire
à des besoins d’intérêt général ; et comme vous voyez, messieurs, cet exemple
est pernicieux, puisque c’est encore précisément ce que l’on vous propose de
faire dans cette circonstance.
On a voulu, une bonne foi,
soustraire les communes à ce genre de despotisme, et le seul moyen efficace
était celui que l’art.
Ce même moyen ne pouvait être
adopté d’une manière aussi absolue en ce qui concernait les impositions.
Et en effet, lorsque de l’avis
du conseil municipal une charge avait été établie, le conseil municipal ne
pouvait plus rester maître absolu, de ne pas employer les moyens nécessaires
pour y satisfaire, et si, pour libérer la commune d’une charge légalement
constituée, une imposition communale était nécessaire, il fallait bien que, sur
le refus du conseil, la loi pût prendre sa place.
Voilà, messieurs, ce qui
explique la distinction que l’article 110 de la constitution a pris soin de
faire entre les charges et les impositions communales, et ce qui explique en
même temps la limitation du pouvoir de la loi aux impositions seulement.
Forcé de reconnaître que telle
est bien la prévoyance et la volonté constitutionnelle ; on objectera
peut-être que le projet de loi qui est proposé reste dans les termes de la
constitution, en ce qu’il ne s’agit pas d’établir une charge nouvelle, mais de
reconnaître une charge préexistante, et de régler seulement l’imposition
communale nécessaire pour y satisfaire.
Mais, pour que l’argument put
faire impression, il faudrait commencer par rapporter un texte formel de loi
qui ait déclaré explicitement que la charge de l’entretien des reclus dans les
dépôts de mendicité et des indigents qui trouveraient bon de s’y placer, est
une charge exclusivement communale et non seulement j’ai dénié l’existence de
semblable loi, mais j’ai été au-devant de la preuve, en citant la loi du 18-25
février 1791, qui fait de cette charge une charge de l’Etat, et le décret
organique du 5 juillet 1808, qui appelle concurremment à la dépense le trésor
public, les départements et les communes et encore, comme le dit l’arrêté du 27
octobre suivant, les communes seulement dont les revenus excèdent les besoins.
Je sais bien qu’a défaut d’un
texte formel de loi qui peut servir de passeport au projet, on argumente des
lois qui ont déclaré que les secours à domicile et les subventions aux hospices
étaient des charges communales, pour en conclure qu’il y a identité de motifs
et de raison pour faire application de ces lois aux dépôts de mendicité.
Mais ce n’est là qu’un
raisonnement et non un texte formel de loi, et ce n’est pas par de maximes plus
ou moins séduisantes que l’on peut s’autoriser à appliquer une loi d’un cas à
l’autre, surtout lorsque les cas sont tout à fait dissemblables.
Les bureaux de bienfaisance et
les hospices étant établis dans des intérêts locaux, la loi était conséquente
en déclarant qu’ils étaient à la charge des communes.
Les dépôts de mendicité ont
été établis pour la répression de la mendicité, dans l’intérêt de l’ordre
public, dans l’intérêt général, et il est évident que, sans une loi spéciale,
ce qui s’applique aux bureaux de bienfaisance et aux hospices ne peut
s’appliquer sans inconséquence aux dépôts de mendicité.
A défaut de texte formel de
loi, à défaut de pouvoir argumenter logiquement des lois qui concernent les
bureaux de bienfaisance et les hospices, que reste-t-il pour justifier la
charge communale que l’on nous propose de sanctionner ?
Les
arrêtés d’un gouvernement que nous avons répudié, et l’article 138 de la
constitution qui nous défend de nous en aider en tout ce qui est contraire à
notre nouveau régime constitutionnel.
Et d’ailleurs il ne vous a pas
échappé de remarquer, messieurs, que c’est précisément parce qu’il n’est plus
possible d’imprimer une force légale à ces arrêtés, qu’on vous propose de les
convertir indirectement et transitoirement en loi ; sans cela le projet de loi
serait parfaitement inutile.
Or, je le demande,
pouvons-nous faire transitoirement et par voie indirecte ce qui, définitivement
fait, serait une violation de la constitution ?
Sous ces diverses
considérations, et si la discussion ne me donne pas la conviction que je suis
dans l’erreur, je voterai contre le projet, tant sur la question
constitutionnelle que sur le fond.
M. Liedts. - Messieurs, je voterai pour le projet de loi amendé par la section
centrale, tout en émettant le vœu que la législation sur la mendicité soit
améliorée ; cette législation, quoiqu’elle vaille infiniment mieux que celle
qui existe en Angleterre, et même que celle qui régit
Plusieurs personnes, frappées
de l’inutilité des moyens employés jusqu’à ce jour pour l’extirpation de la
mendicité, désespèrent des essais qu’on pourrait faire à l’avenir et se
persuadent que l’extinction de ce fléau est une idée très philanthropique sans
doute, mais que l’homme d’Etat doit abandonner. Il y aura, j’en conviens, dans
tous les temps, des hommes qui n’auront d’autre existence que celle que leur
assure la charité publique, et il n’est pas plus donné au législateur de
l’empêcher que de mettre tous les citoyens à l’abri de l’indigence ; mais c’est
méconnaître les leçons de l’expérience que de vouloir en conclure qu’il est
absolument impossible d’éteindre cette classe d’hommes qui se font un état de
la fainéantise et du vagabondage.
Pour connaître les moyens les
plus propres à atteindre ce but, voyons quels sont ceux qui ont été employés
jusqu’à ce jour. Il est d’abord prouvé par l’histoire que les peines sévères ne
peuvent rien pour l’extinction de ce vice.
Les législateurs anglais ont
été jusqu’à établir la peine de mort contre les mendiants et plusieurs rois de
France crurent mettre un terme à la mendicité en les punissant des galères ;
mais les uns et les autres furent bientôt forcés de revenir sur leurs pas, et
de reconnaître qu’ils avaient suivi une fausse route en cherchant un moyen
préventif dans des peines disproportionnées au délit.
L’histoire, et ce qui se passe
de nos jours en Angleterre, nous démontrent encore qu’en voulant nourrir les
pauvres aux frais du trésor on ne fait qu’alimenter la paresse et augmenter la
mendicité.
Le vertueux saint Louis en fit
l’essai ; mais il ne tarda pas à se convaincre que son inépuisable charité ne
faisait qu’augmenter le mal au lieu d’y porter remède. L’Angleterre, avec sa
taxe des pauvres, paie aujourd’hui près de sept millions de livres sterling par
an, et le nombre de ses pauvres, qui est doublé depuis un siècle, embrasse déjà
plus de la moitié de la population entière de ce royaume.
Depuis la révolution
française, on a tâché d’éviter les deux écueils que l’expérience avait
signalés. On a senti qu’afin que la loi, qui punit la mendicité, soit juste et
efficace, il fallait placer à côté de la loi pénale des asiles où l’indigent
pût trouver sa subsistance en travaillant. En effet, messieurs, le premier
droit de l’homme, en entrant dans la société, est de chercher à pourvoir à ses
besoins et à ceux de sa famille ; s’il manque de travail, et que, pressé par la
faim, il implore la pitié de ceux qui sont favorisés de la fortune, la loi qui
le punirait de cet acte serait tyrannique et inhumaine. Mais si la loi lui
offre dans sa détresse des ateliers, des maisons de secours où il puisse en
tout temps obtenir le salaire de son travail, alors, mais alors seulement
l’oisiveté est sans excuse et la mendicité sans prétexte. Voilà le but louable
que nous législateurs se sont proposé. Mais quels moyens ont-ils employés pour
l’atteindre ? Une centralisation, qui semble détruire les heureux résultats de
presque toutes les institutions qu’elle atteint, fut encore mise en usage par
le gouvernement de l’empire. Au lieu d’encourager les institutions locales pour
l’extirpation de la mendicité, le décret du 5 juillet 1808 ordonne
l’organisation d’un établissement ou dépôt de mendicité par département. Encore
ce décret ne reçût-il jamais une exécution complète, et jusqu’à ce jour, il
n’existe pour les deux Flandres qu’un seul dépôt, établi à Bruges.
Qu’arrive-t-il de là ? C’est que ces établissements se trouvent à une grande
distance des communes où les indigents ont leurs demeures ; ceux-ci, ne pouvant
faire un voyage coûteux pour y chercher du travail, restent dans la misère et
ne jouissent pas plus du bienfait de l’institution que si elle n’existait pas.
Un autre vice de nos dépôts de
mendicité, c’est qu’au lieu d’y inspirer aux pauvres le goût de l’ordre et du
travail, on les y entretient dans la
plus affreuse fainéantise. J’ai eu occasion de visiter quelques-uns de ces
établissements et notamment celui de Namur, et je ne crains pas d’être démenti
par les honorables députés de cette ville, en disant que c’est un lieu où l’on
permet aux mendiants de s’abandonner à la plus scandaleuse oisiveté.
D’ailleurs, les tableaux statistiques le prouvent, et l’on est effrayé de voir
que plus de 1,500 mendiants passent leur vie à ne rien faire dans des maisons
destinées à leur inspirer l’amour du travail.
Faut-il s’étonner après cela
que des communes qui voient le mal sous leurs yeux, s’obstinent à ne pas
sacrifier les deniers de leurs administrés au soutien d’établissements où l’on
semble avoir pris à tâche d’encourager la paresse et le vice ?
Un troisième défaut de ces
établissements centraux, c’est que tous les pauvres y sont confondus, l’honnête
homme que le pressant besoin a poussé à demander l’aumône s’y trouve mêlé avec
ceux qui, dès l’enfance, ont fait leur profession du vagabondage et de
l’imposture ; les infirmes y sont confondus avec les fainéants, les aveugles et
les vieillards avec les pauvres valides. Quel est, je vous le demande,
l’honnête père de famille, privé momentanément de travail, qui pourra se
résoudre à se retirer volontairement dans ces refuges de dépravation ou qui
voudra y envoyer ses enfants pour les prémunir contre l’oisiveté ?
Avouons-le, messieurs, le but de
l’institution est totalement manqué, et depuis l’établissement de dépôts de
mendicité, le nombre des mendiants n’est pas allé en diminuant dans notre
royaume. Il faut donc modifier la législation sur ce point. Mais quels moyens,
dira-t-on, voulez-vous substituer à ceux qui ont été si infructueusement
employés jusqu’ici ? Ces moyens, messieurs, les voici : l’instruction gratuite
donnée à la classe indigente, et des ateliers de travail ouverts aux pauvres et multipliés autant qu’il est possible dans
tout le royaume. Ces deux choses doivent essentiellement marcher de front si
l’on veut arriver à un heureux résultat ; éclairer l’homme pauvre, faites-lui
connaître sa dignité d’homme, ses devoirs de citoyen et l’abjection où le
plonge la fainéantise, et bientôt vous verrez succéder au vice et à l’oisiveté
des sentiments de vertu, d’ordre et de prévoyance. Que la législation et le
gouvernement encouragent l’institution dans les villes et communes d’ateliers
de travail, et vous verrez la charité publique d’autant plus active, d’autant
plus zélée à s’associer à ces fondations philanthropiques, que les bienfaiteurs
verront sous leurs yeux mêmes les résultats de l’institution qu’ils
encouragent.
Et qu’on ne me dise pas que ce
sont là des utopies qu’on ne verra jamais se réaliser, car c’est par des faits
que je répondrai à cette objection.
Dans une récente discussion,
où, soit dit en passant, mes intentions ont été singulièrement dénaturées par
les journaux, je vous ai dit, messieurs, que la ville de Renaix, sur une population
de 13,000 âmes, compte au-delà de 6,000 pauvres.
Eh bien, messieurs, depuis
qu’il est permis à tout Belge d’établir des associations sans autorisation
préalable, un homme vertueux, et dont la philanthropie ne connaît pas de
bornes, a entrepris d’extirper la mendicité dans cette ville ; il a donc établi
à Renaix un atelier de charité où tous les mendiants et ouvriers sans travail
reçoivent conjointement avec l’instruction, un salaire proportionné à leur
travail. Il n’a pas borné à cela ses bienfaits, et sentant le besoin de ne pas
confondre comme dans nos dépôts de mendicité, ceux qui par leur âge ou leurs
infirmités exigent des soins particuliers, il a ouvert un refuge aux
vieillards, aux aveugles, et un autre aux orphelins. Enfin, convaincu de la nécessité
d’atteindre le mal dans sa source, il a joint à son institution une école
gratuite où tous les enfants des pauvres reçoivent l’instruction.
Et qu’on ne s’imagine pas,
messieurs, que l’auteur de tant de bonnes œuvres soit lui-même possesseur d’une
grande fortune : son seul soutien, il le trouve dans des souscriptions
volontaires de ses compatriotes aisés qui tous rivalisent de zèle et de charité
pour encourager ce bienfaiteur de l’humanité. Voila, messieurs, des
établissements comme j’en voudrais dans toutes les villes et dans toutes les
grandes communes, des établissements dont les lois et le gouvernement devraient
faciliter l’érection, et que je présenterai toujours comme des modèles à suivre
aux hommes d’Etat et aux philanthropes qui s’occupent du bonheur de la classe
indigente.
Je passe à la question
constitutionnelle que le préopinant vient de soulever. L’honorable M. Fallon pense que l’art. 110 de la constitution s’oppose à
l’adoption du principe de la loi qui est en discussion. Les deux derniers
paragraphes de cet article portent : « Aucune charge, aucune imposition
communale ne peut être établie que du consentement du conseil communale. La loi
détermine les exceptions dont l’expérience démontrera la nécessité,
relativement aux impositions provinciales et communales. » De ce que ce
dernier alinéa ne répète point l’expression « charge », le préopinant
en conclut qu’une loi ne peut point imposer des charges aux communes sans le
consentement du conseil communal. Tout dépend donc du sens qu’il faut attacher,
dans le dernier paragraphe, aux mots : « impositions provinciales et
communales. »
Tous
ceux qui ont été membres du congrès se rappelleront que l’art. 110 ne contenait
primitivement que trois paragraphes, et que le dernier fut ajouté à la demande
de l’honorable M. Legrelle. Tous les journaux n’ont
pas rendu de la même manière la discussion à laquelle cette addition donna lieu
; mais puisqu’à cette époque l’Union belge était le journal qui rendait le
plus exactement les séances du congrès, recourons-y pour connaître le but dans
lequel l’addition présentée par M. Legrelle a été
adoptée. On y lira que l’honorable M. Legrelle fit
observer à l’assemblée que si l’article était adopté tel qu’il était présenté,
il ne serait pas permis à la législature de mettre à la charge des communes qui
s’y refuseraient, par exemple, l’entretien des enfants trouvés. C’est pour ce
motif qu’il présenta l’exception formant l’objet du dernier paragraphe de
l’article, et c’est pour ce motif aussi que le congrès l’adopta. L’on voit par
là que, dans l’esprit de l’auteur de l’addition et même de tout le congrès, le
mot imposition qui s’y trouve employé est synonyme de charge, puisqu’il avait
pour but de permettre à la législature de mettre une charge sur les communes,
l’entretien des enfants trouvés étant bien, de l’aveu de tous, une véritable
charge.
Je ne pense donc pas que
l’esprit ou la lettre de l’article 110 de la constitution s’opposent à
l’adoption du principe de la loi.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, l’opinion que je me proposais
d’émettre sur le projet en discussion est contenue entièrement dans
quelques-uns des passages de la pétition de la régence de Mons, qui vous a été
lue hier, et qui est imprimée dans le
Moniteur d’aujourd’hui. La tâche que je me suis imposée pour motiver mon
vote est donc devenue facile, voulant vous éviter des répétitions qui ne
serviraient qu’à faire perdre du temps à la chambre, et je me bornerai à vous
entretenir brièvement relativement à un point qui est, selon moi, le plus
important du projet, après la question de constitutionnalité qui vient d’être
si bien traitée par notre honorable collègue M. Fallon.
Je veux parler des mendiants,
qui ne peuvent être considérés comme vagabonds et dont l’entretien continuerait
à être à charge des communes, parce que ces malheureux, dont le plus grand
crime est d’être dénués de ressources, seraient encore sous l’empire de la
constitution la plus libérale de l’Europe, privés de leur liberté en vertu de
quelques articles aussi iniques que barbares du code pénal, que nous pouvons
nous dispenser d’exécuter.
Comment ! messieurs,
nous autoriserions, nous engagerions même le gouvernement, en votant cette loi
telle qu’elle nous est présentée, faire encore arbitrairement traîner à une réclusion
perpétuelle par des gendarmes, et sans jugement, la classe de nos semblables la
plus malheureuse ?
Serait-ce parce qu’elle
importune l’opulent en le suppliant à genoux de la secourir dans sa misère ?
Non ; C’est, d’après M. le rapporteur de la section centrale, pour un autre
motif : il faut, selon lui, empêcher le pauvre de mendier son pain par un
puissant stimulant (dit-il, dans l’avant-dernier paragraphe de son rapport),
« en lui faisant craindre l’éloignement de son domicile par la privation
de sa liberté ? »
Je vous abandonne, messieurs,
le soin d’apprécier ce beau principe. Quant à moi, il me révolte, et vous le
concevrez facilement si vous voulez me permettre de vous rapporter en quelques
mots un fait dont j’ai été témoin. Le voici :
Un vieillard, père de quatre
fils, dont deux étaient morts en combattant pour la patrie, se rendait
péniblement tous les jours dans les deux ou trois communes les plus rapprochées
de sa triste cabane pour recevoir l’aumône que lui faisaient volontiers les
habitants bienfaisants qui connaissaient son extrême misère et sa moralité,
lorsqu’il fut enlevé à sa malheureuse famille, qu’il nourrissait des aumônes
qu’il recevait, par des maréchaussées qui l’ont traîné impitoyablement de
brigade et brigade comme un malfaiteur dans un dépôt de mendicité où il a été
reclus pour le reste de ses jours.
Je n’essaierai pas, messieurs,
de vous décrire la pénible sensation que cette barbare exécution a causé
généralement ; l’indignation des habitants de la commune de ce vieillard a surtout
été portée à son comble ; cependant cette commune, qui est une des plus pauvres
que je connaisse, a été forcée de payer pour l’entretien du malheureux que
chacun regrettait.
Sans
doute, messieurs, vous ne voudriez pas voir renouveler des injustices aussi
révoltantes, qui ne peuvent se concilier, d’ailleurs, avec l’art. 7 de notre
constitution, qui doit être la sauvegarde du pauvre comme du riche ; elles
pourraient cependant résulter de l’adoption du projet qui vous est présenté.
Les mendiants étant confondus dans l’art. 1er avec les vagabonds et avec les
indigents qui se rendent volontairement aux dépôts de mendicité ; quant à moi,
je fais une telle distinction entre ces trois catégories, que si elles restent
confondues, je voterai contre le projet tandis que si les mendiants n’y sont
pas compris, je voterai pour, s’il m’est démontré toutefois que nous pouvons,
sans inconstitutionnalité, imposer des charges aux communes de ce chef.
J’aurai l’honneur de vous
préposer un amendement à l’art. 1er, et alors j’entrerai dans de nouveaux
développements, s’ils ne surgissent pas de la discussion qui nous occupe.
M. Soudan de Niederwerth,
commissaire du Roi. -
Il me semble que M. Fallon s’est mépris sur l’origine des dépôts de mendicité ;
il faut remonter à l’époque de leur institution ; ils portaient anciennement le
nom de maison de répression, conformément à la loi du 15 octobre 1793. Avant
les dépôts de mendicité, il existait des bureaux de bienfaisance et des
hospices. Le gouvernement, semble-t-il, s’apercevant que certaines
municipalités négligeaient de secourir les indigents, comme la loi leur en
faisait une obligation, on a établi des dépôts où les agents de la force
publique conduisent ceux qui sont trouvés à mendier sur les chemins. Voilà
l’origine des dépôts de mendicité, qui ne sont que de véritables succursales
des hospices et des bureaux de bienfaisance.
Qu’arriverait-il maintenant si
l’on venait à les supprimer ? Des indigents qui s’y trouvent, les uns
retourneraient dans les hospices, les autres retourneraient dans leurs foyers,
et tomberaient ainsi à la charge des bureaux de bienfaisance. Vous le voyez
donc, c’est aux communes qu’il appartient de secourir les indigents. Si l’on
n’a pas établi dans chaque localité un dépôt pour les mendiants de la commune, ç’a été pour éviter les frais d’un personnel d’employés
disséminés dans un grand nombre d’établissements.
M. Fallon vous a dit que
l’Etat devait coopérer à l’entretien des établissements dont il s’agit. Cette
doctrine n’est pas clairement établie, comme il le prétend, par le décret de
1808. Ce décret ne parle que des frais de premier établissement, mais il ne
crée pas une charge continue pour l’Etat. D’ailleurs, un de ses articles
stipule formellement que la dépense sera à la charge des communes.
J’ai à répondre maintenant au
reproche qui a été adressé par M. Liedts relativement au déplorable état de
fainéantise dans lequel croupissent les détenus. L’honorable membre, pour
remédier à ce vice des choses, voudrait que le gouvernement intervînt pour une
partie des frais des maisons de mendicité : le but de cette proposition c’est
de créer les moyens d’établir des ateliers, afin d’alimenter le travail des
détenus ; c’est précisément là le moyen proposé dans le projet du gouvernement.
Il désire pouvoir coopérer à cette alimentation, soit par une subvention une
fois donnée, soit par une somme annuelle. C’est ainsi qu’il fait déjà donner
l’instruction aux jeunes détenus, en payant les instituteurs sur les fonds
destinés à l’encouragement de l’instruction publique.
Quant à l’inconvénient signalé
par M. d’Hoffschmidt relativement à l’admission des mendiants valides, c’est là
une difficulté qu’il sera possible au gouvernement de résoudre par des
règlements d’exécution.
Je dois ajouter quelques mots
en réponse aux reproches qui ont été faits par la régence de Mons. Voici ce que
dit la régence de cette ville : « Le gouvernement a reculé devant les
poursuites judiciaires. »
Si vous
adoptiez ce principe, les procédures se multiplieraient à l’infini, les refus
des communes n’auraient plus de bornes, et bientôt nous verrions se réaliser
l’hypothèse présentée par M. de Barante, lorsqu’il s’agissait de l’organisation
municipale en France. Voici comment il s’exprimait ; « D’ailleurs, quel
désordre dans l’administration locale si, tout en se renfermant dans ses
attributions, elle marchait dans un sens inverse d’administration générale !
Quelle que doive être l’indépendance locale, par combien de points le
gouvernement de l’Etat est en contact nécessaire avec les autorités locales !
Conçoit-on par exemple ce qui arriverait, si les communes et les départements,
se mettant en opposition avec la législature et le ministère, cessaient de
voter des fonds pour l’instruction publique ou quelque autre branche de l’administration
générale ? Nous avons été fort préoccupés par la nécessité de ne pas établir
une lutte semblable, de ne point faire des conseils locaux une sorte de
tribunal d’appel, où pourraient recourir les opinions vaincues dans la sphère
législative. »
Et, messieurs c’est ce qui
arriverait, c’est ce qui est même arrivé. La ville de Namur refuse de faire les
fonds pour les insensés, pour les enfants trouvés. Le croiriez-vous ? C’est
uniquement au moyen des taxes sur les chiens que l’on pourvoir dans la province
de Namur à la dépense des enfants trouvés. N’est-ce pas là une parcimonie
révoltante ?
M. de Robaulx. - Eh
! mais, dans mon pays, ce sont les vaches qui
nourrissent les paysans. (On rit.)
M. Brabant. - Ce que vient de dire le préopinant ne regarde
pas la ville de Namur. Il n’y a pas là de taxe sur les chiens.
M. Doignon. - Messieurs, le ministre nous a annoncé, dans son
exposé des motifs du projet de loi en discussion, que le refus de plusieurs
communes, et nommément des villes de Mons et de Namur, rendait nécessaires les
dispositions législatives par lui proposées. Nous regrettons que M. le
ministre, dans son exposé, n’ait point particulièrement rencontré le principal
argument sur lequel ces administrations fondent leur refus, argument tiré de
l’article 110 de la constitution, qui déclare « qu’aucune charge, aucune
imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil
communal, » et de l’article 138 statuant qu’ « à compter du jour
où la constitution sera exécutoire, toutes les lois, décrets, arrêtés,
règlements et autres actes qui y sont contraires, sont abrogés. » Le même
article 110 ajoute : « La loi détermine les exceptions dont l’expérience
démontrera la nécessité relativement aux impositions communales. » Mais,
disent les communes, ces exceptions ne peuvent concerner que l’imposition,
c’est-à-dire l’impôt ou la contribution qu’il s’agit d’élever sur la commune
pour acquitter une charge de la communauté ; et dès qu’il est question de créer
une charge ou une dépense, le vote du conseil est indispensable. En tout cas,
disent ces administrations, cette loi exceptionnelle ne pourrait avoir d’effet
rétroactif.
Notre constitution, messieurs,
en décrétant que toute charge, toute imposition communale doit être votée par
les conseils municipaux, a accordé aux communes une nouvelle franchise dont ces
corps doivent naturellement se montrer jaloux, et que notre devoir est de
mettre à l’abri de toute atteinte de la part du pouvoir.
Mais nous croyons que c’est à
tort que ces administrations invoquent ici l’article 110 de la constitution
pour se refuser au remboursement des frais de nourriture et d’entretien des
indigents, mendiants et vagabonds, reclus aux dépôts de mendicité. En effet,
ces frais d’entretien sont bien moins une charge telle que le prévoit cet
article 110, que l’une de ces dettes qui, par leur nature, se contractent sans
consentement formel et naissent de certains faits, quelquefois même involontaires.
La communauté des habitants considérée comme personne civile, est soumise comme
toute autre aux règles du droit commun, relatives à la formation des contrats
et des engagements ; or, il est une espèce d’engagements qui se forment sans
qu’il intervienne aucun consentement exprès de la part de celui qui se trouve
obligé, article 1370 du code civil. Ils résultent encore des quasi-contrats,
des délits ou quasi-délits. Eh bien ! le vote du
conseil municipal n’est évidemment pas nécessaire pour obliger la communauté en
pareil cas. Par exemple, il arrive que par un fait quelconque elle porte
préjudice à un particulier, elle se refuse à le réparer, et celui-ci la fait
condamner définitivement au paiement d’une somme à titre de dommages-intérêts ;
personne ne contestera qu’elle y est tenue, bien que tout le conseil ait refusé
ou refuse encore de payer cette créance. Cette dette, qui est la suite du
contrat judiciaire formé contre le gré même de l’administration, n’en est pas
moins une charge législativement due par la commune, et devra figurer dans son
budget. Une loi met à la charge des communes les dommages-intérêts résultant
des pillages commis à égard de leurs habitants ou même d’un étranger. Cette
obligation dérive également d’un fait que le législateur présume avoir pu être
empêché par l’administration locale ou la communauté, et il n’est venu dans
l’esprit de personne de prétendre que le conseil municipal devait donner son
assentiment à une semblable dette ou charge. C’eût été placer les communes hors
du droit commun et créer en leur faveur un nouveau code pour leurs contrats et
obligations.
Or, l’engagement des
administrations communales envers les dépôts de mendicité est de la nature de
ceux dont nous venons de parler.
Toutes les communes savent que
la mendicité et le vagabondage sont des délits prévus par le code pénal, et
toutes connaissent qu’ils ont pour conséquence le placement de ces individus
aux dépôts de mendicité. Leur obligation dans l’espèce a donc pour cause le
fait de la mendicité qu’elles ont toléré dans leur commune, et leur devoir
était de chercher à éviter par les secours à domicile auxquels elles sont
tenues envers les indigents, ou au moyen de leurs hospices et autres
établissements de charité. Il est d’autant plus juste que la commune répare le
dommage résultant de ces délits pour la province ou l’Etat, que c’est à son
acquit que ceux-ci fournissent des aliments à ses habitants, et que la
communauté s’enrichirait à leurs dépens si elle n’était pas tenue de les
indemniser.
Ainsi l’engagement de la
commune provient véritablement d’un fait dommageable qu’aux yeux des
législateurs une administration sage et prévoyante aurait pu prévenir, et qui
certainement est étranger à la province et à l’Etat comme à la volonté du
législateur. On ne peut donc pas dire dans l’espèce que ceux-ci établissent de
leur chef une charge sans le consentement du conseil municipal ; que ce conseil
veuille ou non, le fait qui en droit comme en équité donne naissance à son
engagement n’en subsiste pas moins.
Par conséquent, aussi
longtemps qu’il ne sera apporté aucun changement à la législation actuelle, qui
considère comme délit la mendicité et met à la disposition du gouvernement les
individus qui s’en rendent coupables, les administrations sont et demeurent
véritablement obligées au paiement des frais d’entretien de leurs mendiants ou
vagabonds.
Si la dépense qu’elles sont
tenues de rembourser excède quelquefois celle qu’elles auraient dû faire en
donnant chez elles aux mêmes individus des secours à domicile, elles ne doivent
attribuer ce surcroît de charge qu’aux délits commis dans la commune et dont
elles ne pouvaient ignorer toutes les suites.
A l’égard des indigents qui
sont reçus aux dépôts de mendicité sur leur demande, on peut dire qu’il y a
toujours acquiescement de la part des administrations ; car on ne les admet
qu’après avoir consulté, sur leur position nécessiteuse, l’autorité à qui il
est et doit être libre d’arrêter les effets de cette demande, en leur procurant
des secours à domicile. Si une administration refusait l’entrée du dépôt à un
habitant sous prétexte qu’il n’est pas indigent, et lui refusait en même temps
des secours à domicile, ce malheureux se trouvera forcé de mendier, et, envoyé
au dépôt de mendicité, il tombera de même à la charge de la commune.
L’art. 110 de la constitution
étant donc sans aucune application au cas actuel, puisqu’il ne peut y être
question de charges ou dettes résultant de faits dommageables à l’égard des
tiers, il devient superflu d’examiner aujourd’hui l’interprétation donnée par
ces administrations au dernier paragraphe de cet article, relatif aux
exceptions que la loi peut porter à la règle générale qu’aucune charge, aucune
imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil. Si
l’on ne consulte que le texte de ce paragraphe, ces exceptions devraient être
restreintes aux impositions proprement dites ; les impositions qui le précèdent
font en effet une distinction entre ce qu’on appelle charge et ce qu’on appelle
imposition. Ces deux choses sont tout à fait différentes : l’une est la
dépense, l’autre est la voie ou le moyen de l’acquitter. Or, le législateur du
congrès a formellement limité ces exceptions aux cas d’imposition. L’expression
« imposition » est employée dans le même sens aux
art. 133, 135 et 137 du projet de loi sur l’organisation communale ;
l’art. 157 de l’ancienne loi fondamentale portait la même distinction, et en en
rapprochant les diverses dispositions de ce paragraphe de l’art 110 de notre
constitution, on remarque qu’effectivement notre législation a pu y trouver des
raisons très plausibles pour autoriser des exceptions relativement aux
impositions de la commune.
Mais ce n’est point le moment
de débattre cette question ; cette discussion trouvera sa place lors de
l’examen du projet de loi communale. Les communes peuvent compter sur la
sollicitude de la chambre pour le maintien de leurs droits constitutionnels.
S’il était vrai néanmoins,
comme plusieurs le disent, que des communes refuseraient le paiement des
pensions de leurs mendiants, par ce motif qu’il y aurait dans quelques dépôts
de mendicité la plus mauvaise administration ; que ces malheureux, au lieu d’y
trouver la vie, n’y trouveraient au contraire qu’une plus grande misère, la
corruption, et la mort peut-être ; dans ce cas, on ne peut disconvenir que leur
refus est légitime. L’établissement ne remplissant point ses engagements, la
commune n’est pas tenue d’exécuter les siens à son égard. La destination des dépôts de mendicité n’est pas seulement de pourvoir
aux besoins physiques, mais principalement d’améliorer le moral des indigents.
Si donc l’administration y était telle que les mœurs y seraient empoisonnées ;
si la religion, qui fait la consolation et la force de l’homme, était oubliée,
et qu’on ne lui offrît dans ces maisons qu’une existence semblable à celle de
la brute, le but de leur institution serait absolument manqué ; elles ne
seraient plus, dans ce cas, des asiles pour le malheureux, mais des maisons à
fuir ; et dès lors les administrations seraient dans leur droit, lorsqu’elles
s’opposent au paiement des pensions. S’il en était ainsi, il appartiendrait à
l’administration provinciale et au gouvernement d’interposer leur autorité
entre ces établissements et les communes, à l’effet de prendre aussitôt toutes
les mesures convenables pour faire cesser les justes plaintes de ces
administrations.
Les administrations seraient
pareillement fondées dans leur refus, quant aux indigents qui seraient détenus
dans ces dépôts sans aucun jugement préalable ; on aurait même commis à leur
égard un attentat à la liberté individuelle.
Nous reconnaissons au surplus
qu’une réforme est indispensable à la législation actuelle sur la mendicité, et
nous l’appelons aussi de tous nos vœux.
M. Brabant. - Si M. l’administrateur des bureaux de
bienfaisance connaît aussi bien les dépôts de mendicité que les taxes de la
ville de Namur, je suis persuadé qu’il ne tardera pas à porter remède aux abus
de ces établissements.
Mon honorable collègue, M.
Liedts, vous a déjà appris dans quel état il avait trouvé ces dépôts ; il vous
les a dépeints comme des cloaques impurs où se rendent tous les vices.
L’administration y laisse croupir dans l’oisiveté un grand nombre de fainéants
qui avaient des ressources ailleurs. J’ai sous les yeux un arrêté de 1829,
rendu à la sollicitation de l’ancien conseil de régence de Namur. Voici les
faits qu’il me révèle : Quatre individus, jouissant d’une pension de 200
florins chacun, ont aliéné cette pension pour se livrer à leurs ignobles
penchants, à l’ivrognerie, à la débauche ; après avoir anéanti la ressource
qu’ils s’étaient procurée par la vente, ils se sont rendus au dépôt de
mendicité ; là ils ont été couchés, nourris, hébergés, et jamais
l’administration n’a pu rentrer dans les frais que lui avait imposés la
mauvaise conduite de ces hommes, au moyen des ressources qu’ils avaient acquises à une époque où ils avaient
plus de conduite et d’honneur (ils avaient été soldats).
Mais il y a ici une question :
qu’a voulu par son article 110, cette constitution dont toutes les dispositions
ont été prises en présence des abus qui avaient rendu la révolution nécessaire
? Elle a voulu que les provinces ni les communes, sur lesquelles on disséminait
autrefois les charges toujours croissantes pour en dissimuler le fardeau, ne
fussent plus à l’avenir arbitrairement imposées. Aussi un de ses articles
stipulait-il d’abord qu’aucune charge ne pourra plus être établie que par le
conseil communal ou provincial. Ce n’est que dans la séance publique où cette
partie de la constitution fut discutée que M. Legrelle
proposa la modification qui a été faite au dernier paragraphe de cet article,
et dont on vous a déjà parlé.
J’ai cherché dans les journaux
les motifs qui l’ont fait adopter ; je ne les y ai pas trouvés ; mais je crois
me rappeler que la chambre l’a admise dans la prévision du cas où un jugement
viendrait à être prononcé contre une commune, et à ne pas pouvoir être exécuté,
parce que les communes n’ont aucun bien saisissable ; alors l’imposition
établie par la loi constitue le gage saisissable sur lequel peut s’exécuter le
jugement rendu.
On a dit que le conseil
communal, pouvant empêcher le délit de mendicité, dès lors c’était sur lui que
devait en retomber la conséquence. Si le conseil municipal pouvait prendre des
arrêtés pour forcer tous les individus valides au travail, je dirais comme vous
qu’il est responsable des mauvais effets de sa négligence en ne prenant une
pareille mesure ; mais il n’en est pas ainsi, et des lors il ne répond de rien.
Enfin, messieurs, si vous
approuvez l’arrête qui a été pris par une commune, et par lequel il est fait
défense à tout individu ne jouissant pas d’un revenu de 300 florins de venir
s’y établir ; si vous autorisez les communes à prendre des arrêtés pareils,, et si vous les convertissez en loi, alors je consentirai
facilement à leur faire supporter les charges des dépôts de mendicité.
Mais
jusque-là, et comme je soutiens qu’il ne dépend en aucune manière des communes
de faire cesser la mendicité, tous les raisonnements qu’on a faits à cet égard
portent à faux.
Puisque la commune dont je
préside le conseil a partagé avec la ville de Mons l’honneur d’être citée, il
est de mon devoir de présenter, en terminant, quelques mots de justification.
Nous avons continué à payer jusqu’au premier avril les fonds nécessaires ;
plusieurs fois nous avons averti le gouvernement que nous cesserions de
satisfaire à ce qu’il appelle nos obligations, s’il ne prenait pas des mesures
dans le but de mettre les dépôts en meilleur état.
Il nous répugnait en effet,
messieurs, d’allouer annuellement 24 mille francs pour 250 fainéants, lorsque
la ville n’en pouvait allouer plus de 4 mille pour les bureaux de bienfaisance,
et plus de 5 mille pour des vieillards et des enfants abandonnés. Il nous était
pénible enfin de payer chèrement l’administration et la bureaucratie pour voir
les dépôts de mendicité en un si pitoyable état que l’était celui de Namur.
(Moniteur belge n°218, du 6 août 1833) M. Jullien.
- Il est à regretter que le projet de loi qui soulève dans cette enceinte tant
de questions graves de fait et de droit, n’ait pas été livré depuis quelques
semaines au public. Par ce moyen nous aurions pu recueillir les observations de
l’administration des provinces et des communes, et celles de la presse qui
éclaire toujours ; au lieu de cela il a été imprimé seulement hier au Moniteur, et ce n’est qu’aujourd’hui
que nous avons pu lire les observations judicieuses de la régence de Mons sur
lesquelles on doit appeler l’attention de tous ceux qui sont pénétrés de
l’importance du projet qui nous est soumis. Quoi qu’il en soit, puisque la
discussion est commencée, je soumettrai quelques observations à la chambre.
Lorsqu’une association se
forme, surtout une association de communes, son premier intérêt est le bien de
tous ses membres, non seulement sous le rapport de la charité chrétienne, mais
encore sous le rapport de la police et de l’ordre public. En effet, lorsque les
membres sont exposés à périr de misère, ils cherchent une ressource dans le
désordre et dans les crimes, et toute l’association en souffre. C’est cette
pensée qui a donné naissance aux dépôts de mendicité, aux établissements de
secours enfin, quel que soit le nom qu’ils portent. Mais faut-il conclure de ce
qui précède que la charité des habitants doive suivre l’indigent partout où il
lui plaît de porter son vagabondage ?
Non, messieurs, je ne le crois
pas ; dès que l’indigent quitte la commune, la commune ne lui doit plus rien ;
lorsqu’il reste au milieu d’eux, ils doivent surveiller sa situation, suivre
les progrès de sa misère et le secourir : voilà comment on a entendu les lois
de la bienfaisance. Il faut en restreindre l’action dans la sphère de la
commune. Mais lorsqu’un indigent a commis un délit, il prend un autre caractère
; ce n’est plus alors qu’un coupable, et c’est à l’Etat qui le condamne à le
nourrir. Je vous le demande, en effet, quelle différence y a t-il entre un
homme condamné pour vagabondage et un homme condamné pour vol ? Tous les deux
ils ont enfreint les lois de la société ; ils sont enfermés dans une prison
publique, et l’Etat doit la nourriture à celui qui a été condamné pour
vagabondage comme à tous les autres prisonniers.
L’Etat lui doit l’entretien
dans le lieu où le jugement de répression l’a jeté.
Pour me résumer, messieurs, la
commune doit nourrir l’indigent lorsqu’il reste au milieu de l’association ;
dès qu’il l’abandonne, elle ne lui doit plus rien. C’est là une distinction que
la chambre approuve sans doute, parce qu’elle est dans la nature des choses ;
aussi voyons-nous que ce n’est pas le principe qui est contesté, mais son
application.
Il s’est présente une autre
difficulté, c’est la rétroactivité de la loi ; car si je ne suis pas d’accord
avec M. Ernst sur les charges des communes, je professe avec lui le principe
que jamais la rétroactivité d’une loi n’est admissible ; on ne peut ouvrir le
code sans y lire cette maxime. Maintenant, le projet vous dit que les communes
seront forcées à payer l’arriéré. Mais le rédacteur n’a pas fait attention
qu’il lui serait impossible d’arriver à ce but ; et en effet, on dira bien aux
communes de payer l’arriéré, mais elles nieront qu’elles doivent, et de cette
manière, la question se renouvellera sous une face nouvelle.
Il me semble que les
prétentions du ministre ont été victorieusement repoussées par l’art. 110 de la
constitution, qui ne permet pas de faire une loi pour faite payer un arriéré.
Ainsi donc, en votant une disposition qui consacre la rétroactivité d’une loi,
vous tomberiez dans une illégalité, et de plus, vous inséreriez une disposition
parfaitement inutile, puisqu’elle laisserait subsister la question.
Une autre imperfection notable
que renferme la loi, c’est celle que la section centrale y a introduite,
lorsqu’elle a à faire de la générosité et de la philanthropie en appelant tous
les mendiants à se présenter de bonne volonté, et en forçant les dépôts à les
recevoir. Sous ce rapport, je préfère le projet dans sa pureté native au projet
amendé. On a dit : Nous faisons un appel aux mendiants de se rendre dans les
dépôts, et ce n’est qu’après cette déclaration et sur leur refus qu’on pourra
les poursuivre devant les tribunaux. Et, partant de ce principe
philanthropique, on prétend qu’il est juste de leur ouvrir les dépôts puisqu’on
les condamne s’ils n’y vont pas.
C’était
juste, en effet, lorsqu’il s’est agi de la première population de ces dépôts.
Alors il y avait équité à dire aux mendiants : Vous prétextez que vous ne
pouvez pas vivre ; eh bien, voici des dépôts qui vous sont ouverts. Là, vous
aurez du travail et du pain. C’était justice alors. Mais aujourd’hui
qu’adviendra-t-il si vous adoptez la loi ? Les dépôts deviendront les
hôtelleries de la mendicité et du vagabondage. C’est là que viendront se rendre
tous les indigents, des extrémités du royaume. Les pères de famille y
conduiront leur femme et leurs enfants, en disant : Recevez-les, ce sont
les indigents. Les vagabonds, de leur côté, s’y donneront rendez-vous, et s’y
feront héberger aussi longtemps qu’il leur plaira. Puis, lorsqu’il faudra faire
payer la dépense par la commune et reconnaître le domicile des indigents, alors
naîtront les difficultés. Car c’est toujours là qu’elles surgissent.
Tous ces inconvénients doivent
engager le ministère à mûrir son projet, et puisqu’il ne s’agit que de
recouvrer un arriéré, c’est à lui à s’arranger de manière à persuader aux
communes qu’elles doivent payer ; et dans l’intervalle il pourra méditer quelque
chose de passable et nous le proposer, car le projet tel qu’il est conçu
actuellement est archi-mauvais. Je n’ai pas besoin d’ajouter que je voterai
contre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, on reproche au ministère
d’avoir mis de la précipitation dans la préparation et dans la présentation du
projet de loi sur lequel vous êtes appelés à statuer. Ce projet n’est pourtant
pas sorti des cartons ministériels tel qu’il avait été
primitivement établi ; il a été soumis pendant plusieurs mois à l’examen des
députations des provinces, dont l’un des préopinants invoquait tantôt les
renseignements ; elles en ont fait l’objet d’un examen long et approfondi ; il
y a eu ensuite un remaniement du projet, qui s’est ainsi trouvé modifié dans le
sens de la majorité des opinions émises par ces corps.
Le ministère était d’ailleurs pressé par les circonstances, Plusieurs localités
importantes avaient résisté aux demandes de l’administration provinciale et
entravaient le gouvernement dans le recouvrement des frais d’entretien des
dépôts de mendicité. En face d’une nécessité immédiate, il fallait bien, en
attendant la loi communale, qui est le siège naturel de cette question,
pourvoir à la lacune qui se manifestait dans le service des dépôts, par la
résistance des localités dont il s’agit.
Malgré l’urgence, nous avons
voulu nous environner des lumières de l’expérience, et nous avons consulté les
députations des provinces qui ont en cette matière une compétence fondée sur la
connaissance et une longue pratique des faits.
Un des honorables préopinants
a signalé le projet comme portant atteinte à la liberté individuelle. Mais au
contraire, il tend à faire disparaître certaines dispositions restrictives de
cette liberté, adoptées sous ancien gouvernement. Nous n’avons pas cru que les
dispositions du décret de 1808 et les arrêtés de l’ancien gouvernement pussent,
sous ce rapport, être encore tolérés en présence du code pénal de 1810 ; et à
cet égard le projet ne renferme rien d’analogue.
Il fait disparaître, au
contraire, les atteintes portées à la liberté individuelle par le décret
impérial et par les arrêtes du roi Guillaume. Mais nous avions porté les
scrupules plus loin. Nous avions stipulé que les dépôts ne seraient ouverts aux
mendiants déclarés tels par jugement, que lorsque ces mendiants seraient
invalides ou infirmes. Par là, nous prévenions la possibilité des abus signalés
par l’honorable membre. Nous avions pensé aussi qu’en laissant à tous un trop
libre accès dans ces dépôts, ce serait accorder une sorte de prime au
vagabondage et à la fainéantise.
Mais la section centrale n’a
pas cru devoir s’arrêter devant ces scrupules, et nous avons fini par penser
comme elle, en reconnaissant qu’il serait toujours facile au gouvernement de
prévenir tout abus, par des mesures d’exécution ; il nous a semblé possible,
par exemple, d’atteindre le but de notre projet en consultant, préalablement à
l’admission, les communes où les mendiants qui se présenteraient ont leur
domicile de secours.
On se fonde, pour légitimer la
résistance de certaines localités, sur l’état déplorable où se trouvent les
dépôts. Le gouvernement ne conteste pas ce fait ; il reconnaît qu’il y a
beaucoup à faire pour l’amélioration des dépôts de mendicité ; mais il ne peut
rien si les fonds nécessaires ne sont pas assurés. Il n’a sur ce point qu’un
même vœu à former avec la législature, les provinces et les communes.
Il désire faite pour les
dépôts ce qu’il a déjà heureusement fait pour les prisons ; il n’est personne
qui ne sache combien le régime des prisons a été heureusement modifié. Il
tenterait les mêmes améliorations si un subside annuel lui était assuré à la
charge de rendre un compte périodique détaillé de ses travaux.
Déjà, autant qu’il l’a pu, il
a nommé, à l’instar de ce qui se fait pour les prisons, des aumôniers et des
instituteurs dans les dépôts.
Mais, comment voudrait-on
qu’il réalisât la moindre amélioration, en présence de deux opinions absolues
comme celles qu’on lui oppose ? En effet, d’après la section centrale, l’Etat
ne doit rien payer pour l’entretien des dépôts et, si l’on écoute le
préopinant, on n’a pas le droit de mettre ces dépenses à la charge soit des
communes, soit des provinces. Eh bien ! si ces
opinions triomphent, il en résultera que personne ne doit payer ; qu’alors les
mendiants reflueront des dépôts dans les différentes localités auxquelles ils
appartiennent ; car, certes, le gouvernement aura bien le droit de veiller à ce
que chaque commune reçoive les mendiants qui lui appartiennent.
Je ne pense pas que l’on
puisse tirer de l’article 110 la conséquence qui en a été déduite. Déjà, vous
avez entendu à ce sujet l’argument de MM. Liedts et Doignon ; ils ont laissé
peu de chose à dire sur ce point. Il est impossible, en effet, de donner à cet
article le sens que semble lui prêter le dernier paragraphe. M. Fallon a
prétendu que pour que cet article signifiât ce que nous voulons lui faire dire,
l’article aurait dû s’arrêter à ces mots : « démontrera la
nécessité ».
Mais l’honorable membre n’a pas
fait attention qu’alors l’exception eût eu une tout autre portée. En effet,
messieurs, elle eût été applicable aux trois premiers paragraphes, et il en
résulterait aujourd’hui cette conséquence que la législature aurait eu le droit
d’autoriser, dans des cas exceptionnels, le pouvoir exécutif à créer, à lui
seul, des impôts au profit de l’Etat. Voila pourquoi le paragraphe ne s’est pas
arrêté à ces mots. Maintenant, si vous admettez que parce que les mots
impositions et charges n’ont pas été répétés dans le dernier paragraphe, les
impositions seules peuvent être créées d’office, vous arrivez à cette
conséquence absurde qu’aucune loi ne pourra désormais imposer aux communes les
dépenses nécessaires pour l’instruction publique, pour la garde civique et les conseils
de discipline de cette garde, pour les prisons, etc.
Chaque fois qu’une commune
contestera la légalité d’une charge, comment fera-t-on cesser le conflit ? Avec
le droit d’imposition ? Mais la commune pourra dire : Vous n’avez aucune raison
de m’imposer, car si je voulais payer, mes voies et moyens suffiraient à
acquitter ma dette ; ce ne sont pas les ressources qui me manquent, c’est la
dépense que je refuse d’allouer au budget. Je dis qu’une pareille
interprétation de l’art. 110 de la constitution mène à l’anarchie, et détruit
de fond en comble le système des charges communales, tel qu’il existe depuis 40
ans. On ferait ainsi retomber presque toutes les charges des communes et des
provinces (car l’argument est aussi bon pour les provinces que pour les
communes) sur la caisse de l’Etat.
Remarquez d’ailleurs qu’il
s’est établi un quasi-contrat entre la province, la commune et l’Etat, par le
vote périodique et législatif des centimes additionnels. Ce vote leur est
acquis à condition qu’elles satisferont aux dépenses
qui leur sont imposées par la loi. On autorise les provinces à demander aussi
des centimes additionnels qui sont vote législativement et dont le recouvrement
y a lieu, avec le principal, par les agents du fisc, parce qu’à côté de cet
avantage existe pour elles l’obligation de payer les charges légalement
établies.
On a mal interprété le code
pénal lorsqu’on a dit qu’il était irrationnel d’établir ici une exception et de
faire supporter aux communes la répression d’un délit, quand la répression
générale des délits incombait à l’Etat. Il faut distinguer ici : la mendicité
est, il est vrai, un délit puni par une détention correctionnelle. Les frais de
la poursuite et de la détention tombent à charge de l’Etat. Mais une fois la
détention terminée et la pénalité accomplie, tout n’est pas fini : il y a des
mesures à prendre qui tendent, non pas à la répression du fait particulier,
mais à la prévention de l’abus en général. On enferme le mendiant à peu près
comme on enferme l’insensé.
Ce sont
là, non des peines proprement dites, mais des mesures administratives. Comment
la mendicité sera-t-elle extirpée ? Le gouvernement exigera-t-il la création
d’un hospice dans chaque localité, ou bien, pour éviter les frais nécessités
par la multiplicité de ces établissements, veillera-t il à ce qu’on ouvre un
établissement central, un dépôt de mendicité provincial, enfin, pour n’avoir
que les frais d’une administration unique, dans une localité unique, avec un
personnel unique ? C’est là une question tout administrative, indépendante de
la question de pénalité.
Quant au point de savoir si,
en bonne administration, ces dépôts doivent être entretenus, au moins en
partie, par les communes, il a été décidé par l’expérience ; dès longtemps
cette question a été agitée et résolue dans ce sens. C’est l’esprit de toutes
les législations que nous avons passées en revue dans cette séance
M.
Fleussu. - Vous vous étonnerez sans doute, messieurs,
après tous les vices qui ont été reprochés au projet de loi soumis en ce moment
à votre examen, que ce projet soit le résultat de consultations et d’avis
délibérés des députations permanentes des conseils provinciaux ; vous vous
étonnerez sans doute encore qu’après s’être entouré de tant de renseignements,
le ministère se borne à ne vous présenter qu’une loi tout à fait transitoire,
qu’un lambeau de législation sur ce point. Il est à regretter qu’il ne sente
pas davantage ses forces, qu’il ne marche point d’un pas plus certain, et enfin
qu’il n’atteigne pas plus franchement le but qu’il se propose.
Ce projet transitoire
n’obtiendra pas non plus mon assentiment. Trop de raisons s’y opposent. D’abord
je repousse le principe de la loi et je ne puis en admettre les détails.
Je cherche vainement quel peut
être le fondement des dispositions du projet. Depuis que la discussion est
ouverte, et voilà bientôt trois heures, on nous a parlé d’un principe comme
reconnu et moi je demande encore à le voir. On nous a entretenus de beaucoup de
lois, ou plutôt d’arriérés faits dans la supposition d’un principe ; mais le
principe lui-même, produisez la loi qui le consacre. Voilà ce que je réclame
avant tout. Eh bien ce principe, qu’on a dit déposé dans toutes les
dispositions législatives, à partir de la constituante, je ne le trouve nulle
part ; et pourtant, avant de faire une loi fondée sur un principe, il faudrait
que ce principe existât réellement. J’aurai peut-être tantôt l’occasion de vous
démontrer ce qui vous a induits en erreur à cet égard.
J’ai bien vu des dispositions
qui ont fait supposer que les indigents avaient un domicile de secours. Partant
de ce principe, on peut arriver à la conséquence, mais par voie d’induction,
que des secours leur sont assurés. Mais ce principe n’est établi nulle part
dans la loi. D’un autre côté, parce que les pauvres ont un domicile de secours,
s’ensuit-il que quand ils l’ont quitté, ils peuvent dépouiller ceux qui ont le
même droit qu’eux pour se faire nourrir dans un dépôt de mendicité ?
N’étendez-vous pas beaucoup trop loin le système que vous cherchez à établir ?
On trouve partout des dispositions qui disent que les communes doivent venir au
secours des hospices et des bureaux de bienfaisance. Mais de ce que les
communes doivent assister les bureaux de bienfaisance et les hospices,
résulte-t-il qu’elles doivent subvenir aux frais des dépôts de mendicité ? je ne le pense pas, et la raison en est sensible, car la
différence est grande. En assistant les bureaux de bienfaisance et les
hospices, elles viennent au secours des indigents qui leur appartiennent,
tandis qu’en assistant les dépôts de mendicité, ils secourent des pauvres qui
leur sont en quelque sorte devenus étrangers.
Et pourquoi voulez-vous
obliger la commune à faire face aux frais des dépôts de mendicité ? Parce qu’un
de ses habitants aura contrevenu aux lois répressives de la mendicité ; mais
comme on l’a fort bien dit, une commune ne peut être responsable d’un délit commis par un de ses
habitants. Si elle est responsable de ce délit, alors vous ne poussez pas assez
loin votre système, car vous devez lui faire supporter également les frais de
poursuite. Non, dites-vous, il faut faire une distinction. Il y a d’abord le
temps de l’emprisonnement et cela regarde l’Etat, mais après ce n’est plus
qu’une mesure d’administration. Eh quoi ! en vertu
d’une mesure d’administration vous pourrez retenir un individu dans un dépôt de
mendicité ? N’attentez-vous pas à sa liberté ?
Qu’importe que la loi inflige
deux peines, l’une très sévère et l’autre un peu plus relâchée. Ce n’en est pas
moins à cause de la peine prononcée à la suite d’un délit que vous retenez cet
individu. C’est donc pour avoir contrevenu aux lois sur la mendicité qu’il
reste sous le poids d’une mesure préventive, et vous voulez en rendre la
commune responsable. Voilà le fondement de votre système, dont le principe,
vous le voyez, est combattu par les conséquences.
Mais j’admettrai même votre
système, et je vous dirai dans ce cas que les dépôts de mendicité sont
organisés dans l’intérêt général. C’est une mesure tout à la fois répressive et
préventive, qui a pour but d’empêcher que des hommes oisifs ne se livrent de
nouveau à la mendicité et ne troublent ainsi le repos de la société.
C’est dans ce sens que M. le
commissaire du Roi a fait observer qu’il n’y avait pas longtemps que ces établissements
portaient ce nom. Autrefois on les appelait maisons de répression. Or, il est
bien évident que c’est pour avoir violé la loi qu’on se trouve dans une maison
de répression.
On a ajouté que les dépôts de
mendicité sont des succursales qui viennent au secours des bureaux de
bienfaisance et des hospices d’où il résultait une économie. Eh bien, moi je
dis que de pareilles succursales seraient leur ruine, car les hospices et les
bureaux de bienfaisance peuvent assister six familles indigentes avec les frais
que nécessitera un seul individu dans un dépôt de mendicité.
Il ne faut pas, dit-on,
laisser propager la mendicité. C’est vrai, mais il ne faut pas non plus
commettre d’injustice. Nous ne prétendons pas, comme le prétend M. le ministre
de la justice, abandonner les dépôts de mendicité ; mais nous pensons que c’est
au gouvernement, à lui seul à en faire les frais. Autrefois cette charge lui
incombait, et c’est pour dégrever les budgets qu’on l’a fait peser sur les
provinces et les communes. Organisez bien vos dépôts de mendicité, faites-y
travailler, et quand les indigents verront que ce n’est pas l’asile de
l’oisiveté et de la paresse, et qu’il faut y gagner le pain qu’on y reçoit, ils
préféreront le gagner chez eux.
Vous dites que les communes
doivent faire en sorte d’arrêter la mendicité, qu’il faut les y intéresser en
mettant à leur charge les fonds d’entretien de leurs indigents au dépôt de
mendicité. Eh bien, si c’est là votre but, vous ne l’atteignez pas, vous faites
tout le contraire. En effet, les autorités communales, pour ne pas obérer leurs
communes, laisseront circuler les mendiants. Voila le résultat infaillible de
la loi que vous proposez.
Autrefois, je le répète, les
dépôts de mendicité étaient aux frais de l’Etat, et lorsque plus tard sous
l’empire, on s’est occupé de cet objet, les frais en ont été répartis, sur
l’Etat d’abord, puis sur les provinces et sur les communes. Nous faisons nous
tout le contraire. Nous suivons le système du gouvernement précédent qui, pour
diminuer le chiffre du budget, faisait supporter aux provinces et aux communes
le plus de dépenses possible. Voyez comme on va vite et comme on s’écarte ;
aujourd’hui ce sont les communes qui sont chargées de ces dépenses. Les
provinces n’y figurent qu’accessoirement, et l’Etat finira par en disparaître
entièrement. Ce ne sont pourtant pas là des dépenses véritablement communales.
(Ici, l’orateur argumente de
l’art. 33 du règlement du plat pays, qui, dit-il, est encore en vigueur. Il
continue en ces termes :)
Jusqu’à présent je n’ai parlé
que du principe de la loi. Je laisse de côté la question constitutionnelle
parce que je n’étais pas préparé à la discussion et que mon opinion n’est pas
encore formée sur ce point. Mais j’en viens à quelques reproches de détail.
L’honorable représentant qui
siège à mon côté a attaqué la disposition de l’art. 5, où il a trouve le vice
de la rétroactivité. Répondant aux arguments présentés par cet orateur, M le
ministre de la justice a dit : Vous n’avez pas compris la loi. Nous ne
demandons pas une loi qui consacre un principe ; ce principe existe. Mais s’il
existe, vous n’avez pas besoin de loi nouvelle et s’il n’existe pas, vous ne
pouvez faire rétroagir la loi que vous sollicitez. Vous demandez une loi
d’exécution en quelque sorte. Mais comme l’a fait observer l’honorable M.
Jullien, cette loi est une arme absolument inutile dans vos mains. Vous voudrez
exécuter une commune qui fera résistance, et alors s’élèvera une question de débition qui devra être soumise aux tribunaux.
En effet, vous viendrez
réclamer des avances que vous aurez faites dans l’intérêt de la commune.
Celle-ci vous répondra : Je n’étais pas tenue à cette charge. Alors qui
décidera cette question de droit si ce ne sont les tribunaux ?
On nous a dit qu’on avait été
d’abord tenté d’agir contre les communes, mais qu’on s’était arrêté par la
crainte du scandale d’une action des états députés contre les communes. Eh bien
ce scandale existera encore aujourd’hui. Je ne vois dans le projet qu’une
disposition qui soit de nature à le faire disparaître.
Il est un
autre vice que j’ai cru remarquer dans la loi. Lorsqu’une commune refuse de
faire les frais des dépôts de mendicité, on s’adresse aux états provinciaux, et
si ces états refusent aussi, c’est le ministre qui par un seul arrêté dit : Vous
avez tort et il faut que vous vous exécutiez. C’est là, messieurs, un principe
beaucoup trop large et fort dangereux.
Je suppose que l’on réclame
contre une commune au sujet d’un individu. La commune répondra : Cet individu
n’a jamais eu de domicile chez moi. Les états provinciaux fonderont
probablement leur refus sur le même motif. Eh bien ! le
ministre, dédaignant les raisons de la commune et de la représentation
provinciale, pourra les forcer au paiement. Je ne sais, messieurs, si après
toutes les garanties stipulées dans la constitution en faveur des communes,
vous voulez accorder de telles prérogatives à un ministre ; mais quant à moi je
n’y consentirai pas. Aussi par cette considération et en raison des autres
défectuosités dont il a été question, je voterai contre le projet.
M. de Theux. - On ne peut pas laisser les dépôts de
mendicité dans l’Etat où ils sont : ou il faut les supprimer, et rapporter les
dispositions du code pénal ; ou en attendant la révision des lois sur la
mendicité, vous devez conserver ces dépôts et laisser subsister les articles du
code. Dans ce cas, vous devez assurer l’existence des indigents dans les
dépôts, sous peine d’une suprême inconséquence.
Qui paiera les frais ? Sera-ce
l’Etat ? sera-ce la commune ou la province ? Déclarer
que c’est l’Etat, vous ne le pouvez que par une loi ; et alors attendez-vous à
voir votre budget grossir d’un quart ou d’un tiers ; car si tous les frais de
l’entretien des mendiants sont à la charge de l’Etat, vous verrez les communes
laissez languir les établissements qu’elles possèdent, et négliger les secours
à domicile. Dès lors, la plaie de la mendicité sera telle que l’Etat sera
chargé d’une immensité de mendiants, et se trouvera dans l’impossibilité de
faire face à la dépense.
Pourquoi, a dit M. Fallon, le
mendiant est-il à la charge de la commune ? Messieurs, toute dépense qui ne
peut pas être faite par la généralité, doit se résumer dans la localité ; de là
l’existence de la commune. S’il ne doit pas y avoir de dépenses communales,
supprimez la commune. Si vous maintenez la commune et les provinces, vous devez
reconnaître à ces subdivisions de l’Etat des dépenses et des recettes. Quoi de
plus naturel que de laisser à la charge de l’association la plus proche de la
famille, c’est-à-dire la commune, les dépenses qu’occasionne un membre
malheureux de la famille ?
Mais, dit-on, il n’existe pas
de dispositions expresses de loi qui mette l’entretien des mendiants à la
charge de la commune : je conviens qu’il n’y a pas un texte précis sur cette
matière ; aussi ce n’est que par induction que la section centrale s’est vue
portée à adopter le projet du gouvernement.
Elle y a été portée d’autant
plus volontiers, que c’est dans ce sens que les choses se sont passées depuis
1819. Pourquoi se sont-elles passées ainsi ? C’est parce que, depuis la
législation existante, les secours donnés aux familles malaisées ont toujours
été à la charge des communes ; de là on en a conclu que la charge des dépôts de
mendicité devait peser aussi sur la commune.
Sans doute que la législature
a partagé cette opinion ; car, sans cela, on eut porté au budget de l’Etat des
surcharges pour faire face à la dépense des mendiants. Depuis 1808, les dépôts
de mendicité sont organisés en Belgique, et jamais ces établissements n’ont été
entretenus aux frais de l’Etat.
Le décret du 5 juillet 1808
parle bien de la coopération du gouvernement pour les frais de premier
établissement, mais le même décret statue que l’entretien annuel sera à la
charge des communes.
Je tiens donc que c’est la
force des choses qui nous ramène vers le principe que les communes, profitant
des dépôts de mendicité, doivent en supporter les frais à proportion des
mendiants qui y sont recueillis.
La plus forte objection que
l’on ait alléguée contre le système, c’est la mauvaise organisation de
plusieurs dépôts ; mais cette objection tend plutôt à amener la réforme des
établissements qu’à détruire le principe de leur existence et du mode de leur
entretien par les communes.
S’il était possible d’amener
les dépôts de mendicité au point où les devait amener le décret organique, les
charges des communes seraient certainement allégées de beaucoup ; car d’après
ce décret, les dépôts de mendicité ne devaient pas être des asiles pour la
fainéantise, mais des lieux de travail. Les bénéfices faits pas les reclus
dégrevaient d’autant les communes. Alors il n’y avait aucune espèce
d’inconvénient pour l’admission libre des mendiants dans cet établissement. Si
le mendiant était valide, il devait gagner les frais de son entretien ; s’il
n’était pas entièrement valide, il devait au moins gagner une partie de son
entretien.
Ceci me ramène à l’amendement
proposé par la section centrale, c’est-à-dire à l’admission dans les
établissements des indigents qui se présentent volontairement. Cette
disposition n’est pas une innovation, c’est au contraire le maintien de ce qui
existe. Le décret de 1808 est formel ; tous les arrêtés pris depuis sont dans
le même sens ; l’arrêté du 12 octobre 1825, l’arrêté du régent du mois de mars
1831, autorisent cette admission ; comment pourrait-on faire un reproche à
l’indigent de ce qu’il a mendié si des hospices publics ne lui sont pas ouverts
?
Mais les mendiants pourront
grever les communes. Il est vrai qu’en leur refusant l’entrée des dépôts vous
éviterez cet inconvénient ; mais le mendiant se fera condamner
correctionnellement afin d’arriver au dépôt ; vaut autant éviter la
condamnation qui flétrir encore le malheureux. Les communes d’ailleurs ont
toujours la liberté de réclamer l’élargissement d’un indigent.
On a parlé de la rétroactivité
de la loi ; on a dit qu’il était inouï en législation de donner un effet
rétroactif à la loi ; mais d’abord il s’agit bien moins de donner un effet
rétroactif à la législation que de lever des doutes existants ; que d’assurer
l’exécution de ce que l’on a regardé comme dispositions légales en vigueur.
Nous avons l’exemple d’une
mesure semblable prise par la loi du 11 frimaire an VII. Il s’agissait alors de
régulariser des dépenses arriérées ; le conseil des cinq cents porta la loi en
des termes formels, et déclara que les communes paieraient la dépense de
l’année courante et les dépenses de l’an VI et antérieures.
M. le
commissaire du Roi a regretté que la section centrale n’ait pas admis une
disposition tendant à faire accorder des crédits annuels ou de secours aux
dépôts de mendicité ; mais je ferai observer à l’assemblée que, d’après les
explications données, il s’agit bien moins de secours annuels que d’obtenir un
fonds de premier établissement ; dès lors la résolution de la section centrale
ne contrarie en aucune manière les vues du gouvernement. Si le gouvernement
peut justifier aux yeux des législateurs la nécessité d’une allocation pour
l’organisation fondamentale des dépôts de mendicité, laissant toutefois à la
charge des communes l’entretien annuel de ces dépôts, je crois que la
législature ne refusera pas le secours.
J’attendrai
la discussion des articles pour répondre à d’autres objections de détail qui
sans doute seront reproduites. (La
clôture ! la clôture ! la clôture !)
M. de Brouckere. - Il y a des questions constitutionnelles à traiter ; je crois que le
projet de la section centrale ne blesse pas la constitution ; quoi qu’il en
soit, les considérations constitutionnelles sont importantes, et rien n’oblige
l’assemblée à clore la discussion.
M.
Dubus. - Les questions constitutionnelles viendront sur l’article 1er : la discussion
des articles amènera la discussion une à une des questions que présente le
projet ; alors la chambre pourra les résoudre.
- La chambre ferme la
discussion générale.
La discussion des articles est
renvoyée à lundi, en séance publique.
La séance est levée à 4
heures.