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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 24 juin 1833
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre (acte modifiant le tarif des douanes des douanes des Etats-Unis)
2) Motions d’ordre relatives
aux comptes de l’Etat des exercices 1830 et 1831 (Angillis,
de Brouckere) et aux pensions à charge de l’Etat (Gendebien)
3) Projet d’adresse en
réponse au discours du trône. Discussion des articles. A= Position diplomatique
de
(Moniteur
belge, n°177, du 26 juin 1833)
(Présidence de M.
Raikem.)
La séance est ouverte à une heure.
M. Liedts, l’un des secrétaires, fait l’appel nominal.
M. Dellafaille, autre secrétaire, donne lecture du procès-verbal qui est adopté.
Quelques pétitions sont renvoyées à
l’examen de la commission.
Il est donné lecture d’une lettre de M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) annonçant le dépôt sur le bureau de l’acte du
sénat et de la chambre des représentants des Etats-Unis d’Amérique, approuvé
par le président le 2 mars dernier, qui apporte des modifications au tarif du
14 juillet 1832, relatif aux droits d’importation, ainsi que de cette dernière
pièce.
- M. de Renesse, dont l’admission a été
proclamée précédemment, prête serment.
M. Angillis (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion
d’ordre. Messieurs, le gouvernement avait transmis à la chambre dissoute les
comptes des exercices de 1830 et 1831, et la chambre les avait renvoyé à
l’examen de l’ancienne commission de finances pour faire son rapport. Ce
travail n’est pas terminé et la nouvelle chambre n’a rien décidé à cet égard.
Pour ne pas faire une besogne inutile, je prierai M. le président de consulter
la chambre pour savoir s’il entre dans son intention que la commission de
finances qu’elle a nommée reste nantie de tous les travaux non terminés dont
était saisie la première commission.
-
La chambre consultée se prononce pour l’affirmative.
M. de Brouckere. - J’ai déposé une proposition sur le bureau. Je prierai
M. le président de la renvoyer en sections pour savoir si elles en autorisent
la lecture.
M. le président. - La proposition de M. de Brouckere sera renvoyée
en sections.
M. Gendebien (pour une motion d’ordre). - Je demande aussi à
faire une motion d’ordre. Messieurs, dans une séance de la précédente session,
M. le ministre des finances avait pris l’engagement formel de faire imprimer la
liste de tous les pensionnaires. Je demanderai si cela a été fait, et, dans le
cas négatif, que M. le ministre prenne vis-à-vis de la chambre l’engagement
qu’il avait contracté envers l’ancienne.
M. le ministre des finances
(M. Duvivier) -
Est-ce des pensionnaires à la charge du trésor ?
M. Gendebien. - Sans doute ; nous n’avons pas à nous occuper des
pensions de particuliers.
M. le ministre des finances
(M. Duvivier) -
Eh bien ! les listes des pensionnaires à la charge du
trésor existent en manuscrit ; il est très facile de les livrer à l’impression.
Discussion des paragraphes
Premier et deuxième paragraphes
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Nous avons
examiné les trois amendements proposés par MM. Legrelle, Dumortier et de
Brouckere...
M. de Brouckere. - Je m’oppose à ce que l’on discute mon
amendement qui n’a pas été développé. C’est contre les usages de la chambre.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Je vous
prie de ne pas m’interrompre, et d’ailleurs vous allez voir que votre objection
est fort indifférente. Je répète ma phrase : Nous avons examiné les trois
amendements proposés par MM. Legrelle, Dumortier et de Brouckere et distribués
hier ; nous n’y voyons rien qui puisse entraver la marche du gouvernement, ni à
l’intérieur ni à l’étranger. Nous n’avons donc aucun motif de nous opposer à
ces amendements, qui ne révèlent aucune intention de blâme contre les actes du
gouvernement, et ne portent aucune atteinte à la prérogative royale Nous avons
cru devoir faire cette déclaration pour abréger, dans l’intérêt du pays, la
présente discussion.
-
La discussion est ouverte sur les amendements.
M.
d’Hoffschmidt. - Messieurs,
après la lumineuse discussion qui a eu lieu sur l’ensemble de l’adresse, ce
serait, surtout de ma part, faire perdre du temps à l’assemblée que de revenir
longuement sur des questions épuisées. Je ne dirai donc que quelques mots pour
motiver le vote que j’émettrai sur le paragraphe en discussion ; ce que je
tiens d’autant plus à faire que je ne partage pas l’opinion de mes amis
politiques relativement à la convention du 21 mai, que je désirerais voir
substituer au traité des 24 articles, duquel j’ai toujours redouté l’exécution,
le considérant comme le traité le plus humiliant, le plus onéreux même, qui
puisse être présenté à
Que sont en effet, messieurs, les
sacrifices qui peuvent résulter d’une navigation un peu plus ou moins libre,
d’un armement plus ou moins considérable en comparaison de celui de quatre cent
mille de vos concitoyens qui ont participé si activement avec vous à conquérir
l’indépendance d’une patrie qu’ils chérissent au-dessus de tout, et que des
Belges ne peuvent consentir à leur voir arracher définitivement qu’avec la plus
lâche ingratitude et avec une abnégation totale de tout sentiment d’honneur
national !
Que l’on cesse donc d’invoquer le fatal
traité du 15 novembre (que personne ne s’avisera de préconiser ici) comme une
planche de salut pour
Ai-je besoin de vous dire, messieurs, que
je conviens, avec ceux de mes collègues qui voudraient repousser cette
convention, qu’elle nous replonge dans un provisoire très préjudiciable,
surtout si
Ne croyez pas que c’est comme
Luxembourgeois que je m’exprime ici ; c’est comme Belge, messieurs, que
j’approuve, eu égard aux malheureuses circonstances où nous sommes, la
convention du 21 mai.
Mais il est inutile de me défendre près de
vous d’un vil sentiment d’égoïsme, que je suis loin pour ma part de vous prêter
dans cette circonstance, non plus que dans toute autre ; car je suis persuadé
que vous chérissez aussi assez vos frères, de quelque province qu’ils soient,
pour soutenir leur indépendance aux dépens même de celles de vos opinions qui
ne touchent pas à des intérêts aussi chers.
Une chose que je ne puis concevoir, c’est
que quelques-uns de nos collègues s’obstinent à vouloir, avant tout, la
reconnaissance de notre indépendance par le roi Guillaume. Quant à moi,
messieurs, je ne veux pas de sa reconnaissance parce que je ne lui reconnais
aucun droit sur
Je bornerai
là, messieurs, le résumé de mon opinion sur la question qui nous occupe ; mais
je ne veux pas finir sans énoncer brièvement que j’appuierai de mon vote les
amendements qui seront présentés relativement à la dissolution de la chambre et
aux désordres extraordinaires qui ont eu lieu dans nos villes principales, s’ils
sont conçus dans le sens d’une opinion que je partage, et qui a été émise dans
la discussion générale par nos honorables collègues Gendebien, Fallon, de
Brouckere et autres.
Si l’adresse ne contenait aucun amendement
dans ce sens, je voterais contre.
M. Milcamps. - Messieurs, je n’admets pas et je ne puis admettre
les amendements proposés au paragraphe 2 du projet d’adresse. J’aime mieux le
texte de ce paragraphe.
Avant de faire connaître les motifs de
cette préférence, permettez-moi de faire quelques observations.
Chaque fois que le gouvernement a été
provoqué à s’expliquer sur le traité du 15 novembre, il a déclaré
solennellement que ce traité était sa loi politique extérieure.
Dans le discours du trône, le gouvernement
vous présente la convention du 21 mai comme procurant à
Par cette convention du 21 mai,
Mais dans cette convention il n’existe
aucune expression, aucun mot d’où l’on puisse induire une renonciation de la
part de
Dans cette convention commune à
Qu’est-ce donc que cette convention ? Une
trêve générale et conditionnelle d’une nature particulière. Ainsi envisagée,
elle ne constitue, entre
Mais elle stipule aussi la suspension des
mesures coercitives qui devaient amener l’adhésion de
Donc, dira-t-on, atteinte au traité du 15
novembre en ce qui concerne la garantie promise par l’art. 25.
Je ne puis admettre cette conséquence, car
je considère toujours la convention du 21 mai comme trêve générale et
conditionnelle ; et si
Il est vrai pourtant qu’en ce point les
puissances exécutrices ne remplissent pas envers nous leurs engagements. Car
c’est l’exécution du traité du 15 novembre qu’elles nous avaient garantie,
c’est ce résultat que nous attendions.
Mais, messieurs, les garanties des
puissances il faut les prendre pour ce qu’elles sont.
Quand la puissance qui a promis la garantie
est requise de la fournir, elle commence par examiner s’il est important ou non
de remplir ses engagements. Si son intérêt s’y oppose, elle ne manque jamais de
raison pour faire la guerre ou rester en paix à son gré, et l’Europe est
persuadée qu’il est imprudent de compter sur des actes des garantie.
Mais fallait-il que le gouvernement belge
refusât l’acceptation de la convention du 21 mai ? Quant à moi, messieurs, je
l’avoue, je n’aurais pas eu assez de courage pour donner ce conseil.
Cette convention est acceptée, et, il faut
bien en convenir, en l’acceptant le gouvernement n’a fait qu’user du droit que
lui donne la constitution.
C’est dans cette situation de choses que le
gouvernement vous présente, comme avantageuse, la convention du 21 mai, et que
vous avez chargé votre commission de rédiger un projet d’adresse en réponse au
discours de la couronne. Dans son projet, paragraphe 2, votre commission a
reconnu que la convention du 21 mai nous met en possession de plusieurs
avantages stipulés dans le traité du 15 novembre ; que cette convention ne
portait aucune atteinte aux droits qui nous sont acquis par ce traité, et, pour
qu’on n’élève pas de doute sur le sens qu’elle donne à cet acte diplomatique,
elle a sagement ajouté : « Si
C’est sur ce paragraphe 2 du projet
d’adresse que deux honorables membres ont proposé des amendements.
D’accord avec la commission, ils admettent
également que la convention du 21 mai présente des avantages matériels, et
qu’elle ne porte aucune atteinte aux droits qui nous sont irrévocablement
acquis par le traité du 15 novembre. On s’accorde sur le fond ; ce n’est guère
que dans l’expression que les amendements diffèrent du texte du paragraphe 2 de
l’adresse. Il semble donc qu’il ne peut guère y avoir difficulté de se
prononcer en faveur du texte ou de l’un ou l’autre des amendements.
Cependant je rejetterai l’amendement de
l’honorable M. Legrelle. particulièrement à cause du
dernier alinéa qui, à l’expression simple et convenable présentée par la
commission, substitue une phrase qui me paraît susceptible de critique.
« Si la nation, dit-il, était trompée dans sa juste attente, la convention
du 21 mai serait nulle à ses yeux. » Cela est-il exact ? Dans mon opinion,
la convention ne serait pas nulle, mais
Je rejetterai également l’amendement de
l’honorable M. Dumortier, qui, à l’expression claire, laconique et convenable
du paragraphe 2 de la commission, substitue de longues phrases, dont
quelques-unes inutiles. Pourquoi exprimer dans une adresse que si les
puissances exécutrices, en souscrivant la convention du 21 mai, s’étaient
dégagées de la garantie d’exécution qu’elles avaient contractée envers nous, si
M. l’abbé de Foere, rapporteur. - Messieurs, malgré la déclaration que le
ministère vient de nous faire, à l’égard des amendements qui nous sont
proposés, je n’en sens pas moins le devoir de me prononcer, dans l’intérêt de
mon pays, contre ces amendements. Je regarde même cette déclaration comme un
acte de faiblesse. Je ne pourrais m’associer à la proposition de l’honorable M.
Legrelle, alors même qu’il ne présenterait d’autre caractère que d’être
complètement inutile.
L’honorable membre intercale dans le texte
du projet d’adresse ces mots : « La convention du 21 mai assure à l’Escaut
une navigation entièrement libre, sans charges ni entraves. » Le projet,
messieurs, maintient formellement et sans exception aucune tous nos droits qui
sont stipulés dans le traité du 15 novembre ; pourquoi donc insérer dans
l’adresse une exception qui non seulement serait inutile, mais encore
injurieuse à nos autres droits qui ne seraient pas rappelés dans l’adresse ? Ce
n’est point par pièces, ce n’est point par lambeaux qu’il faut défendre nos
droits ; mais il faut les défendre tous et dans leur ensemble avec la même
énergie ; les mettre tous sur la même ligne et ne pas montrer plus de
prédilection pour les uns que pour les autres.
M. Legrelle avance d’ailleurs lui-même que
cette même convention « n’a pu porter aucune atteinte à aucun des droits
qui nous sont irrévocablement acquis. » Si donc, il en est ainsi, pourquoi
faire ici une exception à l’égard de ladite navigation de l’Escaut ?
Je ferai remarquer, en outre, que dans mon
opinion jamais le roi de Hollande ne pourra renverser le traité de Vienne
relatif à la libre navigation des fleuves navigables, et pourra moins encore
faire triompher ses propres intérêts sur ceux de toute l’Europe. Sous ce
rapport l’amendement est encore inutile. D’ailleurs, il tendrait à faire croire
que nous mettons en doute les autres droits qui nous sont acquis par le traité
du 15 novembre.
L’opposition a
beaucoup argumenté de la destruction du traité du 15 novembre, qui aurait été
opérée par la convention du 21 mai. Cependant, aucun membre de l’opposition n’a
déposé sur le bureau aucun amendement qui eût pour objet de maintenir cette
fausse opinion. Il s’ensuit donc que, dans la pensée de l’opposition même, le
traité du 15 novembre est resté dans toute son intégrité, et si aucune atteinte
n’y a été portée, l’amendement est encore, sous ce rapport, inutile.
J’ai assez de confiance dans le bon sens de
mon honorable ami M. Legrelle pour espérer qu’il retirera son amendement. En le
soustrayant à nos délibérations, il se lavera en même temps du reproche fait
quelquefois à la députation d’Anvers, qu’elle ne faisait attention qu’aux
droits et aux privilèges qui se rattachent à la localité qu’elle représente, et
que tous les autres droits et intérêts du pays peuvent être abandonnés au sort
que
Pour ces motifs je m’oppose à l’amendement
de M. Legrelle.
M. de Longrée. - Messieurs, je crois devoir commencer par
prévenir l’honorable assemblée que je n’ai pas l’habitude de déclamer en
public, et encore moins celle d’improviser ; votre indulgence, messieurs, m’est
indispensable ; je viens franchement vous la réclamer.
Messieurs, la discussion qui a eu lieu sur
le projet d’adresse a amené beaucoup de combattants sur le terrain ; plusieurs
d’entre eux sont même sortis de la véritable question pour se livrer à des
récriminations, qui m’ont paru lui être étrangères, et qui auraient pu trouver
leur place ailleurs dans des circonstances plus analogues ; quant à moi,
messieurs, je me bornerai à m’attacher au point essentiel, et dont, à mon avis,
on n’aurait pas dû s’écarter.
Plusieurs orateurs qui m’ont précédé,
prétendent que le deuxième paragraphe du projet d’adresse est plus que pâle,
qu’il est insignifiant, notamment sa dernière phrase qui dit :
« Si
Il est probable, messieurs, que l’on
voudrait voir substituer au verbe réclamer celui exiger ; par suite cette
phrase devrait être conçue dans les termes suivants :
« Si
Mais je vous le demande, messieurs, s’il
est vrai que les puissances qui nous ont garanti l’exécution du traité du 15
novembre de malheureuse mémoire, n’ont pas l’intention de maintenir leurs engagements,
pourrions-nous les y forcer plutôt par exigence que par réclamation ? Je ne le
crois pas ; ces puissances, fortes de leur supériorité sur nous, ne changeront
en rien pour nous la politique qu’elles ont adoptée.
L’on s’est plaint amèrement du provisoire
dans lequel la convention du 21 mai dernier nous replace ; messieurs, personne
ne sait apprécier plus que moi les désavantages d’une position politique très
précaire ; les transactions commerciales paralysées, les spéculations arrêtées,
l’exécution de projets particuliers absolument retardée, le sort d’une quantité
de braves fonctionnaires incertain, enfin la position sociale douteuse, sont,
entre bien d’autres, des motifs assez plausibles pour faire désirer ardemment
une solution très prochaine de nos affaires politiques. Mais je demande si nous
sommes encore dans la possibilité d’obtenir cette solution aussi promptement et
de la manière que nous le voudrions ? Non, messieurs ; cette possibilité de
terminer nos affaires par nous-mêmes est passée ; elle nous est échappée à deux
différentes époques : je ne tarderai pas à les citer.
La première, c’est lorsqu’au mois de
novembre 1830 des envoyés de
La libre navigation de l’Escaut nous est
rendue. En cas que de véritables entraves surviennent, nous élèverons la voix
pour les faire cesser immédiatement.
La navigation de
Les moyens de se procurer les matériaux
nécessaires aux constructions, tels que le charbon de terre pour la cuisson des
briques, les pierres, les ardoises, la chaux, etc. Vous savez, messieurs, que
tous ces matériaux sont tirés des provinces de Liège et Namur, de manière que
ces provinces se ressentiront autant, si pas plus des avantages que procure la
libre navigation de
Un honorable collègue, M. Angillis, a
avancé que la continuation de la possession des parties cédées des provinces de
Limbourg et de Luxembourg ne compensait pas celle que les Hollandais
posséderaient provisoirement, savoir : Lillo et Liefkenshoek, puisque les
produits, en fait de contribution, des parties cédées ne s’élèveraient qu’à
environ 300,000 fr. ; l’honorable collègue que j’ai nommé s’est singulièrement
trompé je suis, messieurs, dans la possibilité de vous donner l’assurance que
le seul arrondissement de Ruremonde, qui à quelques communes près a été
entièrement cédé verse annuellement au trésor plus qu’un million de francs. En
1831, il a produit fl. 448,751, en 1832 fl. 477,758.
Messieurs,
je me résume, en déclarant comme organe de mes commettant que, dans les
circonstances actuelles, rien ne peut autant soulager leurs peines et leurs
souffrances que la libre navigation de
Messieurs, je me propose de demander sous
peu à la chambre de vouloir bien m’accorder un congé de quelques jours, pour
pouvoir m’aller assurer par moi-même de l’état des choses relativement à la
navigation de
Je donne mon approbation au projet
d’adresse tel qu’il nous a été présenté, parce que je ne trouve pas que les
amendements proposés y apportent plus de force.
M. Van Hoobrouck. - Messieurs, plus j’examine le traité du 21 mai,
plus j’y trouve de justes motifs de crainte et de défiance.
Ce traité, nous dit-on, est une exécution
partielle du traité du 15 novembre ; mais alors, comment se fait-il que ce soit
le roi Guillaume qui l’ait proposé et ratifié ? Ce monarque serait-il très
jaloux de concourir à l’exécution d’un traité dont toutes les clauses seraient
à notre avantage, tandis que celles qui seraient avantageuses à lui, roi
Guillaume, seraient indéfiniment ajournées ?
Il faut en convenir, messieurs, il y a là
quelque chose de tout à fait incompréhensible.
J’avais demandé à M. le ministre des
affaires étrangères si le gouvernement belge avait prononcé la déchéance, au
moins pendant la suspension des mesures coercitives, de tous droits acquis par
Voilà donc le premier avantage du traité du
21 mai qui est remis en question.
Si le paiement des arrérages forme la
matière d’une nouvelle négociation, vous pouvez déjà, dès aujourd’hui,
pressentir le résultat de cette négociation : nous céderons, suivant notre
louable habitude.
Le ministère
vous a dit, messieurs, que les puissances exécutrices ne seraient pas
astreintes à tel ou tel mode d’exécution, à tel ou tel délai ; mais je
demanderai au ministère si ces puissances sont davantage astreintes à exécuter
telle ou telle clause du traité, de préférence à telle ou telle autre : non,
sans doute. Mais, dès lors, voyez la conséquence du système que vous adoptez
d’une exécution partielle : aujourd’hui les puissances vous mettent en
possession des avantages que quelques clauses vous assurent ; mais si, par une
juste compensation, et toujours par suite d’une exécution partielle, les puissances
mettaient
Vous voyez donc, messieurs, l’évidente
nécessité d’admettre l’amendement de mon honorable collègue et ami, M.
Dumortier.
M. Legrelle. - L’honorable rapporteur de la commission
d’adresse a trouvé mon amendement inutile. Oui, messieurs, il serait inutile de
spécifier les droits dont parle mon amendement, si nous jouissions de ce droit
; mais
Quant au
reproche fait aux députés anversois, je ne le crois pas fondé. Ce n’est pas
l’intérêt d’une localité que nous soutenons, mais l’intérêt du pays entier. Il
est certain que si l’embouchure de l’Escaut n’est pas entièrement libre, la
navigation n’est plus libre et tout le pays en souffrira.
L’honorable M. Milcamps a fait observer
qu’une expression que j’avais employée, n’est pas juste. J’avoue, en effet,
qu’en disant que si la nation était trompée dans son attente, la convention du
21 mai serait nulle, j’ai épuisé la conséquence. Il aurait peut-être été plus
exact de dire que l’adhésion à la convention serait nulle et à cet égard je
m’en rapporte à l’appréciation de la chambre. Si même elle trouve cette
expression inutile, on pourrait la retrancher.
M. de Foere, rapporteur. - La réponse de l’honorable M. Legrelle sur le
fond de la question n’est qu’un véritable sophisme.
J’ai voulu maintenir dans la réponse au Roi
tous les intérêts, tous les droits qui résultent pour nous du traité du 15
novembre et de la convention du 21 mai.
M. Legrelle
défend son amendement en signalant un fait contradictoire avec ces
stimulations. Alors même que ce fait existerait et qu’il dût être continué,
cette infraction à nos droits n’en serait pas moins repoussée par la rédaction
du projet d’adresse qui embrasse tous nos droits. Mais il n’est pas prouvé que
le fait dût être continué dans les intentions de
Ensuite je ferai observer que l’honorable
membre a mal compris mon observation sur la spécialité d’intérêts de la ville
d’Anvers. Certes, la libre navigation de l’Escaut est un droit qui nous
intéresse tous. Mais j’ai seulement voulu faire ressortir, que c’était un
intérêt de localité que de vouloir le rappeler, à l’exclusion des autres, à
l’attention de la chambre et du roi.
M. Dumortier. - Messieurs, après que le ministère a déclaré dans
cette discussion qu’il se ralliait aux amendements de mes honorables amis MM.
Legrelle et de Brouckere et au mien, j’étais loin de m’attendre que des membres
plus ministériels que les ministres eux-mêmes (murmures) viendraient les combattre et proposer la rédaction de la
commission d’adresse. En effet, la rédaction de la commission n’a été qu’un
palliatif et rien qu’un palliatif. Il est incontestable qu’en adoptant cette
rédaction, la nation abdiquerait ses droits. Qu’y voyez-vous ? Que si
Le texte du projet de la commission est
encore inexact sous un autre rapport. En effet, on y déclare que la convention
nous a mis en possession de plusieurs avantages matériels. Je voudrais bien
voir quels sont ces avantages matériels ; quant à moi je n’en vois aucun. Cette
convention ne fait que nous conserver des avantages que nous avions déjà. On
m’objecte que la navigation de
Maintenant, l’honorable M. Milcamps, tout
en blâmant la disposition que j’ai proposée, et qui consiste à dire que si
L’empereur
Napoléon, dans les grandes circonstances, a su s’appuyer sur la représentation
nationale ; un pareil appui est toujours fort utile ; que messieurs les
ministres ne le négligent point, s’ils veulent que le gouvernement soit fort et
puissant.
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour présenter une
observation à la chambre. Il me semble que puisque le ministère se rallie aux
trois amendements proposés, il n’y a plus lieu à discuter et qu’on peut aller
aux voix. (Oui ! oui ! aux voix !)
M. Milcamps. - Je demande la parole pour un fait personnel. (Non !
non ! Parlez ! parlez
!)
Parce qu’un
ministre ne trouverait pas d’inconvénient à l’adoption d’un amendement proposé
par un membre de la commission, celui qui combat cet amendement sera plus
ministériel que le ministre lui-même ? Ou je me trompe fort, ou il n’y a point
de logique dans une pareille conséquence.
Si l’honorable
membre, auquel je réponds, me connaissait, il saurait que je ne suis pas
ministériel, que je n’ai jamais joui d’aucune faveur du pouvoir ; et que si je
vote avec le ministère, c’est parce qu’il suit le système politique que j’ai
adopté. (Marques d’approbation. Aux voix
! aux voix !)
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M.
Legrelle.
M. Dubus. - Il me semble qu’il faut accorder la priorité à
l’amendement de M. Dumortier qui s’écarte davantage du projet d’adresse. (Oui ! oui ! Appuyé !)
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Je crains
bien, d’après les explications de quelques-uns de mes honorables collègues,
qu’on n’ait pas bien senti l’intention du ministère lorsqu’il a déclaré qu’il
ne s’opposerait pas aux amendements de MM. Legrelle, Dumortier et de Brouckere.
Il n’y a pas là acte de faiblesse, mais acte de conciliation ; il y a le désir
d’abréger une discussion qui certainement est pénible pour tous les membres de
cette chambre. Nous avouons même que si nous comparons les rédactions, nous
aimons beaucoup mieux celle de l’adresse sous le rapport des convenances et de
la précision ; mais nous n’avons pas cru devoir apporter ici une opposition qui
aurait prolongé les débats. C’est pour cela que nous ne voterons pas pour ces
amendements, afin de ne pas nous mettre en contradiction avec nous-mêmes. (Marques d’adhésion).
M.
le président. -
Je vais mettre aux voix la question de priorité.
M. de Foere, rapporteur. - J’avais cru que les amendements devaient être discutés l’un après
l’autre… (Aux voix ! aux voix !)
- La chambre,
consultée, accorde la priorité à l’amendement de M. Dumortier.
M. de Brouckere. - Je demande à présenter une observation sur la
rédaction de l’amendement. Il me semble qu’au lien de ces mots : « de la
garantie d’exécution qu’elles avaient contractée envers nous, » il
faudrait mettre : « de la garantie d’exécution à laquelle elles s’étaient
engagées envers nous. »
M. Dumortier. - On pourrait dire : « n’ont pu se délier des
engagements qu’elles avaient contractés envers nous. » Il y a aussi une
faute d’impression à corriger : au lieu d’un puissant appui, il faut lire un puissant
point d’appui.
- L’amendement de M. Dumortier est mis aux
voix et adopté en ces termes :
« L’expulsion de notre ennemi de la
forteresse d’Anvers lui a enlevé un puissant point d’appui. La convention du 21
mai nous conserve la possession de plusieurs avantages matériels stipulés dans
le traité du 15 novembre, et nous donne l’espoir que nous verrons incessamment
la navigation de
- Cet amendement remplacera le paragraphe
deux de l’adresse.
Le premier paragraphe est ensuite adopté
sans changement. Il est ainsi conçu :
« Depuis l’ouverture de la session de
1833, deux faits importants qui se rattachent à notre politique extérieure se
sont accomplis. »
Paragraphe 3 du projet initial
Le troisième paragraphe est également
adopté sans modification dans les termes suivants :
« Si votre gouvernement, Sire, croit
pouvoir concilier un désarmement partiel avec la sûreté extérieure de l’Etat,
nous serons heureux devoir réduire ainsi les charges du pays, et rendre à l’industrie
agricole et manufacturière les bras que la défense de l’Etat lui avait
enlevés. »
M. le président. - M. de Brouckere propose ici un paragraphe
additionnel ainsi conçu :
« Votre Majesté a sans doute été comme
nous affligée des désordres qui ont en lieu naguère dans plusieurs villes. Nous
sommes convaincus qu’elle aura enjoint à son gouvernement de prendre des
mesures énergiques, afin d’en empêches le renouvellement. »
M. de Brouckere. - Messieurs, après la déclaration faite par M. le
ministre de la justice au nom du gouvernement, je crois pouvoir me dispenser de
donner aucun développement, quel qu’il soit, au paragraphe que j’ai l’honneur
de vous soumettre. Je dois avouer que je ne m’attendais pas à cette
déclaration, d’abord parce que le ministère ne nous a pas accoutumés à se
montrer d’accord avec nous, et en second lieu parce que l’amendement que j’ai
présenté et celui proposé par l’honorable M. Dumortier, et qui a été déjà
adopté, sont les conséquences directes des doctrines que nous avions émises et
que nous avions soutenues lors de la discussion générale.
Quoi qu’il en
soit, je déclare que je vois avec plaisir cet accord qui s’établit entre le ministre
et la partie de la chambre à laquelle j’appartiens par mon opinion. J’espère,
après ce qui vient de se passer, que ceux qui ont été tentés d’appeler certains
membres exagérés et démolisseurs, trouveront dans la
conduite de l’opposition la preuve qu’elle n’a jamais mérité et qu’elle ne
mérite pas les qualifications qu’on s’est plu à lui donner.
- L’amendement de M. de Brouckere est
appuyé.
M. Devaux. - Il se passerait une chose assez singulière si
l’honorable membre qui a proposé l’amendement venait faire un reproche au
ministère de l’adopter. Je l’adopte également de mon côté, mais je dois dire
que je ne vois pas dans cet amendement ce que j’ai vu dans le discours de
l’honorable membre et ce que j’aurais combattu si je n’avais pas eu en vue de
voir abréger la discussion. Je puis admettre l’amendement de M. de Brouckere et
désapprouver son discours. A cet égard, je crois que M. de Brouckere a aussi
mérité l’approbation de l’assemblée en ne faisant pas passer dans son amendement
tout ce qui se trouvait dans son discours, et c’est pour cela que j’appuie cet
amendement.
J’ajouterai une simple observation sur le
style. Il me semble qu’il serait plus convenable et plus honnête, au lieu de
ces mots : « Votre Majesté a sans doute été comme nous affligée, » de
mettre : « Votre Majesté aura été comme nous affligée. » (Oui ! oui ! appuyé !)
M. de Brouckere. - J’y consens très volontiers.
M. le président. - M. H. Dellafaille propose d’ajouter après
l’amendement de M. de Brouckere ces mots :
« Que d’audacieuses provocations
peuvent expliquer, mais non justifier. Nous sommes convaincus que la fermeté
des magistrats saura réprimer également et ceux qui les commettent et ceux qui
les excitent, faire respecter les lois et déjouer les projets des hommes qui
appellent sur leur patrie le trouble et l’anarchie. »
M. Dellafaille. - Messieurs, tous nous avons vu
avec douleur les scènes qui ont eu lieu à Gand, à Bruxelles, à Anvers ; tous
nous désirons que ces déplorables violences ne viennent plus désoler notre
patrie et souiller notre cause ; tous, par conséquent, nous avons applaudi au
sentiment qui a dicté à notre honorable collègue l’amendement qui nous occupe.
Je l’appuie pour ma part ; seulement j’ai cru devoir y signaler sine lacune.
Je ne saurais partager l’opinion qui
assigne à ces événements une impulsion venue d’en haut, un but politique. Je ne
crois pas qu’il se trouve parmi nous un seul homme, à quelque parti qu’il
appartienne, qui voulût pour servir sa cause, recourir à cet infâme moyen ; et
pour me faire sortir de mon incrédulité à cet égard, il faudrait des preuves
plus claires que le jour. Le seul reproche que méritent à mon avis les agents du
pouvoir, c’est la mollesse avec laquelle ils répriment des désordres auxquels
cette même mollesse a donné naissance. Dans la ville que j’habite, ces
saturnales n’auraient jamais eu lieu sans l’indignation causée par l’impunité
dont jouissent les auteurs des démonstrations les plus effrontées. Lorsqu’on
voit tous les jours un journal, notoirement soldé par
C’est dans
cette vue que j’ai ajouté à l’amendement de l’honorable M. de Brouckere le
sous-amendement dont il vous a été donné lecture. Du reste, je le répète,
j’appuie de toutes mes forces sa proposition. Il est plus que temps de prendre
des mesures énergiques contre ces désordres, qui menacent de se renouveler à
Gand. D’après les derniers renseignements que j’ai reçus, des bandes de
plusieurs centaines d’individus parcourent les rues, attaquant, maltraitant
ceux qui ont le malheur de leur déplaire ou de porter certaine coiffure très
inoffensive ; et l’on craint, si les excès continuent, qu’il n’en résulte de
funestes collisions. La police est sans force ; la justice semble dormir. Le Mazaniello qui dirige ces bandes n’est pas même arrêté, et
n’a eu pour prix de sa conduite qu’une simple citation devant le magistrat.
Puisque M. le ministre de la justice est ici présent, je terminerai eu lui
demandant s’il reçu quelques renseignements à cet égard, et quelles sont les
mesures qu’il a prises pour faire respecter à Gand les lois et assurer dans
cette ville la tranquillité publique.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Je crois
devoir répondre à l’interpellation de l’honorable préopinant.
J’ai reçu avant-hier des rapports officiels
de Gand, qui m’ont fait connaître qu’en effet, à une cérémonie à laquelle on
avait d’avance donné une certaine célébrité, on avait affiché des couleurs que
le code pénal ne proscrit pas, mais que l’opinion publique, plus forte
quelquefois que le code pénal, proscrit avec énergie. Le déploiement de ces
couleurs a occasionné au milieu de la population de Gand quelques scènes de désordres,
exagérées toutefois par une feuille qui sert d’organe à un parti. Tels sont du
moins les renseignements que j’ai reçus. Je ne pense pas qu’il faille faire ici
intervenir des noms propres, mais je dirai qu’un personnage m’a été signalé par
M. le procureur-général.
J’ai répondu,
courrier par courrier, que si cet individu avait porté ou portait une atteinte
quelconque à nos libertés publiques, à une de nos lois, il fallait sévir contre
lui de la manière la plus rigoureuse, et j’ai reçu aujourd’hui la nouvelle que
les troubles de Gand sont complètement apaisés dans ce moment. M. le
procureur-général attribue une partie de ce résultat à l’attitude de l’autorité
municipale de Gand, qui, par une proclamation énergique, s’est associée à
l’action des magistrats. J’ai regret de dire que cette mesure à été qualifiée
de tardive.
M. de Foere, rapporteur. - Je ne puis me rallier au paragraphe additionnel
qui nous est proposé. Messieurs, si vous l’accueillez favorablement, vous
poserez un antécédent très dangereux. A chaque discussion d’adresse,
l’opposition, de quelque côté qu’elle se trouve, saisira ce précédent pour
tourner contre le ministère chaque désordre, chaque rixe qui s’élève dans un cabaret.
Vous en avez déjà fait l’expérience. Vous avez entendu avec quelle virulence
l’opposition a usé de ces malheureux prétextes. Vous aurez même remarqué que ce
paragraphe additionnel n’est même plus l’expression du discours que l’auteur de
ce paragraphe a prononcé sur cette spécialité ; car son discours était un acte
direct d’accusation contre le ministère d’avoir provoqué ces désordres.
Comparez son discours avec son paragraphe additionnel, et voyez s’il y a
identité, et si sa virulence n’est pas singulièrement tombée.
Si vous posez,
je le répète, ce fâcheux antécédent, vous jetterez dans le pays les mêmes
brandons de discorde toutes les fois que vous discuterez une adresse en réponse
au discours du Roi. D’ailleurs, il n’est pas dans les usages parlementaires de
faire figurer dans des adresses un pareil objet. En Angleterre, où il y a
souvent de graves excès, de graves désordres, il n’est jamais entré dans la
pensée d’aucun membre de l’opposition du parlement d’en parler dans une réponse
d’adresse. Je voterai donc contre le paragraphe dont il s’agit. (Aux voix ! aux voix !)
M. le comte de Robiano de Borsbeek. - Je demande la parole pour peu d’instants, ce
sera la première fois que je parlerai depuis cette session.
Messieurs, je ne puis m’empêcher d’exprimer
le regret de ce qu’on propose de faire devant l’Europe entière une triste
parade des désordres qui viennent d’avoir lieu. Je blâme ces désordres autant
que personne, mais je ne vous répéterai point tous les motifs qui exigent leur
répression, afin de ne point fatiguer l’assemblée. C’est à la loi, c’est au
gouvernement qu’appartient la sauvegarde des propriétés, de la vie, de
l’honneur des citoyens. Il faut que nous veillions à ce que les individus ne
s’arrogent pas le droit d’exercer la vindicte publique ; mais, messieurs,
portons remède à ces maux sans faire étalage des scènes que nous déplorons.
Ces désordres me paraissent moins graves
par les faits arrivés que par l’esprit et la tendance nécessaires de ces
justices politiques particulières. Il faut donc y porter remède mais ne
serons-nous effrayés que des effets et ne chercherons-nous pas à arrêter la
cause ? La véritable cause de ces excès, c’est la licence de la presse qui
dépasse toute mesure. Il n’y a point de pays où l’ordre et la tranquillité
puissent se maintenir, si la loi est trop faible pour réprimer une si
révoltante licence.
Je ne crois pas, messieurs, que la
législation soit en mesure d’y parvenir dans tous les procès pour délits de
presse, un acquittement est venu augmenter l’impudence des coupables.
Cependant, l’amendement de M. de Brouckere ne s’élève que contre les effets de
l’indignation publique, ne censure que les troubles, et ne fait aucune mention,
ne prononce pas la moindre désapprobation des provocations sans exemple de la
presse orangiste. Au moins, messieurs, si vous adoptez cet amendement, adoptez
aussi le sous-amendement de M. Dellafaille qui flétrit, comme elle le mérite,
cette expression révoltante des sentiments les plus antinationaux et les plus
honteux.
Cependant je préférerais de beaucoup qu’il
ne fût fait aucune mention dans l’adresse de ces désordres. Cette mention, dans
une occasion aussi solennelle, les grossira aux yeux de toute l’Europe qui,
sans cela, n’y ferait point attention ou n’y donnerait pas l’importance
exagérée que cet acte officiel lui imprimerait. Assez de préjugés existent
contre nous. Consultez les étrangers de différentes nations, et vous verrez
qu’on ne peut y croire que nous ayons des éléments d’ordre chez nous, ni que nous
soyons fortement attachés à l’ordre. Encore une fois, portons remède au mal par
les moyens que nous puiserons en nous-mêmes, mais sans divulguer au-dehors des
scènes qui feront mal juger de nous, surtout étant présentées sous un seul
point de vue, et sans noter aussi de réprobation les causes réelles de ces
scènes.
Je suis loin, messieurs, de partager la
sécurité de quelques personnes sur l’effet des journaux orangistes. Presque
tous les gouvernements qui sont devenus victimes de l’opinion, ont persisté longtemps
à la mépriser, à la croire sans portée. Les journaux orangistes ne sont point
sans influence, puisqu’ils sont lus. Ils sont lus à l’intérieur et à
l’extérieur, et même à l’armée. On ne résiste pas à des impressions
quotidiennes ; puisqu’on lit ces journaux, ils sont dangereux. Je connais des
hommes estimables qu’ils ont égarés et qu’ils maintiennent dans un funeste
aveuglement. On résiste à une première impression, une seconde ébranle,
d’autres achèvent de changer l’opinion. Les séductions quotidiennes sont du
plus grand danger. A l’extérieur il est impossible de croire à la nationalité
belge, en voyant les attaques continuelles qu’on lui livre avec la plus grande
impunité.
On m’a assuré que depuis le congrès
national il existait une loi pour la répression de délits de cette espèce, mais
que son effet avait cessé depuis peu de temps. En vérité, messieurs, son effet
ne s’est jamais fait sentir, et je ne puis croire que sa portée soit
suffisante. La licence de la presse tuera la liberté de la presse. Voila ce que
je prévois.
La
répression des excès de la presse est une matière fort délicate. Sa mention
improvisée dans cette adresse pourrait avoir des inconvénients. C’est une
raison de plus de chercher le remède sans faire plus de bruit, et sans parler du
mal, puisque l’on ne peut en même temps indiquer le remède ; mais c’en un
devoir de la législature de s’appliquer à le chercher.
Enfin, messieurs, notre honneur, notre
réputation ne demandent pas que nous réprouvions dans cette adresse les actes
de justice individuelle qui ont eu lieu. Nos compatriotes, qui nous ont élus
comme représentant leurs opinions, blâment les moyens de force brutale qui ont
été employés ; ils sont persuadés que nous les blâmons comme eux.
M. de Brouckere. - Messieurs, il est rare qu’une proposition, si
simple et si juste qu’elle puisse être, ne rencontre aucune opposition dans une
chambre. Heureusement, la mienne n’en a rencontré aucune pour le fond ; les
deux orateurs auxquels je réponds sont convenus eux-mêmes que les événements
auxquels je fais allusion étaient déplorables, et qu’il fallait en désirer la
prompte répression.
Mais, à en croire l’honorable M. de Foere,
ma proposition, si elle est admise, deviendra un antécédent dangereux dont on
pourra se repentir plus tard. Et pourquoi, messieurs ? Parce qu’à l’avenir,
l’opposition saisira toutes les occasions de parler des désordres qui auront pu
avoir lieu, dans le but de renverser un ministère. Je crois que M. de Foere
avait oublié que le ministère ne s’oppose pas à l’admission de mon amendement.
Il me semble que cette seule réflexion réfute complètement toute
l’argumentation de l’honorable membre.
On a trouvé dans les expressions dont je me
suis servi, deux griefs à m’opposer. On vous a dit qu’elles ne reproduisaient
pas textuellement le discours que j’ai prononcé ; niais si vous voulez que dans
l’adresse se retrouve tout un discours, elle sera singulièrement longue,
surtout si ceux des honorables collègues qui ont proposé des amendements doivent
aussi y faire entrer ces discours que vous avez entendus. Alors ce n’est plus
une adresse que nous offrirons à S. M., c’est un volume, tout un volume à la
place de quelques lignes qui doivent être simples et vraies.
Maintenant, messieurs, je regrette de le
dire, mais je n’ai pu saisir quel a été le but du discours de l’honorable M. de
Robiano. Il trouve comme nous qu’une répression énergique des désordres est
nécessaire ; mais il ajoute que nous devons faire nos affaires par nous-mêmes,
Ici, je l’avoue, malgré toute l’attention que j’ai pu donner à cette partie du
discours de l’orateur, je n’ai pu la comprendre. Comment veut-il donc que nous
fassions nos affaires ? Ce n’est pas à nous à faire justice ; nous ne pouvons
traduire les coupables à la barre ; que pouvons-nous donc ? rien, qu’adresser
au gouvernement et à son chef des paroles exprimant le besoin que tous les
moyens suggérés par les lois soient employés pour réprimer les excès, Car je ne
pense pas que les lois sous l’empire desquelles nous vivons soient
insuffisantes, et qu’il faille en proposer nouvelles.
En terminant, messieurs, je me trompe fort,
ou la chambre a déjà manifesté l’intention de se rallier à un amendement auquel
le membre n’a pas cru devoir refuser son adhésion.
Nombre de voix. - La clôture ! la clôture
!
M. de Robiano. - Je demande que dans l’amendement de M. de Brouckere on substitue les
mots de quelques villes, à ceux de plusieurs villes qui s’y trouvent…
M. le président. - Les changements qui ne portent que sur la rédaction pourront toujours
avoir lieu. (Oui ! oui ! Aux voix !)
- L’amendement de M de Brouckere
sous-amendé par M. Dellafaille est mis aux voix.
MM. les ministres et une grande partie de
l’assemblée se lèvent pour : il est adopté.
Paragraphes 4 et 5
La chambre adopte ensuite sans discussion
les paragraphes suivants du projet de la commission :
« Nous nous félicitons d’apprendre
qu’eu égard à la position de
« La chambre des représentants, Sire,
est animée du vif désir de concourir, avec le gouvernement de Votre Majesté, à
tous les moyens qui tendront au développement de l’industrie du pays et à
l’extension de son commerce. »
Le paragraphe suivant du même projet est
ainsi conçu :
« Nous apprenons avec satisfaction que
déjà des stipulations favorables à une branche importante de notre industrie
ont été obtenues, et que nous pouvons espérer des résultats heureux des
négociations entamées, dans le même but, avec
M. le président. - M. Gendebien propose de le remplacer par le
suivant : « Nous apprenons avec satisfaction que les changements faits au
tarif des douanes des États-Unis sont favorables à une branche importante de
notre industrie, et que nous pouvons espérer des résultats heureux des
négociations entamées, dans le même but, avec
M.
Gendebien. -
Je pense que de longs développements ne sont pas nécessaires pour appuyer mon
amendement. Il est certain que les Etats-Unis d’Amérique, grâce à la forme
économique de leur gouvernement, sont parvenus en peu d’années à payer une
dette que l’on pouvait considérer comme immense, et qui avait été contractée
pour secouer le joug de l’Angleterre. Aujourd’hui leur prospérité est telle
qu’ils peuvent réduire leurs revenus à peu de chose. Aussi ils ont aboli les
droits de douanes en totalité sur certains objets, et maintenu une partie des
droits seulement pour quelques objets de fabrication extérieure, dans le but de
favoriser ceux de fabrication intérieure. C’est là une mesure toute
d’administration, une loi du pays dans laquelle nous ne sommes intervenus pour
rien ; dès lors vous sentez combien il serait inconvenant (je me sers de cette
expression-là pour en éviter une qui le serait plus peut-être) de nous
constituer, vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Europe, dans une apparence de
duperie et de gloriole tendant à faire croire que des stipulations ont été
obtenues. Je le répète, ce n’a été de la part des Etats-Unis qu’une mesure
d’administration intérieure, à laquelle nous n’avons concouru en rien. Je crois
que mon amendement rétablit toute la vérité, et il convient toujours d’y
rester.
M. le ministre de l’intérieur
(M. Rogier) -
Ce qu’il importe pour la chambre, c’est que les stipulations favorables aient
été prises par les Etats-Unis en faveur d’une branche de notre industrie. Là
est le point important de la question. Si M. Gendebien veut absolument que
notre agent ne soit pour rien dans les modifications favorables dont il s’agit,
libre à lui de le penser, de le dire. Libre à lui de présenter telle rédaction
qui enlève à notre envoyé ce que nous regardons comme une justice rendue à son
activité. Nous avons la conviction que votre agent a été utile, et nous l’avons
déclaré. Mais nous n’exigeons pas que vous lui rendiez hommage en vous servant
du mot stipulations. Nous n’avons aucun motif de nous opposer à l’amendement de
M. Gendebien.
M. Dumortier. - Il n’est plus question de négociations, puisque
des négociations n’ont pas eu lieu en effet. Mass on aurait dû tout d’abord ne
pas se servir d’une expression si peu convenable. Il va résulter que l’adresse
ne sera pas d’accord avec le discours qui a été prononcé. Si les ministres
avaient eu bien à cœur la dignité royale, ils ne se seraient pas permis une expression
si peu convenable.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Nous sommes toujours reconnaissants, lorsque
l’opposition veut bien nous indiquer ce qu’il convient de faire dire au Roi. Si
nous avons employé le mot stipulations, c’est que, dans notre pensée (et vous
nous laisserez bien, j’espère, cette liberté-là), notre agent avait contribué
réellement à amener des stipulations. Vous pouvez ne pas trouver l’expression
convenable, et l’honorable préopinant, qui a beaucoup plus de facilité sur ce
point que les ministres, en aurait peut-être trouvé une autre.
Quant à nous, nous avons mis dans le
discours du trône ce qui était dans la pensée du ministère. Si vous ne partagez
pas sa pensée, retranchez le mot, mais nous devons le maintenir comme
expression de la vérité.
M. Gendebien. - Il faudrait le prouver. (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement de M. Gendebien est mis aux
voix et adopté. Il remplacera le cinquième paragraphe du projet de la commission
auquel il se rapportait.
Paragraphe 7
Le paragraphe suivant du projet de la
commission est ensuite adopté sans opposition :
« Les députés de la nation, Sire,
donneront tous leurs soins aux améliorations intérieures du pays. Le projet de
grande communication de la mer et de l’Escaut à
M. le président. - MM. Fallon et Dubus présentent ici un paragraphe
additionnel ainsi conçu :
« Elue par les suffrages libres du
peuple, la chambre des représentants se montrera, comme la chambre dissoute,
gardienne des libertés que la constitution a garanties, dévouée à la patrie et
au Roi que la nation s’est choisi.
« Pleine de confiance dans l’attachement
sincère de Votre Majesté à nos institutions, la chambre sait qu’elle a le droit
de compter sur une entière indépendance d’opinion pour tous ses membres, et
Votre Majesté peut compter aussi que tous, quelles que soient les autres
fonctions qu’ils occupent, feront leur devoir de bons et loyaux députés. »
M. Fallon. - Messieurs, le premier paragraphe de l’amendement
qui vous est présenté, est relatif à des événements sur lesquels il est utile
d’appeler votre attention ; je crois qu’il est suffisamment démontré que la
chambre à laquelle nous succédons n’a pas cessé de faire preuve de dévouement
au pays. Si vous partagez cette opinion, vous ne trouverez aucun inconvénient à
adopter la première partie du paragraphe, qui a pour objet de payer un tribut
de reconnaissance à la chambre passée, pour tous les services qu’elle a rendus.
La deuxième partie se rapporte à d’autres faits ; mon honorable collègue M.
Dubus s’est chargé de la développer, s’il en était besoin, devant vous.
M. Dubus. - Messieurs, les développements dans lesquels je
suis entré, il n’y a pas encore longtemps, me dispensent d’en donner de
nouveaux aujourd’hui. Tous les membres qui y ont assisté, auront déjà bien
compris toute la portée de l’amendement que nous vous proposons d’insérer dans
l’adresse.
On a singulièrement dénaturé mes paroles
dans les réponses que l’on a prétendu faire à ce que j’ai dit. Là, et la
chambre a pu le remarquer, j’avais fait de larges concessions, concessions sans
lesquelles l’administration ne pourrait pas marcher ; mais c’étaient les
seules. J’ai été bien loin de soutenir que toute destitution donnait le droit
de mettre le ministre en cause ; j’ai, au contraire, formellement
avoué la thèse opposée. La doctrine contre laquelle je me suis élevé, c’est
celle qu’ont émise à la tribune MM. les ministres et d’où il résulterait que
les fonctionnaires ont à suivre la même ligne politique que le ministère, à
suivre l’ordre qui leur est tout tracé par lui, sous peine de destitution ;
voilà ce qui résulte directement des discours ministériels ; voilà les
principes contre lesquels je me suis élevé. Je ne rentrerai pas dans les
arguments qui ont été présentés de part et d’autre, mais il me semble que les
discours du ministère, tout en reconnaissant l’utilité, la nécessité même de la
coopération des fonctionnaires dans cette chambre, ont rendu leur fonction
fâcheuse et difficile. Il est donc nécessaire qu’il concoure avec nous à les
tirer de cette funeste situation, à les réhabiliter en quelque sorte.
M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Dans la discussion des divers amendements qui ont été distribués dans
la séance de ce jour, le gouvernement s’est montré animé de l’esprit de
conciliation qu’il croit utile aux intérêts du pays. Mais il est un terme où
doivent s’arrêter les facilités qu’il voudrait toujours apporter dans ses
rapports avec les représentants de la nation, c’est lorsque le sentiment du
devoir, toujours supérieur aux préoccupations de sa position personnelle, parle
à sa conscience. Le gouvernement ne peut voir d’autre pensée, dans l’amendement
qui vous est soumis, que de jeter un blâme formel sur un acte émané de la prérogative royale. Son
devoir est de veiller à ce qu’il n’y soit porté aucune atteinte. Ce devoir il
le remplit à ses risques et périls, et c’est lui qui lui commande de s’opposer
de toutes ses forces à l’adoption de l’amendement qu’on vous propose.
M. Dumortier. - De toutes les discussions qui ont eu lieu à
l’occasion du projet d’adresse en réponse au discours du trône, il n’en est pas
une qui, dans cette chambre et au-dehors, ait excité une plus vive sympathie
que celle relative aux destitutions brutales de fonctionnaires siégeant dans
cette enceinte ; il n’en est pas qui ait excité une sympathie plus vive que
celle par laquelle nous avons repoussé cette doctrine subversive, liberticide,
qui tend à fonder la servilité des fonctionnaires par la corruption et le
déshonneur. Vous avez dû être singulièrement étonnés d’entendre, deux années
seulement après une révolution glorieuse, préconiser les destitutions comme
moyen de gouvernement, d’entendre les conseillers de la couronne déclarer
ouvertement aux fonctionnaires qui siègent dans cette enceinte, qu’il faut se
retirer ou obéir.
Ah ! de semblables paroles, on les eût
expliquées, comprimées il y a deux ans, alors qu’une majorité hollandaise
voulait pressurer
Vous invoquez la responsabilité
ministérielle et les prérogatives royales eh ! mon
Dieu, qui vous conteste tout cela ? Nous vous l’avons déjà dit, si un
fonctionnaire compromet votre responsabilité en violant la loi, destituez-le,
c’est votre droit et votre devoir. Si un fonctionnaire public se refuse d’exécuter
les lois et les arrêtés légaux, destituez-le encore. Mais lorsqu’il refuse de
se faire le vil exécuteur de vos caprices et de vos volontés, lorsqu’il vote
librement comme représentant du pays et que vous le destituez, alors vous
établissez manifestement la tyrannie sur les ruines de la liberté ; alors aussi
vous vous retranchez dans la prérogative royale. Eh quoi ! ne
voyez-vous pas que vous vous mettez en contradiction avec vous-mêmes ? Si nous
vous reprochons de destituer brutalement des fonctionnaires qui n’ont jamais
forfait à leur devoir, vous invoquez la responsabilité ministérielle, et
lorsqu’on vous attaque à propos de cette responsabilité, alors vous vous
retranchez derrière la prérogative royale. Cercle vicieux, misérable, dans
lequel est condamné à tourner tout ministère qui s’est écarté des principes de
l’indépendance et de la liberté.
D’ailleurs, pénétrez-vous bien de cette
vérité, ce n’est pas par des coups d’Etat, par des destitutions, par la
violence que vous environnerez le trône du respect de la nation. Voyez
Mais voici qui prouve jusqu’à l’évidence la
fausseté de votre doctrine. Lorsque le congrès formula le serment des
fonctionnaires, entra-t-il dans son idée de leur faire jurer sur l’honneur
obéissance servile aux ministères ? Non, il leur prescrivit obéissance à la
loi, exécution de la constitution que nous avons tous jurée ; et maintenant
vous voudriez substituer vos exigences à la pensée, aux vœux du peuple belge ?
Effacez donc le serment des fonctionnaires, ou demandez qu’on en formule un
autre. Osez avoir la franchise de demander une loi qui change le serment des
fonctionnaires publics, nous verrons si nous devons vous l’accorder.
On a parlé de l’obéissance que doivent les
procureurs généraux. Messieurs, je n’ai pu voir là qu’une menace contre les
membres qui, dans cette assemblée, font partie du parquet dont M. le ministre
de la justice s’est déclaré le chef ; mais, puisqu’on a cité des exemples, je
vous le demande, si notre digne président ne voulait pas souscrire à vos
caprices, s’il refusait de violer le règlement dans un intérêt purement
ministériel, n’est-il pas vrai qu’alors, si vos principes sont vrais, vous
auriez le droit de le destituer des fonctions honorables qu’il accepta aux
grands jours du danger ? (Rires derrière
le banc des ministres.) Riez, mais je vous défie de me répondre. Voila en
effet votre doctrine dans toute sa vérité avec toutes ses conséquences.
Et que diriez-vous, messieurs, si demain un
ministre, voulant subjuguer la conscience des fonctionnaires, venait vous présenter
un projet de loi ainsi conçu :
« Considérant que tout gouvernement
représentatif est le gouvernement des majorités ; » et c’est ce qu’a dit
M. le ministre de la justice.
« Considérant que dans un gouvernement
représentatif le ministère représente la majorité parlementaire ; » et
c’est encore ce qu’à établi M. le ministre de la justice.
« Considérant que dès lors le devoir
des fonctionnaires publics est de prêter leur appui au ministère,
« Nous avons statué et statuons :
« Tout fonctionnaire qui ne votera pas
avec le ministère sera passible de destitution. »
Voilà, messieurs, toute la doctrine
ministérielle formulée en loi. Eh bien ! je vous le
demande, si un ministère, quel qu’il fût, venait à cette tribune présenter un
pareil projet, n’est-il pas vrai qu’un houra
universel d’indignation accueillerait le ministre tyrannique qui voudrait ainsi
subjuguer la conscience du députe ? Voila cependant, messieurs, où tend le
système du ministère. Si vous avez foi en votre système, osez donc nous
proposer franchement une loi pareille à celle que je viens de formuler. Quant à
moi, messieurs, je le déclare, si la chambre avait assez de faiblesse pour
rejeter l’amendement qui lui est soumis, je viendrais moi-même vous présenter
ce projet, et l’on verrait alors s’il existe en Belgique une chambre pour
l’accueillir.
Le but des ministres m’est à moi
parfaitement connu. De crainte de se retirer, ils ont donné l’exemple d’un
grand scandale politique. Ils ont renvoyé des hommes qui, dans toutes les
circonstances, avaient secondé le gouvernement. Ils ont sacrifié la nation
elle-même, et il faut maintenant qu’ils sacrifient la conscience des
fonctionnaires à leur acharnement au pouvoir.
Et lorsqu’aujourd’hui
ils viennent vous déclarer ouvertement qu’ils entendent destituer tout
fonctionnaire qui votait consécutivement contre divers projets du gouvernement,
lorsque surtout ils menacent de destitution tous ceux qui votaient contre eux
dans les grandes circonstances et dans les questions politiques, je le déclare,
ces paroles s’adressaient aux fonctionnaires qui siègent dans cette enceinte,
et c’est la menace à la bouche que le ministre est entré au milieu de nous. En
présence de telles atteintes à la liberté du député, les représentants de la
nation ne doivent-ils pas exprimer énergiquement leur volonté de maintenir
l’indépendance de la représentation nationale ?
Pour
moi, messieurs, je le déclare à la face de la nation, après toutes les menaces
de destitution dirigées contre les fonctionnaires, lorsqu’on a fait de leur
approbation au système ministériel une condition d’existence, s’il s’en
trouvait quelqu’un disposé à voter pour ce système liberticide, à enchaîner sa
pensée, à la vendre au ministère, je le déclare à la face de la nation, je ne
saurais m’empêcher de penser qu’il serait mu par la pensée d’une destitution. (Applaudissements.)
M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole
dans cette discussion déjà assez longue par les incidents de toute nature qui
l’ont traversée ; mais, comme une question principale la domine dans ce moment,
que la chambre semble partagée par plus d’un doute sur celle de la position
constitutionnelle des fonctionnaires de la chambre, et que de la solution de
cette question dépend à mes yeux le salutaire établissement du pouvoir ou son
renversement, je crois devoir combattre le système qu’on préconise de
l’indépendance absolue des agents du pouvoir en tant que députés de la nation.
D’abord, je soutiens qu’en principe général
un ministre ne doit à la chambre aucun compte des motifs de la destitution d’un
fonctionnaire public ; que le même droit qu’il possède de nommer lui donne
aussi celui de destituer ; qu’aucun tribunal ne peut être appelé à juger de l’équité
d’une démission. Les militaires seuls sont à l’abri de cette action directe du
pouvoir, et d’après l’art. 124 de la constitution, une loi doit régler la
privation des grades et des honneurs. Les juges sont aussi placés dans une
autre sphère ; mais un ministre responsable de la bonne administration du pays
peut organiser et changer ses administrateurs comme il l’entend ; il répond
devant nous des résultats de sa gestion et non des instruments qu’il a
employés, car il serait par trop injuste de lui demander qu’il fasse bien, tout
en exigeant qu’il conserve les agents qui font mal à sa manière, qui le
traversent dans l’impulsion qu’il croit devoir donner aux affaires publiques,
qui peuvent à chaque instant le gêner dans l’exécution d’un système quelconque
dont lui seul est responsable ; ce serait là vouloir de la liberté pour tout le
monde, hormis pour les ministres ; ce serait là, en voulant fonder un
gouvernement, organiser l’anarchie. Ainsi donc, en règle générale, un ministre
doit posséder la libre disposition de ses agents.
Si un fonctionnaire se croit injustement
renvoyé, comme citoyen le droit de pétition lui reste. Les chambres jugent de
la valeur de sa réclamation et le
ministre y répond s’il le croit convenable. Si les arrêtés de destitution se multiplient,
s’ils se convertissent en actions brutales et passionnées, si un ministre, au
lieu d’exercer sagement le pouvoir, en abuse, l’initiative reste à chaque
membre de le mettre en accusation, outre la faculté générale de rejeter son
budget. Ces deux grands obstacles suffiront bien pour arrêter tout excès.
Mais on soutient qu’un fonctionnaire-député
ne peut être recherché quant à son vote à la chambre, quant à l’opposition
constante qu’il manifeste contre le gouvernement. Là, dit-on, il n’est plus fonctionnaire,
il n’est que député. D’abord j’avouerai, messieurs, que j’ai toujours eu
beaucoup de peine à reconnaître ainsi deux individualités dans un représentant,
à distinguer l’impulsion qui fait agir un orateur quand il prétend parler comme
député, ou bien comme fonctionnaire, et même comme ministre.
Je crois que l’homme est toujours animé des
mêmes passions ou des mêmes vertus, qu’il ne lui est pas possible de se
substituer ainsi à lui-même dans telles circonstances voulues, d’embrasser à
jour fixe le rôle de défenseur du pouvoir ou des intérêts populaires, d’avoir
enfin deux opinions ; je crois que s’il veut le bien de son pays, il doit
toujours vouloir de la même manière et dans un même but. De là découle le
principe qu’étant fonctionnaire et devenant député, il doit suivre en général
le système gouvernemental du ministère en vigueur, car ses mandants l’ont ainsi
voulu en le choisissant. Les électeurs trouvent bon le système qui les régit et
dont le fonctionnaire public n’est que le représentant, comme en nommant un
ministre député, ils l’engagent à continuer sa marche politique. S’il en était
autrement, on arriverait à cette conclusion singulière qu’un député, quoique
ministre, peut avoir deux consciences et qu’il doit parfois combattre son
propre ouvrage et voter contre son système.
Je ne pose point ici, messieurs, des
principes rigoureux ; je ne veux point dire qu’en règle stricte tout
fonctionnaire public doit dans tous les cas voter avec le ministre. Un
dissentiment d’opinion sur des lois spéciales et secondaires est sans doute
facultatif. Je ne parle que d’une opposition constante à la marche du
gouvernement, opposition dont le triomphe serait de mettre en question
l’existence du ministère et souvent celle du gouvernement lui-même. Il n’y a
rien d’arbitraire dans cette distinction, et si elle gêne la conscience d’un
député, la liberté lui est acquise là comme ailleurs de refuser la place de
député, ou de résilier celle de fonctionnaire public. Du reste, je le répète,
nous ne sommes pas dans un pays et sous une constitution où l’arbitraire puisse
jamais faire de grands progrès. On trouvera toujours de bons citoyens pour y
mettre un frein, et j’en réponds pour mon compte.
Une dernière considération qui doit nous
engager plus que toute autre à ne point dénier au pouvoir la libre disposition
de ses fonctionnaires, et surtout celle des gouverneurs et des commissaires de
district, c’est la facilité que par leur influence locale ces mêmes
fonctionnaires possèdent de se faire élire députés. Par leurs relations
fréquentes avec les administrations communales, ils peuvent agir avec bien plus
d’avantages dans les luttes électorales, et ces facilités d’élection qu’on ne
peut nier, ces avantages qu’ils ont pour ainsi reçus du ministre, ils
pourraient s’en servir contre le ministère lui-même, ils pourraient faire de la
popularité tout en recevant un salaire de l’Etat, ils jouiraient des bénéfices
de l’une et de l’autre position. La partie ne serait point égale, et il est
juste que, pour les rendre en quelque sorte plus indépendant d’opinion, le
pouvoir puisse au besoin les éloigner.
Un député, en attaquant le ministère, a
énoncé le désir que la chambre se remplît de fonctionnaires habiles pour la
bonne confection des lois, mais que pour cela le ministère ne devait point les
effrayer par des démissions.
Je crois
aussi, messieurs, qu’il est important, pour faire de bonnes lois, de posséder
des citoyens qui se connaissent à les faire ; mais je suis persuadé qu’il est
plus important encore de ne point mêler les trois pouvoirs, de ne point
transporter dans la puissance législative les premiers éléments de l’exécutive
; ce qui arriverait infailliblement, si la chambre se composait d’un grand
nombre d’employés ; cette chambre perd alors le caractère qui lui est propre et
qui est tout populaire. Les lois qu’elle élabore semblent toujours influencées
par d’autres intérêts que les siens, et la considération qui doit les
environner subit une marquante diminution. Mais, si je suis jaloux de la
position indépendante et des prérogatives de la chambre envers le pouvoir, je
veux aussi éviter qu’elle empiète sur ce pouvoir, soit par une action directe,
soit par un blâme déguisé, et c’est dans cette opinion que je voterai contre le
deuxième paragraphe de l’amendement proposé.
M. Dubois. - Messieurs, la seconde partie de l’amendement de
MM. Fallon et Dubus a été dictée par la destitution de deux de nos honorables
collègues, et vous a été présentée à l’occasion des doctrines émises par le
ministre. Remplissant moi-même les fonctions qu’exerçaient ceux de nos
collègues qui ont été destitués, j’ai cru que je ne devais pas voter simplement
par assis et levé, mais dire franchement ce que je pense de cette doctrine et
de ses conséquences. Là-dessus, je ne veux ni ne dois me récuser. Heureusement
que l’amendement a écarté toute question personnelle, surtout lorsqu’il
s’agissait de deux honorables collègues dont je n’ai jamais cessé d’estimer le
caractère, et dont je ne me permettrai jamais de contrôler la conduite
politique et administrative. Ce que j’avais à dire m’a semblé très délicat, et
j’ai dû écrire quelques notes, afin d’éviter de ne pas rendre exactement ma
pensée par mes paroles.
Messieurs, s’il était vrai, comme on l’a
prétendu ici, que le ministère eût tellement généralisé ses doctrines qu’il les
appliquait indistinctement et avec une égale force à tout fonctionnaire
amovible ; s’il était vrai que la susceptibilité de ces doctrines est telle
qu’elle ne permette plus au député fonctionnaire de penser autrement que le
ministère, de voter autrement que lui, de n’exprimer dans cette chambre d’autre
opinion que la sienne, en un mot de renfermer ses idées politiques et
administratives dans le cercle qui lui aura été tracé, alors je conviendrais
que ce serait mettre le fonctionnaire entre ses fonctions et sa conscience, que
ce serait l’humilier, que ce serait attenter à la liberté de sa pensée, à sa
dignité d’homme... En souscrivant à l’amendement, je repousserai de tout mon
pouvoir une théorie stupide et avilissante.
Mais, messieurs, telle n’est pas la pensée
du ministère. Ceux qui auront lu froidement et sans passion le discours de M.
le ministre de l’intérieur y auront vu deux choses.
La première est qu’il établit une
distinction essentielle entre les fonctionnaires. Il en est, dit-il, qui,
recevant l’impulsion du ministère, sont particulièrement tenus de le seconder
et de suivre sa pensée politique. Il en est d’autres, placés en-dehors de
l’action politique du gouvernement, dont il ne doit exiger que zèle et
capacité.
Je vous le demande, messieurs, ces termes
ne sont-ils pas assez clairs ? Ne doivent-ils pas tranquilliser le
fonctionnaire qui est plus ou moins éloigné, ou qui est entièrement en dehors
de l’action politique du gouvernement, le fonctionnaire qui par la nature de
ses fonctions ne doit pas, de retour parmi ses administrés, mentir à sa
conscience en dissimulant sa pensée ? Non, messieurs, celui-ci n’a rien à
craindre pour sa place ; il n’a rien à redouter de l’anathème ministériel.
Une autre chose, messieurs, également
remarquable dans le discours que je cite et qu’il est inutile d’appuyer par des
citations, car elle y reparaît à deux ou trois reprises, c’est qu’il est bien
entendu et formellement exprime qu’au-delà de tout vote destructif de l’indépendance
du gouvernement et des conditions de son existence, le gouvernement ne prétend
plus porter atteinte au principe de la liberté du vote.
C’est réellement reculer les limites dans
leurs derniers termes ; et, il faut le dire, dans les circonstances actuelles,
dans un gouvernement qui n’est constitué que d’hier, chez un peuple qu’il faut
habituer à nos nouvelles lois, à nos nouvelles institutions qu’il faut
nationaliser ; avec une constitution où est écrite la responsabilité
ministérielle, un fonctionnaire politique qui, dans son âme, a cru qu’en fidèle
mandataire de la nation il doit se montrer systématiquement adversaire d’un
pouvoir à son idée hostile au pays, d’un pouvoir qui rêve son anéantissement ou
qui marche aveuglément vers sa ruine ; un pareil fonctionnaire, dis-je, doit
savoir donner sa démission ou l’accepter sans murmurer. Il se le doit à lui ;
il le doit au gouvernement.
Messieurs, ces principes sont les miens ;
je saurai les suivre sans en redouter les conséquences. Je le déclare à la
chambre, je le déclare à la nation, et je m’empare de cette circonstance pour
déclarer solennellement à mes mandataires ce que d’ailleurs je leur ai répète
plus d’une fois. Il serait trop long d’énumérer les fonctions auxquelles se
rattache un caractère parlementaire ; il serait encore plus long, même
impossible, d’établir exactement leur importance.
Mais je ne puis laisser sans réponse une
assertion émise dans une séance précédente par l’honorable député de Tournay,
d’autant plus qu’elle n’est pas étrangère à l’une des causes qui ont dicté cet
amendement.
Un commissaire de district n’est pas un
homme politique, dit-il ; il ne conçoit l’application de ces principes que pour
un secrétaire des affaires étrangères.
Cette exception me semble vraiment
singulière ; et je ne puis pas me défendre de quelque surprise de la voir posée
par un honorable collègue aussi logique et aussi sérieux que M. Dubus.
Quoi ! Il n’y aurait d’hommes
politiques après les ministres que le seul secrétaire du ministre des affaires
étrangères ? Et les autres secrétaires généraux, s’il vous plaît ?
Celui des finances, par exemple ? M. Dubus croirait-il que le gouvernement
doit maintenir dans ses fonctions un député, secrétaire général des finances,
qui dans cette chambre se déclarerait systématiquement son adversaire eu égard
à la politique en général ou plus spécialement parce qu’il croirait s’être
aperçu que dans l’administration de ses finances le ministère écrase le pays et
le mène à sa ruine ? Je ne puis le croire, car M. Dubus sait trop bien
quelle funeste influence un pareil homme pourrait exercer sur notre crédit.
J’ajouterai en passant que cette assertion
de M. Dubus renverse entièrement le système d’inamovibilité des fonctionnaires-députés, que deux de nos honorables
collègues ont puisé dans l’article 44 de notre constitution.
Enfin, un commissaire de district est-il un
homme politique ? Messieurs, ou bien je me suis toujours trompé sur la
nature de mes fonctions, et nous ne sommes plus qu’une machine transmissive de
quelques circulaires du gouvernement, notre bureau n’est plus qu’un bureau de
petite poste ; ou bien il faut reconnaître qu’un caractère politique se
rattache à notre administration. En France, le caractère politique du préfet et
du sous-préfet ne fait pas question.
M. Dubus n’a pas assez apprécié
l’importance de nos fonctions.
Pour vous traduire ma pensée à leur égard,
je m’empare des expressions d’un de nos honorables collègues de district de
Verviers.
Dans la séance du 15 avril
« Les commissaires de district ont été
traités, par certaines sections, avec une légèreté qui prouve qu’on n’apprécie
pas assez la nature et l’étendue de leurs fonctions. Lorsque la loi sur
l’organisation provinciale sera soumise à vos délibérations, je prouverai
qu’organe d’information, de transmission et de surveillance, le commissaire de
district est le guide des autorités municipales, la lumière des gouverneurs, et
non la créature, mais un des agents le plus utile et le plus actif du
gouvernement.
« Dans l’ordre hiérarchique, le
commissaire de district occupe un des premiers rangs, puisqu’il a le pas sur le
président du tribunal de première instance ; mais, dans la rétribution du
salaire, il est traité en bâtard. »
Je pourrais développer plus longuement le caractère
et les relations politiques qu’a ce fonctionnaire avec le gouvernement et avec
ses administrés. Mais la chose est trop évidente, et si je voulais en appeler
aux membres du gouvernement provisoire qui sont encore présents dans cette
assemblée, je leur demanderais si c’était simplement pour changer de
correspondants et d’expéditionnaires qu’aussitôt à leur entrée au pouvoir ils
destituèrent en masse les gouverneurs et les commissaires de district, pour les
remplacer par d’autres, amis et zélés défenseurs d’un nouvel ordre de choses.
Ils ne se hâtèrent pas tellement dans le remplacement d’autres fonctionnaires.
Messieurs, je vous dirai en terminant que,
dans tout ce qui précède, je n’ai eu en vue aucun de mes collègues ; qu’à moins
d’y être forcé, je m’abstiendrai toujours de contrôler leur conduite
parlementaire ou administrative ; que je n’ai donc pas de récriminations contre
eux. Seulement, j’ai tâché d’établir, pour défendre la doctrine de M. le
ministre de l’intérieur, ces deux choses : qu’un ministère responsable doit
avoir une action libre et forte à l’égard de ses agents, et que, parmi ces
agents qui reçoivent l’impulsion du gouvernement la plus directe, on peut
ranger les commissaires de district auxquels je reconnais en même temps un
caractère administratif et politique.
C’est le
résumé de mon opinion. Il est inutile d’ajouter, messieurs, que je voterai
contre tout amendement qui tendrait à flétrir et à déconsidérer cette doctrine.
M. Devaux. - Je me propose de parler contre l’amendement ;
mais après l’orateur qu’on vient d’entendre, si, quelqu’un veut soutenir
l’amendement, il est naturel qu’on lui accorde la parole.
M. Dubus. - Messieurs, je considérais cette question comme
épuisée ; il paraît qu’on veut y rentrer pour répéter seulement les arguments
que vous avez entendus il y a très peu de temps, et sans y ajouter la moindre
considération. Ces arguments sont présentés dans le même système : on dénature
toujours ce que l’on veut réfuter. M. le ministre de la justice avait débuté
par là dans le discours qu’il a prononcé à l’ouverture d’une séance précédente.
Il m’a reproché d’avoir admis une exception à l’art. 44 de la constitution à
l’égard du secrétaire-général des affaires étrangères, et précisément je n’ai
rien dit de cela. J’ai posé en principe qu’un ministre pouvais destituer un
fonctionnaire dans l’ordre administratif lorsqu’il le reconnaissait peu
capable, lorsqu’il ne méritait pas ou ne justifiait pas la confiance qu’on lui
accordait.
Voilà ce que j’ai d’abord dit, et je n’ai
point invoqué généralement l’article 44.
J’ai dit ensuite que si la thèse
ministérielle était vraie, la chambre pouvait s’occuper des destitutions
lorsqu’elles étaient nombreuses et qu’elles accusaient une tendance dans
l’action du gouvernement. En second lieu, j’ai soutenu que la chambre ne
pouvait se taire lorsque le ministre venait déclarer à la chambre : J’ai
destitué tel fonctionnaire parce qu’il a fait une opposition permanente au
gouvernement. J’ai montré que cette doctrine menaçait tous les fonctionnaires
qui font partie de l’assemblée, que c’était attaquer la conscience du député.
Ce que j’ai annoncé à cet égard est vrai, et chaque fonctionnaire qui siège
parmi nous a pu se sentir blessé au cœur par la manifestation de la doctrine
ministérielle. Voilà pourtant ce à quoi on n’a pas jugé à propos de répondre,
et voilà ce à quoi l’honorable député, commissaire du district de Furnes, n’a
pas répondu non plus.
J’ai rappelé les objections faites par M.
le ministre de l'intérieur, qui avait allégué, pour justifier les destitutions,
que le gouvernement doit s’entourer d’hommes qui partagent ses vues politiques.
Je me suis demandé si un commissaire de district pouvait avoir des vues
capables de soutenir le ministère dans son action. J’ai répondu que non, et
vous répondrez tous de même. Le commissaire de district est chargé de
l’exécution des lois, des arrêtés, et point de la marche du gouvernement dans
ses relations extérieures ; ce serait une plaisanterie de soutenir le
contraire.
On a prétendu que les commissaires de
district doivent diriger l’esprit public ; c’est là le système du gouvernement
déchu, système qui a été considéré comme étant aussi odieux que l’inquisition
catholique sous Philippe II. Ce n’est pas ainsi qu’on
fera aimer le gouvernement dans les provinces ; ce n’est pas en réveillant de
pareils systèmes qu’on obtiendra l’affection des peuples.
J’ai examiné en général si l’on pouvait
comparer un commissaire de district à un secrétaire-général des affaires
étrangères ; mais je n’ai pas examiné si l’article 44 de la constitution était
applicable à l’un ou à l’autre. Je prétends qu’il est applicable à tous deux.
Vous ne pouvez pas dire que vous destituez un fonctionnaire pour des votes émis
dans la chambre, parce que vous attaquez l’indépendance du député, parce que
vous attaquez la dignité de la chambre.
Je soutiens que par vos doctrines vous êtes
en contradiction avec l’art. 44 de la constitution, car cet article est général
dans ses dispositions. Eût-on quelque répugnance à entendre cet article dans le
sens le plus absolu, encore faudrait-il l’entendre comme il est écrit, car rien
n’est plus respectable et ne doit être plus respecté qu’un article de
constitution ; tout système d’interprétation de la loi fondamentale doit être
repoussé.
On a cherché à représenter la doctrine
ministérielle comme moins mauvaise qu’elle n’est ; on a fait des distinctions
dont les limites n’ont pas été posées, distinctions par lesquelles on pourrait
destituer pour certains votes et point pour d’autres : de pareilles
distinctions ne peuvent se soutenir. Le ministère a accordé qu’il fallait avoir
de l’indulgence pour des votes isolés, des dissidences passagères, mais qu’il condamnait
pour les votes sur les questions fondamentales ou pour les votes qui
supposeraient une opposition permanente. Rappelons-nous encore que le ministre
s’est comparé à un général qui a besoin, pour gagner la bataille, que ses
soldats ne se tournent pas contre lui ; le député fonctionnaire qui vote contre
le ministre est dans le cas du soldat qui tournerait ses armes contre le
général ; voilà la doctrine ministérielle.
L’honorable
député auquel je réponds vous a fait remarquer que l’amendement écartait toute
question personnelle.
Cet amendement se renferme dans ce que la
chambre se doit à elle-même ; à ce qu’elle doit à ses membres qui sont
fonctionnaires ; à ce que les députés se doivent à eux-mêmes. La chambre a le
droit de protester pour l’indépendance de ses membres ; elle a droit de
protester que tous les députés doivent se conduire loyalement, selon
l’impulsion de leur conscience, et non selon d’autres impulsions.
M. Devaux. - Messieurs, je m’estime heureux qu’il n’y ait pas
de doute sur le sort de l’amendement proposé ; je m’estime heureux que les deux
paragraphes de cet amendement aient une acception nette. Il est bien convenu,
entre tous les orateurs qui ont été entendus, que le premier a pour but de
blâmer l’acte de dissolution de la chambre, que le deuxième a pour but de
blâmer les révocations dont il s’est agi dans cette discussion.
M. Dubus. - Non ; c’est pour blâmer la doctrine émise par le
ministère sur la liberté des votes.
M. Devaux. - J’examinerai les deux points ; j’examinerai s’il
convient de blâmer la dissolution de la chambre, et s’il convient de blâmer la
révocation ou la doctrine sur la révocation des fonctionnaires députés.
Messieurs, j’ai le regret qu’un orateur,
auteur de l’amendement, ait qualifié la dissolution de la chambre de coup
d’Etat : je crois qu’à cet égard il ne peut y avoir qu’un avis dans la chambre
; que, quelque opinion qu’on ait sur la dissolution, on doit la considérer
comme un acte légal, constitutionnel ; par conséquent, elle n’est pas un coup
d’Etat. Il est dangereux de se servir de pareilles qualifications à pure perte
; il est dangereux de familiariser le public avec de semblables mots en les
appliquant à des actes légaux.
La dissolution de la chambre, non seulement
n’est pas un coup d’Etat, mais ce n’est pas même un acte d’une haute gravité :
la dissolution de la chambre dans tout gouvernement représentatif est un acte
qui a pour ainsi dire sa périodicité naturelle ; c’est un acte auquel on
recourt dans les circonstances graves, et dans beaucoup de circonstances
douteuses.
Dans une situation où le trône voit son
ministère d’un côté appuyé unanimement dans une chambre, et où de l’autre il
voit se produire des dissidences de 42 contre 44, il était naturel que la
couronne, conseillée par ses ministres ou non conseillée, s’enquit de l’opinion
du pays.
La dissolution est un droit de la
prérogative royale auquel le gouvernement doit pouvoir recourir, non seulement
dans les cas où elle est absolument nécessaire, non seulement dans les cas où
elle serait approuvée par tous, mais encore dans les cas où il y a doute.
Chaque fois que la couronne peut douter que l’une des chambres ne représente
pas l’opinion des électeurs, il faut qu’elle ait le droit de s’assurer que ce
doute n’est pas réel.
La dissolution de la chambre n’est pas une
destitution injurieuse des membres de la chambre ; la dissolution c’est
l’interrogation faite à l’opinion électorale, c’est un appel fait à une puissance
qui est supérieure à la nôtre, à la puissance électorale. C’est cette puissance
qui décide par ses choix.
Il n’y a d’injure pour aucun membre dans la
dissolution. En effet, la dissolution nous envoie tous devant nos commettants ;
ceux qui représentent l’opinion des électeurs sont renommés, ceux qui ne
représentent pas cette opinion sont destitués par les électeurs.
Quant à moi, comme député, je me suis
réjoui de la dissolution. A entendre certains membres qui toujours parlent au
nom de la nation entière, à entendre certains journaux, l’opinion des membres
avec lesquels je vote, ne représente pas l’opinion de la nation ; j’avoue que
dans la dissolution je n’ai vu que l’occasion de recevoir un hommage qui me
flatte extrêmement, en prouvant que je partageais l’opinion des électeurs.
Je n’ai pas besoin d’examiner si c’est
l’opinion du ministère, c’est-à-dire, celle à laquelle j’appartiens, qui a
triomphé dans les élections ; je n’ai pas besoin de savoir si les opinions que
je défends sont plus fortes ou plus faibles qu’elles ne l’étaient dans la
chambre ; mais il est un fait clair, c’est que 24 membres ont été remplacés,
c’est que 24 membres nouveaux siègent dans cette chambre. Ce seul fait est la
justification de la dissolution : oui, les électeurs ont déclaré qu’il fallait
que 24 membres nouveaux vinssent les représenter, que 24 membres anciens
s’éloignassent ; ainsi en a décidé la puissance qui est au-dessus de la nôtre.
Pouvons-nous blâmer la dissolution ? Blâmer
la dissolution ; ce ne serait pas blâmer le pouvoir, ce serait blâmer les
électeurs ; ce serait dire à la puissance électorale qu’elle a eu tort
d’envoyer ici 24 nouveaux députés, que les 24 anciens députés ont été à tort
écartés ; là serait l’injure, et là seulement il peut y avoir injure ; car ce
serait dire à nos collègues qu’ils ne représentent pas l’opinion du pays.
J’ai énoncé que la dissolution était un
droit auquel la couronne pouvait recourir non seulement dans les cas de
nécessité, mais encore dans les cas de doute. Eh bien ! si
une chambre, chose inouïe jusqu’ici, blâme la dissolution, qui empêchera une
autre chambre de blâmer toute dissolution et de se perpétuer ? Le droit de
blâme qu’on réclame, c’est le droit de prolonger son existence politique, et de
paralyser dans les mains du pouvoir exécutif la prérogative qu’il tient de la
constitution.
Mais, dit-on, la dissolution doit toujours
être dirigée contre la majorité ; or, la majorité n’était pas hostile au
gouvernement. C’est là une erreur. Ce n’est pas seulement contre la majorité
que doivent être dirigées les dissolutions ; je vous citerai l’exemple de
la chambre française qui a fait la révolution, et qui a été dissoute. Je
pourrais vous citer des exemples pris en Angleterre. La constitution belge n’a
pas écrit que c’était contre la majorité seulement que la dissolution devait
être dirigée, elle a écrit que dans les cas graves il fallait dissoudre.
Lorsqu’il s’agit d’un changement à la
constitution, n’avez-vous pas une disposition expresse qui dissout la chambre ?
Est-ce une injure faite à la chambre ? Non ; c’est la nécessité de consulter la
nation.
En plus d’une occasion, depuis deux ans, le
pouvoir avait des motifs de dissoudre la chambre. En présence du traité des 24
articles, il était naturel que le pouvoir demandât au pays l’expression de ses
vœux.
Que la dissolution ne nous alarme pas ; il
n’y a pas là grand danger : un ministre qui a recours à la dissolution ne me
paraît pas à craindre ; un ministre qui a recours à l’opinion générale mérite,
au contraire, quelque confiance. S’il se trompe, il y a là quelque preuve qu’il
se trompe de bonne foi. Il croit que la nation pense comme lui, et il est prêt,
dans le cas contraire, à résigner son rôle.
Si j’étais membre de l’opposition, comme je
l’étais autrefois dans d’autres circonstances, alors que le pouvoir était plus
fort qu’aujourd’hui, je n’aurais pas de plus grand désir, je ne ferais pas de
vœu plus ardent que de voir le ministère dissoudre la chambre. Si, comme
certains membres de l’assemblée, je prétendais être le représentant de l’opinion
générale, je défierais sans cesse le ministère de dissoudre la chambre.
Le ministre auquel on reproche une
dissolution peut répondre : J’ai voulu connaître l’opinion du pays ; ceux qui
s’opposent à ce qu’on la consulte sont ceux qui la renient.
Messieurs, encore un mot sur ce point et
j’ai fini.
Je crois qu’il est imparlementaire
que nous parlions de dissolution ; s’il était permis à un pouvoir législatif
d’en parler, les convenances s’opposent à ce que la chambre des représentants
en parle elle-même ; c’est tout au plus s’il conviendrait que l’autre chambre
élective en parlât.
La dissolution est de l’histoire ; on ne
peut pas appeler de la décision prise par les électeurs, on ne peut pas surtout
les traduire devant vous. La dissolution est un fait consommé pour tous. Nous
n’avons pas plus à blâmer qu’à louer. Il faut nous abstenir, et par-là nous
nous tiendrons dans un rôle ayant de la dignité. S’il est vrai que la chambre
ne partage pas l’opinion du ministère, elle aura d’autres occasions de le manifester
en refusant tout crédit à l’administration.
Je passe à la seconde question.
Je serai obligé d’invoquer l’indulgence de
l’assemblée ; ma santé est altérée depuis longtemps.
J’ai entendu parler l’honorable M.
Dumortier de désordres, de victimes, de système malheureux. Je me suis demandé
à quoi se réduisait en réalité le nombre des victimes, et dans quel abîme elles
avaient été plongées.
Je ne sais qu’une victime ; c’est M. E.
Desmet, qui à lui seul fait le grand nombre de victimes ! Je ne vois pas
cependant que sa position soit malheureuse, je pense au contraire que
l’honorable membre, loin de se plaindre, doit s’applaudir d’avoir été frappé.
Même je vous ferai observer qu’au moment où M. Desmet a été révoqué, il n’était
plus député, il n’avait plus de mandat. (Bruit.)
Il me semble qu’il y a singulièrement
d’incertitudes dans l’opinion de nos adversaires : tantôt ils allèguent l’art.
44, pour prouver qu’un député est indestituable ; tantôt
ils admettent des exceptions, tantôt ils retirent les exceptions ; maintenant
je suis fort embarrassé de savoir si un secrétaire-général des affaires
étrangères est révocable ou ne l’est pas.
Il paraît que d’après la doctrine
d’aujourd’hui, qui n’était pas celle de la semaine passée, ils ne sont pas
révocables. Alors je prendrai un autre fonctionnaire pour exemple.
Je suppose que vous avez parmi vous un
général. La guerre approche ; le ministre discute un plan de campagne ; il
l’arrête ; il en donne communication à ce général. Le général député trouve le
plan détestable ; il monte à la tribune et dit : Le ministère a conçu un plan
très mauvais, le voici... Et comme toutes nos portes sont ouvertes, il donne
connaissance du plan, non seulement à vous, mais à l’ennemi. Faudra-t-il que le
ministre laisse le général en place ? Faudra-t-il que le général qui a trahi
soit nécessairement chargé de l’exécution du plan de campagne ?
Quand le plan aura été mal exécuté, le
ministre sera attaqué, sa responsabilité sera compromise, et on fera une
enquête.
Voulez-vous l’exemple d’un autre
fonctionnaire ? Prenez un ministre plénipotentiaire, et supposez que cet agent
diplomatique ait une opinion contraire à celle du ministre. Il reçoit les
instructions du gouvernement ; que fait-il ? Tant qu’il est à Paris, il ne dit
rien ; mais il prend la poste et vient un jour vous dire : Il faut renverser le
ministère ; voici ma correspondance. Au risque de brouiller l’Etat avec
Mais, dira-t-on, il ne s’agit pas d’un
général, ni d’un plénipotentiaire. On dira peut-être qu’il ne s’agit pas d’un
secrétaire-général ; mais de qui s’agit-il donc ? Il s’agit d’un commissaire de
district. Eh bien ! soit. Le commissaire de district
ne doit pas diriger l’opinion, mais il doit l’éclairer. Si ce commissaire
député, lorsqu’on demande des subsides et des hommes, dit que le ministère
gaspille l’argent du pays et que des levées d’hommes sont inutiles,
trouvera-t-il mauvais, quand il sera dans sa localité, que les habitants
fassent de la résistance, qu’ils témoignent de la mauvaise volonté en répétant
ce qu’a dit le commissaire ? Le commissaire du district pourra leur objecter
que ce qu’il a dit était vrai comme député, mais n’est plus vrai comme commissaire,
et qu’il faut actuellement des hommes et de l’argent.
Cependant, si une émeute a lieu dans ce
district, où l’action du commissaire sera nécessairement bien faible, on
accusera le ministère d’avoir favorisé l’émeute.
Si, à Anvers, il se fût trouvé un procureur
du Roi, un gouverneur député qui déjà, dans nos discussions, eût dit : La
presse orangiste est tellement licencieuse, que ce n’est que par des faits
qu’on peut répondre aux faits ; est-ce que ces paroles n’auraient pas excité
l’émeute au lieu de l’éteindre ; est-ce qu’il faudrait garder ce fonctionnaire
?
Vous vous rappelez qu’on avait offert des
places amovibles dans les parquets à des députés de l’opposition ; ils les ont
refusées, ou parce qu’elles étaient amovibles, ou parce qu’elles les éloignaient
de la chambre. Ils ont, par leur conduite, prononcé sur la question qui nous
occupe.
Il ne faut pas adopter le gouvernement
représentatif à demi ; si nous l’adoptons pour les garanties qu’il nous donne,
il faut l’adopter aussi pour la prérogative royale. Nous ne devons pas, nous
qui sommes jeunes dans le gouvernement représentatif, repousser l’expérience
des autres peuples vieux dans cette carrière. Nous ne devons pas repousser
l’expérience de l’Angleterre, l’expérience de
C’est une chose importante dans les
institutions que la moralité ; et celle qui est professée maintenant par les
ministres est celle qui ne permet pas à un fonctionnaire d’être un homme à
double face, qui ne permet pas à un homme d’avoir deux consciences. Non,
personne n’exige que les fonctionnaires votent toujours avec le ministère,
personne ne leur fait des menaces ; mais entre un vote qui n’a rien de
l’opposition systématique, et un vote toujours hostile, un vote violent, un
vote qui ne laisse pas de relâche aux ministres, certainement la différence est
immense ; il y a un abîme entre ces deux hypothèses.
C’est l’opinion contraire à celle des
ministres qui est injurieuse à la chambre. Cette injure, je la trouve dans le
second paragraphe de l’amendement.
Ne semble-t-il pas, par cet amendement, que
certains membres attendent leur indépendance de la couronne, et qu’elle ne
vient pas d’eux ? On dit : Vous les menacez de destitution ; mais en est-il un
seul ici dont la menace de destitution puisse faire changer d’opinion, même
changer de nuance d’opinion ? Tous les fonctionnaires qui sont dans cette
enceinte feront volontiers à leur opinion le sacrifice de leur place.
Le système opposé à celui des ministres est
un système immoral : c’est un système de capitulation de conscience ; c’est un
système qui permet deux opinions. Il faut mettre un terme à cet abus ; de tels
abus, les historiens le disent, ont porté de mauvais fruits. On a vu sous
l’empire des hommes honorables accepter des places qu’ils n’auraient pas dû
remplir alors. Quand on pense qu’un gouvernement est antinational, on ne doit
pas lui donner son appui.
Voilà comme je conçois la position des
fonctionnaires et la doctrine qui les concerne.
Voyez dans quelle position singulière le
système que je combats place les électeurs : un député de l’extrême opposition
est commissaire de district, les électeurs veulent nommer un appui du
gouvernement ; le commissaire s’écrie : Mais je suis l’homme du choix des
ministres, nommez-moi. D’autres électeurs veulent nommer un adversaire du
ministère, et le commissaire se retournant leur dit : Mais je fais de
l’opposition, c’est moi qu’il faut nommer. Messieurs, c’est ce double rôle que
je veux qu’on retranche ; voilà le système immoral, le système qui peut
conduire les électeurs dans une voie ou ils se tromperont à chaque instant.
Messieurs, je regrette d’être un peu long.
Plusieurs membres.
- Parlez ! parlez !
M. Devaux. - L’opposition va loin, mais elle ne va pas assez
loin encore ; si on ne peut pas déplacer un fonctionnaire à raison de ses
opinions, il faut dire aussi qu’on ne peut pas faire acception les opinions
dans les nominations ; l’opposition doit dire que les fonctionnaires doivent
être pris et dans les rangs ministériels et dans les rangs de l’opposition.
Ainsi un ministère serait condamné à avoir non seulement des secrétaires-généraux de l’opposition, mais il serait condamné
également à avoir des gouverneurs, des généraux, des ministres
plénipotentiaires de l’opposition, parce qu’il faut que l’opposition ait pied
partout.
Si les fonctionnaires doivent être pris
dans les deux rangs, je donne maintenant à l’opposition la faculté de venir au
pouvoir ; qu’elle y trouve dans les fonctionnaires des hommes de mon opinion,
et elle verra si sa position est belle. (On
rit).
Dans le cas où des hommes de tous les rangs
seraient dans les fonctions, qui est-ce qui empêcherait que l’on ne vînt lire
ici la correspondance des ministres, comme on a lu une lettre adressée à un
commissaire de district par le ministre de l’intérieur ? Voilà la position que
vous voulez faire au pouvoir.
On ne censure pas, dit-on, l’acte de
dissolution ; on censure les motifs allégués par les ministres : il résulte de
là que si le ministre, au lieu de donner des motifs, s’était contenté de dire :
Cela ne vous regarde pas, on ne l’aurait pas critiqué.
De quoi accuse-t-on le ministère, en
réalité ? De trop de franchise. La leçon n’est pas morale ; mais elle apprendra
ce que vaut la franchise devant une assemblée en Belgique (bruit). On demandait à un ministre anglais pourquoi il avait
destitué tel fonctionnaire ; ce ministre, qui ne voulait pas répondre, se
contenta de dire : J’ai destitué cette personne parce qu’elle porte une figure
qui déplaît à S. M.
Que veulent MM. Fallon et Dubus par leur
amendement ? Ils veulent que le ministère ne s’explique pas désormais.
Dans une circonstance qui n’est pas très
éloignée, la chambre des représentants a déjà fait justice des doctrines de nos
adversaires lors d’une discussion analogue à celle-ci, vous vous rappelez les
débats relatifs au général Niellon, vous vous
rappelez que la majorité a écarté les griefs que l’on faisait valoir. Il
s’agissait, selon quelques membres, du salut d’une province, des intérêts les
plus élevés ; vous savez ce que la chambre a décidé.
Je l’ai déjà dit, il ne peut y avoir, sans
faire injure à nos collègues, aucun moyen d’influence sur eux par suite de la
doctrine soutenue par les ministres ; les paroles des ministres ne changeront
pas leur conduite.
Les électeurs, d’après cette doctrine,
sauront d’ailleurs à quelles conditions ils élisent un fonctionnaire.
Dans les circonstances où nous sommes,
alors que pour la première fois de pareils faits apparaissent sur notre horizon
politique nouveau, je conçois qu’on puisse avoir des doutes, qu’on puisse
n’être pas sûr de l’opinion du ministère, quoiqu’il ait en sa faveur des
autorités imposantes, et que l’opinion de l’opposition ne soit partagée nulle
part. Il ne s’agit pas pour la chambre d’adopter une doctrine, il ne s’agit pas
de trancher une question, il s’agit d’attendre les lumières du temps.
Si le
gouvernement suit une fausse route, on sera toujours à même de revenir sur ces
théories. Il faut actuellement garder sur ces faits le même silence que le
discours du trône a gardé, rester dans une neutralité prudente. Des esprits
qui, comme moi, n’ont pas pu se former une opinion sur ces matières doivent
ajourner leur décision.
Plusieurs membres se lèvent et crient : A demain la suite de la
discussion ! à demain ! Il est quatre heures !
M. de Mérode. - Si nous faisons nos séances si courtes, nous ne terminerons pas nos
travaux.
Un membre. - Vous trouvez la séance courte parce que vous ne faites que d’arriver.
M. Gendebien. - Un membre nous reproche de faire peu de chose, et
il vient d’arriver à la séance. Celui qui vient de parler n’avait pas paru ici
depuis six mois ; il a parlé pendant deux heures, on peut bien remettre à
demain pour lui répondre.
M. le comte de Mérode. - J’ai toujours été exact dans mes fonctions ;
mes collègues peuvent me rendre cette justice. Si j’ai été absent pendant huit
jours, c’est par suite de circonstances que je ne pouvais prévoir.
M. Devaux. - L’honorable membre me reproche d’avoir été
absent pendant six mois : c’est ma santé qui est cause de cette absence.
Mais comme je suis dévoué à mes opinions,
je suis venu pour les soutenir : mes paroles me coûteront cher par la fatigue
que j’ai éprouvée.
M.
Gendebien. -
C’est que l’honorable membre écrivait dans l’Indépendant
pendant son absence.
M. Devaux. - C’est une calomnie
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - C’est une calomnie. (Bruit dans l’assemblée. La plupart des membres ont quitté leurs places.)
M. Gendebien. - Je demande la parole pour faire remarquer à
l’assemblée que M. Devaux a dit que c’était une calomnie ; je serai modéré ici,
mais je conserve tous mes droits pour le dehors. (Le bruit augmente.)
M. Devaux. - Quand une interpellation aussi imparlementaire a été faite, que j’ai écrit dans un journal
pendant mon absence, j’ai répondu avec un mouvement d’indignation dont je n’ai
pas été maître et dont j’accepte toutes les conséquences.
M. le président. - La séance est levée.
(Note
du webmaster : c’est à la suite de cet incident, que
Rogier, voulant défendre l’honneur de Devaux, provoquant en duel Alexandre
Gendebien. Comme on peut le dire ailleurs sur ce site, Rogier y reçut une balle
dans la bouche et faillit y laisser la vie.)