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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 21 juin 1833
Sommaire
1) Projet d’adresse en
réponse au discours du trône. Discussion générale (A= Position diplomatique de
(Moniteur
belge n°174, du 23 juin 1833)
(Présidence de M. Raikem)
M. Dellafaille fait l’appel nominal à midi et demi.
Il donne ensuite lecture du procès-verbal ;
la rédaction en est adoptée.
Les pièces adressées à la chambre sont
renvoyées à la commission des pétitions.
Discussion générale
MM. les ministres de la guerre, de la
justice, des affaires étrangères, de l’intérieur et des finances sont à leur
banc.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Dans la dernière séance j’ai prouvé que des explications sur la note du 10 juin
étaient indispensables ; tout le débat roule en effet sur cette note, et je
prie M le ministre des affaires étrangères de nous dire pourquoi il a consenti
aux mesures contenues dans la note ; si le ministre ne s’explique pas, nous ne
terminerons aucune discussion.
M. le ministre des affaires
étrangères (M. Goblet)
se lève et s’exprime en ces termes. - Messieurs, un honorable député du
Luxembourg qui a parlé dans la séance d’hier, s’est attaché à faire ressortir
les avantages qui résultent pour
A l’époque, messieurs, où est apparue
l’idée d’une convention préliminaire, telle que nous en concevions les clauses,
cette idée n’a pas eu de peine à se populariser. Nous n’avons pas alors
dissimulé que probablement on la verrait se réaliser, et nous avons exprimé
formellement notre résolution d’y adhérer sous des conditions précises que j’ai
exposées. Je ne saurais donc comprendre que l’on puisse aujourd’hui nous faire,
pour ainsi dire, un crime de notre adhésion à un arrangement tel que celui qui
nous fut présenté.
Est-ce la levée des mesures coercitives,
qu’il y a peu de temps encore on considérait dans cette enceinte comme si peu
efficaces, qui sert de fondement aux reproches que l’on adresse au ministère ?
Je ne puis le concevoir, messieurs :
comment peut-on supposer que ce même ministère, qui déclarait que sa pensée
était tout entière dans la note du 14 février adressée à
Le ministère n’a pu prendre envers la
représentation nationale l’engagement de s’opposer à la levée des mesures
coercitives avant l’acceptation pure et simple des 24 articles par
Il devait suffire au ministère que la
convention préliminaire stipulât en faveur de
C’est dans l’étude des pièces relatives aux
dernières négociations qu’il faut chercher la preuve qu’en agissant ainsi le
ministère ne s’est pas mis en contradiction avec lui-même.
Il ne faut pas argumenter contre lui du
contenu d’une phrase, prise isolément, sans la rattacher aux considérations qui
la précèdent et qui la suivent.
On a fait encore une autre objection contre
la levée des mesures coercitives. On a paru considérer cette stipulation comme
contraire aux engagements contractés par les puissances exécutrices envers
Ce reproche n’est pas fondé.
On oublie sans cesse, comme on vous l’a dit
hier, que les puissances exécutrices ne se sont pas engagées à se soumettre aux
moyens qu’il nous plairait de leur prescrire pour arriver à l’exécution du
traité du 15 novembre. Elles se sont réservées, à cet égard, toute latitude ;
et cette réserve est sage, elle était prescrite par la situation de l’Europe,
par la position respective des parties intéressées, par la nature même des
choses.
Aussi longtemps que
Examinez, messieurs, toutes les pièces
relatives aux négociations et particulièrement la note du 14 avril et les
projets de convention y annexés, et vous verrez que ces divers documents font
mention de la levée des mesures coercitives, et la présentent comme la
conséquence nécessaire de l’adhésion de
Un objet que quelques orateurs paraissent
aussi avoir totalement perdu de vue, c’est que tous les projets de convention
qui ont été discutés, renferment la clause expresse de s’occuper sans délai du
traité définitif qui doit fixer les relations entre
Si l’on avait fait attention que le traité
définitif auquel cette clause se rapporte, ne pouvait être que le traité du 15
novembre, l’on se serait aussi convaincu qu’il n’y a nulle contradiction entre
ce que nous avons dit précédemment, et ce que nous avons fait en adhérant, en
ce qui nous concerne, à la convention du 21 mai. En effet, messieurs, vous
auriez vu qu’en concluant cette convention
Cependant, en considérant isolément la
convention du 21 mai et la note du 1er juin, et en argumentant du silence qui y
est gardé sur le traité du 15 novembre, on a cru pouvoir conclure qu’il n’était
plus question de ce traité, mais bien d’un nouveau dont les bases étaient à
discuter encore.
La convention du 21 mai, dit-on, a détruit
le traité du 15 novembre !
Mais d’abord, messieurs, je ferai observer
que la convention préliminaire que
D’un autre côté, peut-on séparer la
convention préliminaire et la note par laquelle elle nous a été notifiée, des
notes qui l’ont précédée et dans lesquelles les bases en ont été discutées ?
Non sans doute et vous sentirez parfaitement que les plénipotentiaires des deux
puissances exécutrices ont pu considérer comme inutile de faire ressortir dans
leur note du 1er juin la pensée qui les a dominés en concluant la convention
dont il s’agit.
Cette pensée est clairement exposée dans la
note adressée le 14 février au plénipotentiaire hollandais. C’est
principalement dans cette note que les dispositions de la convention éventuelle
ont été débattues. Eh bien la base de cette discussion y est-elle autre chose
que le traité du 15 novembre, que les engagements pris par
Mon assertion est rendue plus évidente
encore par ce que l’on trouve dans les notes du 2 et du 22 avril,
Permettez-moi, messieurs, de vous en lire quelques passages ; vous verrez que
l’on n’a jamais perdu de vue le traité du 15 novembre.
(Page 26.) « Par le 4ème article, les
Belges seraient obligés d’évacuer des places qui se trouvent en dedans des
limites de
(Et page 35 du rapport du 14 juin.)
« Quant à la demande reproduite par le gouvernement néerlandais, et qui
tendrait à faire évacuer, par les troupes belges certains postes situées dans
le territoire belge, les soussignés doivent seulement déclarer qu’il serait
impossible à leurs gouvernements respectifs de faire une telle demande au
gouvernement belge.
De ce qui précède, il résulte bien
évidemment que le silence gardé dans la convention du 21 mai et dans la note du
1er juin, sur le traité du 15 novembre, a eu des motifs étrangers à l’idée de
considérer ce traité comme nul et non avenu.
Mais du côté du gouvernement belge il n’y
avait pas de raisons pour observer le même silence. C’est pourquoi les
instructions données à notre ministre à Londres lui prescrivaient de s’en
référer au traité du 15 novembre, en déclarant que la convention préliminaire
était considérée par son gouvernement comme un acheminement à l’exécution
intégrale de ce traité.
La note du 10 juin remise par notre
plénipotentiaire à Londres, a été acceptée purement et simplement par
Un autre reproche a été fait à la
convention du 21 mai.
Cet acte, dit-on, ne fait que continuer le
statu quo que le ministre déclarait intolérable en octobre dernier.
Messieurs, ce rapprochement ne me paraît
pas exact : le statu quo dans lequel nous avons trouvé
En octobre dernier, la citadelle d’Anvers
était occupée par l’ennemi ;
Aujourd’hui, la citadelle d’Anvers est
évacuée, la navigation de
En octobre dernier, notre possession des
districts du Limbourg et du Luxembourg, que le traité du 15 novembre a assignés
à
Aujourd’hui, elle a ce caractère ; et les
objections qui, tous les jours, étaient élevées de ce chef, viennent à tomber.
C’est donc bien à tort, messieurs, que l’on
est venu comparer la situation actuelle à celle dans laquelle, comme je le
disais tout à l’heure, nous avons trouvé
La popularité que la convention du 21 mai a
si promptement acquise est là pour prouver que le pays est loin de s’effrayer
de la prolongation de l’état de choses établi par cette convention.
Messieurs, on a paru élever quelques doutes
sur l’exécution franche de cet acte ; ces doutes n’ont jusqu’à présent pour
fondement que ce qui se pratique encore sur l’Escaut à l’égard du pilotage. Les
assertions de l’honorable député d’Anvers sont vraies ; mais on ne saurait
encore en tirer aucune induction fâcheuse. Il s’est, en effet, écoulé trop peu
de temps depuis la ratification de la convention préliminaire pour qu’elle ait
pu recevoir toute son exécution. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas resté dans
une imprudente sécurité à cet égard ; et du moment où ce qui se passait sur
l’Escaut m’a été connu, je me suis empressé de faire les plus vives
représentations. Mais vous sentez parfaitement, messieurs, que ces
représentations ne pouvant pas suivre une voie directe pour arriver là où elles
s’adressent, quelque retard doit être nécessairement apporté dans le
redressement du fait auquel elles sont relatives.
Néanmoins, d’après les rapports qui me sont
parvenus, il paraît évident que le refus de laisser passer nos pilotes n’a
jusqu’ici d’autre cause que l’absence d’instructions de la part du gouvernement
hollandais, mais qu’il n’existe pas non plus de nouvelles d’instructions
interdisant ce passage.
Du reste cet objet rentre dans la catégorie
de ceux auxquels il est fait allusion dans la note de M. Van de Weyer en date
du 10 juin, dans les termes suivants (page 17 du rapport du 14 juin.)
« La convention du 21 mai pourrait,
pour la mise en pratique de certaines stipulations, nécessiter des dispositions
réglementaires qui, en facilitant les relations réciproques, seraient également
avantageuses aux deux parties directement intéressées, en même temps qu’elles
rentreraient dans les vues de
Messieurs, le désir manifesté dans le
passage précédent n’a pu encore se réaliser faute de temps, et il serait
imprudent de tirer dès aujourd’hui des conséquences positives de la
non-exécution de quelques détails de la convention du 21 mai.
Il me resterait, messieurs, à répondre à
une interpellation qui m’a été adressée par un honorable député des Flandres
relativement aux arrérages de la dette. Cet objet devant faire partie des
négociations qui vont s’ouvrir, je manquerais à mon devoir en m’expliquant dès
à présent à cet égard. L’intérêt de ces négociations me commande une réserve
absolue. Je prie donc l’honorable membre de ne pas trouver mauvais que je ne réponde
pas à sa demande ; j’en agirai de même à l’égard de toutes celles qui auraient
également rapport aux négociations futures. Vous ne manquerez pas, messieurs,
d’approuver cette résolution ; vous savez combien l’on peut
mettre en péril une négociation pendante, quand on est assez imprudent pour
dévoiler ses vues et ses intentions. Combien plus impardonnable, combien plus
dangereuse ne serait pas cette imprudence si elle était commise relativement à
l’objet de négociations qui ne sont pas encore entamées ?
Vous ne verrez donc, messieurs, dans ma
réserve, qu’une résolution conforme à ce que les vrais intérêts du pays exigent
du ministère qui a mission de les défendre.
Les déclarations faites au sujet du traité
du 15 novembre vous sont d’ailleurs de sûrs garants qu’il s’acquittera de cette
mission sans jamais perdre de vue les droits qui sont acquis au pays.
M. Fallon. - Messieurs, appelé par vos suffrages à faire
partie de la commission d’adresse, je sens le besoin de vous faire connaître
les principes qui m’ont dirigé dans l’exécution de mon mandat et de prendre
part ainsi à la discussion du projet que vous avez sous les yeux.
Cette discussion, dans les points
principaux, l’évacuation de la citadelle d’Anvers, la dissolution de la
chambre, la convention du 21 mai, me semblent pouvoir se résumer dans les
termes suivants :
Pour celui qui ne considère les événements
qui se sont succédé depuis l’ouverture de la session de 1833 que dans des
intérêts secondaires ; qui n’envisage dans le statu quo actuel que quelques
avantages matériels sans tenir compte de ce qu’il aura nécessairement d’onéreux
et de nuisible ; qui ne voit pas combien est devenue plus périlleuse la
transition future du précaire au définitif ; pour celui qui n’a vu dans la
dissolution de la chambre qu’un acte fort ordinaire d’administration, que
l’exercice très inoffensif d’un droit constitutionnel, le laisser-aller du
projet d’adresse convient parfaitement.
Mais pour celui qui place au premier rang
des intérêts de son pays l’indépendance et la dignité nationale ; pour celui
qui croit que l’industrie ne peut reprendre toute son activité et son
développement dans un état précaire ; pour celui qui est convaincu qu’il ne
peut y avoir de prospérité réelle pour
Lorsqu’arriva le jour où il fallut subir le
joug de la nécessité, en autorisant le gouvernement à acquiescer au traité des
24 articles, ce n’était pas dans des intérêts purement matériels que
Vous vous rappelez, messieurs, que la
représentation nationale ne se détermina à accepter les avantages matériels du
traité que sous la foi de l’engagement que le ministère avait pris, dans la
discussion, de ne donner son acquiescement qu’après avoir acquis la certitude
que notre Roi serait immédiatement reconnu, non pas des puissances signataires
du traité, puisqu’à leur égard cette reconnaissance était la conséquence du
traité même, mais bien de la part de
Vous vous rappelez également sous quelles
conditions ce traite fut acquiescé.
Garantie solennelle de la part des puissances
que le traité serait final et irrévocable ; engagement formel de nous en
procurer l’exécution et de nous faire obtenir avant tout l’adhésion de
Notre droit politique étant ainsi
définitivement formulé, la marche de notre gouvernement devait être rapide.
Le but était clairement tracé ; il ne
fallait pas s’en laisser distraire.
Cependant, le temps s’écoulait sans
résultat, et le ministère restait dans l’inaction, alors que la tendance de la
diplomatie à reculer le but, au fur et à mesure que nous voulions en approcher,
était devenue évidente.
Le fatal système d’attente semblait déjà
vouloir s’insinuer dans notre cabinet par l’influence étrangère, La chambre
s’en aperçut, et c’est alors que, par l’adresse qu’elle vota à l’unanimité,
dans la séance du 14 mai de l’année dernière, elle réclama avec fermeté et
énergie la prompte exécution du traité.
Alors, messieurs, pour chercher à justifier
une trop faible déférence aux insinuations étrangères, on n’avait pas pensé
encore au moyen de taxer d’exagération le sentiment patriotique.
Le gouvernement sut gré de l’impulsion
qu’il recevait de la chambre. La réponse du Roi fut digne de la nation. En
voici les termes :
« Le plus sûr moyen d’arriver
promptement à une solution des difficultés qui subsistent encore, c’est de
convaincre l’Europe que
Il demanda des hommes et de l’argent ; la
chambre alla au-devant de ses désirs, et
Cette manifestation d’énergie fit effet à
Londres et à Paris ; les combinaisons de temporisations furent ébranlées, et la
convention du 22 octobre amena l’expédition d’Anvers.
Vous savez, messieurs, quel était le piège
que renfermait cette convention ; vous savez comment, en y acquiesçant sans
réserves ni protestations, notre ministère s’y était laissé prendre.
C’était encore là l’un des effets
pernicieux de ce système d’attente et de soumission servile à l’influence
étrangère.
Eh bien, sans ce que l’on qualifie
aujourd’hui d’exagération et que nous appelons nous de l’énergie et du
patriotisme, sans la chambre exagérée, nous avions les avantages matériels de
la possession de la citadelle d’Anvers, et nous étions dépossédés de toutes nos
garanties territoriales, en violation manifeste du traité, puisque l’adhésion
préalable de
Grâce donc à la chambre exagérée, si ce
premier événement, dont parle le discours du trône, n’a pas été préjudiciable.
Ce n’est pas à notre ministère que nous en devons l’obligation, c’est à
l’énergie et au patriotisme de cette chambre que l’on a frappée de dissolution.
En échappant à ce piège perfide que
couvrait la convention du 22 octobre, la chambre ne s’était pas du reste fait
illusion sur les résultats de cette expédition. Cette expédition n’était pas
encore entreprise que déjà nous proclamions qu’elle serait tout à fait stérile
pour la solution de la question politique.
Toujours de l’exagération, disait-on ; la
prise de la citadelle d’Anvers est un pas immense vers cette solution. Voyez,
ajoutait-on, si les puissances alliées témoignent la moindre envie d’abandonner
les moyens coercitifs ? Admirez combien les cabinets de Paris et de Londres
tiennent à honneur de remplir fidèlement leurs engagements envers nous ; le
blocus sera resserré, il faudra bien que Guillaume se soumette.
Cependant la citadelle est évacuée, l’armée
française se retire avant d’avoir accompli toute sa mission, le blocus se
ralentit peu à peu ; trois mois s’écoulent, notre gouvernement est rentré de
nouveau dans son système d’inaction. Mais de nouveau aussi la chambre
s’inquiète et s’alarme ; le budget de la guerre lui est présenté, elle croit
qu’il faut saisir cette occasion pour retremper l’énergie du gouvernement, pour
appuyer ses efforts et ses instances ; elle croit servir la cause du pays en ne
votant provisoirement que six douzièmes de ce budget, et c’est par un coup
d’Etat que l’on répond à ce nouvel élan de patriotisme.
Ce coup d’Etat, messieurs, ne restera pas
étouffé dans le silence du discours du trône.
Il se lie trop intimement, par ses causes
et ses motifs, à la question politique du pays, pour rester en dehors de la
discussion de cette question.
La chambre qui en a été atteinte veut
d’ailleurs être jugée.
Vous connaissez l’accusation ; veuillez,
messieurs, écouter la défense, elle sera courte.
Dans la discussion générale qui a précédé
l’examen du budget de la guerre, on s’était plaint généralement de l’état
stationnaire où paraissaient se trouver replacées les affaires extérieures.
On craignait que les fruits que l’on avait
promis avec tant d’assurance de l’évacuation forcée de la citadelle d’Anvers ne
se fissent trop longtemps attendre.
Le blocus paraissait dégénérer en un vain
simulacre, un relâchement dans l’exécution des moyens coercitifs paraissait
évident.
On craignait que notre ministère, trop
confiant dans les promesses fallacieuses de la diplomatie, ne nous laissait retomber de nouveau dans l’ornière des
négociations.
On craignait enfin qu’après avoir voté
l’énorme chiffre du budget de la guerre pour une nouvelle période d’un an, ce
sacrifice ruineux pour le pays ne fût encore stérile.
Ces appréhensions étaient sans doute bien
légitimes, alors que le ministère s’opiniâtrait à garder le silence sur l’état
de nos relations extérieures et ne nous parlait que de son fatal système
d’attente, tandis que les journaux signalaient des faits bien propres à
justifier la défiance et les alarmes.
A ces appréhensions, le ministère objecta
que si la chambre n’avait pas foi dans le système qu’il croyait devoir suivre,
elle ne devait pas se borner à le blâmer, mais devait indiquer celui qu’elle
croyait préférable aux intérêts du pays.
D’abord, pour que l’objection fût fondée,
il ne fallait pas s’obstiner à laisser la chambre frapper en vain aux portes de
la vérité, dont on tenait les clés. Il fallait franchement lui mettre sous les
yeux l’état de nos relations extérieures.
Plusieurs orateurs avaient été d’ailleurs
au devant de l’objection, et leur système consistait à ce qu’il fût notifie aux
cabinets français et anglais que si, endéans un terme donné ils n’avaient pas
usé des moyens propres à nous procurer l’exécution complète du traité, nous
joindrions nos efforts aux leurs, et nous concourrions à cette exécution.
Tel était le moyen auquel s’associait le
plus grand nombre. Le droit d’en user était écrit dans le traité.
Par son acceptation,
On opposait les devoirs de la neutralité,
mais on ne faisait pas attention que l’argument était repoussé par l’exception
du contrat non accompli. On oubliait que le devoir de la neutralité ne devait
commencer pour nous que du jour où il serait satisfait envers nous aux
conditions de cette neutralité.
On objectait enfin que cette discussion
générale ne pouvait pas se résumer en une proposition formelle sur le système
qui devait obtenir la préférence, le ministère restait placé dans une situation
embarrassante.
Mais outre que telle était forcément la
condition dans laquelle il se plaçait lui-même par son silence, cette condition
n’avait d’ailleurs rien d’embarrassant pour celui qui voulait comprendre la
chambre.
En effet, si, ce qui d’ailleurs ne lui
appartenait pas, elle ne formulait pas la mesure spéciale qu’il convenait de
préférer, il était un vœu qui avait retenti de toutes parts dans cette enceinte,
c’est qu’il fût pris des mesures plus énergiques dans les moyens coercitifs
pour arriver à la solution de la question politique et pour que l’année ne fût
pas plus longtemps une inutile ostentation, en même temps qu’elle était une
charge mortelle pour le pays.
Le ministère restait donc parfaitement à
l’aise sur le choix du moyen et si, comme il le disait, son intention était
d’user de fermeté et d’énergie, la proposition du vote du budget, telle qu’elle
avait été motivée par la section centrale, ne pouvait que lui servir d’appui et
renforcer son action.
Eh bien ! cette
assistance que la chambre lui offre, il la repousse. Son amour-propre se
révolte en présence de ce qu’il appelle un acte de défiance, alors que l’on
proteste de toute part que cet acte n’a rien d’hostile pour lui.
Il se retire en boudant. Il hésite
longtemps sur le parti qu’il prendra, et enfin, sans égard qu’il va jeter
l’alarme dans le pays, qu’il va irriter les esprits, soulever les passions et
consolider les divisions intestines, l’arrêté de dissolution est fulminé.
Ne cherchez pas, messieurs, dans cet arrêté
quels sont réellement les motifs qui ont fait reporter contre la chambre cette
énergie qu’elle excitait dans une tout autre direction.
Vous n’y trouveriez rien dont votre raison
puisse s’accommoder. Quant à moi, il me répugne trop de les attribuer à un
amour-propre blessé, et je les cherche plutôt dans l’événement qui a suivi
l’acte de dissolution.
Alors, la convention du 21 mai n’était-elle
pas déjà à l’œuvre ? N’avait-on pas à craindre qu’avec une chambre aussi peu
docile aux exigences de la diplomatie, il ne serait pas possible de survivre à
cette convention, si cette chambre restait debout ? Quelles que soient, du
reste, les causes secrètes de cette combinaison, je crois qu’il est indigne de
nous de vous parler des moyens dégoûtants qui furent employés pour la servir,
et de cette odieuse calomnie qui poursuivit avec tant d’acharnement tout ce qui
paraissait opposé au système d’attente et de temporisation.
Tels sont les faits, messieurs : la chambre
dissoute avait-elle démérité de la patrie ? sa
dissolution a-t-elle été abusive et téméraire ?
Votre jugement ne me paraît pas douteux et
vous ne laisserez pas, sans doute, échapper l’occasion de l’apprendre à la
nation.
Il vous reste une autre tâche à remplir, un
autre événement à juger ; c’est la convention du 10 mai, ou plutôt l’acte
d’acceptation du 10 juin. J’aborde l’examen de cette convention, non pas avec
la timide circonspection du discours du trône, en m’arrêtant à des considérations
secondaires, à quelques avantages matériels que nous avions droit d’obtenir
sans cette convention, et qui seront d’ailleurs amplement compensés par les
charges indispensables du statu quo ; mais en mettant en regard deux avantages,
la violation flagrante de nos plus précieuses garanties, l’abnégation de droits
incontestablement acquis à
Isolée de l’acte de notre ambassadeur du 10
de ce mois, voici comment je considère cette convention, ce digne fruit du
système d’attente, et qui justifie si complètement le langage de la chambre
exagérée, lorsqu’elle exprimait sa défiance sur l’emploi de moyens coercitifs
dont on vantait tant l’efficacité.
Notre cabinet n’y était pas intervenu, du
moins d’une manière ostensible, et dès lors elle ne pouvait nuire à nos droits,
ils étaient intacts.
Elle mettait à néant l’emploi des moyens
coercitifs, mais elle ne privait pas tout au moins
Elle imposait à
Elle était fort commode quoique fort
humiliante pour les cabinets français et anglais qui se dégageaient ainsi,
d’autorité et pour un temps indéfini, de l’obligation solennellement contractée
de nous procurer forcément l’exécution pieuse et entière du traité.
Elle était fort honorable et en même temps
fort avantageuse pour
Sous tous ces rapports, nous avions à nous
plaindre amèrement que, par cette convention, les cabinets français et anglais
s’étaient humiliés devant notre ennemi et avaient foulé aux pieds la foi
promise ; mais
Jusque-là, la seule accusation que nous
pouvions diriger contre notre ministère, c’était d’avoir méprisé les sages
conseils de la chambre précédente, d’avoir repoussé l’impulsion des sentiments
énergiques qui, mis à propos à exécution, eussent évité le remplacement des
moyens coercitifs par une convention qui remet en question l’avenir de
Jusque-là toutefois, il pouvait décliner
toute responsabilité ; nos droits n’étaient pas encore compromis par son
intervention, et tant que la convention ne lui était pas officiellement
notifiée, il pouvait continuer à se complaire dans son système d’attente, sauf
à protester lorsque le moment de devoir parler arriverait.
Mais que dis-je, une semblable protestation
ne pouvait s’associer au système d’attente.
Le 1er juin la convention est notifiée à
notre ambassadeur.
De tous les protocoles, cet acte de
notification est peut-être le document le plus fallacieux et le plus perfide.
Comme de raison, on y porte fort haut les
avantages provisoires que
Cette obligation est dérisoirement
remplacée par celle de s’occuper sans délai du traité définitif, et l’on sait
ce que vaut, en style diplomatique, une semblable obligation que chacune des
parties peut éluder à son gré, alors qu’on a soin de n’y attacher aucune
sanction, ni aucun terme.
Ce n’est pas tout : ainsi masqué,
voici le piège :
En échange d’une si obséquieuse observation
des traités, écoutez dans cette note du 1er juin le langage de
« Elles sont convaincues que le Roi
des Belges s’empressera de s’obliger de son côté à ne pas recommencer les
hostilités contre le territoire hollandais, aussi longtemps que les relations
entre
Elles sont convaincues, disent-elles, que
telles sont les dispositions du Roi des Belges ; mais elles doutent que telles
soient celles de la nation, et, ce qui le prouve, c’est qu’elles n’exigent pas
moins sur ce point une déclaration formelle et satisfaisante de la part de
notre gouvernement.
Vous appréciez aisément, messieurs, toute
la portée de la soumission qui devait être la conséquence de cette déclaration formelle et satisfaisante.
Ces deux puissances s’étaient engagées
solennellement à nous procurer, avant toute négociation ultérieure, la
reconnaissance de notre indépendance et de notre Roi, et l’exécution, non pas
d’un nouveau traité définitif, mais d’un traité déjà déclaré définitif et
irrévocable.
Comme les devoirs créent essentiellement
des droits, nous avions acquis celui de contraindre
Cette contrainte ne pouvait être directe.
On sait bien que ce n’est pas contre ces puissances que nous pouvions penser à
tourner nos armes, mais elle pouvait être indirecte, en en usant contre
Il fallait donc nous garrotter de manière à
ce que nous ne pussions plus invoquer le traité du 15 novembre pour exiger les
garanties d’exécution solennellement promises, et surtout à ce que nous ne
pussions plus penser à provoquer par nous-mêmes cette exécution.
La soumission, demandée par cette note du
1er juin renfermait évidemment une dérogation au traité du 15 novembre, une
abnégation formelle des garanties, sur lesquelles reposaient toutes nos
espérances, une renonciation complète à l’exercice de droits et d’avantages,
sans lesquels on n’eût point arraché notre consentement à ce traité.
Eh bien ! messieurs,
rien de tout cela ne touche notre cabinet ; il accepte et il abandonne ainsi
l’avenir du pays à la discrétion de la diplomatie.
On aperçoit dans la note d’acceptation tout
l’embarras de notre ambassadeur dans l’exécution de la commission.
Usant de ce style diplomatique, que vous
remarquez dans le projet d’adresse qui est en discussion, il entortille son
acceptation dans des réserves ; mais vous savez que l’on ne réserve jamais
utilement des droits, alors qu’en fait on les abdique.
Voila messieurs, où le fatal système
d’attente nous a conduits.
Notre droit politique est maintenant
interverti ; ce qui était final et irrévocable est transformé en précaire, et
ce précaire doit durer aussi longtemps que nos relations avec
Avec le traité du 15 novembre, je savais
comment cette question devait être résolue. Je ne le sais plus aujourd’hui que
sa solution est abandonnée à la médiation et à l’intervention des trois cours
du Nord, et j’accepte volontiers la qualification d’exagéré, lorsque, dans un
tel état de choses, je prévois une nouvelle humiliation et de nouveaux malheurs
pour mon pays.
Jusqu’ici, messieurs, je n’ai considéré la
convention du 21 que dans ses rapports avec notre droit politique et cela me
suffit bien pour la repousser.
Si je la considérais dans ses effets
secondaires, dans ses avantages matériels, je ne l’adopterais pas encore, parce
que ces prétendus avantages ne me feraient pas illusion.
Alors que
Sur ce point, je partage entièrement
l’opinion manifestée par le ministre des relations extérieures, dans la
dernière discussion du budget de la guerre.
Voici comment il s’exprimait dans son
rapport du 23 mars dernier :
« Nos intérêts les plus chers
exigent.... le maintien de notre état militaire, et puis, ne l’oublions jamais,
c’est le désarmement qu’il importe aux puissances d’obtenir. Or, désarmer avant
d’avoir acquis de notre adversaire au moins les garanties de notre
indépendance, ce serait peut-être se soumettre à du statu quo indéfini ; les
puissances n’auraient plus alors le moindre intérêt à obtenir de
« Toutes
ces considérations convaincront, je l’espère, ceux qui pouvaient encore en
douter, de l’indispensable nécessité de conserver notre imposante attitude
militaire. »
Or, messieurs, si la prudence exige de
n’opérer qu’une faible réduction sur la dépense de notre armée, les avantages
matériels du statu quo seront trop chèrement payés, outre qu’entre-temps l’état
intérieur du pays restera livré à des espérances et à des inquiétudes qui le
déchirent et troublent sa tranquillité.
Sous ces considérations, je voterai contre
le projet d’adresse s’il n’est pas amendé, et j’appuierai de mon suffrage tout
amendement qui aura pour objet de signaler l’abus de l’acte de dissolution et
désaveu de l’acte d’acceptation de la convention du 21 mai.
M. de Muelenaere. - L’orateur qui vient de parler vous a dit qu’il
se prononcerait contre le projet d’adresse par deux motifs principaux : le
premier parce que l’acte de dissolution de la chambre des représentants n’est
pas blâmé dans l’adresse ; le second parce qu’il considère la convention du 21
mai comme désastreuse pour le pays. Vous voudrez bien me permettre de répondre
en quelques mots à ces deux motifs allégués par l’orateur.
D’abord, messieurs, il me semble que
l’orateur ne s’est pas bien rendu compte de ce que c’est qu’une dissolution
dans un gouvernement représentatif, ni en principe ni en réalité. Il ne voit
aucun motif de dissolution parce que la chambre ne s’est pas rendue indigne de
son mandat, parce que la chambre n’a pas abusé de son pouvoir ; quant à moi,
messieurs, je pense que la constitution a très sagement fait en ne supposant de
prime abord l’infaillibilité de personne ; je crois qu’elle a très sagement agi
en cherchant à balancer les différents pouvoirs de l’Etat, de manière qu’ils
puissent se servir de contrepoids les uns et les autres.
Je n’ai pas besoin de dire quelles armes la
constitution fournit à une majorité parlementaire contre un ministère
antinational ; je n’ai pas besoin de vous dire non plus combien il est facile
aux chambres, quelquefois même à la minorité d’une chambre, dans un
gouvernement naissant, de renverser un cabinet, quelque pures, quelque loyales,
quelque patriotiques que soient ses intentions. Je ne vois au pouvoir royal
qu’un seul moyen de s’assurer de l’état de l’opinion publique, et ce moyen,
selon moi, c’est la dissolution.
Messieurs, c’est un malheureux préjugé, et
c’est un préjugé que je crois devoir combattre de toutes mes forces ; c’est un
malheureux préjugé de considérer la prérogative royale de mauvais œil, de la
considérer en quelque sorte comme l’ennemi de la liberté : non seulement nous
devons respecter ces prérogatives, mais nous devons les rendre fortes et
puissantes, parce que ce sont elles seules qui peuvent maintenir la paix
publique au-dedans et notre considération au-dehors.
C’est un autre préjugé, messieurs, que
d’envisager la dissolution d’une chambre comme un acte hostile envers cette
chambre ; la dissolution, selon moi, n’est autre chose qu’un appel, de la part
du Roi, à la nation.
Des difficultés s’élèvent entre une chambre
et le ministère ; la question est grave, elle est douteuse ; le Roi lui-même
hésite sur le parti qu’il doit prendre : il veut être éclairé, et il sait que
le meilleur moyen c’est d’écouter la voix publique : que fait-il dans cette
position ? Il dissout la chambre et fait un appel à la nation et de la chambre
et du ministère.
La nation juge ; la nation examine la
conduite de ses propres mandataires et la conduite des ministres ; elle
prononce en dernier ressort. Je dis en dernier ressort parce qu’il faut qu’il y
ait un terme à ce conflit.
Si la chambre nouvelle présente une
majorité hostile aux ministres, légalement c’est le ministère qui a tort, et il
doit se retirer ; mais la dissolution n’a été ni un crime du pouvoir, ni un
abus de la prérogative par le ministère ; la dissolution n’a été que l’exercice
d’un pouvoir légal.
Prétendre que le gouvernement ne saurait
dissoudre une chambre sans que le ministère ne soit exposé à un acte
d’accusation, c’est vouloir placer le gouvernement dans la chambre elle-même ;
c’est vouloir rendre le gouvernement docile à toutes ses volontés, c’est tomber
dans l’anarchie et dans la pire de toutes, dans l’anarchie des assemblées
délibérantes.
En Angleterre, où les principes
constitutionnels ont pénétré très avant dans les mœurs, la dissolution est
considérée comme un droit dont la couronne peut user quand elle le juge
convenable ; et jamais, cette dissolution ne provoque aucune plainte : au
contraire, elle est accueillie avec faveur et elle a lieu fréquemment.
Et pourquoi ? C’est parce qu’en Angleterre
on prend la dissolution, pour ce qu’elle est, pour un désir de la part du chef
de l’Etat de consulter son peuple sur les grands intérêts du pays et comme une
occasion favorable offerte à la nation d’exprimer son opinion sur la marche du
gouvernement et sur les affaires publiques et de faire arriver au trône les vœux
réels du pays sur l’intervention de ses mandataires.
Voilà ce que la dissolution est réellement.
Et par qui, messieurs, cette dissolution a-t-elle été écrite dans notre
constitution ? N’est-ce pas par le congrès ? N’est-ce pas par les mandataires
immédiats du peuple ? Et n’a-ce pas été en l’absence de tout pouvoir royal ?
Si le congrès avait pu voir autre chose
dans la dissolution que cette prérogative, nécessaire à la couronne, que cet
appel que, dans certaines circonstances, la couronne doit faire nécessairement
de la chambre à la nation, il ne l’aurait certainement pas écrite dans la
constitution qu’il a tracée lui-même.
Il me semble d’ailleurs, messieurs, que
notre dignité même nous fait un devoir d’abandonner une question qui peut être
considérée comme nous étant entièrement personnelle.
Au surplus, et il me sera permis de faire
cette observation après trois jours de débat sur une discussion générale, au
surplus, dis-je, sachons nous rendre dignes de la haute mission que nous avons
reçue ; sachons écouter la voix publique, l’opinion du pays ; cette opinion, je
crois pouvoir l’affirmer, est lasse, cette opinion est dégoûtée, je ne dirai
pas de cette discussion personnelle, mais elle est dégoûtée de ces théories, de
ces discussions politiques sans but et sans résultats.
L’opinion veut que nous nous occupions sans
retard de choses réelles, de choses utiles aux intérêts matériels du pays :
aidons, stimulons le gouvernement quand il veut ouvrir à notre industrie de
nouveaux débouchés, faisons des lois protectrices du travail et de
l’agriculture, et nous n’aurons pas à nous inquiéter le moins du monde d’une
dissolution, car nous satisferons nos commettants.
Une autre
question a été agitée ; c’est la question politique, c’est l’adoption du traité
du 21 mai.
Je regrette que, dans cette discussion,
l’orateur auquel je réponds n’ait pas rencontré les arguments qu’a fait valoir
hier l’honorable M. Nothomb. Toute cette matière a été traitée avec un talent
si remarquable par cet orateur, que je craindrais d’abuser de vos moments, que
je craindrais surtout d’affaiblir l’impression que cette savante dissertation a
dû produire sur vos esprits, si je voulais donner, quant à présent, des
développements à cet objet. J’attendrai que les arguments de M. Nothomb aient
été combattus ; alors je tâcherai de démontrer à mon tour que la convention du
21 mai n’est pas désastreuse pour le pays, et que dans les circonstances
actuelles c’est ce qui pouvait lui arriver de plus avantageux.
M. Ernst. - Dans les pays où l’administration des affaires
est dans les mains d’hommes habiles et entourés de la confiance publique, où
les relations extérieures poursuivies avec énergie et dignité produisent des
résultats conformes à l’honneur et à l’intérêt national, où le mécanisme des
grands pouvoirs de l’Etat suit un mouvement sûr et régulier, où les droits de
liberté, de sûreté, de propriété trouvent toujours une protection prompte et
efficace ; dans ce pays heureux l’adresse au Roi est pour les députés du peuple
une belle occasion d’élever jusqu’au trône des paroles de félicitations et de
reconnaissance, qui vont ensuite retentir dans tous les cœurs.
Mais hélas telle n’est pas encore la
destinée de
La convention du 21 mal prépare un avenir
funeste à notre patrie ; nous ne devons pas craindre de le dire.
La dissolution de la chambre est une mesure
impolitique que nous devons condamner hautement.
Le ministère n’a pas employé les moyens qui
étaient à sa disposition pour prévenir et arrêter les désordres qui ont eu lieu
à Bruxelles, à Gand et surtout à Anvers. Il faut, par une désapprobation
éclatante, jeter loin de nous toute responsabilité.
C’est dans cet esprit que l’adresse doit
être faite, si nous voulons une adresse-vérité.
Envisageons d’abord la politique
extérieure.
Avant la convention du 21 mai dernier, nous
avions l’espérance et les moyens de faire exécuter promptement par
Une armée nombreuse, bien exercée, conduite
par des officiers braves et expérimentés, impatiente de laver un récent
affront, aurait bientôt forcé
Nous n’avons pas fait la guerre, parce que
La sympathie des principes politiques, un
commencement d’exécution, la prise d’Anvers, la conservation des prisonniers
hollandais, n’étaient pas les seuls gages de cette promesse.
Une mesure qui devait nécessairement
vaincre la résistance de roi Guillaume, c’est l’embargo et le blocus des ports
de
Mais cette mesure même, telle qu’elle était
prise, aurait toujours fini par amener ce résultat.
Aussi
L’opiniâtre énergie du roi Guillaume a
triomphé de la patience de
Et
Ce n’est plus à
Au reste, il y a longtemps qu’il est facile
de voir que
Il est temps encore de sentir notre
position et de prévenir les dernières humiliations.
Prenons garde de nous faire illusion sur
les fatales conséquences de la convention du 21 mai, en ne songeant qu’à des
avantages momentanés.
L’Escaut et
Mais
Et alors les cinq puissances comment recevront-elles
nos plaintes ?
Nous ferons un appel au pays. dira-t-on. Eh
! que ne le faisons- nous, lorsque nos prétendus
protecteurs nous trompent, lorsqu’ils violent leurs promesses, et au lieu d’une
fin prochaine qu’ils s’étaient engagés à nous procurer, nous laissent dans un
provisoire indéfini ?
Et cette belle armée qu’on vous défend de
conduire à la victoire, il ne sera pas permis non plus de la licencier s’il
plait aux Hollandais de ne pas désarmer.
L’Escaut et
Mais l’honorable M. Legrelle vous a déjà
signalé, messieurs, des entraves apportées à la navigation de l’Escaut, et qui
ne sont que le prélude d’autres obstacles.
Quant à la navigation de
Noua resterons provisoirement en possession
des portions du Limbourg et du Luxembourg qui doivent appartenir à
Nous ne paierons pas la dette. Mais nous ne
la devrons pas moins : en serons-nous plus riches quand il faudra continuer de
grands frais de guerre et solder ensuite l’arriéré avec le courant ?
Nous ne paierons pas la dette ?
Le traité du 21 mai est fait sans nous et
contre nous.
Ce serait le dernier degré d’avilissement
d’être obligé d’accepter comme un bienfait un acte que bientôt tout le monde
déplorera.
L’honorable M. Nothomb a épuisé toutes les
ressources d’un talent que j’ai admiré, pour présenter la politique extérieure
sous un jour favorable.
Je tâcherai de résumer les principales
raisons qu’il a fait valoir, et d’y répondre le plus brièvement possible. Si
telle n’avait pas déjà été ma résolution, les observations de M. de Muelenaere
me l’auraient fait prendre.
Si le traité du 15 novembre 1833 n’existait
plus, l’opposition devrait s’en réjouir ; si un de ses membres pouvait se
vanter d’un semblable résultat, il crierait à la victoire !
« Vous remontez à septembre, s’est-il
écrié, et vous vous plaignez ! »
Eh quoi ! messieurs, effacer les 24
articles sans y substituer d’autres dispositions définitives, sans avoir aucune
garantie qu’on ne nous imposera pas d’autres conditions plus onéreuses ;
effacer les 24 articles en se livrant à la discrétion des cinq puissances. Non,
non, personne ne disputera une pareille œuvre à ses auteurs !
Vous appelez cela revenir à septembre,
signer et se taire, se soumettre à tout ce qui arrivera, s’engager à ne pas
prendre les armes, renvoyer notre armée.
L’idée n’est pas heureuse !
L’honorable orateur auquel j’ai l’honneur
de répondre, nous dit qu’il avait prévu que nous aurions un jour cette
convention du 21 mai.
Il est fâcheux qu’il n’ait pas publié
d’avance ses prévisions, on aurait pu éclairer le gouvernement sur le danger
auquel il allait exposer le pays.
Voici comment il nous a donné la clé de la
convention : « Voulez-vous, a-t-il dit à
La chose a été acceptée : Guillaume ne nous
reconnaît pas, qu’importe ?
« Charles X ne reconnaît pas non plus
Louis-Philippe, et, ce qui plus est, Charles X peut disposer de ses biens
situés en France ! »
Comparer la position de Charles X à celle
de Guillaume, attacher de l’importance à ce que les biens de la maison de
Nassau restent sous le séquestre, en vérité la chose me paraît trop peu
sérieuse pour y répondre.
Ce n’est pas avec
« L’exécution du trait du 15 novembre
ne pouvait avoir lieu sous l’empire des mesures coercitives. Cette exécution
est commencée, elle n’est qu’interrompue. »
Comment ! on ne
pouvait continuer les mesures coercitives jusqu’à ce que les forts de l’Escaut
eussent été remis à
« L’exécution n’est
qu’interrompue. »
La vérité est que nous n’avons aucune
garantie de l’exécution des 24 articles : les mesures coercitives sur
lesquelles on fondait cet espoir n’existent plus.
La reconnaissance est un fait moral à
l’égard duquel toute contrainte est impossible !
Mais il n’était pas impossible de réduire
Si l’exécution du traité du 15 novembre
n’est pas entière, avons-nous à nous plaindre ?
Eh quoi ! ces
puissances seraient libres d’exécuter le traité à l’époque et de la manière
qu’il leur plairait de fixer !
Ce n’est pas ainsi que
Des deux choses l’une, a dit le même
orateur, ou nous aurons un traité définitif auquel nous concourrons ou nous
resterons dans le statu quo.
Dans le premier cas nous n’aurions qu’a
nous féliciter, et dans le deuxième nous jouirions d’une position dans laquelle
tous les avantages sont de notre côté.
Mais on conçoit à peine qu’un représentant
du peuple belge puisse se résigner aussi facilement aux conséquences d’un
provisoire indéfini.
On ne compte donc pour rien les agitations
intérieures qui suivent un état précaire.
On ne sait donc pas combien il fait
souffrir le commerce et l’industrie.
Le pays ne se consolidera, il ne sera
libéré des frais qui l’épuisent qu’après une reconnaissance de
M. Nothomb a du reste senti qu’il y a un
milieu dans le dilemme qu’il a proposé, c’est le cas d’un arrangement
désastreux qui suivrait le traité du 21 mai. Eh bien ! voilà
ce que nous redoutons. A cet égard, l’honorable orateur a cru pouvoir vaincre
ses répugnances pour les prophéties, en prédisant que le nouveau traité sera
plus favorable encore que celui des 24 articles.
En 1833, a-t-il dit, notre position sous
tous les rapports est plus avantageuse qu’en 1831. Alors nous étions dans
l’humiliation et l’anarchie ; aujourd’hui l’ordre règne et nous avons des
forces imposantes.
Le Nord, au contraire, est divisé par des
dissensions intestines.
On ne doit pas trop compter sur
l’Angleterre, dont la position intérieure est pleine d’embarras.
Quand il s’agira de soutenir des intérêts
nationaux, je croirai volontiers à la force de
C’est à
Mais ce serait se tromper que de croire que
En 1831 le gouvernement français craignait
que l’esprit de liberté, de propagande et des cris guerre n’eussent une
influence funeste en France ; aujourd’hui ces craintes n’existent plus.
Il serait d’ailleurs absurde de croire que
Enfin, l’honorable M. Nothomb a ajouté que
de nouvelles négociations n’étaient pas contraires au traité du 15 novembre.
Oui, si les bases de ce traité étaient
admises, si
Aussi longtemps que cela n’est pas,
négocier c’est se perdre.
Dans la politique intérieure deux
événements graves doivent être signalés à la sagesse du Roi.
Les ministres ont trahi la confiance de S.
M. et celle du pays par l’acte de dissolution de la chambre des représentants.
De puissants motifs d’ordre public peuvent
seuls autoriser une mesure qui ébranle le pays. D’immenses résultats pourraient
seuls l’excuser.
Or, elle a été sans but et sans effet, et
elle atteste pour le moins l’incapacité des conseillers de la couronne.
Je conviens avec l’honorable M. de
Muelenaere que la dissolution de la chambre est une prérogative royale, qu’il
ne faut porter aucune atteinte aux prérogatives royales, que c’est un appel à
l’opinion qui peut être bon chez nous comme en Angleterre, et que par lui-même
il n’est pas hostile.
Mais si les ministres abusent d’une
prérogative aussi importante, s’ils y recourent sans nécessité et sans utilité,
alors il importe que le Roi soit averti que ses ministres se mettent en
opposition avec le vœu national.
Or, je ne crains pas de faire un appel à
l’opinion publique.
Elle n’a pas varié un instant à cet égard,
elle s’est prononcée avec force entre le ministère avant, pendant et après les
élections.
Si je ne craignais de paraître toucher aux
personnes, quand ma pensée ne s’attache qu’aux choses, je parlerais de la
manière dont les ministres députés ont subi le jugement de leurs compatriotes
dans l’urne électorale.
Une des malheureuses conséquences de la
dissolution de la chambre a été de laisser le ministère sans force pour lutter
contre les factions.
Bruxelles, Gand et Anvers ont été le
théâtre d’attentats dont on ne voit pas d’exemples dans les pays civilisés.
Des cris d’indignation ont éclaté de toutes
parts, à l’étranger comme en Belgique.
Le ministère n’a pas eu la volonté ou
l’énergie de prévenir ou d’arrêter d’horribles excès.
Le silence du gouvernement dans les moments
les plus critiques, une lettre trop célèbre du général Magnan contenant des
principes subversifs de l’ordre public, ont répandu l’alarme dans tout le pays,
qui a vainement attendu une juste réparation.
M. le ministre de la justice a compris
combien il serait important de disculper le gouvernement de toute faute dans
des faits qui tiennent aux fondements de l’ordre social.
Il a fait de grands efforts pour atteindre
ce but ; mais, je le dis avec franchise et conviction, ces efforts ont été
infructueux.
Oui, il est difficile de réédifier le
pouvoir après une révolution. C’est une tâche glorieuse que de braver
l’impopularité pour faire le bien de la patrie.
Il y a de l’honneur à soutenir un ministère
qui, au milieu des orages et des passions populaires, tient les rênes de l’Etat
de main ferme et fait respecter la justice pour tous.
Oui, et je serais le premier à défendre des
ministres qui suivraient une semblable route.
On n’ignore pas non plus les événements qui
ont en lieu en France, en Angleterre, en Amérique.
Les théories invoquées ne sont pas
contestées, et les faits sont sans application.
L’action de
l’autorité en Belgique est organisée ; elle est libre, puissante, et il n’y a
pas le moindre doute que si, dès les premiers jours, le gouvernement avait
exposé dans le journal officiel les principes d’ordre et de salut, et repoussé
les suppositions odieuses qu’on élevait contre lui, s’il avait fait donner des
ordres précis aux officiers, et fait publier ces ordres, s’il avait déployé les
forces dont il pouvait disposer, il n’y a point de doute que la paix publique
n’aurait pas été troublée, ou aurait été immédiatement rétablie.
Le ministère a commis des fautes graves ;
qu’il en porte la responsabilité, pour que le trône et la représentation
nationale soient plus respectés au-dedans et au-dehors.
Je ne m’associerai à un projet d’adresse
que lorsqu’il fera connaître au Roi l’opinion du pays sur le traité du 21 mai,
l’arrêté de dissolution, et les attentats dont j’ai parlé.
M. le ministre de la guerre (M.
Evain) demande la parole.
- Messieurs, dit-il, c’est à tort que quelques orateurs ont supposé qu’il
s’agissait de licencier on du moins de désorganiser l’armée ; les divisions
doivent rester organisées comme elles l’étaient ; les troupes demeureront
campées jusqu’à nouvel ordre ; si des congés ont été distribués, ils ne l’ont
été que dans les corps qui ne faisaient pas partie de l’armée active. Tous les
hommes ont reçu l’ordre de se tenir prêts à la première réquisition, et les
mesures sont prises pour qu’ils aient rejoint leurs corps huit jours après
l’ordre qu’ils en auront reçu.
Quant aux troupes actives, des congés
temporaires leur seront accordés, si la suite des négociations permet cette
mesure. Messieurs, je vais donner les explications que l’on demande sur les
mesures prises par le ministère au sujet des désordres qui ont eu lieu à
Anvers.
M. le général Buzen, commandant supérieur
de la place d’Anvers, rendit compte le vingt-deux mai des désordres qui avaient
eu lieu dans cette ville la nuit précédente, et annonça que tout était calme le
vingt-deux au matin.
Il lui fut prescrit de prendre toutes les
mesures nécessaires pour maintenir la tranquillité.
Ses rapports des vingt-trois et
vingt-quatre donnèrent toute assurance du maintien de l’ordre, qu’il n’hésita
pas à prendre sous sa responsabilité personnelle.
C’est le même jour que le ministre de la
guerre reçut de la régence d’Anvers communication des rapports des commissaires
de police Haghen et De Duve,
qui lui firent connaître des particularités sur les événements de la nuit du
vingt-un.
Ces pièces furent communiquées sur-le-champ
au ministre de la justice, qui ordonna une enquête sur les faits reprochés au
commandant de la place et au major Deleau : cette
enquête se poursuit et n’est pas encore terminée ; le major Deseau
s’est inscrit en faux contre une partie des faits exposés dans le rapport du
commissaire de police De Duve, qu’il prétend être de
plus calomnieux : cette double affaire est encore en instance et ce sera aux
tribunaux à prononcer.
Le ministère fut informé qu’il se préparait
des mouvements semblables sur d’autres points, et s’empressa de donner l’ordre
de prendre toutes les mesures nécessaires pour les prévenir, et les comprimer
au besoin.
En apprenant que, le 28 et le 29 mai, il y
avait encore quelques attaques personnelles à Anvers, le ministre de la guerre
s’empressa de donner les ordres les plus formels pour faire cesser toute
insulte contre le costume, et un ordre du jour du 30 menace des peines les plus
sévères les militaires qui se le permettraient.
Un seul militaire était inculpé, et a été
traduit au conseil de guerre. Quant ce qui s’est passé à Gand, voici les
explications que je puis donner : Le général Malherbe, commandant militaire de
la province de
Le général Magnan, commandant les troupes
de la 6ème division de l’année, stationnées dans les deux Flandres, avait suivi
le Roi dans l’inspection que Sa Majesté en avait passée à Bruges, Ostende,
Nieuport, Ypres, etc., et ne fut de retour à Gand que le 15 au soir.
Ce général y trouva une lettre de l’éditeur
responsable du Messager de Gand, en
date du 13 ; et cédant au premier mouvement de ses sentiments personnels, il
lui fit la réponse que ce journaliste s’empressa de publier : mais cette lettre
était toute personnelle et répondait à des insinuations que M. le général
Magnan devait repousser.
Mais, écoutant
la voix des devoirs qui lui étaient imposés, il donnait en même temps les
ordres nécessaires pour faire cesser les troubles, et c’est ce qui résulte
clairement de la lettre qu’il écrivit le même jour à la société de
« J’ai donné les ordres pour que les
scènes qui se sont passées dans votre local ne se renouvellent plus ; je
méconnaîtrais les intentions du gouvernement, si je tolérais plus longtemps une
conduite qui, quels que soient les sentiments honorables qui la dictent,
porterait atteinte à la tranquillité publique. Ce n’est pas votre lettre,
messieurs, qui a provoqué les mesures que j’ai prises, c’est le sentiment de
mon devoir. »
Le général Magnan déploya la plus grande
énergie pour faire cesser le désordre et rétablir la plus parfaite
tranquillité, ce qui eut lieu dès le lendemain.
M. Quirini. - Le traité du 21 mai n’est plus un projet, il existe ; le
gouvernement y a adhéré et dès lors il nous lie ; noua sommes forcés d’en subir
les conséquences, ces conséquences me paraissent fatales à
Voyons donc les avantages de la dernière
convention. Elle nous donne l’assurance de la cessation des hostilités. Elle
nous garantit le libre passage de l’Escaut, et Dieu sait comment cette
stipulation sera exécutée par
En nous imposant le traité du 15 novembre,
la conférence se proclamait irrévocable ; elle disait qu’il formerait à
l’avenir notre droit public, qu’aucune atteinte ne lui serait portée. Qu’est-il
arrivé cependant ? Le roi Guillaume n’y a pas adhéré, et après un commencement
d’exécution, tous les moyens sont venus se briser contre la volonté ferme et
inflexible du roi de Hollande. Si elle eût été exécutée avec sévérité, avec
rigueur, la mesure de l’embargo était bien propre pour arriver à l’exécution du
traité du 15 novembre ; il était impossible que le roi Guillaume ne cherchât
pas à se soustraire par une adhésion à une mesure qui embarrassait son commerce
et devait mécontenter ses sujets. Les puissances avaient pris l’engagement
d’amener, soit par la force, soit par la persuasion, le roi Guillaume à
l’exécution du traité, et c’est dans un pareil état de choses que la convention
du 21 mai a été signée, que les puissances renoncent à tout moyen de
coercition, que l’embargo est levé, que les prisonniers hollandais sont rendus,
qu’une partie de l’armée est licenciée, qu’il n’est plus permis désormais
d’apporter le moindre obstacle à ce que Maestricht communique avec le Brabant
septentrional. Quant à vous, on vous fait contracter l’engagement de vous
abstenir de toute hostilité. Il est vrai que les deux puissances exécutrices
promettent de s’occuper incessamment de conclure un traité définitif.
Mais je le demande encore, le traité du 15
novembre existe-t-il encore ? S’il existe encore, le rôle de la diplomatie est
bien souple, il consiste à amener le roi Guillaume à y adhérer.
Avons-nous plus de chances pour une
acceptation de sa part, aujourd’hui qu’il est libre de recourir à son système
de temporisation ? Ce que veut Guillaume c’est la continuation de notre état
précaire, de ce provisoire que naguère on disait nous être si défavorable. Ce
qu’il ne veut pas, c’est la reconnaissance de notre royauté, de notre
nationalité, de notre indépendance. C’est à vous maintenant d’examiner si la
convention du 21 mai est de nature à le contraindre à une adhésion, d’examiner
si cette convention ne menace pas le traité soi-disant définitif.
Je pense que ce qu’il importe le plus à
l’honneur d’un pays, c’est la certitude de son existence, et de connaître les
conditions de cette existence. Or, selon moi, la convention du 21 mai compromet
notre existence.
On a voulu comparer
M. le président. - Il n’y a plus d’orateur inscrit pour la
discussion générale ; si personne ne demande la parole, la discussion est
fermée.
(Moniteur
belge n°175, du 24 juin 1833) M.
Dubus. -
Moi aussi, messieurs, j’ai fait partie de la commission chargée de rédiger
l’adresse ; mon opinion a été que le projet était insuffisant pour exprimer les
sentiments de la chambre, sentiments dont la manifestation a été provoquée par
la communication du traité du 21 mai, et par le discours de la couronne ; je
crois devoir motiver en peu de mots l’opinion que j’ai émise dans le sein de la
commission, bien qu’il me semble que la discussion soit épuisée ; et que de
plus je n’aie pas l’habitude de traiter les affaires extérieures. En effet,
c’est la première fois qu’il m’arrivera d’en parler devant la chambre.
Lorsqu’on vous a donné communication de la
convention du 21 mai, on vous a présenté ses avantages sous les apparences les
plus séduisantes. Mais par malheur, de tous ces avantages on a supposé les uns
et de beaucoup exagéré les autres.
Pour les apprécier comme il convient, il
faut examiner la situation où nous étions avant qu’elle n’intervienne, et la
situation qu’elle a créée ; les avantages dont nous jouissions alors et ceux
dont nous jouissons aujourd’hui ; les droits que nous avions et ceux que nous
aurons, et ceux dont nous resterons privés. Cet examen, je l’ai fait, et j’ai
été tout à fait désenchanté. J’ai pensé que le mandat qui nous est donné par la
nation n’était pas d’abdiquer une partie de ses droits, et j’ai cru devoir
protester contre ce qui me semblait l’abandon des droits qui nous ont été
confies par nos commettants.
On a dit que la convention du 21 mai nous
assurait la jouissance du territoire qui nous a été cédé par le traité du 15
novembre ; qu’elle nous procurait l’avantage de ne pas payer la dette jusqu’à
la conclusion du traité définitif ; qu’elle nous assurait la jouissance de
l’Escaut, la navigation de
Vous remarquerez qu’à l’exception de la
navigation de
Ainsi les seuls avantages que nous ayons
retirés, ce sont la navigation de
Quant au désarmement, il y aurait une haute
imprudence à l’exécuter avant qu’il nous soit démontré que nous pouvons être en
sécurité parfaite.
Voyons maintenant le revers de la médaille
; voyons ce que nous perdons par la convention du 21 mai : d’abord elle fait
cesser les mesures coercitives, et par là les promesses formelles qui nous ont
été faites il y a 2 mois et demi nous échappent. Le gouvernement nous avait dit
: Tant que le roi Guillaume ne consentira pas à admettre les décisions de la
conférence du 15 novembre, les mesures coercitives seront continuées même avec
plus de rigueur que jamais. Voilà les promesses qui nous étaient faites
officiellement le 23 mars dernier ; aujourd’hui cependant les mesures ont
cessé, on renonce à contraindre
Bien plus, rien ne nous assure que nous
n’aurons pas à payer, au moment de la solution définitive, tous les arrérages
de la dette. Tout indique au contraire que nous serons obligés de les payer.
Ai-je besoin de vous rappeler ces documents par lesquels le gouvernement
insistait pour être libéré de tous ces arrérages ? A ces instances on n’a pas
même répondu par une demi-promesse, et si le traité n’est pas abandonné, on
nous l’opposera pour nous faire tout payer. Ces arrérages feront une masse
passive écrasante, lorsque déjà les revenus de l’Etat seront absorbés par les
nécessités d’un état militaire double de ce qu’il serait en pleine paix.
Cet état militaire ruineux est en effet un
autre désavantage du statu quo, il nous coûtera au moins 20 millions de plus
que si nous étions en pleine paix ; or la partie de la dette que nous aurions à
payer, est portée à 17 ou 18 millions par année. Ainsi donc, la dette de 18
millions que nous ne payons pas, est plus que remplacée par une surcharge de 20
millions, et lorsque viendra la solution finale, nous aurons encore tous les
arrérages à payer.
Voilà ce qui nous attend.
Mais le traité lui-même est mis en question
dans la convention du 21 mai : jusqu’ici la conférence l’avait regardé comme
notre droit, les deux puissances nous en garantissaient l’exécution ;
aujourd’hui l’on n’en parle plus, et il est laissé une libre carrière à toutes les
conjectures et à toutes les imaginations pour deviner ce que l’on mettra à sa
place.
Je n’ai pas voté pour l’acceptation des 24
articles, mais il semble qu’au point où nous étions parvenus, il y aurait plus
qu’une faute à les abandonner, et je ne pense pas qu’aucun de nos hommes d’Etat
osât nous en faire la proposition.
Cependant le silence gardé à cet égard par
Par la convention du 21 mai, déjà l’on nous
propose de nous lier les mains, ou plutôt de tendre les mains pour qu’on nous
les garrotte.
On a donc eu raison de dire qu’elle rendait
notre situation pire qu’avant le traité des 24 articles, car avant nous étions
armés, et résolus à faire usage de nos armes si nous n’obtenions pas justice.
Aujourd’hui au contraire on nous propose de nous désarmer, on nous engage à
renoncer à toute hostilité, et en retour on ne nous donne aucune garantie pour
l’exécution du traité du 15 novembre.
Maintenant, je le demande, s’il intervient
un nouveau traité défavorable à
Si au contraire, comme un orateur qui ne
prophétise pas d’ordinaire nous l’a prophétisé, si ce traité par impossible se
trouvait favorable à
Vous vous rappelez l’article de la
constitution qui dit que les traités de commerce et tous ceux qui grèvent
l’Etat, doivent obtenir l’approbation des chambres ; la constitution ne
prescrit pas la forme dans laquelle cette approbation doit être donnée, et l’on
a pensé que l’adresse pourrait remplacer une loi formelle sur ce point.
Pour moi, je trouve que nous devons
protester dans l’adresse contre cet abandon de droits de la nation et que je
vous ai signalé ; protester que nous regardons les engagements de
On nous a dit que les puissances ne
s’étaient prescrit aucun mode spécial d’exécution ; cela est possible, mais
enfin elles doivent en choisir un et nous procurer une adhésion immédiate du
roi Guillaume. Je sais bien qu’elles ne se sont imposé aucun délai, mais il me
semble que l’exécution immédiate était de rigueur, et dans tous les cas, après
18 mois d’attente on ne peut pas trouver étrange qu’un peuple se plaigne de la
non-exécution des traités.
Je ne suis pas du tout rassuré par la note
du 1er juin, je la trouve incomplète ; on veut que nous consentions à nous
laisser garrotter. C’est un traité dans lequel on fait nos affaires et qui nous
est notifié. Le gouvernement y donne son adhésion, envoie des ordres à tous les
commandant militaires pour qu’il reçoive son exécution ; c’est là une
acceptation pure et simple, sans aucune réserve.
Pourquoi, messieurs, ne ferions-nous pas
une manifestation aussi éclatante qu’au 14 mai dernier, alors que nous avons
invoqué nos droits à l’unanimité ? Je ne puis donc donner mon assentiment à la
rédaction proposée par la majorité de la commission. J’y préférerai les
amendements formulés dans le sens énonce par plusieurs orateurs qui m’ont
précédé.
Je n’en dirai pas davantage sur la question
extérieure, mais je crois devoir vous présenter quelques observations sur
d’autres questions qui ont été soulevées à propos de la discussion de
l’adresse.
On a signalé les excès qui se sont commis
dans les principales villes du royaume ; certes, messieurs, je me garderai bien
d’accuser légèrement le ministère de les avoir provoqués. Mais il me semble
qu’il ne s’est pas justifié ou du moins qu’il ne s’est pas suffisamment
justifié du reproche de négligence. Un fait a été signalé, auquel il n’a pas
été fait de réponse ; nous ne savons pas quelle conduite le gouvernement a
tenue lorsqu’ont été publiées dans les journaux ces lettres, l’une d’un
officier général et l’autre d’officiers de l’armée, lettres qui, la dernière
surtout, sont menaçantes pour les libertés publiques. Et chose étrange, l’une
de ces lettres a été publiée par un journal semi-officiel. En me servant de
cette expression, mon dessein n’est pas de réveiller une discussion irritante ;
mais on sait que partout, indépendamment d’un organe officiellement avoué par
le gouvernement, qui parle rarement, et dans notre pays presque jamais, il y a
d’autres organes qui reçoivent des demi-confidences des ministres et où leur
pensée se révèle souvent. Eh bien, c’est précisément le journal semi-officiel
de notre ministère, journal qui annonce le premier les arrêtés royaux et même
les arrêtés de destitution, qui nous révèle souvent la pensée du gouvernement ;
c’est ce journal qui publiait sans commentaire une lettre par laquelle des
officiers, tout en affectant un respect dérisoire pour la liberté de la presse,
déclaraient qu’avec leur épée ils en corrigeraient les abus. J’aurais désiré
que MM. les ministres nous eussent donné des explications sur ce fait signalé
par un honorable membre, et qu’ils nous eussent dit quelles mesures ont été
prises par le gouvernement à l’égard d’officiers qui attaquaient aussi
audacieusement les libertés garanties par notre constitution.
On a parlé encore dans la discussion
actuelle de manœuvres électorales qui auraient été employées par le ministère
ou dans son intérêt ; au nombre de ces manœuvres on a fait mention de places de
notaire conférées, et à cet égard, j’ai des explications à demander sur une
disposition semblable que j’ai lue avec beaucoup de surprise dans les journaux
: j’y ai remarqué qu’une place de notaire s’est trouvée transmise entre deux
personnes absolument étrangères l’une à l’autre par un seul arrêté, ce qui
donne lieu de présumer qu’un traité préalable avait été fait entre les deux
personnes et que le ministère y a donné sa sanction. Cependant rien n’est plus contraire
à la loi, et pour le démontrer il me suffira de lire un arrêté du 16 mars 1831.
(Ici l’orateur donne lecture de cet
arrêté.)
En terminant, je crois ne pouvoir me
dispenser de m’élever contre la doctrine exposée à la tribune nationale hier,
par M. le ministre de l'intérieur, à propos des plaintes articulées contre
certaines destitutions.
La chambre, je l’avouerai, doit, en
général, éviter d’entrer dans les questions de destitution, tant qu’elles
demeurent des questions individuelles ; le gouvernement perdrait toute force,
tous moyens d’opérer le bien, si, pour chaque révocation qu’il croit devoir
faire de fonctionnaires administratifs, il était traduit à la barre de cette
chambre, qui se constituerait en une sorte de tribunal où les individus qui se
croiraient lésés verraient leurs griefs exposés, leurs droits défendus.
Les ministres sont chargés, sous leur
responsabilité, de faire exécuter les lois, d’administrer. Ils ont, en
conséquence, le choix de leurs agents d’exécution, des fonctionnaires de l’administration
générale. Il leur importe de ne confier ces fonctions qu’à des personnes en la
capacité, en la probité desquelles ils puissent puiser leur confiance. Il faut
qu’ils puissent pour le bien du service, remplacer un administrateur peu
capable par un plus capable ; un homme qui ne justifie pas ou qui trahit leur
confiance, par quelqu’un dont la fidélité leur donne plus de garantie de
l’accomplissement des ordres, conformes aux lois, qui leur seraient transmis.
Jusque-là les ministres agissent d’après la connaissance qu’ils se sont
procurée de la capacité de ceux qu’ils emploient, d’après la conscience qu’ils
ont de la confiance qu’ils peuvent leur accorder : et les chambres n’ont pas à
en connaître.
Si la question sort (si je puis m’exprimer
ainsi) de l’individualité et se généralise ; si le nombre et la nature des
destitutions accusent un système, ou bien si le ministre vient à la tribune
proclamer qu’il destitue par système : si, par exemple, des hommes familiers
avec l’étude des lois, administrateurs expérimentés, qui ont donné des gages de
leur attachement à nos nouvelles institutions, ont été remplacés par d’autres
hommes, dont l’éducation administrative est peut-être encore toute à faire, et
que le ministre annonce spontanément à la représentation nationale que loin
qu’il les ait révoqués pour incapacité, ou pour infraction aux devoirs
spécialement attachés à leurs fonctions, il a beaucoup d’estime pour leurs
talents et leur caractère, mais qu’il a destitué l’un pour son opposition
parlementaire, et l’autre parce qu’il n’a pas répudié d’avance le mandat de
député que voulaient lui déférer ses concitoyens ; s’il est devenu constant
ainsi, par la déclaration même du ministre, que ce n’est pas pour que le pays
soit mieux administré qu’il les a destitués, mais pour les faire servir
d’exemple aux autres fonctionnaires révocables, qui seraient en même temps
députés, pour les dégoûter de faire de l’opposition et même pour les astreindre
à n’accepter le mandat de député que sous le bon plaisir du gouvernement ; de
sorte que les ministres feraient usage du droit de révoquer les fonctionnaires,
non dans l’intérêt général du pays, mais dans leur intérêt individuel à eux
ministres et pour se perpétuer au pouvoir en dépit du vœu libre du peuple,
alors, messieurs, c’est le système tout entier, résultant du discours du
ministre, qui est à juger : il intéresse la dignité, l’honneur même de la
chambre, puisqu’il attaque l’indépendance du député, la conscience politique du
citoyen. Non seulement elle peut, mais elle doit se prononcer, sous peine de
s’en rendre complice.
Or tel est le système que M. le ministre de
l’intérieur n’a pas craint de développer devant vous, dans votre séance d’hier
soir.
Il s’est attribué le droit de considérer
les votes, donnés par un député dans tel ou tel sens, comme un crime qu’il
punit de la peine de la destitution. Je me sers exprès du mot peine, parce que,
dans le sens dans lequel le ministre l’applique, c’en est une, dont il menace
tous les fonctionnaires révocables, membres de cette chambre, pour les
détourner de voter dans un autre sens que le sien. Et c’est véritablement une
peine par ses effets : beaucoup de fonctions administratives exigent une
aptitude qui ne s’acquiert que par de longues études et un travail assidu ;
plusieurs fonctionnaires ont abandonné d’autres carrières, qui leur
promettaient un sort heureux, pour entrer dans celle-là, croyant y trouver
aussi un sort assuré, en conservant l’indépendance de caractère de l’honnête
homme et du citoyen sans laquelle on ne peut espérer aucune considération. Et
tout à coup, à cause de cet honorable caractère d’indépendance même, à cause de
la probité politique d’un fonctionnaire, vous, ministre, vous auriez le droit
de le destituer brutalement, de le priver peut-être de ses moyens d’existence,
de lui donner le regret d’avoir compromis son sort en entrant dans une carrière
que, sur la foi même des théories de nos hommes politiques, il devait croire
accessible à tout citoyen à la fois capable et consciencieux ! N’est-ce pas là
une peine, et des plus graves ?
Mais, dit-on, le gouvernement doit pouvoir
s’entourer d’hommes qui partagent ses vues politiques, et consentent à le
seconder. Je conçois en effet, messieurs, qu’il ait besoin de certains
coopérateurs, dont les opinions politiques lui soient connues : tel est, pour
en donner un exemple, un secrétaire-général des affaires étrangères ; j’avoue
qu’il est indispensable que ses vues politiques soient en harmonie avec celles
du ministre qui travaille avec lui, et qui lui livre même les secrets de
l’Etat.
Mais, je vous prie, des commissaires de
district doivent-ils avoir des vues politiques, et quelles vues politiques
doivent-ils avoir ? Ils doivent être des hommes capables et probes, et voilà
tout. Leurs vues politiques sont tout à fait étrangères à leurs fonctions ; et
ce sont d’autres fonctions seules qui leur donnent l’occasion de les
développer. C’est comme députés, si le peuple leur en confère le mandat, c’est
dans cette enceinte qu’ils ont à exposer leurs vues politiques ; et leur conscience
de député n’est pas dans le domaine du ministre. Ils sont, sous ce rapport, et
doivent être dans une complète indépendance.
Cependant on veut les placer dans une
dépendance absolue ; on a comparé sérieusement le ministre, dans ses rapports
avec les députés fonctionnaires, à un général d’armée dans ses rapports avec
ses soldats. Comment voulez-vous, a-t-on dit, qu’il gagne une bataille si ses
soldats tournent contre lui leurs armes ? Ainsi les fonctionnaires révocables,
que renferme cette chambre, forment une armée, dont M. le ministre de
l’intérieur est le général, et il faut qu’il puisse leur commander leur vote,
pour s’assurer le gain de la bataille. (Rire
général.) Voila l’un des plus forts arguments que vous avez entendus dans
la séance d’hier.
Toutefois,
on veut bien user d’indulgence ; on consent à avoir celle d’excuser des
votes isolés, des dissidences passagères (expression qui se rencontrait naguère
dans un journal semi-officiel qui traitait le même sujet) ; mais on condamne,
sans rémission, une opposition permanente ou sur les questions que l’on appelle
fondamentales. Mais qui a donné le droit au ministre de prescrire ces règles à
la conscience du député ?
Cette doctrine, messieurs, vous devez la
flétrir, Elle doit l’être dans l’intérêt des fonctionnaires publics eux-mêmes,
qu’elle tend à déshonorer. Le ministre fait cette loi à tout fonctionnaire :
« Tu penseras comme moi ! Si tu ne le peux, tu me sacrifieras ta
conscience et tu voteras comme moi ! » Elle tend à en faire des hommes
sans opinion ou sans conscience. »
Mais, dit-on, le fonctionnaire peut donner
sa démission, s’il ne partage pas les vues du gouvernement. Eh quoi ! la question n’est-elle pas toujours la même ? Vous lui dites
: Destituez-vous vous-même, pour empêcher que je vous destitue. Ne le
placez-vous pas toujours, par là, entre sa conscience et son intérêt ?
Evidemment votre prétention est dans tous
les cas, d’acheter son vote au prix de la continuation de ses fonctions.
Abdiquez vos fonctions ou votre conscience ! voilà ce
que vous lui dites. Par quels moyens prouverez-vous que vous avez le droit de
le lui dire ?
Proclamer une semblable doctrine,
messieurs, c’est fermer les portes de cette salle à tous les fonctionnaires
révocables car elle tend à les rendre suspects au peuple, qui dès lors ne les
nommera pas. Et cependant, c’est ce qu’on n’a pas voulu ; on a reconnu, au
contraire, l’utilité de la présence, dans le sein de la représentation
nationale de fonctionnaires qui, par l’expérience qu’ils ont acquise dans
l’exercice de leurs fonctions, sont à même d’éclairer souvent ses
délibérations.
Non seulement c’est leur fermer à l’avenir
l’accès de cette chambre, mais c’est encore leur enlever la considération due à
la manière dont ils ont rempli leurs fonctions et qui doit être la récompense
qu’ils ambitionnent le plus, c’est les signaler comme des serviles !
Mais si vous avilissez ainsi ces fonctions,
ou si vous les rendez aussi précaires, qui les acceptera à l’avenir ? Est-ce le
moyen de les faire rechercher par des hommes à la fois probes et instruits et
dignes de la considération qu’il est à désirer que ces fonctionnaires inspirent
?
On fait une dernière objection. Il
n’arrivera pas souvent, dit-on, que l’on destituera par système ; parce qu’il
est rare qu’un changement de cabinet amène un changement total de système. Je
réponds qu’il amène toujours une modification notable de système, et qu’il
faudra par conséquent destituer tous les députés-fonctionnaires qui
n’approuveront pas cette modification.
Et puis un changement total de système
arrivera quelquefois ; il est dans la nature même de nos institutions que cela
soit ainsi. Mais voulez-vous donc qu’il devienne une véritable révolution, que
les nouveaux ministres débutent par une destitution générale de tous les
fonctionnaires qui s’étaient ralliés au système des ministres qui se retirent ?
Reconnaissons-le, messieurs ; c’est très
sagement que le congrès a posé une règle aussi générale dans l’article 44 de la
constitution, a défendu non seulement toute poursuite (expression qui, toute
seule, eût pu donner lieu à une interprétation restreinte), mais toute recherche d’un député à raison de ses
votes. Le frapper de la peine de la destitution, parce que, dans la session qui
vient de se clore, il a voté constamment avec l’opposition, c’est bien le
rechercher à raison de ses votes.
Non seulement le ministre prétend avoir le
droit de punir ainsi le député fonctionnaire qui ne vote pas avec lui, mais
aussi le fonctionnaire qui accepte, sans l’aveu du ministre, les fonctions de
député. Il lui dit : « Tu ne seras député que par moi, par ma
permission. »
Mais, pour tout citoyen qui se sent capable
de le remplir, c’est un devoir civique d’accepter de semblables fonctions. Il a
donc puni mon honorable ami, pour avoir fait son devoir.
Il s’était, a-t-on dit, mis en lutte avec
un ministre. Les lettres dont il vous a été donné lecture hier vous ont fourni,
messieurs, la preuve du contraire. Le ministre demandait de la franchise, il a
laissé pendant plus de huit jours sans réponse la lettre pleine de franchise
qui lui a été adressée. Puis il a frappé, sans même annoncer à ce fonctionnaire
que l’explication donnée ne le satisfaisait pas, et qu’il devait, sous peine de
destitution, renoncer à sa candidature.
D’ailleurs le peuple est libre dans ses
choix. Destituer par un semblable motif, c’est porter atteinte à cette liberté.
Il est heureux pour un autre député nommé
par le même district, et qui occupe des fonctions judiciaires dans la capitale
du royaume, que ses fonctions ne soient point révocables ; car si était
nécessairement aussi frappé de destitution et avec bien plus de raison encore ;
car il remplace, lui, un ministre qui siégeait et siège encore sur ces bancs,
tandis que le commissaire de district destitué remplace un haut fonctionnaire
que ses fonctions obligent à résider en pays étranger et que nous avons intérêt
à y conserver ; de sorte que le résultat qui contrarie si fort le ministre, est
de nous donner un député, et un bon député de plus.
Si la doctrine
ministérielle triomphe, nous verrons à de prochaines élections, le ministre qui
aime, paraît-il, à réduire autant que possible le nombre des membres actifs de
cette assemblée, écrire à des commissaires de district qu’il saura être portés
comme candidats par le peuple : « Le désir du gouvernement est que notre
ambassadeur à Londres, à Berlin, à Vienne, etc., soit nommé membre de la
chambre des représentants ; vous aurez donc à renoncer à votre candidature,
sous peine de destitution. » Ce langage en effet serait très conforme à la
doctrine contenue en l’étrange discours que vous avez entendu hier.
Je crois, messieurs, l’avoir suffisamment
réfutée par les considérations que je viens d’exposer. Et puisqu’elle a été
émise, je pense que la chambre ne peut la passer sous silence. J’ai dit.
(Moniteur
belge n°174, du 23 juin 1833) M.
le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je viens, comme je le dois, prendre ma part de responsabilité....
Une voix.
- Vous ne vous justifierez pas.
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Si je ne me
justifie pas, je me laverai au moins d’un reproche de lâcheté qu’on aurait le
droit de faire peser sur moi, si je n’avouais pas hautement la part que j’ai
prise à une mesure qu’on semble attribuer à M. le ministre de l'intérieur. Je
viens, disais-je, prendre ma part de responsabilité avec le conseil des
ministres, unanime sur ce point, dans les faits qu’on a représentés à tort
comme étant l’œuvre unique de M. le ministre de l'intérieur. Je fais plus, je
prends ma part de solidarité dans la doctrine qu’il a émise hier dans cette
enceinte. Le résultat m’inquiète peu, c’est un devoir que je remplis. Au
pouvoir et hors du pouvoir on doit faire son devoir : fais ce que dois, advienne
que pourra !
Messieurs, nous sommes neufs dans le
gouvernement représentatif, et au lieu d’avoir la prétention de vouloir donner
sur cette matière des leçons aux autres, nous devrions plutôt en prendre
souvent de ceux qui nous ont devancés dans la carrière.
On a fait allusion au gouvernement déchu
que nul peut-être n’a combattu plus vigoureusement que moi. Mais on a passé
sous silence l’exemple de tous les peuples où les notions constitutionnelles se
sont popularisées. On a passé sous silence l’exemple de l’Angleterre qui se
connaît aussi en liberté politique et en dignité individuelle ; on a passé sous
silence l’exemple des Etats-Unis où la doctrine que nous venons soutenir est
encore poussée plus loin dans ses conséquences que dans
On nous dit : Le gouvernement déchu a abusé
du droit de révocation, et vous l’avez blâmé vous-mêmes dans un journal qui a
servi de point de départ à votre carrière politique. Messieurs, je m’honore
d’avoir été journaliste, car c’était une noble profession alors ; alors il y
avait du courage à attaquer le pouvoir, à braver ses commissions qu’il appelait
des tribunaux, à affronter l’arrêté-loi de 1815 ; alors que la personne n’était
pas garantie par l’institution du jury contre l’arbitraire, il y avait quelque
courage à écrire, et ce courage nous étions, mes amis et moi, sur le point de
l’expier durement si la révolution n’était survenue. Mais quand je reporte mes
souvenirs sur la presse qui a combattu l’administration du roi Guillaume et mes
regards sur celle qui combat aujourd’hui le gouvernement né de la révolution,
je ne puis me soustraire à de pénibles réflexions. Si l’on jugeait la
profession d’écrivain politique par ce qu’elle est devenue aujourd’hui à
quelques exceptions près, je rougirais d’avoir été journaliste et écrivain
politique.
Cette opinion que je viens émettre,
messieurs, n’est pas nouvelle chez moi. Le personnel du journal le Politique a subi par suite de la
révolution, comme beaucoup d’autres choses plus importantes, une dissolution
qui a eu pour résultat de placer quelques-uns de ses membres dans l’opinion que
nous défendons aujourd’hui et d’autres dans les rangs de l’opposition. J’aurais
moins eu à émettre sur cette matière une opinion arrêtée et mûrie que des
simples doutes.
J’ai plutôt déposé le germe de celle que je
défends aujourd’hui dans un écrit que j’ai publié avant la révolution et qui
est mon fait, et mon fait seul. Qui de nous d’ailleurs n’a pas dû depuis trois
ans modifier quelques-unes de ses opinions ? Qui de nous n’a pas vu qu’en
portant les garanties populaires jusqu’à l’exagération, on ruinait le pouvoir,
on semait des germes d’anarchie qu’il faut se hâter d’étouffer ?
Remarquez, messieurs, quelle différence
énorme, et de nature à influer sur l’opinion, séparait la tendance du
gouvernement hollandais et de la restauration de France de l’esprit des
révolutions et de juillet et de septembre.
L’esprit du gouvernement hollandais, sa
tendance, son but, c’était la ruine de la nationalité belge, des libertés
publiques ; c’était un long parjure médité de bonne heure, accompli tantôt
avec astuce, et tantôt avec violence quand on a cru qu’il n’était plus besoin
d’astuce.
Aujourd’hui quel peut être le but du
gouvernement que vous avez fondé ? Il ne peut en avoir qu’un seul, c’est de
maintenir l’ordre. Il n’a pas même besoin d’intervenir pour le maintien des
libertés publiques. Les libertés publiques ont dans la constitution de telles
garanties qu’un gouvernement serait plus stupide encore que criminel, s’il
nourrissait l’intention d’y porter un jour atteinte. La mission du pouvoir en
Belgique c’est, je le répète, d’y maintenir l’ordre, sans lequel il n’y a pas
de liberté durable, sans lequel il n’y a pas de société politique, sans lequel,
messieurs, vous en viendriez un jour peut-être à regretter jusqu’au régime même
que nous avons renversé.
Qu’il me soit permis de le dire, ce qui
facilite le succès des coups d’Etat dans un gouvernement, c’est l’exagération
même de la liberté. Ce qui a fait le 18 brumaire c’est l’état de déconsidération
où sont tombés les hommes et les théories anarchiques, c’est l’avilissement du
pouvoir ; car jamais une nation ne saurait consentir à ce que le pouvoir soit
longtemps avili. Les excès de la liberté, l’histoire nous l’apprend, les excès
de la liberté ont seuls tué la liberté là où elle était inscrite dans des lois
aussi garantissantes que les nôtres.
J’en donnerai pour exemple une des plus
précieuses garanties des peuples libres, la presse, la presse que nous avons
longtemps regardée comme la sauvegarde des droits de
J’ai signalé une énorme différence entre le
but que s’était prescrit le gouvernement du roi Guillaume et le seul but que
peut se proposer d’atteindre le gouvernement du Roi Léopold. Quand le but est
odieux, il réagit sur la pensée publique, sur les moyens mêmes qui servent à le
réaliser. Est-ce à dire, messieurs, que si le but est avouable, s’il est
conforme à la saine raison, aux devoirs du gouvernement, aux principes de la
constitution, certains moyens de gouvernement, parce qu’on en a abusé
scandaleusement, moyens qui sont les mêmes dans tous les temps, doivent être
répudiés ? Les mêmes armes servent au brigand et au défenseur du territoire
national : est-ce à dire pour cela qu’il faille ôter les armes des mains de
tout le monde ?
Messieurs, je vous signalerai une seconde
différence entre le régime auquel nous avons mis fin et le régime nouveau ;
c’est que le gouvernement du roi Guillaume n’a jamais admis le premier principe
du système représentatif, je veux parler de la responsabilité ministérielle ;
alors, je le conçois, on a pu avec raison trouver inique, absurde qu’on
réclamât les conséquences et qu’on niât scandaleusement le principe. En effet,
avait-on besoin de révocation, avait-on le droit d’y recourir quand on
prétendait que le pouvoir était irresponsable ?
S’il m’était permis dans une question aussi
grave de vous dire un mot de mes actes personnels, alors même que vous
repousseriez le système que je défends, vous seriez obligés de reconnaître
qu’il tient chez moi à la conviction la plus intime. Lors de l’organisation
judiciaire, des emplois brillants me furent offerts, et certes ma position
sociale ne me met pas en état de les dédaigner. Pourtant je les ai refusés.
J’ai préféré me borner à des fonctions plus modestes et beaucoup moins
lucratives, qui assurément ne pouvaient guère s’allier à des projets d’ambition
ministérielle.
Pourquoi l’ai-je fait, messieurs ? Afin de
pouvoir m’imposer à moi-même l’application de mes propres principes. Si j’étais
devenu fonctionnaire amovible, j’aurais dû ou me retirer de cette chambre le
jour où j’y aurais été en opposition de système avec le ministre, mon
supérieur, ou j’aurais dû lui offrir ma démission. Je livre cet épisode de ma
conduite politique à l’impartialité de mes honorables collègues, quelle que
soit leur opinion. Je viens de signaler encore une différence fondamentale
entre le régime du gouvernement des Pays-Bas et le régime du nouveau
gouvernement de
Il avait d’abord une première chambre,
presque tout entière à sa dévotion. Il disposait d’une clientèle assez
considérable par un nombreux conseil d’Etat. Il s’appuyait dans la chambre
élective d’une majorité hollandaise compacte. La presse était sous la menace
permanente de la monstrueuse législation de l’arrêté de 1815, appliquée par des
tribunaux amovibles. Le régime des conflits était là pour ravir au pouvoir
judiciaire le peu de garantie politique qu’il offrait au pays. Point de jury
pour les délits de la presse. L’enseignement confisqué au profit du pouvoir.
Une inextricable complication dans le système électoral. La nomination des
bourgmestres, échevins, secrétaires communaux. La faculté de corrompre par des
gratifications, le million de l’industrie, source féconde de clients parmi la
classe manufacturière. Ajoutez qu’aux chambres était imposé le vote in globo ; pas de vote par article, pas de faculté d’amender
les lois, pas de présence obligée des ministres aux chambres ; et pour
couronner l’œuvre, l’irresponsabilité ministérielle
Qu’avait-il besoin le gouvernement, dans un
pareil régime, de recourir à des révocations ? C’était du luxe, des vengeances
mesquines, sans but et sans objet. C’est aussi bien plus comme question de fait
que comme question de droit qu’elles furent jugées.
Aujourd’hui, que voyons-nous dans notre
constitution ou dans nos lois ? deux chambres électives, exemple unique dans
une monarchie constitutionnelle et dont nous ne retrouvons d’analogie qu’aux
Etats-Unis d’Amérique : le pouvoir exécutif formellement limité, les
principales promotions judiciaires enlevées au gouvernement, la présence
obligée du ministère sur la réquisition de l’une ou l’autre des deux chambres,
des explications détaillées sur les pétitions qu’on lui renvoie, au moyen
desquelles vous faites comparaître l’administration presque tout entière à votre
barre, la liberté presqu’illimitée de la presse, le jury, les élections
directes, l’indépendance absolue des municipalités, l’inamovibilité des juges,
une cour de cassation dotée d’un vaste pouvoir, un cercle très circonscrit pour
le choix des ministres, par la modicité de leurs traitements, par la nécessité
pour la plupart des magistrats de refuser le portefeuille qu’ils ne peuvent
accepter que gratuitement, par les dégoûts qui l’accompagnent ; le droit
incontesté de refuser les subsides pour motifs politiques ; enfin la
responsabilité ministérielle, et à cette occasion le droit d’enquête et le
droit d’accusation.
Ajoutez à cela l’affaiblissement moral du
pouvoir énervé bien plus encore par l’esprit qui domine après une révolution
que par les nouvelles institutions qui l’ont dépouillé de ses anciennes
prérogatives.
C’est toujours ainsi après une grande
commotion politique soulevée par les envahissements du pouvoir. La réaction
trop vive conduit à des exagérations d’un autre genre. On croit n’avoir jamais
assez affaibli le gouvernement dans l’intérêt des libertés publiques ; comme on
stipule en son absence, il subit les conséquences d’un adage vulgaire et bien
connu. Le pouvoir a longtemps apparu comme un ennemi, c’est moins à le
circonscrire qu’à le garrotter qu’on vise.
L’opinion générale, plusieurs fois exprimée
à cette tribune et même par des députés de l’opposition, c’est qu’en Belgique
le pouvoir royal est trop faible. Je ne professe pas encore cette opinion.
J’espère que grâce au bon sens, à la moralité du peuple belge, le pouvoir royal
pourra remplir convenablement sa mission telle que la lui a tracée la
constitution nouvelle ; mais c’est à une condition expresse, celle de la pleine
liberté de l’action gouvernementale dans sa sphère constitutionnelle. J’aimerais
mieux un pouvoir plus restreint et dont on ne contestât pas l’action, qu’un
pouvoir plus étendu, mais censuré, entravé à chaque instant.
Qu’est-ce, messieurs, qu’une prérogative
dont on vient, à l’occasion de chaque acte légal qui en émane, contester
l’application constitutionnelle ? Qu’est-ce que le pouvoir royal qui a droit de
mettre un officier à la retraite, si à ce sujet la chambre est assaillie de
pétitions et le pouvoir royal menacé de censure et d’injonction ? Qu’est-ce que
le droit de dissolution, si l’exercice de ce droit est qualifié, par le pouvoir
même auquel il s’applique, de coup d’Etat ? Le pouvoir n’a-t-il donc cette
prérogative qu’à la condition de n’en pas faire usage ? Qu’est-ce que le droit
de révocation des agents du gouvernement, s’il doit rester une lettre morte ou
s’exercer sous le bon plaisir du pouvoir législatif ? Voilà pourtant l’étrange
système qu’on cherche à établir dans cette enceinte. Eh bien messieurs, j’en
appelle à vos convictions, est-ce là ce qu’a voulu la constitution ? Qu’aucun
pouvoir n’aspire à la dictature ; que chacun se renferme dans sa sphère, jaloux
de ses droits, mais respectant les droits d’autrui : indépendance pour chacun
d’eux. L’alliance de l’ordre et de la liberté, ce noble but des cœurs généreux,
des esprits élevés, est à ce prix. Elle est dans l’équilibre des pouvoirs, non
dans la suprématie de l’un, dans l’avilissement et le vasselage de l’autre.
Comment accueillerait-on dans cette
enceinte la prétention qu’afficherait le pouvoir exécutif de venir censurer des
actes qui découlent de la prérogative des chambres ? Comment jugeriez-vous un
message royal qui viendrait censurer vos actes ? Le veto, voilà ce qui est
laissé à la couronne ; elle n’a pas le droit de venir vous demander compte de
vos actes.
La constitution investit la chambre des
représentants du droit de nommer les membres de la cour des comptes,
prérogative qui lui donne sous ce rapport quelque analogie avec le pouvoir
exécutif.
De quel œil verriez-vous la censure que se
permettrait la couronne sur les choix de la chambre, sur ses confirmations, sur
ses révocations ?
Le sénat a reçu aussi de la constitution
une prérogative qui se rapproche de celle que je viens d’indiquer, je veux parler
du droit de présenter des candidats pour la cour de cassation. Accueillerait-on
avec plus de faveur la censure que le pouvoir voudrait exercer sur les choix du
sénat ?
Que venons-nous réclamer ? Une équitable
réciprocité : le libre exercice de la modeste prérogative conférée au pouvoir
royal à côté du plus profond respect pour les prérogatives des autres pouvoirs.
J’arrive aux révocations. Je pourrais me
taire. Peut-être le devrais-je ; car justifier un droit incontestable, c’est
presque le remettre en question. C’est donc sous toutes réserves que je parle,
et moins pour légitimer les faits que pour repousser de fausses théories.
Je le dis hautement, avec mon collègue le
ministre de l’intérieur, un fonctionnaire public, homme délicat, s’il sent sa
conscience en opposition constante avec celle du ministère, se retire.
J’ajouterai qu’ensuite, s’il le veut, il écrit dans les journaux contre ce
ministère ; que s’il le peut, il se fait nommer sénateur ou représentant, vient
combattre ce ministère, le renverse, et, s’il est capable et dévoué, il
s’assied à sa place, sinon il concourt à y porter ses amis politiques.
Voilà comme j’entends le gouvernement
représentatif avec un ministère responsable. C’est ainsi que l’entend notre
honorable doyen d’âge. L’acte auquel le ministre de l’intérieur a fait hier
allusion, commande à l’égard de M. Pirson l’estime même de ses adversaires
politiques.
Nous avons encore sur la nature des
fonctions administratives les plus étranges notions. Qu’est-ce donc qu’une
place dans l’administration ? Un moyen du gouvernement, rien de plus.
Pourquoi, parmi les emplois, les uns
sont-ils inamovibles, les autres révocables ? Est-ce, dans le premier cas, pour
la commodité des juges ; dans le second, pour le tourment des agents
ministériels ? Nullement. Tout cela est ainsi parce que l’intérêt public le
veut. Les magistrats sont inamovibles, parce qu’ils n’obéissent à personne et
n’engagent la responsabilité de personne. Les fonctionnaires administratifs
sont révocables, parce qu’ils obéissent à quelqu’un et engagent la
responsabilité de quelqu’un.
Il y a une étrange erreur à croire que le
public salarie des emplois pour les inféoder à quelques hommes, pour en faire
leur patrimoine.
Nous voulons bien admettre, dira-t-on, la
convenance d’une révocation fondée sur une opposition patente ou déclarée au
système du cabinet, mais il y a exception pour le fonctionnaire député. Aussi
longtemps que celui-ci ne commet pas un acte formel de résistance dans le
cercle de ses devoirs administratifs, vous ne pouvez, dit-on, avoir égard à ses
opinions comme député : en cette qualité il est inviolable.
Il y a ici, comme l’a observé mon collègue
le ministre de l’intérieur, une confusion d’idées qu’il importe de dissiper.
Qu’un député comme tel soit inviolable,
c’est ce que personne ne conteste, c’est ce qu’établit formellement l’art. 44
de la constitution.
Mais de ce que le député est inviolable,
s’ensuit-il que le fonctionnaire le soit aussi, par cela seul qu’il est député
?
On a donné à l’art. 44 de la constitution une
interprétation que j’ai le droit de qualifier d’étrange. Que signifie cet
article ? Il assure une inviolabilité légale à la personne de chaque membre des
chambres du chef de sa conduite parlementaire, c’est-à-dire que ses actes ne
peuvent pas devenir la matière d’une poursuite judiciaire. C’est ainsi qu’on
l’entend dans tous les gouvernements représentatifs, où pareille disposition
est inscrite dans les lois constitutionnelles.
Il ne peut s’agir ici de notre honorable
collègue l’ex-commissaire du district du Tournay, puisqu’il siège pour la
première fois dans cette enceinte. Ce n’est donc qu’à l’honorable député
d’Alost que pourrait s’appliquer l’art. 44, s’il était susceptible de
l’extension vraiment singulière qu’on lui donne.
J’ajouterai que si le sens de l’art. 44
pouvait s’entendre ainsi, outre que de droit il paralyserait l’action
administrative, le droit de révocation formulé aussi dans la constitution, il
placerait le gouvernement dans la plus fausse des positions à l’égard des
fonctionnaires députés. Supposons qu’un de ces fonctionnaires envoyé à la
chambre se montre négligent, incapable comme fonctionnaire, le mandat de député
va de fait lui conférer l’inamovibilité. Chaque fois, en effet, qu’une
révocation aura lieu pour motif purement administratif, le député
fonctionnaire, peu porté, comme on le sent, à partager l’opinion du
gouvernement sur son compte, ne manquera pas de crier qu’on le frappe pour ses
votes. L’opposition et tous ses amis politiques auront alors un beau grief
contre le ministère. Car, enfin, celui-ci n’est pas tenu de donner les motifs
d’une révocation administrative ; peut-être même s’en abstiendra-t-il, pour ne
pas humilier, déconsidérer l’homme qu’il renvoie. Ainsi, le mandat de député,
conféré par des électeurs complaisants ou peu éclairés, donnerait
l’inamovibilité à l’incapacité, à la nullité administrative.
On dit que les fonctions de commissaire de
district ne sont pas des fonctions politiques. Je le nie. Mais admettons-le
pour un instant ; qu’en résultera-t-il ? Rien, du moment où le fonctionnaire
aspirerait à un rôle politique, revêtirait de lui-même un caractère politique ;
si, par exemple, il se transformait en courtiers d’élections ; si, par exemple,
l’honorable M. Doignon allait, au moyen de son influence, de ses relations
administratives, conquérir des suffrages pour lui et pour ses amis politiques,
et cela en vue d’écarter deux ministres de l’urne électorale. Or, si mes
renseignements sont fidèles, l’honorable M. Doignon ne s’est point tenu neutre
dans la bataille électorale. Loin de là, il s’est montré hostile à la
candidature d’un membre du cabinet, au risque de le dissoudre ; il a cherché à
faire tomber M. Lehon à Paris, M. Goblet à Bruxelles. (Dénégations de M. Doignon.)
M. Doignon le
nie, mais M. Dumortier en est convenu ; seulement, a-t-il ajouté, c’est
individuellement et non comme fonctionnaire qu’il a agi. J’avoue que je ne
comprends pas la finesse de cette distinction, et j’ai le droit de croire que
les bourgmestres ou les autres citoyens, auxquels l’honorable M. Doignon a pu
s’adresser, ne l’ont pas plus comprise que moi. Il est assez difficile
d’imaginer que l’honorable députe de Tournay se soit exprimé ainsi : Vous ferez
sagement de retirer vos suffrages à MM. Lehon et Goblet, et de me les donner à
moi et à mes amis politiques. Mais souvenez-vous bien que ce n’est pas le
commissaire du district qui vous parle, mais bien M. Doignon, simple individu.
(Hilarité.) Je croirais manquer à la
dignité de la chambre si j’entreprenais la réfutation sérieuse de cette bizarre
doctrine.
Comme je me sens incommodé par suite des
fatigues des derniers jours, je demande à la chambre la permission de m’arrêter
ici et de continuer demain mes observations. (Oui ! oui ! A demain.)
M. Doignon. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. Pirson. - Je la demande aussi pour un fais personnel.
M. le président. - La parole est à M. Doignon.
M. Doignon. - J’ai entendu avec une extrême surprise M. le ministre de la justice
ajouter, relativement à ma révocation, un nouveau grief à celui que le ministre
de l’intérieur avait allégué hier. Dans la dernière séance il est résulté de ma
correspondance avec le ministre de l’intérieur que ma révocation n’avait pas
d’autre motif que ma candidature ; que c’était parce que mes concitoyens
m’avaient appelé à la représentation nationale que le ministre avait jugé à
propos de me destituer ; aujourd’hui le ministre de la justice vient de m’accuser
d’avoir été courrier d’élections...
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Je parle
d’après mes renseignements ; s’ils sont fidèles, il en est ainsi.
M. de Brouckere. - Le ministre l’a dit ! il
l’a dit !
M. le ministre de la justice
(M. Lebeau) - Et sans
doute je l’ai dit, j’ai parlé d’après les rapports qui m’ont été faits.
M. Doignon. - Messieurs, je viens attester sur l’honneur que dans cette
circonstance, que lors des élections je me suis conduit avec la plus grande
délicatesse, la plus grande réserve ; que je n’ai fait aucune démarche, aucune
visite ; et je défie le ministère de vérifier un seul fait contraire à cette
déclaration.
Messieurs, il est facile d’inventer des
faits pour justifier une destitution ; mais nous défions les ministres de rien
produire à l’appui de leurs assertions. (Bruit,
mouvements divers.)
M. le président. - La parole est à M. Pirson pour un fait
personnel.
M. Pirson. - A demain la suite des explications.
Plusieurs voix. - A demain ! à demain la suite de la
discussion !
- Tous les membres quittent leurs places.
M. le président lève la séance et renvoie la discussion à demain.