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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 10 avril
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi autorisant le transfert d’un
crédit au sein du budget du département de la guerre (Destouvelles)
3) Vérification des pouvoirs d’un membre de la
chambre (Taintenier)
4) Projet de loi portant le budget de l’Etat
pour l’exercice 1832 (département des finances). Traitement des receveurs (Dumortier, Thienpont, Angillis, d’Elhoungne, Coghen, Lardinois, Destouvelles, Delehaye, Jamme, Fleussu, d’Elhoungne, Ch. de Brouckere,
Dumortier, Ch. de Brouckere,
Fayder)
5) Projet de loi accordant un crédit au budget
du département des finances pour le service de la vérification des poids et
mesures (Dumortier, A.
Rodenbach, Ch. de Brouckere, Coghen,
A. Rodenbach)
6) Projet de loi portant le budget de l’Etat
pour l’exercice 1832 (département de l’intérieur). Discussion générale.
Financement des conservatoires de musique, du jardin botanique de Bruxelles et
des écoles moyennes (d’Hoffschmidt)
(Moniteur belge n°103, du 12 avril 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est
ouverte à une heure.
Après l’appel
nominal,
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal, qui est adopté.
PROJET DE LOI AUTORISANT LE TRANSFERT DE CREDITS AU SEIN DU BUDGET DU
DEPARTEMENT DE LA GUERRE
L’ordre du jour
appelle d’abord le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi
tendant à transférer des articles du budget de la guerre d’un chapitre à
l’autre.
M. Destouvelles, rapporteur. - Les chambres, au chapitre X du budget de la
guerre, ont alloué une somme de 176,650 fl. pour les remontes. Le gouvernement,
dans le projet de loi par lui présenté, demande, pour la régularité de la
comptabilité, que cette somme destinée aux remontes de la cavalerie et de
l’artillerie soient respectivement transférées aux chapitres qui concernent
spécialement ces deux armes, et que 77,400 fl. soient portés à l’article 6, et
9,925 fl. à l’article 9 du chapitre II.
Ces transferts
n’élevant pas le chiffre du budget, la commission vous propose d’adopter le
projet de loi dont il s’agit.
VERIFICATION DES POUVOIRS D’UN MEMBRE DE LA CHAMBRE
M. Fleussu présente ensuite le rapport de la commission chargée
de vérifier l’élection de M. Taintenier, nommé par le district électoral de
Mons, en remplacement de M. Blargnies. Il annonce que les opérations ont été
trouvées parfaitement régulières, et il conclut à l’admission.
- Cette admission
est proclamée par la chambre.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’ETAT POUR L’EXERCICE 1832
(DEPARTEMENT DES FINANCES)
Discussion des articles
Chapitre IV. - Administration de
l’enregistrement et des domaines
La suite de
l’ordre du jour est le rapport de la section centrale sur les articles relatifs
aux traitements de l’administration de l’enregistrement et des domaines, qui
lui avaient été renvoyés une seconde fois.
M. Dumortier, rapporteur expose que la section centrale, appelée à examiner de
nouveau la question de savoir si la remise serait de 1 1/2 ou 1 3/4 sur la
recette, n’a pas cru devoir s’arrêter au nombre des employés, mais a été
d’avis, après un mûr examen de toutes les pièces, de maintenir sa première
proposition, c’est-à-dire de fixer la remise sur la recette à 1 1/2 p. c., et
de n’accorder, pour les expéditionnaires de l’administration centrale, que 5,000
fl. au lieu de 6,000 qui étaient demandés.
Quant à
l’amendement de M. d’Elhoungne, la section centrale propose d’en supprimer le
deuxième paragraphe, et d’admettre tous les autres en modifiant tout à fait la
rédaction du dernier.
- La discussion
est ouverte sur ce rapport.
M. Thienpont. - Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la
section centrale. Lorsque je vois que nos recettes présumées ne s’élèvent pas,
à vingt millions près, au niveau de nos dépenses, et qu’on reconnaît
l’impossibilité de créer de nouveaux impôts pour les y faire atteindre, je sens
toute la nécessité de trouver des économies.
Les sections
avaient à l’unanimité exprimé le même vœu, et la section centrale vous en a
indiqué plusieurs dans ses rapports sur les divers budgets.
Vous avez en
conséquence, dans vos précédentes séances, adopté quelques-unes des réductions
qu’elle vous a proposés tant dans le matériel que dans les traitements du
personnel des diverses administrations. A quelques petites exceptions près,
toutes me paraissent pouvoir être admises.
Quoi qu’il en
soit, on s’efforce maintenant de vous faire revenir sur ces décisions, non pas
sur celles par lesquelles les réductions proposées ont été rejetées, mais sur
celles que vous avez admises.
L’article ayant
pour objet les remises des employés de l’administration centrale de
l’enregistrement, actuellement à l’ordre du jour, est de ce nombre.
Pour y parvenir,
on fait sonner bien haut les connaissances spéciales requises en cette partie ;
mais, messieurs, c’est encore sur quoi l’on s’est constamment étayé pour
combattre toutes les réductions de ce genre qui vous ont été proposées. Ce sont
toujours les connaissances spéciales qu’on fait valoir. Je vous déclare
franchement que je n’admets point cet argument et encore moins les conséquences
qu’on veut en déduire en faveur de ces nombreuses spécialités ; il faut,
messieurs, comme on vous l’a dit, des connaissances spéciales pour toute
fonctions et emploi quelconques ; et je ne pense pas que la partie qui nous
occupe exige des études plus laborieuses et plus pénibles, pour les acquérir,
que toute autre.
D’un
autre côté, on a parlé des droits acquis. Messieurs, je ne reconnais, quant à
la hauteur de son traitement, des droits acquis à aucun fonctionnaire ou
employé quelconque, et je saisis cette occasion pour vous déclarer que je
trouve tous nos départements ministériels montés sur une échelle trop élevée.
Je désirerais que les traitements, notamment des sommités des diverses branches
d’administration, fussent fixés au regard de ceux alloués aux membres de la
cour des comptes. Je ne puis concevoir à quel titre le traitement d’un
administrateur-général ou du secrétaire-général quelconque doive s’élever à
quatre ou cinq mille florins, tandis que le président de cette cour,
quoiqu’elle tienne cependant le premier rang dans l’ordre hiérarchique, n’en
reçoit que trois mille. Et puisqu’on s’empresse tant de vous faire revenir sur
quelques réductions précédemment adoptées, je désire qu’on veuille également examiner
s’il ne conviendrait pas, avant d’émettre un vote définitif sur le précédent
budget, de revenir aussi sur les traitements que je viens d’avoir l’honneur de
vous signaler comme exorbitants et hors de toute proportion, et de les réduire
en conséquence.
M. Angillis. - Messieurs, de tous les impôts dont le génie
inventif du fisc a doté la terre, sans doute pour le bonheur des peuples, les
droits d’enregistrement, du timbre et d’hypothèque occupent le premier rang. Ils
procurent d’abondantes ressources, et rentrent dans la caisse sans contrainte
et presque sans murmures. De même que l’impôt, l’administration chargée de sa
perception occupe le premier rang parmi les administrations fiscales. Elle n’a
aucune similitude avec aucune autre administration, et toutes les comparaisons
qu’on a voulu établir manquent de justesse, puisque l’analogie n’existe pas.
J’ai remarqué,
messieurs, et dans le rapport de la section centrale, et dans quelques discours
qui ont été prononcés à l’occasion du budget des finances, que l’importance, la
nature et l’étendue des fonctions des agents de l’administration de
l’enregistrement n’ont pas été appréciées à leur juste valeur. De là sont nées
toutes ces propositions pour opérer des réductions qui auraient pour résultat
certain, ou de faire perdre au trésor une grande partie de sa recette par le
découragement de ceux qui ne se croiraient plus assez rétribués, ou de voir
vexer les contribuables afin d’augmenter momentanément les produits pour rétablir
la remise retranchée. Voilà, messieurs, ce qui arriverait si nous poussions
l’économie au-delà de ses limites naturelles.
Cette
administration nous a souvent donné le spectacle de son savoir-faire, et
notamment sous l’ancien gouvernement ; et en effet, aucune administration ne
possède plus de moyens de vexations que celle de l’enregistrement ; la loi du
22 frimaire an VII, sur laquelle repose l’édifice, la plus belle loi qui soit
sortie de la révolution française, se trouve tellement défigurée par quelques
milliers de décisions, instructions et circulaires, que le véritable sens de la
loi se perd pour ainsi dire dans un labyrinthe inextricable. Cette multiplicité
indigeste de dispositions engendra une confusion, un chaos où chaque citoyen,
au lieu de garanties d’une règle de conduite, ne rencontre souvent qu’un piège
perfide. Ajoutez à cela la loi du 27 décembre 1817 sur les successions : cette
loi de mensonges, d’une élasticité épouvantable, se prête merveilleusement à
tous les caprices du fisc, et vous aurez une idée de l’immense arsenal que
possède cette administration pour vexer les contribuables de toutes les
manières. Je sais très bien que les tribunaux sont là pour décider les
contestations ; mais le contribuable qui gagne son procès, paie souvent plus en
frais que la somme qu’on voulait lui faire payer injustement, de manière que le
remède est souvent pire que le mal.
Je ne partage pas,
messieurs, l’opinion de la section centrale sur la réduction qu’elle propose :
j’espère, en me prononçant ainsi, qu’on ne me taxera pas de vouloir être
généreux aux dépens des deniers de la nation ; au contraire, les intérêts du
peuple m’ont toujours été plus chers que les miens, car depuis quinze ans j’ai
négligé mes propres affaires pour faire celles des autres, et ce, sans aucune
vue personnelle ni pour le présent, ni pour l’avenir.
J’ai toujours
pensé, messieurs, que la véritable économie pour un Etat comme pour un
particulier consiste à faire la dépense à propos : elle est à propos quand elle
n’est pas exagérée, quand elle est en rapport avec le besoin du service, avec
les connaissances acquises dans l’employé qu’elle tend à rétribuer, son
travail, ses obligations et ses frais. Et quand on examine la proposition du
gouvernement, sous l’influence des idées que je viens d’émettre, on demeure
convaincu que la demande n’est pas trop élevée, et que le nombre des employés
supérieurs ne dépasse pas le besoin du service.
Tout ce que M. le
ministre des finances a dit dans sa réponse au rapport spécial de la section
centrale, relativement à l’administration de l’enregistrement, est très exact.
Il est incontestable que pour assurer au trésor ce qui lui revient et ne pas
vexer les contribuables, il faut que l’employé chargé de la perception des
droits soit un homme instruit, qui possède une connaissance exacte de la
langue, de la valeur et de la propriété des mots. Il doit savoir quel est le
droit dû sur l’acte qu’on lui présente ; et, quand on songe à l’immense variété
de transactions qui doivent nécessairement avoir lieu dans une nombreuse
société d’hommes entre qui les propriétés sont si inégalement réparties, on
conviendra qu’il est très facile à un receveur qui ne connaît pas à fond sa
besogne de commettre des erreurs, soit en plus, soit en moins. C’est aux
vérificateurs, inspecteurs et directeurs à veiller à ce que les fausses
perceptions soient promptement rétablies. Et quoiqu’on ait vu que ces MM. se
bornent souvent à faire payer un supplément aux contribuables qui ont trop peu
payé lors de l’enregistrement des actes, abandonnant à leurs soins particuliers
de réclamer la restitution des droits perçus, il n’entre pas moins dans leurs
obligations de faire la vérification dans l’intérêt des contribuables comme
dans celui du trésor, et, s’ils n’observent pas toujours cette règle, une bonne
instruction émanée du ministère des finances peut y remédier.
J’ai entendu dire,
au commencement de notre très longue discussion sur les budgets, qu’il fallait
payer partie en honneur et partie en argent : cela me paraît de la métaphysique
toute pure. Si je comprends bien le mot, honneur veut dire, estime, réputation,
probité enfin ; or, messieurs, il n’est pas dans la puissance de la loi de
pouvoir distribuer ces choses-là. Payez le fonctionnaire en argent selon les
services qu’il est appelé à rendre à l’Etat, et, s’il a de la vertu et des
talents, l’honneur lui arrivera par droit de conquête ; car le public, qui
raisonne son estime, ne la refuse jamais à celui qui s’en rend digne, quelque
place qu’il occupe.
Quant à l’idée de
donner un traitement fixe aux directeurs, elle ne me paraît pas heureuse cette
idée ; un relâchement dans toutes les branches de cette importante
administration serait non seulement à craindre, mais très probable. Réduire le
tantième pourrait avoir des inconvénients d’une autre nature, des inconvénients
qu’on peut prévoir à présent, mais qu’on ne saurait pas prévenir alors.
Je
ne m’expliquerai pas davantage, et je finirai ici mes observations ; je les ai
faites, messieurs, dans le double intérêt des contribuables et du fisc, et
quand ces deux intérêts sont d’accord, ce qui arrive rarement, la prudence et
la justice réclament de conserver ce qui est, au lieu de courir après un mieux
incertain ; car il arrive trop souvent que ce qui peut être ne se réalise
jamais.
D’après ces
considérations, je voterai contre la conclusion de la section centrale, contre
l’amendement de M. d’Elhoungne, et contre toute modification à porter à
l’article 6 du chapitre premier déjà voté.
M. d’Elhoungne. - Je ne partage pas, messieurs, l’opinion de
l’honorable orateur auquel je succède, car il me semble que sous quelques
rapports elle est inexacte quant au fait et quant au principe.
L’orateur revient
sur ce qu’il a déjà dit dans les séances précédentes, que la somme de l’article
6 du chapitre premier, et celle des cinq articles du chapitre II sont calculées sur la supposition d’une
recette de 11,800,000 fl., évaluation que l’on ne peut admettre, parce que les
documents fournis à plusieurs reprises fourmillent d’erreurs, et qu’il faut
prendre pour base le chiffre porté au budget des voies et moyens.
Quant au principe
de la remise, il faut remarquer qu’en France, où l’enregistrement est traité
comme l’enfant gâté de l’administration financière, cette remise pour les employés
supérieurs n’est que de 1 p. c., c’est-à-dire 5 p. c. de moins que ce que
propose la section centrale. Il soutient encore que les notions générales de
droit suffisent pour remplir ces sortes de fonctions, et comparant ceux qui les
remplissent aux magistrats qui sont obligés de se livrer à des études bien
autrement difficiles, il trouve qu’en adoptant même la proposition de la
section centrale, leur sort sera toujours très favorable.
Il
termine en disant qu’il ne craint pas, comme M. Angillis, de décourager ces
fonctionnaires, mais qu’une autre crainte l’agite en ce moment, c’est de les
voir devenir trop avides. Il rappelle qu’autrefois les membres de
l’administration de l’enregistrement ont commis des abus scandaleux, et que,
par exemple, ils ont fait faire des expertises après des ventes publiques. Plus
vous leur donnerez, ajoute-t-il, plus vous nourrirez leurs passions avides ;
plus vous leur accorderez, plus ils pressureront les contribuables. La section
centrale s’est montrée juste envers le trésor, mais aussi elle a été juste
envers le peuple, dont elle n’a pas voulu prodiguer les deniers.
M. le ministre des finances (M.
Coghen).
- Messieurs, je prends la parole pour défendre l’administration de
l’enregistrement. Le résultat de la proposition de la section centrale serait
de réduire la remise à 1 1/2 quand elle a déjà été réduite d’un quart sous
l’administration de M. Ch. de Brouckere. On a parlé d’erreurs manifestes de
calculs dans l’évaluation de la recette : toute la différence vient de ce que
j’avais fixé le budget des voies et moyens d’après le résultat du troisième
trimestre connu, tandis que, quand j’ai porté un chiffre supérieur, je l’ai fait d’après le résultat du quatrième trimestre
de 1831. Je reviens à la proposition de la section centrale. Il me semble,
messieurs, qu’il serait très dangereux de vouloir rabaisser les employés de
l’enregistrement au-dessous de ceux des autres administrations. Il vaut mieux
les rétribuer convenablement, afin de ne plus donner lieu aux abus et aux
vexations qu’on a signalés. Nous avons des lois et des règles que nous devons
suivre, et ne rien hasarder, ce qui serait peut-être très dangereux. N’oublions
pas l’intérêt du trésor, et prenons garde de porter le découragement parmi les
employés ; si l’on veut réduire la remise à 1 1/2 p. c., il faut la laisser
porter sur les domaines ; si l’on ne veut pas qu’elle porte sur les domaines,
il faut la maintenir à 1 3/4.
M. Lardinois. - Messieurs, si je n’avais pas la conviction que la
chambre a voté des réductions sur le personnel des administrations, parce qu’on
nous a laissé dans l’ignorance des faits, et que les renseignements et les
explications nous ont plus d’une fois manqué, je ne prendrais pas la parole dans
cette occurrence.
La pensée
dominante de l’assemblée est l’économie ; et, en effet, comment ne serions-nous
pas saisis de cette idée, lorsque nous avons à faire face à une dépense de plus
de 90 millions ? Il n’est donc pas surprenant de voir que nous sommes sévères
et avares des deniers des contribuables, et si nous avons parfois outrepassé
les bornes de l’économie, la faute ne peut être imputée aux députés, mais aux
agents du pouvoir qui n’ont pu spontanément éclaircir nos doutes.
Dans notre
organisation intérieure, plusieurs moyens se présentent pour arriver à
l’économie. Le principe se rencontrera dans l’introduction d’un nouveau système
financier, adapté aux vrais besoins de la société. Alors, je ne doute pas que
nous pourrons opérer de grandes économies, et simplifier tous les rouages
administratifs.
Mais, avant que
ces améliorations soient introduites, il y aurait, à mon avis, un vrai danger à
réduire sans discernement les traitements des fonctionnaires, parce que vous
exposez les services publics à ne pouvoir plus marcher en enrayant la machine
administrative. Une autre considération puissante que vous ne devez jamais
perdre de vue, c’est qu’un gouvernement est en péril lorsque l’administration,
qui en émane, ne peut plus remplir sa mission faute d’hommes capables pour
l’accomplir. Si donc les fonctions publiques ne sont pas convenablement
rétribuées, elles seront bientôt occupées par des incapacités qui géreront la
chose commune avec ignorance et mollesse, et il en résultera que les intérêts
généraux seront chaque jour compromis.
Les observations
et les comparaisons qui ont été faites pour justifier les réductions provoquées
primitivement contre l’administration de l’enregistrement et des domaines ont
laissé dans mon esprit de pénibles réflexions. Ne semblerait-il pas que c’est
le bouc d’Israël destiné à expier toutes les iniquités fiscales, réelles ou
imaginaires ? Je crois inutile, messieurs, de répéter tout ce qui a été dit
pour défendre cette administration ; personne de vous n’ignore que, pour entrer
dans le service de l’enregistrement et des domaines, il faut y être préparé par
des études solides, à moins de faire toute sa vie un mauvais employé. Il s’agit
donc de ne pas lésiner sur les traitements, afin que les employés soient
suffisamment payés.
Toute la question
consiste maintenant à savoir si la remise à allouer aux employés supérieurs
sera de 1 3/4 ou de 1 1/2 p. c. des recettes. Messieurs, vous devez faire
attention que le ministère a déjà consenti à ne rien prélever sur les
los-renten, ce qui équivaut à une réduction d’un sixième, et, si vous voulez
encore réduire la remise de 1 3/4 à 1 1/2, c’est un septième que vous ajouterez
à la première diminution. Je pense que ce serait traiter trop sévèrement ce
service, de qui ressort une des plus difficiles et principales branches de
l’économie financière.
L’honorable M.
d’Elhoungne vous a dit plusieurs fois que l’administration de l’enregistrement
et des domaines ne coûtait en France qu’un pour cent de la recette : je dois
supposer que ce fait est exact ; cependant je vous ferai observer que j’ai
consulté le budget de 1831, et je trouve les chiffres suivants :
Recettes présumées
de l’enregistrement, timbre et domaines, 190,383,000 fr.
Administration
forestière, 24,000,000 fr.
Total, 214,385,000
fr.
Administration
centrale de l’enregistrement, du timbre et des domaines, 568,000 fr.
Administration
centrale des eaux et forêts, 199,700 fr.
Personnel dans les départements, 2,990,000 fr.
Personnel du
timbre, 379,170 fr.
Total, 4,136,870.
Ainsi, sur une recette
de 214,385,00 fr., on paie en France, aux employés supérieurs de
l’administration centrale et des départements une somme de 4,136,870 fr., ce
qui correspond à une remise de près de 2 p. c.
Par ces motifs, je
voterai contre la réduction proposée par la section centrale.
M. Destouvelles. - Je désire répondre quelques mots aux observations
de l’honorable M. d’Elhoungne sur ce qu’avait dit un honorable collègue qui
siège à ma droite. Je ne crois pas, messieurs, que l’opinion de M. Angillis
soit inexacte. Peu importe que le montant de la recette soit de 10, 12 ou 13
millions ; il s’agit seulement de savoir quel tantième on accordera aux
employés de l’administration de l’enregistrement, et cette question, M.
d’Elhoungne n’a fait que l’effleurer. Il est certain qu’on ne peut évaluer
d’une manière fixe le chiffre de la rente ; on ne peut en faire qu’une
évaluation approximative, d’après les années précédentes. Quant au principe, M.
Angillis n’a pas plus commis d’erreur qu’en fait. M. d’Elhoungne a dit que
l’administration de l’enregistrement était l’enfant gâté des gouvernements ;
mais recherchons les causes de cette sollicitude intéressée de tous les
gouvernements pour elle : c’est qu’elle fait rentrer au trésor des sommes considérables.
L’orateur a ajouté
que les fonctionnaires de cette administration n’avaient pas besoin de pâlir
sur les livres et de se livrer à des études difficiles comme les magistrats ;
aussi ne les avons-nous jamais placés vis-à-vis la magistrature, ce qui serait
absurde, mais nous les avons comparés avec les autres administrations, et, sous
ce rapport, M. d’Elhoungne lui-même ne conteste pas leur supériorité. Mais
après cet aveu, qui lui a été en quelque sorte arraché (on rit), il les met sur la même ligne que les autres.
Ensuite,
M. d’Elhoungne s’est étendu sur les abus criants et les vexations de
l’administration de l’enregistrement sous le royaume des Pays-Bas abus qui,
j’ose l’espérer, ne se renouvelleront pas. Mais plus ces abus sont criants,
plus il faut mettre d’attention à en prévenir le retour ; mais pour cela il ne
faut pas réduire les fonctionnaires de l’enregistrement ; car vous les mettrez
dans cette alternative, ou de négliger les intérêts du trésor, ou de renouveler
ce système de vexation de de fiscalité la plus désordonnée dont on s’est
plaint. Je crois que la véritable économie serait de laisser les choses dans
leur état actuel. J’ai pensée qu’il était de mon devoir de soumettre ces
réflexions à la chambre, parce qu’elles partent d’une intime conviction, et je
serai heureux si je l’ai fait partager à mes collègues.
M. Delehaye appuie la proposition de la section centrale, et dit
que l’administration de l’enregistrement est la seule qui reçoive des
émoluments plus forts qu’avant la révolution, puisque le chiffre sous le
gouvernement des Pas-Bas était moindre que celui d’aujourd’hui. Il soutient
que, quand la rente ne s’élevait qu’à 8,900,000 fr., somme portée au budget des
voies et moyens sur laquelle a opéré la section centrale, ces fonctionnaires
seraient encore bien rétribués, mais il espère que la recette sera plus
élevée,, parce que les ventes, qui avaient été arrêtés par défaut de confiance,
seront beaucoup plus productives cette année.
M. Jamme. - Un honorable préopinant a dit que toute la question
est de savoir si la remise sera de 1 1/2 ou de 1 3/4. Moi je crois au contraire
que toute la question est de savoir le montant de la recette, afin de pouvoir
fixer les traitements des employés. Or, comme le chiffre ne peut être fixé qu’à
la fin de l’exercice, je pense que l’on peut toujours adopter comme terme moyen
la proposition de la section centrale. Quant à l’excitation aux vexations
fiscales, je crois que dans tous les cas elle serait plus grande encore si la
remise était plus forte. En conséquence, j’appuie la proposition de la section
centrale.
M. Fleussu. - Je viens combattre au contraire les amendements de
la section centrale. Si les employés de l’enregistrement ont toujours été mieux
payés que ceux des autres administrations, c’est qu’ils réunissent des
connaissances plus étendues et sont astreints à un long surnumérariat. Après ce
surnumérariat, ils débutent dans la carrière par une toute petite recette de 4
ou 6 mille francs. Ils n’ont pas même de traitements fixes, car c’est seulement
au moyen de remises réglées par des arrêtés qu’ils sont payés. Avant la
révolution, cette remise était de 2 p. c., et elle a été depuis réduite d’un
quart. Or, on entend encore la diminuer, et en outre on propose qu’elle ne
porte pas sur les los-renten : eh ! messieurs, c’est frapper trop de coups à la
fois. Croyez-vous que les employés soient trop payés ? Voyez, par exemple, les
traitements des inspecteurs et vérificateurs, et calculez tous leurs frais de
déplacement pour aller visiter les bureaux d’enregistrement, les études de
notaires, l’état-civil et les justices de paix et même les conservations des
hypothèques ; ajoutez à cela qu’ils sont pères de famille, et dites si leurs
traitements sont trop élevés. Quant aux autres fonctionnaires, ils doivent
séjourner dans la capitale où la vie est plus chère. Je suis donc de l’avis de
M. le ministre des finances que, si l’on veut fixer la remise à 1 1/2, il faut
qu’elle porte sur les los-renten, ou bien que, si l’on ne veut pas y comprendre
les los-renten, il faut la laisser à 1 3/4. De ces deux propositions, je
choisirais la dernière, c’est-à-dire je voudrais porter la remise à 1 1/2, mais
je désirerais qu’elle fût perçue sur le tout.
M. d’Elhoungne soutient que le personnel de l’administration ayant
été augmenté, les traitements ne doivent plus être élevés, puisque, s’il y a eu
réduction de travail, il doit y avoir aussi réduction de salaire. Il répète
qu’en France la remise n’est que de 1 p. c., et que cependant ces
fonctionnaires sont toujours les plus heureux. Il fait remarquer en outre que
la recette depuis la révolution s’est considérablement accru par les droits de
barrières, qui autrefois appartenaient au syndicat, et pour lesquelles il
suffit d’un commis par provinces. Quant aux los-renten, il les regarde comme
une valeur morte et comme occasionnant des frais ; il ne croit pas qu’il soit
juste de les comprendre dans la recette sur laquelle portera la remise.
M. Ch. de Brouckere. - L’honorable préopinant a dit qu’on avait augmenté
l’état-major de l’enregistrement. Messieurs, il n’y a pas d’administration où
il y ait eu moins de mutations et d’avancements, et cela se conçoit, en
réfléchissant qu’il n’y avait pas un seul Hollandais qui fût placé dans cette
administration en Belgique. Il y a eu tout au plus 2 ou 3 promotions.
Un autre membre a
prétendu que les employés de l’enregistrement percevaient plus aujourd’hui
qu’avant la révolution ; mais il a oublié qu’autrefois l’administration se
composait seulement du personnel de l’enregistrement, et qu’aujourd’hui les
douanes y ont été réunies.
Quant aux
los-renten, je ne partage nullement l’opinion de M. d’Elhoungne sur leur valeur
; mais ce n’est pas là qu’est la question. On dit toujours qu’elle consiste à
savoir si la remise sera de un et demi ou de un et trois quarts ; mais,
messieurs, il faut calculer le montant de la recette, et même, en forçant cette
recette à 10 millions et des 100 mille francs, les employés n’auront pas encore
autant que ceux de l’administration des contributions : car, dans cette
administration, un directeur à 2,500 fl., et ici un directeur n’aura que 2,300
fl. ; de même pour les inspecteurs. Ainsi donc, ils seront moins rétribués, et cependant vous avez reconnu que leurs fonctions
exigent de plus grandes connaissances. Vous avez fait la part des receveurs
plus large. Je vous le demande, seriez-vous conséquents avec vous-mêmes si vous
faisiez des diminutions tout à fait disproportionnées sur leurs supérieurs ?
Dans les contributions il y a deux espèces d’employés. Les employés sédentaires
et les employés ambulants. Là on passe aux emplois ambulants sans avoir été
sédentaire, tandis que dans l’enregistrement il faut passer par le grade de
receveur pour devenir vérificateur, inspecteur, etc. En voulant aujourd’hui
rabaisser les traitements des supérieurs comparativement à ceux des receveurs,
vous bouleversez le principe sur lequel repose l’administration, et vous
punissez ces supérieures de l’avantage accordé à leurs inférieurs.
M. Dumortier.
- Il y a deux questions distinctes dans cette discussion, et à cet égard je ne
crois pas, comme certains membres, qu’il ne s’agit que des los-rente ; il y a
deux questions à résoudre, celle de savoir quel sera le taux de la remise, et
celle de savoir sur quoi frappe la remise.
L’orateur
s’attache à démontrer que l’année dernière les employés de l’enregistrement ont
touché un sixième de plus que sous Guillaume ; car on portait le nombre des
employés au double du personnel actuel, c’est-à-dire à 119. La moyenne pour
chaque employé, sur 13 millions de recettes et à 2 p. c. de remise était de 2,166,
tandis qu’il résultait des comptes fournis à la section centrale que, si l’on
fait la répartition entre les 87 employés dont se compose actuellement
l’administration de l’enregistrement et des domaines, du produit total de la
remise sur 11 millions de recettes, la moyenne pour chacun de ces employés sera
de 2,460 fl., c’est-à-dire d’un sixième en sus. Il ajoute que selon lui, on
devrait décider que le traitement de ces fonctionnaires ne dépassera pas cette
année le taux minimum, ce qui ferait 1 1/4 sur la recette, et il annonce qu’il
proposera un amendement à cet égard.
Comparant ensuite
les employés de l’enregistrement à ceux des contributions, il trouve que la
moyenne pour ces derniers, d’après la somme votée par la chambre, ne s’élève
qu’à 900 fl., tandis que pour ceux de l’enregistrement elle serait encore, en
calculant la remise sur le pied d’un et dei, de 4,800 fl., c’est-à-dire du
double, et cela dans les circonstances les plus défavorables.
M. Ch. de Brouckere. - L’orateur a terminé par une comparaison entre les
employés de l’enregistrement et ceux des contributions ; mais il a oublié dix
expéditionnaires. Ensuite il faudrait qu’il y eût homogénéité entre ces deux
administrations, et entre les travaux de leurs fonctionnaires. Ici il n’y en a
aucune ; c’est comme si l’on comparait l’administration de la milice à
l’administration communale, dont le travail est tout différent.
Quant
aux calculs de M. Dumortier, pour établir que les employés de l’enregistrement
ont un sixième en plus qu’avant la révolution, l’orateur démontre qu’ils sont
erronés, et prouve avec les mêmes chiffres que, dans tous les cas, ce ne serait
qu’un dixième en sus ; mais il faut remarquer qu’autrefois il y avait en outre
trois administrateurs à 5,000 fl. et un inspecteur à Liége à 4,000 fl., qui ont
été supprimés avec leur intermédiaire qui sont devenus vérificateurs. Le calcul
à raison de 119 employés pèche dont par sa base ; mais dans tous les cas, s’il
était exact, un dixième en sus ne serait pas trop pour payer les employés des
domaines, qui ont été réunis à l’enregistrement. L’orateur fait remarquer en
terminant que le gouvernement a hérité du syndicat des complications
commerciales et industrielles très difficiles à régler, et il insiste pour que
l’on conserve la remise actuelle.
- On demande de
toutes parts à aller aux voix.
La clôture est
prononcée.
M. Fayder, commissaire du Roi demande que M. le président mette d’abord aux voix la
question de savoir si la remise portera sur les los-renten.
- Cette question
est mise aux voix et résolue négativement par la chambre.
Ensuite la
proposition de la section centrale de réduire la remise sur la recette à 1 1/2
est rejetée. Cette remise reste fixée à 1 1/4.
La chambre, consultée
sur la question de savoir si l’on portera à 5,000 fl., comme le propose la
section centrale, ou à 6,000 fl., comme l’a demandé le ministre, pour les
expéditionnaires de l’administration centrale, se prononce pour cette dernière
somme.
Le chiffre total
du chapitre IV entier, s’élevant à 286,180 fl. 75 c. est également adopté.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN CREDIT AU BUDGET DU
DEPARTEMENT DES FINANCES POUR LE SERVICE DE LA VERIFICATION DES POIDS ET
MESURES
La chambre décide ensuite
qu’elle entendra immédiatement le rapport de la section centrale sur les
articles relatifs à la vérification des poids et mesures.
M. Dumortier, rapporteur, annonce que la section centrale n’a fait aucun
changement à la proposition de M. le ministre des finances, et il conclut à
l’adoption du chiffre de 40,000 fl. demandé pour cet objet.
M. A. Rodenbach. - Dans une de nos précédentes séances, je me suis plaint
de l’abus scandaleux qui existait dans le mode de perception de poinçonnage des
poids et mesures. J’ai dit que la recette de ces droits n’était soumise à aucun
contrôle, et que quelques vérificateurs ne versaient pas au trésor la totalité
du produit.
Je sais que le
ministre des finances se propose de redresser l’abus que j’ai signalé à la
chambre, puisqu’il va faire établir partout des registres à souches pour la
délivrance des quittances, et qu’il a proscrit la mesure de faire opérer la
recette par les receveurs des contributions directes. Précédemment les droits
de poinçonnage ne rapportaient que 44,000 fl. ; je suis persuadé qu’en suivant
le nouveau mode projeté, ils s’élèveront au moins à 60,000 fl.
J’appuie
donc la proposition de 40,000 fl., parce que je pense que le ministre aura
égard cette fois-ci à mes observations. Mais pourquoi le ministre ne
s’empresse-t-il pas à nous présenter le projet qui depuis quelques mois est
dans les cartons du ministère ? Car le poinçonnage depuis 25 ans n’a servi qu’à
salarier les employés, et à condamner de temps en temps à la prison et à
l’amende quelques pauvres petits boutiquiers qui n’avaient pas été avertis de
la visite du vérificateur, ou qu’il n’avaient pas été assez prestes pour cacher
leurs vieux poids et mesures.
L’on devrait, à
l’instar de la France, suivre le système binaire autrement appelé usuel,
c’est-à-dire des doubles, demis, quarts, etc., pour en faire l’application aux
usages communs, et particulièrement à la pratique du commerce en détail.
De plus, les
vérificateurs devraient aller de commune en commune.
M. Ch. de Brouckere croit que la vérification des poids et mesures ne
devait pas être transférée au budget des finances, parce que ce n’est pas un
objet fiscal, mais un objet scientifique, qui appartient au département de
l’intérieur ; et il émet le vœu qu’on change de système de vérification, et
qu’on n’astreigne plus les particuliers à faire poinçonner leurs aunes et leurs
mesures chaque année, mais seulement à faire présenter chaque année ces mesures
poinçonnées une fois pour toutes. (Appuyé.)
M. le ministre des finances (M.
Coghen) répond que si
l’on a fait ce transfert, c’est pour introduire dans la vérification une
surveillance plus stricte. Du reste, il dit que si l’observation de M. de
Brouckere est juste pour les aunes et d’autres mesures, elle ne peut
s’appliquer aux poids qui se déterminent par l’usage, et qu’on est obligé de
plomber chaque année ; il ajoute que le système suivi en France lui semble
vicieux.
M. A. Rodenbach. - Je répondrai à M. le ministre que le système usuel,
c’est-à-dire le système de division suivi en France, n’est pas vicieux ; preuve
: c’est que dans ce pays ce système de poids et mesures est suivi, tandis qu’il
ne l’est point en Belgique.
Je conviens qu’en
théorie le système décimal est superbe.
Sous la république
française, les semaines étaient des décades, les horloges étaient divisées en 10,
l’année l’était également. Vous avez tous connus, messieurs, les calendriers de
ce temps-là ; mais il a bien fallu abandonner cette scientifique division, dont
le peuple n’a plus voulu. Il en est de même en Belgique. Le détaillant et le
consommation demanderont toujours une livre, une demi-livre, un quarteron, etc.
Je le répète, le système en théorie est beau, mais il est impraticable dans le
détail.
- La majoration de
30,000 fl. à l’article premier du chapitre V, pour les traitements des employés
des postes est adoptée.
Celle de 10,000
fl. à l’article 3 du même chapitre, pour le matériel, est également adoptée.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’ETAT POUR L’EXERCICE 1832
(DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR)
On passe ensuite à
la discussion générale du budget de l’intérieur.
Discussion générale
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, personne ne conteste, je pense, le
principe qu’un budget de l’Etat ne doit contenir que des dépenses d’utilité générale
; cependant il en figure au budget soumis à vos discussions qui sont purement
locales, sans que la section centrale se soit exprimée à cet égard, ce qui m’a
déterminé à énoncer brièvement mon opinion sur celles que, selon moi, nous ne
sommes pas même en droit d’allouer.
En effet,
messieurs, pouvez-vous, par exemple, faire payer à nos pauvres cultivateurs des
campagnes, les leçons de musique que l’on donne à Bruxelles et à Liége, sans
commettre un véritable abus de pouvoir ? A cela l’on me répondra peut-être que
la dépense est si minime qu’elle sera imperceptible pour les contribuables,
tandis qu’elle allègera les charges de deux villes qui en ont de considérables
à supporter ; du moins c’est le seul argument que l’on ait fait valoir au
budget en faveur de cette allocation évidemment déplacée, mais chacun de nous
sait fort bien que nous n’avons pas le droit d’être protecteurs des arts
d’agrément, ni d’être généreux avec le denier d’autrui, peu importe la quotité
; car à cet égard c’est le principe et non la somme qui doit diriger.
Je regarderai
aussi comme un pur sophisme l’argument par lequel on voudrait faire considérer
cette dépense comme étant faite dans l’intérêt général, en disant qu’au moyen
des écoles de musique, pour lesquelles on nous demande des subsides, nous
pouvons former des artistes qui, comme les Grétry, les Bériot, etc.,
contribueront à rehausser notre honneur national. C’est indépendamment des
secours de leurs concitoyens que ces hommes, qui font certainement honneur à
leur pays, ont développé leurs talents. D’ailleurs, il me paraît que les
secours doivent être volontaires, au moyen, par exemple, de souscriptions,
auxquelles je prendrais part volontiers ; mais pour y faire contribuer les
autres, jamais.
Je ne puis
reconnaître non plus que la société d’horticulture de Bruxelles puisse être
d’un intérêt général, malgré qu’un honorable membre de cette assemblée se soit
efforcé de nous persuader au mois de novembre dernier, lors de la discussion
sur les crédits supplémentaires, qu’elle fait des essais à l’égard des plantes
étrangères, pour découvrir celles qui peuvent s’acclimater chez nous et nous
être utiles ; ce que je crois certain, c’est qu’aucune découverte de ce genre
n’a encore dédommagé la nation des dépenses qu’elle supporte de ce chef
Je considère dont
l’établissement de cette société comme un objet de luxe, dont Bruxelles seul
peut retirer de l’agrément et même des avantages, et je voterai contre toute
allocation demandée sur ces articles, voulant laisser aux véritables amateurs de
fleurs la charge de faire prospérer par eux-mêmes un établissement qui fait
honneur à ceux qui le dirigent. Quant au subsides demandés pour l’école
industrielle de Gand, pour l’illustre académie des sciences et belles-lettres
de Bruxelles, et même pour les académies des beaux-arts de Bruges, d’Anvers et
de Bruxelles j’attendrai, avant de les voter, que l’on m’ait bien convaincu que
ces institutions se rattachent plutôt à l’intérêt général qu’à un intérêt de
localité ; sinon, je voterai également contre, non que je veuille contester le
bien que ces institutions procurent où elles sont instituées, mais parce que je
voudrais que les avantages de ce genre fussent plus justement répartis, étant
établis aux frais de tous.
Puisque nous en
sommes à la discussion générale, je veux, messieurs, vous entretenir un instant
d’une inégalité frappante que j’ai remarquée dans les demandes d’allocation
faites pour l’instruction publique dans les provinces. A l’article 3 du
chapitre VI, il est demandé une somme de 40,315 fl. pour frais des athénées et
collèges de dix de nos villes. A l’article 5, il est demandé pour traitements
aux instituteurs et autres frais de l’enseignement primaire dans les provinces
la somme de 116,124 fl., total pour les deux articles : 156,439 fl.
Eh bien !
messieurs, la province de Luxembourg n’est comprise dans ces deux articles que
pour une somme de 8,703 fl., tandis que la petite province de Namur y est
portée pour celle de 22,865 fl., disproportion choquante que rien ne peut
justifier, car il ne faut pas croire, messieurs, que la province de Luxembourg
soit dédommagée d’une autre manière, puisqu’elle ne possède aucun établissement
aux frais de la nation du genre de ceux que je viens de signaler, et, quant aux
communications, elle n’a pour ainsi dire qu’une seule route, malgré son immense
étendue, pendant que de fortes sommes vous sont demandées pour faire des canaux
en tous sens dans d’autres provinces. L’on m’objectera peut-être que cette
province, malgré son étendue, rapporte moins à l’Etat que les autres ; mais,
messieurs, est-ce parce qu’un pays est pauvre qu’il faut y abandonner
l’instruction publique et même les moyens qui pourraient seconder son industrie
? J’appelle l’attention du gouvernement sur toutes les répartitions des
avantages procurés aux frais du trésor de la nation, espérant qu’il voudra bien
(comme cela a lieu pour les charges) les faire avec la plus grande justice
distributive possible.
Je n’aborderai
pas, messieurs, les autres points, qui me paraissent devoir subir des
modifications ou réduction ; ce serait abuser de votre temps, la section
centrale ayant signalé toutes celles qui paraissent susceptibles d’être
opérées.
- La séance est
levée à 4 heures et demie.