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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 2 avril
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant le budget de l’Etat
pour l’exercice 1832 (département des finances). Personnel de l’administration
de la monnaie (A. Rodenbach, Milcamps,
d’Elhoungne, Coghen, Fleussu, Milcamps, Coghen, d’Elhoungne, A. Rodenbach, H. de Brouckere,
Fleussu, Lebeau, Leclercq, Coghen, Destouvelles, Ch. de
Brouckere, Milcamps, Dumortier,
Leclercq, Coghen, Barthélemy, Gendebien, Destouvelles, d’Elhoungne,
Raikem, Coppens, Dumortier, d’Elhoungne, Fleussu, Barthélemy, H. de Brouckere, Destouvelles,
Fleussu), salaire des huissiers (Coghen,
d’Elhoungne)
(Moniteur belge n°95, du 4 avril 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est
ouverte à une heure.
Après l’appel
nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; il est adopté.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Lebègue
analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
L’ordre du jour
est la suite de la discussion du budget des finances.
M. le ministre des finances est présent au banc des ministres.
Discussion des articles
Chapitre premier. - Administration centrale
Article
9
La discussion est
ouverte sur l’article 9, relatif au personnel de l’administration des monnaies,
pour lequel il est demandé au budget 21,100 fl. La section centrale propose de
n’allouer que 18,800 fl.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, si je dois en croire certain publiciste,
les membres de l’administration de la monnaie devraient, eu égard au principe
de la loi organique de 1819, être nommés par le Roi, sur la présentation de la
chambre législative. On en a agi tout autrement, puisque les membres de
l’administration monétaire ont été nommés sur la présentation du ministre. Il
n’y a encore aucune loi qui règle la réorganisation de la monnaie, et déjà l’on
a nommé le personnel de cette administration dont les appointements s’élèvent à
plus de 22,000 fl. L’opinion que j’émets sera, je pense, approfondie par les
jurisconsultes distingués qui siègent parmi nous. C’est une bien importante
question que le contrôle monétaire ; cela ne devrait-il pas, comme le contrôle
des comptes de l’Etat, faire partie intégrante du large système de nos libertés
publiques ? Et cette réorganisation du 29 décembre, n’est-elle pas une
inconstitutionnalité ? Il nous paraît que la responsabilité ministérielle n’est
point suffisante, quand il s’agit d’une garantie d’une aussi haute importance.
M. Milcamps. - Messieurs, la section centrale, dans son rapport
sur le budget des finances et à l’occasion des crédits demandés pour
l’administration des monnaies, a fait remarquer que l’organisation de cette
administration n’est pas susceptible d’être réglée par un simple arrêté, mais
qu’elle doit d’être par une loi.
Si, comme il le
paraît, la section centrale a entendu exprimer l’opinion que le pouvoir
exécutif n’a pu, dans l’état actuel de la législation, nommer les présidents,
commissaires et inspecteur des monnaies, je ne puis être de son avis.
J’ai la pensée que
cette nomination est dans les attributions de ce pouvoir.
Pour fonder mon
opinion, je n’invoquerai pas, à l’exemple de M. le ministre des finances,
l’article 74 de la constitution, dont je dirai néanmoins un mot ; mais
j’argumenterai des lois sur la matière et de l’article 66 de la constitution.
On sait que
l’article 201 de l’ancienne loi fondamentale avait établi le principe d’un
collège, sous le nom de conseillers et maîtres-généraux des monnaies.
La loi du 19 mai
1819 a organisé ce collège, qu’elle a composé de six membres égaux en rang et
assistés d’un inspecteur-essayeur et d’un inspecteur. Sa résidence était fixée
à Utrecht.
A la révolution, ce collège a, de fait, cessé
des fonction en Belgique ; mais le principe d’administration, reconnu par les
lois existantes sur la matière, n’existait pas moins dans ce pays, et l’on ne peut,
ce me semble, contester qu’à cette époque le pouvoir exécutif aurait pu nommer
des conseillers et maîtres généraux des monnaies, en remplacement de ceux qui,
de fait, avaient cessé leurs fonctions.
Or, ce qu’aurait
pu faire alors le pouvoir exécutif, pourquoi ne le pourrait-il plus aujourd’hui
?
Il ne le peut,
répondra-t-on, parce que notre constitution, ayant aboli la loi fondamentale, a
frappé de cette abolition le principe d’institution d’un collège, sous le nom
de conseillers et maîtres-généraux des monnaies, et les lois organiques de ce
principe.
Je puis bien
admettre qu’au moment de la promulgation de notre constitution, et même
antérieurement, il n’y avait plus en fait, pour ce pays, de collège
d’administration des monnaies ; mais l’on doit me concéder que notre
constitution n’a point aboli les lois sur les monnaies et la garantie des
matières d’or et d’argent ; que ces lois subsistent dans toute leur force, sauf
que les monnaies des Pays-Bas sont, à notre égard, des monnaies étrangères.
L’on doit me concéder, et je soutiens d’ailleurs, que le principe d’une
administration des monnaies et de la garantie, reconnu par ces mêmes lois, a
été maintenu.
Or, comme on peut
facilement supposer une administration sans administrateurs, il ne s’agissait
que de nommer aux places vacantes.
Mais à qui
appartient-il de nommer ?
La réponse est
dans l’article 66 de la constitution.
Cet article porte
: « Le Roi nomme aux emplois d’administration générale, sauf les
exceptions établies par la loi. »
Je n’entends pas
très bien les mots « administration générale ; » j’aurais besoin de
les définir.
Toutefois, ils me
paraissent devoir s’entendre, au moins, de toutes les branches d’administration
qui ressortissent immédiatement et médiatement du gouvernement. Immédiatement, telles
que celles centrales de la trésorerie, des contributions, de l’enregistrement,
des postes, du cadastre, des monnaies et de la garantie. Médiatement, les
parties de ces branches d’administration qui existent dans les provinces et
sont dirigées par des administrateurs.
Si l’on admet
cette interprétation, on doit nécessairement conclure de l’article 66 de la
constitution que la nomination des administrateurs des monnaies est dans les
attributions du Roi, à moins que les lois n’établissement une exception à cet
égard.
Or, loin que l’on
trouve cette exception dans les lois concernant les monnaies, l’on y voit, au
contraire, qu’elles ont constamment conféré ou laissé au pouvoir exécutif la
nomination aux places de membres de l’administration des monnaies.
On objectera que
notre système monétaire (le poids et le titre des monnaies, leur valeur) doit
être réglé par une loi ; que la chambre est saisie d’un projet de loi à cet
égard ; enfin que la raison veut que les bases de notre nouveau système soient
posées avant qu’on ne nomme aux places d’administrateurs des monnaies.
Cette objection
aurait quelque poids si cette administration n’avait dans ses attributions que
la fabrication des monnaies. Mais je vous prie, messieurs, de remarquer qu’elle
a d’autres attributions.
Dans le cas de
découverte de fausses monnaies en circulation, soit nationales, soit
étrangères, l’administration des monnaies est chargée de faire vérifier les
pièces par l’inspecteur-essayeur.
Le commerce d’or
et d’argent se trouvant en rapport avec les monnaies la garantie des ouvrages
d’or et d’argent, la perception et la comptabilité du droit établi sur ces
ouvrages rentrent encore dans ses attributions.
Elle est chargée
de la surveillance de tous les bureaux de garantie existants, ou qui pourraient
étre établis par la suite. Tout cela résulte de la loi du 19 mai 1819.
On voit donc que
les fonctions de cette administration ne sont pas bornées à la surveillance des
hôtels des monnaies, des fonctionnaires qui y sont attachés et des travaux qui
s’y exécutent, mais qu’elles s’étendent sur une infinité d’autres objets ; et
cela même me paraît répondre suffisamment à l’objection tirée du défaut d’une
loi préexistante.
Il est vrai que
par l’arrêté du 30 décembre 1831, qui réorganise l’administration des monnaies,
le gouvernement a confié à l’administration des contributions directes, assises
et douanes, une partie des attributions de la première ; mais ce ne sont pas
celles concernant l’exécution des lois sur le titre et la marque des espèces
d’or et d’argent ; ainsi je n’ai pas à m’occuper de ce point dans la présente
question.
A
l’observation de la section centrale, M. le ministre des finances a opposé,
mais point heureusement selon moi, l’article 74 de la constitution. Si le Roi a
le droit de battre monnaie en exécution de la loi, il est clair qu’il faut,
pour la fabrication des monnaies, une loi préexistante. Cette loi, quelle
est-elle ? C’est celle et uniquement celle qui doit régler le titre et le poids
des monnaies, et en déterminer la valeur. Cet article prouverait plutôt contre
le système du ministre. Aussi, messieurs, si je rappelle cet article, c’est
pour démontrer qu’il est ici sans application, et qu’on ne peut l’invoquer ni
pour soutenir, ni pour combattre l’observation de la section centrale. Je
crois, messieurs, avoir, par des moyens fondés, répondu à cette observation et
prouvé que le pouvoir exécutif a pu, dans l’état actuel de la législation,
nommer les présidents, commissaires et inspecteur des monnaies. Je demande, en
conséquence, qu’il soit passé à la discussion des crédits demandés.
M. d’Elhoungne pense que l’administration de la monnaie ne peut être
instituée que par une loi et non par un arrêté, d’autant plus que, selon lui,
cette commission exerce de véritables attributions judiciaires. L’arrêté de
décembre est donc entaché d’inconstitutionnalité ; mais il est d’avis que cette
question ne doit pas être agitée aujourd’hui, et qu’il faut toujours porter au
budget une allocation pour cet objet, sauf à revenir sur la question
d’inconstitutionnalité lors de la loi monétaire.
S’attachant
ensuite au chiffre demandé, il appuie la réduction de la section centrale, et,
comparant l’ordre de choses actuel avec ce qui existait sous le royaume des
Pays-Bas, il cherche à établir que tous les employés des monnaies sont
susceptibles d’une réduction telle que la section centrale propose encore une
somme de 1,000 fl. supérieure à celle nécessaire pour faire face à tous les
besoins.
M. le ministre des finances (M.
Coghen).
- Messieurs, les mesures que j’ai prises par mon arrêté du mois de décembre
étaient commandées par la nécessité pour la garantie des matières d’or et
d’argent. Quant à la question constitutionnelle, je suis d’accord avec le
préopinant de la remettre jusqu’à la discussion de la loi monétaire. Je consens
à une réduction de 1,000 fl. qui portera sur les chefs de l’administration des
monnaies ; mais, quant aux employés, tels que les essayeurs et les graveurs,
dont je crois que M. d’Elhoungne n’a pas voulu parler, il est nécessaire de
leur conserver tout leur traitement.
M. Fleussu. - Je n’ai pas trop bien compris ce que nous a dit M.
le ministre, que l’arrêté pris par lui était commandé par la nécessité ; car si
des mesures lui semblaient indispensables, il aurait eu aussitôt fait de nous
présenter une loi transitoire à cet égard. La question me semble fort grave ;
car indépendamment de l’inconstitutionnalité dont a parlé M. d’Elhoungne et de
celle à laquelle a répondu M. Milcamps, il en est une troisième que je vais
vous exposer. La constitution donne au Roi le droit de
battre monnaie en vertu de la loi. Il fallait donc une loi préalable pour
autoriser l’exercice de ce droit. Or, n’est-il pas étrange que des mesures
aient été prises à cet égard en exécution d’une loi qui n’existait pas ?
Messieurs, pour vous montrer toute l’importance de la commission nommée par
l’arrêté dont il s’agit, je dirai, à l’appui de l’observation de M.
d’Elhoungne, qu’elle peut être juge de différends entre particuliers, par
exemple de difficultés entre un contrôleur et un orfèvre. D’un autre côté,
quand un individu est accusé de crime de fausse monnaie, il faut un rapport de
cette commission pour qu’il soit traduit devant la cour d’assises ; et si elle
a décidé qu’il y avait alliage dans les pièces qui lui ont été soumises, la
cour d’assises ne peut plus revenir sur cet objet. Vous voyez donc qu’une pareille
commission ne pourrai être instituée que par une loi. D’après ces
considérations, il m’est impossible d’accorder l’allocation demandée, et je la
refuserai, à moins que M. le ministre ne vienne déclarer lui-même que son
arrêté sera tenu en suspens jusqu’à la nouvelle loi.
M. Milcamps
insiste pour l’allocation et dit que, si les parties à l’égard desquelles
l’administration des monnaies sera prise pour juge, la regarde comme
inconstitutionnelle, les questions qui s’élèveront seront du domaine des
tribunaux.
M. le ministre des finances (M.
Coghen) fait observer que
la commission qui a été nommée ne l’a été que pour assurer le service pour la
garantie des matière d’or et d’argent et que, pour les monnaies, il faudrait
encore nommer d’autres employés, comme un contrôleur et des essayeurs.
M. d’Elhoungne. - Mon amendement tend à maintenir les choses en
l’état où elles sont depuis l’adoption du budget de 1831, et de n’allouer que
les sommes allouées dans ce budget. C’est déjà faire beaucoup ; car par là les
employés jouissent d’un traitement, sans faire aucune espèce de travail. Mais
il vaut mieux, en attendant l’organisation, conserver ce qui existe, que de
bouleverser les existences de plusieurs fonctionnaires qui n’ont pas démérité
de leur pays, et à qui n’est pas imputable la suspension des travaux des
monnaies.
M. A. Rodenbach. - J’appuie l’amendement de mon honorable collègue M. d’Elhoungne,
d’autant plus qu’en agissant ainsi, le ministre aura le temps de songer à
introduire des économies dans la loi monétaire qu’il nous soumettra.
J’entretiendrai
quelques instants la chambre de l’extrême économie qui règne dans les monnaies
de France. Dans ce pays, un essayeur ne reçoit qu’une cinquantaine de francs
pour essayer un million, tandis qu’à Bruxelles on lui en donnait bien 300. Sous
le précédent gouvernement, les directeurs avaient de si énormes bénéfices,
qu’on en a vu dans la Néerlande qui, après avoir exercé quelques années leur
fonction, ont acquis pour un million de francs de bienfonds ; en France, au
contraire, ces agents ne reçoivent des remises qu’en proportion de leur
travail, et leurs employés subalternes, qui n’ont que deux ou trois francs par
jour, en coûtaient au moins dix sous Guillaume.
Je passerai sous
silence les insignes bévues néerlandaises commises par les ex-employés de la
monnaie des Pays-Bas, et comment, par leur opération, ils nous firent perdre
près de cinq millions, en voulant être plus savants que nos voisins. Je parle
ici pour le futur, espérant que le ministre tiendra la main pour que l’on ne
commette pas en Belgique du gâchis alchimique sur une aussi grande échelle.
M. H. de Brouckere. - Deux inconstitutionnalités ont été signalées dans
l’arrêté du 29 décembre dernier. La première, selon M. Fleussu, vient de ce que
l’arrêté donne une véritable juridiction à la commission, puisqu’elle sera
appelée à juger entre les orfèvres et le contrôleur, quand il y aura difficulté
entre eux, et même à prononcer la condamnation du premier aux frais, s’il est
reconnu que le tort était de son côté. Mais où donc est la preuve de cette
allégation ? Je la cherche et ne la trouve nulle part. Pour moi, messieurs, je
crois que, si un orfèvre était lésé par un contrôleur, il aurait son recours
devant les tribunaux. La deuxième inconstitutionnalité, dit-on, vient de ce
que, s’il se commet un crime de fausse monnaie, les juges renverront les pièces
de convictions à la commission, et que les cours d’assises seront obligées de
se conformer à son rapport. Je ne vois pas là d’attribution de juridiction. La
commission fera tout simplement, dans ce cas, ce que font des experts. Elle
donnera son avis, comme étant présumée la plus capable de décider en pareille
matière, et c’est sur cet avis que les juges prononceront, libre de l’adopter
aussi bien que de le rejeter. Où se trouve donc l’inconstitutionnalité ? Je ne
la vois nulle part. Je m’oppose donc à l’amendement de l’honorable M.
d’Elhoungne.
M. Fleussu soutient de plus fort l’inconstitutionnalité du
décret ; elle résulte, dit-il, du troisième paragraphe de l’article 3 qui dit,
de la manière la plus expresse, que la commission statuera sur les difficultés
qui pourraient s’élever entre les orfèvres et les contrôleurs, et qui s’en
réfère à la loi du 19 brumaire an VI. (L’orateur lit ces articles.) Il est
clair, ajoute-t-il, que, d’après ces articles, la commission sera une espèce de
tribunal appelé à prononcer des jugements de condamnation. Quant au crime de
fausse monnaie, on a beau dire que les cours d’assises seront libres de suivre
ou de ne pas suivre l’avis de la commission ; il est clair qu’elles s’y
conformeront toujours. Tels sont les motifs qui m’ont fait demander que
l’arrêté fût suspendu jusqu’à la loi sur les monnaies.
M. Lebeau. - Messieurs, je crois aussi que l’arrêté du mois de décembre
a le tort d’être un peu prématuré, du moins quant à ce qui concerne les
monnaies ; mais je crois qu’on a bien fait de prendre une mesure provisoire
pour la garantie des matières d’or et d’argent. On a argumenté de la loi de
brumaire an VI pour prouver l’inconstitutionnalité de l’arrêté ; ce n’est pas à
cette loi qu’il fallait s’arrêter ; il fallait remonter jusqu’à la loi du 22
vendémiaire an IV, qui est la loi fondamentale en matière de monnaies,
puisqu’elle a établi et réglé le système monétaire. Si cette loi, à laquelle
celle de brumaire an VI se réfère, est encore en vigueur, il est certain que la
commission aura le droit de juger les différends dont on a parlé ; mais c’est
une question difficile que celle de savoir si la loi de vendémiaire est encore
en vigueur ; je ne connais aucun texte de loi qui l’ait abrogée. Cependant je
n’ai pas assez approfondi la matière pour pouvoir affirmer qu’elle ne l’ait pas
été ; c’est une loi qui contient 101 articles, et celle de brumaire en contient
140 ; vous sentez que ce n’est pas l’affaire d’un moment que d’examiner des
lois de cette étendue.
Il serait nécessaire, je pense, de suspendre l’effet
de l’arrêté, quant aux monnaies, en attendant que la question pût être
examinée. Quant à ce qu’a dit M. Fleussu, sur la force qu’il attache au rapport
de la commission en matière de fausse monnaie, je vois que M. de Brouckere a eu
parfaitement raison de le comparer à une expertise d’après laquelle le jury se
décidera d’après l’impression que cet avis aura fait sur sa conviction, et sans
qu’il puisse être lié en aucune manière par le rapport de la commission. Rien
ne peut lier la conviction du jury ; il la forme comme il l’entend d’après les
preuves du procès, et il sera toujours loisible à l’accusé, nonobstant le rapport,
et pour le contredire, de faire entendre pour témoins les chimistes, dont le
témoignage et les expertises serviront d’élément au jury pour asseoir son
jugement.
M. Leclercq. - Je voudrais savoir si M. le ministre consent à suspendre
l’arrêté.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Il m’est impossible d’y consentir et d’adhérer à
l’amendement de M. d’Elhoungne. En 1831, il n’y avait pas de commission pour la
garantie des matières d’or et d’argent : allouer des fonds comme en 1831
seulement, ce serait anéantir par le fait la commission. Je ne pourrais
consentir à suspendre l’arrêté en ce qui concerne les monnaies.
M. Leclercq. - De la réponse de M. le ministre il résulte que nous
sommes dans la nécessité d’allouer les fonds ou de les refuser. En allouant les
crédits demandés, nous décidons que par un simple arrêté le Roi a le droit de
nommer, d’instituer une commission des monnaies ; or, c’est un droit que je ne
lis pas dans l’article 78 de la constitution qui dit : « Le Roi n’a
d’autres pouvoirs que ceux que les attribuent formellement la constitution et
les lois particulières portées en vertu de la constitution même. »
Qu’on me montre dans la constitution, ou dans une loi sur la matière,
que le pouvoir exécutif a le droit de nommer les membres de la commission, ou
plutôt d’instituer une commission des monnaies, et je passerai condamnation.
Mais il n’en existe pas. L’administration des monnaies a été instituée par une
loi du 22 vendémiaire an VI ; elle a été réglée et organisée par la loi de
brumaire an VI ; mais cette dernière a été abrogée par la constitution de 1815
du royaume des Pays-Bas qui, par son article 201, a fondé une chambre des
monnaies, en réglant et le mode de sa nomination et le mode de ses
attributions. La loi de l’an IV ayant été abrogée aussi bien que la loi
fondamentale de 1815, que reste-il de la chambre des monnaies ? Rien. Force
était bien d’organiser une commission pour la garantie des matières d’or et
d’argent, et de déterminer ses attributions ; mais était-ce par un arrêté que
cela devait être fait ? Non ; une loi seule pouvait le faire : l’article 78 de
la constitution est formel. L’arrêté de décembre est donc inconstitutionnel. Il
faut le dire, messieurs, car cette question est de la plus haute importance.
Vous savez le mal que vous ont fait les arrêtés ; c’est pour être entré dans
cette voie, et pour s’être obstiné à y demeurer, que le gouvernement déchu a
jeté le pays dans l’abîme des révolutions.
M. Destouvelles. - Il me paraît, messieurs, que le préopinant a poussé
son système un peu trop loin ; car il en résulterait que, depuis la révolution
de 1830, nous sommes restés, en cette matière, dans une complète anarchie, et
qu’il n’a plus existé de garantie pour les matières d’or et d’argent. Je ne
cacherai pas que je pense, comme un des honorables préopinants, qu’il eût été à
désirer que l’arrêté n’eût pas été pris ; mais, pour inconstitutionnel, cet
arrêté ne me le paraît pas. On dit qu’il a institué une commission pour régler
les monnaies, et que le système monétaire ne peut être réglé que par une loi ;
mais, messieurs, songez donc que la commission n’agira qu’après que vous aurez
vous-mêmes fait la loi qui vous a été soumise et que vous êtes appelés à voter.
La seconde inconstitutionnalité vient, dit-on, de ce qu’elle aura une
juridiction. Ici, je divise la question, et je l’examine sous le rapport de
l’action criminelle et de l’action purement correctionnelle.
Il
est clair que, pour le premier cas, le rapport de la commission en matière
d’accusation de fausse monnaie ne fera que donner son avis, comme le feraient
des experts ordinaires. Et de même qu’en matière civile les juges ne sont pas
liés par l’expertise, qu’ils peuvent en ordonner une seconde, une troisième, et
en définitive ne baser leur jugement sur aucune ; de même les jurés n’auront
que l’égard qu’ils jugeront à propos à l’avis de la commission. Quant aux
matières correctionnelles, que l’on ouvre la loi de brumaire an VI et on verra
que lorsqu’il s’élève des difficultés entre les contrôleurs et les fabricants
de matière d’or et d’argent, les tribunaux correctionnels viennent toujours se
placer entre les parties.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je ne viens pas défendre l’arrêté de
décembre. Je n’examinerai pas s’il est légal ou illégal ; il me serait
difficile de prononcer à cet égard, je ne l’ai même pas lu. Mais, en supposant
qu’on dût le considérer comme illégal, ce que je n’admets pas, je soutiens
qu’il n’en faut pas moins allouer le crédit demandé. Il fait nécessairement une
commission des monnaies. Si celle-ci avait été illégalement nommée, il en
faudrait nommer une autre, et il est certain que, quand vous aurez rendu la loi
sur le système monétaire, il faudra une commission pour la faire exécuter :
donc au budget il faut ouvrir un crédit pour rétribuer les membres de cette
commission.
On a argumenté de
l’article 78 de la constitution, pour dire que le pouvoir exécutif n’avait pas
le droit de nommer la commission ; mais je lis dans l’article 66 que le Roi
nomme aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, sauf les
exceptions établies par la loi. Or, ces exceptions sont, jusqu’ici, la
nomination des membres de la cour des comptes qui est attribuée à la chambre,
et celle des juges qui se fait sur présentation.
Mais, dit-on, les
lois de vendémiaire et de brumaire sont abrogées. Non, ni l’une ni l’autre ne
l’ont été ; mais voici ce qui est arrivé ; jusqu’à la loi fondamentale de 1815,
ces lois ont continué de rester en vigueur jusqu’à la loi de 1819, qui n’a
supprimé ni l’une ni l’autre, et qui n’a fait que les modifier en certaines
parties, notamment pour organiser l’intérieur des hôtels de monnaies. Mais les
trois lois ont toujours marché de front. La loi fondamentale ayant été abrogée, nous
sommes-nous à l’instant trouvés sans loi ? Je ne le pense pas, et pour moi la
question ne me semble difficile que sous un rapport, savoir jusqu’à quel point
les parties abrogées par cette loi ont pu être remises en vigueur. A l’origine
de la révolution, plusieurs accusations de fausse monnaie ayant été portées
devant les cours, les procureurs-généraux ont renvoyé devant la commission des
monnaies : il a bien fallu en instituer une. Du reste, tout ceci n’est que
provisoire et sera réglé par une loi que vous êtes appelé à rendre ; en
attendant, il est certain qu’il faut une commission, et qu’il est par
conséquent nécessaire d’allouer le crédit demandé.
On entend encore M. Milcamps, M. Dumortier,
M. Leclercq,
M. le ministre des finances (M. Coghen) et M. Barthélemy, qui propose d’allouer le crédit, sauf à déclarer, en marge de la loi,
que c’est sans rien préjuger sur la question des monnaies, et M.
Gendebien, qui est d’avis
que l’arrêté est inconstitutionnel, et que la loi de brumaire, abrogée par la
loi fondamentale, n’a pas été remise virtuellement en vigueur par l’abrogation
de cette dernière.
M. Destouvelles soutient que, la loi du 19 brumaire existant
toujours, le Roi avait le droit de nommer les administrateurs des monnaies, et
que par conséquent l’arrêté est régulier, puisqu’il a été portée en vertu de la
loi ; et d’ailleurs, la proposition qu’a faite M. Barthélemy d’ajouter à
l’article : « sans rien préjuger sur l’administration des monnaies, »
conserve tous les droits à la chambre.
M. d’Elhoungne persiste à dire que ce n’est pas par un arrêté qu’l
pouvait être pourvu à l’administration des monnaies, mais seulement par une
loi. Il contient, comme M. Leclercq, que nous sommes sans loi en ce matière,
ainsi que pour les mines. Quant à ce qui a été dit par M. le ministre des
affaires étrangères, que la nouvelle loi qui interviendrait bientôt
régulariserait l’arrêté ou bien en ferait cesser l’existence, l’orateur pense que
la consécration de cet arrêté, bien loin de le régulariser, ne ferait que
perpétuer l’abus qui a été commis.
Il incite la
chambre à prendre garde au système des arrêtés, qui a été la cause de la
révolution, et il pense que, si elle ne ferme pas l’issue déjà ouverte
aujourd’hui, elle prépare pour l’avenir de nouvelles commotions. Sous ce
rapport, ajoute-t-il, la question est extrêmement grave. J’ai été d’abord
d’avis de l’accorder momentanément ; mais, d’après les développements présentés
par M. Fleussu, je ne crois plus que cela soit possible. J’insiste pour
l’adoption de mon amendement.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je crois, messieurs, que l’honorable M. Ch. de Brouckere
a parfaitement présenté la situation. En effet, de quoi s’agit-il ? D’allouer
une somme pour l’administration des monnaies. Or, comme il faut une
administration des monnaies et que la loi de brumaire est encore en vigueur,
force est bien d’avoir des fonctionnaires pour cette administration. D’après la
constitution, le Roi a le droit de battre monnaie en vertu de la loi. Ainsi
cette loi peut bien régler son droit, mais elle ne peut pas le lui ôter. D’un
autre côté, le Roi a le droit de nommer à tous les emplois d’administration
générale ; eh bien ! il est reconnu que ceux des monnaies sont des emplois
d’administration générale. Quelle critique peut-on donc élever contre cette
nomination ? On prétend que l’arrêté du mois de décembre est inconstitutionnel.
Je ne le pense pas ; car, quoi qu’on en ait dit, la loi de brumaire existe
encore pour les matières d’or et d’argent. Or, si elle existe, il faut bien
qu’il y ait des autorités pour l’exécuter. Mais c’est assez s’occuper de cette
question ; nous devons nous attacher au budget qui, remarquez-le bien, a été
présenté à la chambre avant qu’un arrêté ne fût rendu. Dans cette circonstance,
il s’agit d’examiner s’il y a lieu ou non d’adopter l’allocation, et les
questions qu’on a soulevées doivent être remises à la discussion de la loi
monétaire.
Il est donné
lecture des amendements. Celui de M. d’Elhoungne est ainsi conçu :
« Jusqu’à l’organisation de l’administration des monnaies, le ministre ne
pourra disposer du crédit qu’en faveur des fonctionnaires et employés jusqu’ici
attachés à l’hôtel des monnaies de Bruxelles, et seulement jusqu’à concurrence
des traitements qui leur ont été accordés en 1831. »
Celui de M.
Barthélemy consiste à ajouter à l’article en discussion : « sans rien
préjuger sur l’administration des monnaies. »
M. Coppens demande l’appel nominal, et cinq membres le réclament
avec lui.
M. Dumortier
fait remarquer que, malgré son vif désir de voir adopter l’amendement de M.
d’Elhoungne, il ne sait pas comment on pourrait le faire entrer dans le budget.
M. d’Elhoungne déclare retire sa proposition et se rallier à celle
de M. Barthélemy.
M. Fleussu. - Mais l’amendement de M. Barthélemy ne signifie
rien.
M. Barthélemy. - On voit dans toute espèce de lois des explications
par accolade ; c’est ce qui se fait pour les douanes, et c’est ce que je
propose de faire ici.
M. H. de Brouckere. - L’allocation sur laquelle nous allons voter fait
partie d’une somme globale. Comment donc voulez-vous voter l’article entier
avec cette restriction ? C’est impossible.
M. Destouvelles. - Je propose de rédiger ainsi l’amendement :
« sans rien préjuger en ce qui concerne l’administration des
monnaies. »
- L’amendement
ainsi rédigé est mis aux voix et rejeté.
M. Fleussu
fait ensuite la proposition de supprimer entièrement l’allocation.
On procède à
l’appel nominal : 25 membres votent pour la suppression, et 37 contre.
M. Boucqueau de
Villeraie et M. Dugniolle
s’abstiennent : l’un parce qu’il déclare n’être pas suffisamment éclairé sur la
question d’inconstitutionnalité, et l’autre parce qu’il n’a point pris part à
la discussion.
En conséquence, la
proposition de M. Fleussu est rejetée.
La réduction de
1,500 fl. proposée par M. Dumortier, est adoptée.
On passe à
l’article 10, relatif au salaire des huissiers, pour lequel il est demandé une
somme de 12,500 fl. La section centrale propose de n’allouer que 10,000 fl.
M. le ministre des finances (M. Coghen) s’oppose à la diminution, par le motif qu’on a besoin
d’un personnel nombreux, et que la moyenne des traitements des huissiers ne
s’élève qu’à 457 fl.
M. d’Elhoungne, rapprochant cet objet de ce qui existe en France, trouve qu’en
Belgique le nombre des employés et la quotité de leurs traitements sont bien
supérieurs. En conséquence il vote pour la réduction de la section centrale.
- Elle est mise
aux voix et adoptée.
L’allocation
totale des dix paragraphes de l’article 2, s’élevant à 198,300 fl., est
également adoptée.
La séance est
levée à 4 heures.