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Chambre des représentants de Belgique

Séance du vendredi 9 mars 1832

                                              

Sommaire

1) Pièces adressées à la chambre

2) Rapports sur des pétitions. Ajournement et périodicité de leur présentation (de Haerne)

2) Projet de loi portant le budget de l’Etat pour l’exercice 1832. ((Discussion politique générale) (Goblet, H. de Brouckere), agitation orangiste et mise en état de siège à Gand et à Anvers) (Delehaye, (+responsabilité ministérielle) Raikem, Osy, A. Rodenbach, Lebeau, Gendebien, (expulsion d’un étranger) Jullien, (niveau général des taxes) Pirmez, Coghen, (nomination en tant que ministre sous le régent, agitation orangiste et mise en état de siège à Gand et à Anvers) Gendebien, (agitation orangiste et mise en état de siège à Gand et à Anvers) (Raikem, Ch. de Brouckere), de Haerne, (agitation orangiste et mise en état de siège à Gand et à Anvers) Gendebien, Dumortier, Ch. de Brouckere, Devaux, Jullien, Delehaye, d’Elhoungne, Gendebien)

 

(Moniteur belge n°71, du 11 mars 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.

 

PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE

 

M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.

 

RAPPORTS SUR DES PETITIONS

 

L’ordre du jour est le rapport des pétitions.

M. l’abbé de Haerne fait une motion d’ordre tendante à ajourner le rapport des pétitions jusqu’après la discussion du budget.

Après un léger débat, la chambre remet à huitaine le rapport qui devait avoir lieu aujourd’hui, et décide que, pendant toute la discussion du budget, une séance sera consacrée aux pétitions tous les quinze jours seulement.

- En conséquence, on passe à la suite de l’ordre du jour qui est la continuation générale des budgets.

 

PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’ETAT POUR L’EXERCICE 1832

 

Discussion générale

 

M. Goblet. - (Nous donnerons son discours) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé.)

M. H. de Brouckere. - Je ne m’attendais pas, messieurs, à ce que les paroles que j’ai prononcées dans une de vos dernières séances me valurent l’honneur d’être réfuté par plusieurs ministres, et par deux honorables membres qui siègent non loin de moi. De ces derniers, l’un m’a prêté des choses qui ne sont point sorties de ma bouche : son discours se réfute par la lecture du mien : l’autre m’a attaqué avec un peu d’amertume ; je ne lui en veux pas. Il prétend qu’en disant que son rapport manquait de logique et renfermait plus de figures de poésie et de rhétorique que de raisonnements justes et sains, j’ai voulu faire entendre qu’il n’avait pas le bon sens. Il a eu tort : mais un peu d’aigreur est permise à un amour-propre ainsi froissé. Mes raisonnements n’en restent pas moins débout.

J’avais dit aux ministres que je regrettais qu’ils n’eussent jusqu’ici montré ni unité de vues, ni principes arrêtés, ni une énergie insuffisante ; ils me demandent de citer des faits. Rien ne me serait plus facile, messieurs, et je n’aurais que l’embarras du choix ; j’ajouterai même que, parmi ces faits, il en est qui regardent particulièrement M. le ministre de l'intérieur, qui m’a répondu avec le plus d’assurance. Mais je n’aime point à désigner des individus à la tribune, ce qui n’est d’ailleurs pas très parlementaire, et  ce qu’il faudrait cependant que je fisse pour satisfaire au désir de MM. les ministres. Le pays jugera si j’ai dit vrai ; en attendant, je ne crains pas de leur assurer que mes observations sur leur manière de gouverner ont déjà été ratifiées par un grand nombre de membres de cette chambre, par des hommes qui plus que moi sont leurs amis politiques, je dirai même par des fonctionnaires d’un ordre supérieur.

M. le ministre de la justice s’écrie : « Vous demandez notre but ? Notre but est de consolider la Belgique et d’assurer son indépendance. Vous demandez notre système ? Notre système est le salut de la patrie, et si son salut dépend de nous, il est certain. » Oui, sans doute, nous le regardons comme certain, pour autant qu’il dépende de votre bonne volonté ; personne de nous ne doute de vos intentions, de votre patriotisme et de votre intégrité ; moi-même je vous ai déjà rendu pleine justice à cet égard. Mais si, pour consolider la Belgique, pour assurer le salut de la patrie, vous pensiez, par exemple, qu’il faut consentir à de nouvelles concessions au-dehors, accepter encore quelques articles qui feraient suite aux vingt-quatre ; si vous pensiez qu’il faut au-dedans persister dans un système que vous nommez de douceur et de prudence, et que j’appelle, moi, de timidité et de faiblesse : dès lors, je vous dirai qu’en voulant sauver le pays, vous pourriez bien le conduire à sa perte.

Mais je m’arrête, messieurs. Le ministère a pris depuis deux jours l’atttude que j’aurai voulu lui voir prendre depuis longtemps ; il a enfin montré le caractère qui lui convient. Qu’il persiste ; et si, parfois, je me lève encore dans cette assemblée, ce ne sera que pour le défendre et le soutenir.

M. Delehaye. - (Nous donnerons ce discours). (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé).

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - L’honorable orateur qui a parlé en dernier lieu est revenu sur la mise en état de siège de la ville de Gand, et précédemment on a longuement discuté sur celle de la ville d’Anvers. Je reprendrai les choses au point où elles ont été laissées hier par mon honorable collègue M. le ministre de la guerre. On nous reproche, a-t-il dit, un défaut d’énergie, et en même temps on nous accuse de persister avec entêtement dans une première résolution. J’ajouterai : On reproche au ministère le défaut d’unité ; et voilà que l’honorable M. de Robaulx réunit deux départements ministériels pour avoir concouru à la même mesure. Et contre qui cette mesure a-t-elle été prise, messieurs ? Contre les ennemis de la Belgique et outre ceux qui voudraient les favoriser. Voilà donc le ministère d’accord pour ce qui concerne la défense du pays, et c’est le principal.

Mais, à entendre un honorable membre, c’est une violation flagrante de la constitution ; à en entendre un autre, la mesure surpasse tous les actes de despotisme du gouvernement déchu. Reprenons successivement ces deux reproches.

Après cet exorde, l’orateur, entrant en matière, soutient que la mise en état de siège n’a rien d’inconstitutionnel ; qu’il n’y a rien dans la constitution qui s’y oppose, et qu’au contraire la conséquence de l’article 68 est que le pouvoir exécutif, en état de guerre, doit prendre toutes les mesures convenables pour la défense du pays, comme de mettre une ville en état de siège, et, quand l’état de siège existe, de faire tous les actes qui en sont la suite. Il invoque le décret du 24 décembre 1811, qui, n’ayant point été déclaré inconstitutionnel, est toujours en vigueur.

Relativement aux cas particuliers, ils sont de la compétence des tribunaux, et rien ne gêne l’indépendance des juges.

Répondant à l’honorable membre qui a opposé contre le gouvernement les articles 94 et 98 de la constitution, M. Raikem démontre, d’une part, qu’il n’a pas été créé de commission ni de tribunal extraordinaire, et de l’autre, en ce qui a rapport au jury, il se trouve, pour le cas où l’on cherche à porter atteinte à la défense du pays, une exception dans l’article 105 de la constitution, qui reconnaît l’existence des tribunaux militaires et leurs attributions.

Quant à l’individu expulsé de Gand, il n’est pas Belge, et, le fût-il, le décret du 24 décembre 1811 autorisait son expulsion.

M. le ministre de la justice termine ainsi. - Messieurs, je m’étonne de voir un honorable membre élever les griefs du gouvernement actuel au-dessus de ceux du pouvoir déchu, et ne pas proposer une mise en accusation. Une proposition de mise en accusation doit être la conséquence nécessaire d’une semblable opinion. Qu’on nous mette donc en accusation, car j’avoue que je préférerais l’énergie dans les actes à celle dans les discours ; si ce qu’on allègue était vrai, une proposition de mise en accusation serait véritablement énergique. Mais il est plus facile de se faire à la fois accusateur et juge dans une opinion que l’on émet.

Du reste, messieurs, je vous dirai toute ma pensée. Tout homme est sujet à se tromper, et si je reconnaissais avoir commis quelque erreur, je ne craindrais pas d’en faire l’aveu.

Mais quand il s’agira de mesures utiles, même nécessaires à la défense du pays, jamais je ne fléchirai ni ne reculerai devant la responsabilité que la loi constitutionnelle m’impose.

M. Osy. - (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé.)

M. A. Rodenbach. - (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé.)

M. Lebeau. - Je ne me proposais pas de prendre la parole dans la discussion générale, d’abord parce que je ne voulais pas la prolonger et ensuite parce que je pensais que cette discussion était inutile, alors que les objets qui y ont été traités avaient été tant de fois passés en revue. Ce n’est pas là une censure de ma part, ce n’est qu’une opinion. Mais je me propose de dire quelques mots à un honorable membre, sur la mise en état de siège, et d’ajouter quelques réflexions aux observations incomplètes du ministre de la justice.

Tout le monde convient qu’une constitution est faite dans la prévision d’un état de paix, et que, s’il en était autrement, on ferait pour le cas de guerre des dispositions exceptionnelles A coup sûr il n’entre dans l’idée de personne de faire, de la stricte exécution de la constitution, des armes à l’ennemi extérieur. Une constitution, messieurs, a pour but d’organiser l’ordre et la défense du pays, et non pas de le placer dans une position défavorable à l’égard du pays voisin ; car, autrement, le législateur aurait fait un travail tout en faveur de l’ennemi qui ne s’est pas enchaîné par de semblables obligations. Une circonstance qui n’a pas encore été remarquée, et qui doit rassurer contre les abus de la mise en état de siège, c’est que l’état de guerre n’est pas créé par le gouvernement ; c’est un fait, et surtout pour les Etats inférieurs, c’est un fait dont il leur faut subir les conséquences. Ainsi, les antécédents posés par le ministère, à l’égard des villes de Gand et d’Anvers, étaient un fait qui résultait de la guerre, fait qu’il n’a point créé, mais qui l’a dominé et l’a obligé de céder à une force majeure.

On dit que l’état de siège ne se trouve pas dans la constitution ; mais le droit de faire la guerre y est dans la constitution ; et s’est-on bien pénétré, messieurs, de toutes les conséquences de ce droit ? A-t-on bien réfléchi que, dans certaines circonstances, il fait fléchir les règles les plus positives établies par la constitution ? Personne ne conteste, je pense, la conciliation de l’état de siège avec la loi fondamentale. L’assemblée constituante elle-même en a reconnu la nécessité, et, lors de la discussion de la constitution au congrès, tout le monde convint qu’elle ne mettrait aucun obstacle à la mise en état de siège. Il n’est pas un seul orateur qui en principe ne reconnaisse la légalité de l’état de siège, et pourtant il est impossible de concilier ce principe avec l’opinion que la constitution ne peut en aucun cas être suspendue en tout ou en partie

On parle toujours de l’état de siège fictif. Messieurs, quand il s’agit d’une ville ouverte, c’est une mise en état de siège fictive ; mais, quand il s’agit d’une place de guerre, d’une forteresse, comme celle d’Anvers, par exemple, alors c’est une mise en état de siège réelle, et, à cet égard, le décret de 1811 conserve toute sa vigueur. D’abord toute mise en état de siège réelle, c’est la clôture de toutes les ouvertures de la ville, c’est l’interception de toutes les communications du dehors. Eh bien ! cette mesure, dont personne ne peut nier la légalité, emporte avec elle la violation de la liberté individuelle. Non seulement dans une ville en état de siège vous pouvez empêcher un individu de sortir, mais encore, après qu’il est sorti, vous avez le droit de l’empêcher de rentrer.

Voulez-vous voir une autre violation de la constitution résultant de la mise en état de siège ? Eh bien ! le commandant de la ville a le droit d’en expulser toutes les bouches inutiles. Je remarque que M. Gendebien sourit à chacun de mes arguments.

M. Gendebien. - Je trouve fort étonnant que M. Lebeau veuille m’empêcher de rire ; je ne fait aucun bruit ; mais, si cela le gêne, rien ne le force à me regarder.

M. le président. - Vous n’avez pas le droit d’interrompre l’orateur.

M. Lebeau. - Je faisais cette remarque parce que l’honorable orateur sait combien ces rires peuvent faire perdre à un orateur le fil de ses idées. Du reste, je regrette cette digression, et je continue. Je disais que, par suite de la mise en état de siège, le commandant de la ville non seulement avait le droit d’empêcher la sortie ou la rentrée d’un individu, mais encore il avait la faculté d’expulser toutes les bouches inutiles. C’est pour lui un devoir important de s’assurer si les provisions sont en rapport avec les instructions qu’il a reçues, et si elles peuvent suffire à la subsistance de la place pendant tel temps donné. Eh bien ! n’est-ce pas là une violation de la constitution ? Vous avez dans votre loi fondamentale une disposition qui porte que toute autorité qui empêchera un citoyen d’exercer ses droits civils sera passible de la dégradation civique. Or, si des citoyens se présentent pour exercer leur droit électoral, l’autorité militaire n’aurait-elle pas le droit de leur fermer les portes de la ville ? Vous voyez donc qu’une disposition de la législation se trouve suspendue. La liberté commerciale est également interrompue.

Il se trouve aussi dans la constitution une autre disposition qui décide formellement que nul citoyen ne pourra être dépossédé sans une juste et préalable indemnité.

Eh bien ! si des opérations militaires commandent des expropriations momentanées, soit pour un camp, soit pour l’établissement de batteries ; si même une de nos villes était occupée par l’ennemi et que nous la foudroyions, que nous la livrions aux flammes, dira-t-on qu’il fallait rester impassibles, la constitution à la main ? Il est impossible d’aller jusque là. Dites plutôt que, par une imprévoyance extraordinaire, vous avez négligé de prévoir dans la constitution le cas où il serait nécessaire de pourvoir à la défense du pays. Il faut accorder que la mise en état de siège soient portés devant le jury, vous abolissez par cela même les attributions des tribunaux, qui sont cependant conservées et maintenues par l’article 105 de la loi fondamentale. Direz-vous que la juridiction militaire ne peut atteindre que les militaires ? C’est une erreur. Il y a des exceptions. Ainsi le crime d’embauchage est de la compétence des tribunaux militaires. Si vous dites que la liberté de la presse est inviolable, la conséquence est qu’on peut dresser sa tente dans un camp, et qu’on peut fulminer de là des provocations à la désertion, sauf à être jugé ensuite par le jury quand le mal est consommé et qu’il est irréparable. Adopter le principe émis par M. Delehaye, ce serait dire : Nous voulons la fin et non les moyens ; ce serait soutenir le pour et le contre, c’est-à-dire l’absurdité même.

M. Jullien revient sur l’expulsion du sieur Dixon ; il soutient qu’il a été expulsé d’une manière arbitraire, après avoir obtenu de l’ancien gouvernement l’autorisation de fixer sa résidence à Gand, et après avoir exercé l’autorisation de fixer sa résidence à Gand, et après avoir exercé le droit électoral. Il va, ajoute-t-il, porter sa réclamation devant le parlement d’Angleterre (on rit), et, quand le parlement demandera raison de son expulsion (car le gouvernement anglais protège tous ses citoyens), je ne sais pas alors si le ministère aura le verbe si haut. Au reste, il ne conçoit pas qu’on puisse renvoyer un individu sous prétexte qu’il est orangiste, et demande qu’est-ce que c’est que l’orangisme ? Les dénominations de partis ne signifieraient rien sans les persécutions.

M. Pirmez. - Je dois faire une observation : c’est que la plupart des choses qu’a dite M. le général Goblet dans son premier comme dans son second discours ne doivent faire aucune impression sur nos esprits, puisque tout repose dans ces écrits sur des données statistiques. Or, tout le monde sait qu’il n’y a rien de moins certain et de plus sujet à controverse. Je me fait fort d’avoir toutes les conséquences que je voudrai atteindre, une fois que l’on me permettra de partir d’un point de statistique : car vous trouverez dans cette matière des ouvrages qui vous procureront à volonté des assertions non seulement différentes, mais tout à fait contradictoires. Je fais cette observation pour qu’on n’attache pas trop d’importance à des argumentations dont la base s’appuie sur des fait qui tous sont niables. Si nous voulons savoir comment il faut payer nos employés, examinons chez nous ce qu’il faut pour vivre, et comment certains employés doivent vivre ; mais, si nous allons chercher des points de comparaison dans les livres de statistique, nous nous tromperons infailliblement.

M. le ministre des finances (M. Coghen) prononce un discours, que la faiblesse de son organe nous empêche de saisir.

(Moniteur belge n°73, du 13 mars1832) M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, lorsque j’acceptai le poste honorable que le Roi daigna me conférer, je l’ai fait, comme vous le savez, messieurs, par dévouement pour mon pays, oubliant mes intérêts personnels et sacrifiant mon repos. Je comptais sur votre bienveillance ; vous n’avez cessé de m’en donner des preuves, et je désire la conserver. Ma tâche était difficile ; jamais je ne me suis fait illusion à cet égard. Obligé de répondre au rapport de l’honorable M. Dumortier, comme rapporteur de la section centrale, je n’ai pu m’en occuper que lundi dernier après avoir reçu le rapport particulier sur mon ministère. La précipitation est cause peut-être qu’il me soit échappé des expressions qui n’ont pas obtenu l’approbation de M. le rapporteur, envers qui je reconnais avoir eu un seul tort, c’est celui de l’avoir nommé personnellement. Quant aux chiffres posés dans ma réplique, ils sont exacts, et je ne puis que m’y référer. Je regrette qu’on ait répondu à ma réplique sans l’avoir sous les yeux, parce qu’on me prête des allégations que je n’ai ni pensées ni exprimées. Je crois avoir démontré d’une manière satisfaisante que mes prévisions concernant l’augmentation des produits de 1832 n’étaient pas exagérées, puisqu’elles sont fondées sur les produits réels du dernier trimestre de 1831.

Pour ce qui concerne le personnel de mon département, je répondrai lors de la discussion des dépenses qui s’y rattachent. On a signalé quelques augmentations, mais on a omis de parler des économies qui ont eu lieu. Les comparaisons que j’ai établies pour l’administration de l’enregistrement sont conformes à la vérité, et la chambre pourra s’en convaincre à la seule lecture de mon rapport.

On vous a parlé, messieurs, de « faiseurs » : là où je suis et où j’administre, là où il y a un ministre responsable, il n’y a point de faiseurs. J’ai des employés qui aiment à obéir et obéissent, et dont les sommités ont concouru avec zèle et dévouement à organiser notre administration financière. Plusieurs n’ont pas sollicité le poste qu’ils occupent ; mais c’est moi qui les ai appelés, afin de m’aider à établir l’ordre là où le désordre aurait été si fâcheux, si fatal pour le pays. Si quelques-uns ont dû, sous le précédent gouvernement, agir en acquit de leur devoir, et des ordres qu’ils recevaient, et dont la rigueur a dû froisser beaucoup d’intérêts, ce n’est pas à eux qu’on doit adresser les reproches mais à leur administration trop fiscale et trop tracassière.

Quant au déficit, était-il permis de l’établir sur des suppositions et sans tenir aucun compte de l’excédent de 1831, de la valeur des domaines, du solde du syndicat d’amortissement et de celui de la société générale ? Etait-il prudent, au moment même où l’on provoque une offre pour le second emprunt, d’annoncer la banqueroute, comme je l’ai entendu hier dans cette enceinte ? Quant à moi, je le considérerais comme fâcheux pour le crédit, si on y croyait ; mais les cours de nos valeurs prouvent le peu de confiance qu’on accorde à de semblables allégations.

Un honorable orateur vous a parlé des souffrances du commerce et de l’industrie. Certes, quelques branches du commerce et de l’industrie souffrent ; mais cette tourmente commerciale n’accable pas seulement la Belgique. Les commotions populaires en sont la cause. D’ailleurs, la Belgique réunie pendant 15 ans à la Hollande y avait des débouchés considérables pour presque tous les produits. C’est encore par les eaux de la Hollande qu’on expédiait des masses de marchandises vers l’Allemagne, et les colonies hollandaises offraient des ressources à l’exportation.

Est-ce au ministère qu’on devrait adresser des plaintes si violentes, lorsque les résultats sont la conséquence de la séparation brusque et violente avec un pays sur la consommation duquel étaient fondées beaucoup d’industries ? Lorsque la paix sera faite, si les ministres ne font pas leur devoir en protégeant et en encourageant l’industrie, j’élèverais la voix pour le leur rappeler, parce que, sans commerce et sans industrie, il n’y a point de prospérité possible pour un pays.

(Moniteur belge n°71, du 11 mars 1832) M. Gendebien. - Je ne répondrai pas à ce qu’a dit M. Nothomb, je me réserve de le faire par les journaux ; mais quel que soit mon désir de ne pas entretenir la chambre de faits personnels, il en est un cependant que je ne puis passer sous silence. M. H. de Brouckere, répondant hier à un orateur, a dit que ce n’était pas des ministres actuels qu’il avait entendu parler dans le discours qu’il avait prononcé à la séance précédente, mais que c’était des anciens ; et, comme il a prononcé le mot de président ministre, j’ai pensée qu’il était de mon devoir de lui répondre.

L’orateur explique dans quelles circonstances il a été nommé président de la cour de Bruxelles, que c’est par suite de l’insistance de M. le régent qu’il a conservé le ministère de la justice, et que ce dernier alla même jusqu’à lui dire que, s’il ne restait pas au ministère, il n’accepterait pas la régence. J’avais si peu l’ambition de garder le portefeuille, ajoute-t-il, que j’avais proposé, pour me remplacer, l’honorable président de cette assemblée. C’est un hommage que je lui dois, en réparation d’un mouvement de vivacité auquel je me suis livré précédemment et que j’ai regretté aujourd’hui. (Très bien ! très bien !) Je le fais, messieurs, parce que c’est une justice que je lui dois, et que je puis le déclarer, sans manquer à un fatal préjugé, qui m’avait empêché de le faire jusqu’à présent.

L’orateur, aborbant ensuite la question de la mise en état de siège, s’attache à réfuter les arguments présentés par M. le ministre de la justice ; puis, passant aux observations de M. Lebeau, il soutient que la constitution n’est pas seulement pour l’état de paix, puisqu’elle a été déclarée exécutoire pendant l’état de guerre, et qu’on ne peut mettre une ville en état de siège réel que quand il y a investissement.

M. Lebeau, ajoute-t-il, a trouvé que je ne devais pas rire. Tout plein qu’il était de son sujet, il a sans doute pensé que la chambre était aussi en état de siège. (Hilarité.) Il a dit que l’état de siège interrompait la liberté du commerce. Eh ! messieurs, c’est la force des choses même qui cause cette interruption ; et qui voudrait donc traverser le camp de l’ennemi pour se livrer à des opérations commerciales ? (Nouvelle hilarité !) Quant aux expropriations, on sent bien, messieurs, que ce n’est pas sous le canon de l’ennemi qu’on ira faire des expertises. En vérité, avec un peu de bon sens et un peu de pudeur, on n’aurait pas osé entretenir la chambre de pareils raisonnements. Je dirai, en terminant, à nos adversaires : Attendez que la ville soit attaquée pour la mettre en état de siège, mais ne venez point par des mensonges nous faire croire à la nécessité de mesures exceptionnelles. Je dis mensonges, messieurs, parce que les faits avancés ont été trouvés faux par les journaux de l’opposition.

Ensuite il demande à M. le ministre de la guerre par quel ordre on a déployé pendant le carnaval un si grand appareil militaire dans les rues de Bruxelles.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) revient sur la plupart des arguments qu’il a déjà faire valoir, pour démontrer que la mise en état de siège n’est point contraire à la constitution. Il ne conçoit pas la différence qu’on veut établir entre l’état de siège réel et l’état de siège fictif, et il demande s’il faudrait attendre le mal pour le réparer. Il soutient que toute la question est de savoir si le décret de 1811 est aboli, et il a déjà été démontré le contraire.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - J’ajouterai quelques considérations en fait à celles qu’a fait valoir en droit mon collègue le ministre de la justice. Et d’abord je relèverai une expression échappée à un honorable membre. Il vous a dit que, si en temps de paix l’armée était réduite à 5,000 hommes, comme aux Etats-Unis, il y aurait moyen, malgré de gros traitements, de faire bien des économies. Je sais que le but de M. Rodenbach n’a pas été de faire entendre qu’il fallait réduire l’armée à ces dimensions ; mais ses paroles mal interprétées pourraient donner quelque poids aux assertions mensongères des journaux orangistes : ceux-ci, chaque jour, crient à l’armée : Si vous êtes vaincue, vous serez sans avenir ; si vous êtes victorieuse, vous serez misérable ; dans l’un et l’autre cas, les officiers seront licenciés ; réunissez-vous au roi Guillaume, et votre sort est assuré. Je ne crains pas la trahison ; et cependant je dois réfuter ici, pour mettre à nu toute la perversité des moyens de corruption, que le sort des officiers est assuré par la constitution, qu’il le sera incessamment d’une manière plus pertinente par une loi. Quelle que soit la force de l’armée, ici comme en Amérique, les cadres seront conservés ; en temps de paix, il faut préparer les moyens de défense, tenir les cadres qui ne peuvent se former à la hâte, qui exigent de l’expérience et des connaissances.

Je crois pouvoir me dispenser de répondre au déploiement de forces militaires à Bruxelles ; les mesures de précautions sont prises d’accord entre le commandant d’arme et l’autorité civile.

Tout le monde reconnaît qu’une place peut être mise en état de siège ; mais quelques orateurs entendent la mise en état de siège d’une manière tout à fait illusoire. Qu’est-ce dont que l’état de siège s’il ne peut apporter aucune modification à l’état de paix, s’il n’est environné d’aucune mesure extraordinaire et momentanée ? Qu’un membre de l’opposition veuille bien définir cet état de siège incompréhensible, et nous lui répondrons. Ah ! si l’état de guerre permet de suspendre la liberté, vous dit-on, je crains bien que l’on ne prolonge cet état pour vous habituer au despotisme. Mais la liberté est-elle donc suspendue ? Deux points dans tout le pays sont en état de siège, et encore là, si l’on en excepte un seul acte, la liberté n’a reçu aucune atteinte.

Un orateur a cherché à combattre par le ridicule les raisonnements d’un membre qui a établi que la guerre imposait impérieusement des dérogations à la loi fondamentale ; il vous a dit qu’il était évident qu’on ne pouvait donner d’indemnité préalable aux habitants du dehors pour les maisons détruites par le canon du dedans : ce n’est pas répondre à l’argument ; nous soutenons, nous, que l’on peut, que l’on doit parfois détruire par la hache les maisons de l’intérieur de la place sans dédommagement préalable. Ainsi, à Anvers, avant que la place fût investie le 23 octobre, deux jours avant la reprise des hostilités, force fut d’abattre deux maisons, de violer la loi plutôt que de perdre un temps précieux à demander une autorisation tardive et inutile par cela même.

Messieurs, je ne conçois pas davantage les arguments tirés de l’état de siège fictif et réel, et droit de défense naturelle appliqué au dernier cas. Quand donc la loi naturelle commence-t-elle à avoir force ? Quand est-elle substituée à la loi écrite ? Est-ce quand l’ennemi est à portée de canon ; quand il y a agression, attaque ? Mais alors vos précautions sont tardives. Une place est en état de siège lorsque l’ennemi est à cinq jours de marche. Ses cantonnements sont à une demi-marche de la ville de Gand, et jusqu’ici toutes les mesures prises sont autorisées par l’état de guerre.

Le dernier orateur me reproche d’avoir refusé de souscrire à la mise en état de siège de Gand cinq jours avant l’échauffourée de Grégoire. Oui, messieurs, je me suis refusé à concourir à une pareille mesure avant d’avoir pris connaissance de la législation, et sauf à en délibérer en conseil. J’ai demandé le temps de voir le décret de 1811 et la loi de l’assemblée constituante, pour être bien fixé sur les conséquences de la mesure avant de l’ordonner.

Mais vous, qui me blâmez de n’avoir pas consenti à mettre la ville de Gand en état de siège cinq jours avant l’affaire Grégoire, comment pouvez-vous nous faire un cime d’avoir pris cette mesure la veille de la reprise des hostilités ? Mais l’honorable membre lui-même n’a-t-il pas suspendu les magistrats municipaux de Gand, et cette suspension n’a-t-elle pas été maintenue après la promulgation de la constitution ? Je ne dis pas ceci pour lui en faire un reproche ; moi-même j’ai concouru à cet acte, et, s’il y a une responsabilité à encourir de ce chef, j’en accepte volontiers ma part ; mais ceci prouve que l’honorable membre n’a pas toujours cru qu’il fût possible d’observer strictement les dispositions de la constitution.

Les faits que j’ai avancé sont faux, les journaux l’ont assuré ; belle preuve. Tout ce que j’a dit est appuyé de documents authentiques ; un seul fait s’est éclairci depuis. Les poudres introduites à Gand ont trouvé un propriétaire ; mais les fausses déclarations du conducteur, sa fuite, l’absence de tous renseignements sur l’expéditeur et le consignataire, n’autoriseraient-ils pas à croire que cette introduction clandestine se rattachait à des machinations clairement établies ?

Loin de pousser trop loin les mesures de sûreté, le gouvernement ne se montre pas assez sévère ; il tolère des correspondances et des allées et venues continuelles avec la Hollande par respect pour la liberté. Aussi, j’ai devers moi plusieurs lettres adressées à nos soldats pour les provoquer à la désertion.

Messieurs, ce n’est pas sur des suspicions d’organisme que l’expulsion de Dixon a été motivée ; c’est sur ses voyages en Hollande, sa profession de foi faite publiquement. Au mois d’août, les Hollandais savaient jour par jour, heure par heure, ce qui se passait dans nos cantonnements. Le gouvernement n’est pas disposé à s’exposer de nouveau à des trahisons de ce genre ; il veut éviter que les Grecs ne s’introduisent furtivement dans le camp des Troyens.

M. l’abbé de Haerne exprime le regret d’être obligé de prolonger une discussion déjà trop longue ; mais il ne peut se dispenser de jeter un coup d’œil sur la marche intérieure du gouvernement et sur les affaires extérieures. L’orateur, adoptant cette division, demande qu’un bon système d’économie soit adopté ; les économies, dit-il, ne sont pas incompatibles avec la liberté. Il passe en revue les lois qui nous manquent encore, et, quoiqu’il se soit opposé à l’adoption de la proposition de M. de Robaulx, il déclare qu’il ne demande pas mieux que de voir présenter une loi sur l’instruction publique ; il voudrait même, si cela était possible, qu’elle fût présentée avant tout autre loi. Passant aux affaires extérieures, l’orateur critique sévèrement le système suivi par le ministre de ce département ; il n’est pas rassuré par les paroles prononcées par le ministre à la dernière séance, quand il a dit que, si la Belgique était trompée dans ses espérances, le gouvernement saurait prendre une détermination digne de lui. Ces paroles ne s’appliquent qu’à des événements futurs, et l’orateur préférerait que le ministre expliquât ce qui se passe actuellement, et qu’il fit connaître à la chambre où en sont les négociations. Il le somme, en terminant, de donner ces explications.

M. Gendebien réplique à M. le ministre de la guerre, et persiste à soutenir l’illégalité de la mise en état de siège de la ville de Gand ; il ne pense pas que M. le ministre de la guerre, en parlant de Grecs et de Troyens, ait voulu donner à entendre que la guerre durera 10 ans, comme le siège de Troie, ni que les Belges soient vaincus comme le furent les Troyens. (Hilarité ! Aux voix ! La clôture ! la clôture !)

M. Dumortier. - Je demande la parole comme rapporteur. (La clôture ! la clôture !)

Plusieurs voix. - Le rapporteur doit être entendu. (Non ! non ! La clôture !)

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, il est d’usage en France que le rapporteur du budget a la parole le dernier ; je crois qu’on doit entendre M. Dumortier.

M. Devaux. - Cet usage existe en effet, mais rien ne s’oppose pour cela à ce qu’on clôture la discussion. Une fois la clôture prononcée, M. Dumortier pourra être entendu, sans que personne ait le droit de lui répondre.

M. Jullien. - On parle d’usage établi ; mais, messieurs, un usage ne s’établit que par des antécédents, et vous ne pouvez pas décider que vous établirez l’usage dès demain, et en commençant par M. Dumortier. Pour moi je demande que la discussion continue, et que chacun ait le droit de répondre à M. Dumortier ; ne posons pas d’ailleurs des antécédents dont nous pourrions nous repentir dans la suite.

M. Devaux. - Il est vrai qu’un usage s’établit par des antécédents ; mais, s’il doit être établi, l’usage, autant vaut commencer demain que plus tard. La chambre, en demandant la clôture, veut empêcher que cette discussion déjà si longue et, à mon avis, complètement inutile, ne se prolonge encore davantage ; mais, si l’on trouve juste d’accorder la parole au rapporteur de la section centrale, pour en finir il faut décider que personne ne pourra lui répondre, et, par conséquent, prononcer dès ce moment la clôture.

M. Delehaye. - Je m’oppose à la motion de M. Devaux ; si M. Dumortier présente des chiffres qu’il soit nécessaire de réfuter, il faut que chacun ait la faculté de faire la réfutation.

M. d’Elhoungne. - J’appuie la proposition de M. Devaux, d’autant plus que nous avons perdu beaucoup de temps dans la discussion générale et que, si quelque membre trouve nécessaire de répondre à M. Dumortier, il pourra le faire dans la discussion des articles à propos lesquels on croirait que le rapporteur aurait commis des erreurs. (Appuyé ! appuyé !)

M. Gendebien. - Je ne m’oppose pas à ce que la proposition de M. Devaux soit adoptée, mais je demande que ceci ne soit pas posé comme un antécédent.

M. Dumortier. Demande la parole ; mais les cris : aux voix à la clôture ! l’empêchent de se faire entendre.

M. le président. - Je vais mettre la clôture aux voix, et la question de savoir si M. Dumortier sera seul entendu après la clôture, sans que cela tire à conséquence pour l’avenir. (Appuyé !)

- La question, ainsi mise aux voix, est adoptée par la chambre.

M. Dumortier sera entendu demain, et la discussion s’ouvrira ensuite sur le budget de la guerre.

La séance est levée à 4 heures.

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