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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 21 octobre 1831

(Moniteur belge n°130, du 23 octobre 1831)

(Présidence de M. Destouvelles.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Lecture du procès-verbal

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

Pièces adressées à la chambre

Trois pétitions sont renvoyées à la commission chargée de leur examen.

Projet de loi portant organisation des cours et des tribunaux

Nomination d'une commission spéciale

M. Lebègue fait la proposition suivante :

« Je propose à la chambre de nommer dès à présent une commission composée de neuf membres, chargés d’examiner les observations qui nous sont journellement adressées par les cours, tribunaux et barreaux, sur le projet d’organisation judiciaire, afin que, le jour étant arrivé d’examiner ce projet en sections, il puisse être fait utilement à la chambre un résumé préalable du travail des jurisconsultes qui ont été consultés sur ce point de législation. »

- Après une courte discussion, l’assemble adopte la proposition, et remet au bureau la nomination d’une commission de neuf membres.

MM. Bourgeois, Leclercq, Helias d’Huddeghem, Liedts, Gendebien, Coppieters, Raymaeckers, Watlet et Brabant sont nommés membres de la commission.

Ordre des travaux de la chambre

M. Lebègue rappelle que la chambre a décidé hier que les cartes du Limbourg et du Luxembourg seraient lithographiées ; mais il fait observer qu’il faudrait peut-être un délai de 8 jours avant de les obtenir. Il propose de faire acheter plusieurs cartes qui seront déposées dans les sections, lorsque le ministre des affaires étrangères aura fait faire les lignes indiquées dans les 24 articles. (Adopté.)


M. le président. - Le rapport de la commission spéciale chargée de l’examen de la loi sur les mines était à l’ordre du jour ; mais, comme il est pas encore prêt, la parole est à M. Leclercq, rapporteur de la commission des pétitions.

Règlement de la chambre

Mise en vigueur

M. Ch. Vilain XIIII. - Maintenant que le règlement est imprimé et distribué, vivons-nous sous l’empire de ce règlement ?

M. le président. - Comme plusieurs membres n’ont pas pris part à la discussion sur le règlement, je proposerai, afin que ces membres puissent en prendre connaissance, de le mettre en vigueur lundi. (Appuyé.)

M. Devaux dit que le règlement d’une assemblée doit être exécutoire dès qu’il est adopté.

M. Gendebien. - Comme le règlement contient beaucoup de dispositions nouvelles, que nous allons incessamment entrer dans une discussion importante, et que l’ancien règlement est plus connu que le nouveau, je désirerais, pour nous épargner des discussions incidentelles sur le règlement, que son application n’eût lieu qu’après le vote sur le traité de paix. (Appuyé.)

M. Devaux insiste pour que le règlement soit mis en vigueur lundi.

M. Gendebien. - Je retire ma proposition.

Le règlement sera observé dans l’ensemble de toutes ses dispositions à partir de lundi prochain, et conformément à un de ses articles, l’appel nominal aura lieu à midi un quart.

Rapports sur des pétitions

M. Leclercq fait le rapport de plusieurs pétitions de peu d’importance.


M. Fleussu, autre rapporteur de la commission des pétitions, fait le rapport sur les pétitions suivantes :

« Un sieur Degooft, de Bruxelles, se plaint que dans les villes où il y a des casernes et des fournisseurs de vivres pour la troupe, on fasse peser sur les bourgeois le logement et la nourriture, non seulement des troupes de passage, mais encore de celles qui sont en garnison. »

La commission, attendu que la pétition ne précise rien et ne cite aucune localité, propose l’ordre du jour.

M. Brabant. - Si le pétitionnaire ne précise pas les faits, je les préciserai. A Namur, pendant quatre ans, sous l’ancien gouvernement et pendant sept à huit mois depuis la révolution, la ville a logé dans des casernes meublées avec ses lits, et a nourri les troupes pendant ce long espace de temps. Des plaintes sont parvenues une seule fois à l’autorité municipale sur la nourriture fournie aux soldats, et l’autorité, à titre de dédommagement, leur a fait distribuer huit cents à chacun. En dernier lieu, messieurs, un officier supérieur, pour satisfaire soit à son caprice, soit au caprice de ses soldats, a exigé arbitrairement qu’ils fussent logés chez les bourgeois ; enfin, un général, favorisant l’indiscipline d’un corps qui devait occuper une caserne préparée pour lui, l’a logé militairement chez les habitants, et contre le gré du conseil de régence. Plusieurs de mes concitoyens ont failli être victimes de cet acte de brutalité et de violence. Je demande donc le renvoi de la pétition au ministre de la guerre.

M. Fleussu. - Mais à quoi servirait le renvoi, puisque le pétitionnaire ne fournit aucun renseignement précis ?

M. Brabant. - Peu importe ! Il est bon cependant, pour éviter à nos concitoyens de semblables avanies, que M. le ministre soit prévenu.

- Le renvoi à M. le ministre de la guerre est ordonné.


M. Fleussu, rapporteur. - « M. Raikem, de Liége, signale un fait grave. Sur la fin du mois de septembre, la peine du bâton aurait été infligée à Nivelles, et cependant les articles 13 et 14 du code militaire ont été abrogés par arrêté du 6 novembre 1830. »

La commission propose le renvoi au ministre de la guerre. (Appuyé.)

M. Lebeau. - Et au ministre de la justice ; car, si le fait a eu lieu, il y a délit. (Oui ! oui !)

- Le double renvoi est ordonné.


M. Fleussu., rapporteur. - Un sieur Thielen, de Consdorft, du Luxembourg, signale trois causes comme pouvant occasionner une contre-révolution. Ce sont : la prétendue impopularité du gouvernement ; la rigueur employée pour le recouvrement des contributions, et l’absence de troupes.

La commission, quoique l’accusation du pétitionnaire soit vague, propose le renvoi au ministre de l’intérieur, sur ce motif qu’il importe au gouvernement et à M. le gouverneur lui-même de voir éclaircir les faits signalés dans la pétition.

- Le renvoi est ordonné.


M. Fleussu présente encore l’analyse de quelques autres pétitions sans importance.


M. Corbisier succède à la tribune à M. Fleussu. Il présente le rapport de la commission sur plusieurs pétitions.

On prononce le renvoi à M. le ministre des finances, et à la commission d’industrie, qui existe en vertu du règlement, de trois pétitions relatives aux distilleries.

M. Duvivier demande le renvoi à la commission d’industrie seulement ; il ajoute que le ministre, qui ne fait pas de genièvre, ne peut être juge de procédés industriels.

M. de Robaulx appuie le double renvoi et déclare que, le ministre des finances exerçant un contrôle sur les distilleries, il convient de lui renvoyer les pétitions qui peuvent favoriser l’industrie des distillateurs.

M. le président. - Il n’y a plus rien à l’ordre du jour. Demain la chambre entendra le rapport de la commission spéciale sur la loi des mines ; la proposition de M. C. Rodenbach sera le second objet à l’ordre du jour.

Etat des négociations diplomatiques

Motion d'ordre relative aux intentions du gouvernement

M. de Robaulx. - Il me paraît que dans les circonstances actuelles, et au moment où nous sommes si prêts du 25 octobre, il conviendrait, avant tout, de recevoir une nouvelle communication du gouvernement, et de connaître ses intentions.

M. Devaux dit qu’il faut au moins laisser le temps au gouvernement de prendre une détermination, et que le délai de 24 heures, qui s’est écoulé depuis hier, n’est pas réellement assez long pour qu’on puisse reprocher au ministre de ne pas faire aujourd’hui une dernière communication.

- Cet incident n’ayant pas eu de suite, la séance est levée à deux heures et demie.

A peine une partie des membres a quitté la salle, que le bruit s’est répandu que l’intention du gouvernement était de faire aujourd’hui, si la séance se fût prolongée jusqu’à quatre heures, une communication relative au traité de paix. Aussitôt plusieurs se répandent dans les groupes et engagent leurs collègues à rentrer. Plusieurs répondent à cette invitation. De son côté, M. le président envoie un message à M. le ministre des affaires étrangères, pour le prévenir de ce qui se passe.

A trois heures, M. le ministre des affaires étrangères est introduit.

M. Jullien. - On ne peut pas tenir de séance ; il n’y a pas eu de convocation, et plusieurs membres se sont retirés dans la confiance que la séance était levée.

M. Gendebien. - Je ne crois pas, messieurs, que l’on puisse tenir une séance régulière sans qu’il y ait eu convocation. Ce n’est pas que je veuille m’oppose à la communication ; au contraire, je désire qu’elle soit faite. Mais pour que ceci ne soit pas pris à l’avenir comme un précédent, je demande qu’il soit fait mention au procès-verbal de demain de ce qui se passe, et qu’il soit dit que c’est sans entendre déroger en rien à notre règlement.

M. Legrelle. - Je ne crois pas même que l’on puisse tenir de procès-verbal ; car, comme l’a dit M. Jullien, il ne peut y avoir de séance légale sans convocation, et M. le président lui-même ne peut déclarer la séance ouverte.

M. A. Rodenbach. - Les raisons que l’on vient de faire valoir me paraissent justes ; mais comme il est urgent d’avoir connaissance de la communication du gouvernement, je demande qu’il y ait une séance du soir. (Non ! non !)

M. le président. - Messieurs, à peine la séance était-elle levée, que M. Ch. Vilain XIIII nous a dit que M. le ministre des affaires étrangères était dans l’intention de nous faire une communication aujourd’hui. J’ai été environné, en descendant de la tribune, d’une foule de nos collègues qui m’ont invité à reprendre la séance et à faire prévenir M. le ministre. J’ai déféré à leur vœu. Pourquoi ? Parce que, dans les circonstances où nous nous trouvons, un délai de 24 heures peut avoir une grande influence sur le sort du pays. Puisquil y a de l’opposition, je vais mettre aux voix la question de savoir si l’assemblée veut ou non entendre le rapport. S’il y a eu faute de ma part (Non ! non !), ce n’est pas sur moi qui doit tomber toute la responsabilité ; du reste, je ne reculerai jamais devant elle.

M. Gendebien. - Ce n’est pas par opposition que j’ai fait mon observation, et je déclare qu’il n’y a rien eu de personnel dans ma pensée contre M. le président. Je désire, et je l’ai dit, que la communication soit faite ; j’en sens toute l’importance. Mais pour ne pas établir de précédent fâcheux, je demande que ma réserve soit inscrite au procès-verbal de demain. Quant à la proposition d’aller aux voix, ne pouvant pas délibérer, nous ne pouvons répondre à l’interpellation de M. le président.

M. le président. - On ne peut pas faire mention au procès-verbal de demain d’un fait qui se passe aujourd’hui. Le procès-verbal de demain ne sera et ne pourra être que le narré des faits qui se passeront demain. Puisqu’on croit que nous ne pouvons tenir de séance, je demande pardon à M. le ministre de l’avoir dérangé, et je vais déclarer la séance levée. (Appuyé ! Non ! non ! Bruit.)

M. Rogier. - Messieurs, toute la question est de savoir si nous sommes en séance ou si nous n’y sommes pas. Si nous ne sommes pas en séance, quoique peu de membres soient absents en ce moment, rien n’empêche que M. le ministre ne nous fasse la communication (manque quelques mots) demain. Un délai de 24 heures est beaucoup dans la circonstance ; je demande donc que, sans qu’il soit décidé si nous sommes en séance, et sans rien faire inséré au procès-verbal, M. le ministre veuille bien nous faire son rapport officieusement.

M. Jullien. - S’il n’y a pas de séance légale, à qui M. le ministre fera-t-il son rapport ? Sera-ce une communication officielle ? Nous ne pouvons pas l’entendre. Sera-ce une communication officieuse ? je ne crois pas que nous puissions l’entendre davantage, car nous n’avons aucune qualité pour recevoir des communications officieusement.

M. Rogier. - Je demande que la communication soit faite officieusement aujourd’hui, sauf à la faire officiellement demain ; en attendant, on pourra faire imprimer les pièces.

M. le président. - On ne peut même pas prendre de décision pour l’impression. (Aux voix ! aux voix ! Agitation !)

M. Rogier. - Messieurs, permettez-moi de faire une supposition. Je suppose que plusieurs membres, en sortant de la séance, eussent rencontré M. le ministre des affaires étrangères au Parc ou ailleurs, et qu’il leur eût dit : Messieurs, je vais vous dire officieusement qu’elle est la pensée du gouvernement touchant la communication faite hier. Ces membres ne pourraient-ils pas entendre ce rapport officieux ? Eh bien ! nous sommes dans la même position. Songez d’ailleurs qu’il y a fort peu de membres absents, que les pièces doivent être imprimées, que d’un autre côté on pourra renouvellement officiellement le rapport. Si vous ne voyez aucun inconvénient à cette manière d’agir, et que les avantages frappent tout le monde, je ne vois pas pourquoi on retarderait plus longtemps.

M. le président. - M. Jullien a la parole.

- Une voix. - Vous ne pouvez pas accorder la parole, nous ne sommes pas en séance. (On rit.)

M. le président. - Il n’y a pas en effet de parole à accorder ; mais si nous ne sommes pas en séance, je n’ai rien à présider, et je vais quitter le fauteuil. (Agitation bruyante.)

M. Jullien. - Je demande que l’assemblée soit convoquée pour ce soir. (Oui ! oui ! Non ! non !)

M. F. de Mérode. - Mais si M. le ministre veut nous lire les pièces maintenant, quel inconvénient y a-t-il à l’entendre ? (Nouvelle agitation<.)

M. A. Rodenbach. - Je demande que la séance soit levée pour un quart d’heure.

- Plusieurs voix. - il n’y a pas de séance. (On rit.)

M. A. Rodenbach. - Il n’y a pas de séance ? Eh bien ! je prie M. le ministre de demander une séance pour ce soir.

M. Goethals. - il y aurait un moyen de tout concilier ; ce serait de faire faire une convocation à domicile. (Hilarité.)

M. Rogier. - J’insiste pour que la communication soit faite officieusement. Ceux qui ne voudront pas l’entendre se retireront.

- Voix nombreuses. - Séance du soir ! séance du soir ! (Un grand nombre de membres quittent leur place.)

M. A. Rodenbach. - Puisqu’on n’est pas d’accord, je demande qu’il y ait une séance du soir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, je suis ici en vertu des ordres du Roi. Le Roi m’a chargé de faire à la chambre une communication officielle ; je ne peux pas me borner par conséquent à lui faire une communication officieuse. Si la chambre n’est pas constituée de manière à pouvoir entendre une communication officielle, je la prierai de fixer une autre heure, ou ce soir, si on veut…

M. Ch. Vilain XIIII. - Le ministre a le droit de demander qu’il y ait une séance extraordinaire.

- Plusieurs voix. - A ce soir ! à ce soir !

- L’assemblée se sépare à trois heures et demie, après avoir décidé qu’il y aurait séance ce soir à huit heures.


(Présidence de M. Destouvelles.)

La séance est ouverte à huit heures et un quart.

Les tribunes publiques et réservées sont encombrées d’une foule de spectateurs.

Communication du gouvernement

M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères a la parole pour une communication du gouvernement. (Profond silence.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, après vous avoir exposé, dans votre séance d'hier, la marche suivie par le gouvernement dans les dernières négociations, après vous avoir montré ses efforts persévérants suivis d'un résultat si inattendu et si contraire à ses vœux, il me reste aujourd'hui, ainsi qu'à mes collègues, comme moi conseillers de la couronne, un triste et douloureux devoir à remplir. Ce devoir, nous ne pouvons nous y soustraire, placés que nous sommes sous la loi d'une nécessité qu'il n'est pas permis de méconnaître et avec laquelle il n'est possible de composer qu'en soumettant à des chances incalculables le présent et l'avenir du pays, et en sacrifiant peut-être ces deux conquêtes de notre révolution, l'indépendance et la liberté.

Le traité de paix arrêté par la conférence, stipule, dans les articles 2 et 4, des cessions de territoire en faveur de la Hollande. Le gouvernement ne pouvait autoriser son plénipotentiaire à signer ce traité : l'article 68 de la constitution qui porte : « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi, » s'y opposait formellement et traçait en même temps au gouvernement la ligne qu'il avait à suivre. C'est pour rester fidèles aux principes de la constitution, pour satisfaire à l'obligation qu'elle nous impose, que nous venons, messieurs, d'après les ordres du Roi, soumettre à vos délibérations un projet de loi qui tend à autoriser le gouvernement à consentir aux cessions de territoire stipulées dans le traité de paix, et à des arrangements financiers.

Au milieu des sentiments pénibles qui l'affectent, le gouvernement, en vous présentant ce projet, ne veut point vous laisser ignorer les motifs qui l'ont décidé à prendre sur lui la responsabilité de l'initiative dont il use en ce moment. La nation, dont il s'agit de fixer définitivement les destinées, et vous, Messieurs, qui la représentez dans cette enceinte, vous connaîtrez notre pensée tout entière. Si jamais le courage de la franchise fut nécessaire, c'est aujourd'hui, c'est en présence des graves intérêts sur lesquels vous allez avoir à vous prononcer : se taire dans un moment pareil, ou déguiser sa pensée, ce serait, je ne dirai pas faiblesse, mais lâcheté.

Oui, Messieurs, la question que soulève le projet de loi est si grave, si vitale, que sa solution renferme tout l'avenir du pays.

Si, à une autre époque, des propositions pareilles aux conditions qu'on nous impose aujourd'hui, avaient été faites à la Belgique, le gouvernement aurait pu reculer devant la mission qu'il remplit maintenant, il aurait pu vous dire peut-être : Rejetez ces conditions ; elles sont injustes, partiales ; fiez-vous à la justice de votre cause, au temps, et, s'il le faut, à votre bras pour en obtenir de meilleures. Mais, messieurs, ce langage qui alors aurait eu une apparence de raison, parce que les circonstances, les faits lui donnaient une force qu'il n'aurait pas empruntée de lui-même, ce langage n'est plus possible aujourd'hui. Depuis lors, le temps a marché, et l'Europe a été témoin d'événements qui, en modifiant la politique générale, n'ont pu rester sans influence sur la question soulevée par notre révolution. L'appui que nous trouvions dans l'idée de notre force, inspirée aux puissances par nos succès de septembre, l'appui plus réel encore que prêtait à notre cause l'héroïque résistance de la Pologne, nous ont tout à coup échappé.

L'intéressante Pologne, ce pays qui n'eût jamais d'égal en gloire et en malheur, après des prodiges de courage, est tombée… Qu'est-il besoin de vous dire l'influence que sa chute a dû exercer sur la politique et les déterminations d'une puissance dont la révolution de Varsovie embarrassait si fortement tous les mouvements ?

Mais, en dehors de ces considérations, il en est une autre qui ne peut ni ne doit vous échapper. C'est que la question qui se débat depuis un an n'est pas circonscrite à nos intérêts seuls et à ceux de la Hollande ; c'est qu'elle touche par beaucoup de points aux intérêts européens. Notre patriotisme, notre amour-propre national, blessés par la décision des arbitres qui viennent de prononcer entre la Hollande et nous, peuvent se soulever contre cette intervention de l'Europe. Elle n'en reste pas moins un fait qu'il ne nous est pas donné de détruire. Ce fait d'ailleurs n'est pas nouveau, il a sa sanction, il a des antécédents dans l'histoire ; d'autres peuples, avant nous, ont eu à en subir les conséquences. Ce n'est pas la première fois, qu'à tort ou à raison, les convenances politiques, le système de l'équilibre européen ont fait imposer à un peuple, dans l'intérêt général, de ces sacrifices que l'on ne se résigne à subir que parce qu'on est convaincu de l'inutilité des efforts que l'on tenterait pour s'y soustraire.

Le sacrifice que l'on exige de la Belgique est de même nature ; toute son excuse, toute sa justification, pour vous qui êtes appelés à le voter, se trouve dans la nécessité, dans les circonstances dont l'empire est quelquefois si puissant dans les affaires humaines, que l'homme d'Etat ne saurait y échapper. Les cinq puissances s'entendent entre elles pour soutenir la décision qu'elles ont prise et qu'elles croient calculée de manière à garantir en même temps le maintien de la paix et celui du système européen. Que ce soit une erreur, née du sentiment de défiance que leur inspire, à tort, la Belgique régénérée, nous le pensons ; et vous nous rendrez ce témoignage, messieurs, de n'avoir rien négligé pour dissiper une erreur si fatale à nos intérêts. Nos efforts n'ont pas obtenu le succès que nous nous en étions promis, et les déterminations prises par les cinq grandes puissances sont venues se placer entre nos vœux et l'espoir de les voir se réaliser. Les puissances (on voudrait en vain se le dissimuler) marchent d'accord entre elles et les discussions de la conférence, sont, comme le dit la note qui accompagne le traité, « finales et irrévocables. » Ces paroles empruntent une force toute spéciale des circonstances et des nécessités du moment. L'incertitude qui plane depuis un an sur les affaires de l'Europe, par suite de la question belge toujours tenue en suspens, ne saurait se prolonger plus longtemps, sans faire naître la crise que l'on a tant à cœur d'éloigner et dont chaque jour de retard augmente l'imminence.

C'est à vous maintenant, messieurs, qu'il appartient de décider si ce qu'on nous demande, si les cessions de territoire, au prix desquelles on nous offre la paix, peuvent se concilier, je ne dirai pas avec l'intérêt du pays (il est partiellement et violemment lésé), je ne dirai pas même avec ses affections (on n'en a tenu aucun compte), mais avec son existence, comme nation indépendante. Car, messieurs, quelque triste qu'elle soit, nous vous devons la vérité tout entière : la question aujourd'hui est là, c'est notre opinion : il s'agit de savoir si nous voulons ou non, si nous pouvons ou non, former une nation indépendante avec le territoire, tel qu'il sera circonscrit par les cessions stipulées dans le traité.

Après cela, messieurs, nous ne nous sommes pas dissimulé les objections qu'on pourra faire contre le projet de loi qui vous est soumis. Nous avons prévu surtout les arguments qu'il sera facile de tirer contre ce projet de la condition où vont se trouver ceux de nos compatriotes, de nos frères que le traité sépare de nous.

Personne n'apprécie mieux et ne partage plus vivement que nous les regrets et la douleur que réveillent dans l'âme, ces déchirements forcés qui arrachent à notre affection, à nos sympathies ceux qui ne formaient avec nous qu'une même famille, et qui ont si puissamment aidé à la conquête d'un patrimoine dont on veut qu'ils cessent de jouir avec nous. Loin de nous la pensée de vouloir atténuer par nos paroles un sacrifice dont nous comprenons toute l'étendue. Mais placés entre nos affections et l'intérêt dominant du pays, ayant à opter entre l'abandon de quelques-uns de ses membres, et l'anéantissement de la famille, notre choix n'a pas été libre ; nous sommes forcément entrés dans la voie où vous nous trouvez. Et, nous sera-t-il permis de le dire, en agissant ainsi, nous avons compté sur le suffrage, sur la générosité même de ceux dont nous devons, pour notre malheur, souscrire l'expatriation. Nous nous sommes dit : Qu'en se voyant frustrés de l'espoir de jouir peut-être avec nous d'une patrie commune, ils ne voudraient pas néanmoins, par un calcul tout personnel, attirer sur la Belgique les malheurs qui résulteraient pour elle de la résistance à un arrêt qu'il faut subir ; qu'ils ne voudraient point que cette patrie qu'ils quittent s'effaçât entièrement avec eux ; qu'il n'y eût plus de Belgique, plus de nation belge. Nous serions-nous trompés, messieurs, en prêtant ces sentiments à nos frères ! Non, et nous défions l'avenir de venir démentir nos paroles.

Si, reconnaissant la nécessité qui nous presse, vous sanctionnez le projet de loi qui vous est soumis, le jour fatal de la séparation venu, en adressant de tristes et pénibles adieux à cette patrie que la nécessité les oblige d'abandonner, ils feront des vœux pour sa gloire, sa prospérité, son bonheur ; et pleins de foi dans son avenir, ils en appelleront avec nous, au temps et à la providence pour réparer une injustice, que pour notre part, Messieurs, permettez-nous de le répéter une dernière fois. nous déplorons amèrement.

« Léopold, Roi des Belges,

« A tous présents et à venir, salut !

« De l'avis de notre conseil des ministres,

« Nous avons chargé notre ministre des affaires étrangères de présenter aux chambres, en notre nom, le projet de loi dont la teneur suit :

« Considérant que, par leurs actes du 15 octobre, les plénipotentiaires des cinq grandes puissances réunis en conférence à Londres, ont arrêté les bases de séparation entre la Belgique et la Hollande ; que ce traité, contenant aux termes de la déclaration des plénipotentiaires, des conditions finales et irrévocables, est imposé à la Belgique et à la Hollande ;

« Vu l'article 68 de la constitution ;

« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété, et nous ordonnons ce qui suit :

« Article unique. Le Roi est autorisé à conclure et à signer le traité définitif de séparation entre la Belgique et la Hollande, arrêté le 15 octobre 1831, par les plénipotentiaires des cinq grandes puissances réunis en conférence à Londres, sous telles clauses, conditions et réserves que S. M. pourra juger nécessaires ou utiles dans l'intérêt du pays.

« Bruxelles, le 21 octobre 1831.

« Signé : Léopold.

« Par le Roi :

« Les ministres des affaires étrangères, de la guerre, de la justice et des finances,

« Signé : de Muelenaere, Ch. de Brouckere, Raikem, Coghen. »

M. le président. - La chambre donne acte à M. le ministre des affaires étrangères de la présentation du projet de loi et l’exposé des motifs.

M. A. Rodenbach. - La loi de l’univers et que le faible doit céder. Si nous étions forts, je dirais : Rejetons le projet. Nous sommes faibles, je dis : Gagnons du temps. Je demande le renvoi aux sections.

M. le président. - Le projet de loi doit être préalablement imprimé et distribué aux membres de la chambre.

- Plusieurs voix. - Avec l’exposé des motifs.

M. le président. - Le projet de loi et le rapport seront imprimés, distribués et renvoyés aux sections.