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Un essai de colonisation belge au XIXème siècle : l'entreprise de Santo-Thomas de Guatemala
DEFAYS Fritz - 1899

Fritz DEFAYS, Un essai de colonisation belge au XIXème siècle : l'entreprise de Santo-Thomas de Guatemala (1899)

(Paru dans la "Revue de l’Université de Bruxelles", quatrième année 1898-1899 chez Bruylant-Christophe, pp. 677 à 697)

(page 677) Les Belges, on l'a tant de fois et si justement répété, n'aiment pas à sortir de leurs frontières. Les statistiques des trente années montrent que l'émigration est non seulement inférieure, et dans de très fortes proportions, à l'accroissement de la population, mais encore, et de beaucoup, l'immigration étrangère. Il est cependant dans notre histoire contemporaine une période où des Belges ont quitté en grand nombre le pays et ont essayé de fonder des établissements dans des régions lointaines où la civilisation el le commerce européens n'avaient pas encore, ou du moins très peu, pénétré. C'est la période qui s'étend de 1840 à 1850 environ, années pendant lesquelles la pléthore de population industrielle commençait à exercer ses ravages, et où la misère, résultant d'une terrible crise agricole, désolais nos Flandres. (Note de bas de page : Qu’il nous soit permis, avant d'entrer en matières, de remercier M. le professeur Cattier précieux renseignements qu'il a bien voulu nous communiquer et de l’intérêt qu'il n'a cessé de nous témoigner au cours de nos études.)

(page 678) Il faut en effet enregistrer, pendant ce court espace de temps, quatre essais de colonisation belge, dont nous nous proposons de faire l'historique dans cette étude. (Note du webmaster : la présente version numérisée se limite à la seule entreprise de Santo-Thomas de Guatelama).

Que le lecteur ne méprenne toutefois pas sur le sens que nous attachons an mot « colonisation ». Nous n'entendons par là que d'un groupe de nos compatriotes dans une contrée vierge de tonte action européenne antérieure. A cet égard il faut citer :

1° L'entreprise de Santo-Thomas de Guatémala (1841) ;

2° La colonie agricole dans la province de Santa-Catharina, au Brésil (1844) ;

3° La forte émigration aux Etats-Unis, notamment à (Wisconsin).

Mais dans aucun de ces trois cas, les n'ont fondé de colonie relevant politiquement de la mère-patrie.

Au XIXème siècle, il n'est qu'une tentative que notre pays ait faite d'implanter sa nationalité sur un territoire étranger; c'est l'établissement sur le Rio Nunez (cote Ouest d'Afrique) en 1848-1856. Encore n'était-ce là, en quelque sorte, qu'un protectorat belge.


L’entreprise de Santo-Thomas de Guatelama est l’œuvre d'une société anonyme, la Compagnie belge de colonisation, fondée par les comtes Théophile de Hompesch et Félix de Mérode, auxquels s'étaient joints de hauts fonctionnaires ministériels.

Elle se proposait

1° De créer des établissements agricoles, industriels et commerciaux ; ... elle vendra, achètera, fera défricher et cultiver les terres, et exploitera les produits naturels de celles-ci ;

2° D'établir des relations de commerce entre la Belgique et les pays dont elle obtiendra des concessions.

Le territoire qu'elle acquerrait serait en lots, qui deviendraient la propriété des actionnaires.

L'arrêté royal, nécessaire à la constitution d'une société anonyme, parut au Moniteur le 7 septembre 1841. Il approuvait les (page 679) statuts de la Compagnie belge de colonisation, la condition que celle-ci envoyât sur les lieux qui lui seraient concédés, une commission d'exploration, dont ferait partie le délégué officiel du gouvernement.

Le même numéro du Moniteur publiait les règlements organiques de la Compagnie :

La colonie à créer formera une communauté, dite de l'Union, administrée par un conseil, sous les ordres d'un directeur nommé par la Compagnie. Les colons n'auront pas la propriété du sol, réservée aux actionnaires seuls, mais seront de simples ouvriers à la solde de la société. Ils participeront aux bénéfices réalisés.

C'était sur le Guatemala que les fondateurs avaient jeté les yeux. Ils entamèrent des négociations avec le gouvernement local, afin d'en obtenir des terres. La Compagnie envoya cet effet un collège de délégués, chargés de faire un rapport sur l'état des lieux, sous la direction de M. le colonel de Puydt. Celui-ci revint en Europe au milieu de l'année 1842, porteur d'un acte par lequel l'Assemblée du Guatemala cédait en pleine propriété aux directeurs de la belge de colonisation le port et le district de Santo-Thomas, c'est-à-dire un territoire de plus de 400.000 hectares, compris dans limites ci-après : Depuis la barre de la rivière Motagua en suivant sa rive gauche jusqu'aux de Gualan, de ce point tirant une ligne droite jusqu'à l'embouchure du Cajabon dans le Polochic, de cette embouchure en suivant la rive droite du Polochic jusqu'à son embouchure dans le lac d'Ysabal ; de là, suivant la rive sud-est du lac, celle du Golfite et de la rivière Angostura jusqu'à la mer.

L'acte de concession stipule un prix total de 160.000 piastres (800.000 francs) payables en dix ans et l'exécution par la Compagnie de quelques travaux d'utilité générale, dont elle devait d'ailleurs être la première à retirer tous les avantages :

1° L'ouverture d'une route entre le port de Santo-Thomas et le Motagua, route qui devait être terminée le 1er janvier 1845 ;

2° L'établissement avant le 1er janvier 1846 d'une ligne de navigation à sapeur sur le Rio Motagua, depuis le point de jonction du chemin de Santo-Thomas jusqu'à Gualan.

L'article 25 de l'acte disait : « Les nouveaux colons introduits (page 681) par la Compagnie seront expressément catholiques, Belges, Alsaciens, Suisses ou de toute autre partie agricole du continent européen ou des Iles Canaries. »

En échange de ces obligations, la Société obtient pour ses ouvriers un traitement plus favorable que celui des nationaux. Assimilés à ceux-ci pour l'exercice de tous les droits civils et politiques, déclarés à cet effet Guatémaliens, les colons jouiront pendant vingt ans de l'exemption du service militaire, des impôts et de divers monopoles.

Enfin, si les fondateurs n'exécutaient pas aux époques fixées les conditions stipulées, cet acte serait considéré comme non avenu et ils tout perdraient droit aux sommes payées jusqu'alors par eux ; les terres en possession desquelles ils seraient entrés ou devraient entrer redeviendraient la propriété exclusive de l'État de Guatemala.

Le conseil d'administration commença dès lors une intense campagne de presse pour trouver des acheteurs de lots et des colons. Le Journal de Bruxelles semble avoir été spécialement chargé de la réclame. Publiant dans son numéro du 8 février 1843 les articles les plus alléchants des statuts et règlements organiques, cette feuille disait :

« La compagnie assure d'abord aux colons le travail d'une journée régulière, et pour que cette journée suffise à leurs besoins, elle tient à leur disposition les objets qui peuvent leur être utiles et les leur livre au prix coûtant...

« ... Mais là ne s'arrête pas encore la sollicitude de la communauté pour l'homme qu'elle emploie : les soins du corps et de l'âme lui sont prodigués sans qu'il doive se préoccuper des frais que ces soins entraînent. Le ministre des autels accorde à l'ouvrier et à sa famille les secours de la religion. le médecin le traite dans ses maladies, ainsi que sa femme et ses enfants qui reçoivent l'instruction. Après vingt années d'un service régulier pendant lesquelles il a participé aux bénéfices, résultat des travaux auxquels il a part, il jouit d'une pension qui le met à l'abri de la misère. Il a la certitude qu'après sa mort, sa veuve recevra une pension, que ses enfants seront élevés par les soins et aux frais de la communauté. Il y a dans une telle organisation non seulement la preuve d'un grand amour de (page 682) l’humanité, mais il domine encore une haute pensée, c'est la charité, sauvant l'âme en satisfaisant aux besoins du corps...

« … Nous croyons qu'il y aura plus qu'une spéculation pour ceux qui prendront part à la souscription que la Compagnie va ouvrir aux termes des statuts de la communauté de l'Union ; ce sera en même temps pour eux une œuvre de charité, puisque le capital provenant de cette souscription doit être employé à occuper des hommes, auxquels le travail manque ici, sur une terre qui ne demande que des bras, pour assurer leur existence ainsi que leur bien-être moral. »

Le Journal de Bruxelles n'était pas seul à patronner cette œuvre ; le clergé la soutenait presque unanimement. Il s'était formé une « Association charitable pour les objets nécessaires à la célébration du service divin dans la chapelle de la colonie belge de Santo-Thomas. » Le même journal ouvrait dans ses colonnes une souscription en faveur de cette association. Et nombreux étaient les dons, tant en espèces qu'en nature.

Malgré la réclame et les conditions brillantes offertes aux colons, le public ne répondit pas avec empressement à l'appel de la Compagnie. Bien peu de lots furent achetés et le premier navire, le Théodore, frété pour le départ des colons, quitta le port d'Anvers le 16 mars 1843, n'emportant que 56 partants, dont un cher d'expédition, M. Philippot, 4 chefs de service, 3 Pères et 18 ouvriers. Le directeur colonial, M. Simons, devait partir quelques jours plus tard.


Quelle était cette région de Santo-Thomas, vers laquelle cinglait le Théodore ? Nous reproduirons textuellement des extraits de deux rapports officiel.

Le premier est celui de M. Martial Cloquet, consul de Belgique, commissaire du Roi près de la communauté de l'Union :

« La côte de Santo-Thomas n'est guère élevée au-dessus du niveau de la mer que de quelques centimètres ; dans beaucoup d'endroits le flot vient expirer sous les branches des mangliers, qui croisent à plusieurs mètres dans l'eau. A 300 mètres du débarcadère, le sol atteint la hauteur de 5 mètres du niveau de la mer.

(page 683) La température de Santo-Thomas, l'ombre et à l'air libre, à 2 mètres au-dessus du niveau de la mer, varie, d'après les observations du docteur médecin de la colonie, entre le 23° et le 30• degré centigrade ; pendant la nuit elle ne baise guère que de 1 à 2 degrés, car il est rare qu’elle descende au-dessous de 21 degrés. Si d'un l'élévation de la température peut exciter des craintes, son peu de variation et surtout ses variations doucement ménagées, doivent rassurer. »

M. Cloquet s'étend sur l'abondance des bois de construction et de teinture, des arbres fruitiers et des plantes médicinales.

Le second rapport est signé par l'un des membres de la commission d'exploration. Nous citons des extraits parus dans l’Indépendant du 10 novembre 1842.

Après avoir constaté la fertilité du sol et la luxuriante végétation des tropiques, ce rapporteur continue : « Les forêts sont peuplées d'arbres et de plantes médicinales, dont les arts, l'industrie et la médecine peuvent tirer de grands avantages... Parmi les plantes médicinales, je citerai le salsepareille, qui croit abondamment dans ces forêts et dont on fait un commerce d'exportation... Le riz est fort beau et réussit aussi bien dans les lieux que dans les endroits bas et humides... Le coton croit spontanément dans le district de Santo-Thomas et se cultive en plantations d'une certaine étendue... La canne à sucre se prête parfaitement à la nature du sol... L'arbre cacao prospère dans les terrains humides et ombrageux... Le port de Santo-Thomas el les rivières qui y affluent sont de véritables stations poisonneuses... Les Etats limitrophes abondent en minéraux précieux ; il est probable que ce département n'est pas moins favorisé sous ce rapport. »

Tels étaient les renseignements officiels fournis au public. Ceux donnés par M. Cloquet sont exacts, sauf en ce qui concerne l'abondance des bois de valeur. Pour le même motif, on ne peut ajouter grande foi aux seconds.

A ces deux rapports. écrits par des hommes qui faisaient un simple voyage d'exploration, nous pourrions opposer des démentis des divers directeurs qui se sont succédé dans la colonie. Enumération trop longue, que nous ne pouvons faire. On parle de la fertilité du sol ; c'est exact. Seulement, les délégués n'ont pas fait un seul essai (page 684) de culture, sinon ils auraient vu les fourmis ravager leur récolte. Ils parlent de la salubrité de l'endroit ; encore vrai. Mais on croirait que M. Cloquet n'est même pas descendu à terre, qu'il n'a pas senti les piqûres des moustiques et les cuisantes douleurs qui en résultent.

Et pour ce qui est de l'abondance et de la richesse des bois ! M. Brouez, qui fut directeur industriel la colonie, écrit dans une relation de voyage, publiée en 1846 :

« On a dit qu'il se trouvait à Santo-Thomas des bois d'acajou. de teinture, de palissandre, en un mot toutes les espèces de bois d’ébénisterie ; mais dans tous nos défrichements nous avons rencontré bien peu de ces arbres : si l'on en voit, c'est dans l'intérieur des terres, et encore sont-ils rares. Ceux qui donnent les essences que l'on pourrait employer dans le commerce sont presque tous creux, de sorte que l'on n'en a pour ainsi dire que l'aubier, et l'on sait que l'aubier n'est pas susceptible d'être travaillé.

« Il ne trouve donc aucun bois de teinture ni d'ébénisterie le long du littoral, pour la raison que depuis longtemps les Anglais jouissent de la prérogative de la coupe des bois sur côtes du Guatemala. Ils ont usé amplement de ce droit en l'étendant le plus possible et s'ils ne sont pas allés dépouiller l'intérieur des terres, c'est que les frais d'exploitation auraient dépassé les bénéfices réalisables. »

Le public ignorait donc la vérité. Les colons, qui pleins de confiance avaient mis leurs bras au service de la Compagnie, s'imaginaient voguer vers un Eldorado et se voyaient déjà possesseurs de riches plantations. Ils revinrent vite de leurs illusions et apprirent à apprécier cette humanité des fondateurs, que le Journal de Bruxelles faisait tant valoir dans ses colonnes.


Déjà lors du départ, la Compagnie avait donné la mesure de sa mauvaise foi. Il avait été convenu entre elle et le directeur colonial, qu'outre les vivres et objets l'expédition serait nantie d'une somme de 400.000 francs. Or, l'on retrouva dans le coffre-fort, à bord du Théodore 11,025 francs en espèces et une traite de 2,000 piastres (la piastre vaut fr/ 5-45). Les administrateurs s'engagèrent à verser le (page 685) reste dans le coffre-fort que la Louise-Marie devait emporter quelques jours plus tard et à bord de laquelle M. Simons devait prendre passage.

Apres une traversée mouvementée, les colons débarquèrent le 20 mai 1843 dans la baie de Santo-Thomas de Guatemala.

Dès les premiers jours, malgré les piqures incessantes et insupportables des moustiques, les colons mirent vaillamment la besogne ; ils défrichèrent à la hâte, mais imparfaitement, un grand espace de terrain ; ils édifièrent 13 cases, un magasin, un four pain, une forge et un petit débarcadère; ils creusèrent aussi un puits qui leur procura de l'eau potable. Mais tout cela fut fait en 18 jours, beaucoup trop rapidement ; les cases notamment furent bâties d'une façon irrégulière et peu confortable.

Le 7 juin arriva la Louise-Marie. M. Simons était mort pendant la traversée. C'était une grande perte pour les colons ; car, avec lui, disparaissait un ingénieur intelligent et très expérimenté.

Le conseil colonial, réuni immédiatement, nomma M. Philippot, directeur par interim. Celui-ci ouvrit le coffre-fort envoyé par la Compagnie ; au lieu des 80.000 francs promis, il trouva 675 francs. Ce trait montre suffisamment l'insigne mauvaise foi du conseil d'administration.

Cette inconcevable conduite de la Société atteignit directement les colons qui, à part des sacs de farine, n'avaient comme provisions que de la viande salée. L'emploi excessif de ces conserves provoqua des maladies cutanées, qui s'aggravèrent par suite des piqûres des moustiques. Aussi la plupart des ouvriers ne purent continuer â montrer la belle ardeur dont ils avaient fait preuve au début et pousser plus avant les défrichements. Après 3 mois de ce régime alimentaire, le conseil put heureusement acheter un troupeau de gros bétail à un chef caraïbe. Et les colons connurent pour la première fois depuis leur départ de la viande fraiche.

A cette époque un scrupule louable saisit les membres du conseil de la communauté. Ils redoutèrent l'arrivée de la saison des pluies, qui auraient formé dans ces plaines bases, voisines de la mer, des mares d'eau stagnante, foyers de miasmes pestilentiels. Or, dans les excursions faites autour de Santo-Thomas, ils avaient découvert, sur les hauteurs, dans le Nord, un endroit défriché et habité (page 686) auparavant par un chef noir Ramirez, mort depuis 2 ans. Le 3 juillet 1843, il fut décidé de créer un établissement dans cette partie du territoire, qu'on appela Santa-Maria. On y envoya quelques colons, qui semèrent divers légumes, mais presque toutes les récoltes furent dévorées par les insectes. L'on se borna alors à établir quelques cases pour servir d'infirmerie. Celle-ci devenait une nécessité à cause des graves indispositions provoquées par les piqûres et une consommation excessive de viande salée.

D'autre part, les colons ne pouvant plus fournir grand travail, on avait loué les services d'Indiens et de Caraïbes Mais on se trouva bientôt dans l’impossibilité de payer les uns et les autres. La Compagnie n'envoyant pas d'argent, le directeur intérimaire dut en emprunter à des banquiers de Bélize.

Malgré tous ces tracas et ces déboires, les travaux furent poursuivis ; au bout de l'année 1843, une rue était tracée à Santo-Thomas ; elle était bordée de 48 cases grossièrement, recouvertes des larges feuilles de palmier, et de maisons édifiées en planches. On avait aussi construit une église ,recouverte en sapin du Nord, ainsi qu'un kiosque sur la place de Belgique, destiné la « Société d'harmonie vocale et instrumentale de Santo-Thomas. » (Rapport de M. Cloquet, 20 décembre 1843). On avait également établi un magasin, un four, une forge, un débarcadère, un puits et une poudrière. En tout 4 hectares étaient défrichés. A Santa-Maria 3 hectares seulement avaient été déboisés el 7 cases recevaient les colons.

Ces résultats, obtenus au bout de peu de temps et malgré de très grandes contrariétés, témoignent, il faut le reconnaitre, d'une réelle activité chez ouvriers. Si les colons étaient pleins de bonne volonté et disposés à travailler, quand la maladie ne les accablait pas, le conseil colonial ne se montrait pas à la hauteur de sa tâche. Le chef nominal était M. Philippot ; le directeur réel était le P. Walle, chef du service ecclésiastique, qui était loin de pratiquer la tolérance. Déjà pendant la traversée, il avait interdit les chansons tant soit peu grivoises et avait voulu obliger les passagers à assister à des conférences-sermons. (page 687 A Santo-Thomas, il imposait sa volonté à M. Philippot. Nous lisons, en effet, dans la relation de M. Brouez, un acte d'une intransigeance rare. Pour punir un acte de libertinage commis par trois colons, le P. Walle obligea le directeur à faire abattre leurs cases et à ne tolérer leur installation qu'à l'écart de la colonie. Quand on songe à la fatigue énorme nécessitée par l'abatage des arbres et l'édification des cases, au danger qu'on courait en construisant à la hâte de mauvaises demeures, l'on ne peut que flétrir pareille conduite à l'égard d'ouvriers qui, travaillant pour une Société, n'en recevaient même pas régulièrement le salaire auquel ils avaient droit. De uno, disce omnes


Quels qu'aient été les torts du conseil, les colons n'en avaient pas moins acquis quelques résultats appréciables. Ces derniers furent grossis d’une façon extraordinaire aux yeux du public par la Compagnie, soit que celle-ci reçût de Santo-Thomas des rapports exagérés de ses correspondants, soit que connaissant l'exacte vérité, elle eût sciemment trompé l'opinion publique.

Toujours est-il que celle-ci se laissait prendre à de pareils mensonges et de nouveaux colons commençaient à se présenter en groupes nombreux. La Compagnie songea tout de suite à les envoyer à Santo-Thomas. Deux départs furent décidés : La Dyle et le Jean Eyck devaient successivement cingler vers le Guatemala.

La Dyle quitte le port d'Anvers le 29 décembre 1843 emportant à bord 127 colons et le nouveau directeur colonial, M. Guillaumot, élu en remplacement de feu M. Simons. Le conseil d'administration renouvela à l'égard de M. le major Guillaumot le procédé dont il avait usé à l'égard de son prédécesseur ; on lui promit 200.000 francs pour subvenir à tous frais et payer les ouvriers. Le jour du départ il constata que le coffre-fort ne contenait que 29.975 francs.

Les colons arrivèrent le 6 mars 1844 à Santo-Thomas, après avoir fait naufrage devant Omoa sur la côte du Honduras. Quelque jours plus tard, le Jean van Eyck débarquait 103 nouveaux travailleurs.

La direction précédente n'avait pu certainement prévoir l'arrivée subite d'un fort contingent de colons. Aucune demeure n'avait été préparée pour eux et l’on fut obligé de loger plusieurs familles dans une seule case (page 688) avoir de tristes conséquences ; car du manque d'aise naît la malpropreté, source des maladies infectieuses. Cependant, M. Guillaumot se faisait fort d'y remédier rapidement. Mais il comptait sans les façons d'agir des administrateurs, dont tous les actes tendaient bien plus à la réussite d'une vaste spéculation financière qu'à la prospérité des malheureux qui avaient eu confiance en leurs promesses.

La Compagnie ne recherchait, en effet, qu'une chose : éblouir le public. Au lieu d'envoyer à Santo-Thomas de l'argent pour subvenir aux besoins de la colonie, le conseil d'administration gaspillait de fortes à faire de la réclame dans les presses belge, française et prussienne ; on citait dans les journaux les chiffres fabuleux de bénéfices à réaliser.

« On se proposait, dit M. Brouez de répandre dans le publie des estampes lithographiées par la maison de Paris, représentant des vues de l'Amérique centrale. Il avait, entre autres, une vue de Santo-Thomas rappelant la consécration de la Chapelle. D'abord, on y voyait un débarcadère immense dont la construction demanderait plus d'une année de travail ; le terrain représenté offrait une étendue de plus de 26 hectares, tandis qu'il n'y avait réellement que à 5 hectares défrichés ; la Maison de ville avec étage et balcon, l'immense population sur ce tableau, rien de tout cela n'existait. » (Relation d’un voyage et séjour à Saint-Thomas, par M. Brouez, ex-directeur industriel).

Bien plus, d'après une relation du major Guillaumot lui-même, la Compagnie reçut des renseignements sur la colonie, à la date du 28 mars 1844. Ces renseignements furent donnés par un correspondant dont on ne dit pas le nom et par les deux premiers fonctionnaires de Santo-Thomas, le directeur colonial et le secrétaire général. Le correspondant inconnu présente la colonie comme se trouvant dans une voie de prospérité ; le directeur colonial el le secrétaire général s'expriment au contraire de manière à donner des inquiétudes sur son avenir. On porte à la connaissance du publie la lettre du correspondant inconnu. mais l'on garde le silence sur les documents. »

(page 680) On comprend que le public, ne lisant que des rapports élogieux, soit pris d'enthousiasme pour la colonie. Aussi, les émigrants ne cessaient d'affluer. Du 23 janvier 1844 au 15 mai suivant, les navires l'Emma, l'Eugène, le Rembrandt, le Karel, l'Auguste, le Théodore, transportèrent à Santo-Thomas 500 nouveaux partants.

Le directeur, M. Guillaumot, se trouva dans une cruelle perplexité ; il fut obligé d'entasser les colons dans les quelques cases qui existaient, et ce qu'il avait cru pouvoir éviter, arriva. Les maladies se déclarèrent en grand nombre : fièvres infectieuses, affections nerveuses et cutanées. Le nombre des hommes valides diminua rapidement et bientôt tout travail cessa, saur pour les menuisiers qui commencèrent à fabriquer des cercueils.

La mortalité, résultat inévitable de cet état de choses, fut d'abord faible. Du mois de mars 1844 au 25 juillet suivant, on n'eut à compter que 8 morts. Mais en un mois 15 nouveaux décès se produisirent. Et depuis la fin août, leur nombre s'accrut d'une manière effrayante, 176 personnes moururent en 6 mois.

Aucune famille ne fut épargnée. Toutes eurent au moins une victime à pleurer. « Les premières sépultures, dit M. Eug. Le Bon, firent avec quelque pompe ; les corps étaient portés à bras par des hommes ; on prenait la peine de couvrir la bière du drap mortuaire, on s'arrêtait quelques instants à l'église où l'on disait des prières ; mais bientôt les bras manquèrent pour porter les corps ; bientôt on n'assista plus aux funérailles qui se succédaient avec une épouvantable rapidité ; et c'est alors qu'on vit transporter les morts sur des brouettes : par ce moyen, un seul homme pour creuser la fosse et pour trainer le cadavre jusqu'au champ de repos. J'ai vu, et plusieurs fois. cette brouette chargée de deux ou trois corps, quelquefois le fossoyeur, fatigué, abandonnait son fardeau dans la rue et allait se reposer dans une case voisine. Arrivé au cimetière où une fosse commune était préparée, on renversait la brouette, un bruit faisait entendre, celui des cercueils qui se heurtaient, puis on jetait de la terre, et tout était dit. » (Quelques mots sur la Compagnie de colonisation, par Eug. Lebon colon de la première expédition, 1846).


(page 690) Tel était le sort que la Compagnie réservait à ceux qu'elle envoyait au Guatemala. Les actes qu'elle commettait en Belgique n'étaient pas moins inqualifiables. Mais ici elle devait échouer.

Dans un conseil général réuni au commencement de l'année 1844, elle proposa l'émission, en faveur des communes belges, de 4.000 lots (chaque lot était de vingt hectares) de la communauté, au prix de 1.000 francs chacun, « comme un remède contre le paupérisme et la pléthore industrielle. » La proposition fut votée.

Le gouvernement, qui ne connaissait la marche de la colonie que par les rapports que la société voulait bien publier, agréa le projet d'émission, qu'il soumit la signature du roi. Le 31 mars 1844 paraissait au Moniteur belge un arrêté royal qui autorisait les communes à souscrire. S'il faut en croire un mémoire publié par M. de Hompesch, fondateur et président de la compagnie, le Roi fit écrire directement à tous les évêques et à tous les gouverneurs de province pour stimuler leur zèle et demander leur concours actif. Le ministre de l’intérieur expédia les listes de souscriptions avec des instructions officielles. Les gouverneurs envoyèrent des circulaires aux commissaires d'arrondissement, et ceux-ci aux bourgmestres de leurs districts, les invitant à employer toute leur influence pour obtenir des souscriptions. Les évêques adressèrent des lettres pastorales aux curés de leurs diocèses pour recommander l'entreprise de la Compagnie. Le ministre des finances donna ordre aux percepteurs des contributions de recevoir les souscriptions pour compte de la Compagnie et d'en verser le montant chez les agents du Trésor, en percevant un tantième pour frais de recettes.

Malgré cet appui officiel, les souscriptions ne furent pas nombreuses. Aussi, le 29 juin 1844 paraissait au Moniteur un arrêté royal prorogeant la clôture de l'émission. Cela n'activa pas la vente des lots. Le conseil d'administration, qui en avait escompté le produit pour faire une vaste spéculation, n'eut plus qu'une ressource : demander l'appui financier du gouvernement. Dans une note remise au ministère le 7 juillet 1844, M. le comte de Hompesch exposa la situation critique et demanda des subsides.

(page 691) Une convention fut passée le 21 juillet suivant entre la Compagnie et le gouvernement. Ce dernier s'engageait à déposer avant la fin de l’année un projet de loi qui l'autorisait à garantir à la Compagnie belge de colonisation un minimum d’intérêt à 3 p. c. l'an et 1 p. c. d'amortissement d'un capital de 3 millions au plus, à emprunter par la Compagnie à la suite du vote de la loi.

Mais de désastreuses nouvelles arrivèrent de Santo-Thomas. Le publie connut la vérité. Il sut qu'on l'avait ébloui ; il sut que la situation n'était pas aussi prospère qu'on le proclamait. loin de là ; il apprit en outre la mort de bon nombre de colons.

Devant une pareille situation, le gouvernement n'osa plus soutenir la Compagnie avec les deniers publies. Il prétexta que les gages qu'elle lui offrait ôtaient sans valeur et n'exécuta pas la convention du 21 juillet 1844.

Cette conduite équivoque du ministère Nothomb fut stigmatisée par quelques membres influents de la Chambre des représentants, dont MM. Devaux, Dumortier el Ch. Rogier. Ce dernier, notamment, s'écria dans la du 15 février :

« Messieurs, voilà bien des actes d'adhésion et voilà un bel entraînement. Mais, comme si le gouvernement était saisi d'une fièvre intermittente, cette belle ardeur pour la société guatémalienne, on voit de temps en temps succéder l'inertie et l’impassibilité. On accorde son concours, mais, en même temps, on semble craindre de l'avoir accordé. On n'a pas d'opinion, de convictions sur les destinées de la Compagnie. On a seulement un sentiment, auquel on cède invariablement : le sentiment de la peur. On craint de déplaire à la Compagnie hautement et grandement composée ; mais on craint aussi de déplaire à la Chambre, qui n'est pas moins formidable à affronter. »


Ces discours ne suffisaient toutefois pas pour améliorer la déplorable situation de Santo-Thomas. Le remède naquit de l'excès du mal. Car la population quittait en foule la colonie et l'on comprend que la diminution du nombre d'habitants ait relevé dans de fortes proportions l'état sanitaire général.

(Note de bas de page : État de la population de Santo-Thomas, au 25 janvier 1845 : Total des individus expédiés ou nés dans la colonie : 854. On tquitté la colonie : 1° pour l’Europe 113 ; 2° pour l’intérieur du Guatemala 217, soit 330. Sont décédés 170. Restent à Santo-Thomas 354.

(page 692) De juillet 1844 à fin janvier 1845, on compte 175 morts.

Du 1er février 1845 au 1er jui 1845, il y eut 33 morts.

Du 1er juin 1845 à fin août 1845, il y eut 12 morts.

Du 1er septembre 1845 au 1er janvier 1846, il y eu 4 morts.

Du 1er janvier 1846 au 1er juillet 1846, il y eut 6 morts.

Voici ce que dit le docteur dans un rapport du 7 septembre 1846 :

« La bonne santé des colons, les forces qui leur reviennent avec l'embonpoint, le petit nombre d'indispositions que l'on rencontre chez les anciens qui sont acclimatés, la conservation des nouveaux-nés, l'absence de fièvres intermittentes pendant quelques mois, tout porte à croire que les faits appuieront de plus en plus l'opinion que j'ai émise sur le climat, la nature et la cause des maladies, et que la question de salubrité sera dans peu résolue d'une manière satisfaisante. »

Mais en Belgique, l'opinion publique ne prêtait plus attention à ces rapports, elle ne s'intéressait plus à la prospérité de la colonie ; une seule chose l’émotionnait encore, c'était le souvenir de la terrible épidémie de 1844.

C'est dans ces conditions que le 2 décembre 1846, M. Sigart, représentant, qui prétendait que la mortalité était de beaucoup supérieure à celle avouée dans les rapports officiels, demanda au gouvernement de rapatrier les orphelins et les personnes libres qui le demanderaient. Le ministère, bien malgré lui, acquiesça à cette demande, et, au commencement de l'année 1847, l'Adèle partit pour le Guatemala.


Que s'était-il passé pendant ce temps à Santo-Thomas.

Si la mortalité avait très fortement diminué, le travail n’avait pas repris dans de grandes proportions. L'on comprend, en effet, le (page 693) désespoir de ces colons qui végétaient loin de leur patrie, abandonnés par ceux-là même qui les avaient arrachés à leur foyer, laissés sans ressource par cette société qui n'expédiait pas l'argent nécessaire à l'exécution des travaux qu'elle avait promis de faire. D'ailleurs, ce qui les poussait à l’oisiveté, e 'était le détestable système de la communauté que la Compagnie ait adopté et par lequel les colons n'étaient que des ouvriers à sa solde. Voyant qu'ils ne pouvaient décider eux-mêmes de leurs destinées, ces hommes comprirent qu'il était inutile de se fatiguer, puisqu'ils n'en recevaient pas moins le logement, la nourriture et les soins du médecin.

Telle était la situation quand, en janvier un nouveau directeur, M. Aguet, prit en mains l'administration de la colonie. Comme la communauté était dans l'impossibilité de payer des salaires élevés, comme d'ailleurs elle ne le faisait plus depuis quelque temps, M. Aguet rétablit les paiements, mais en diminuant les soldes d'un quart et d'un tiers (Rapport de M. Blondeel, 3 janvier 1848). Cette mesure, qui devait paraître cruelle, eut cependant des conséquences très heureuses. Les colons se demandèrent, en effet, s'il ne leur était possible de travailler par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Et ils trouvèrent en M. Aguet un directeur intelligent et généreux, qui les poussa dans cette voie.

Il n'y avait pas que des Belges dans la colonie, à côté d'eux se trouvaient des étrangers et notamment des Allemands. Or, ceux-ci, comprenant qu'ils avaient moins de droits que les Belges à être secourus par la Compagnie, lui avaient demandé de pouvoir racheter leurs terres par leur travail. Le conseil d'administration, espérant voir en eux et en leurs imitateurs un noyau de bons et actifs colons, avait acquiescé à leur demande, si bien que déjà, en 1846, quelques Allemands possédaient une maison, un champ, et le produit de leurs terres les mettaient l'abri du besoin, quoi qu'il pût advenir. Les colons d'origine belge ne pouvaient rester indifférents à cet avantage acquis par leurs voisins et se mirent à la besogne avec une ardeur nouvelle pour devenir leur tour propriétaires.

(page 604) Voilà donc l'activité renaissant dans la colonie, raffermie et' en bonne voie de prospérité.

Cependant les épreuves n'étaient pas terminées. Le bruit arriva Santo-Thomas que la Compagnie belge de colonisation était la veille de déposer son bilan. Aussi, le 20 avril 1847, M. Aguet déclara qu'il se voyait obligé de suspendre momentanément les travaux. Cinq jours après. le 25. le navire l'Adèle, par le gouvernement belge pour rapatrier les colons, entrait dans la baie de Santo-Thomas.

L'on conçoit l'effet que devaient produire ces deux événements. « Chez presque tous, le premier mouvement fut un cri de sauve-qui-peut », écrit M. Blondeel. Mais, en cette occasion, le directeur M. Aguet fit encore preuve d'intelligence. Il demanda et obtint du consul de Belgique, quelques jours de réflexion pour les colons.

Deux situations s'offraient à eux : ou bien retourner en Europe et y recommencer une vie de souffrances et de misère, ou bien rester à Santo-Thomas ct tâcher de vivre par eux-mêmes et pour eux- mêmes. Ce fut cette seconde perspective qui devait l'emporter. L'espoir de devenir propriétaires leur fit entrevoir un avenir de travail et de prospérité. C'est ce qui détermina la plus grande partie d'entre eux à rester quand même et à refuser le rapatriement gratuit que leur offrait le gouvernement belge.

Non seulement la colonie de Santo-Thomas subsistait, mais encore sa situation fut favorisée par la promulgation, le 11 mai 1847, de deux décrets de l'État de Guatemala. Le premier déclarait Santo-Thomas port franc de dépôt pour le commerce en général. Le second, beaucoup plus important, décrétait l'ouverture d'un chemin transitable entre Santo-Thomas et le Motagua, travail auquel seraient employés, à côté des prisonniers d'Ysabal, les colons qui désireraient de la besogne.

A ce moment aussi, la question de la salubrité était résolue : « Depuis la date de mon enquête, la santé publique s'affermit de plus en plus, et les dernières nouvelles que j'ai reçues de Santo-Thomas depuis mon retour en Europe se toutes pour (page 695) m'annoncer qu'il n’y a pas un seul malade, quoiqu'on y soit au milieu de la saison des pluies.

« Les plantations ont un bel aspect, sont nombreuses et promettent d'abondantes récoltes de bananes, yucas, maÏs, frigoles, etc. Les pâturages sont riches et de la meilleure qualité. » (Rapport du docteur Fleussu, 16 février 1847).


Cette situation, si belle qu'elle fût, n'était cependant que passagère : l'établissement de Santo-Thomas ne pouvait durer, car ce port était absolument séparé du reste du Guatemala, et il lui était impossible de faire te commerce, soutien indispensable de toute colonie.

Le gouvernement du Guatemala avait, il est décrété, le 11 mai 1847, l'ouverture de la route entre Santo-Thomas et le Motagua. Mais le manque d'argent l'empêchait, lui aussi, d'exécuter sa promesse.

Les agents consulaires belges déplorent tous cette situation ; ils sont unanimes à dire que si cette route n'est pas créée, la ruine serait prochaine. (Rapport du docteur Fleussu, agent consulaire de Belgique, 16 février 1847. Rapport de M. ’t Kindt, consul général belge à Guatemala, 31 août 1856. Rapport de M. Kint, consul général belge à Guatemala, septembre 1859. Rapport de M. Esmenjaud, vice-consul de Belgique à Santo-Thomas. 8 septembre 1858). Les colons plaçaient tout leur espoir dans la construction de cette route, qui aurait donné de la valeur à leurs terres en faisant passer par le district de Santo-Thomas la principale artère commerciale du pays. Ils attendirent donc : mais longue attente fait mourir.

Après quelques années, ils n'eurent plus d'illusions sur la portée des engagements du gouvernement du Guatemala. La colonie se désagrégea peu à peu. Les Belges se retirèrent l'un après l'autre dans l'intérieur des terres, soit à Guatemala, soit aux environs de la capitale.

En 1848, ils étaient 361, dont 261 Européens.

En 1856, ils étaient 224, dont 91 Belges seulement.

Le 1er septembre 1858, il a encore 127 Européens. dont 46 Belges et 29 Prussiens. A côté de cela, il y a 229 Indiens et Caraïbes ; en tout 356 habitants. Comme on le voit, l'élément indigène submerge peu à peu l'élément belge.

(page 696) La colonie de Santo-Thomas s'éteint doucement. Ce qui provoque le départ de nos compatriotes et des Européens, n'est pas la misère (« Les colons belges, restés à Santo-Thomas. dit M. 't Kint dans son rapport du 1er septembre 1850, sont tous, à très d'exceptions près, propriétaires d'une petite maison et d’une petite plantation. Ils jouissent généralement d’une certaine aisance. ») ; c'est l'espoir d'aller faire fortune vers l'intérieur et par d'autres moyens que l'agriculture.


Après cet exposé, est-il nécessaire de rappeler le motif de la non-réussite de la colonie ?

Bien qu’il soit difficile de créer de toutes pièces un établissement entre la forêt vierge et l'océan, ce n'est cependant pas là le vrai motif de l'échec de l'entreprise ; le fait que pendant près de 15 ans quelques Belges vécurent de leur propre travail à Santo-Thomas est une preuve de ce que nous avançons.

Ce qui a ruiné la colonie, c'est sa mauvaise direction ; c’est surtout la mauvaise foi des administrateurs qui, au lieu de tendre leurs efforts vers la prospérité de cet établissement, n'ont vu en celui-ci qu'un moyen de faire une vaste spéculation financière.

Car comment expliquer autrement la publication de rapports mensongers et invraisemblables ? Comment expliquer cette réclame intense par la voie de la presse, pourquoi donner aux départs des colons une grande publicité, sinon pour faire croire que l'œuvre commencée était prospère, et livrer à un agio éhonté sur la vente des lots, qui devaient trouver des acquéreurs éblouis par les faux bruits qui circulaient ?

La Compagnie savait cependant que l'argent qu'elle gaspillait pour la réclame aurait dû être envoyé au Guatemala pour la réussite de l’entreprise. Il en fallait bien peu pour ouvrir la route de Santo-Thomas an Motagua, qui devait faire du port occupé par les Belges, l'un des plus importants de l'Amérique centrale. Mais ce peu, elle ne pouvait te donner. Peut-être parce qu'il s'agissait de la réalisation d'un beau projet !

La Compagnie savait aussi que, de ces fournées de colons qu'elle expédiait par-delà l'océan, beaucoup n'en devaient plus revenir. On (page 697) frémit à la pensée qu'en quelques mois elle a envoyé de gaieté de cœur un demi-millier d’hommes dans la forêt vierge, alors qu'il avait aucun abri pour les recevoir.

Si ces malheureux ont dû maudire les grands noms qui leur avaient inspiré confiance, nous devons, à notre tour, flétrir cette action criminelle des fondateurs de la Compagnie, qui n'ont pas craint, pour satisfaire leur cupidité, d'enrayer l'exécution d'une œuvre qui devait profiter au commerce belge.