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Rapport officiel hollandais sur les événements de la Belgique en août et septembre 1830

Rapport officiel hollandais sur les événements de la Belgique en août et septembre 1830 (décembre 1830)

(Paru à Bruxelles en 1831 chez H. Tarlier, dans Auguste DE WARGNY, « Supplément aux esquisses historiques de la révolution belge de la Belgique en 1830»)

Préambule de A. de Wargny

C'est surtout en terminant l'historique de la première période de la révolution de la Belgique en 1830 , que nous voulons y ajouter une dernière preuve de ce désir invariable de nous montrer en tous points désintéressés et impartiaux.

Dominés par cette pensée , nous insérons ici la traduction du rapport officiel hollandais sur les événements de Bruxelles en août et septembre 1830.

Cette pièce, rédigée par ordre exprès du gouvernement qui siège à La Haye, était depuis longtemps attendue avec une impatience d'autant plus vive, qu'elle est très rare et peu connue, même en Hollande, où les journaux l’ont tronquée, défigurée, et n’en ont donné que (page 276) des fragments informes, copiés et même traduits très inexactement sur l’original en langue hollandaise.

L’exemplaire qui nous est parvenu est officiel quoique non signé ; il porte tous les caractères et le cachet évident de l’authenticité ; le style même, que nous avons cru reconnaître, en trahit le ou les auteurs ; le mot ik s’y est glissé plusieurs fois sans doute par inadvertance !

Au moment de livrer à l’impression nous avons été retenus par une considération majeure.

Ce rapport, destiné à justifier les œuvres hollandaises de 1830, est conçu dans un esprit hostile contre les Belges et surtout contre les Bruxellois. Passe ! mais il fourmille, presque à chaque phrase, d’erreurs de faits et de faussetés de raisonnements.

Nous avions la main à la plume pour l’enrichir de notes.

La réflexion nous a arrêtés tout court.

Il aurait fallu des notes aussi étendues que l’ouvrage même, surtout pour suppléer aux réticences et aux lacunes, et elles n’auraient été d’ailleurs que la répétition de nos Esquisses.

(page 277) Nous nous sommes donc déterminés à insérer ce rapport textuellement, sans y changer, commenter, ni annoter une syllabe, en prévenant seulement que notre traduction étant libre, elle sera peu exacte quant aux termes, mais très précise quant au sens.

Les notes rectificatives des erreurs, des faussetés, etc., sont donc uniquement nos Esquisses historiques qui précèdent ; nous n'avons rien à y ajouter ; c'est au lecteur à comparer et à juger.

Nous avons vu avec peine avancer, dans ce rapport ou mémoire, des faits qui seuls suffiraient pour décréditer le narrateur le plus digne de foi, tels que les 6000 Belges tués au Parc, etc., et nous y avons lu avec non moins de regret des raisonnements qui tendent à prouver que c'est par humanité, et pour notre bien qu'on a attaqué Bruxelles de vive force en septembre ! Le ridicule seul joint au sourire de la pitié en fera bonne justice, nous le savons ; cependant nous eussions désiré n'avoir pas ces motifs supplémentaires de défiance contre une pièce officielle, émanée de si haut et qui ne doit peut-être pas être indigne de foi sous tous les rapports.

Au surplus, elle contient des aveux précieux dont nous prenons acte, et confirme plusieurs des opinions par (page 278) nous émises dans le cours de notre récit, entre autres celle qui a trouvé le plus de contradicteurs ; le motu proprio du prince Frédéric dans l'attaque de Bruxelles.

Remarquons en outre qu'elle est évidemment destinée à n'être lue que par des Hollandais et qu'elle n'est que la première partie d'un manifeste général, justificatif des hauts faits néerlandais depuis le mois d'août 1830, et que nous ferons peut-être connaître un jour en entier, mais seulement au fur et à mesure ; sa date est décembre 1830.

Rapport officiel hollandais sur les événements de la Belgique en août et septembre 1830

(Traduction libre de la langue hollandaise)

(page 279) Le but du récit qu'on va lire est surtout de prouver que le roi des Pays-Bas, avant d'employer la force pour arrêter les progrès de la révolution bruxelloise, a épuisé tous les moyens de conciliation possibles et tous les ménagements humains, et que ce ne fut que lorsqu'il devint avéré qu'ils seraient toujours sans résultat, qu'il se détermina, presque malgré lui, à tenter les voies de rigueur, uniquement encore contre les excès de la révolte, et dans l'espoir de protéger les bons et les faibles contre les vengeances et les factions, bien plus que dans l'intérêt de son autorité violée et méconnue.

Sans autre préambule, nous entrons en matière.

Immédiatement après l'insurrection bruxelloise du 25 août, il se forma dans cette ville une garde bourgeoise, sous prétexte de veiller au rétablissement et au maintien de l'ordre et de la tranquillité publique. On fut malheureusement dupe de cette imposture, et cette garde qui se trouva (page 280) tout-à-coup armée avec les fusils enlevés et pillés dans les dépôts du roi, empêcha que la garnison n'étouffât par la force la rébellion dans sa naissance. Les troupes durent alors se concentrer près des palais de la famille royale et se borner à en assurer la défense et la conservation, tandis qu'une députation de Bruxelles se rendait à La Haye auprès du roi qui, de son propre mouvement et à la première nouvelle d'une révolte, accompagnée, dès son début, par l'incendie et le pillage, s'était empressé d'envoyer ses deux fils sur les lieux, dans l'espoir que leur seule présence suffirait pour opérer le rétablissement de l'ordre. Ce n'était que pour prévoir tous les cas et pour prévenir, s'il était possible, les progrès de ces crimes, qu'il les avait fait suivre par quelques troupes transportées à la hâte de Rotterdam à Anvers par des bateaux à vapeur.

Les princes arrivèrent à Vilvorde, village à deux petites lieues de Bruxelles, dès le 30 août ; ils avaient trouvé toutes les populations sur leur passage, et surtout la ville d'Anvers et les classes supérieures de cette importante cité de commerce, animées du meilleur esprit et du plus vif désir de maintenir l'ordre légal établi, en contribuant à comprimer la révolte de Bruxelles comme elles venaient de déjouer, sans le secours des troupes, les tentatives que la populace y avait faites récemment pour troubler la tranquillité publique.

Les princes reçurent à Vilvorde des députations composées de tout ce qu'il y avait de plus distingué dans Bruxelles, et le prince d'Orange condescendit à leurs vœux en se rendant lui-même seul dans cette ville le 1er septembre.

Cette grande preuve de confiance, devait, disait-on, désarmer la révolte ; c'était un leurre ; les plus grands dangers accompagnèrent cet acte de dévouement du prince d'Orange.

Les députations lui avaient promis de faire disparaître (page 281) pour son entrée les couleurs de la sédition ; mais l'exécution de cet engagement se trouva impossible au moment décisif ; le prince persista toutefois ; on lui manquait de parole, il tint la sienne.

Mais on reconnut bientôt que le peuple était dirigé par des agents secrets qui avaient bien plus d'empire sur lui que les membres des commissions ou députations qui s'étaient mis à la tête de cette espèce d'opposition armée, dans l'espoir de prévenir l'anarchie et ses excès.

Ce fut par le plus grand des hasards, et comme par une sorte de miracle, que la vie ou du moins que la liberté du prince furent respectées dans cette circonstance. La garde bourgeoise le sauva ; les troupes de la garnison entourèrent son palais, toutes les précautions possibles furent prises pour garantir sa sûreté personnelle ; mais la bonté de son âme, cette confiance qui lui est si naturelle, sa répugnance à croire à la trahison le portèrent à s'exposer encore beaucoup pendant son séjour à Bruxelles. On le vit se promener seul dans les rues et au Parc.

Le 3 septembre, S. A. R. se décida à quitter cette ville pour transmettre par elle-même au pied du trône le vœu suivant qui lui fut exprimé par la réunion de tout ce que Bruxelles renfermait alors de plus honorable, soit par la naissance, soit par les talents, et qui consistait à demander la séparation de la Belgique d'avec la Hollande sous la dynastie des Nassau. Le prince emmena avec lui, en partant, toutes les troupes qui étaient restées jusqu'alors en ville, au nombre d'environ 1600 hommes, pour ôter tout prétexte à de nouveaux excès de la part du peuple. Déjà, dès les premiers jours des troubles, le général comte de Bylandt, commandant militaire de Bruxelles, avait fait rétrograder les renforts qui lui arrivaient d'Anvers et qui n'étaient plus qu'à un quart de lieue de distance ; c'était une conséquence des (page 282) engagements qu'il avait contractés avec la bourgeoisie et qu'il observa religieusement.

Pendant la nuit qui précéda le départ du prince, une émeute avait éclaté à Louvain ; la populace s'était portée en tumulte à la caserne occupée alors par le faible cadre d'un bataillon de milice, dans l'intention de piller le dépôt d'armes qui s'y trouvait. Le commandant résista, mais ce ne fut qu'a la dernière extrémité et lorsque les assaillants avaient déjà enfoncé les portes de la caserne qu'il eut recours à la force pour les repousser. Un seul peloton fit feu, mais sans succès, et la multitude réussit à envahir le bâtiment sur plusieurs points ; alors la troupe trop faible dut l'évacuer ainsi que la ville.

Aussitôt que le prince Frédéric apprit cet événement, il envoya de Vilvorde à Louvain une forte division sous les ordres du général Trip, pour faire rentrer la ville dans le devoir. Le général avait déjà sommé la ville, et se disposait à en forcer l'entrée si elle lui était refusée ; quelques hommes du peuple ivres étaient venus tirailler contre son avant-garde, pendant la négociation, et avaient été dispersés, enfin rien ne pouvait plus lui résister, quand il reçut tout-à-coup l'ordre de revenir. Le prince Frédéric, cédant aux sollicitations de son frère qui, à son passage, l'avait conjuré de retarder, autant que possible, le commencement des hostilités et de la guerre civile, au moins pendant les délibérations qui allaient s'ouvrir sur le vœu dont il se rendait l'interprète et dont l'issue, d'après ses espérances, calmerait les esprits, le prince Frédéric, disons-nous, prit cette mesure dictée par la modération et l'humanité, quoique peut-être contraire à la politique. Car ce ménagement envers Louvain fut représenté par les rebelles comme un succès, dans l'unique but de compromettre et d'enhardir le parti de plus en plus! Telles sont toujours la tactique (page 283) et la crédulité qui président aux révolutions populaires ! Un orateur distingué de la chambre des communes d'Angleterre, sans doute mal instruit de la marche des événements en Belgique, a dit que : le roi des Pays-Bas avait envoyé son fils égorger ses sujets belges, tandis que les chambres assemblées en examinaient les vœux. Ce qui précède prouve déjà combien est injuste l'accusation de violence dirigée contre le gouvernement des Pays-Bas ; le récit qui va suivre de l'attaque de Bruxelles confirmera de plus en plus que ce gouvernement toujours paternel et indulgent n'a jamais démenti, dans tout le cours des événements malheureux qui ravagent ce beau royaume, cette antique réputation de modération et de longanimité, acquise par les Nassau, dont le roi avait donné de nouvelles preuves, dès leur principe, et qu'il a épuisé tous les moyens de conciliation qu'il a cru propres à prévenir l'extension de cette funeste révolte et la cruelle calamité de la guerre civile.

La révolution de Bruxelles devait offrir en tous points la parodie de celle de Paris ; dès ses premiers jours, on y avait pratiqué de nombreuses barricades et l'on avait annoncé le projet de recourir aux mêmes moyens de destruction contre la force armée si elle était employée.

L'exemple de la défaite de 18,000 hommes de troupes, l'élite de l'armée française, qui avaient succombé entre des barricades et des feux croisés dirigés contre eux des lieux hors d'atteinte, était trop frappant et trop récent pour que l'on pût songer à s'exposer à un désastre semblable ; d'ailleurs depuis la défense de Sarragosse, celle de Buenos-Ayres, et d'après toutes les règles de l'art, l'entreprise de se rendre maître de vive force d'une ville même ouverte, défendue de cette manière par ses habitants, est considérée comme inexécutable. Aussi la pensée de la tenter à Bruxelles n'en serait-elle jamais venue au prince Frédéric et jamais il ne (page 284) se serait aventuré à en forcer l'entrée s'il n'y avait été porté et presque contraint par les vœux des habitants eux-mêmes : le fait seul de l'attaque de Bruxelles est la démonstration la plus évidente et sans réplique qu'on y avait appelé le prince et son armée.

En supposant même le contraire, il y avait sans doute d'autres moyens de soumettre une ville rebelle ; on pouvait la cerner, lui couper toutes ses communications et la réduire ainsi par la famine, ou même par la seule inquiétude qu'une population nombreuse éprouve bientôt pour ses subsistances ; on pouvait au pis-aller, après l'avoir cernée de près, établir des batteries de gros calibre sur les hauteurs voisines qui la dominent et y mettre le feu! Mais ce second moyen n'a jamais été accueilli un moment dans l'esprit d'un roi qui porte aussi profondément dans son cœur l'amour de ses sujets ; le premier, moins violent, était considéré comme le plus propre à ramener l'ordre légal à Bruxelles ; mais comme la question de la séparation désirée par les Belges était alors soumise aux chambres, que l'on croyait encore à la possibilité de prévenir la guerre civile et de calmer la sédition au moyen de transactions et de délibérations sur le vœu qui n'en était que le prétexte et qu'on était décidé cependant à écouter, ce premier moyen était encore ajourné, car le roi des Pays-Bas qu'on ne peut, sans démence, taxer de dispositions sanguinaires, s'est toujours refusé à consentir à l'emploi de la force.

En attendant l'armée renforcée restait tranquille dans ses cantonnements entre Anvers et Bruxelles ; on se flattait encore que cette attitude passive finirait par calmer l'irritation des esprits, que la réflexion et l'absence de toute (page 285) provocation désarmeraient la révolte ; qu'elle s'userait de guerre lasse et que le peuple ne tarderait pas enfin à éprouver le besoin de reprendre ses occupations. Il en eût été ainsi s'il se fût agi d'une révolte accidentelle, mais celle-ci était l'ouvrage d'un parti qui s'y préparait depuis longtemps et qui, loin d'être disposé à ralentir ses efforts, les redoublait sans cesse ; dans tous les ménagements il ne voyait que de l'impunité et rien de plus ! L'avenir fera connaître où il puisait les ressources dont il disposait ; elles doivent être un sujet particulier d'attention ; les fonds nécessaires pour entretenir l'oisiveté et l'exaltation du peuple étaient prodigués avec habileté ; des armes confectionnées avec soin et en grand nombre, entre autres, des carabines rayées à longue portée, lui étaient distribuées ; des renforts d'hommes étaient dirigés sur Bruxelles, soit de la France, soit de la part des populations surabondantes des villes et des campagnes ; tout était réuni et combiné de manière à accroître sans cesse les outrages et l'audace de quelques jeunes gens qui d'abord s'étaient mis à la tête du mouvement par enthousiasme pour le mot de liberté, et qui, bientôt enivrés par les premiers succès de leur rebelion, ou poussés par l'exemple et l'instigation des Français, ne connurent ni bornes, ni frein, de manière que tous les soins du roi pour empêcher l'effusion du sang ne servirent malheureusement qu'à en faire couler davantage.

Cependant les choses en vinrent au point à La Haye, que les députés belges aux États-Généraux, ceux-là mêmes qui avaient toujours compté dans l'opposition la plus prononcée (Note de bas de page du traduction : L'original contient ici les initiales des noms les plus honorables et les plus faciles à reconnaître ; cette allégation gratuite dénuée même d'une indication de preuve est donc encore une calomnie.-, insistèrent plus que jamais auprès du roi pour qu'il (page 286) eût recours, sans plus de délai, à l'emploi de la force ; ils allèrent à cet effet le trouver en audiences particulières, ensemble ou séparément, le 17, 18, 19 et 20 septembre ; ils ajoutaient qu'ils réclamaient cette unique ressource de la force, non seulement comme nécessaire désormais à la garantie des propriétés, mais même qu'ils ne pouvaient plus se considérer comme libres de voter avec indépendance, ni même de rester à La Haye, tandis qu'une partie des provinces méridionales se trouvaient livrées à la licence et à l'anarchie et que leurs familles et leur fortune se trouvaient compromises, etc.

Le roi refusa encore (et l'on affirme et garantit ceci comme officiel), mais, après s'être opposé jusqu'alors à l'idée de faire intervenir la force, il dut céder en un point à la nécessité et se borna à promettre d'autoriser son fils à agir selon les circonstances et à procéder au besoin de vive force à l'occupation de Bruxelles ; il tint parole et donna carte blanche au prince Frédéric , et en cela il déféra aussi aux instances non moins nombreuses qui lui parvenaient à chaque instant de la part des principaux habitants de cette ville, qui le suppliaient d'accourir à leur secours et d'y faire rétablir le bon ordre, sollicitations qui devinrent en même temps tellement pressantes et réitérées auprès du prince Frédéric à Anvers et auprès des commandants des troupes à Malines et à Vilvorde, que le prince ne put plus s'y refuser, car on pouvait compter les signatures des lettres, non par centaines, mais par milliers ; il s'agissait de se rendre à Bruxelles avec un corps de troupes afin d'y prévenir l'anarchie qui menaçait d'y prendre le dessus d'un moment à l'autre, et de s'y rendre sans perdre (page 287) le temps, afin d'y donner la main à la garde bourgeoise qui devait en livrer l'entrée au prince et s'associer à ses troupes (termes textuels des lettres écrites au prince).

En conséquence l'ordre fut donné de concentrer les troupes dans un rayon plus rapproché de Bruxelles, à Vilvorde, sur la Woluwe, et sur les chaussées de Dieghem et de Louvain ; le quartier-général devait partir d'Anvers le 21 septembre ; mais il était trop tard!

Dans la nuit du 19 des compagnies franches et la populace ayant à leur tête des Français et des Liégeois firent une première tentative pour désarmer la garde bourgeoise ; elles échouèrent et furent repoussées avec perte de la Place Royale ; mais le 20 la garde bourgeoise s'étant trop disséminée en fortes patrouilles pour achever de dissiper les attroupements, celles-ci furent assaillies et désarmées isolément dans les rues de la ville basse, de sorte que cette garde étant ainsi fortement réduite, la populace se trouva devenue maîtresse absolue de Bruxelles.

Les demandes de secours n'en devinrent que plus pressantes au quartier-général ; les bourgeois ne pouvaient plus offrir une coopération aussi efficace ; cependant ils firent assurer le prince Frédéric qu'ils étaient encore environ 600 qui n'avaient pas été désarmés et qu'ils se réuniraient à la Place Royale ou au palais du roi pour se joindre à ses troupes et leur faciliter l'occupation de toute la ville.

Ce désarmement, outre qu'il enleva les armes à un corps établi comme garantie de l'ordre, les fit passer entre les mains de la multitude qui put reprendre aussi celles que, pendant les dernières semaines, la garde bourgeoise lui avait enlevées et qui se trouvaient à l'Hôtel-de-Ville.

(page 288) Exaltées par le succès de cette violence, des troupes de jeunes volontaires sortirent le 21, dans les deux directions de la porte de Flandre et de celle de Schaerbeek, pour en venir aux mains avec celles du roi. Sur la première de ces routes elles attaquèrent nos avant-postes près de Zellick Capelle ; on y tirailla plusieurs heures, après quoi les rebelles se retirèrent avec quelque perte. Vers Dieghem un escadron de dragons qui devait aller cantonner à Ever, le trouva occupé par des bandes qui le reçurent à coups de fusil ; il se dirigeait toujours vers le centre de ce village, sans suspecter les hommes couverts de blouses et en apparence sans armes qui se trouvaient à son entrée, et leurs premiers coups tuèrent le major et un capitaine de cet escadron qui marchaient en tête sans défiance et au petit pas. Nos dragons vengèrent cette perfidie, mais ceci prouve clairement que les premières hostilités ont été commises par les insurgés qui ont ainsi commencé la guerre civile, et ce qu'il y a surtout de remarquable, c'est que, dans ces deux directions, c'étaient des Liégeois, des étrangers et surtout des Français qui dirigèrent les premiers coups.

Le lendemain 22, ce combat de tirailleurs se renouvela au village d'Ever ; mais l'apparition de quelques pièces d'artillerie légère et de quelques escadrons de lanciers imposa aux insurgés, qui se retirèrent.

Le prince Frédéric était arrivé le 21 à Malines et le 22 à Vilvorde ; l'intention du roi n'était pas qu'il commandât l'attaque de Bruxelles ; il se refusait à l'idée, s'il y avait de la résistance à surmonter, que ce fût son fils qui dirigeât l'emploi direct de la force. En conséquence le commandement en chef fut confié au lieutenant-général Trip, mais le prince ne pouvait rester éloigné, ni des troupes dont il avait le commandement supérieur, ni d'un théâtre de combat dont il avait tant à cœur de préserver Bruxelles ; il suivit donc de près le mouvement des troupes le 23.

(page 289) Elles marchaient en trois colonnes ; la plus considérable devait se porter sur la porte de Schaerbeek par la chaussée de Dieghem, sous les ordres des généraux de Bylandt et Schuurman ; la seconde sous les ordres des généraux Post et Borel, sur la porte de Louvain, et la troisième commandée par le général Favauge devait couvrir le pont de Vilvorde, occuper celui de Laeken, s'il n'était pas détruit, et se porter sur la porte Guillaume, en opérant de ce côté plutôt une diversion qu'une attaque réelle ; enfin le détachement qui occupait la route de Flandre devait se porter en avant, occuper le faubourg de Molenbeek et la porte de Flandre, et opérer ainsi une seconde diversion qui devait appeler l'attention d'une partie des défenseurs de Bruxelles dans une direction tout opposée aux véritables points d'attaque qui étaient les portes de Schaerbeek et de Louvain. Le général en chef Trip prit lui-même le commandement de la cavalerie qui devait attaquer la porte de Louvain.

Les autres détails des dispositions qu'on fit prendre portaient du reste sur les moyens à employer pour surmonter la résistance qui pourrait être opposée à l'entrée des troupes aux portes de Schaerbeek et de Louvain ; les divisions devaient ensuite pénétrer jusqu'au Parc, aux palais et à la Place-Royale, occuper ainsi la partie supérieure de la ville et y offrir un point de ralliement à la bourgeoisie, pour procéder ensuite de concert au rétablissement de l'ordre légal comme elle l'avait promis.

Mais depuis le désarmement de la garde bourgeoise opéré dès le 20, comme on l'a vu ci-dessus, le désordre était allé en croissant dans la malheureuse Bruxelles ! le 20, l'Hôtel-de-Ville avait été envahi par la populace, toute espèce d'autorité avait été renversée, même la commission de sûreté publique nommée par suite de la révolution ; plusieurs de ses membres, qui font aujourd'hui partie du (page 290 gouvernement provisoire, avaient lâchement quitté leur poste et se trouvaient déjà sur la route de France ; la populace accusait à grands cris les bourgeois d'avoir voulu livrer la ville au prince Frédéric, et menaçait de punir leur trahison par le pillage et par la mort ; la pensée subite d'aller au-devant des troupes, pour les combattre le 21 et le 22, fit un moment diversion à cette fureur, et même l'attaque du 23, quoiqu'elle n'ait pas eu pour suite l'occupation entière de la ville, fut néanmoins un bienfait par cela même qu'elle mit les bandes des Liégeois, des gens sans aveu et des prolétaires, qui étaient décidés d'avance à piller ce jour-là même, dans la nécessité de se défendre.

Le prince Frédéric avait annoncé l'entrée des troupes du roi à Bruxelles, dans une proclamation datée du 21, portant que la nécessité impérieuse du rétablissement de l'ordre et de la sécurité publique exigeait seule cette mesure, qui ne préjugeait en rien les importantes questions politiques qui s'agitaient au même instant aux États-Généraux. Cette proclamation, où la bienveillance s'alliait à la fermeté et qui n'était dirigée que contre les fauteurs des violences et des pillages, fut envoyée avec profusion à Bruxelles le 21 et le 22 ; mais elle y fut interceptée et resta inconnue à la plupart des citoyens, et ceux qui parvinrent à s'en emparer et à la soustraire aux regards du public, osèrent plus tard imputer au prince Frédéric le crime d'avoir attaqué Bruxelles sans sommation préalable ! On lui prêta aussi un langage qu'il n'avait pas tenu, et pour le rendre odieux, on fit même circuler de fausses proclamations substituées à la sienne.

Lorsque le 23 de grand matin les troupes marchèrent sur Bruxelles, elles en trouvèrent les approches, presque partout très susceptibles d'une défense avantageuse et opiniâtre, totalement désertes et abandonnées. Cette (page 291) circonstance et le bruit complètement répandu parmi les campagnards que les Liégeois et les bandits (ainsi s'exprimaient les habitants des villages) étaient en fuite, fit naître l'espoir que le parti modéré avait pris le dessus à Bruxelles et qu'on y avait renoncé à l'idée fatale de résister aux troupes du roi ; mais lorsque le lieutenant-général Constant de Rebecque, accompagné de plusieurs autres officiers d'état-major et précédant les éclaireurs de l'avant-garde à une assez grande distance, déboucha, sans troupes, en face de la porte de Schaerbeek, espérant de prévenir, par sa prẻsence et son intervention, tout ce qui pourrait avoir même l'ombre d'un prétexte d'hostilités inutiles, la scène changea ; la grille de la porte se trouva couverte par une coupure profonde et par un parapet, et bientôt des coups de fusil, tirés de cette coupure et des environs sur ces officiers parlementaires et pacificateurs, donnèrent le signal du combat.

Il était à peu près huit heures du matin quand il s'engagea à cette porte et à celle de Louvain ; la résistance qu'on opposa sur ces deux points fut bientôt surmontée et vaincue, et quelques coups de canon tirés des pièces établies en face de l'entrée de la porte de Schaerbeek mirent en fuite ses défenseurs. Le brave capitaine des grenadiers Hardi, de Bruxelles, fit débarrasser le passage, combler le fossé qui le couvrait, arracher les chevaux de frise et ouvrir la grille. L'occupation de ces deux portes fut bientôt suivie de celle d'une grande étendue de boulevards ; une pièce de canon qui y était placée pour flanquer l'entrée de la ville par celle de Louvain, fut prise par les lanciers du colonel Posson, également belge, qui, ainsi qu'une foule de ses compatriotes, se distingua dans ces malheureux combats ; nous citerons ici parmi eux les colonels ou commandants Serraris et Mathon, des bataillons de grenadiers.

Les troupes s'étant établies aux boulevards et ayant pris (page 292) poste aux deux portes de la ville, la rue Royale fut d'abord occupée par un bataillon d'infanterie ; immédiatement après les deux bataillons de grenadiers furent dirigés tout le long de cette rue spacieuse, pour atteindre le Parc ; leur marche fut assurée par l'occupation de la rue de Schaerbeek qui fut nettoyée d'ennemis et qui a des communications. latérales avec la rue Royale.

Au même instant les troupes du général Post gagnaient la rue Ducale en longeant les boulevards, s'emparaient des Palais, et prenaient poste à la porte de Namur ; le combat s'engageait à la fois sur tous les points de l'espace intermédiaire, entre le marché aux chevaux (place d'Orange) et la rue de Louvain et dans toutes les rues qui aboutissent à ces deux positions.

On a avancé qu'il y avait peu de monde pour s'opposer aux progrès des troupes ; on en a imposé ; aux alentours de la porte de Schaerbeek seulement, il y avait des Liégeois qui occupaient en outre l'Observatoire, le corps franc de Rodenbach et un fort détachement de volontaires de la 6me section ; on trouva dans plusieurs maisons jusqu'à 10 individus armés ; le feu des croisées était partout très nourri et entretenu par d'adroits tireurs qui avaient des aides pour charger leurs armes.

Les insurgés avaient adopté pour se défendre le genre de guerre des Parisiens aux journées de juillet. Ils se tenaient dans les maisons, couverts et hors d'atteinte, tiraient par les fenêtres et du haut des greniers et, afin d'éviter tout danger, ils se retiraient dans le fond des appartements de manière à ce que la fumée de leurs feux ne fût pas même aperçue, ou bien ils répandaient la mort parmi les soldats, en se cachant sous les toits dont ils ne soulevaient qu'une seule tuile qui, retombant au moment même, recouvrait le lieu d'où le coup était parti et le dérobait à tous (page 293) les regards! On a justement admiré le patriotisme des Espagnols qui sacrifièrent leurs propriétés à la défense de leur patrie et qui employaient tous les moyens contre l'ennemi commun ; mais cette manière de combattre est lâche et barbare de la part d'ennemis qui se dérobent ainsi aux coups de leurs adversaires et disposent, dans ce but, des propriétés d'autrui sur qui ils attirent ainsi la vengeance, la ruine, la dévastation et la mort.

Ces prétendus défenseurs de la Belgique qui avaient établi dans Bruxelles leur règne et leur puissance, par la force et la terreur, combattaient maintenant les soldats qui ne venaient que pour défendre et protéger les bons citoyens, en s'emparant par violence et malgré eux, des habitations de ces derniers et se riaient de leur effroi quand ils les voyaient forcés de se cacher ou de s'éloigner en maudissant leurs soidisant libérateurs !

La perte des troupes des Pays-Bas fut considérable pendant les premières heures du combat ; elles furent à la fin obligées, pour y mettre fin, de pénétrer dans l'intérieur des maisons pour en arracher les insurgés qui s'y tenaient blottis ; des portes et des murs furent enfoncés et il s'y engagea des luttes sanglantes ; l'ennemi atteint dans son repaire y était égorgé, mais, avant d'y parvenir, le soldat trouvait souvent la mort sur les escaliers ou au travers des portes et, dans sa fureur portée au comble, la troupe faisait main basse sur tout ce qui se trouvait dans ces habitations, confondant souvent l'innocent avec le coupable, en le prenant pour son complice! Mais c'était la conséquence sanglante et infaillible de la manière de combattre adoptée par les insurgés ! Telle est même la loi de la guerre, et la responsabilité doit en retomber uniquement, non sur ceux qui ont été réduits à ces mesures de violence pour leur défense légitime, mais sur les bandes qui appelaient toutes (page 294) ces horreurs sur la ville de Bruxelles, pourvu toutefois qu'il eût été possible de faire peser cette responsabilité sur des misérables qui n'avaient rien à perdre et qui le prouvaient de reste par la manière violente dont ils disposaient des propriétés d'autrui !

Sur ces entrefaites, la colonne de la porte Guillaume avait occupé le faubourg de Laeken et l'entrée même de la ville, mais celle de la porte de Flandre était tombée dans un piège perfide ; arrivée à cette porte elle y avait trouvé des factionnaires qui déposèrent sur-le-champ les couleurs de l'insurrection et reprirent les N° de la garde bourgeoise. A son approche des gens du peuple s'occupèrent à aplanir les barricades pour faciliter l'entrée des troupes, tandis que d'autres les accueillaient avec des acclamations de joie et des signes de bienvenue ; on apporta des rafraîchissements pour les soldats et l'on fit si bien que le colonel Boekorven, commandant cette colonne, entra en ville trompé par toutes ces fausses démonstrations ; il s'arrêta cependant au bruit du canon qu'il entendait dans la ville haute et qui indiquait assez que l'accueil que l'on faisait aux troupes n'était pas, à beaucoup près, aussi amical, et ce fut fort heureux pour lui! car au même instant toutes les croisées des maisons de la rue où il se trouvait s'ouvrirent, et une grêle de coups de fusil, de pavés, de poutres, d'objets pesants, jointe à des torrents d'eau bouillante et d'eau de chaux, etc., vinrent fondre sur sa colonne, y jeter la confusion et l'obliger à la retraite qui s'opéra jusqu'à la porte de Flandre dont nous restâmes en possession. Deux officiers supérieurs MM. Van Borstel et.... qui étaient à la tête des troupes, dont le premier fut jeté par terre à coups de pavés, et dont le second eut son cheval tué sous lui, tombèrent ainsi entre les mains de la populace. On prétend même que le premier plan des auteurs de cette résistance à l'entrée des troupes était de les laisser (page 295) pénétrer toutes jusqu'au centre de la ville pour les égorger ensuite du haut des maisons et leur couper la retraite par des barricades.

Cependant le combat était opiniâtre dans le haut de la ville ; nos deux pièces d'artillerie légère qui avaient déjoué la défense de la porte de Schaerbeek, conduites par le major d'artillerie C. F. Kramer de Bichin, avaient suivi le mouvement des grenadiers le long de la rue Royale ; emporté par sa valeur, cet officier distingué fit établir ces deux pièces à une trop grande proximité de la forte barricade qui fermait la Place-Royale entre les hôtels de Belle-Vue et de l'Amitié, et à peine y eut-il ouvert son feu, qu'il en essuya lui-même un meurtrier des croisées de ces deux hôtels, de ceux des environs et des balustrades des terrasses attenantes. 18 officiers, sous-officiers ou canonniers étaient auprès de ces deux pièces ; en peu de minutes tous furent frappés et tués. Le major Kramer resta seul avec deux canonniers accourus près de lui, mit lui-même la main à l'œuvre pour le service des pièces, fut atteint sur-le-champ d'une balle à la poitrine et alla rendre, bientôt après, le dernier soupir dans le palais du roi ! Ces deux pièces entourées des cadavres de leurs canonniers, restèrent là toute la journée, personne ne pouvant les approcher ; les grenadiers embusqués les défendaient du Parc, et une mort certaine en interdisait l'approche aux deux partis ; mais le soir lorsque l'obscurité rendait les coups plus incertains, les troupes du roi furent les chercher ; leurs avant-trains qui avaient été un peu éloignés par les chevaux blessés ou mourants, et dont les conducteurs étaient morts, restèrent seuls au pouvoir de l'ennemi ; ce sont les seuls trophées que les insurgés puissent se vanter d'avoir conquis pendant les quatre journées.

Sur tous les points, le combat, engagé contre des gens (page 296) embusqués d'une manière inaccessible, prenait la même tournure. Dans les rues de Namur, Verte et ailleurs, les troupes du roi dispersèrent les rebelles et s'établirent en force. Bientôt après elles firent taire le feu d'une pièce de canon placée sur le boulevard de la porte de Halle ; elle eut bientôt le même sort que celle qui s'était trouvée le matin près de la porte de Louvain, et fut prise par les mêmes lanciers.

Mais il fallut battre en brèche avec du canon plusieurs maisons situées à l'extrémité de la rue de Namur dans lesquelles s'étaient établies des bandes d'insurgés, et lorsque plus tard une colonne, commandée par le major de Nepveu, Belge, tenta de pénétrer jusqu'à la Place-Royale par cette même rue de Namur, après y avoir enlevé ou franchi trois barricades successives, elle fut assaillie au bas et près de l'Athénée par une grêle de coups de fusil et de pavés si forte et si nourrie, qu'il fut impossible de pénétrer plus loin.

Le nombre des bourgeois qu'on avait trouvés au palais du roi, n'était que de 30 à 40 ; ils étaient totalement découragés par la domination que la populace avait consolidée les jours précédents sur la bourgeoisie, et considéraient comme impossible que la garde urbaine et les citoyens de Bruxelles entreprissent de rien faire contre les troupes du roi. La ville, selon eux, était encombrée de gens armés, et la populace vouait à la mort quiconque eût manifesté le désir de laisser entrer les troupes. Ce n'était donc que par force et involontairement que les bourgeois résistaient !

Le jour même de l'attaque, 23 septembre après midi, peu d'heures après l'occupation du haut de Bruxelles, le général en chef Trip fit annoncer au prince Frédéric : qu'on ne pourrait s'emparer du reste de la ville qu'en faisant en quelque sorte successivement le siège de chaque quartier et même de chaque édifice ; qu'il s'ensuivrait donc une (page 297) dévastation générale, des massacres et que, d'après le mode de défense et d'occupation adopté par les révoltés, il faudrait nécessairement sacrifier tous les intérêts et toute la prospérité de la résidence royale pour parvenir à s'en rendre maitre ; que d'ailleurs on ne pouvait plus compter sur la coopération de la bourgeoisie qui était entièrement comprimée et soumise au joug des révolutionnaires, etc.

Aussitôt le prince prit le parti le plus généreux, le plus conforme d'ailleurs aux motifs qui l'avaient guidé ; voyant qu'au lieu de protéger Bruxelles l'expédition entreprise entraînerait sa ruine entière s'il insistait encore, il chargea de suite le chef de son état-major, lieutenant-colonel de Gamoëns, de la mission de se rendre en ville, d'y chercher un chef, ou au moins une autorité révolutionnaire quelconque et de l'engager à venir traiter avec lui. Cette démarche était uniquement dictée par l'intérêt que lui inspirait la ville de Bruxelles et par le désir d'éviter sa dévastation totale.

M. de Gamoëns, muni d'un drapeau blanc, comme parlementaire, et accompagné d'un prisonnier belge fait sur les insurgés, lors de la prise du Parc, prisonnier à qui il avait alors sauvé la vie au péril de la sienne, et qu'il fit mettre en liberté pour lui servir de sauvegarde à son entrée en ville, après avoir fait cesser le feu des troupes royales sur son passage, autant que leur stricte défense le permettait, eut le bonheur de parvenir, sans être atteint, jusqu'au carrefour de l'ancienne place de Louvain, malgré la grêle de balles dirigées contre lui de toutes parts, soit par fureur, soit par ignorance des usages de la guerre. Mais arrivé sur ce point il fut assailli par une populace forcenée ; son signe de parlementaire lui fut arraché ; il fut culbuté de son cheval et eût été massacré, si quelques bourgeois moins frénétiques et, entre autres, un brave monsieur qui ne se fit connaître (page 298) à lui que comme magistrat judiciaire, ne l'eussent couvert de leurs corps et ne l'eussent protégé même au prix de leur sang, pour épargner à leur cause un opprobre de plus.

Entraîné et frappé par des furieux qui ne voulaient pas seulement l'écouter, suivi par une multitude exaspérée, traversant des rues obstruées de barricades et couvertes de gens armés et ivres, poussé sans cesse dans la direction des diverses prisons par les bandes qui se le disputaient, il n'arriva qu'après un trajet de plus de deux heures, à la caserne des pompiers où, arraché à ses assassins par le général Mellinet et autres personnes d'un rang supérieur, il put seulement faire connaître le but de sa mission. Il y courut encore les plus grands dangers, la multitude armée ayant un instant forcé en tumulte l'enceinte de ce quartier pour y suivre sa proie.

Les insurgés ont, depuis lors, allégué que, dès qu'ils avaient connu l'objet de sa démarche, ils y avaient répondu par l'envoi des parlementaires qui, de leur part, avaient cherché de pénétrer jusque près du prince Frédéric, mais que, malgré leur drapeau blanc, les troupes du roi n'avaient cessé de tirer sur eux. En effet un sauf-conduit fut demandé à M. de Gamoëns pour traverser l'armée, et il le délivra ; mais comme ceux qui s'en servirent, au lieu de suivre la route qu'il leur avait indiquée par la porte de Namur, où le combat était alors moins animé, disent s'être présentés dans la direction de la rue Royale où il leur était impossible de faire cesser le feu de leurs gens disséminés dans un grand nombre de maisons, il n'est pas étonnant qu'ils n'aient pu se faire reconnaître. Néanmoins ils ont opposé ce fait à la violation manifeste du caractère de parlementaire dans la personne de celui du prince Frédéric qu'ils retinrent prisonnier de guerre.

Cependant sa mission et sa détention furent bientôt connues en ville et, dans la soirée, un certain nombre de personnes notables de Bruxelles s'assemblèrent à la caserne des (page 299) pompiers ; elles tombèrent d'accord de concourir au vœu manifesté par le prince Frédéric pour faire cesser ce funeste combat ; mais réfléchissant sur l'absence absolue de toute autorité dans Bruxelles et sur l'impossibilité de faire entendre raison au peuple en furie, elles résolurent, avant tout, d'installer une commission provisoire qui traiterait avec le prince et, dans l'intervalle, elles députèrent auprès de S. A. R. l'une d'entre elles chargée d'une lettre de l'officier arrêté, laquelle annonçait ces dispositions. En effet, dans la nuit du 23, une proclamation renouvelée encore, le lendemain, annonça au peuple que, pour faire cesser l'absence de toute autorité à Bruxelles qui en était entièrement dépourvue depuis quatre jours, une commission provisoire prenait les rênes du gouvernement ; elle se composa de MM. d'Hoogvorst, Rogier, et Jolly.

Personne n'avait voulu prendre sur soi la responsabilité de la suppression de la proclamation du Prince Frédéric et de la résistance armée aux troupes du roi, et le but principal de l'installation de cette commission fut de pouvoir répondre aux propositions d'arrangement faites par S. A. R. A cet effet le baron d'Hoogvorst se rendit, pendant la nuit même du 23, au quartier-général du prince et lui déclara qu'il n'y avait de trêve possible qu'au moyen de l'évacuation de la ville ; mais S. A. R. répondit : qu'elle avait occupé la ville dans l'espoir de concourir par-là au rétablissement de l'ordre et de la tranquillité dans toute la cité ; qu'elle ne pouvait l'évacuer que d'après l'ordre du roi, mais qu'ayant surtout à cœur de prévenir, autant que possible, la ruine de Bruxelles et de terminer un combat qui ne pouvait avoir que les suites les plus désastreuses, même pour la partie tranquille de sa population, il n'y étendrait pas davantage le champ de bataille ; que ses troupes resteraient strictement sur la défensive et que la meilleure (page 300) preuve qu'on pût lui donner que les habitants bien pensants maîtrisaient l'anarchie qu'il avait voulu uniquement ou prévenir, ou anéantir, était de faire cesser le combat ; que dès que la garde bourgeoise serait réorganisée et la populace rentrée dans l'ordre, le but principal de l'entrée de son armée dans Bruxelles serait atteint, et qu'alors, si l'on cessait de traiter en ennemies les troupes du roi, malgré les promesses et concessions faites dans sa proclamation, on pourrait traiter et s'entendre sur le service que feraient les soldats conjointement avec la garde bourgeoise, ou aviser à maintenir l'ordre public par tous autres moyens.

Mais la commission du gouvernement aurait eu beau désirer de coopérer franchement au but humain et généreux de S. A. R., qu'elle ne l'aurait pas pu ; à l'instant même où le Prince avait reçu l'annonce d'une députation, il avait fait réitérer à son armée l'ordre de cesser le feu ; le bruit d'une cessation d'hostilités se répandit également en ville ; on vit sur plusieurs points des rapprochements entre les soldats et les bourgeois ; une sorte d'amitié et de confiance commençait à succéder au combat le plus acharné ; des officiers, comme des simples militaires, saluaient leurs connaissances et les appelaient dans leurs rangs ! Mais au même instant arrivaient toujours à point nommé des factieux attentifs à surveiller et à prévenir toute réconciliation et le combat recommençait, tandis que d'autres bourgeois attiraient en traîtres leurs anciens amis dans un piège, en les appelant à eux et que plusieurs officiers des troupes du roi, dans la vue de contribuer au rapprochement désiré, et s'étant trop fiés à ces démonstrations amicales, eurent aussi le malheur d'être perfidement faits prisonniers.

Ainsi, loin de pouvoir parvenir à faire cesser ce funeste combat, le prince voyait que tout était mis en œuvre par le parti de la révolution pour entretenir et augmenter (page 301) l'irritation. Il serait trop long de rapporter tous les incidents qui eurent lieu pendant les trois jours qu'il continua encore. Dès le 24 au matin, il fit rapport au roi son père qu'il occupait la partie supérieure de la ville, qu'on opposait à ses troupes une résistance forcenée et qu'il s'en suivait une affreuse dévastation malgré tous ses efforts pour l'arrêter. L'aller et le retour d'un courrier de Bruxelles à La Haye, joint au temps nécessaire pour une délibération et une décision, exige 48 heures et, pendant tout ce temps, malgré le combat continuel que les troupes avaient à soutenir, les mêmes égards et ménagements ne cessèrent d'être observés envers la ville ; seulement les troupes s'étendirent jusques vers l'église de Saint-Jacques pour assurer la défense du palais du roi.

Durant tout cet intervalle, un grand nombre d'habitants notables et distingués de Bruxelles se rendirent, à diverses reprises, auprès du prince, au milieu du feu, et retournaient en ville pour tenter, et toujours en vain, d'apaiser le peuple ; tous se dévouaient avec joie à seconder ses intentions bienveillantes et pacifiques, après s'être convaincus de ses sentiments humains et généreux et avoir pris connaissance de la proclamation du 21 qu'on leur avait soustraite ; ils bravaient tous les dangers ; des prêtres même voulurent interposer leur ministère de paix pour calmer l'effervescence populaire, et tout était inutile! Mais on s'aperçut bientôt que, dans le nombre de ces visiteurs, il y en avait de suspects qui venaient reconnaître les lieux et la position du quartier-général pour y diriger leur feu, et on se tint sur ses gardes.

On répandit en même temps le bruit dans Bruxelles qu'on avait promis le pillage à la troupe, tandis qu'on eût puni rigoureusement la moindre infraction à la discipline, et que, par trop d'humanité peut être, le prince (page 302) compromettait le succès de son attaque pour épargner une ville qui lui était chère! il avait fait mettre en liberté, par pure clémence, le plus grand nombre des prisonniers qu'on lui avait amenés, et on répétait qu'il les faisait fusiller! Enfin le son lugubre du tocsin appelait sans cesse au secours des insurgés les habitants des campagnes, comme s'il se fût agi de combattre des ennemis implacables, et dès l'approche des troupes, l'alarme avait été répandue parmi tout le pays ! Dans toutes les villes ou bourgs populeux du Hainaut, du Brabant, et des provinces de Namur et de Liége, il avait été organisé des bandes de jeunes gens exaltés, d'anciens militaires, de braconniers exercés à l'usage des armes à feu, de prolétaires qui n'attendaient que le signal du désordre; tous ces détachements d'auxiliaires se dirigèrent sur-le-champ sur Bruxelles et y entrèrent par les portes de Hal, d'Anderlecht et de Ninove qui n'étaient pas au pouvoir des troupes royales, et bientôt la ville en regorgea. C'est cette multitude qui explique la fréquence des attaques qui ne cessèrent d'être dirigées contre les troupes ; chacun de ces renforts était accueilli par les acclamations exaltées du peuple, la boisson lui était prodiguée et chaque arrivée était instantanément suivie d'une tentative contre les soldats du roi, soit aux boulevards des portes de Namur et de Schaerbeek, soit à la rue ou à la Place Royale, soit surtout au Parc où les grenadiers montrèrent, pendant quatre jours, l'attitude la plus courageuse et la plus impassible ! Ces attaques redoublées décuplaient le nombre des victimes du plus déplorable égarement et de la furie implacable du parti révolutionnaire qui les poussait à la mort, car il était évident que les troupes s'étaient enfin établies avec avantage dans toutes les positions favorables que leur offrait l'occupation de toute la partie supérieure de la ville, qu'elles l'avaient fait avec facilité et sans (page 303) obstacles en choisissant les postes les plus convenables et les moins dangereux, tandis que l'impulsion désordonnée et l'ivresse des malheureux qu'on dirigeait contre elles, les exposait sans cesse à des pertes considérables et sans résultat pour les révoltés ; sans doute aussi que nos coups tombaient souvent sur des assaillants Belges à qui un patriotisme égaré et malentendu inspira des actes de dévouement et de valeur dignes d'une cause plus raisonnable et plus juste.

Les attaques réitérées des insurgés pendant la journée du 26, confirmèrent que tous ces malheurs et ces pertes ne rebutaient pas les auteurs de cette déplorable lutte et eussent empêché la retraite des troupes à la clarté du jour; ils poussèrent l'audace jusqu'à percer les murs des caves pour parvenir ainsi à couvert jusqu'au-dessous du palais des États-Généraux, et tentèrent alors de mettre le feu à ce magnifique édifice pour en déloger les troupes qui, combattant au Parc, y trouvaient toujours un abri assuré ; plus tard ils essayèrent de faire la même chose au palais du roi en face ; enfin le prince reconnut que leur fureur n'avait plus de bornes et augmenterait sans fin le nombre des victimes les troupes avaient encore cependant repoussé avec avantage et gloire toutes les attaques dirigées contre elles ce jour-là, principalement au Parc ! Tout était en notre faveur, néanmoins l'évacuation de Bruxelles fut résolue et ordonnée dans la nuit du 26 au 27 ; elle se fit en silence et dans le plus grand ordre, sans être aperçue, ni même soupçonnée par les rebelles qui, le matin du 27, tremblaient encore d'approcher du Parc, quoiqu'il eût alors été évacué depuis plusieurs heures.

Toute l'armée, toujours sous les ordres suprêmes du général Trip, retourna prendre sa position de Dieghem à une petite lieue de Bruxelles, d'où elle était partie le 23 au matin, et y resta deux jours avant de reprendre ses (page 304) cantonnements entre Anvers et Vilvorde. Les journaux de Bruxelles, joignant l'outrage au mensonge, représentèrent la retraite du prince Frédéric comme ignominieuse, et, toujours fidèles à leur système de déception et de calomnie, ajoutèrent qu'il était parti dans une charrette, travesti en meunier ! Lui qui, peu d'heures auparavant, avait eu dans son pouvoir d'anéantir cette malheureuse ville, et l'avait épargnée ! et un peuple entier qui prétendait dès lors se gouverner soi-même croyait à de telles absurdités!

Cependant on ne peut se dissimuler que cette entreprise sur Bruxelles fut très défavorable, dans ses résultats, à la cause du roi des Pays-Bas en Belgique ; son but avait été humain, protecteur ! et il fut décrié comme une tentative violente de rétablir une autorité despotique et d'opprimer la Belgique ! Cependant rien n'est plus officiel ni plus certain, (comme on l'a déjà dit ci-dessus) qu'elle n'avait eu lieu que sur les instances réitérées des membres belges des États Généraux, même de ceux de l'opposition la plus prononcée et des habitants les plus distingués de Bruxelles ! Elle fut d'ailleurs précédée d'une proclamation du prince Frédéric, au nom du roi, qui répétait les assurances les plus formelles à l'égard des concessions et des questions politiques qui s'agitaient depuis le commencement de la révolution, et qui affirmait en outre que l'entrée des troupes en ville, n'était qu'une mesure d'ordre et de protection ! Et l'on n'eut pas de honte de rejeter ensuite sur le prince le plus doux, le plus humain de l'univers, celui qui était le plus constamment occupé des soins d'une bienfaisance pratique et d'une philanthropie active, la responsabilité des torrents de sang que fit couler la résistance la plus criminelle et la plus perfide !

On a donc accusé le prince Frédéric d'avoir voulu incendier, piller et dévaster la ville de Bruxelles! mais la (page 305) première intervention personnelle de ce prince au jour de l'attaque, fut de chercher à en suspendre les coups en chargeant un de ses officiers supérieurs de la mission périlleuse de pénétrer en ville et de chercher tous les moyens humainement possibles pour la cessation d'un combat qui avait pris une tournure tout-à-fait imprévue, et si opposée aux renseignements qu'on lui avait transmis quand on le pressa d'y envoyer des troupes ! Et s'il avait été un seul instant question de soumettre la population entière de Bruxelles par la force, et non de la délivrer simplement des bandes qui y dominaient, on répète encore que rien n'eût été plus facile, soit par un bombardement régulier, soit par un blocus sévère !

Il n'y avait avec les troupes qui marchèrent sur la ville que trois batteries d'artillerie légère, par conséquent ni mortiers pour jeter des bombes, ni attirail à boulets rouges, ni fusées à la Congrève, comme on le répandit dans le pays ! Cependant si on avait voulu faire du mal à Bruxelles, les 8 obusiers qui étaient à la disposition de l'armée royale auraient pu y faire de grands ravages, surtout dans la ville basse, et y jeter plus de 400 obus par heure, tandis qu'en quatre jours il n'en tomba pas un seul ! Il n'y en eût de lancés que sur les lieux mêmes du combat et quelques-uns seulement tombèrent dans le voisinage; un seul incendie éclata ; ce fut celui du Manège par suite du combat acharné qui se livrait tout autour, et si l'artillerie avait voulu propager l'incendie dans la ville, elle aurait eu le temps comme les moyens d'y causer en quatre jours un embrasement général, soit avec ces obusiers, soit en tirant le nécessaire de la citadelle d'Anvers.

Il entre dans les assortiments des caissons de l'armée des Pays-Bas, comme de toutes les autres armées, un petit (page 306) nombre de balles incendiaires ; il y en avait quelques-unes dans les avant-trains qui restèrent abandonnés près de l'hôtel de Belle-Vue ; elles ont été soigneusement portées à l'Hôtel-de-Ville comme preuve de l'intention qu'aurait eue le prince Frédéric de faire brûler Bruxelles ; mais on n'a pas réfléchi que rien n'aurait pu l'empêcher de le faire, s'il l'avait voulu ! D'ailleurs, le nombre et la composition des troupes, surtout en cavalerie, qui furent dirigées sur cette ville, prouvent, de la manière la plus évidente, que le plan du Prince n'était et ne pouvait être que de dompter au besoin par un coup de main, la résistance que quelques bandes d'étrangers et de volontaires pourraient opposer à son entrée, et d'y établir ensuite une garnison capable, de concert avec la garde bourgeoise, d'y maintenir le bon ordre et la sécurité. Son corps d'armée était même bien loin d'être suffisant pour en occuper toutes les approches et encore beaucoup moins pour étendre et soutenir un combat aussi meurtrier dans le nombre infini des rues de cette grande ville. Il a pu être trompé à l'égard des dispositions de ses habitants et des ressources qu'ils avaient pour se joindre à lui ! et les moyens qu'il employa, les dispositions de l'attaque, ses résultats surtout ne prouvent que trop qu'il l'a été et bien cruellement encore ! mais confirment de plus en plus que son seul but était de protéger la ville et que la responsabilité de ce qu'on appelle massacres de Bruxelles, doit retomber entièrement sur les auteurs d'une résistance aussi violente qu'insensée, sur les fauteurs de l'anarchie qui l'a amenée, et sur les misérables qui, en organisant le délire et l'ivresse, ont tant multiplié les victimes de ces malheureuses journées!

Le prince Frédéric disposait d'environ 9,000 hommes pour marcher sur Bruxelles, y compris les colonnes des routes de Flandre et de Laeken ; 7 à 8,000 ont été engagés ; (page 307) la perte qu'ils éprouvèrent eut lieu, surtout le premier jour 23, lors de l'attaque et de l'occupation de la ville haute ; elle fut en tout de 120 à 130 hommes tués, dont 13 officiers, et de 580 à 600 hommes blessés dont 36 officiers et 2 généraux, le lieutenant-général Constant de Rebecque et le général major Schuurman. Il n'y en eut presque pas d'atteints par l'artillerie des insurgés, malgré les exploits presque ridicules à force d'être fabuleux, du prétendu héros populaire, dit la Jambe-de-Bois, que l'on offrit à l'admiration de la populace !

Quant aux révoltés, ils n'ont jamais énuméré leurs pertes ; mais, d'après les renseignements les plus propres à les faire évaluer approximativement, elles se sont élevées, en total, surtout dans les derniers jours où elles s'accroissaient en raison de la fréquence et de l'audace de leurs attaques, à 600 hommes au moins tués et 14 ou 1,500 blessés ; l'un de leurs journaux, avec l'intention évidente de les atténuer les a lui-même fixées à environ 2,000 hommes tués ou blessés (Note du traducteur : Nous renvoyons pour tous ces chiffres et ces évaluations ridicules, aux pages 3 et suiv. du présent supplément et aux six tableaux qui se trouvent à la page 20 et suiv., là sont les rectifications vraies et officielles des mensonges ci-dessus.)

On a accusé les troupes des Pays-Bas des cruautés les plus révoltantes ! Mais que l'on nous dise dans quelle révolution une semblable accusation n'a point été dirigée contre les troupes d'un pouvoir accusé lui-même de persécution et de tyrannie ! Sans doute la fureur du soldat a porté ses fruits ! mais ne l'a-t-on pas provoquée au centuple en le massacrant d'abord à l'abri de repaires inaccessibles? Et ce qui démontre sans réplique que toutes ces odieuses imputations contre les troupes sont d'insignes faussetés, c'est que (page 308) les quartiers occupés par elles, dès le commencement du combat, dans lesquels on ne s'est pas battu, et où les prétendus défenseurs de Bruxelles n'ont pas trouvé moyen de pénétrer, sont restés absolument intacts ; tels sont, par exemple, toute la rue Ducale et tout le développement du boulevard depuis la porte de Schaerbeek jusqu'à celle de Namur, où l'on n'a pas touché un clou, ni proféré une plainte ; plusieurs maisons, à la vérité, ont été dévastées à l'extrémité de la rue Royale près de la porte de Schaerbeek ; mais il n'y a pas eu d'autre moyen d'en expulser les tirailleurs qui y revenaient sans cesse, et la plus considérable de ces maisons, l'une des plus belles habitations de Bruxelles, a été brûlée et rasée à fleur de terre, après le départ des troupes, par la fureur de la plus stupide des populaces qui s'acharnait ainsi contre la propriété d'un des plus chauds partisans de la révolution, sous prétexte qu'il avait été de connivence avec nos troupes!

Ce que l'on a dit d'enfants tués et portés au bout des baïonnettes et d'autres horreurs, avait été dit, mot pour mot, des Autrichiens lorsqu'ils furent contraints d'évacuer Bruxelles sous le général d'Alton en 1789. Ce n'était pas plus vrai alors des Allemands qu'en 1830 des Hollandais Belges! Et l'histoire des demoiselles violées dans un pensionnat, rue Verte, où il n'y avait plus personne dans un moment comme celui-là (comme on peut bien le penser) n'est pas plus réelle que celle que l'on inventa à l'égard de la famille de l'ambassadeur d'Angleterre ; on faisait à dessein courir tous ces bruits parmi le peuple pour lui faire croire que l'Angleterre ne manquerait pas d'épouser sa querelle ; au surplus, les journaux révolutionnaires durent eux-mêmes démentir bientôt ces rumeurs calomnieuses.

Des furieux portèrent, le matin du 23, les cadavres sanglants des premières victimes du combat dans les quartiers (page 309) éloignés les plus populeux et habités par la basse classe du peuple ; cet affreux spectacle exaspérait les groupes ; on s'excitait mutuellement à prendre les armes ; un cri de vengeance retentissait de toutes parts contre le prince Frédéric qui, disait-on, venait traiter ainsi tous les habitants de Bruxelles ! Ce furent sans doute ces mêmes forcenés qui mutilèrent ensuite plusieurs de ces corps morts qui restèrent ainsi exposés en plusieurs lieux pour irriter de plus en plus contre les soldats.

Mais tout cela était sans doute superflu ! Le mécontentement et l'irritation soigneusement excités et nourris depuis longtemps avec la plus perfide adresse, n'avaient que trop disposé d'avance le peuple de Bruxelles et de toute la Belgique à recevoir ces impressions de haine et de fureur ! Dans cette occasion encore, la modération, les ménagements, l'humanité du prince Frédéric, et l'évacuation de Bruxelles étant représentés partout sous les plus fausses couleurs, et comme des triomphes remportés sur une tentative odieuse de rétablir un pouvoir despotique, il n'y a nul doute que toutes ces circonstances n'aient augmenté la division dans l'état et l'aversion des populations les unes pour les autres ; un grand nombre de jeunes gens, mus par un sentiment généreux qui ne leur permettait que de voir le sang de leurs frères répandu et les dangers de leur ville ou de leur pays, ont volé au combat et ont affronté et subi la mort, sans réfléchir au principe, ni aux premières causes de ce déplorable conflit, sans s'apercevoir qu'ils étaient les victimes de l'égarement de l'esprit révolutionnaire, du fanatisme ou d'intrigues étrangères fomentées par une poignée d'obscurs meneurs, sans remarquer seulement même leurs propres chefs, ceux du gouvernement né de leur révolution, avaient quitté la partie, avaient reculé devant la guerre civile, (page 310) s'étaient enfuis enfin, au moment du danger, jusqu'au-delà des frontières, et qu'il n'y avait que des étrangers, savoir : l'espagnol Van Halen et le général français Mellinet qui présidassent à cet affreux déchirement de leur pays !

Dès lors ce triomphe apparent donna beau jeu aux ennemis du gouvernement ; il fut proclamé comme une victoire et on y joignit les outrages les plus sanglants envers un pouvoir qui venait de donner une dernière preuve de sa sollicitude et de sa générosité, en épargnant à un peuple qu'il était appelé à gouverner, tous les maux, tous les malheurs irréparables d'une lutte désastreuse ! Les ennemis d'un roi si bon et si humain s'enhardirent ; ses partisans furent réduits au silence ! On opposa au souvenir de tant de bienfaits les traces de sang dont des insensés et des ingrats avaient provoqué l'effusion ! Cependant il est une dernière remarque à faire ! c'est que les sentiments qui unissent tous les Belges et n'en forment qu'une seule grande famille, sont plus forts que ne pouvaient l'être encore les simples liens qui les attachent à un gouvernement qui ne datait que de 15 ans, et qu'on s'était continuellement efforcé à faire méconnaître et mépriser ; ce sentiment d'union parla plus haut que celui du devoir dans l'esprit des soldats de la milice qui composaient la principale force de l'armée des Pays-Bas, et qui, par leurs affections, appartenaient plus à la nation qu'à l'armée ; car elle était organisée aux Pays-Bas, d'après le principe que l'attachement du peuple devait être la meilleure sauvegarde, le plus sûr soutien de l'autorité ; tous ces braves miliciens belges seraient cependant restés à leur poste, et il fallut qu'ils fussent violemment excités par des officiers parjures qui trahirent leurs serments, pour refuser leur obéissance à l'expiration de la durée ordinaire du terme fixé par leur convocation, savoir : le 30 septembre, jour qui (page 311) suivit de si près les désastres de Bruxelles! Cet événement imprévu désorganisa toutes les garnisons des nombreuses places fortes de la Belgique et les livra au pouvoir anarchique et populaire, avec l'immense matériel qu'elles renfermaient.

(Sans signatures)