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Esquisse de la politique douanière de la Belgique (1830-1844)
LORIDAN W. - 1938

W. LORIDAN, Esquisse de la politique douanière de la Belgique (1830-1844)

(Tiré à part, extrait de la Revue Economique Internationale, novembre 1938)

1. La période 1830-1834

(page 4) La séparation de la Belgique des Pays-Bas eut des répercussions funestes sur la situation économique du nouveau royaume.

On a pu dire que « l’effet de la Révolution fut de jeter un trouble profond dans l’existence économique du pays » (Corr. Vander Maeren et A. Couvreur : Le mouvement économique en matière commerciale. Patria Belgica, 1873-1875, t. II, p. 791). Vers la fin du régime hollandais notre industrie était, en effet, florissante. Elle avait pris un premier élan sous la domination française (Pirenne, Histoire de Belgique, vol. 6. pp. 150-152) qui lui avait ouvert un marché de 40 millions d’habitants et avait écarté, à partir de 1806, par le blocus continental, la concurrence anglaise. Après une période de réadaptation assez pénible (vers 1815), l’industrie et le commerce belges, auxquels s’étaient ouverts le marché hollandais et le marché colonial, reconquirent leur prospérité. L’industrie fut d’ailleurs l’objet de la sollicitude du roi Guillaume (Pirenne op. cit., vol. 6, pp. 333-339). S’il refusa de lui accorder une forte protection douanière et l’exposa à la compétition anglaise, ce qui au début provoqua un vif mécontentement parmi les industriels (Corr. Vander Maeren et A. Couvreur op. cit., p. 786), il la favorisa par des primes et des subsides (Million Merlin), par la création de la Société du Commerce des Pays-Bas et de la Société Générale pour favoriser l’industrie nationale.

La séparation nous prive brusquement d’importants débouchés. La Hollande nous barre ses frontières et celles de ses colonies, nous ne participons plus à la Société du Commerce. La France maintient un tarif prohibitif établi à la suite de représailles en 1823. (page 5) L’Angleterre est encore protectionniste, le Zollverein aussi. De tous côtés notre commerce se heurte donc à des obstacles. Nous n’avons pas de marine marchande. La Hollande nous ferme d’ailleurs l’Escaut interrompant notre commerce maritime (Pirenne op. cit., vol. 7, p. 55). A tout cela s’ajoute l’insécurité de notre situation internationale et la nécessité d’organiser la vie politique et administrative à l’intérieur, l’existence d’un mouvement orangiste, surtout parmi les industriels. Ils « ont en horreur la Révolution qui a mis fin à l’essor économique » (Pirenne op. cit., vol. 7, p. 59). L’Angleterre profitant du régime libéral de 1822, qui fut maintenu en vigueur, nous inonde de ses produits : L’industrie charbonnière est dans la détresse. Le nombre de broches de la filature à coton tombe, à Gand, de 300,000 en 1821 à 125,000 à 1833 (Lewinski, Evolution industrielle de le Belgique, 1911, p. 91). Les usines métallurgiques de Seraing se dépeuplent (L. Dechesne, Histoire économique et sociale de la Belgique, p. 368. Paris, 1932). Seule l’agriculture profite de la période troublée par le renchérissement des denrées alimentaires.

Quelle fut devant cette situation l’attitude du gouvernement en matière de politique douanière et commerciale ? Il était absorbé avant tout par d’importants problèmes d’organisation politique et administrative (Corr. Vander Maeren, op. cit., p. 791). Il se borna en matière douanière à décréter par un arrêté du 5 novembre 1830 (Recueil des décrets du Congrès National op. cit., p. 308) l’application du tarif de 1822 en y apportant quelques modifications et à prendre quelques mesures de circonstances. Le tarif du 26 août 1822, inspiré des principes de la loi du 12 juillet 1821 et qui restera, au point de vue nomenclature du moins, la base du tarif douaner belge jusqu’en 1924, était très modérément protectionniste, surtout pour l’époque. Les droits protecteurs qu’il prévoyait devaient s’élever, en principe, à 6 p. c. ad valorem, les droits (page 7) de son bon vouloir à la France. Le 29 juin 1831, le Congrès national réduisit à fr. 3.30 par 1,000 kg. le droit sur les houilles importées par la frontière française tout en maintenant le droit antérieur aux autres frontières (Recueil des lois op. cit., vol. II, p. 237) La loi du 29 décembre 1831 lève la prohibition d’importer par voie terrestre les eaux de vie, vins et vinaigres (Idem, t. II. pp. 495-497). Cette mesure était très importante pour la France, car les vins de Champagne et de Bourgogne devaient, sous le régime de la prohibition terrestre, effectuer un long et onéreux détour. Toutes ces mesures furent prises sans aucune réciprocité de la part de la France (Varlet, Des rapports commerciaux entre la France et la Belgique. Revue des Deux Mondes, 1843). Les autres dispositions de 1823 dirigées contre ce pays demeurèrent en vigueur.

Dès 1830, le régime du tarif de 1822 suscita des protestations de la part des industriels. Pendant une dizaine d’années cependant, le gouvernement ne suivit aucune ligne de conduite fixe en matière douanière et limita son action à des mesures isolées d’opportunité. Disons dès maintenant que, de 1830 à 1840, le régime resta libéral bien que quelques mesures aggravant le protectionnisme fussent prises surtout à partir de 1834. Voici brièvement mentionnées les principales dispositions d’ordre douanier édictées de 1830 à 1834.

- Le 21 octobre 1830, le gouvernement provisoire édicte, pour assurer l’approvisionnement des habitants, la prohibition de sortie et de transit des grains et farines de toute espèce (Recueil des décrets du Congrès National, op. cit., t. I, p. 140).

- Le 16 novembre suivant, il complète cette mesure en décrétant la libre entrée provisoire pour remédier au renchérissement des denrées (Idem, op, cit., pp. 287-288).

- Un arrêté du 4 février 1831 (Recueil des lois, vol. 2, p. 50) réduit sensiblement les droits d’entrée sur les sucres venant directement des colonies par navires étrangers. Il n’avait pas en vue la protection des consommateurs, mais celle « des intérêts commerciaux en rapport avec les relations maritimes et coloniales ».

- Par un décret du 18 mars 1831, (page 8) le Congrès national majora temporairement les droits d’entrée sur certains fers, notamment sur les fontes de fer en gueuse et sur les fers blancs, En revanche, le droit sur les machines et les mécaniques est réduit (Recueil des lois, t. 2, p. 85). La loi du 30 décembre 1832 déclare ce décret en vigueur jusqu’à révision générale du tarif (Recueil des lois, t. 3, p. 431).

Le gouvernement préféra cependant aider l’industrie par d’autres méthodes.

C’est ainsi qu’un arrêté du 28 décembre 1830 prévoit un subside de 500,000 florins pour « subvenir aux besoins de l’industrie », notamment de l’industrie charbonnière (Recueil des décrets, t. I, p. 381). Mentionnons dans le même ordre d’idées la loi du 5 février 1834, complétée par celle du 7 mars 1837, qui autorise le gouvernement « à accorder remise des droits d’entrée sur les mécaniques et ustensiles : (1) à tous industriels qui transportent en Belgique leur établissement ; (2) à tout Belge ou étranger qui introduira les mécaniques ou ustensiles inconnus en Belgique pour l’établissement d’une industrie nouvelle, ou le perfectionnement d’une industrie déjà connue » (Recueil des lois, t. 3, p. 109) Le gouvernement accorda également des subventions, notamment à l’industrie cotonnière.

Il essaya aussi d’élargir nos débouchés en France. Rogier envoie à cette fin, dès 1833, une mission économique à Paris. Mais le véritable démarreur de l’activité industrielle fut la construction des chemins de fer par l’Etat, l’œuvre de Rogier, décidée par la loi du 1er mars 1834. Les industries, principalement les industries métallurgique et charbonnière sortirent rapidement du marasme entraînant avec elles l’essor des autres branches, Mais les doléances protectionnistes ne prirent pas fin. Les agriculteurs récriminent contre l’insuffisance de la protection en matière de céréales et font front commun avec les protectionnistes industriels. Dès septembre 1833, les députés (page 9) catholiques réclament une protection douanière plus accentuée, Eloy de Burdinne pour l’agriculture, l’abbé de Foere pour la navigation, Rodenbach et Desmet pour l’industrie. Après des discussions assez longues à la Chambre des Représentants, deux lois sont adoptées, le 31 juillet 1834 : l’une institue, en faveur de l’agriculture, l’échelle mobile pour les céréales et l’autre aggrave les droits sur les toiles de lin.

2. L’échelle mobile sur les céréales (1834)

Une loi du 28 mars 1833 avait, rétabli le régime douanier existant pour les céréales au moment de la séparation (Discussion de la Loi des droits différentiels du 21 juillet 1844, Bruxelles, Société Typographique, 844, p. CXI. N. Briavoinne op. cit., vol. 2, p. 30). C’était, en fait, le régime de 1826 qui assurait une protection de 10 p. c. ad valorem environ (N. Briavoinne op. cit., vol. 2, p. 31). Les agriculteurs ne s’en contentèrent pas. Une nouvelle loi, due à l’initiative parlementaire de Eloy de Burdinne, fut votée, malgré la vive opposition du ministère, le 31 juillet 1834. Elle introduisit le système dit de l’échelle mobile. Elle ne s’appliquait qu’au froment et au seigle (Recueil des lois op. cit., t. 5, p. 319). Le prix considéré comme rémunérateur était de 20 francs l’hectolitre. On voulait éviter, en outre, qu’il dépassât 24 francs ou tombât en dessous de 12 francs, ainsi qu’il ressort du tableau des droits ci-dessous (droits d’entrée sur le froment aux 1,000 kilogrammes)

Lorsque le prix de l’hectolitre est

- de 24 francs et au-dessus : droits d’entrée : libre ; droits de sortie : prohibé

- de 20 francs et au-dessus de 15 francs : droits d’entrée : libre ; droits de sortie : 0,25

- de 15 francs et au-dessous de 20 francs : droits d’entrée : 37,50 ; droits de sortie : 0,25

- au-dessus de 12 francs et au-dessous de 15 francs : droits d’entrée : 75,00 ; droits de sortie : 0,25

- de 12 francs et au-dessous : droits d’entrée : prohibé ; droits de sortie : 0,25

(page 10) Les prix qui servaient de base à la détermination du régime douanier étaient publiés toutes les semaines au Bulletin Officiel d’après les mercuriales. Le système belge de l’échelle mobile était relativement simple comparé à celui instauré dans d’autres pays vers la même époque, C’est ainsi qu’en Angleterre, par exemple, on ne prévoyait pas moins de vingt droits différents (Discussion op. cit., p. CXIV). En ce qui concerne le système belge, c’est à peine si l’on peut parler d’un droit progressif sur les grains. Le but poursuivi par les promoteurs était d’empêcher les grandes fluctuations des prix; aujourd’hui on parlerait de stabilisation de la conjoncture du blé. On visait à prévenir tour à tour la baisse qui entraîne la misère de l’agriculture et la hausse qui conduit à l’exploitation du consommateur. On espérait par le système, enrayer la spéculation et ses profits injustifiés. Mais ce qu’on avait avant tout en vue c’était en fait la protection de l’agriculture. La loi de 1834 consacre une aggravation importante des droits d’entrée sur le blé tant que le prix ne dépasse pas 20 fr. l’hectolitre. Elle prévoit même dans certains cas la prohibition d’entrée. C’est contre le caractère protectionniste de la nouvelle législation proposée que les adversaires s’élevèrent et parmi eux le gouvernement (Rogier).

Il est curieux de constater que les arguments qu’ils invoquèrent portaient sur des questions de répartition des richesses et non de production proprement dite. Ils ne disaient pas, conformément à la doctrine classique de l’époque, qu’en favorisant artificiellement la culture des céréales, on détourne les facteurs productifs du pays d’emplois plus économiques (dans lesquels le rendement serait relativement supérieur). Ils faisaient valoir plutôt qu’il n’y avait pas intérêt à faire payer le pain plus cher par le consommateur afin que le propriétaire pût mieux louer ses terres aux dépens du cultivateur. On allait instituer un système qui assurât à la propriété le privilège de vendre ses produits à des prix élevés, bref on favoriserait quelques-uns au (page 11) détriment de tous. On ajoutait que le commerce des céréales serait ruiné et que le marché des grains serait porté en Hollande. Tels étaient les arguments développés dans les discussions parlementaires (Louis Hymans, Histoire Parlementaire de la Belgique, 1831-1880). Il est bien difficile de se rendre compte des conséquences réelles de la loi de 1834, de nombreux autres facteurs intervenant dans la détermination des prix des céréales. Mais il est un fait: le prix élevé du blé sous le régime de cette loi, qui ne resta intégralement en vigueur que jusqu’en 1839. Le cours moyen du blé passe de fr. 13,41 l’hectolitre en 1834, à fr. 14,43 en 1835, à fr. 15,14 en 1836, à fr. 16,36 en 1837, à fr. 20,12 en 1838 et à fr. 23, 01 en 1839 (Exposé de la situation du royaume, 1840-1850). La Commission d’enquête parlementaire sur la situation des industries recueille partout des plaintes contre la cherté des céréales provoquée par l’échelle mobile (M. Zoude Rapport sur la situation des industries en Belgique. Chambre des Représentants, Doc. 227, session 1843-1844).

A Verviers, déclare-t-on « le haut prix des céréales met la population ouvrière dans une gêne extrême ». Les moulins à vapeur qui, à Liége, Gand, Charleroi, Louvain, etc., travaillaient pour l’exportation ne parviennent plus à vendre au dehors à cause des prix élevés des céréales. Les hauts prix profitèrent-ils au moins aux cultivateurs? Pas tant qu’aux spéculateurs et qu’aux propriétaires fonciers. Les rentes haussèrent fortement à partir de 1834 (Ch. Poplimont, La Belgique depuis 1830, Bruxelles, 1848, p. 500). Quant à la spéculation elle trouva sa pâture non seulement dans les fluctuations des cours, mais encore dans les variations des droits sur lesquels elle pouvait agir. Lorsqu’une hausse des blés était envisagée on expédiait des marchandises en entrepôt pour ne les sortir qu’au moment où les prix étaient assez élevés et que les droits devenaient illusoires ou nuls. La spéculation profitait ainsi non seulement de la hausse du cours mais encore de la réduction ou de la suppression du droit. Elle avait double intérêt à provoquer la (page 12) hausse. Mais une fois un cours élevé atteint et la franchise d’entrée proclamée, les blés étrangers n’auraient-ils pas dû affluer pour ramener les prix aux niveaux envisagés? L’expérience a montré qu’il n’en était rien. Lorsque les prix du blé s’étaient maintenus pendant un certain temps à un cours élevé et que la liberté d’entrée était déclarée en conséquence, les importateurs hésitaient à expédier le froment de l’étranger dans l’incertitude où ils étaient qu’au moment de l’arrivée des céréales à la frontière, les droits ne seraient pas de nouveau élevés ou même la prohibition d’entrée établie.

Ainsi que nous l’avons dit, la loi de 1834 ne reçut une application intégrale et exclusive que jusqu’en 1839.

La loi du 3 janvier 1839 admet en franchise les grains et farines de froment et de seigle jusqu’au 15 juillet 1839 et les prohibe à la sortie tant que le prix du froment ne dépasse pas 22 fr. et celui du seigle 13 fr. (Recueil des lois, t. 10, p. 2) . « La nouvelle loi avait été décrétée à cause de la hausse continue du prix des subsistances. » (J. Schaar, L’Economie Politique, dans Cinquante ans de Liberté. 1882, p. 505). Le prix du froment s’éleva, en effet, à la fin de septembre 1832 à fr. 25.58 (Recueil des lois op. cit., t. 10, p. 2).

Pour remédier aux prix élevés des céréales dans le district de Verviers et aussi pour favoriser les intérêts du territoire limbourgeois cédé aux Pays-Bas, des lois successives permirent à diverses reprises de 1839 à 1846 l’importation de certaines quantités de céréales de toute espèce originaires du Limbourg hollandais dans la région de Verviers, au 1/4 des droits en vigueur. Des dispositions analogues furent prises en faveur de la partie détachée du Luxembourg (J. Schaar, op. cit., pp. 527-529. Recueil des lois op. cit., t. IX, p. 166. Loi du 6 juin 1839).

Une loi du 25 novembre 1839 prohiba en outre la sortie des grains et farines de froment et de seigle et des pommes de terre et leur farine jusqu’au 30 novembre 1840 (Recueil des lois, t. 10, p. 100).

Toutes ces mesures furent impuissantes à faire tomber le prix du blé qui atteignit encore fr. 21,60 (moyenne du royaume) la quatrième semaine de juillet 1841. La libre entrée fut en conséquence proclamée le 4 août (Recueil des lois, t. 12, p. 347-348). La franchise fut maintenue jusqu’au 27 janvier 1843.

3. Les droits sur les toiles de lin (1834)

L’augmentation des droits sur les toiles de lin consacrée par une loi du 31 juillet 1834 fut également vivement discutée. L’industrie rurale du lin, très florissante en Flandre au XVIIIe et au début du XIXe siècle, commençait à souffrir de la concurrence anglaise et allemande. Les députés des Flandres crurent trouver son salut dans une augmentation des droits d’entrée. Rogier, alors Ministre de l’intérieur, s’opposa au vote de la loi (Discailles, Charles Rogier). De nombreux députés en étaient également adversaires. Elle passa néanmoins le 31 juillet 1834 décuplant (Voir le tableau des droits avant et après la loi de 1834 dans Discussion etc., pp. CXXVII et CXXX) les droits sur les toiles de lin écrues et teintes (Corr. Vander Maeren, op. cit., p. 792, Briavoinne op. cit., vol. 2, p, 28).

Nous verrons plus loin au sujet de la crise linière quelles furent les conséquences de cette protection douanière. Ducpétiaux l’appela « l’oreiller sur lequel s’endormit l’industrie nationale » (J. Schaar, op. cit., p. 529, N. Briavoinne, op. cit., vol. 2, pp. 34-35)

4. L’aggravation des droits sur le bétail hollandais (1835)

Par un arrêté du 7 novembre 1830, le Gouvernement provisoire avait abaissé de moitié le droit d’entrée existant de 20 florins par tête de bœuf, vache ou taureau. Mais la Hollande (page 14) développant ses ventes sur notre marché, une loi du 31 décembre 1835 releva les droits d’importation sur les bestiaux et les chevaux. Le nouveau tarif ne s’appliquait qu’à la frontière maritime et à la frontière terrestre des provinces de Flandre, d’Anvers et de Limbourg du côté de la Hollande. Le transit par la frontière des Pays-Bas était également interdit (Voir le texte de la loi dans le Recueil des lois et décrets, t. 5, p. 621. Une loi du 11 juillet 1842 étend les mêmes dispositions à la frontière de la province de Liége).

L’aggravation des droits en question avait pour but essentiel de protéger l’agriculture. En effet, d’après le Ministre des Finances (Pour les déclarations à la Chambre et au Sénat voir le résumé des débats dans Louis Hymans, op. cit., vol. I. F., pp. 401-403 et 460-461) on ne consommait pour ainsi dire que du bétail hollandais. Mais la loi avait également un caractère politique. A la Chambre, d’Hoffschmidt déclare admettre le projet « parce que nous sommes en guerre avec les Pays-Bas. » Pirmez, au contraire, le rejette parce qu’il y voit « une loi de haine envers la Hollande. » Rogier le combat, car il est partisan de la liberté commerciale et que si l’on veut suivre une politique « vengeresse » il faut rompre toutes relations avec la Hollande (Louis Hymans, loc. cit.). La tendance protectionniste, représentée par Eloy de Burdinne, Rodenbach, etc., l’emporte et il semble bien que les arguments d’ordre politique n’étaient que des prétextes pour faire adopter le projet. Seul le sénateur Biolley se préoccupe des effets de l’accentuation du protectionnisme sur le consommateur. L’impôt nouveau se traduira par un renchérissement notable du prix de la viande sur pied (Louis Hymans, vol. II, p. 160). La loi de 1835 ne devait cependant pas avoir pour effet de diminuer les importations de bétail hollandais, au contraire. Le droit est inefficace, constate en 1841 un sénateur, car on fait transiter le bétail par la Prusse et il entre en payant un droit minime tout en privant des bénéfices du transit les localités qu’on avait en vue de protéger (Idem, loc. cit.).

5. Les premières négociations franco-belges (1833-1836)

(page 15) Les premières négociations franco-belges eurent lieu, à Paris en 1833. Les « Commissaires » en présence n’aboutirent pas à conclure un traité mais arrivèrent à un compromis basé sur la compensation. La Belgique supprimera toutes les prohibitions, tous les droits élevés exceptionnels, qui subsistaient encore au détriment des produits français. Elle abaissera son tarif sur plusieurs articles intéressant la France. De son côté ce pays facilitera l’accès de son marché aux tissus de lin, aux fers et fonte, pierres et marbres, charbons, etc., de Belgique. Des projets de loi en ce sens seraient déposés devant les Chambres dans les deux pays. La Belgique remplit ses engagements par la loi du 7 avril 1838. Celle-ci soumit à nouveau les produits français au droit commun. Elle supprima les prohibitions d’importation des verres et des draps et les surtaxes qui affectaient encore certains produits français et y substitua des droits protecteurs variant entre 5 et 20 p. c. Cette loi réduisit en outre les droits sur les vins et sur les tissus de soie (Recueil des lois, op. cit., t. 9, p. 65). Elle prévoyait cependant que les droits sur certains articles seraient majorés du montant des primes d’exportation qui pourraient être accordées dans le pays d’origine (Un arrêté du 7 avril 1838 fixe le montant des surtaxes à percevoir de ce chef). En accordant à la France le régime de la nation la plus favorisée, nous faisions une concession importante. Les importations françaises en Belgique se développèrent considérablement. Celle des draps passe de 10,000 kg. en 1837 à 15,666 kg. en 1839-1841 (moyenne); celle de la faïence de 1000 kg. en 1837 à 3100 kg. en 1838-1841 (moyenne) et celle des vins de 6,000,000 d’hectol. à 8,000,000 (pour les mêmes années). La loi du 7 avril 1837 fut longuement discutée au Parlement et certains la critiquèrent vivement, craignant que l’abolition des prohibitions n’entraînât la ruine de quelques-unes de nos industries. Ce n’était pas à un petit (page 16) pays comme le nôtre de donner l’exemple de la liberté commerciale ! (Louis Hymans op. cit., t. I, pp. 502-505). Plusieurs autres estimaient que nos relations commerciales avec la France manquaient de réciprocité. Nous jouions le rôle de dupe. Si elle n’obtenait pas des concessions suffisantes de ce pays, la Belgique devrait se tourner vers l’Allemagne, en entrant dans le Zollverein. Elle s’assurerait un marché étendu et renforcerait la protection contre les importations de France (Louis Hymans op. cit., t. I, pp. 502-505). De nombreux pétitionnaires réclamaient d’ailleurs notre association au Zollverein. On trouvait injuste de supprimer nos prohibitions à l’égard des produits français alors que le tarif français prohibait 58 de nos articles et en frappait 14 de droits dépassant 15 p. c. ad valorem (Louis Hymans op. cit., t. I, pp. 502-505). D ‘autres membres des Chambres étaient d’avis, au contraire, que nous devions supprimer nos prohibitions, ne fût-ce que par gratitude pour les services que la France nous avait rendus en 1832. La France nous avait d’ailleurs fait quelques concessions dans le domaine douanier, notamment en ce qui concerne les houilles, le zinc brut, la fonte, les graines de lin, les marbres, les pierres d’Ecaussines, et surtout les toiles de lin, un de nos importants articles d’exportation vers la France (3,400,000 kg. en 1834).

Les concessions tarifaires accordées par la France n’étaient importantes qu’en ce qui concerne les toiles de lin et les charbons. Pour la plupart des produits belges elle maintenait un régime prohibitif (Varlet, Des Rapports commerciaux entre la Belgique et la France). Par les mesures qu’elle prit ultérieurement, elle nous retira graduellement la plupart des avantages concédés notamment en ce qui concerne les tissus de lin (Varlet, op. cit., p. 18).

6. La crise linière et la politique commerciale (1836-1842)

L’importance de l’industrie linière, pratiquement l’unique industrie des Flandres, justifie une attention particulière (Sur la crise linière elle-même nous ne pouvons que renvoyer à l’important ouvrage de G. Jacquemyns, Histoire de la crise économique des Flandres de 1845 à 1850. Bruxelles, Lamertin, 1928). Elle (page 17) était pour les populations flamandes un complément indispensable aux occupations agraires qui n’auraient pu leur fournir les moyens de subsistance nécessaires. Sur 1,2 millions d’habitants de ces deux provinces, le quart environ s’adonnait aux travaux du lin. On disait avec raison que: « la question des Flandres était la question linière. »

Cette industrie manufacturière qui se combinait heureusement aux travaux agricoles avait assuré la prospérité des Flandres au XVIIIe siècle. Ces provinces jouirent à cette époque d’un monopole presque absolu de production. A partir de 1825 environ, l’industrie rurale flamande subit une crise terrible qui alla chaque jour s’aggravant et dont elle ne devait pas se relever. Cette crise fut particulièrement grave après 1838-1840. La cause dominante en est simple : progrès de la révolution industrielle entraînant l’adoption de la filature mécanique à l’étranger, particulièrement en Angleterre ; attachement obstiné en Belgique aux anciennes méthodes manufacturières. A partir de 1834, l’Angleterre exporta des fils en France en quantités grandissantes d’année en année. A cette époque, la filature mécanique était encore à ses débuts en Belgique. En 1840, notre pays ne disposait que de 47,000 broches de filage alors que le Royaume-Uni en possédait 1 million. La part croissante prise par l’Angleterre sur le marché français, débouché qui absorbait les neuf dixièmes de notre importation linière, accéléra la décadence de notre industrie dont le déclin avait débuté vers 1825-1830 par suite de la fermeture du marché espagnol, jadis très important pour nous. Vers 1837, la crise s’aggrava. L’Angleterre non seulement nous ravit de jour en jour davantage les débouchés étrangers, mais elle conquit notre propre marché.

Quelles mesures le gouvernement prit-il dans le domaine de la politique douanière et commerciale pour tenter de sauver les Flandres du marasme où elles sombraient (Nous négligerons ici les importantes mesures prises dans d’autres domaines : octroi de subventions, création d’ateliers, d’apprentissage, etc.) ? Quelles en furent les causes et les résultats? Rappelons d’abord que dès 1833 une mission économique fut envoyée à Paris. Le résultat des négociations fut, entre autres, l’obtention, par la loi du 5 juillet 1836, d’importants dégrèvements en faveur de nos toiles (Jacquemyns op. cit., p. 148). Cette faveur généralisée profita cependant plus aux Anglais qu’à nous-mêmes.

En 1834, les droits sur les toiles furent décuplés en Belgique. Mais la crise s’aggravant, des mesures plus énergiques s’imposèrent. Une « enquête » fut menée, elle aboutit à conclure à la conservation de l’industrie rurale. Il fallait la protéger, disait-on, contre la concurrence mécanique intérieure et extérieure. Une « association pour le maintien de l’ancienne industrie linière » fut constituée en 1833. Son programme était la lutte par tous les moyens « contre l’odieux fil à la mécanique ». Les dirigeants des Flandres, députés, hommes d’affaires, etc. au lieu de faciliter les adaptations inévitables que commandait le progrès de la révolution industrielle à l’étranger, encourageaient, au contraire, la résistance de l’industrie du fil à la main. Comme le fil importé était du fil mécanique, il convenait de le taxer. On fut donc amener à protéger par des droits d’entrée une industrie essentiellement exportatrice ! Un arrêté royal du 26 juillet 1841, confirmé par la loi du 25 février 1842, établit sur les fils de lin, de chanvre et d’étoupe des droits nouveaux qui varient entre 16 et 140 francs aux 100 kg., d’après la finesse et la nature du fil, alors que le tarif de 1822 ne soumettait ces textiles qu’à un droit de 1/2 ou de 1 p. c. ad valorem (Recueil des lois, t. 13, pp. 27-28 et Discussion…, op. cit., pp. CXXVI-CXXXV).

La loi du 25 février 1842 frappe, en outre, certains tissus (page 19) (toile de moins de 5 fils, rubannerie, passementerie de fil de lin, étoffe de pantalon en lin, coutils) de droits fort élevés (Idem).

Le 13 août 1842, par suite de la convention linière dont il sera question plus loin, les droits sur les fils et tissus de lin furent doublés sur toutes les frontières autres que celles avec la France.

Le gouvernement intervint surtout en vue de maintenir les débouchés extérieurs et particulièrement pour nous ménager l’important marché français. Le gouvernement français, par une ordonnance royale du 24 septembre 1840 et par une loi du 6 mai 1841, rendit plus difficile nos exportations vers ce pays. Pour des raisons d’ordre technique, ces mesures frappaient particulièrement les toiles belges (Varlet, op. cit., p. 14). Le gouvernement belge entama, en juin 1841, des négociations avec le gouvernement français en vue d’obtenir un dégrèvement considérable du tarif sur les fils et tissus de lin et de chanvre. La mesure visait particulièrement l’Angleterre mais nous en pâtîmes également (Jacquemyns op. cit., p. 151). Le gouvernement français reconnut qu’il n’entrait pas dans ses intentions d’atteindre le commerce belge. Il se déclara prêt à admettre une exception en faveur de nos fils et de nos toiles (Rapport au Roi sur l’ordonnance française de 1842, cité par Ch. Pety de Thozée op. cit.). Nos exportations de toiles et de chanvre étaient déjà tombées de 3,4 millions de kg. en 1838 à 2,7 millions de kg, en 1841 et à 2,3 millions de kg. en 1842. A la suite de négociations ouvertes à la demande de la Belgique, les deux gouvernements signèrent, le 16 juillet 1842, un traité connu sous le nom de Convention Linière. Elle assura au commerce belge le maintien des droits d’entrée sur les fils et toiles tels qu’ils existaient avant l’ordonnance du 26 juin. Elle garantit, en outre, (page 20) qu’au cas où le tarif français serait réduit de plus d’un sixième, nous jouirions d’un régime de faveur en vertu duquel le droit sur la frontière belge, comparé à celui établi sur toute autre frontière, serait toujours dans le rapport de 3 à 5 (Voir le texte de la Convention dans le Recueil des lois, t. 13, pp. 381-382). La Belgique prit l’engagement d’appliquer aux frontières autres que celles avec la France le droit du tarif français sur les fils et les toiles, afin d’éviter que les produits anglais ne bénéficient des avantages concédés à la Belgique en passant par son territoire. Nous fûmes ainsi amenés à doubler les droits d’entrée sur les fils et tissus de lin. En échange de l’avantage que nous accorda la France, nous réduisîmes notamment le droit sur les vins et sur les tissus de soie. Le traité imposait ainsi au Trésor un sacrifice annuel de 1 million de francs. La Convention fut conclue pour une durée de quatre ans.

Quels furent les effets de la Convention de 1842? La Convention Linière permit un développement considérable de nos exportations de fils de lin vers la France, malgré la régression des importations totales de ce pays. Nos exportations passèrent d’un demi-million de kg. en 1840-1842 à 1,1 million de kg. en 1843 et à 2,3 millions en 1845.

La Convention linière franco-belge montre par un exemple frappant qu’une réduction préférentielle de droits peut être contraire à l’esprit libre-échangiste. Nous voyons, en effet, la France favoriser et encourager le maintien de la vieille industrie linière belge se cramponnant à des méthodes surannées et condamnées d’ailleurs à disparaître, alors que le même pays écarte par des droits plus élevés les produits de l’industrie mécanisée (page 21) anglaise au moment où celle-ci conquiert le marché mondial par le bon marché et la qualité de ses produits. Si les droits français avaient été égaux pour tous, même à un niveau plus élevé, nous aurions vu l’industrie progressive anglaise maintenir pied sur le marché français, dans la mesure où les droits l’auraient permis, et l’industrie rétrograde belge, se refusant aux indispensables adaptations, éliminée du même marché. C’eût été un résultat conforme aux fins que visent les doctrines libre-échangistes.

Voyons maintenant les raisons pour lesquelles l’intervention gouvernementale et en particulier les mesures douanières avaient comme but le maintien de l’ancienne industrie. Il convient à cet égard de ne pas perdre de vue que le parlement qui les vota ne représentait qu’une bourgeoisie censitaire soucieuse naturellement de défendre ses intérêts. Cette bourgeoisie riche - marchands-capitalistes et propriétaires-fonciers - avait un intérêt primordial à la conservation de l’industrie rurale. Les propriétaires fonciers redoutaient la concentration de l’industrie dans les villes, entraînant l’exode des campagnes et l’avilissement des prix des loyers et fermages. La présence des ouvriers liniers à la campagne constituait pour les gros fermiers une réserve de main-d’œuvre peu exigeante où ils pouvaient puiser à l’été. L’industrie rurale assurait sur place un débouché aux produits de l’agriculture. Bref, la disparition de cette industrie aurait compromis gravement la prospérité des propriétaires fonciers et des gros fermiers (L. Dechesne op. cit., p. 390.) Les intermédiaires - capitalistes commerciaux - étaient également pour la plupart des bourgeois des plus aisés. « C’était surtout à ces marchands que revenaient les profits de la fabrication. Les pauvres tisserands isolés se trouvaient sous leur dépendance économique. La production dispersée offrait une main-d’œuvre moins chère et plus docile. (page 22) La révolution industrielle menaçait cette organisation. » Sans doute le marchand aurait-il pu évoluer, mais « par esprit de routine autant que par intérêt il s’efforça de maintenir l’ancienne industrie qui lui procurait des bénéfices assurés ».

Les mesures protectrices en faveur de l’industrie rurale ne s’expliquent pas seulement par les intérêts matériels des classes influentes de l’époque. Elles croyaient également, en maintenant l’ancienne organisation du travail, sauvegarder la moralité, la religion et l’ordre social... L’industrie manufacturière qui nécessite un travail plus constant éloigne par conséquent davantage le danger et l’occasion des mauvaises habitudes, « il n’en est pas qui conserve plus précieusement l’esprit de famille » disent les statuts de l’Association. « L’ouvrier de campagne est plus moral, plus religieux, plus économe, plus réglé, parce qu’en gagnant de plus petites journées il a moins de luxe et dépense par conséquent d’une manière plus utile le fruit de son travail, » écrivent Desmet, le président de l’Association, et Briavoine, le secrétaire (Jacquemyns op. cit., pp. 105-107 et p. 111).

Le Comité directeur de l’Association invoque en faveur de l’ancienne industrie l’argument que « beaucoup d’ouvriers forment dans plusieurs villes des masses agglomérées de prolétaires mécontents. » (Rapport à MM. les Ministres de l’intérieur et des Affaires étrangères sur le travail des prisons. Jacquemyns op. cit., p. 112). On oublie en faisant l’apologie du travail à domicile que le sort de l’ouvrier des fabriques est moins mauvais que celui des fileuses et des tisserands de campagne. Il est impossible de déterminer jusqu’à quel point ces arguments d’ordre moral et social contribuèrent à décider la protection de l’ancienne industrie. Constatons qu’ils viennent renforcer ceux que les classes dirigeantes tiraient de la position de leurs intérêts matériels immédiats. Tels furent les facteurs qui amenèrent les mesures de protection douanière et autres en matière linière. Si elles ont préservé temporairement certaines situations acquises, elles ne correspondaient cependant nullement aux (page 23) intérêts généraux bien compris. Elles furent d’ailleurs impuissantes à arrêter l’irrémédiable décadence de l’industrie rurale linière. Les « mâchoires de fer » des machines remplacèrent implacablement les doigts de nos « fées flamandes ». La misère n’en fut pas atténuée, au contraire ! En voulant maintenir, contre toute raison, l’ancienne industrie, on retarda les adaptations nécessaires en les rendant plus pénibles. « Malgré toutes les mesures prises pour venir en aide à la population linière, celle-ci connut pendant plusieurs années les affres de la misère. » (Jacquemyns, p. 194). L’exportation des fils de lin ne put progresser dans la seconde moitié du XIXe siècle que grâce à l’adoption des procédés mécaniques (L. Dechesne op. cit. p. 433).

7. Projets d’union douanière franco-belge (1836-1842)

Les projets d’union douanière franco-belge ont été souvent étudiés (A. De Ridder, Les projets d’union douanière franco-belge de 1836-1842. De Witte, 1932 ; F. Van Langenhove, Les rapports commerciaux franco-belge. Revue Belge, 15 février 1924, pp. 318-331 ; Fl. De Lannoy, Les projets d’union douanière franco-belge 1841-1842. Revue Catholique des Idées et des Faits, 8 décembre, pp 12-13, et 15 décembre 1922, pp. 14-18 ; Paul Hymans, Frère-Orban, t. II, pp. 424-431. Bruxelles. 1910 ; Ch. de Thozée, Système commercial de la Belgique, Bruxelles, 1875, pp. 171-188 ; S. Van de Weyer, Les relations extérieures depuis 1830 dans Patrie Belgica, 1878, vol. I, pp. 340-342 ; A. Dechamps, Une page d’histoire. Négociations commerciales avec la France. Union douanière. Revue Générale, mai 1869, pp. 540-569 ; Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, t. 6, pp. 276 et suiv. ; L. Wolowski, De l’Union douanière entre la France et la Belgique. Journal des Economistes, 1842, t. 3, pp. 362-386 ; L. Wolowski, Négociations commerciales avec la Belgique. Journal des Economistes, 1842, t. I, pp. 173-186 et pp. 408-425). Il serait donc superflu de s’y étendre longuement ici. Rappelons seulement que le premier projet d’union est celui (page 24) que le comte Molé, chef du gouvernement français, soumit officieusement au roi Léopold, en novembre 1836. Ce projet prévoyait l’établissement « d’un système de douane uniforme » entre les deux pays. Comme il n’avait pas été adressé par la voie régulière et officielle, M. de Theux, premier ministre belge, en ajourna l’examen.

En 1840, le maréchal Soult, successeur du comte Molé, remit au roi Léopold un nouveau projet inspiré de celui de son prédécesseur. Nothomb et de Theux, les ministres belges les plus influents, jugèrent la proposition inacceptable comme incompatible avec notre indépendance et notre neutralité. Les négociations commerciales franco-belges s’ouvrirent néanmoins à Paris. Mais les délégués belges reçurent le mandat de ne donner aucune suite aux ouvertures qui seraient faites en vue d’une union douanière complète. Le gouvernement belge proposa la conclusion d’un « large » traité commercial basé sur des tarifs différentiels que s’accorderaient réciproquement les deux parties. Le gouvernement français rejeta les propositions qui servaient trop faiblement l’intérêt commercial de la France et ne « faisaient rien pour l’intérêt politique. » Les négociations furent rompues vers la fin de janvier. En juillet 1840, Léopold se rendit à Paris pour y poursuivre des pourparlers officieux avec Louis-Philippe, à la suite des propositions faites par Thiers. Le roi des Belges suggère un plan de traité d’union douanière dont il était personnellement partisan (De Ridder, op. cit., pp. 445-448). Mais les puissances garantes de notre indépendance et de notre neutralité interviennent déjà. Sir Hamilton Seymour, ministre d’Angleterre à Bruxelles, déclare dans une lettre adressée à Lebeau, que le gouvernement de la Reine considère l’union commerciale franco-belge comme incompatible avec les stipulations des traités de 1831 et de 1839. Lord Palmerston estimait qu’elle serait pour la Belgique « un suicide politique » (Idem, p. 38). Les négociations (page 25) officieuses se poursuivirent cependant entre les Cours de Bruxelles et de Paris pendant l’année 1841. En septembre, une délégation officielle belge se rend à Paris pour y négocier un « large traité différentiel ».

Elle avait reçu mission de ne pas accepter l’union douanière complète, mais elle acquit rapidement la conviction que le gouvernement de Paris ne la désirait pas non plus à ce moment, pas plus qu’un traité différentiel, Il craignait l’opposition anglaise d’une part et tenait d’autre part à ménager les intérêts privés d’industriels français qui assaillaient le Ministère de réclamations (Voir à ce sujet les articles cités de L. Wolowski : L’industrie française du fer était celle qui se sentait le plus menacée). Il craignait également une attitude hostile des Chambres, dont l’ouverture de la session était proche. Les commissaires belges, désireux de ne pas porter la responsabilité de l’échec des négociations, proposèrent eux-mêmes, s’écartant de leurs instructions, un projet d’union douanière afin de pouvoir prendre acte du refus du gouvernement français. Cette tactique eut pour effet de révéler clairement les visées politiques du gouvernement français. Les idées défendues par les ministres français dans les conférences de 1841 peuvent, d’après Dechamps (A. Dechamps op. cit., pp. 553-559), se résumer ainsi: « Pour que la France sacrifie son industrie à l’industrie d’un peuple voisin, l’accroissement politique ne saurait être mystérieux, voilé, énigmatique : cet accroissement doit devenir palpable, évident et éclatant pour tout le monde ; il doit frapper tous les regards. La France ne peut pas d’ailleurs confier à une autre nation les intérêts de son trésor et le soin de veiller au sort de ses industries, ce serait une abdication de sa souveraineté. Dès lors l’union douanière n’est possible qu’autant qu’au gouvernement français appartient, selon l’expression de M. Guizot, le pouvoir exécutif tout entier en matière de douane. Le pouvoir exécutif, ajoutait Guizot, c’est le droit de prescrire, de commander, de défendre, le (page 26) droit de nommer, de révoquer, etc. A toutes autres conditions, l’union douanière est impraticable, impossible. » (Dechamps, op. cit., pp. 558-559).

De pareilles prétentions mirent temporairement fin aux pourparlers. Leur acceptation de la part de la Belgique aurait impliqué une renonciation à son indépendance politique et une violation de sa neutralité. On savait d’ailleurs à Paris que si l’union commerciale avait été conclue sur ces bases, l’Europe entière s’y serait opposée et en aurait fait un casus belli. Le gouvernement de Louis-Philippe n’insista pas mais il rejeta également, pour des raisons rappelées plus haut, le projet des commissaires belges prévoyant une réduction large et uniforme des deux tarifs de douane.

Des négociations commerciales franco-belges de portée plus restreinte se poursuivirent en 1842 et aboutirent à la signature de la Convention linière dont nous avons parlé. Au cours de ces pourparlers la question de l’union douanière fut à nouveau soulevée par la France. Un plan rédigé par Humann, ministre des Finances, fut communiqué au gouvernement belge. Dans une note qui sert d’exposé des motifs, ce projet est analysé de la manière suivante : « La responsabilité du gouvernement devant les Chambres et la France entière serait trop sérieusement engagée, pour qu’il fût possible de consentir à une association douanière avec la Belgique sur d’autres bases que celles-ci :

« 1) Unité de législation et du tarif de douane par l’adoption, sur la frontière commune, du tarif et de la législation de la France

« 2) Unité d’impôts indirects, notamment en ce qui concerne le tabac, le sel, les boissons, le sucre indigène, etc.;

« 3) Unité de jurisprudence administrative et judiciaire en matière de douane et de contributions indirectes. »

L’acceptation de ces bases par la Belgique devait être la condition sine qua non de l’association commerciale ! C’est en 1842, d’autre part, que l’opposition des puissances devint (page 27) particulièrement vive. Des protestations furent élevées par l’Angleterre, la Prusse et l’Autriche contre un projet qui menaçait l’équilibre européen en même temps que l’indépendance et la neutralité belges (Dechamps op. cit., p. 563. Sur le détail de l’attitude des puissances, des notes échangées et des représentations faites, voir De Ridder op. cit.)

Il fut question de réunir une nouvelle conférence de Londres et de faire une démarche collective. Lord Aberdeen jugea une telle mesure prématurée. « On ne proteste pas contre une ombre, disait-il. Si cette ombre prenait un corps, notre démonstration collective ne se bornerait pas à une simple démonstration diplomatique, elle prendrait un caractère plus grave et serait de nature à laisser la conviction que l’Europe n’est point impuissante à combattre les desseins qui seraient contraires à sa stabilité générale. »

Les négociations relatives à l’union douanière ne furent pas poursuivies. La question ne fut plus soulevée sous la monarchie de juillet.

Les causes de l’échec des diverses tentatives d’établissement d’une union douanière franco-belge dans les années 1836-1842 peuvent se résumer ainsi :

1) Refus de la part de la Belgique d’aliéner son indépendance politique et de violer sa neutralité en concluant un traité d’union douanière qui la réduise à l’état de vassale de la France dans le domaine économique et qui conduise tôt ou tard à une véritable union politique ;

2) Condition sine qua non posée par le gouvernement français de ne signer qu’un traité accroissant son influence politique d’une manière « palpable et éclatant aux yeux de tous »;

3) Opposition des industriels français et des milieux parlementaires à un accord commercial de nature à léser les intérêts privés ;

4) Opposition irréductible des puissances garantes de la (page 28) neutralité belge, notamment de l’Angleterre, de la Prusse et de l’Autriche. Ces puissances seraient allées jusqu’à considérer l’union douanière, si elle avait dû se réaliser, comme un casus belli.

8. La politique douanière de 1836 à 1840

Au cours de cette période, le caractère libéral de la législation douanière belge reste encore prédominant. La loi de 1836 relative au transit (Loi du 18 juin. Recueil des lois op. cit., t. VII) témoigne de cette tendance libérale. Une loi était nécessaire si l’on voulait détourner au profit de la Belgique le commerce toujours croissant de la Hollande vers l’Allemagne (L. Hymans, t. I, p. 404). Elle était le complément naturel de la construction des voies ferrées et se justifiait aussi par la défense des intérêts de nos ports et de nos industries. Nos ports étaient délaissés parce que la navigation n’y trouvait pas des cargaisons complètes de retour. Nos industries avaient intérêt à recevoir régulièrement un assortiment varié de matières premières aux plus bas prix (Discours du Ministre de l’intérieur. V. J. Schaar, op. cit., p. 514).

La loi en vigueur, celle de 1822, établissait un tarif de transit bigarré, prévoyant des prohibitions assez nombreuses et des droits généralement élevés atteignant fréquemment 2 à 3 florins les 100 kg. (N. Briavoinne, op. cit., t. 2, pp. 566-567. Discussion etc... op. cit,, pp. LVIII et LIX).

La loi de 1836 a le principal mérite d’établir des droits uniformes et minimes (15 centimes par 100 francs ou 20 centimes par 100 kg.).

Elle laisse subsister très peu de prohibitions.

Le gouvernement reçoit, en vertu de la loi, le pouvoir de réduire les droits de transit, dans l’intervalle des sessions législatives, soit dans l’intérêt du commerce belge, soit à la suite d’un accord de réciprocité avec une puissance voisine. Les dispositions (page 29) prises en vertu des pouvoirs conférés au gouvernement devaient être communiquées aux Chambres dans « leur plus prochaine session » et cesserait leur effet de plein droit après la session des Chambres pendant laquelle il en aura été donné communication.

En 1837, une loi réduit le droit d’importation des houilles prussiennes entrant par la frontière luxembourgeoise à 1 franc par 1,000 kg. (Recueil des lois op. cit., t. VIII, p. 550). A partir de 1838, une tendance protectionniste se dessine. Les droits sur le tabac sont majorés ((Recueil des lois op. cit., t. IX, p. 91), surtout parce que la culture du tabac est en souffrance et non principalement pour augmenter les recettes fiscales puisque la majoration des droits ne rapportera qu’une centaine de mille francs (L. Hymans op. cit., t. I, p. 586). Si la loi du 7 avril, replaçant la France dans le droit commun, supprime certaines prohibitions d’importation de produits français et réduit certains droits, elle majore les droits d’entrée pour tous les pays en ce qui concerne les draps et les étoffes de laine, la bonneterie, les faïences, les verreries, les produits chimiques, etc. (Voir supra et N. Briavoinne, op. cit., t. II, p. 29). Les droits sur les cafés sont aussi augmentés par la loi du 18 mars et portés à 5 francs aux 100 kg. (Recueil, op. cit., t. IX, p. 35). Au sujet de la discussion des droits sur les cafés, les tarifs différentiels, variant selon que l’importation a lieu par navires nationaux ou par navires étrangers, sont déjà préconisés en vue de protéger la marine marchande. Mais le gouvernement ne s’y rallie pas car le système bouleverserait notre législation et nos relations diplomatiques. Il obtient une forte majorité (Recueil des lois, op. cit., t. I, p. 584). La même question a été votée à propos des bois dont une loi du 30 avril 1840 augmente les droits en les portant à des taux variant entre 6 et 10 p. c. (Recueil des lois, op. cit., t. VIII, p. 81), dans l’intérêt des forêts dont (page 30) on veut éviter le défrichement. Nous avons parlé ailleurs des lois de 1839 et de 1840 facilitant l’importation des céréales.

Il convient de signaler encore la loi douanière du 6 juin 1839 qui établit un régime douanier spécial pour les objets provenant des parties à céder du Limbourg et du Luxembourg, « à dater de l’exécution des clauses territoriales des traités à intervenir entre les puissances réunies à Londres, la Hollande et la Belgique » (Recueil des lois, op. cit., t. X, p. 166). Le caractère politique de cette loi est évident. Il s’agissait de « maintenir entre nos compatriotes du Luxembourg et du Limbourg des rapports qu’il n’a certes pas dépendu de nous de continuer » (Rapport de la section centrale cité par J. Schaar op. cit,, p. 547). On voulait aussi éviter de désorganiser la vie économique des régions entre lesquelles le trafic se faisait librement. Des contingents déterminés de fonte et de fer, de faïence, d’étoffes de laine, provenant d’établissements existant au jour de la promulgation de la loi dans la province du Luxembourg, pouvaient entrer en Belgique en payent un droit minime ou même en franchise. Un contingent de blé limbourgeois était admis dans le pays dans des conditions spécialement favorables (Voir supra, p. 11).

9. La politique douanière de 1841 à 1844

9. 1. Les mesures protectionnistes de 1841 à 1844

A partir de 1840, à la suite de la crise de 1839, la tendance protectionniste s’accentue. A chaque session des Chambres, des parlementaires demandent des augmentations de droits ou appuient les nombreuses pétitions des intéressés.

La loi du 25 février 1842 augmente les droits sur les coutils, la rubannerie, passementerie, etc. Elle confirme les dispositions de l’arrêté royal du 26 juillet 1841 renforçant sérieusement la protection douanière en faveur des fils de lin, de chanvre (page 31) et d’étoupe ((Recueil des lois, op. cit., t. XII, p. 303 et t. XIII, pp ; 26 et 28). Elle autorise cependant le gouvernement à permettre l’entrée à un droit très réduit (0.05 par 100 kg.) de quantités à déterminer par lui de fil de Westphalie et de Brunswick pour les coutils et toiles à carreaux et de certains fils en chanvre et en lin de Russie (Un arrêté du 25 février fixe les quantités admises en franchise, recueil des lois, t. XIII, p. 29). La nouvelle loi fut adoptée à l’unanimité. Plusieurs sénateurs la saluèrent comme le premier pas vers des mesures de protection indispensables. Ils émettent le vœu qu’un système général de protection soit proposé et adopté dans l’intérêt de toutes les industries (L. Hymans op. cit., pp. 160-161). Quelques mois plus tard la convention linière du 16 juillet 1842 nous obligea à doubler les droits sur les fils et les tissus de lin, de chanvre et d’étoupe sur les frontière autres que la franco- belge et à en interdire le transit vers la France. Elle permet, cependant, d’admettre à l’entrée un contingent de 250,000 kg. de fil allemand et russe aux droits de faveur prévus par la loi du 25 février 1842 (Recueil des lois, op. cit., t. XII, p. 382).

Une loi du 25 février 1842 également protège la pêche maritime nationale et un arrêté royal du 14 juillet 1843 (Recueil des lois, op. cit., t. XIV, p. 377) majore fortement les droits d’entrée sur les fils, tissus, tapis et vêtements de laine. Les droits nouveaux représentent, en ce qui concerne les fils par exemple, plus du décuple de ceux en vigueur jusqu’en 1838 et le triple de ceux prévus par la loi de 1838 (Discussion... op. cit., p. CXLI et p. CXLVI). Un arrêté royal du 13 avril 1843, confirmé par une loi du 8 février 1844, porte les droits sur la fonte, à 5 fr. la tonne (Recueil des lois, op. cit., t. XIV, p. 161 et t. XV, p. 26), ce qui représentait près de 40 p. c. de la valeur (Briavoinne op. cit., t. II, p. 204, estime le prix de revient de la fonte 13 francs). Des raisons d’ordre principalement fiscal amenèrent (page 32) également des aggravations tarifaires, notamment sur les épiceries, riz, fruits (Recueil des lois, op. cit., t. XII, p. 141), sur le sel (Loi du 5 janvier 1843. Recueil des lois, t. XV, p. 7), les tabacs (Recueil des lois, t. XV, p. 103. Loi du 27 juin 1844 et arrêté du 21 juillet 1844) et les eaux de vie (Recueil des lois, t. XV, p. 2. Loi du 5 janvier 1844). L’impôt sur le sel représentait ainsi environ cinq fois la valeur du produit (L. Hymans, op. cit., vol. II, p. 307). Il frappait particulièrement la classe ouvrière.

Pendant les années 1840 à 1844 la tendance libérale ne put se manifester dans une certaine mesure que dans les lois relatives aux droits de sortie (Loi du 20 mars 1843. Recueil des lois, op. cit., t. XIV, p. 121) et au transit (Loi du 18 juin 1842. Recueil des lois, t. XIII, p. 220. Loi du 23 mays 1843, t. 14, p. 112). Le tarif des droits de sortie est complètement modifié, de nombreux droits sont supprimés et la plupart des autres sont transformés en simples droits de balance. La loi sur le transit donne au gouvernement le pouvoir d’apporter, pendant un an, au régime des marchandises en transit, les modifications « qu’il jugera favorables au commerce et compatibles avec les intérêts du trésor et de l’industrie nationale. » Ces pouvoirs furent renouvelés le 23 mars 1843. On avait en vue notamment le transit par chemin de fer (Arrêté du 20 août 1842. Recueil des lois, op. cit., t. XII, p. 418).

Comme réductions de droits d’entrée au cours de la période de 1840 à 1844, rappelons celles intervenues à la suite de la convention linière sur les soieries et les vins de France, réductions qui furent étendues gratuitement au Zollverein (Arrêté du 28 août 1842. Recueil des lois, t. XII, p. 421 et p. 56. Arrêté du 27 juin et du 5 novembre 1843. Recueil des lois, t. XIV, p. 334).

Les hauts prix de certains produits agricoles, à la suite de mauvaises récoltes, en firent proclamer la libre entrée ou la prohibition de sortie au cours des années 1839 à 1844. Il s’agit notamment de l’orge, du seigle et des pommes de terre.

9. 2. La motion de Foere et la loi des droits différentiels

(page 33) Sur la motion de M. de Foere, la Chambre des Représentants décida, le 8 mai 1840, d’instituer une commission d’enquête chargée « de s’enquérir de la situation du commerce extérieur », d’examiner si la législation existante était insuffisante et, dans l’affirmative, de présenter les bases du système commercial et naval qu’il conviendrait d’établir dans l’intérêt de la nation. Le gouvernement était hostile à la création de la commission parlementaire pour des raisons d’ordre formel. En fait la décision de la Chambre constituait un triomphe pour les partisans de l’institution de droits différentiels en vue de favoriser la marine nationale et du renforcement du protectionnisme. La Commission ne comprenait en effet « que des examinateurs d’une seule opinion: celle de la nécessité de droits différentiels et protecteurs pour la prospérité du pays » (Hardy de Beaulieu. Examen rapide des questions commerciales et industrielles à l’ordre du jour en Belgique, Bruxelles. 1884, p. 44). A la fin de l’année 1841, de Foere déposa son rapport au nom de la commission; il était suivi d’un projet de loi qui ne fut discuté par les Chambres qu’en 1844, et aboutit au vote de la fameuse loi des droits différentiels du 21 juillet 1844 (Recueil de lois, t. XV, p. 90). Cette loi avait pour but, dans l’intention du législateur, d’encourager la marine marchande nationale en favorisant l’importation sous pavillon national, d’instituer des relations directes avec les pays d’outre-mer et ainsi d’assurer des débouchés à l’industrie belge. Elle prévoit à cet effet un système des plus compliqués de droits différentiels s’appliquant notamment aux denrées coloniales, produits exotiques, matières premières, cafés, thés, poisson, sucre, bois, tabac, riz, coton, raisins, étain, peaux brutes. Elle fut suivie, le 13 octobre 1844, d’un arrêté pris en vue de faire droit « à quelques réclamations envoyées par la Chambre des Représentants au Gouvernement » et majorant les droits d’entrée sur les machines et mécaniques sur certains produits (page 34) chimiques, sur les tissus de coton blanc, teints et imprimés, sur les tulles et dentelles (Recueil des lois, t. XV, p. 147). L’année 1844 marque ainsi l’apogée du protectionnisme en Belgique.

10. La politique commerciale conventionnelle (1830-1844)

Exception faite de la convention linière (1842), de portée très limitée, un seul traité commercial tarifaire fut conclu par la Belgique de 1830 à 1844, c’est celui avec l’Espagne du 25 octobre 1842 (Recueil des lois, t. XV, p. 2), qui ne fut jamais ratifié par les Cortès.

Quelques autres conventions de cette époque sont basées uniquement sur l’échange du traitement de la nation la plus favorisée. C’est dire que la politique douanière de notre pays resta pratiquement autonome pendant la période considérée.

Conclusions

(I) L’étude qui précède nous conduit d’abord à quelques conclusions au sujet de la technique de la politique douanière. Certaines méthodes, que l’on s’imagine volontiers nouvelles, étaient déjà en honneur à l’époque examinées. C’est ainsi que la délégation des pouvoirs au gouvernement, en matière douanière, était prévue dans la loi douanière fondamentale de 1822. Son article 9 est ainsi conçu: « Nous nous réserverons, pour des cas particuliers et lorsque le bien des fabriques et du commerce l’exigera, de soumettre à des droits plus forts ou de prohiber à l’entrée les objets d’industrie qui proviennent des pays où les produits de l’industrie indigène des Pays-Bas se trouvent excessivement imposés ou prohibés. Ces mesures seront portées à la connaissance des Etats Généraux, dans le cours de leur première session ordinaire, ensemble avec un projet de loi y relatif » (Recueil des lois et actes généraux, t. IV, p. 7) Se basant sur cet article et lui donnant (page 35) une interprétation abusive, le gouvernement modifia le tarif des douanes à plusieurs reprises par voie d’arrêté royal, après la crise de 1839. Il ne se borna pas à prendre des mesures contre l’un ou l’autre pays, comme le prévoyait la loi, mais modifia le tarif général.

Diverses autres lois conféraient au gouvernement le pouvoir de changer le régime douanier. Rappelons notamment les dispositions des lois sur le transit de 1836 et de 1842, des lois sur l’orge, le seigle et les pommes de terre, de 1840-1841.

S’il délègue ses pouvoirs en matière douanière au gouvernement, le parlement ne perd cependant pas le contrôle de la politique commerciale. Les Chambres discutent en détail les projets de loi modifiant le tarif, elles incitent le gouvernement à proposer de nouvelles mesures protectionnistes et prennent des initiatives. L’importante loi des droits différentiels de 1844 était d’initiative parlementaire ! Elle résultait de l’enquête décidée par les Chambres dès 1840 et menée par une commission parlementaire.

(II) Au cours de la période envisagée, nous avons eu à mentionner à diverses reprises l’application de mesures de « contingentement douanier », mais nous n’avons pas rencontré de « contingents absolus ». Il était toujours loisible d’importer des quantités supplémentaires en acquittant les droits du tarif général. Il y eut des contingents douaniers de froment, de fil de lin, de fonte, de faïence, d’étoffes de lin. Ces contingents avaient un caractère tout différent de ceux connus de nos jours. Ils étaient institués, non pour renforcer la protection douanière mais au contraire pour l’atténuer. Dans l’intérêt des consommateurs (ou pour des raisons spéciales) on voulait permettre l’importation de certaines quantités de marchandises à des droits réduits. En outre, tous les contingents de l’époque (sauf celui des fils de lin) avaient trait à ce que nous appellerions le « grand trafic frontalier ». Ils portaient seulement sur l’importation de (page 36) marchandises originaires des parties cédées des provinces du Luxembourg et du Limbourg.

(III) La tendance à l’égalité de traitement en matière de droits de douane se manifestait déjà à l’époque, bien que la généralisation de la clause de la nation la plus favorisée ne date vraiment que de 1860. Le tarif de 1822 s’appliquait également à toutes les nations.

Les mesures de représailles qui avaient été édictées contre la France furent abolies partiellement en 1831 et les dernières dispositions discriminatoires disparurent avec la loi de 1838. Les réductions douanières en faveur des vins et soieries françaises, les seules concessions tarifaires faites par la voie contractuelle, furent étendues immédiatement au Zoliverein. Certains tarifs différentiels existaient cependant. Ils constituaient des exceptions et ne discriminaient pas entre les divers pays. Les droits variaient parfois soit selon la frontière d’exportation (bétail, charbon, sucre), soit d’après le mode de transport (par navire national ou par navire étranger).

(IV) Au point de vue de la tendance de la politique douanière on peut distinguer plusieurs périodes dans l’époque envisagée. Dans les premiers mois de notre indépendance, le Congrès maintient en vigueur la protection modérée qu’accorde le tarif de 1822 et ne prend que quelques mesures de circonstances. Il veille notamment à assurer l’approvisionnement de la population en blé. De 1831 à 1834, la politique reste libérale, mais en 1834, deux lois protectionnistes sont promulguées (loi sur les céréales et les tissus de lin). La période de prospérité industrielle, 1834-1838, consécutive à la construction des chemins de fer, n’est pas marquée par de grandes modifications dans le régime douanier qui est rendu plus libéral. La loi de 1836 sur le transit est caractéristique à cet égard. A partir de 1840, donc (page 37) après la crise économique et financière de 1838-1839 ((Au sujet de cette crise, voir B. S. Chlepner La Banque en Belgique. - Etude historique et économique, Bruxelles, 1926, vol. I, pp. 151-196), l’esprit change complètement et aussi l’orientation de la politique douanière. Le pays s’engage nettement dans la voie du protectionnisme. Les mesures se succèdent en ce sens à partir de 1841 pour aboutir à la loi de 1844 sur les droits différentiels qui marque, avec les autres aggravations de tarif de la même année, l’apogée du protectionnisme au XIXe siècle, en Belgique.

(V) On peut se faire une idée approximative du niveau modéré de la protection douanière jusqu’en 1844 en comparant le montant de nos importations totales à celui des droits d’entrée perçus. En 1832 les droits représentent en moyenne 3 p. c. de la valeur, en 1841 le pourcentage s’élève à 4,2 p. c., et en 1844 à 5,5 p. c. (Pourcentages calculés d’après N. Briavoinne op. cit., t. II, p. 26 et p. 515, pour l’année 1832 et d’après l’Exposé de la situation du Royaume 1840-1852, t. II, pp. 155 et 689, pour les années 1841-1844). En 1836 ce rapport atteint 18.5 p. e. en France et il est encore plus élevé en Angleterre (N. Briavoinne op. cit., t. II, p. 35).

Si l’on examine le tarif belge de plus près, notamment au point de vue de l’incidence des différents droits et taxes, on constate qu’ils frappent durement la classe travailleuse. Briavoinne en 1839 déjà disait: « En général, les classes ouvrières pourraient être l’objet de plus de soins (Idem, p. 247); que l’on pèse mûrement ce qui s’est passé depuis dix ans en Belgique, et l’on avouera que la marche du temps a profité presque exclusivement à ceux qui possèdent, que le renchérissement de toutes les productions a lourdement pesé sur le plus grand nombre » (Idem, p. 535). Le parlement, élu par un corps censitaire, est composé surtout de grands propriétaires et de grands (page 38) industriels, et la « bourgeoisie confond sa cause avec celle de la nation » déclare Pirenne (H. Pirenne, op. cit., t. VII, p. 117). Ce fait se manifeste également dans le domaine de la politique douanière. Nous avons constaté que la protection en matière linière défend avant tout les intérêts des manufacturiers et des propriétaires fonciers. C’est aux propriétaires terriens aussi que l’échelle mobile des céréales crée, en fait, une situation privilégiée au détriment des consommateurs ouvriers et autres et des petits cultivateurs. Au point de vue fiscal le régime des droits d’entrée et d’accises est défavorable également au consommateur peu aisé. Le sel supporte des taxes égales au quintuple de sa valeur. Les droits sur le café et le tabac sont fortement majorés entre 1830 et 1844. Le sucre est taxé à 120 à 150 p. c. de sa valeur. Il est vrai qu’il est considéré comme un article de luxe et que les populations ouvrières doivent s’en priver (Ministère des finances Droits différentiels, 1853, op. cit ). Les prix des articles de consommation courante sont grevés de droits élevés d’importation. Les mouchoirs de coton paient 100 p. c. de la valeur (avant l’arrêté de 1844 qui en prohibe en fait l’importation) ; les bas de coton 50 p. c. Les draps fins et ceux du vêtement pour les travailleurs sont englobés dans la même position avec le même droit au poids, Les tissus « pour la robe de la femme de l’ouvrier » paient 100 p. c. Le droit sur « la robe de la marquise », 2 p. c. seulement. Le droit sur les harengs équivaut à 200 p. c. ad valorem. La viande de boucherie est lourdement grevée (Corr. Vander Maeren, Coup d’œil sur le tarif des douanes belges, à propos du libre-échange, Bruxelles, 1842, pp. 8-13). « Par compensation la viande de chevreuil, daim, sanglier, dont les riches seuls peuvent se payer l’usage, ne paient que 2 p. c. de droit. » « Ce n’est pas une anomalie exceptionnelle, c’est un système complet, une règle générale en matière de douane de faire payer les gens d’autant plus qu’ils ont moins d’argent, de taxer les objets d’autant plus qu’ils sont nécessaires aux pauvres » (Idem, p. 13).

(page 39) Certaines voix s’élèvent déjà pour protester contre l’état de choses existant, mais comme le constate Pirenne, la plupart des bourgeois et des grands seigneurs acceptent les faits plutôt que de les combattre et se laissent entraîner par le courant qui emporte la société.

N’oublions pas que nous sommes à une époque où « la question sociale n’existe pas. »

La question douanière ne tardera pas à être réglée d’une manière plus conforme aux intérêts de la classe ouvrière. L’expansion de l’industrie belge, devenant de plus en plus exportatrice, le progrès de l’idéologie libérale et le triomphe du parti libéral dans le domaine politique, contribueront à hâter l’avènement du libre-échange en Belgique. Un des points du programme du gouvernement Rogier-Frère Orban, qui prit le pouvoir en 1847, était de s’opposer, en règle générale, à de nouvelles aggravations de tarif et de s’attacher « à faire prévaloir un régime libéral quant aux denrées alimentaire » (P. Hymans-Frère Orban op. cit., t. I, p. 359). Il put réaliser graduellement cette partie de son programme. Sa tâche fut d’ailleurs favorisée par le succès du libre-échange en Angleterre et en France. Le traité de commerce franco-belge de 1861, qui conduisit à l’instauration d’un tarif douanier très libéral, couronna son œuvre.

(Pour le surplus, on consultera avec profit les articles publiés par M. Max Suetens, sous le titre « Un siècle de politique commerciale » dans le Moniteur des Intérêts Matériels, numéros des 5, 19, 25 juin 1930, 3, 18, 31 juillet 1930, 21 août 1930, 4, 11, 17 septembre 1930, 8 octobre 1930, 17 décembre 1930, 13-15, 22-23, 28 mai 1931, 24 juin 1931, 2, 31 juillet 1931, 15 septembre 1931 et 2 octobre 1931).

Walter LORIDAN, Ing. Comm. Dr. ès Sc.. Pol.