(Paru dans : « Commission flamande. Installation, délibérations, rapports, documents officiels, publiés sous la surveillance des membres de la Commission », Bruxelles, Horn Verbruggen, 1859)
(page 84) Tous les Etats de l'Europe ne sont pas composés de peuples d'une race unique aux limites extrêmes des trois races principales qui occupent cette partie du monde, il y a des pays dont les habitants appartiennent à différentes races et même à des subdivisions de ces races. La Russie, le Danemarck, l'Autriche, la Turquie, la Sardaigne, la Suisse, la France et la Belgique sont les principaux Etats de notre continent dont les populations appartiennent à différentes races ou souches. Si l'on excepte la France, où la centralisation comprime sans cesse la vie du peuple dans les provinces annexées par la conquête, et la Suisse, où, sous le rapport de leur individualité, les différentes parties du pays sont sur le pied de la plus parfaite égalité, si l'on excepte ces deux extrêmes l'un de compression, l'autre de liberté, on trouve partout un courageux déploiement d'efforts pour rentrer dans la possession des droits ravis au (page 85) mépris des lois de l'humanité. De petits pays ont été, par conquête ou par succession, ajoutés à des Etats plus grands, et ont subi la loi du plus fort. Mais l'esprit national reprend son ascendant et écarte les obstacles qui l'entravent encore. La Russie rend à la Pologne subjuguée l'usage de sa langue. Le Danemarck, qui jadis cédait à l'influence germanique, cherchant à exploiter la différence qui, dans le Schleswig, existe entre la langue écrite et la langue parlée, tâche d'y développer de plus en plus son propre idiôme ; mais il trouve dans les hautes classes une vigoureuse résistance. L'Autriche, qui, dans tous les pays dont elle est composée, avait prescrit l'usage de la langue de l'ancien empire d'Allemagne, se voit forcée d'employer dans sa chancellerie autant de langues qu'elle compte de nations sous son sceptre. La Turquie, abdiquant une oppression quatre fois séculaire, permet aux Bulgares le libre usage de leur langage. Le Piémont, après avoir secoué le joug d'une langue étrangère, n'aurait pas rougi d'abord de faire peser sur un demi-million d'hommes une humiliation semblable, si rappelé au bon sens par la courageuse résistance de ceux que l'on opprimait à leur tour il ne s'était arrêté dans cette voie de violence.
Un seul pays fait encore exception. La Belgique a tiré l'épée et tranché le lien qui tenait les Pays-Bas réunis. Mais les Pays-Bas méridionaux étaient composés de deux parties constitutives, une partie flamande et une partie française, de la Belgique flamande et de la Belgique wallonne.
Le premier cri de liberté qui s'élève est toujours, et partout, pour la langue. Ce cri retentit également chez nous ; mais par le malentendu le plus inouï, par la confusion la plus sacrilège, la langue de la majorité y devint l'objet de la calomnie et du mépris, et le sourire de la victoire sur les lèvres, elle est allée partager le sort du vaincu.
La revendication de la liberté du langage dans la Belgique flamande ne pouvait s'articuler qu'en faveur de nos frères menacés, et nullement en faveur de notre propre langue, qui n'était pas menacée et dont les droits n'étaient pas lésés. Et cependant, on avait fait grand bruit de la langue flamande, mise en opposition avec la langue hollandaise, distinction qui n'avait pu être imaginée que par des esprits malveillants. C'est ainsi que, dès les premiers jours de la Révolution, la question des langues fut envisagée à ce faux point de vue et décidée arbitrairement par le Gouvernement. Le 5 octobre 1830, le gouverneur provisoire du Brabant méridional fait savoir aux bourgmestres de la province, par une circulaire française : « qu'afin de faire cesser l'obligation du hollandais, chaque bourgmestre rentre dans son droit de faire usage, selon son choix, ou du français ou du flamand, dans la correspondance administrative. »
Cette circulaire n'est autre chose qu'une recommandation directe du (page 86) français et une exhortation à faire cesser l'emploi de la langue du pays dans la correspondance. Le prétendu hollandais était condamné par les hommes de la révolution ; mais quelle était la limite qui le séparait du flamand ? Dans ces jours orageux, il pouvait devenir dangereux pour la sûreté personnelle de persister opiniâtrement à écrire dans sa langue. Le même jour que le gouverneur du Brabant méridional mettait son veto sur le prétendu hollandais, le comité central promulguait un arrêté annonçant : « qu'il paraîtrait une feuille officielle sous le titre de Bulletin des arrêtés et actes du Gouvernement provisoire. » Cette publication n'était pas traduite en flamand, et cependant chaque administration communale était obligée de s'y conformer trois jours après l'arrivée de la feuille dans le chef-lieu du canton. Un peuple vaincu ne pouvait être traité plus durement.
Onze jours plus tard, toutefois, on remédia quelque peu à cet état des choses. Le 16 novembre, le gouvernement provisoire décida que, dans les provinces où la langue flamande était en usage, les gouverneurs donneraient dans leur Mémorial administratif une traduction flamande des lois et des actes du Gouvernement applicables à tout le pays et des actes principaux qui ne concernaient que leur seule province.
Mais le Gouvernement provisoire, joignant l'ironie ou l'ignorance à l'arbitraire, déclara qu'il était impossible de publier un texte officiel flamand ou allemand des lois et arrêtés, attendu que ces langues, « en usage parmi les habitants de certaines localités, variaient de province à province, et même de ville à ville. »
On ne se borna pas à traiter injurieusement la langue de la majorité comme un patois en usage parmi les habitants de certaines localités, auxquels, conformément à la liberté des langues qui venait d'être proclamée, on laissait cependant le choix de se servir du flamand dans leurs rapports avec l'Administration. Non, on y joignit l'oppression la plus humiliante. Le sixième article de l'arrêté prérappelé permet que devant les tribunaux ou les officiers du parquet, les habitants se servent également de leur langue maternelle ; mais pour autant que la langue dans laquelle ils s'expriment soit comprise par les juges et les avocats plaidants, en matière civile, et par les juges, le ministère public et le défenseur en matière pénale.
Cette pièce, émanant du Gouvernement provisoire, est signée par les membres du comité central comte Félix de Mérode, Ch. Rogier et A. Gendebien.
Lorsqu'on porte pour devise sur sa bannière : « Liberté en tout et pour tous, » on commet un abus d'autorité et de confiance en même temps, si, au lieu de mettre en harmonie les intérêts divers, on sacrifie les droits les plus sacrés de toute une population à l'égoïsme et aux (page 87) caprices de quelques-uns. Il ne peut y avoir de garantie pour l'avenir, lorsque dans un moment de désordre, on oublie l'œuvre des siècles et que l'on ne tient aucun compte de ce qui fut toujours l'instrument principal du développement d'un peuple. Ou bien faut-il admettre que les signataires de l'arrêté du 16 novembre 1830 ne connaissaient la Belgique flamande ni dans son passé, ni dans son présent ? Nous croyons qu'ils ne la connaissaient pas ; et nous avons la conviction que les vrais coupables sont quelques Flamands haut placés, à cette époque, qui trouvèrent utile à leurs intérêts de laisser les hommes d'Etat wallons dans l'ignorance au sujet du véritable état de notre langue, afin de s'assurer ainsi dans les Flandres le monopole de l'autorité. Ils se plaçaient, à cet effet, d'une part, au-dessus de la nation, au moyen du français ; et, d'autre part, ils trouvaient, au moyen d'une équivoque sur la langue, à favoriser un esprit de parti insensé.
Comment expliquer autrement l'idée que le législateur de cette époque se formait de la liberté des langues proclamée par lui ? On met l'exception au-dessus de la règle, le privilège au-dessus du droit, le fonctionnaire au-dessus du peuple. Entre le citoyen libre, dont les intérêts les plus précieux sont en jeu, et le fonctionnaire qui ne comprend pas le flamand, le Gouvernement fait une distinction par laquelle il retire au citoyen la protection qui lui est due. En agissant ainsi, la Belgique introduisait un système aussi contraire au bon sens qu'à notre passé. Dans les circonstances les plus fatales, après les défaites les plus sanglantes, nos ancêtres étaient traités avec plus de respect par leurs maîtres étrangers. L'histoire du pays n'offre qu'un exemple auquel on puisse comparer la conduite du Gouvernement provisoire : c'est l'arrêté inique que la République française prit à l'égard de notre langue après l'incorporation de ces contrées, au mépris de promesses solennelles.
Pour démontrer avec quelle précipitation le Gouvernement provisoire a agi au nom de la liberté du peuple ; combien l'acte posé par lui a toujours paru injuste à la nation et combien ses attaques contre la langue sont mal fondées, nous rappellerons aussi brièvement que possible, d'après les sources authentiques, quelques particularités de la lutte que les Flamands eurent à soutenir durant cinq siècles pour jouir du libre usage de leur langue maternelle. De ce récit succinct, il résultera suffisamment que les Flamands eux-mêmes ne prirent jamais l'offensive, et que plus qu'aucun peuple, ils respectèrent l'individualité des autres ; que, par conséquent, ce serait joindre la calomnie aux nombreuses injustices dont nous souffrons que d'oser prétendre que la position défavorable dans laquelle se trouve actuellement notre langue, reçoit en quelque sorte sa justification de la loi du talion.
Au temps des ducs et des comtes, le Brabant et la Flandre formaient (page 88) deux Etats dont les habitants parlaient, pour la plupart, le flamand (note de bas de page de la traduction française : Le texte porte nederduitsch, littéralement bas-thiois, un des dialectes germaniques (note de l’éditeur.)), et dont le petit nombre appartenait à la race romane. Tant que les ducs et les comtes furent originaires du pays, il ne s'éleva point de sérieuses difficultés pour l'usage des langues. Le Gouvernement ne songeait pas à imposer à la minorité la langue de la majorité. Dans le Brabant, le quartier wallon, quelque petit qu'il fut, avait par octroi ducal, son bailli et sa cour. La Flandre wallonne n'avait pas non plus à se plaindre de la majorité, quoique dès le temps de la comtesse Richilde, l'attitude de cette partie du pays fut constamment telle, qu'à des époques simultanément glorieuses et pénibles pour l'amour-propre national, comme par exemple au XIVème siècle, une réaction de la part des Flamands n'aurait pas dû étonner.
Mais à peine nos provinces eurent-elles passé entre les mains de maîtres appartenant à la race romane ou qui avaient reçu une éducation romane, qu'un système tout-à-fait contre nature se fit jour : la langue de la minorité attaqua celle de la majorité et empiéta sur ses droits ; au lieu de l'indépendance réciproque s'éleva un système de domination brutale avec tout son cortège de tracasserie, de violence, et ce qui s'en suit. La Flandre en fut redevable aux plans de Philippe-le Bel, favorisés par la faiblesse de Gui de Dampierre et les rancunes de ses petits-fils. Mais si on porta atteinte à notre nationalité par des attaques ouvertes ou dissimulées contre la langue, le lien qui unissait les gouvernants et les gouvernés, le « Schild en Vriend » de Pierre de Coninck et le « God help !» de Philippe d'Artevelde, ainsi que les actes héroïques qui couronnèrent ces devises, démontrèrent que les Flamands ne se laissent pas abattre docilement, et les produits littéraires de ces époques offrent un tableau consolant de la vigueur de l'esprit national.
Ce fut surtout sous la maison de Bourgogne, que le prince se permit les empiétements les plus iniques à l'égard de la langue, et suscita dans les affaires administratives et judiciaires un bouleversement contre lequel s'élevèrent les plus sérieuses protestations.
Lorsque Jean-sans-Peur succéda à Philippe-le-Hardi dans le comté de Flandre, les échevins et le conseil de Gand, ainsi que les députés de Bruges, d'Ypres et du Franc lui soumirent cinq conditions, sans la ratification desquelles les Flamands refusaient de prêter au nouveau comte le serment de fidélité.
Ces cinq points, qui furent jurés le 21 avril 1404, sont autant de stipulations pour le maintien de l'unité indépendante du pays. Le prince sera tenu de les respecter dans toute leur étendue et dans toute leur (page 89) signification. Leur but est que le prince s'identifie avec la nation aussi bien en ce qui concerne la langue et les mœurs, qu'en ce qui concerne la vie politique.
Le premier point stipulait que le prince résidât en Flandre, et que pendant ses absences temporaires, sa femme fût chargée du Gouvernement avec plein pouvoir mais assistée de conseillers familiers avec le caractère du pays.
D'après le second point, le conseil de Flandre ne siégerait plus à Lille, dans le quartier wallon, où Philippe-le-Hardi. l'avait établi dans une intention hostile à notre langue ; mais il serait placé dans le quartier flamand, en deçà de la Lys, et les affaires y seraient traitées en flamand.
Le quatrième point portait que la Flandre, n'entendant pas se mêler des guerres entre les autres puissances, au profit de n'importe quelles prétentions du duc, ne souffrirait pas d'empiétement sur ses frontières thioises.
Le cinquième point stipule que les affaires générales seront traitées en flamand entre les gens du pays et le Gouvernement. « En effet, dit l'acte, il serait très étrange qu'on répondît en flamand aux questions françaises de ceux de Bourgogne, d'Artois, etc. ; et puis, les Flamands ne méritent pas d'être soumis à des conditions plus dures que ceux de Bourgogne ou d'Artois, ou que les Brabançons, les Hollandais et les Zélandais qui conservent leur langue, quoique le souverain de Brabant soit issu de la couronne de France, et quoique le comte de Hollande soit également prince de contrées où l'on parle français. »
Ces points, dont le refus aurait certainement abouti à une lutte sanglante, furent solennellement jurés et observés par le comte. Cependant, les moyens détournés pour priver peu à peu notre langue de son influence ne firent point défaut. Dans la joyeuse entrée de Brabant, jurée par le duc Philippe, le 23 mai 1427, l'article 41 portait « que le chancelier du conseil devait savoir le latin, le thiois (duutsch) et le wallon. » Comme langue de la majorité des habitants, le Flamand avait, par conséquent, le pas sur le français et était méntionné avant lui. Le texte de la Constitution brabançonne jurée par Philippe-le-Bon, le 5 octobre 1430,, portait, au contraire, à l'article 53 « que le chancelier doit savoir le latin, le wallon et le thiois (duutsch). »
On le voit, sous le duc Philippe Ier, la langue de la majorité, la langue du peuple brabançon proprement dit, conserve le pas sur la langue de la cour et de la minorité ; sous son successeur, elle est reléguée à l'arrière-plan.
Dans la joyeuse entrée de 1427, le duc promet à l'article VIII « qu'il n'admettra personne au conseil que des Brabançons nés et demeurant dans le Brabant, ou dont la famille habite le Brabant. » Philippe le Bon, en vue de la fusion de ses pays, omit cet article lors de son (page 90) inauguration, mais il fut forcé de stipuler dans l'article V : « qu'en l'absence du duc, le Gouvernement serait remis aux mains de sept personnes, parmi lesquelles le chancelier, sachant le latin, le wallon et le thiois, et deux membres du conseil sachant le thiois » ; et dans l'article IX : « Personne ne sera élu au Conseil, s'il n'est Brabançon, hormis le seigneur d'Enghien et deux membres du conseil du duc, qui cependant sauront le thiois. »
Le conseil ducal, dont il est fait mention ici, était le conseil suprême. Il fut réorganisé par Marie de Bourgogne, le 11 février 1476. Ce conseil, qui devait être partout où se trouvait le duc, était composé pour une moitié de nobles et pour l'autre moitié de licenciés pris dans chacune des contrées dont se composaient les Etats des ducs de Bourgogne, et cela proportionnellement à l'importance de chaque pays. Les contrées wallonnes : la Bourgogne, la Picardie, l'Artois, le Hainaut et Namur y étaient représentées par neuf membres ; les contrées thioises ou flamandes le Brabant, la Flandre, la Hollande et la Zélande, le Luxembourg, le Limbourg et le pays d'Outre-Meuse, par seize membres. Le chancelier devait savoir le latin, le wallon et le thiois ; les secrétaires, dont le choix et le nombre dépendait de la volonté du duc, devaient connaître au moins le wallon et le flamand.
En outre, il était stipulé que les affaires de ce conseil seraient traitées dans la langue que l'on parle dans le pays habité par les intéressés.
« Que toutes les lettres patentes et closes que l'on expédierait du grand conseil ou des chambres particulières de ce conseil seraient rédigées dans la langue que l'on parle dans l'endroit où elles seraient envoyées. »
Voilà l'égalité des langues reconnue de la manière la plus complète, sans arrière-pensée, sans danger d'interprétation équivoque. Il ne s'agit pas ici d'une simple province, mais de tous les Etats héréditaires de la maison de Bourgogne, qui poursuit ainsi la réalisation de ses idées d'unité. Plus tard, nous voyons par l'adjonction de l'Over-Yssel, de la Frise, de la Gueldre et du comté de Lingen, l'équilibre établi entre le wallon et le flamand se rompre encore davantage en faveur du dernier, sans que les Wallons en tirent le moindre sujet de plainte.
A-t-on jamais tenu compte au Flamand de cette conduite équitable ? Non ! A chaque abaissement du peuple, on faisait servir le français de corde à garroter le coupable, que l'on serrait ou desserrait selon les mauvaises ou les bonnes dispositions du maître, et que l'on détachait tout à fait lorsque le maître avait besoin de l'aide de ses sujets.
Après la bataille de Gavre, Philippe s'adressa en français aux députés de Gand, et exigea que la capitale de la Flandre lui demandât pardon en français.
(page 91) En 1445, les Bruxellois avaient encouru le mécontentement du même prince en voulant étendre trop loin leur juridiction. Le duc leur envoya à cette occasion une cédule dans laquelle il se plaignait d'eux. Ce document du maître est en français. Probablement par ordre supérieur, le pardon fut accepté avec reconnaissance dans la même langue.
Une preuve décisive que dans nos rapports avec l'administration supérieure l'usage du français nous était imposé contrairement à notre dignité d'hommes libres, c'est la conduite des Gantois peu de temps après la bataille de Gavre. Lorsqu'enfin le duc daigna honorer la fière cité d'une visite, il fut félicité en français hors des murs de la ville, mais à l'intérieur des remparts, les échevins et les doyens, parlant au nom de la commune, le saluèrent en flamand.
Ce ne fut pas la seule preuve de considération pour leur langue que les Flamands exigèrent et surent obtenir même dans des circonstances difficiles. Lorsqu'en 1385, par conséquent trois années après la défaite de Roosebeke, les Gantois furent invités, de la part du roi de France, à envoyer leurs députés à Tournay, afin d'y traiter de la paix avec le comte de Flandre, le sauf-conduit du roi pour 150 Gantois fut écrit en flamand. Dans le traité de paix qui en résulta et qui fut conclu entre François Ackerman, Charles VI et Philippe-le-Hardy, les Gantois stipulèrent que le texte flamand du traité serait le texte officiel pour la Flandre.
Le bailli d'Alost et les baillis des cinq quartiers d'Alost avaient publié certaine ordonnance en wallon ; mais, en 1407, les échevins de Gand prescrivirent à ceux d'Audenarde « qu'on n'obéirait pas à des ordonnances rendues en français. »
Philippe-le-Bon, que nous avons vu employer si orgueilleusement le français, comme un instrument destiné à humilier ses sujets, savait bien faire usage du flamand lorsqu'il avait des services à leur demander. Lorsqu'il s'agissait d'engager les Flamands à coopérer au siège de Calais et à consentir à une contribution à cette fin, le duc expédia un envoyé à Gand, avec ordre de s'adresser en flamand à la commune.
Dans toutes ces circonstances, il ne s'agissait pas de la question de savoir si le magistrat de Gand comprenait le français, mais bien de la dignité d'un peuple libre.
En 1451, les trois Etats de Brabant accordent un impôt, et le duc rend à ce sujet une ordonnance en flamand.
Et lorsque le duc devait statuer sur des contestations entre des villes qui se servaient de langues différentes, il ne manquait pas de donner son avis dans la langue de la majorité, comme cela résulte d'une décision du 4 mai 1434, entre Bruxelles et Louvain, d'une part, et Nivelles, d'autre part.
Il est naturel que, tandis qu'on se montrait si jaloux vis-à-vis du (page 92) maître, on ne s'avisait pas, dans les affaires d'intérêt communal, d'employer une autre langue, à moins que l'on n'eût à traiter avec des personnes ne parlant pas le flamand. Tous les livres et registres, tous les comptes des villes de la Flandre, du Brabant et de celles de la principauté de Liége qui appartiennent actuellement au Limbourg, en donnent la preuve la plus évidente ; et même le principal fonctionnaire de Bruxelles n'était pas tenu de savoir une autre langue vivante que la sienne, ou du moins de l'employer dans ses fonctions.
Dans le règlement du 4 mai 1434, par conséquent sous le gouvernement de Philippe le Bon, on lit entre autres : « Que le pensionnaire, lorsqu'il est appelé, doit se rendre près des magistrats pour leur donner conseil, excepté dans les affaires qui doivent être traitées en français, auquel cas, il n'est tenu d'y venir que pour autant qu'il le veuille. » (Luyster van Braband, II, p. 93).
Les rapports des Flamands avec leurs gouvernants sont de nouveau rompus par Charles-Quint. Nous avons déjà fait remarquer qu'à une époque antérieure, l'administration du comte se faisait dans la langue du peuple, comme le montre suffisamment l'explication de la charte de 1404. Sous les ducs de Bourgogne, il y avait lutte entre deux races pour savoir si l'une devait comprendre la langue de l'autre, ou s'il y aurait des oppresseurs et des opprimés. Maintenant, survient un autre oppresseur qui règne sur des peuples appartenant à deux races et qui aura, ou à imposer sa langue, ou à choisir entre les deux langues de la monarchie. L'usage traditionnel donnait déjà tort au flamand, et Charles, Bourguignon d'éducation, Espagnol et Allemand par raison d'Etat, arbitraire à l'égard de son pays natal, pouvait difficilement donner la préférence à la langue parlée par la bourgeoisie et ses chefs. Sous son règne, le français devient la langue dont on fait presque constamment usage dans les rapports entre les états de Flandre et l'administration générale. On n'eut plus égard à l'article 5 de la charte, octroyée en 1404 et renouvelée en 1478, par Marie. Dans les hautes administrations, on en était venu à une telle complaisance que les états de Flandre (et avec eux le conseil de Flandre) consentirent à employer, dans leurs rapports avec le gouvernement, la langue que Philippe-le-Bon avait commencé à préférer à la leur, dans sa joyeuse entrée.
Cependant les communes continuaient à défendre, aussi courageusement que jadis, leur langue comme le bouclier de la liberté. L'histoire nous en a laissé un exemple remarquable. Pendant les troubles de 1539, l'empereur, mécontent de la conduite des Gantois, envoya le comte de Roeulx dans leur ville. Un historien nous raconte de la manière suivante ce qui se passa entre la commune et l'envoyé : « Le dernier jour d'octobre (1539) se réunirent dans la chambre de la Collace, d'abord les (page 93) échevins des deux bancs, les notables de la cité, tous les doyens et la plupart des membres de la commune, où vint le seigneur de Reus, qui exposa d'abord verbalement qu'il voulait montrer à la ville de Gand tout l'honneur et toute l'amitié possibles, mais dit que l'empereur était très fâché contre ceux de Gand, comme il l'écrivait dans ses lettres au nombre de quatre ou cinq ; mais, comme elles étaient toutes en français et très difficiles à comprendre pour la commune, M. le grand doyen désira qu'on les traduisît en flamand, ce à quoi M. de Reus consentit. » (Memorieboek der stad Ghent, publiée par P. C. VAN DER MEERSCH, t. II, pp. 158-159).
Tout cela était dans la nature des choses. Violences et flatteries, d'une part ; chasse aux faveurs, d'autre part ; ce qui était bien fait pour introduire une autre langue que celle du peuple dans les rapports avec le gouvernement supérieur ; d'autant plus que des étrangers plus orgueilleux encore que des Bourguignons, savoir des Allemands et des Espagnols, intervenaient dans cette administration. On se flattait, dans les états et dans le conseil de Flandre, que tant de condescendance ne blesserait pas le sentiment de dignité du peuple, d'autant qu'il était d'usage de se servir du français dans les rapports avec les localités wallonnes.
Mais en dehors de ces cas, et par conséquent dans les affaires d'administration proprement dites, tout se faisait en Flandre, sous la domination espagnole, dans la langue populaire. Ces mêmes états qui avaient abdiqué leur individualité pour plaire au gouvernement, se servaient du flamand dans tous leurs travaux, rédigeaient les procès-verbaux de leurs séances en flamand et employaient le flamand dans toutes les affaires relatives aux villes du pays.
Le conseil de Flandre se servait de même exclusivement de la langue du pays lorsqu'il ne s'agissait pas de relations avec le gouvernement ou avec les populations wallonnes.
Quels que puissent avoir été les motifs de condescendance des états et du conseil de Flandre, en Brabant on était moins disposé à laisser méconnaître les droits de la langue. Les relations avec le quartier wallon de cette contrée avaient lieu sur le même pied qu'en Flandre ; mais les états avaient su mieux sauvegarder les droits de la langue vis-à-vis du gouvernement central. Les propositions faites au nom du prince par le chancelier du Brabant pour le règlement des sommes accordées annuellement ou pour d'autres affaires, étaient formulées en flamand, et les différentes divisions des états rédigeaient leurs actes dans la même langue.
Pour ce qui concerne les états généraux des Pays-Bas, cette assemblée instituée par un duc de Bourgogne, employait dans ses séances la (page 94) langue du conquérant, et ce n'était pas sous un Charles-Quint, qui confia successivement le gouvernement du pays à des femmes et qui, plus qu'aucun de ses prédécesseurs, avait cherché à façonner, dès leur enfance, les nobles néerlandais à la vie française des cours, que le génie de la nation aurait pu parler assez haut pour faire valoir les droits de l'égalité. Cet état de choses cependant n'était pas naturel à la nation ; elle ne le supportait que par éloignement pour les discordes. C'est ce qui résulte du fait que les états, institués par l'union d'Utrecht, se servaient exclusivement du flamand dans tous leurs travaux, et que même la pacification de Gand, dont cette union fut un résultat et à laquelle les contrées wallonnes prirent part, fut rédigée dans la langue de la majorité. Il ne manque pas non plus d'exemples que les états publièrent des pièces écrites en flamand, comme par exemple ; la lettre du 14 avril 1579 adressée aux différentes parties du pays, à la suite de la non comparution de quelques députés à la convocation générale.
Dans les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, sous les régimes espagnol et autrichien, les affaires administratives de nos contrées se continuèrent sur le même pied. Le flamand était employé exclusivement, hormis dans les rapports avec le gouvernement général et les quartiers ou les communes wallonnes ; dans ces derniers cas, on faisait usage du français. Les conditions relatives aux garanties en faveur de la langue furent maintenues dans les joyeuses entrées, mais elles furent de moins en moins observées. Il n'est pas étonnant que le duc d'Albe rangeât la langue parmi le patrimoine des révoltés et la traitât aussi arbitrairement qu'il le faisait les habitants ; mais on trouvera une preuve nouvelle du prix que le Brabant attachait à sa langue, dans le fait que les états de cette contrée renvoyèrent non ouvertes à ce général inflexible, les lettres closes rédigées en français qu'il leur avait adressées.
La conduite de l'archiduc Albert démontre que sous les gouverneurs la langue et la liberté étaient considérées comme inséparables. La naissance et l'éducation du prince s'opposaient à ce qu'il donnât injustement la préférence à une langue romane sur une langue allemande. Comme souverain, il mit sur un pied d'égalité les deux langues populaires des Pays-Bas, mais ne daigna parler ni l'une ni l'autre avec ses sujets. Celui qui s'adressait à lui, en flamand, recevait une réponse en allemand et il répondait en espagnol à ceux qui lui parlaient en français. (Voyez M. J. BRITZ. Mémoire (couronné) sur l'ancien droit Belgique, page 188.)
La véritable décadence de la langue, en notre pays, paraît dater de l'administration des archiducs. Tandis que de l'autre côté de nos deux grands fleuves la littérature participe au développement extraordinaire de la nation et produit une série de chefs-d'œuvre, elle ne conserve chez nous (page 95) qu'un pâle reflet de sa grandeur passée. La langue n'est plus l'objet d'une étude sérieuse faite pour ouvrir des routes nouvelles à l'esprit humain ; elle n'est plus que l'instrument d'une existence stationnaire. Le centre de la nationalité n'est plus en Flandre ni en Brabant ; l'appui de la monarchie est dans les gardes wallonnes, dans lesquelles tous ceux qui briguent les distinctions militaires doivent s'enrôler. La noblesse néglige toute garantie en faveur de la nationalité ; le clergé n'emploie que timidement une arme que le parti adverse manie avec tant de dextérité ; et le peuple insouciant ne nourrit son esprit que de vieilleries, ou bien, oubliant ses chants nationaux, il fredonne les vulgaires chansons des bandes étrangères qui viennent le pressurer et le piller journellement.
Un nouveau changement de maîtres, le passage de notre patrie des mains de l'Espagne en celles de l'Autriche, devait aggraver encore la position déjà si déplorable de la langue. Les gouverneurs espagnols ne pouvaient entièrement oublier les usages respectés sous Charles-Quint et sous Philippe II ; mais le gouvernement autrichien, qui avait obtenu le pays par une transaction, ne se croyait pas si étroitement lié. La langue, qui avait toujours été le véhicule de la nationalité, était loin de donner aux nouveaux propriétaires les garanties de paix et d'obéissance nécessaires, la seule chose qu'ils désiraient, après les moyens de combler les coffres de leur trésor et les cadres de leur armée. Les joyeuses entrées étaient jurées, mais les dispositions concernant la langue étaient observées fort peu fidèlement ; et les requêtes présentées contre cet abus étaient dédaigneusement écartées.
Il était de règle que les documents d'Etat, soit d'intérêt général, soit d'un intérêt particulier pour les contrées flamandes, fussent publiés en flamand, dans ces provinces. Sous la domination autrichienne, il arriva cependant plus d'une fois, que l'on se servît du français en Flandre. Quant aux ordonnances générales, on les publiait tantôt en français, tantôt en flamand ; mais le texte original était en français. Il est évident que ce système avait pour but d'exclure petit à petit le flamand des affaires administratives. La manière d'agir du gouvernement de Marie-Thérèse, à l'égard du conseil privé, en 1777, fournit la preuve de cette tendance, en même temps que de la décadence de l'esprit national dans les classes élevées des provinces flamandes. En 1777, une place de conseiller du conseil privé devint vacante, et parmi ceux qui postulaient ces fonctions il y avait un membre du conseil du Hainaut nommé Papin. Le conseil privé lui était opposé et déclarait « qu'il devait d'abord apprendre le flamand. » Mais le prince de Staremberg, ministre plénipotentiaire dans les Pays-Bas, fut d'avis que l'impératrice ne devait pas se laisser arrêter par cette objection. « Pour ce qui concerne les observations du conseil au sujet du conseiller Papin en ce qui touche le flamand, » écrit-il à (page 96) l'impératrice, « on pourrait objecter qu'il est convenable plutôt qu'indispensable que tous les membres du conseil privé sachent cette langue. En effet, on a eu déjà au conseil les membres Maloteau et Stassart qui ne la savaient pas : le conseiller Van Lulberg, qui y siège encore, n'en sait que ce qu'il en a appris depuis son entrée. »
Ainsi la condescendance du conseil était devenue à la longue un motif pour méconnaître les droits les plus sacrés d'un peuple.
L'insurrection contre le gouvernement autrichien ne dura pas assez longtemps pour porter à cet état de choses un remède réel. Cependant la volonté d'y remédier existait ; et ce qui le prouve, c'est la publication, en 1788, d'une « collection de XXIV chartes, privilèges et keures originaux concernant la province de Flandre des XIIIe, XIVe, XVe et XVIe siècles.»
Ce n'était donc pas par le fait de la nation elle-même, mais par les agressions et les empiétements des dominateurs étrangers, que l'autorité légitime de la langue avait périclité. Jusqu'à la fin, les communes et le peuple restèrent conséquents dans la revendication de leurs droits ; et ils se montrèrent en même temps libéraux en ce qui concerne les droits d'autrui, pour autant que ceux-ci ne pouvaient pas léser les leurs. Là où la population était purement flamande, tout se traitait, l'administration aussi bien que la justice, exclusivement dans la langue du peuple, et l'étranger devait se conformer aux usages. Là où il y avait des communes wallonnes, ces communes avaient une administration et une justice exclusivement françaises. A Anvers, toutes les annonces, aussi bien celles qu'on notifiait par affiches que celles qui étaient faites de vive voix, étaient en flamand, et dans les affaires criminelles, aussi bien que dans les affaires civiles, les tribunaux n'admettaient que la langue du pays. On en agissait de même à Bruges, dans le Franc de Bruges et à Ypres. Dans la châtellenie d'Audenarde, au contraire, où il y avait quelques villages wallons, les jugements criminels étaient rédigés en français lorsque l'accusé était wallon ; mais, dans les affaires civiles, on se servait toujours du flamand. La même chose se passait à Hasselt où les rapports avec les communes wallonnes avaient lieu au moyen du français, mais où les affaires de la commune se traitaient exclusivement en flamand ; le même usage était en vigueur à Tongres, où le français n'était employé que dans les rapports avec les autorités résidant à Liége. Les chartes de Saint-Trond ont disparu, mais il en était là sans doute de même que dans les autres villes flamandes de la principauté de Liége. En tout cas, ce qu'on a retrouvé des coutumes de cette ville de l'an 1366 est en flamand. Ces usages se seront sans doute perpétués, avec ou sans modifications, dans la langue nationale, comme c'est le cas pour toutes les coutumes de localités ou de provinces flamandes.
Les efforts des écrivains de la fin du XVIIIe siècle, pour acquérir de (page 97) l'originalité et de la vigueur, faisaient espérer que les droits politiques de la langue nationale seraient dorénavant mieux défendus vis-à-vis du gouvernement central. Mais la France, qui convoitait depuis si longtemps la possession du pays, favorisée par une révolution sociale, vint anéantir les espérances les plus légitimes. Couvrant du vernis de la liberté le droit du plus fort, elle changea les Pays-Bas en départements français
Et quelle fut alors la récompense de nos pères qui, comptant sur la fraternité française, avaient, au prix de leur sang, refoulé les Autrichiens au delà des frontières ? La récompense inévitable de toute alliance irréfléchie avec des étrangers plus puissants : la déception et l'humiliation. Lorsque les libertés locales, les libertés individuelles furent abolies, au nom des droits de l'homme, on porta en même temps la main sur le bien le plus précieux que possède un peuple : la langue qu'il parle. On fit disparaître les privilèges de castes pour attacher tout un peuple à la même chaîne, pour inaugurer un privilège unique, celui de la tyrannie brutale. Faite française à deux reprises, d'abord à coups de sabre, ensuite par décrets de la convention, la nation n'avait plus de représentants pour élever la voix contre cet attentat de lèse-humanité. On ne trouva que des instruments dociles du nouveau pouvoir ; ils n'avaient pas le courage de défendre la langue qu'ils portaient cependant dans leur cœur.
Après que la langue nationale eut été exclue de toutes les affaires administratives, tant locales que provinciales, on voulut bien permettre pour quelque temps que les avis et les actes des administrations locales fussent publiés dans les deux langues. Mais en 1803 (24 prairial an XI), il parut un arrêté prescrivant qu'après l'année révolue, toutes les actes publics seraient rédigés en français, avec faculté d'en donner en marge une traduction flamande ; que les actes sous seing privé pourraient être rédigés en langue maternelle, mais à condition que les parties contractantes y joignissent une traduction faite par un traducteur juré. L'arrêté prérappelé s'exprime comme suit :
« Art. 1er. Dans un an, à compter de la publication du présent arrêté, les actes publics dans les départements de la ci-devant Belgique, dans ceux de la rive gauche du Rhin.... où l'usage de dresser des actes dans la langue de ces pays se serait maintenu, devront tous être écrits en langue française.
« Art. 2. Pourront, néanmoins, les officiers publics dans les pays énoncés au précédent article, écrire à mi-marge de la minute française la traduction en idiôme du pays, lorsqu'ils en seront requis par les parties.
« Art. 3. Les actes sous seing privé pourront, dans ces départements, (page 98) être écrits dans l'idiôme du pays, à la charge par les parties, qui présenteraient des actes de cette espèce à la formalité de l'enregistrement, d'y joindre, à leurs frais, une traduction française desdits actes, certifiée par un traducteur juré. »
Ce véritable attentat aux droits de l'homme, outre les obstacles matériels qu'il entraînait, était trop dangereux quant aux intérêts des familles qui auraient eu recours aux traductions autorisées, pour que les hommes compétents n'y fissent pas opposition. La chambre des notaires de Bruxelles, se plaçant à ce point de vue, fit valoir, mais en vain, ses griefs contre cette mesure ; on lui répondit : « que le gouvernement avait prescrit l'exécution ponctuelle de l'arrêté du 24 prairial an XI, que le texte français des actes pouvait seul être considéré comme authentique et que toutes les observations au sujet de ces dispositions étaient inutiles. »
Napoléon continua vigoureusement le système de tout franciser : il érigea des lycées d'où le flamand et tous les souvenirs nationaux étaient bannis, mais où, par compensation, la gloire militaire de la grande nation et l'honneur d'en faire partie étaient proclamés comme le comble du bonheur. Les préfets exigeaient des instituteurs, tant de la campagne que des villes, qu'ils enseignassent de préférence le français aux enfants, et l'impression des livres flamands était, au moyen de la censure, devenue presque impossible. Les préfets mettaient obstacle à la publication de journaux flamands, sous prétexte que, ne sachant pas la langue dans laquelle ces feuilles étaient rédigées, ils ne pouvaient surveiller ce qui s'y imprimait ; et, l'on considéra comme une concession importante le décret impérial du 22 décembre 1812 qui permit de publier des journaux flamands à condition, toutefois, qu'ils fussent accompagnés d'une traduction française.
La domination française dura à peine la cinquième partie d'un siècle ; mais elle entama d'autant plus fortement la langue et les mœurs que le système dont elle découlait et que la volonté de Napoléon, qui ne ménageait rien, avaient été plus absolus. Le gouvernement néerlandais qui succéda à l'empire ne trouva que ruines : langue, mœurs, souvenirs, tout cela avait dû céder devant la langue, les mœurs et les souvenirs étrangers ; il aurait fallu une résolution égale à l'audacieuse témérité du gouvernement français pour rétablir rapidement et solidement tout ce qui était détruit.
On s'y prit autrement. Après que, successivement par arrêtés du 8 juin et du 1er octobre 1814, la langue nationale eût été rétablie pour les actes notariés, il s'écoula neuf années avant que le flamand eût reconquis son autorité légitime dans les affaires publiques. Par arrêté royal du 15 septembre 1819, il fut stipulé, qu'à dater du 1er janvier 1823 on (page 99) ne reconnaîtrait et n'autoriserait plus d'autre langue que celle du pays dans les affaires publiques, pour les provinces de Limbourg, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale et d'Anvers.
Mais l'administration néerlandaise, se conformant au caractère du peuple, ne voulut pas que les intérêts des particuliers fussent lésés par des mesures d'utilité générale. Les motifs pour lesquels on laissait un aussi grand laps de temps entre la promulgation et l'exécution de l'arrêté précité, étaient exprimés comme suit : « Mais tout en considérant la facilité et l'intérêt des habitants comme but principal des dispositions à arrêter, désirant néanmoins donner en même temps aux fonctionnaires auxquels le long emploi de la langue française dans les actes publics, rendrait un certain laps de temps indispensable pour se familiariser de nouveau avec l'usage de la langue nationale dans ces actes, l'occasion et les moyens à ce nécessaires..... » C'est seulement par arrêté du 26 octobre 1822 que les arrondissements de Bruxelles et de Louvain furent compris dans la mesure, après que, par arrêté du 5 juillet de la même année, les communes wallonnes, qui depuis l'organisation française avaient fait partie de ces arrondissements, en eurent été distraites. Probablement à cause d'informations incomplètes ou inexactes, il n'y est pas fait mention des communes flamandes faisant partie des cantons de Landen et d'Aubel dans la province de Liége, et du canton d'Enghien dans la province de Hainaut.
Malheureusement alors la discorde s'était glissée dans le pays. L'administration était une continuation du régime français, et le gouvernement était résolu de suivre la direction que la grande révolution avait imprimée à l'esprit humain. Ceux qui étaient les plus fidèles à la langue, se méfiaient du gouvernement, parce qu'ils trouvaient les plus grands ennemis de la langue parmi les amis de son système politique et gouvernemental. C'est pour contenter ceux-ci que parut l'arrêté royal du 4 juin 1830, modifiant celui du 1er janvier 1823, ce qui donna à la conduite du gouvernement l'apparence d'avoir en effet lésé les droits de la langue de la Belgique flamande.
Cependant l'étude de la langue était incomplètement organisée dans l'enseignement de l'Etat ; tandis que la partie adverse, qui continuait de suivre un système linguistique défectueux, reléguait le flamand à l'arrière-plan, et ne l'employait même plus comme moyen d'enseignement dans ses établissements de prédilection.
La révolution avait sous la main tout ce qu'il fallait pour faire de la langue des Flamands un instrument inutile : l'arrêté du 5 octobre 1830, la circulaire du gouverneur du Brabant méridional, soutenus l'un et l'autre par la séparation violente des provinces du Nord, précédés de milliers de signatures contre le prétendu hollandais ; le système par (page 100) lequel on avait obtenu ces signatures continué au Congrès par des membres flamands ; toutes les affaires d'administration générale et locale traitées exclusivement en français ; le commandement en flamand remplacé immédiatement dans l'armée par le commandement en français, et l'appel immédiat, aux épées et aux plumes françaises. En fallait-il plus pour tout bouleverser ? Dans les administrations communales, soit que l'on adoptât le nouvel ordre de choses, soit que de nouvelles administrations remplaçassent les anciennes, l'emploi du français semblait être la première condition d'adhésion à la révolution. La même idée dominait dans les tribunaux, dans la direction de la police, partout où l'autorité avait à intervenir.
Le gouvernement donna également l'exemple dans l'enseignement ; les chaires de langue hollandaise ou flamande aux universités, abandonnées par les professeurs hollandais, furent abolies par un arrêté du gouvernement provisoire, qui prit une mesure semblable à l'égard des athénées et des collèges, sous prétexte de chasser le prétendu hollandais de l'enseignement. De cette manière, le français devint le seul moyen d'enseignement, et Bruxelles donna même l'exemple en faisant régner le français exclusivement dans les écoles populaires. Les institutions particulières considérant ces exemples comme un avertissement ; et menacées par la concurrence de tout Belge ou étranger qui se croyait capable de jouer le rôle d'instituteur, devaient suivre fatalement le torrent ; il passa bientôt en axiome que le français, et le français seul, était la langue du gouvernement et de l'enseignement, la langue de la civilisation et du progrès.
Cependant, le flamand perdait journellement du terrain à mesure que le français paraissait plus indispensable, grâce au développement continu de l'action administrative. Comme si tout ce développement de forces n'avait pas encore suffi pour convaincre le peuple que le français était la langue dominante, on multiplia les inscriptions officielles françaises jusque sur les voitures et les chariots. Et aujourd'hui le flamand ne sert plus qu'à rappeler au Flamand qu'il a à payer des contributions ou des amendes.
D'un autre côté, on faisait peser sur le flamand l'accusation insensée de ne pas être tout à fait différent du hollandais ; et le mouvement flamand quelque faible qu'il fût, fut observé avec méfiance. Les écrivains flamands ne l'ignoraient pas, et plaçant la probité au-dessus de l'habileté, ils surent respecter cette méfiance. Ce fut seulement après la ratification de la séparation des Pays-Bas, que le peuple flamand s'adressa aux pouvoirs suprêmes, afin d'obtenir que l'égalité inscrite dans la Constitution cessât d'être un vain mot pour une moitié de la nation et un masque d'oppression pour l'autre. Plus de deux cents communes (page 101) envoyèrent, en 1840, des pétitions à la Chambre des Représentants, par lesquelles elles demandaient :
« 1° Que toutes les affaires provinciales et locales fussent traitées en flamand dans les parties flamandes du pays ;
« 2° Que les fonctionnaires de l'Etat dans ces parties se servissent de la même langue, dans leurs rapports soit avec les administrations communales, soit avec les habitants ;
« 3° Que cette langue fût également employée par les tribunaux lorsque les parties ou les accusés la comprendraient ;
« 4° Qu'il fût établi une académie flamande ou une section flamande près de l'académie de Bruxelles, pour l'encouragement de la littérature flamande ;
« 5° Que le flamand jouit à l'université de Gand et aux autres écoles de l'Etat des mêmes privilèges que le français. »
Depuis, il ne s'est presque plus passé de session sans que les griefs des Flamands n'aient été soumis aux Chambres ; sans que les efforts des Flamands pour sortir d'une situation aussi équivoque qu'humiliante n'aient été appuyés par l'éloquence la plus chaleureuse. Mais chaque fois, la majorité écartait les requêtes ; ou lorsque les Flamands réussissaient à obtenir une concession, on trouvait des raisons pour empêcher que la loi ne fût appliquée comme la nation l'entendait. Ainsi en a-t-il été de la loi sur l'enseignement moyen, dans laquelle l'étude approfondie du flamand est prescrite à Gand et ailleurs le flamand n'est nullement enseigné dans la première classe ; dans la deuxième et la troisième classe, on n'y consacre qu'une heure ; tandis qu'on accorde le double d'heures à l'anglais et à l'allemand.
Il devait y avoir des motifs bien graves pour qu'une chambre constitutionnelle contrecarrât ainsi une cause populaire.
On a dit si l'on veut donner de la solidité au nouvel Etat, il faut que le lien qui unit toutes les parties de l'Etat soit un, et, comme le français a été l'instrument de la révolution, c'est à lui qu'appartiennent l'administration et l'enseignement.
Que la multiplicité des langues offre des difficultés que l'on ne rencontre pas dans les pays où l'on ne parle qu'une langue, c'est une vérité palpable : la langue est le lien le plus naturel et le plus simple d'un peuple. Aussi l'esprit de conquêtes n'a-t-il jamais négligé de prendre l'égalité des langues pour prétexte, afin de donner à sa convoitise un semblant de justice. Il ne manque pas d'exemples qui prouvent que, faussant les faits, les conquérants ont voulu leurrer des peuples de langues et même de races diverses à l'aide de cette image magique de l'unité de langue. Mais si un tel système peut sourire au despotisme, parce qu'il y voit un moyen pour étendre ses conquêtes au dehors, et (page 102) renforcer sa volonté au dedans, pour une nation constitutionnelle un pareil rêve est un non sens : l'égalité de tous ne donne à personne le droit de ravir aux autres leur liberté constitutionnelle. L'idée de cette liberté en comprend encore une autre : celle de la connaissance de tout ce qui concerne la vie du citoyen libre et cela, d'une manière immédiate, sans l'entremise de tiers. Dans un pays bien organisé, quelque restreinte que soit la liberté, c'est l'indigène qui doit en jouir en premier lieu et non l'étranger, qui y participe seulement par hasard ou par tolérance. Devant le tribunal de la raison on ne contesterait pas cet axiome. Chez les anciens Gantois, il était de principe qu'un règlement ne devenait obligatoire que lorsqu'on en avait donné connaissance à la bourgeoisie d'une manière intelligible.
Mais, a-t-on objecté, le flamand est une langue insignifiante, qui est parlée plus ou moins mal d'une frontière de la Belgique flamande à l'autre, et qui, par conséquent, ne vaudrait pas la peine qu'on mettrait à l'apprendre.
La langue d'un peuple ne peut jamais être insignifiante pour ce peuple ; elle ne peut pas l'être non plus pour un gouvernement, qui, tout bien considéré, n'est que le mandataire du peuple sans plus ; à moins que le gouvernement n'ait l'intention de faire des conquêtes, et qu'au lieu de faire participer la nation aux avantages de la victoire, il veuille la sacrifier aux intérêts des nouvelles annexes de l'Etat, changeant ainsi la victoire en défaite, la gloire en honte.
Ce n'est pas ici qu'il convient de justifier la langue de l'accusation d'insignifiance, tant en ce qui concerne sa forme qu'en ce qui concerne l'étendue de son domaine : à notre avis, chaque langue a pour le peuple qui la parle une valeur première et principale ; et le gouvernement ne peut pas y attacher moins de prix qu'à la nation même qui s'en sert. Toutefois, nous pouvons bien rappeler en passant que le flamand, qui en Belgique doit soutenir tant de luttes, supporter tant d'humiliations, est la langue dans laquelle, dans un pays voisin, s'exprime le peuple tout entier, les autorités aussi bien que les citoyens. Ce que l'on voudrait ici rabaisser à l'état de patois, c'est la langue de sept millions de Bas-Allemands du sud et du nord, qui possèdent une littérature commune, dont l'origine se perd dans la nuit des siècles. La langue que nous parlons est, en dehors des limites des Pays-Bas, le patrimoine de plusieurs millions d'autres Bas-Allemands, qui ne sont pas séparés pour toujours et d'une manière absolue de notre mouvement moral et littéraire ; et sur les rivages de mers incommensurables notre langue jouit d'une grande autorité.
Plus tard, les partisans de la langue française ont fait valoir un autre motif pour contester au flamand son rang légitime. Si, dit-on, les (page 103) Flamands se plaignent d'être opprimés par une langue étrangère, les Wallons n'ont-ils pas fait le même sacrifice ? Car le français n'est pas leur langue maternelle : le français est la langue neutre, la langue commune ou gouvernementale pour le Wallon comme pour le Flamand.
S'il en était ainsi, le gouvernement provisoire n'aurait certes pas négligé de le dire dans son arrêté du 16 novembre 1830, et il aurait exercé son autorité aussi bien sur la langue des Wallons que sur celle des Flamands. Les Wallons auraient-ils fait une opposition aussi énergique au gouvernement en faveur d'une langue qui n'eut pas été le seul instrument de leur civilisation ? En voulant motiver, par des raisons aussi peu plausibles, l'état d'infériorité dans lequel on relègue le flamand, on prouve quelle injustice il y a à faire peser une partie du pays sur l'autre. Les provinces wallonnes ont leur patois comme les provinces flamandes ; mais la langue cultivée des Wallons fut et est encore le français, comme le flamand est la langue littéraire des Flamands ; qu'importe que cette langue se désigne quelquefois par différents termes selon les divers pays où elle est usitée : flamand en Flandre, hollandais en Hollande ; c'est un reste de l'ancienne organisation politique.
Mais supposons un instant que le français ne fut pas depuis des siècles la langue littéraire des Wallons, comme le flamand est la nôtre ; serait-ce une raison, parce que le Wallon n'a pas une littérature proprement dite dans la langue qu'il a entendue dès le berceau, pour refuser aux Flamands les avantages d'une langue à eux ?
Non, un peuple qui possède une langue et une littérature qui lui sont propres ne peut pas abdiquer son droit pour ménager l'amour-propre des autres ; ne serait-ce pas une folie si les Flamands rendaient impraticables ou détruisaient leurs canaux et leurs routes, ces monuments magnifiques et utiles de la sollicitude de leurs pères pour le bien-être de la patrie, afin de ne pas aiguillonner la jalousie de frères dont les ancêtres auraient dépensé moins d'argent à ces artères de la prospérité publique ? Il serait d'un mauvais économiste d'exiger que les richesses naturelles d'une contrée restassent négligées, parce que, en d'autres endroits, on ne trouve pas de trésors semblables ?
On a prétendu que la langue nationale des Flamands est un obstacle à la civilisation, une cause de la routine qui a conduit la Flandre au paupérisme. Ce ne peut être là qu'une accusation malveillante, inventée pour justifier la conduite de ceux qui pensaient qu'il aurait suffi de faire dominer partout le français pour supprimer entièrement le flamand et pour donner un semblant d'équité à la folie de ceux qui, par présomption ou mollesse, avaient rompu le lien naturel qui les liait à leurs compatriotes. Il est à remarquer que l'immense malheur qui accabla la Flandre à la suite du déclin de la filature à la main, arriva à l'époque où notre langue nationale était le plus (page 104) ravalée. Lorsque nous reportons nos regards à des époques reculées, quand est-ce que le peuple montra moins d'énergie que sous le régime autrichien, précisément à l'époque où la langue nationale perdait successivement l'un de ses droits après l'autre, jusqu'au moment où, dégoûté de tant d'injustice, on remit au jour les anciens privilèges? Les jours de la plus grande prospérité pour la Flandre furent au contraire ceux où le pays ne formait, pour ainsi dire, qu'une famille, lorsque les citoyens les plus notables donnaient l'exemple de l'amour de la langue et en défendaient pied à pied les droits sacrés.
Et maintenant que, grâce au réveil de l'esprit national, les jours de malheur sont presque écoulés, on s'empare de la statistique pour combattre les droits de notre langue, comme si la prospérité ou le malheur d'une nation ajoutait ou ôtait quelque chose à ce qui est juste. Un peuple n'est pas anéanti parce qu'il est éprouvé ; et une diminution temporaire de la population n'est pas une preuve que l'avenir lui échappe. Du reste, si par un concours de circonstances la population a diminué dans quelques parties de la Flandre, d'autres parties de la Belgique flamande ont bien compensé ces pertes.
Tous ces raisonnements contre une langue qui, en dépit de toutes les combinaisons de la statistique, reste encore la langue de la majorité, semblent avoir été inventés pour appuyer ou motiver l'arrêté du 16 novembre 1830. Ils ne sont, comme l'arrêté lui-même, rien que des efforts pour entraver la vie de la Belgique flamande dans sa manifestation nouvelle et énergique. La république française avait du moins la franchise de dire vous n'êtes plus un peuple ; dorénavant vous recevrez la lumière par notre entremise. Maintenant on est plus circonspect ; on met un masque et on s'adresse à la vanité ; et c'est prétendument par fraternité, par humanité, que l'on veut pour ainsi dire forcer un peuple à se séparer en deux castes, qui n'ont de commun l'une avec l'autre que la terre qu'ils habitent et des fragments d'une langue pour le commerce journalier.
Les travaux du Congrès n'étaient pas faits pour donner une position plus favorable à la langue. L'article 23 de la Constitution fût la confirmation de l'arrêté du 16 novembre 1830. L'abus se perpétua ainsi, et aucune loi n'est venue jusqu'ici mettre un terme à cette situation si déplorable.
En instituant une commission chargée d'examiner les griefs du peuple flamand et d'indiquer le moyen d'y remédier, le gouvernement a reconnu que la prépondérance exercée par une partie du pays sur l'autre peut cesser, et que chacune des deux divisions devrait, pour se développer, pouvoir utiliser l'élément qui lui est propre. Telle fut toujours la conviction des Flamands, qui dans leurs pétitions aux Chambres législatives (page 105) insistèrent toujours pour que, hormis quelques points d'administration supérieure dans lesquels le citoyen n'a pas à intervenir directement, les deux langues fussent placées sur un pied d'égalité, et que le citoyen flamand pût jouir, au moyen de sa langue, des mêmes avantages que le Wallon, au moyen du français. Cette idée est l'explication pure et simple du principe fondamental de notre Constitution, qui proclame l'égalité de tous les Belges, et la liberté en tout et pour tous.
C'est avec cette conviction que la commission a accepté sa tâche ; cette conviction a été son guide dans l'indication des moyens propres à remédier aux griefs, que le gouvernement doit trouver utile de faire cesser le plus tôt possible.
La question majeure et sur laquelle nous devons en premier lieu appeler l'attention du gouvernement, c'est l'enseignement. C'est l'enseignement qui imprime à la nation la direction qu'elle doit suivre. Cette vérité n'a échappé à aucun gouvernement ; et depuis 1830 on a travaillé chez nous avec un redoublement de zèle et d'énergie à la confirmer. Le désir d'étouffer le principe flamand sur son propre terrain était d'autant plus ardent, que parmi les hommes les plus considérables qui appartenaient à l'enseignement, il y en avait quelques-uns qui croyaient sincèrement qu'il était utile d'en finir avec le flamand.
L'Etat semble avoir placé de préférence des Wallons, des Français ou des Allemands comme professeurs de l'enseignement moyen dans les provinces flamandes ; et les préfets des études des athénées ont été constamment, et par leur naissance et par leur éducation, étrangers à la Belgique flamande. Un pareil système devait éteindre chez l'élève toute sympathie pour la langue maternelle, d'autant plus que, comme nous l'avons déjà fait remarquer, le français fut introduit sur une large échelle dans les établissements d'enseignement primaire, afin de faciliter à la jeunesse les études aux athénées et aux collèges.
Toutes ces précautions n'ont pas empêché un fait très -remarquable de se produire, entre autre à Gand. La plupart des élèves distingués de l'athénée de cette ville avaient reçu leur éducation première aux écoles gratuites communales, où l'enseignement a toujours été donné dans la langue maternelle. Abstraction faite de l'excellente méthode suivie dans ces établissements, on a pu remarquer que les élèves des écoles communales avaient appris à penser, tandis que les élèves des institutions particulières, s'en étaient tenus aux mots. L'étude précoce des langues étrangères peut bien donner une certaine facilité dans l'emploi de ces langues ; mais cette habileté s'acquiert aux dépens de (page 106) l'originalité et de la solidité de l'esprit ; parce que chaque langue par ses idiotismes, ses métaphores, ses proverbes, etc., donne à l'esprit une direction qui appartient à l'individualité de la nation qui la parle. On a également observé que l'étude précoce et simultanée de différentes langues ne présente pas dans les études subséquentes un avantage pour l'élève, vis-à-vis de ceux qui ont été élevés exclusivement dans la langue maternelle et qui ont étudié les langues étrangères au moyen de leur propre langue. En outre, l'enseignement dans la langue maternelle a le grand avantage d'enraciner plus profondément dans le cœur de la jeunesse l'amour de la patrie, tandis que l'expérience nous a montré trop souvent les suites funestes du système contraire.
N'oublions pas qu'à son émancipation, l'homme a le droit de demander compte aux précepteurs de sa jeunesse de l'instruction aussi bien que de l'éducation qu'il a reçues, et qu'un jour on mettra en cause la responsabilité de ceux qui ont refusé au Flamand les moyens de se servir de la langue nationale dans toute sa vigueur et toute sa clarté.
La fondation de deux écoles normales, l'une à Lierre, dans la Belgique flamande ; l'autre à Nivelles, dans la Belgique wallonne, démontre que le gouvernement admet le principe de l'égalité complète des deux races. D'après ce principe on pourrait croire que dans l'une de ces écoles l'enseignement est tout à fait flamand, dans l'autre entièrement français, Cela n'est cependant vrai que pour l'établissement wallon, tandis que dans l'autre établissement les études linguistiques embrassent également le flamand et le français. A Nivelles, l'élève donne à sa langue, la première année, huit heures par semaine ; la seconde année, encore huit heures, et la troisième année, quatre heures par semaine ; tandis que l'élève de Lierre ne consacre, dans le même laps de temps, à sa langue maternelle que cinq heures par semaine pendant la première année, quatre la seconde, deux la troisième, et que par conséquent il ne peut consacrer au travail le plus essentiel que la moitié du temps qu'y peut mettre l'élève wallon. Ceci est encore aggravé par suite de ce qu'on oblige l'élève flamand à savoir également bien le français, quoique, d'une manière absolue, cette langue ne doive pas lui être indispensable comme instituteur. Et ce qui doit encore diminuer la force relative de l'élève flamand, c'est qu'à Lierre, l'enseignement, qui, au début, était entièrement donné en flamand, se fait maintenant pour différentes branches en français, sous prétexte du peu de progrès que faisaient d'abord les élèves dans cette langue. Lorsqu'on considère que les leçons d'agriculture, de physique, d'algèbre, de géométrie et d'une partie de la géographie et de l'histoire, ainsi que de la pratique administrative, sont données en français, on peut se demander : où donc est l'enseignement flamand dans l'école (page 107) normale des instituteurs flamands ? En vérité, l'enseignement flamand n'y existe que de nom ; et ce sont des instituteurs français qu'on y forme, avec cette réserve qu'ils sont également capables d'enseigner en flamand, ce à quoi les élèves de l'école de Nivelles ne sont pas formés.
A propos de cette comparaison, et quoique nous n'ayons ni la mission ni l'intention de nous immiscer dans ce qui se passe dans les provinces wallonnes, nous devons appeler l'attention sur la position défavorable dans laquelle est placé l'élève de Lierre relativement à celui de Nivelles, lorsqu'il s'agit d'acquérir des diplômes.
Parmi les élèves des deux écoles qui ont obtenu leur diplôme, les premiers peuvent être admis à suivre les cours où l'on forme les professeurs des écoles moyennes du second degré. Ces cours ne sont annexés qu'à l'école de Nivelles.
Après avoir suivi ces cours, on doit subir un nouvel examen pour obtenir le diplôme de professeur agrégé de l'enseignement moyen. Dans cet examen il n'est plus question du flamand la connaissance de la langue maternelle ne sert donc à rien à l'élève qui arrive de Lierre. Mais, de même que ceux de Nivelles, il doit répondre en français sur toutes les branches et montrer les mêmes connaissances qu'eux en français. Les Wallons, qui dès leur entrée à l'école, n'entendent que leur langue maternelle, subissent généralement cet examen d'une manière satisfaisante ; tandis que les élèves de Lierre, sans en excepter les meilleurs, y réussissent difficilement pour la raison contraire.
Il est facile de conclure des conséquences de cette inégalité sur les futurs instituteurs, à celles qui en résultent pour l'enseignement dans les provinces flamandes. Il est tout naturel que l'enseignement y souffre au même degré qu'il a souffert à Lierre et parmi les professeurs diplômés à Nivelles. Dans les différents concours les élèves des établissements wallons doivent avoir l'avantage sur ceux des établissements flamands, comme étant formés d'un jet ; tandis que les derniers sont affaiblis par l'étude défectueuse de deux langues, à chacune desquelles ils ont pu consacrer bien moins de temps que le Wallon à sa langue maternelle. Ce résultat doit conduire au découragement d'une part, à la présomption de l'autre, situation qui, à la longue, ne pourra rester bornée au cercle des élèves (Note de bas de page :
(1) Les conconrs ouverts par le Gouvernement entre les élèves des écoles moyennes, ont donné le résultat suivant : En 1854 sur 22 prix et mentions honorables, on compte ; 17 Wallons, 2 Bruxellois, 4 Flamands ; en 1855, sur 39 nominations : 31 Wallons, 4 Bruxellois, 4 Flamands ; en 1856, sur 28 nominations : 27 Wallons, 1 Bruxellois, 0 Flamand.)
D'après ces observations et indépendamment du droit prérappelé (page 108) qu'a tout Flamand d'être traité sur le même pied que ses frères wallons, nous croyons qu'il est nécessaire de prendre à l'égard de l'enseignement primaire, les dispositions suivantes :
« Que, dans l'école normale de Lierre, les leçons soient données en flamand, puisque les élèves sont destinés exclusivement à enseigner dans les provinces flamandes. Que par conséquent il ne puisse pas dépendre de l'arbitraire du directeur ou du professeur, d'employer l'une ou l'autre langue, mais que le flamand soit prescrit par disposition réglementaire.
« Que les branches qui seront exigées dans les examens des instituteurs primaires, aient pour objet les besoins de l'enseignement dans les provinces flamandes, et qu'il soit entendu que les élèves ne puissent être obligés de savoir le français, pas plus qu'on ne veut obliger les élèves wallons de Nivelles à apprendre le flamand.
« De ce chef, et parce qu'il convient que les examinateurs sachent <surtout bien la langue, il est nécessaire qu'il soit établi, pour les élèves de l'école de Lierre, un jury d'examen spécial.
«Que les élèves diplômés de l'école de Nivelles ne puissent être admis à exercer dans les communes flamandes les fonctions d'instituteurs, qu'après avoir subi un examen, d'où il résulte qu'ils sont capables <d'enseigner au moyen du flamand toutes les branches exigées, de même que les instituteurs sortant de l'école de Lierre.
« Que, conformément à la maxime par laquelle est proclamée la parfaite égalité des deux parties du pays en ce qui concerne l'enseignement primaire, il soit établi également à Lierre un cours en flamand pour la formation de professeurs de l'enseignement moyen du second degré dans les provinces flamandes, et ce, sur le même pied et avec les mêmes avantages que le cours organisé en français à Nivelles.
« Que le système suivi à Gand et à Anvers, le soit partout dans les écoles primaires des villes.
« Que, dans les écoles moyennes du second degré, le flamand serve également à donner l'instruction.
« Que, pour le bon exemple, MM. les inspecteurs provinciaux et cantonaux soient invités à se servir du flamand dans leur correspondance avec les instituteurs, avec les conseils communaux et entre eux. »
A la fin de cet examen se présente une difficulté dans le régime, d'ailleurs aussi simple que facile de l'égalité : c'est la position exceptionnelle où se trouve actuellement la ville de Bruxelles.
Jadis la capitale était exclusivement flamande, non seulement en ce qui concerne l'administration, comme nous l'avons vu, mais aussi en ce qui concerne l'enseignement ; et la population semi-wallonne du quartier connu sous le nom de Marolles, était d'un nombre relativement trop (page 109) restreint et d'une origine trop vague pour prétendre à une administration séparée. On dit qu'actuellement la population de Bruxelles est très mélangée, même parmi les classes inférieures ; mais ce ne peut être là une raison pour que dans cette ville, administration et enseignement se fassent exclusivement en français ; car, si l'administration communale avait suivi les lois de l'équité, l'enseignement serait donné actuellement dans les deux langues, proportionnellement à chaque partie de la population. Les faits démontrent qu'à Bruxelles, on a agi selon le même esprit qui fit naître le décret du 5 octobre 1830, et la circulaire du gouverneur du Brabant méridional, en date du même jour. Il est vrai que le flamand figure au programme de l'enseignement primaire, ce qui prouve que, de l'avis de la régence de Bruxelles, la population de cette ville n'est pas aussi mélangée qu'on veut bien le prétendre. Mais examinons :
Dans les écoles primaires, on consacre trois heures par semaine à la langue du peuple, bien entendu dans les classes supérieures : dans les classes inférieures, il n'est pas question de flamand ; de façon que les élèves ne commencent à s'occuper de leur langue maternelle qu'après avoir appris le français ; précisément le contraire de ce qui se fait à Anvers et à Gand avec tant d'avantage. Les leçons flamandes consistent en lectures et en traductions de vive voix ; la grammaire est laissée de côté.
Il en résulte à l'évidence que, dans la capitale, le flamand n'a été mis au programme que par pudeur, et qu'enseignement et prétexte sont parfaitement mis d'accord. Cela résulte plus clairement encore de ce qui suit :
Les aspirants à une place d'instituteur aux écoles communales de Bruxelles doivent subir un examen. Dans cet examen, la connaissance du flamand est officiellement réclamée ; mais il est arrivé souvent que le jury s'est contenté de la promesse que le postulant apprendrait le flamand plus tard.
Dans les examens publics de l'école moyenne inférieure, on ne parle jamais de flamand aux élèves, et il faut qu'à cet égard on ait donné des instructions formelles.
S'il y a aujourd'hui à Bruxelles une population mixte, on ferait bien d'y organiser un double enseignement ; un enseignement flamand pour les enfants flamands ; un enseignement français pour les enfants wallons. De cette manière, du moins, on n'entraverait pas le développement intellectuel des Bruxellois, comme on le fait avec le système actuel, et la patrie récolterait de cette mesure les meilleurs fruits.
C'est par l'enseignement moyen que, depuis 1830, on a porté le coup le plus sensible à la langue (page 110) des Flamands. C'était aussi sur cet enseignement que se portaient particulièrement les vues de ceux qui voulaient en finir avec notre langue populaire. Dans quelques établissements, la langue était totalement bannie, par une application trop logique de l'arrêté du gouvernement provisoire en date du 22 octobre 1830, par lequel furent supprimés le cours spécial de la prétendue langue hollandaise et le cours préparatoire qui se donnait en flamand. Dans d'autres établissements, la langue fut traitée de telle sorte que la part qu'on lui faisait dans l'enseignement lui était plutôt nuisible que salutaire. Le nombre d'heures qu'on y consacrait, était relativement minime ; et à présent on y donne le temps que l'on pourrait nommer les heures de loisir. Pour les diverses classes il n'y a habituellement qu'un professeur, qui jouit d'un traitement relativement médiocre et est assimilé en tout aux professeurs des langues étrangères. Le flamand est enseigné au moyen du français, et quelque insignifiant que soit cet enseignement, il s'arrête au moment où l'élève pourrait commencer à faire des progrès réels et, où par conséquent, l'amour de la langue maternelle pourrait prendre racine en lui. En effet, le conseil de perfectionnement n'a jamais su arranger les choses de manière que la langue nationale fut enseignée dans la classe supérieure. Lorsqu'on réclamait à ce sujet auprès du gouvernement, ce conseil faisait toujours valoir comme obstacle, soit la physique, soit quelque branche accessoire de l'enseignement. On dirait que l'on veille à ce que la langue des Flamands ne sorte plus du cercle étroit que les dispositions du gouvernement provisoire lui ont tracé. Et cependant ne trouvons-nous pas la preuve de la vitalité inextinguible des langues nationales dans ce fait, qu'en dépit de tous les efforts contraires, l'enseignement moyen est resté le foyer où l'esprit national a recueilli les étincelles qui ont allumé la flamme nouvelle qui réchauffe si salutairement le pays ?
(Note de bas de page : N'est-il pas digne de remarque, qu'à côté de l'état de choses dont se plaint la Commission, pour ce qui concerne l'enseignement officiel, l'enseignement libre des écoles épiscopales, dans les provinces flamandes, est établi de manière à ce que la connaissance approfondie de la langue flamande soit acquise à tous ceux qui sortent de ces écoles ? A cet égard, voici des renseignements puisés à une source sûre, et que la Commission flamande aurait certainement utilisés si elle les avait connus :
(Tous les prêtres flamands, qui, cependant, font leurs études classiques par la langue française, comme les élèves de nos athénées et collèges, sont tenus de savoir écrire correctement leur langue maternelle et de la parler avec élégance. Voici les mesures que l'on prend pour leur procurer cette connaissance : Dans les petits séminaires on rend l'enseignement du flamand obligatoire pour tous. On donne dans chaque classe un cours de langue flamande de deux heures par semaine. Ce cours se donne pour les Flamands seuls et par le flamand. Pendant ce temps, les élèves qui ne parlent que le français (ceci concerne principalement le diocèse de Malines) quittent leurs classes respectives, et on leur donne, dans deux ou trois cours bien gradués, des leçons de langue flamande par le français.
(La rédaction en langue maternelle est de rigueur dans toutes les classes, et l'on s'y occupe graduellement de tout ce qui fait un cours complet de littérature flamande : étude et explication des auteurs, style, prononciation, débit, compositions en vers et en prose, etc.
(La manière dont on apprécie l'étude et la connaissance du flamand, dans les écoles épiscopales de notre diocèse de Malines, est intéressante à connaître. Voici un extrait du manuel intitulé : Indispensable du Collège, qui a été rédigé et publié pour les élèves du petit séminaire de Malines :
(« Le flamand, qui ne demande pas moins d'attention et de soins que le français, est aussi l'objet constant de vos études et de vos plus chères affections. Cette langue, outre qu'elle est celle de la plus grande partie de la nation, a cela de particulier qu'elle est, pour vous, la clef de toutes les langues du nord, et que c'est d'elle a que vous vient cette facilité extraordinaire d'apprendre l'allemand et l'anglais, deux langues si importantes pour nous, à cause de nos rapports toujours croissants avec l'Allemagne et l'Angleterre. L'essor étonnant qu'a pris la littérature flamande depuis notre émancipation politique ; le caractère de notre individualité qu'elle peint et qu'elle maintient si admirablement ; l'usage si fréquent que devront en faire ceux qui se vouent soit à l'état ecclésiastique, soit à une carrière professionnelle quelconque ; l'avantage incontestable qu'elle vous offre de pouvoir remplir des fonctions publiques dans toutes les parties du royaume, tels sont les motifs qui ont déterminé vos maîtres à offrir indistinctement à tous leurs élèves l'occasion de parler et d'écrire avec pureté et élégance, cette langue si riche et si belle. »
(Les mêmes motifs n'auraient-ils pas pu engager le gouvernement à organiser les écoles publiques dans les provinces flamandes, de façon à atteindre le même but ? (Note de l'Editeur.) (Fin de la note de bas de page)).
(page 111) Eh bien, puisqu'on n'a pas pu nous faire périr, il est juste que le Flamand, en vue de l'avenir, demande avec insistance qu'on lui accorde la nourriture nécessaire à sa vie. C'est pourquoi nous proposons :
« Que dans les collèges et les athénées on emploie, dans les deux premiers cours, le flamand pour enseigner les langues anciennes aussi bien que les autres branches. » De cette manière les élèves sortant d'écoles où l'enseignement se fait au moyen de la langue maternelle ne seront plus entravés dans leur développement intellectuel, et les établissements libres apprendront à avoir plus d'estime pour la langue nationale.
« Que dans les classes suivantes on soit libre de se servir pour l'enseignement, du flamand ou du français. » En effet, ne serait-il pas injuste d'admettre, n'importe sous quel prétexte, que, excepté dans les deux classes inférieures, le français devrait être la langue de l'enseignement, tandis qu'au contraire, la connaissance du flamand devrait être prise en considération pour le passage d'un élève à un degré supérieur ?
« Que les langues d'origine germanique soient enseignées dans toutes les classes au moyen du flamand. »
En effet, n'est-il pas contraire au bon sens de faire un détour par la langue d'une race étrangère pour arriver à la connaissance d'une langue sœur ?
(page 112) « Que dans la section professionnelle l'enseignement soit organisé sur le même pied que dans la section des humanités.
« Que l'instruction religieuse soit donnée en flamand.
« Que l'enseignement particulier du flamand soit mis dans toutes les classes sur un pied parfait d'égalité avec le français, tant en ce qui concerne le nombre d'heures que celui des professeurs, le traitement, le partage des minervales, les concours, les points, etc. » En effet, la valeur et l'autorité que l'on veut donner à une chose doivent être accompagnées d'un égal degré de respect pour cette même chose.
« Que le gouvernement prenne des mesures pour former des professeurs qui sachent enseigner dans les écoles moyennes au moyen du flamand.
« Qu'il soit nommé un inspecteur spécial pour les écoles flamandes. » De cette manière les Wallons qui ne connaissent pas notre langue ne se trouveront pas dans l'impossibilité de remplir la place d'inspecteur général de l'enseignement moyen.
« Il serait désirable qu'aux concours le flamand fut placé sur le même pied, dans les provinces flamandes, que le français dans les provinces wallonnes, c'est-à-dire que les Flamands répondissent dans leur propre langue. »
« Il est nécessaire que l'organisation et l'enseignement à l'école d'agriculture de Thourout soient exclusivement flamands. »
Quelle est la cause qui fait que la section flamande de cet établissement n'est pas nombreuse ?
D'abord, l'état incomplet de l'enseignement ; ensuite, l'infériorité réelle dans laquelle l'élève flamand se trouve vis-à-vis de l'élève français, abstraction faite de l'atmosphère française qui envahit tout l'établissement et empêche la langue nationale de s'y mouvoir librement.
Il serait également avantageux, dans l'intérêt de la bonne entente parmi les agriculteurs et de l'émulation, que cet enseignement fût exclusivement donné en flamand ; car tous ceux qui suivent les cours de Thourout, connaissent leur langue nationale.
Un autre motif important, c'est qu'il doit exister de la connexité entre la pratique de l'agriculteur et l'enseignement qu'il reçoit. Le perfectionnement doit être présenté dans la langue par laquelle ont été reçues les notions premières, sans quoi les points de comparaison s'embrouillent ou se perdent. Les perfectionnements dans l'agriculture doivent se faire, pour ainsi dire, par absorption ; et l'enseignement aura d'autant plus de succès qu'il sera plus simple. Ce n'est certainement pas au moyen du français que l'on obtiendra un résultat pratique (page 113) plus favorable. Avec le français on formera des agriculteurs présomptueux, qui imposeront les connaissances acquises, aussi péniblement aux autres qu'ils les ont reçues péniblement eux-mêmes, tandis qu'au moyen de la langue maternelle on donnera des agriculteurs habiles au pays.
Nous n'insisterons pas pour qu'à l'école d'horticulture de Gentbrugge, l'enseignement soit donné dans notre langue, puisque dans l'intention du Gouvernement cet institut est pour ainsi dire entièrement organisé pour y donner l'enseignement aux étrangers et aux nationaux qui désirent se placer à l'étranger.
Comme cependant il est difficile d'admettre que les deniers de l'Etat soient dépensés entièrement au profit de l'étranger, sans autre avantage pour nous, qu'une légère satisfaction d'amour-propre, il serait désirable « que l'on donnât dans cet établissement, ainsi qu'à l'école a d'arboriculture à Vilvorde, en vue de la formation de jardiniers flamands, un cours complet en langue flamande ; et que, si l'institut de Haine-Saint-Pierre était reconnu utile, on en érigeât un semblable où l'enseignement fût donné dans la langue maternelle pour les provinces flamandes.
« Nous demandons aussi que le cours de drainage ainsi que les examens exigés en cette matière se fassent aussi bien en flamand qu'en français ; et que pour les Flamands l'enseignement vétérinaire soit donné dans leur langue, soit que l'on érige à cet effet une école séparée, soit que l'on organise de doubles cours à l'établissement de Cureghem. »
Pour ce qui concerne les écoles de navigation, il serait aussi déraisonnable d'y donner l'enseignement en français qu'aux écoles d'agriculture dans les provinces flamandes. Nos flottes de commerce et de pêche furent toujours flamandes. Elles le sont encore et le resteront tant que notre race aura la mer pour limite. Nous demandons par conséquent :
« Que dans les écoles de navigation, il soit donné un enseignement complet au moyen du flamand.
« Nous sommes également convaincus qu'à l'institut supérieur de commerce à Anvers, l'enseignement du flamand est extrêmement nécessaire, » puisque nous possédons une langue des plus usitées dans le commerce et que nous avons des relations commerciales nombreuses avec les Pays-Bas du Nord. En effet, on tomberait dans une erreur bien grave si on voulait conclure du peu d'étendue de notre sol au peu d'autorité dont jouirait notre langue à l'étranger. Nos relations commerciales avec les Pays-Bas septentrionaux sont par elles-mêmes assez considérables pour écarter à leur intention, autant que possible, (page 114) tous les obstacles. Et en faveur de quel intérêt nous rendrait-on la concurrence avec nos rivaux de même langue impossible ou difficile chez l'étranger ? Dans tout le nord de l'Europe, le long de la Mer du Nord et de la Baltique ou bien le bas-allemand est la langue populaire, ou bien les Hollandais l'y ont fait connaître. En différentes contrées de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique le bas-allemand est la langue de l'administration et du commerce ; et dans les plus riches colonies de l'Océan pacifique, notre langue règne seule. De même jusqu'à ce jour, la Chine et surtout le Japon n'ont appris à connaître la civilisation occidentale que par leurs relations avec des Hollandais, et l'usage des livres hollandais qui sont pour les Flamands des livres flamands.
Depuis quelques années le chant flamand a fait des progrès extraordinaires, grâce au patriotisme des sociétés de chœurs, et le théâtre même a offert des opéras flamands originaux qui ont attiré l'attention. Le Gouvernement s'est plu parfois à encourager les efforts des sociétés chantantes et dramatiques. Mais il y a plus à faire, et la ville de Gand vient d'en donner l'exemple : « On devrait ouvrir au conservatoire de musique à Bruxelles, un cours de déclamation et de prononciation flamandes, destiné exclusivement aux acteurs et aux chanteurs. » Ces leçons présenteraient surtout une grande utilité à Bruxelles, où la prononciation est actuellement si corrompue.
Un établissement qui se trouve en liaison étroite avec la gloire de la Belgique flamande, c'est l'académie de peinture à Anvers. Organisée au XVIIe siècle, par Teniers le jeune, elle n'a plus cessé depuis lors d'être le berceau de l'école flamande, et elle est restée flamande de caractère et d'essence. Mais, pendant ces dernières années, l'esprit de centralisation, ou, ce qui est la même chose, la haine du flamand, a grandement nui à cette originalité de caractère, et il n'est plus rien resté à l'académie qui soit digne du nom de flamand. Presque toutes les leçons sont données en français, et le Flamand même, s'il ne sait pas rédiger en français, ne peut pas aspirer au prix de Rome. Du français, rien que du français, voilà ce que l'on exige pour représenter à l'étranger l'école flamande. Nous demandons « qu'un tel scandale cesse, et que l'élève ne soit pas privé de la gloire de cette distinction extraordinaire (le prix de Rome) parce qu'il ne sait écrire que sa langue maternelle.
« Nous demandons également qu'à cette académie, ainsi que dans toutes les institutions du même genre situées dans les provinces flamandes, toutes les leçons soient données en flamand, comme cela se faisait jadis, puisque la très grande majorité des élèves appartient à la Belgique flamande et qu'ils sont par conséquent plus aptes à recevoir avec fruit l'enseignement en flamand qu'en français.
« Enfin, nous demandons, afin d'éviter toute méprise et tout oubli, (page 115) que l'on accorde la complète assimilation des deux langues dans tous les établissements des provinces flamandes sur lesquels le Gouvernement a quelque autorité, et où il ne peut être fait exclusivement usage du flamand ; et nous souhaitons que les Flamands y soient partout traités sur le même pied que les Wallons. »
Parmi les bienfaits de la révolution, on peut placer, à juste titre, l'abolition du latin comme moyen d'enseignement. Une langue qui a perdu toute faculté de création ne peut être qu'un obstacle aux progrès de l'esprit humain. La suite l'a démontré. Quels résultats merveilleux pour la Belgique flamande n'aurait-on pas obtenus, si la science s'était répandue à flots de la chaire de Gand sur tout le peuple flamand, et si elle n'était restée reléguée parmi les savants ? si tant d'hommes n'avaient été privés de la science ou ne se l'étaient assimilée qu'imparfaitement, à cause de la connaissance incomplète de la langue qui était venue remplacer le latin ? Que l'on dise que le français, étant la langue de la révolution, devait nécessairement être celle de l'enseignement supérieur, un tel raisonnement ne peut être qu'un raisonnement de parti. Pendant et après la révolution, il y avait des institutions d'enseignement moyen, qui employaient encore la langue nationale comme moyen d'enseignement. Un grand nombre de gens y avaient reçu un enseignement convenable ; et beaucoup d'entre eux, qui firent leurs études les premières années après la révolution, ne savaient qu'imparfaitement le français, chose que l'on ne doit pas oublier de classer parmi les causes de l'abaissement du niveau des études.
Parmi la jeunesse universitaire de Gand l'esprit flamand fut toujours actif à se manifester dans certaines occasions ; et à l'université de Louvain il existe depuis 1836 une société d'étudiants, qui se consacre entièrement à la culture du flamand. Depuis quelques années une association semblable s'est formée à Gand et ses travaux ont dépassé l'attente générale. L'université de Bruxelles même n'a pu se soustraire plus longtemps à l'influence du mouvement flamand. Ces faits plaident pour l'avenir, et il serait insensé de le méconnaître. On a pu espérer de comprimer les expansions généreuses de la première jeunesse, on a pu espérer de faire dégénérer, par des moyens artificiels, le sang de l'enfance ; mais lorsque la jeunesse a brisé avec plus d'énergie que jamais les liens qui l'enchaînaient, lorsque l'homme libre se prépare à prendre place dans les premiers rangs de la société, il devient insensé, eu égard au nombre toujours croissant de pareils combattants, de persister dans un système despotique. L'existence d'un enseignement supérieur en flamand ne peut plus être qu'une affaire de temps et de moyens ; il existe déjà dans les esprits. C'est donc une question de grande importance pour le Gouvernement, que de savoir jusqu'à quel point cette tendance à un (page 116) développement plus élevé peut être ou doit être secondée ; car si, à en juger d'après la manière dont la langue flamande a été traitée récemment dans nos deux Chambres législatives, il est douteux que le Gouvernement puisse faire voter une loi sur l'enseignement supérieur, dans laquelle la langue flamande occuperait une place digne d'elle, il serait cependant imprudent de mépriser plus longtemps une force dont le mobile est si généreux. Quoi qu'il en soit des moyens requis pour faire admettre par les autorités supérieures ces motifs d'équité, le droit, aussi bien que l'intérêt général, exigent que dans l'enseignement supérieur le flamand soit également mis sur un pied d'égalité avec le français. « Il est juste qu'aux universités de l'Etat, il y ait, pour les élèves flamands, des cours obligatoires de l'histoire de la littérature flamande et des cours de style de langue maternelle, » comme cela se fait à Louvain depuis plus de vingt ans. Pour ce qui est de l'histoire de notre littérature, elle est du plus grand intérêt pour l'enseignement supérieur, comme formant une partie de nos annales, trop négligée jusqu'à ce jour, mais sans laquelle l'histoire d'un peuple n'est pas complète. Pour ce qui concerne l'autre cours, c'est le développement croissant d'une littérature propre dans la Belgique flamande qui réclame une telle mesure.
L'enseignement du flamand est d'autant plus urgent, du moins à l'université de Gand, qu'à cet établissement est annexée l'école du génie civil. La nécessité que les employés, dans leurs rapports avec les habitants, se conforment à la langue de ceux-ci, est si vivement sentie par les autorités compétentes, qu'elles ont donné ordre qu'il soit répondu dans la même langue aux écrits envoyés par les citoyens. Il est donc juste que l'Etat mette les élèves de l'école du génie civil à même de remplir convenablement ce devoir.
Qu'un notaire, lorsqu'il veut exercer son ministère dans un canton flamand, doit savoir la langue du pays, c'est ce qui a été réclamé récemment par la voix de la nation, et par l'organe des membres flamands des deux Chambres, quoique nos corps législatifs ont décidé le contraire. La conscience d'un peuple peut-elle tolérer de pareilles dispositions ? Les jeunes gens sont envoyés aux universités afin d'y faire des études approfondies dans leur branche ; aux examens on exige des garanties sérieuses ; mais la chose, qui dans la pratique du notariat sera presque la plus importante, la connaissance exacte des expressions usitées, on ne l'exige pas, sous prétexte qu'elle violerait la liberté. La liberté de qui ? D'un fonctionnaire public, qui par préférence désire remplir une place dans certaines communes, et des connaissances linguistiques duquel dépendra le repos de générations entières. Une pareille mesure ne peut être qu'un effort tenté pour écarter indéfiniment de l'enseignement supérieur la langue de la majorité, et personne ne peut avoir foi, pour (page 117) ce qui concerne les ministres futurs, dans les assurances qui ont été données lors de la discussion de la loi sur le jury d'examen :
« Dans cette conviction, nous demandons que dans l'examen du candidat notaire, l'élève qui exprimera le vœu d'être placé dans un canton flamand, donne des preuves d'une connaissance suffisante de la langue flamande. »
Une disposition réglementaire qu'il serait bon de prendre aussi longtemps que l'enseignement sera donné exclusivement en français à l'université flamande, disposition qui pourrait même être introduite avantageusement à l'université de Liége, à l'égard de la faculté de médecine, « serait d'indiquer dans les leçons les noms flamands des maladies et des matières médicales et surtout des plantes indigènes. » Cette mesure, sans difficulté pour les professeurs de botanique, de pharmacie et psychologie, favoriserait l'élève qui comprendrait mieux et plus rapidement ; et elle serait en outre d'une utilité pratique dans les relations ultérieures avec les personnes non initiées à la science. Il paraît que cette méthode était suivie à l'ancienne université de Louvain, si l'on peut en juger d'après les ouvrages spéciaux du genre susmentionné, qui dans les siècles passés parurent chez nous.
Aux universités viennent se joindre, pour ainsi dire naturellement, les sociétés savantes connues sous le nom d'académies ou d'instituts. Elles sont, avec les universités, l'expression suprême de l'état des sciences, des lettres et des arts dans un pays. Fondées et subsidiées par l'Etat, elles sont chargées de surveiller l'état de l'esprit national, de le sonder et de le guider, et, donnant la main à la diplomatie, de créer au pays des rapports utiles avec d'autres peuples. Il doit donc importer à l'homme d'Etat que ces corps savants ne représentent point simplement une individualité ou une fraction de la nation, mais la nation dans toute sa plénitude, et qu'ils répondent aux besoins qui se font jour.
L'académie de Belgique a été instituée sous Marie-Thérèse dans un temps où la langue flamande subissait les dernières humiliations du régime autrichien, comme nous l'avons dit plus haut. C'était également le temps où le français avait, comme langue d'érudition et de galanterie, acquis une autorité prépondérante, et que les plus grands monarques en étaient épris. L'académie de Bruxelles avait une organisation toute française ; mais, de même que le latin, le flamand y était admis comme langue scientifique, tant pour les mémoires des membres que pour les réponses aux questions mises aux concours. Les mêmes dispositions furent conservées lors de la réorganisation de l'académie sous le roi Guillaume. Lors de sa réorganisation par M. le Ministre Van de Weyer, on y attribua une place plus large au flamand ; mais notre langue n'y a ni une place, ni un cercle d'action déterminé : l'exécution (page 118) de l'arrêté de 1845 n'a produit ni plus ni moins que l'absorption de quelques individualités flamandes sans profit pour la cause.
« Une académie flamande séparée se trouverait, en ce qui concerne la philologie et la littérature, dans une situation plus favorable que l'académie actuelle dans sa sphère française notre position vis-à-vis de la Hollande est bien plus indépendante que celle des Wallons vis-à-vis de la France, qui fait régler arbitrairement par son académie tout ce qui concerne sa langue, tandis qu'au contraire, chez les Bas-Allemands (Hollandais et Flamands), de même que chez tous les peuples de race germanique, l'autorité des écrivains est plus puissante que l'arbitraire des grammairiens. »
Déjà, dès 1836, il était question de l'établissement d'une académie flamande, et à cette époque, feu M. Willems soumit un projet au ministère de l'intérieur. Il se pourrait que le Gouvernement reculât actuellement devant une telle institution, d'une part pour ne pas réveiller le cri que les Flamands seraient privilégiés, lorsqu'en réalité ils n'insistent qu'à leur juste part des faveurs, d'autre part pour éviter les dépenses qu'amène une académie. De ce chef, nous proposons comme mesure provisoire : « qu'il soit ajouté à l'académie royale actuelle une section flamande, qui jouira en tout des mêmes droits que les autres classes et dont les travaux ressembleront à ceux auxquels se consacre la classe de philosophie et des lettres. »
A l'académie de médecine notre langue est exclue des concours, contrairement à ce qui se pratique à l'académie des sciences, des arts et des lettres. La dignité de la nation, avec les deniers de laquelle l'institution est subsidiée, exige que notre langue ne soit pas traitée par ce corps savant comme un instrument inutile. Nous ne citerons pas ici les cas nombreux où la science peut venir en contact avec les non-initiés, mais nous ferons toutefois remarquer que, de tous les arts libéraux, il n'en est pas qui rendent des services aussi immédiats à la masse que la médecine et la physique, et la langue du peuple doit par conséquent leur venir particulièrement en aide. Nos ancêtres comprenaient cela parfaitement. Lorsque les sciences se montraient encore partout sous le voile du latin, lorsque les langues populaires ne se hasardaient encore que timidement et protégées par la rime, sur le domaine de la science, la Flandre possédait déjà une série complète d'ouvrages physiques et médicaux en prose, lesquels, eu égard à l'époque, méritent le nom de classiques. Depuis lors et jusqu'à nos jours, il n'y a jamais eu défaut d'ouvrages écrits par des Flamands, et dans leur langue, pour tenir le peuple au courant de la science.
« Nous demandons en conséquence, par l'intermédiaire du gouvernement, que l'académie de médecine prenne une résolution par laquelle (page 119) le flamand soit mis chez elle sur le même pied qu'à l'académie des sciences, des arts et des lettres. »
Il n'est pas seulement nécessaire que l'on accorde aux Flamands les moyens de cultiver leur langue et que le gouvernement montre par des faits qu'il veut sérieusement le développement intellectuel du peuple flamand ; nous demandons, en outre, qu'il ne soit pas permis aux hommes placés à la tête des collections scientifiques et littéraires, de cacher arbitrairement aux Flamands ce qui se publie ailleurs d'excellent en leur langue. Il fut un temps où les ouvrages hollandais de toutes les branches des connaissances humaines étaient acquis en nombre suffisant pour la Bibliothèque royale de Bruxelles maintenant cela ne se pratique que sur une échelle bien plus réduite. « Nous exprimons, par conséquent, le désir qu'il y soit pourvu, ainsi que dans les autres bibliothèques du pays. »
Et, comme une conclusion naturelle de nos remarques sur tout ce qui concerne l'enseignement dans son acception la plus large, nous demandons également que le Bulletin du Musée de l'Industrie, comme toutes les publications officielles dépendant des ministères, paraisse aussi bien en flamand qu'en français. »
Comme nous l'avons vu, l'administration de ce pays se faisait autrefois dans la langue du peuple. Nos maîtres étrangers réussirent cependant à arracher de temps en temps une pierre de l'édifice, jusqu'à ce que la France, reprenant sur une large échelle l'œuvre de l'Autriche, publia un décret par lequel elle nous raya du rang des peuples et déclara morte notre langue. Nous avons vu aussi qu'après la révolution de 1830, malgré notre indépendance, le système français avait de nouveau pris le dessus ; il se montrait, il est vrai, moins brutal que sous la république française, mais plus rusé, plus malfaisant.
Cette situation se prolongera-t-elle ? Ce serait la condamnation de nous-mêmes, si l'ordre de choses sorti de la révolution continuait à suivre le système qui nous fut imposé en 1830. On peut combattre une chose parce qu'elle est mauvaise, et dans l'intention de la remplacer par quelque chose de meilleur ; mais vouloir remplacer ce qui est mauvais par ce qui est mauvais, n'est-ce pas manquer de charité, n'est-ce pas de la folie ?
L'unité et l'amour ne s'obtiennent pas par la violence ; ils ne consistent guère à méconnaître une individualité, mais à comprendre sainement le droit des autres et son propre devoir. Bien des gens peuvent avoir été séduits par l'idée de l'unité ; ils perdaient de vue que le but auquel tend l'humanité n'est pas l'unité de pouvoir, mais l'unité de la (page 120) solidarité, de la fraternité. Les Etats où l'on parle plus d'une langue représentent donc très bien l'humanité en petit, et semblent destinés à préparer cette unité générale. La Belgique permettra-t-elle que les races futures lui reprochent de n'avoir pas compris sa mission ? Veut-elle dès maintenant mériter le reproche d'avoir eu une idée moins juste des droits de l'homme que le gouvernement qui fut renversé au nom de ce principe ?
Les mesures que nous proposons en matière d'administration, et dont la réalisation sera un commencement de retour à l'état normal du pays, ont certainement un côté difficile en ce qui concerne leur mise à exécution. Mais, outre que parmi les fonctionnaires il y en a beaucoup qui étaient déjà employés sous le gouvernement précédent et qui par conséquent savent écrire correctement leur langue maternelle, tous ont certainement trop de patriotisme, tous attachent trop de prix à l'estime de leurs concitoyens et à la confiance du gouvernement, pour s'opposer à un si faible sacrifice au profit de la routine. Le fonctionnaire sait que, quelque libre que soit le pays, il fait partie d'une hiérarchie qui, quelle que soit la forme du gouvernement, ne se modifie pas considérablement. Le peuple ne demande pas mieux que d'être gouverné dans sa propre langue, et personne ne peut élever des objections sérieuses contre un tel désir.
On sait que sous le régime des Pays-Bas, et jusqu'à la séparation des deux fractions du pays, les membres des deux Chambres des états généraux s'exprimaient dans leurs assemblées en hollandais, qui est la même chose que le flamand, ou en français. Quelque favorable que fût un tel système à la bonne entente entre Wallons et Flamands aussi bien qu'au développement de ces derniers, il est à craindre que nous ne voyions point de sitôt se réaliser cette méthode si facile.
S'il est vrai que les représentants flamands, en parlant au nom du peuple, n'emploient pas sa langue, cependant toute la nation doit pouvoir se tenir au courant des affaires du pays. Et comme il est juste que la partie du peuple qui parle l'une des langues, sache aussi exactement et aussi promptement ce qui se dit et se passe que celle qui parle l'autre langue, nous demandons « qu'il paraisse, simultanément avec le texte français des Annales parlementaires, sinon une traduction complète, du moins une analyse flamande très étendue. »
Le royaume des Pays-Bas était administré, pour ce qui concerne les provinces flamandes et les provinces septentrionales, en hollandais ou flamand ; pour ce qui concerne la partie wallonne, en français. Les langues étaient officielles pour les provinces où elles étaient en usage, et il y avait pour les différentes administrations des recueils des lois, arrêtés et instructions, en flamand pour les provinces où l'on parlait le flamand, et en français pour les provinces (page 121) wallonnes. La même règle était suivie en ce qui concerne les correspondances émanant de l'administration supérieure ou des ministères, que ceux-ci eussent leur siège à Bruxelles ou à la Haye.
Il en résultait une grande facilité et une uniformité toujours désirable, surtout en ce qui concerne les administrations provinciales et locales : on n'était pas obligé de traduire les dépêches de l'administration supérieure, comme cela doit se faire actuellement pour les quelques communes qui, selon le choix qui leur en est laissé, tiennent leur correspondance en flamand, correspondance qui, à son tour, doit être traduite en français ou du moins fondue dans les rapports français, si on veut qu'elle trouve accès ou qu'elle soit comprise dans les ministères.
Le personnel des bureaux devrait par conséquent être organisé de façon que tous les employés fussent en état de tenir une correspondance et de motiver un arrêté tant en flamand qu'en français.
Nous voulons bien admettre qu'il serait tout d'abord difficile de mettre les administrations provinciales sur un pied flamand, tel qu'elles l'ont été sous le gouvernement antérieur ; car la langue nationale a été trop radicalement négligée. Cependant, en attendant que cette mesuré puisse être prise sans causer trop de désordre, on devrait rendre obligatoire ce qui est laissé libre aujourd'hui, à savoir que toutes les administrations communales sans distinction, qui sont placées sous la surveillance d'un commissaire d'arrondissement, correspondent en flamand avec ce fonctionnaire ; et que celui-ci devrait, dans ses rapports avec elles, employer la même langue, sauf, s'il le trouve bon, à rédiger en français ses rapports à l'administration provinciale, pourvu que cette administration prenne ses décisions en flamand à l'égard des pétitions flamandes, comme cela devrait se faire dans un pays libre, et comme cela a été prescrit depuis nombre d'années par une ordonnance ministérielle, qui toutefois n'est pas même observée dans les ministères.
Les villes qui sont en rapport immédiat avec l'administration provinciale peuvent, si elles le préfèrent, continuer à correspondre avec celle-ci en français, pourvu qu'elles se servent, de même que les administrations supérieures, provinciales et communales, du flamand dans tous leurs rapports avec les citoyens, dans les affiches, les annonces, les règlements les billets de convocation pour les élections, etc., etc. Elles éviteront surtout de répondre en français, à des requêtes flamandes, comme cela se fait encore dans beaucoup de villes, ce qui n'est pas seulement contraire à la dignité du peuple, mais ce qui de plus oblige les intéressés, qui ne comprennent pas le français, à avoir recours à un traducteur et à faire connaître ainsi leurs affaires à une tierce personne.
Ces mesures ne contribueraient pas peu à engager les conseils provinciaux et les conseils communaux des grandes villes à se servir de (page 122) préférence du flamand dans leurs réunions. Il en résulterait que bien des membres, qui maintenant ne prennent que rarement la parole ou qui ne la prennent jamais, pourraient s'exprimer dans leur langue maternelle et défendre les intérêts qui leur sont confiés.
Un autre avantage résulterait immédiatement de la réalisation des mesures prémentionnées ; en effet, elles mettraient fin à l'influence fatale que dans les communes rurales où les affaires se traitent en français, une seule personne exerce ordinairement sur tout le conseil. Nous entendons parler du secrétaire, qui souvent sait seul écrire le français, bien que parfois d'une manière pitoyable, tandis que les autres ne comprennent pas ou ne comprennent que très imparfaitement cette langue. Il s'en suit que le secrétaire peut donner aux décisions une signification qui n'est nullement conforme aux intentions du conseil, et c'est là une raison de plus de donner une traduction flamande de la partie officielle du Moniteur. On peut y ajouter qu'il convient que toutes les administrations communales puissent avoir connaissance de tous les actes émanant du gouvernement, et cela aussi vite que les communes wallonnes. Administration des finances, etc. Dans l'administration des contributions directes, des douanes et des accises, dans celle de l'enregistrement, des chemins de fer, etc., la correspondance réciproque entre les fonctionnaires et avec l'administration centrale se fait en français : il en résulte des abus.
Ce système met un obstacle à l'admission de personnes à certains emplois et à l'avancement des employés inférieurs. Et cependant le bon sens ne dit-il pas qu'un Flamand doit pouvoir s'élever à l'aide de sa langue maternelle dans la Belgique flamande, aussi haut que le Wallon qui ne connaît que sa propre langue ? Cette correspondance continuelle en français fait que les fonctionnaires ne montrent pas pour notre langue, et par conséquent pour le citoyen flamand lui-même, cette estime que tout peuple a le droit d'exiger des employés de l'Etat.
Un grand nombre de fonctionnaires ne savent pas parler avec le peuple, et d'autres, qui savent notre langue, ne reculent pas toujours devant une impolitesse administrative.
Les relations de l'enregistrement que les receveurs inscrivent sur la minute flamande des notaires, sont écrites en français par un grand nombre de receveurs.
Le résumé succinct de ces actes que les receveurs couchent dans leurs registres est également rédigé en français, ce qui peut avoir des suites graves pour les parties, si les dispositions ne sont pas traduites exactement.
Les décisions administratives concernant les demandes et les réclamations sont toujours communiquées en français aux parties, même lorsque la réclamation ou la pétition était rédigée en flamand.
(page 123) Les actes de poursuite sont rédigés en français, sans que l'on ait égard aux actes passés en flamand.
Les cahiers des charges et les conditions de vente des bien domaniaux, dont il est donné lecture aux gens de la campagne, sont rédigés en français. La même chose a lieu pour les affiches.
A nos frontières du nord, les passe-avant français ont, à différentes reprises, donné lieu à des scènes scandaleuses.
Au chemin de fer, on est exposé à être conduit dans une fausse direction parce que, dans toutes les stations, les noms sont criés et indiqués en français et les noms des communes, qui ne peuvent être traduits en français, sont rendus méconnaissables.
Afin de mettre, autant que possible, un terme à cet état de choses déplorable, nous croyons utile :
« Que toutes les instructions, tous les documents et arrêtés, etc., émanant de n'importe quel ministère ou administration, et qui doivent servir dans les provinces flamandes, soient imprimés en flamand ou, du moins, dans les deux langues.
« Que tout fonctionnaire doive répondre aux lettres reçues par lui dans la langue dans laquelle celles-ci sont écrites.
« Que les employés de l'enregistrement soient tenus d'employer la langue dans laquelle sont conçues les pièces à enregistrer.
« Que, lorsque le fonctionnaire s'adresse le premier au citoyen, il soit tenu de se servir de la langue qui prédomine dans la province habitée par la personne à laquelle il s'adresse. » En d'autres termes, le fonctionnaire doit employer la langue du citoyen, et non pas le citoyen celle du fonctionnaire.
« Le même principe sera appliqué à tous les avis, n'importe de quelle nature, concernant l'administration des postes et des télégraphes qui, de même que l'administration des chemins de fer, fera bien d'employer les deux langues dans ses suscriptions. »
La nature a donné à toutes les créatures le moyen de se défendre contre les attaques de leurs ennemis. L'homme, à qui on impute parfois à crime l'usage de ses forces corporelles pour se défendre, possède un moyen plus noble de résister à ses assaillants : la parole. Partout où ne règne pas la tyrannie, mais où l'on respecte la parole et la réplique, chez les nations sauvages comme chez les nations civilisées, l'accusé, coupable ou non, a le droit de se défendre par la parole. Comme il y va des plus grands intérêts de celui dont l'honneur, le bien ou la vie sont en jeu, il est naturel qu'il doive comprendre l'accusation ; car la défense implique l'idée qu'on a entendu l'accusation. Dans tous les pays qui ne gémissent pas sous le sabre d'étrangers impitoyables, la justice est rendue dans la langue du peuple, tandis qu'on (page 124) se sert de traducteurs ou d'interprètes lorsque les individus en cause sont des sourds-muets ou des étrangers.
Il y a cependant un peuple qui, sous un gouvernement national, est traité comme on traite ailleurs les étrangers et les sourds-muets. Chez nous, le juge parle une langue autre que celle du pays. Chez nous, le citoyen est condamné sans qu'il ait compris un mot de l'accusation ou de la défense, et cependant on ne casse pas de pareils jugements. Le marin qui aurait commis un délit sur une terre étrangère voisine, y serait du moins accusé et défendu dans une langue qu'il comprend, mais on le ramène dans sa patrie, pour qu'il y soit jugé dans une langue qui lui est complétement étrangère.
Un pays, dans les annales judiciaires duquel sont inscrits de tels faits, ne peut se vanter de posséder la véritable liberté. Nous proposons donc à l'égard de l'exercice du pouvoir judiciaire, dans la partie flamande du pays, les dispositions suivantes :
« Les tribunaux criminels, civils ou militaires siégeant dans les communes où le flamand est la langue maternelle, décideront, par mesure d'ordre intérieur, de quelle langue ils désirent se servir dans leurs rapports avec les autorités et dans leurs rapports entre eux.
« Ils seront tenus d'entendre et de juger dans la langue qu'ils n'auront pas choisie comme leur langue usuelle, toutes les causes dans lesquelles le demandeur aura présenté son exploit introductif dans cette langue.
« Pour les affaires criminelles ou correctionnelles, on se servira dans toute l'instruction et dans le jugement ou l'arrêt définitif, de celle des deux langues dans laquelle l'accusé aura demandé à s'exprimer, lors de son premier interrogatoire.
« Les citations expédiées avant l'interrogatoire seront rédigées en flamand ou dans les deux langues.
« Lorsqu'il y aura plusieurs prévenus et que dans le premier interrogatoire un seul manifeste le désir de s'exprimer en flamand, on se servira de cette langue.
« Les cours supérieures auxquelles ressortissent des causes déjà commencées, seront tenues de traiter et de juger ces affaires dans la langue dont on s'était servi primitivement.
« Les avocats, greffiers, avoués et huissiers seront tenus de se servir dans leurs plaidoiries et dans leurs actes de la langue, qui, selon les cas prévus ci-dessus, sera employée par les tribunaux et les arbitres.
« Et comme il est de l'intérêt et du devoir de chaque citoyen de savoir à quoi l'obligent les lois de son pays, nous demandons que le gouvernement ordonne que tous nos Codes soient exactement traduits en flamand. »
(page 125) La partie de notre organisation politique où l'exclusion de l'individualité flamande règne le plus durement, c'est l'armée. En effet, l'accusé rencontre parfois dans son juge un homme flamand de cœur et d'esprit, il peut du moins causer de ses intérêts avec son défenseur. Mais dans l'armée, le Flamand se voit transplanté dans un monde étranger ; il s'y sent blessé dans sa dignité avant d'avoir revêtu l'uniforme ; il y est humilié en face de gens qui souvent ne le valent ni en instruction ni en éducation.
Il est rare que dans l'armée on s'adresse aux nouveaux venus dans une autre langue que la langue française. Un pareil procédé doit jeter le trouble dans l'intelligence du jeune homme auquel on a appris à l'école qu'il appartenait à un pays indépendant..
A leur arrivée au régiment, on choisit les plus intelligents d'entre les conscrits pour les placer à l'école, où ils sont formés pour les cadres. L'examen consiste dans l'écriture sous dictée - en flamand naturellement. Le jeune homme ayant été reconnu capable est envoyé à l'école. Dès ce moment, tout ce qu'il sait ne lui sert plus à rien. Lui, qui ne sait que parler et écrire sa langue maternelle, ne peut plus laisser échapper un mot de flamand sans qu'il ne soit immédiatement puni.
N'est-ce pas là un de ces mille moyens déguisés pour faire croire au Flamand que son idiôme n'est bon à rien ?
On peut dire que le français est la seule langue qui soit enseignée à l'école des enfants de troupe, à Lierre. On y enseigne la grammaire française pendant les quatre années d'étude, tandis que l'étude du flamand se borne pendant les deux premières années à quelques lectures et ne figure plus au programme pour la troisième année, Ce n'est que dans le cours de la quatrième année qu'on enseigne la grammaire flamande. Destinés aux cadres de l'armée, les élèves de cet établissement ont particulièrement besoin de la connaissance du flamand, qu'il leur serait facile d'apprendre. Nés accidentellement dans l'une ou l'autre garnison et déplacés ensuite avec leurs parents d'une partie du pays dans l'autre, on ne peut pas trop dire à quelle province ils appartiennent, du moins en ce qui concerne l'idiome ; ils sont donc également propres à étudier les deux langues. Cependant on les sépare, pour ainsi dire de parti pris, d'une partie de la nation, et au lieu d'en faire des sous-officiers vraiment capables, on les prépare à perpétuer l'injustice dans l'armée.
Et à l'école militaire, cette pépinière de ceux qui auront un jour à inculquer au soldat le sentiment de la dignité et du devoir et à lui donner le courage, on ne parle pas un mot de flamand. Les jeunes Wallons y sont formés à lancer les Flamands comme des brutes contre l'ennemi, et l'élève flamand y apprend à mépriser sa race. A en juger d'après (page 126) l'organisation de l'école, on pourrait croire que l'autorité militaire considère notre langue comme essentiellement hostile. On enseigne à l'école l'anglais et l'allemand, d'abord dans l'intérêt des études militaires, ensuite dans la prévision que notre armée pourrait se trouver en contact avec des troupes étrangères. Mais les mêmes raisons ne militent-elles pas en faveur du flamand ? Pour bien des motifs il serait bon que le soldat belge fût au courant de la littérature militaire des Pays-Bas. En outre n'est-il pas possible que Belges et Hollandais combattent encore une fois côte-à-côte pour défendre la même cause ?
C'est ainsi que la langue de la majorité est entièrement bannie de l'armée. Et quel en est le résultat ? Chez le peuple flamand : l'impopularité de l'armée. Chez le soldat : le mal du pays, la terrible nostalgie qui se rit des ressources de la médecine et cherche un soulagement dans la débauche, la désertion ou le suicide. Dès le début de sa carrière, le Flamand est entravé dans son avancement, et il en ressent les suites funestes à travers toute sa vie militaire.
L'indication du remède à cet état des choses a paru à la Commission un des problèmes les plus difficiles qu'elle avait à résoudre ; ce n'était pas du reste que l'abus ne lui semblât suffisamment clair ou qu'il manquât de moyens d'y remédier. La formation de régiments flamands et de régiments wallons fut agitée d'abord, mais abandonnée ensuite. Car on objectait que l'armée forme une partie trop importante de notre système politique pour conseiller, dans nos temps incertains, quelque chose qui pourrait affaiblir un instant son organisation.
On s'arrêta donc à un système provisoire d'après lequel on traiterait les conscrits avec plus de douceur, on introduirait des livres flamands dans les bibliothèques de régiment et on enseignerait avec soin le flamand dans l'école militaire. Mais cette dernière disposition était contraire aux principes mêmes de la Commission, qui avait décidé de ne pas imposer aux Wallons l'obligation d'apprendre la langue de l'autre moitié du pays. Le traitement plus humain des recrues et l'introduction de livres flamands dans les régiments ne présentaient pas une utilité pratique suffisante pour la carrière militaire des Flamands. Une grande partie de la nation, le noyau de la population flamande, resterait exclue du cadre des sous-officiers où gît la force d'une armée, et la disproportion des grades entre les Flamands et les Wallons se prolongerait indéfiniment.
Et quel autre moyen que celui des régiments distincts restait-il, une fois que l'on avait reconnu que l'organisation actuelle était insupportable au Flamand ? Car personne ne voudrait assumer la responsabilité d'aider à entretenir une hostilité secrète entre les Wallons et les Flamands, une hostilité à laquelle il est impossible de mettre un terme avec l'organisation actuelle et qui peut conduire à de grands malheurs. (page 127) L'organisation de l'armée belge, disait-on, a pour les habitants des provinces flamandes précisément les mêmes inconvénients qu'elle avait pour les Wallons, mais avec cette différence que maintenant la proportion des deux populations du pays est toute autre que jadis celle des Wallons et des Belges septentrionaux.
Dans l'armée des Pays-Bas, il y avait peu d'officiers d'origine française ou wallonne, surtout dans les grades supérieurs et dans les corps d'élite. La seule publication, en 1829, du tableau comparatif des officiers wallons et des officiers hollandais a contribué plus fortement à la révolution de 1830 que tous les autres griefs.
L'Almanach royal belge montre combien le nombre des officiers flamands est actuellement minime, surtout dans les grades élevés, eu égard au nombre des officiers wallons. L'usage presque exclusif du hollandais dans l'armée rendait jadis l'avancement presque impossible aux soldats wallons ; l'usage exclusif du français dans l'armée belge produit actuellement le même résultat à l'égard du soldat flamand. Il y aurait un grand danger si on ne remédiait pas au mal, avant que quelqu'un entreprît de communiquer aux journaux flamands des tableaux comparatifs du genre de ceux qui furent publiés en 1829 dans un journal bruxellois (Le Courrier des Pays-Bas).
Le seul moyen pratique, c'est l'organisation de l'armée belge en régiments flamands recrutés dans les provinces flamandes, et administrés et commandés en flamand, et en régiments wallons, levés dans les provinces wallonnes, et administrés et commandés en français.
L'unité de l'armée n'en souffrirait pas, comme en font foi les pièces officielles fournies à la Commission concernant les armées suisse et sarde. La rivalité entre les Flamands et les Wallons ne s'en accroîtrait pas ; au contraire, l'introduction d'un système plus équitable de distribution des grades parmi tous les Belges sans distinction, favoriserait infiniment mieux la conciliation des intérêts et des passions, que toutes les sévérités de la discipline actuelle. Celle-ci peut bien faire que la haine secrète de nos soldats des deux races reste cachée sous l'uniforme, mais il ne lui est pas donné de faire disparaître cette haine.
Il y aurait un moyen bien simple d'utiliser la division de l'armée en régiments flamands et régiments wallons au profit de la conciliation des races.
« Ce serait de mettre les régiments flamands, pour lesquels tous motifs de mécontentement auraient disparu, en garnison dans les provinces méridionales, et de faire le contraire pour les régiments wallons. Il se formerait ainsi, entre les deux races, des relations, dont l'action serait bien plus salutaire que la juxtaposition des Wallons et des Flamands dans le même corps. Car ces derniers s'y voient continuellement humilier dans leur langue. »
(page 128) Il y a des exemples qui prouvent combien il est facile, après quelque temps de contact, de faire fraterniser librement des soldats ou des citoyens parlant des idiômes différents. Des vieillards wallons se rappellent encore les troupes hollandaises qui, à la suite du traité des Barrières, tenaient garnison à Namur, Tournai, etc., et parlent encore de la bonne entente qui régnait entre les bourgeois et les soldats.
Dans le système de l'envoi des régiments flamands dans les villes wallonnes, et des régiments wallons dans les villes flamandes, on devrait, en ce qui concerne l'avancement, donner la préférence au soldat ou à l'officier flamand qui demanderaient à être placés dans les régiments wallons ; et au soldat ou à l'officier wallon qui demanderaient leur avancement dans les régiments flamands, à condition, bien entendu, que les postulants fissent preuve d'une connaissance suffisante de la langue usitée dans les régiments où ils désireraient entrer. »
Par cette mesure, la connaissance des deux langues, du français et du flamand, se répandrait parmi les meilleurs officiers et sous-officiers de l'armée. Cet alternat volontaire des deux idiômes faciliterait les rapports des généraux avec les différents corps de l'armée.
En ce qui concerne la méthode à suivre pour l'organisation de l'armée belge en régiments flamands et wallons, et pour la réunion de ces éléments, quant aux opérations militaires, nous renvoyons au système suisse. Les premières difficultés de la nouvelle organisation devraient être attaquées hardiment et sans réserve ; toute la question ne consiste qu'à imposer silence au plus grand obstacle, l'égoïsme.
Nous n'avons pas besoin d'insister sur la nécessité d'organiser dans les provinces flamandes, la garde civique au moyen du flamand. Seulement, nous ferons remarquer que, dans les siècles passés, le flamand était la langue de l'administration et du commandement pour les gardes bourgeoises de la Flandre. Il existe encore des règlements administratifs imprimés, et quoique l'on ne possède pas d'ouvrage concernant le commandement, on connaît encore le cri de la bourgeoisie à Bruges au XVI et au XVIIe siècles. C'était : « Wie daer ? » Le mot de passe était : « Al vriend. »
Nous pouvons plus ou moins nous expliquer comment, après la révolution de 1830, on mit l'organisation de l'armée de hollandaise (c'est-à-dire flamande) qu'elle était, sur le pied français. La nouvelle armée belge fut créée par les Wallons, qui avaient à se venger de la multiplicité des officiers hollandais, et l'esprit révolutionnaire trouva un appui dans l'armée licenciée et dans les nombreux volontaires et officiers qui accoururent de la France.
(page 129) Il en était autrement de la marine. Pas une seule canonnière ne fit cause commune avec la révolution. Ce ne fut que plus tard qu'on avisa à créer une marine. Mais quelque peine que l'on se donnât pour centraliser l'administration au moyen du français, la marine devait échapper à ce système, à moins que, bravant les éternelles lois de la nature, on ne voulût enlever toute spontanéité au marin, et que l'on ne reculât pas devant les plus grandes catastrophes.
Si, dans l'armée, le commandement forme une espèce de cri conventionnel, auquel on obéit machinalement, il n'en est pas de même sur le navire. Les travaux multiples y sont, pour ainsi dire, identifiés avec le marin, qui s'est familiarisé avec eux dès l'enfance. Notre marin est essentiellement flamand. L'humiliera-t-on aussi pour servir le pays ? Supposons que notre flotte un jour équipée en guerre et qu'elle fût ainsi placée sous l'action immédiate du Gouvernement, les capitaines s'ils savaient tous le français, ce qui n'est pas le cas devraient transmettre leurs ordres en français à des hommes qui n'en comprennent pas un mot. Cela leur serait aussi impossible que de correspondre en français avec le Gouvernement.
Si on veut former une marine capable d'être utile au pays, on devra y faire usage du flamand, sinon ce ne sera qu'un vain luxe, dangereux pour les finances du pays, dangereux pour la population où l'on recrute habituellement les marins, dangereux pour l'esprit populaire.
Parmi les devoirs de l'agent diplomatique, figure au premier rang la protection qu'il doit au sujets de son gouvernement qui se trouvent à l'étranger. Il est naturel que le diplomate sache mieux les langues écrites de son pays que celle de la contrée où il exerce ses fonctions. On se ferait une singulière idée d'un pays dont le représentant ne pourrait accorder à ses compatriotes la protection invoquée, parce que ni lui, ni personne de sa suite ne sauraient lire ni écrire la langue de leur pays. Pareille chose pourrait, à la rigueur, se comprendre à l'égard d'une minime partie d'un grand Etat ; mais qu'une agence diplomatique ou un consulat ignore la langue de la majorité des habitants d'un Etat de second ordre, la langue de ceux de ces habitants qui parcourent les mers et vivent le plus parmi les étrangers, n'est-ce pas l'effet d'une vanité déplacée ou d'un mauvais vouloir de la part de ceux qui nomment à ces emplois ? C'est une de ces choses incroyables qui n'existent qu'en Belgique. Il est arrivé que des Flamands ont demandé en vain des renseignements aux agents de leur pays ; leurs demandes restaient sans réponse, parce qu'ils ne connaissaient que leur langue, et que personne, à l'ambassade, ne savait la parler.
Il conviendrait que l'on mît un terme à des faits si nuisibles à l'honneur de la Belgique et aux intérêts des Flamands qui voyagent à l'étranger. Le remède est très facile : « On n'a qu'à décider que, dans l'examen d'attaché d'ambassade, on exigera une connaissance approfondie de la langue flamande. » Ce n'est que chez un consul d'origine étrangère que l'on ne pourrait exiger cette connaissance ; quoiqu'il soit vrai de dire que, pour de telles fonctions, on trouve à l'étranger plus de ressources qu'on ne pourrait supposer, après un examen superficiel ou partial.
Après avoir exposé nos griefs, les droits des Flamands et les moyens d'appliquer sincèrement le principe : « liberté en tout et pour tous » au pays où ce principe fut d'abord proclamé ; après avoir démontré, l'histoire nationale à la main, que nous ne demandons pas plus que ne possédaient nos ancêtres et que ce qu'ils ont défendu au prix de leurs biens et de leur sang, il ne nous paraît pas indifférent de jeter un coup d'œil sur ce qui se passe dans quelques pays de l'Europe, qui se trouvent, à l'égard des langues qu'on y parle, dans une position analogue à celle de la Belgique.
En Suisse, la majorité de la nation est allemande ; dans les Etats sardes, elle est italienne ; en Danemark, elle est danoise. Dans le premier et le dernier de ces Etats, elle est la même depuis des siècles. Le second de ces pays fut d'abord un Etat français (la Savoie), mais, par les traités, la maison de Savoie acquit des territoires bien plus grands que ses Etats primitifs et qui étaient habités par des peuples qui parlaient une autre langue.
En Suisse, les 70/100 de la population parlent l'allemand, 23/100 parlent le français et 5/000 parlent l'italien. Et malgré cette énorme disproportion, l'art. 109 de la constitution fédérale dit que : « Les trois principales langues parlées en Suisse sont les langues nationales de la confédération. » Une quatrième langue, le romanche, ne compte que 2/100 de la population' ; cependant les lois sont également publiées dans cette langue.
Conformément à l'art. 109 susdit, les lois, les arrêtés et les mesures générales sont publiés par la chancellerie fédérale et aux frais de la confédération, dans chacune des trois langues. Toutefois la feuille officielle, dont il paraît hebdomadairement un numéro, n'est, pour des raisons financières, publiée qu'en allemand et en français.
Assemblée nationale. Il y a un secrétaire pour les lectures et les procès-verbaux allemands et un traducteur pour le français.
(page 131) Les présidents s'adressent, selon leur préférence, à l'assemblée, en allemand ou en français.
Chaque député est libre de s'exprimer dans celle des trois langues qui lui est familière.
Il convient de faire remarquer ici que, parmi les Suisses qui ont suivi l'enseignement moyen, les Allemands savent le français et aussi (quoiqu'en moins grand nombre) l'italien ; qu'un assez grand nombre de Français apprennent l'allemand, un moins grand nombre l'italien ; que presque tous les Italiens savent un peu de français, mais, en général, peu ou point d'allemand.
Conseil fédéral. Les procès-verbaux se font dans la langue de la majorité, mais les rapports et les propositions faits au conseil sont, au choix, rédigés en allemand ou en français.
Chaque membre emploie, à son gré, une des trois langues.
Dans les Etats sardes, l'italien est la langue officielle. Cependant, en Savoie, les actes des différentes administrations, les jugements des tribunaux, la publication des lois et des arrêtés du gouvernement se font exclusivement en français.
Les représentants et les sénateurs, ainsi que ceux qui leur répondent, peuvent se servir du français.
Dans les ministères et le conseil d'Etat, tout ce qui concerne la Savoie se traite en français.
L'admission des jeunes gens aux emplois est subordonnée à la connaissance des deux langues. La même chose a lieu à l'académie militaire. Les élèves, en sortant de celle-ci, doivent passer un examen de littérature française et de littérature italienne. Dans l'école polytechnique suisse, les trois langues sont représentées. Différentes branches de l'enseignement y sont données en double, par un professeur allemand et par un professeur français. Dans ce même établissement, il y a des cours préparatoires pour les élèves français qui ne sont pas assez avancés pour suivre les cours des professeurs allemands.
En Sardaigne, l'armée, en ce qui concerne les langues, n'est pas divisée en deux sections et les conscrits y sont répartis indifféremment entre les différents corps. Le commandement s'y fait en italien. Cependant, en Savoie, tout ce qui concerne les miliciens se fait en français. Les deux premiers régiments d'infanterie, dont l'administration se fait entièrement en français, sont composés exclusivement de Savoyards.
En Suisse, l'indépendance des langues est poussée plus loin. Les ordonnances et les règlements y sont imprimés en allemand et en français. A cause du petit nombre des habitants italiens, l'administration cantonale doit faire à ses frais les publications italiennes.
Le commandement se fait en allemand, en français ou en italien, (page 132) selon les cantons ou les subdivisions de cantons auxquels appartiennent les soldats.
Les officiers, et surtout les officiers d'état-major, doivent savoir au moins deux des principales langues de la confédération.
Il y en a qui prétendent que, lors des prises d'armes des troupes fédérales, la différence des langues occasionne souvent des malentendus et des difficultés, soit à cause du service, soit par le contact des soldats avec la population. Il serait injuste de vouloir attribuer cela à l'organisation bilatérale de l'armée plutôt qu'à la position particulière du pays. En Belgique, quoique l'armée y soit entièrement organisée en français, il y a bien parfois des conflits déplorables entre les soldats et les bourgeois ; tandis que jadis, comme nous l'avons déjà fait remarquer, la meilleure entente régnait entre les troupes hollandaises et les habitants des villes wallonnes où elles tenaient garnison. Les armées qui prirent part à la victoire de Waterloo étaient commandées, pour le moins, en quatre langues différentes ; et jamais il n'a été dit que cela ait donné lieu à quelque malentendu, qui n'aurait pas pu se présenter dans une armée commandée au moyen d'une langue unique.
En Suisse, chaque autorité cantonale, chaque personne peut s'adresser aux commandants dans sa langue à elle.
La chancellerie fédérale a soin de prendre des employés qui connaissent les deux langues. Les administrations des postes font de même. Elles emploient l'une des trois langues, selon le lieu où elles ont leur siège. La correspondance avec l'administration centrale, ainsi qu'avec les personnes qui parlent cette langue se tient en général en allemand ; avec les autres habitants, elle a lieu en français.
En Suisse, il y a quelques cantons mixtes. Voici comment on y procède pour ne pas enrayer la marche de la civilisation et pour ne léser les droits de personne.
Dans les cantons allemands-français de Berne, Fribourg et le Valais, on fait une double édition des lois, etc. Les employés y connaissent les deux langues, hormis quelques-uns que l'on destine à se servir exclusivement d'une seule langue.
Dans toutes les écoles moyennes, on tâche de faciliter l'enseignement des deux langues.
A Sion, chef-lieu cantonal du Valais, la population est mixte : les lois y sont publiées dans les deux langues et on y a des écoles primaires françaises et allemandes.
Dans le canton allemand-français-italien des Grisons, les lois sont promulguées dans les deux langues ; et on y suit, quoique avec des ressources plus bornées, les principes des autres cantons mixtes.
Le mélange des langues se présente aussi sur une large échelle (page 133) dans le duché de Schleswig ; il est prouvé qu'on y observe à cet égard la plus parfaite égalité.
Aux états, le député se sert, à son gré, de l'allemand ou du danois. Les procès-verbaux des séances, les projets de loi, les communications du gouvernement, les avis de la commission et de l'assemblée, y sont rédigés dans les deux langues.
Le commissaire du Gouvernement, le fonctionnaire qui lui est adjoint et le président de l'assemblée se servent, dans tous les cas, des deux langues.
Là où le danois est la langue du peuple, elle est aussi celle de la religion, de l'enseignement, du Gouvernement et de la justice. Dans les écoles on donne aussi un cours d'allemand.
Celui qui veut y obtenir un emploi doit prouver qu'il sait bien le danois.
Dans le séminaire des instituteurs et dans l'école polytechnique, le danois est employé pour instruire les élèves danois.
Dans les examens des candidats en droit ou en théologie, les questions et les réponses verbales doivent être dans les deux langues, de même que les épreuves écrites, les sermons, les mémoires, etc.
Dans les communes où la population est mêlée, tous les services du culte, les sermons, etc., doivent être faits alternativement en danois et en allemand. Pour les baptêmes et les enterrements, ce sont les parents qui choisissent.
L'enseignement y est double : danois et allemand.
L'administration s'y fait dans les deux langues.
Le juge se sert du même idiome que les parties ou les accusés.
Tous ces renseignements nous ont été fournis officiellement par l'entremise du gouvernement.
Nous aurions voulu puiser à des sources aussi sûres que les précédentes nos renseignements sur ce qui se pratique en Autriche, cette monarchie où l'on parle tant de langues différentes. Ce pays n'ayant pas répondu à la demande de renseignements que lui avait adressée notre ambassadeur, M. O'Sullivan de Grass, celui-ci s'est appliqué à répondre lui-même à la question. Toutefois, il l'a fait dans un sens qui ne cadre pas tout à fait avec l'esprit constitutionnel de notre pays. Les données de notre ambassadeur peuvent se résumer ainsi :
a L'usage exclusif, depuis 1849, de l'allemand, comme langue offi«cielle, dans tous les Etats qui composent cet immense empire, semble « être le résultat logique du principe de centralisation administrative que l'empereur François-Joseph a résolu d'introduire dans ses Etats.
L'allemand est la seule langue à laquelle le gouvernement accorde une protection officielle, et on paraît convaincu que cette protection (page 134) exclusive est particulièrement favorable à l'unité nationale, qui fait « la force du gouvernement. »
Appliquées à la Belgique, ces remarques ne sont pas heureuses ; en effet, de l'aveu de ce diplomate même, la différence entre la Belgique et l'Autriche et trop grande. Chez nous, il n'y a que deux langues, tandis qu'en Autriche, on en parle plus de vingt. Et puis, l'empire pourra-t-il longtemps s'appuyer sur cette protection exclusive ? En attendant, S. M. l'empereur a pu déjà se convaincre, dans un voyage à travers ses Etats, que ses sujets, quelque respect qu'ils lui témoignent, sont peu enthousiastes de ce système de centralisation si vanté. Les Magyares surtout, qui jadis firent des sacrifices énormes pour relever la langue nationale, ont exposé leurs droits avec leur vieux courage hongrois. Là, la noblesse n'est pas encore dégénérée : elle se met à la tête du mouvement, et le primat de la Hongrie lui-même ose présenter à son prince la pétition dans laquelle on insiste sur la réintroduction de la langue du pays dans l'enseignement supérieur.
Il résulte suffisamment de ce rapport, que la situation de la Belgique, en ce qui concerne les langues, est forcée, contre-nature, inconciliable avec le régime constitutionnel et nuisible au repos et à la prospérité du pays. Ce que les Flamands demandent, c'est que l'on écarte les obstacles qui empêchent le libre développement de l'esprit humain. Ils demandent leur part dans l'existence nationale, comme leurs ancêtres ont leur part dans l'histoire du pays : ils demandent l'égalité des races et, en même temps, la solidarité de toutes les classes.
Le mouvement flamand n'est pas un effort isolé et étroit, sans racines dans le passé, sans fruits pour l'avenir. Il est la continuation de tout ce qu'il y a de noble et de grand dans nos annales. Sa mission est sainte, et c'est son devoir de l'accomplir sans se laisser effrayer ou décourager par les obstacles qui peuvent se dresser sur sa route. Le mouvement flamand est l'expression de ce besoin général d'indépendance dont l'esprit du siècle montre tous les jours de nouvelles phases.
Seulement, en Belgique, l'esprit de parti et l'intérêt personnel se sont séparés plus ou moins complétement de la question des langues ; ils agissent en dehors du principe national, le principe national en dehors d'eux ; à qui restera la victoire ? La langue est plus que l'intérêt personnel, elle tient à ce qu'un peuple possède de plus intime ; elle est plus que la conscience politique, car celle-ci est, par suite des circonstances extérieures, sujette à des modifications multiples. Elle est même plus (page 135) intime au peuple que sa religion, car elle est plus ancienne et tient plus à son individualité. Quel est le gouvernement intelligent qui violenterait encore la conscience individuelle, politique et religieuse pour imposer sa propre opinion ? La question de la langue est une question de conscience, dans laquelle personne d'autre que le propriétaire de l'idiome n'a le droit d'intervenir : c'est donc une affaire qui ne souffre pas de discussion.
Le Rapporteur, F. A. Snellaert.
Le Président, L. Jottrand, père.
Le Secrétaire, Michiel Vander Voort.
Les membres de la Commission : Rens., Eug. Stroobant, G.-J. de Corswarem, J. Daid, Conscience, J.-H. Mertens.