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Le chien du député
DERBIGNY Valery - 1853

Valery DERBIGNY, Le chien du député

(Paru à Paris,Arras-Lille en 1853, chez Plon, pages 52-54)

Le chien du député

Un député d’un des pays de France,

Je ne sais plus lequel, le pays n’y fait rien,

Lorsqu’il devait se rendre à la séance,

Avait soin d’enfermer son chien.

Cet animal (c’est le chien que j’entends),

Depuis que son maître était membre

De la Chambre,

N’avait plus qu’à passer son temps

A soupirer, à gémir dans la sienne.

Jamais ne prendre l’air, jamais se promener ;

Il avait beau se démener,

C’était toujours la même antienne :

« Allons, vite, Milord, vite ! sous l’escalier ! »

Après ces mots, on prenait le collier,

Ensuite venait la ficelle ;

Et son tyran, qui le grondait,

A tous ses cris ne répondait

Qu’en serrant le nœud de plus belle.


Le maître, un jour pressé par l’heure officielle,

Pour se rendre à la Chambre était prêt à partir ;

Il tenait son chapeau, n’avait plus qu’à sortir.

Cependant quelqu’un vient. C’était de sa province

Un sien ami, qui de son prince

Venait solliciter quelque léger bienfait.

- « Bonjour, mon cher, ah ! par le temps qu’il fait,

Je croyais ne jamais trouver votre demeure.

Je trotte dans Paris depuis bientôt une heure :

Enfin je vous revois : que je suis enchanté !

Eh bien, dans ce pays, comment va la santé ?

- Pas mal. – Quoi donc ! est-ce que ma visite

Vous aurait causé quelque émoi ?

Ai-je mal pris mon temps ? Je suis venu si vite !

- Mon ami, voyez-vous, j’ai peu de temps à moi.

A la Chambre aujourd’hui je porte la parole,

C’est pour un important objet :

Je dois parler sur le budget ;

J’évite volontiers tout entretien frivole :

J’ai beaucoup à penser ; l’on s’attend de ma part

A du profond ; et, si rien ne me presse,

Je toucherai, je crois, quelques mots de la presse.

La presse, voyez-vous, c’est le plus sûr rempart,

Et le seul bientôt qui nous reste,

De nos publiques libertés.

Mais prenez ce billet ; vous entendrez le reste

A la Chambre des députés ;

Venez m’y joindre… » Il sort à pas précipités.


Milord, qui l’écoutait de toutes ses oreilles,

S’adressant au nouveau venu :

« Mon pauvre maître, hélas ! il vous dit des merveilles ;

L’auriez-vous deviné ce qu’il est devenu ?

S’il n’est pas fou, vraiment, il ne s’en manque guère.

Vous a-t-il seulement demandé quelle affaire

Vous amenait en ce pays ?

Il ne parle que lois, presse, budget, finance ;

Là souvent il griffonne autant que vingt commis.

On dirait à lui voir ce grand air d’importance,

Qu’il se croit seul chargé des destins de la France :

Il l’aime en citoyen ; mais il n’a plus d’amis.

C’était bien des humains le plus parfait modèle !

Et c’est auprès de moi, maintenant rebuté,

Naguère si chéri, moi, son gardien fidèle,

Qu’il fait son nouveau cours de générosité.

Il m’enchaîne, il me bat, et plus, il ne m’appelle

Que pour serrer les fers de ma captivité.

Peut-être il plaint mes maux ; mais qu’est mon infortune

Auprès de ce discours qu’il a tant médité !

Courez, courez l’ouïr ; vous serez transporté

Vous l’entendrez vanter à la tribune

Les douceurs de la liberté. »