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Note
d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1856, 2 tomes
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TOME 2
(page 197) La dix-huitième session ne
devait pas être longue : ouverte le 10 novembre 1846 et close le 11 mai 1847,
elle ne dura que six mois.
Dès le début, et
sous l'impression de l'inquiétude publique, où jetait une récolte médiocre, on
s'occupa, de nouveau, des dispositions relatives aux céréales. Le froment, le
seigle, l'orge, le sarrasin et autres denrées restaient libres à l'entrée
jusqu'au 1er octobre 1847 : les mêmes objets de consommation continuaient à
être prohibés à la sortie, jusqu'à la même date. Toutes ces mesures furent
admises sans grande contestation (Loi du 22
novembre 1846).
Le discours du
Trône annonçait, pour la sixième fois, la (page
198) loi sur l'enseignement moyen, mais cet engagement ne devait pas
encore, cette fois, être tenu : déception regrettable, puisque tous ces
avortements volontaires avaient les mêmes effets que la stérilité. Cette
branche importante de l'instruction publique restait ainsi à l'état inculte et
provisoire.
La formation
d'une société d'exportation vint se présenter aux yeux de l'industrie
souffrante, comme une planche de salut. Mais le projet n'ayant pas réussi,
cette vaine promesse ressembla à ces brillants mirages qui doublent la fatigue
du voyageur, en changeant son espérance en découragement (Voir Exposé des motifs, documents de la Chambre, n°82, ou Annales
parlementaires, 1846-1847. p. 463). On promettait
un projet de loi pour augmenter le nombre des membres des deux Chambres ; mesure
que l'on combattait naguère comme dangereuse ou, tout au moins, inopportune.
Tant il est vrai qu'une opposition raisonnable est, tout à la fois, le moteur
et le frein de la machine représentative !
Toute allusion
politique y était soigneusement évitée. Et cependant la discussion fut très
vive, sans que, toutefois, le Congrès libéral, contre lequel avaient été
dirigées toutes les foudres de la presse de la droite, fût autrement atteint
ici que par des allusions indirectes. M. de Theux, Ministre de l'Intérieur,
répondant à M. Lehon, disait plus tard (séance du 6
mars 1847) : « L'honorable membre a fait l'éloge des associations politiques et
électorales. « Nous n'avons pas à blâmer ces sortes d'associations ; la
Constitution les autorise ; nous n'avons donc pas à nous en occuper, tant
qu'elles restent dans le cercle que la Constitution a tracé. » (Moniteur, 1846-1847, p. 1048.)
Mais ce qui
rassurait le Gouvernement et l'endormait dans une dangereuse confiance, c'était
la division qui s'était manifestée, à Bruxelles et à Liége, parmi les libéraux,
dont les uns voulaient, comme on dit, brusquer le mouvement, (page 199) tandis que les autres
prétendaient suivre une marche plus prudente (Voir,
dans les journaux du temps, les
dissidences, à Bruxelles, entre l'Alliance et l'Association ; à Liége,
entre l'Union et l'Association). M. Malou
terminait ainsi un de ses discours : « Les faits qui se sont passés ont imprimé
à nos débats un caractère nouveau. Nous n'entendons plus dire, comme autrefois
: le flot monte ! le flot monte ! Il va nous déborder ! Non, Messieurs, c'est
que maintenant le flot se retire, c'est que maintenant la plage est à découvert
et que le flot, en se retirant, y a laissé quelques débris. » Et M. Castiau de
lui répondre : « Non, non, M. Malou, le flot ne s'est pas retiré, comme vous
l'avez dit, après avoir laissé sur la plage quelques misérables débris ; non,
non, le flot n'est pas venu se briser à vos pieds pour saluer votre triomphe.
Non ! non ! si le flot ne monte pas en ce moment, il s'agite, du moins il
bouillonne, il présage la tempête, l'inévitable tempête qui doit vous balayer,
vous, le Ministère, votre intolérance et vos iniquités, si vous continuez à
marcher dans la voie de la réaction et de la violence. » (Applaudissements dans
les tribunes.) Sept mois après, les événements prouvaient que M. Malou était un
capitaine présomptueux, qui s'endormait à l'approche d'un écueil ; que M.
Castiau était un pilote clairvoyant, qui de loin apercevait les signes
avant-coureurs de l'orage. M. de Decker, plus
soucieux d'être franc qu'habile, disait : « Je crois utile de prémunir le
ministère contre ses propres illusions D'après moi, le ministère s'exagère et
sa sécurité dans le présent et sa confiance dans l'avenir... » Il blâmait ses
amis d'avoir destitué un fonctionnaire, parce qu'il faisait partie d'une
association politique (Démission d'un
inspecteur des plantations. M. Castiau disait à ce propos : « Est-ce que, par
hasard, la susceptibilité ministérielle aurait été jusqu'à craindre que cet
inspecteur ne donnât à ses plantations une attitude anarchique et séditieuse ?
» (Hilarité.)) et d'avoir défendu à
d'autres (page 200) fonctionnaires d'en devenir ou d'en rester membres. Son
discours était la paraphrase radoucie de son texte : Anachronisme et défi. Il
est vrai que l'honorable membre n'épargnait pas les durs reproches aux
libéraux, se créant ainsi, sans crainte parce que c'était avec conviction, une
position de stylite. M. H. de Brouckere, nommé gouverneur par un
ministère libéral, était resté gouverneur sous des ministères mixtes et
catholiques. Les embarras d'une telle position l'avaient éloigné, pendant
longtemps, d'une intervention active, comme représentant, dans les travaux de
la Chambre. Il reprenait sa place au sein de l'opposition, aujourd'hui qu'il
était pensionné pour infirmités. Elles n'étaient, heureusement, pas assez
graves pour l'empêcher de se retremper dans les eaux vives du Parlement, de
manière à pouvoir occuper bientôt des positions diplomatiques et
gouvernementales très importantes. M. Liedts, encore à la tête du gouvernement
d'une province, quittait le fauteuil de la présidence, pour faire au ministère
cette singulière confidence : « Si l'amendement (de M. de Garcia) n'implique
pas un vote indirect de confiance, je donnerai mon adhésion à cet
amendement. » C'était, on le voit, de la part d'un gouverneur et à l'égard du
cabinet, une déclaration d'amour platonique et de confiance homéopathique. M. de
Theux répondit : « Je n'ai entendu, en aucune façon, provoquer un vote de
confiance. Ce que j'ai demandé, c'est le rejet du vote de défiance, formulé par
M. Rogier. » En d'autres termes, le ministère ne demandait pas un satisfecit,
il se contentait de ne pas recevoir de pensum. Il serait difficile
de trouver une prétention plus modeste de la part d'un homme du pouvoir et une
réponse plus commode, pour un gouverneur, de la part d'un Ministre de
l'Intérieur. Cependant l'amendement de M. Rogier ne fut repoussé que par 52
voix contre 34, et parmi les premiers se trouvaient quatre ministres, trois
gouverneurs, une douzaine de fonctionnaires amovibles. Un tel vote était
l'avant-coureur de la chute (page 201)
du ministère, le précurseur de la loi des incompatibilités ! (Annales parlementaires de 1846-1847,
pp. 37-105)
La vivacité, qui
s'était produite dans la discussion de l'Adresse, se fit sentir dans celle des
budgets. Au budget de la Dette publique, se présenta une intéressante question
d'attribution. M. du Graty, conseiller de la Cour des
comptes, avait été admis à la retraite, avec le titre de conseiller
honoraire. Avant de prendre cette double mesure, M. le Ministre des
Finances avait éprouvé quelques doutes et, ce qui prouvait sa bonne foi, il les
avait soumis à la Cour, qui lui fit cette réponse : « Elle verrait avec plaisir
M. du Graty obtenir la faveur qu'il réclame, de même
qu'elle serait charmée qu'en semblable circonstance la même faveur atteignît
tout membre de son collège qui aurait également bien mérité dans l'exercice
de ses fonctions... » M. Dumortier interrompit, en s'écriant : « Il ne sont pas
dégoûtés ! » La Cour, on le voit, ne tâchait pas seulement de régler
favorablement le compte du membre actuellement sortant, mais elle cherchait à
stipuler l'otium cum dignitate,
pour tous ses membres. Était-ce bien la même main, qui demandait que la
Cour fût atteinte des faveurs ministérielles et qui traçait ces fermes
cahiers d'observations, où la Cour atteint si vigoureusement les
empiétements financiers des ministres ? En commençant à entrer dans cette voie,
le ministre était-il resté dans la légalité ? L'article 116 de la Constitution
porte : « Les membres de la Cour des comptes sont nommés par la « Chambre des
Représentants, pour le terme fixé par la loi. » Si un autre pouvoir, que celui
qui confère les fonctions, pouvait conférer le titre honorifique, il en
résulterait qu'un ministre pourrait accorder cette faveur à un membre que la
Chambre n'aurait pas voulu confirmer dans son mandat. Si cela est permis, que
deviennent les précautions prises par les constituants, pour soustraire les
membres de cette Cour à (page 202)
l'influence ministérielle ? Le ministre invoquait l'article 7 de la loi des
pensions ainsi conçu : « Tout magistrat, fonctionnaire ou employé, qui aura
bien mérité dans ses fonctions, pourra à sa retraite être autorisé par le Gouvernement
à conserver le titre honorifique de son emploi. » Ainsi le
Gouvernement serait juge si le membre de la Cour des comptes, son contrôleur, a
bien mérité dans ses fonctions. Il donnerait le droit de conserver
définitivement et honorifiquement un titre, que la Chambre
ne peut accorder effectivement que pour un terme limité. D'ailleurs,
dans la loi des pensions, il s'agit du titre honorifique d'un emploi ; or,
aux termes du décret du 30 décembre 1830 et de la loi du 25 octobre 1846, les
conseillers ne peuvent remplir aucun emploi. Ces membres ne reçoivent qu'un mandat
de la Chambre des Représentants. Si le pouvoir exécutif pouvait donner à
ces anciens élus un titre honorifique, pourquoi ne pourrait-il pas
nommer des représentants, des sénateurs, des membres de députation permanente honoraires
? Quand on glisse sur les principes, on peut descendre très bas. On nomma
une commission pour examiner le point légal : nous ne trouvons pas de trace de
son travail. Mais à nos yeux la question est si claire, que nous n'hésitons pas
à dire que nul ministre ne s'avisera plus de donner un pareil titre
honorifique. M. du Graty pourra, pensons-nous, dire
en toute vérité : « Le conseil honoraire de la Cour des comptes, c'est moi. » (Annales parlementaires, 1846-1847, pp.
115 à 124.)
Au budget de la
marine revint la question de Santo-Tomas de Guatemala (Voir,
Moniteur de 1842, n°' 340 et 349, Règlement organique de la Société de
colonisation, sous le nom de Communauté de l'Union... Ce pléonasme fait
voir que ce n'était pas le concert de bonnes intentions qui manquait à cette
association, ce que prouverait, du reste, la présence de M. le comte F. de
Mérode, qui en fut nommé président). Cette colonie
fantastique nous a donné presque autant de soucis législatifs que les grandes
Indes à l'Angleterre, (page 205) que
Cuba à l'Espagne, que Java à la Hollande, que l'Algérie à la France. Quelle
folie de vouloir chercher un remède au paupérisme dans le transport à grands
frais, de quelques centaines de colons, dans des contrées éloignées !
N'avons-nous pas la Campine et les parties incultes des Ardennes ? Si l'on
avait de l'argent pour une telle entreprise, il y aurait de quoi occuper là les
bras oisifs, d'une manière autrement utile pour les individus, comme pour la
généralité. Avec ce que coûte le transport et l'installation d'un colon au
dehors, vous le ferez vivre pendant un an, et produire sur le sol de la patrie.
Aucune colonisation, d'ailleurs, ne peut aboutir, qu'autant qu'elle est
spontanée et naturelle. Les émigrations qui réussissent se font non pas par la transportation
recrutée, mais par l’exode volontaire, comme il a lieu d'Allemagne
vers les États-Unis ; et celles-là ont plus besoin de frein que d'excitation,
car elles offrent, parfois, de véritables dangers pour le sol délaissé. Il est
des populations qui sont faites pour l'émigration, d'autres qui y répugnent.
L'Allemand, le Luxembourgeois, le Wallon (Dans
les cantons de Gembloux, de Perwez et dans quelques autres localités du pays wallon,
il se manifeste, depuis quelque temps, une grande propension à l'émigration
vers les États-Unis. Ce ne sont pas des gens pauvres, chassés par la faim ; ce
sont des familles entières, jouissant de quelque aisance et poussées vers la
terre étrangère par l'appât des entreprises agricoles), disent facilement : ubi bene, ibi patria ; l'Espagnol, le
Flamand aiment mieux mourir de faim sur le sol natal que de s'expatrier ; pour
eux,
« Le ciel
de la patrie
« Est
toujours le plus beau ! »
Faisons comme
fait la Suisse, cette ruche industrielle : produisons à bon marché, l'on
viendra acheter nos produits et tous nos bras seront occupés. L'intervention du
Gouvernement dans cette affaire n'avait eu d'autres résultats que de pousser (page 204) les sociétaires dans
une ruineuse opération, sans aucun avantage pour l'intérêt public.
Au budget des
Voies et moyens, M. le Ministre des Finances avait mis en avant l'idée d'un
système d'assurances par et au profit de l'État. Pour juger le procès, - car on
plaida pour, on plaida contre, - il faut lire et les procès-verbaux de la
commission présidée par M. Malou lui-même, ensuite par M. Veydt, et le travail
considérable que M. Frère-Orban a fait publier contre ce système (Pièces de la Chambre, session 1850-1851). Il est impossible de
méconnaître les difficultés de la mise en pratique d'une telle mesure : mais,
d'un autre côté, cette sorte de contribution, avec compensation, offre tant
d'avantages, que l'on est porté à trouver trop sévères les conclusions des
adversaires de ce projet. Mais bientôt la question des assurances par l'Etat ne sera plus pour nous qu'une question spéculative et
de théorie économique. Car l'accroissement du nombre des sociétés indigènes,
l'admission aux opérations nationales des sociétés étrangères empêcheraient la
réalisation de cette idée. Les indemnités d'expropriation, si on peut
s'exprimer ainsi, iraient déjà à des sommes formidables.
Le budget de la
Justice fut le plus attaqué ; ce qui fit dire à M. d'Anethan : « Pendant les
deux premières années que j'étais au ministère, toutes les attaques étaient
dirigées contre M. Nothomb. Il était le point de mire de l'opposition.
Maintenant toutes les attaques s'adressent à moi. (Interruption.)» A
quoi M. H. de Brouckere répondit : « Mon silence sera une protestation contre
l'insinuation, faite par M. le Ministre de la Justice, que les membres de
l'opposition se seraient «concertés pour réunir toutes leurs forces contre lui.
Un concert de cette nature a pu avoir lieu contre M. Nothomb, qui était un
homme d'un talent éminent... contre M. Nothomb qui était le chef du ministère,
qui était l'âme du cabinet ; (page 205)
oui, un concert a pu avoir lieu contre un tel homme ; mais l'honorable M.
d'Anethan peut se rassurer, jamais semblable concert ne se fera contre lui. »
M. Delfosse ajoutait : « M. le baron d'Anethan ne ressemble à M. Nothomb que
par les petits côtés ; et encore, on peut dire que M. Nothomb subissait les
influences du clergé, au lieu que M. le Ministre de la Justice court au-devant.
» La question de l'inamovibilité des succursalistes revint encore : ce furent
les mêmes larmes dans la voix des orateurs, les mêmes textes dans leur discours
(Voir t.
II, livre IX.). M. Verhaegen,
qui avait dépisté l'affaire Retsin, arrivait,
cette fois, avec l'affaire Ornam. Il s'agissait d'un
greffier de justice de paix, nommé quoique ayant subi des condamnations pour
rixes et faits indélicats. Cette nomination avait soulevé de telles répugnances,
qu'un suppléant de cette justice de paix donna sa démission, en déclarant qu'il
ne voulait pas siéger avec une telle personne : cet acte était plus que
malheureux, puisque le ministre avait été instruit des faits, avant la
signature de l'arrêté. La discussion sur ce point fut longue, on pourrait dire
trop longue, si la moralité, pour les nominations judiciaires, n'était si
importante. Qu'un ministre se laisse guider par des calculs de parti pour la
nomination de gouverneurs et de commissaires d'arrondissement, cela se conçoit
; car ce sont là des agents politiques. Mais faire un acte de parti d'une
nomination judiciaire, c'est plus qu'une erreur, c'est presque un crime social.
Rendre la justice, est une sorte de sacerdoce : n'est-ce pas assez que nous
ayons le prêtre politique ; faut-il y ajouter encore le juge politique ? Les
cris des partis ont parfois retenti dans le temple du Christ ; ne les laissons
pas pénétrer, puisque nous pouvons l'empêcher, dans le temple de la loi, cet
autre sanctuaire. Les irritants débats de ce budget occupèrent plus de douze
séances. (Annales parlementaires, 1846-1847, pp. 457 à 575, 875 à 953.)
(page 206) Le budget de la Guerre
s'élevait à 29,405,000 francs. L'augmentation du prix du pain, qui de 16
centimes était monté à 21 centimes, avait nécessité un surcroît des prévisions
de plus d'un million. Ce chiffre, bien inférieur à celui du budget actuel,
souleva des plaintes. Spectacle étrange ! les opposants étaient, cette fois,
MM. H. de Brouckere et Rogier ; s'ils avaient persévéré dans ces aspirations
économiques, nous n'en serions pas arrivés à des budgets de plus de 35 millions
de francs, y compris les pensions militaires. Il fut question des opérations de
la société pour les remplacements militaires. M. Orban signala, avec
netteté et vigueur, de nombreux abus : le haut prix des remplaçants occasionné
par la difficulté de la concurrence contre une exploitation pour ainsi dire
officielle, des officiers généraux faisant partie, comme actionnaires, de cette
entreprise d'une singulière industrie. M. de Lannoy indiqua les vices du mode
de recrutement : il signala, comme remède, la rémunération du service
militaire (Annales parlementaires, 1846-1847, pp. 167 et 694). Nous aurons à
nous occuper de cette dernière question, à l'occasion du projet de révision des
lois de milice.
Au budget de
l'Intérieur, M. Sigart voulut amener une discussion sur les persécutions subies
par Galilée. Il disait : « En 1614, ils (les Dominicains) accusèrent hautement
d'hérésie non seulement les opinions de Galilée sur le mouvement de la terre,
mais la découverte qu'il avait faite de diverses planètes. Cette prétendue
découverte, disait « un religieux napolitain, est manifestement contraire à
l'Apocalypse, puisque ces nouvelles étoiles ne font pas « partie de celles qui
sont figurées dans le chandelier à sept branches »… M. l'abbé de Foere,
provoqué à discuter ce point d'histoire, s'y refusa et il fit fort bien : non
erat his locus.
La mutilation
qu'on avait fait subir à la loi communale donna aussi lieu à de vives et justes
récriminations. M. Nothomb signala la nécessité de veiller à la conservation du
tableau de Rubens, la Descente de Croix, de la cathédrale d'Anvers. Il y
fut question aussi de la publication des Acta sanctorum
(Annales parlementaires, 1846-1847, pp 311 à 420. Voir Note sur la reconstitution de
l'ancienne Société des Bollandisles et
leurs travaux, Annales parlementaires, 1846-1847, pp. 424-427).
La discussion du
budget des travaux publics se prolongea pendant seize séances (Annales parlementaires., pp. 1424 à 1669,
1750 à 1783), dont une grande partie fut
absorbée par la dérivation de la Meuse et par le chemin de fer direct de Gand à
Bruxelles. La Chambre admit, à la majorité d'une voix, des dispositions qui
consacraient le principe de ces deux grands travaux : mais, au second vote et
par les efforts énergiques du ministère, elle revint, également à une faible
majorité, sur sa première décision. Ce qui n'empêcha pas ces projets de se
réaliser plus tard, mais dans de moins bonnes conditions pour le Gouvernement.
En effet, en ce qui concernait la dérivation de la Meuse, le devis ne s'élevait
alors qu'à 4,000,000 de francs, la ville de Liége intervenant pour 1,000,000 et
la province pour 200,000 francs. En 1851, la Meuse reparut avec ses effrayantes
inondations et avec ses immenses besoins ; ce qui fit donner à ce travail le
nom de : « Dérivation du Trésor public dans la Meuse. » Mot exagéré, comme
beaucoup de ceux dont se servent les oppositions. Pour le chemin de fer par
Alost, il s'agissait de l'exécution directe par l'Etat
: depuis, cet embranchement a été donné en concession et, si certaines
prétentions que nous croyons injustes et que nous espérons devoir être vaines (Difficultés à propos des primes, accordées par la Société de
Dendre-et-Waes, pour détourner à son profit les transports du chemin de fer
de l'État, 1854 et 1855. Ceci était écrit, quand la chambre civile du tribunal
de première instance de Bruxelles a repoussé les prétentions de la Compagnie) étaient admises, le pays n'aurait pas à se louer de
ce changement apporté au mode d'exécution.
(page 208) Le Ministre des Travaux
publics avait contresigné, le 11 mars 1847, un arrêté royal, portant les
dispositions suivantes : « Toutes inventions faites par les fonctionnaires
ou employés du Département seront considérées, à l'avenir, comme appartenant au
domaine public. Sera considéré comme démissionnaire le fonctionnaire qui aura
fait breveter un procédé de son invention. Nous nous réservons « de décerner
des récompenses aux fonctionnaires dont les inventions auront été manifestement
utiles à l'une ou l’autre branche des services de l'État. » Ainsi
défense absolue de prendre aucun brevet : pas de récompense si
l'invention n'est pas utile à l'État. N'était-ce pas empêcher l'employé
d'arriver, sans négliger les devoirs de ses fonctions, à des découvertes utiles
à d'autres branches de la prospérité générale ? S'il était assez heureux ou
assez laborieux pour obtenir un tel résultat, il devait ou donner sa démission,
sans avoir la certitude de réussir comme inventeur ; ou abandonner le
fruit de ses veilles et de ses dépenses à la banalité ; ou enfouir ce qui
pouvait être au trésor. Et puis encore, les fonctionnaires des Travaux publics
étaient seuls frappés : des officiers du génie ou de l'artillerie pouvaient
devenir inventeurs brevetés, un fonctionnaire d'un autre Département le pouvait
aussi. Or, on lisait, en tête de l'arrêté : « Considérant que les
fonctionnaires ou employés du Gouvernement doivent à l'État l'emploi de leur
temps, le produit de leur travail, les fruits de leurs recherches et de leur
expérience. » Pour être juste, la mesure eût dû être générale. Elle fut
critiquée et avec raison, pensons-nous. L'arrêté était trop absolu. Il
convient, sans doute, d'éviter que des fonctionnaires abusent de leur position
pour faire adopter par l'État des procédés de leur invention, ou pour les faire
mettre en pratique avec une partialité de père, mais, sous peine d'étouffer
l'esprit de découverte, il ne faut pas les empêcher, leurs devoirs étant dûment
remplis, de consacrer leurs veilles à la recherche d'inventions (page 209) fructueuses et glorieuses
pour eux-mêmes, parce qu'elles sont favorables au progrès.
M. de Bavay
défendit très bien son budget ; mais quoique étranger à la politique, il eut à
supporter les coups adressés à la politique de ses collègues du ministère. M.
de Naeyer motivait ainsi son abstention, dans le vote général du budget. « J'ai
pleine confiance dans la droiture des intentions de M. le Ministre des Travaux
publics. Mais il a autour de lui des hommes-obstacles qui gênent et entravent
son action... Je le déclare formellement, je n'ai aucune confiance dans ces
hommes-obstacles, en ce qui concerne les besoins du pays pour l'établissement
des nouvelles voies de communication. »
La discussion de
tous ces budgets devait exercer une immense influence sur les prochaines
élections.
Les Chambres
admirent, sans discussion, une loi, ayant pour but de dispenser les princes de
la famille royale des dispositions de la loi du 16 juin 1836, relatives au mode
d'avancement dans l'armée. La condition d'âge ne leur était pas applicable :
ils ne pouvaient toutefois, être nommés colonels qu'à l'âge de dix-huit ans
révolus (Loi du 14 décembre 1846. Annales
parlementaires, 1846-1847, pp. 239-296.). Associer, de bonne heure, les princes aux devoirs de la vie
publique, c'était faire un acte patriotique. Le Gouvernement se conforma,
certainement, aux sages intentions du Roi, en n'usant qu'avec une grande
réserve de cette faculté. Des arrêtés du 16 décembre 1846 nommèrent le duc de
Brabant, sous-lieutenant du régiment de grenadiers ; le comte de Flandre,
sous-lieutenant du régiment de guides. Petits-fils, fils et neveux de vaillants
guerriers, nos jeunes princes auraient, sans aucun doute, suivi de si
brillantes traces et seraient restés fidèles à ces nobles traditions de
bravoure. Mais la Providence semble leur réserver des destinées plus douces, et
cependant non moins glorieuses, celles de conduire un peuple, peu ardent mais
solide dans toutes les luttes, aux tranquilles conquêtes de l'agriculture, du
commerce, de l'industrie et des beaux-arts, heureux fruits et riches trophées
de la paix et de la liberté.
La cherté des
subsistances avait occasionné un malaise général et rendu très critique la
position d'un grand nombre de localités. Le Gouvernement, au milieu même de ses
préoccupations politiques, ne pouvait pas rester spectateur indifférent de
toutes ces souffrances. Dès le début de la session, il avait déposé une demande
d'un crédit de 2,000,000 de francs, se décomposant ainsi :
Pour mesures
relatives aux subsistances. fr. 1,200,000
Pour aider aux
perfectionnements de l'industrie linière 300,000
Pour faciliter
les défrichements, les irrigations, la colonisation 500,000
Le ministère
avait eu l'heureuse idée de ne pas destiner ces sommes uniquement à des subsides,
mais il proposait d'en donner une partie en prêts remboursables, de manière
que, après leur rentrée au Trésor, elles pussent servir plusieurs fois (pendant
cinq années) à des destinations identiques. Système prudent et fructueux !
La question des
défrichements n'ayant pas paru assez étudiée, le ministère consentit à modifier
son projet de la manière suivante :
Pour mesures
relatives aux subsistances. fr. 1,500,000
Pour aider au perfectionnement
de l'industrie linière fr. 150,000
Pour mesures
relatives aux irrigations fr. 150,000
Total fr.
1,800,000
(page 211) Les deux Chambres admirent
ces propositions, à l'unanimité (Loi du 20 décembre 1846, Annales parlementaires, 1846-1847,
nos 227 à 346).
M. H. Kervyn,
qui cachait, sous trop de modestie, un sens très droit et de grandes
connaissances pratiques, prononça sur le paupérisme des Flandres un discours
rempli de saines appréciations et d'indications utiles. M. Liedts démontra,
avec l'autorité de sa parole et de sa position, l'inanité de l'intervention des
comités liniers, au point de vue du progrès industriel (Annales
parlementaires, 1846-1847, pp. 267 et 271). Ces collèges pouvaient être des
succursales des bureaux de bienfaisance ; ils n'étaient pas des instruments de
transformation. On a compris depuis que c'était par la division du travail,
élément de tout succès manufacturier, qu'il fallait arriver à la régénération,
partielle du moins, de cette grande et ancienne industrie. Ne pouvant plus
lutter, comme fabricant de toile pour son propre compte, le tisserand allait
devenir ouvrier à façon. Les grands capitaux doivent relever la fabrication du
lin, comme ils ont relevé la fabrication du coton et de la laine. Il a fallu la
clarté des faits, la leçon de beaucoup de maux subis pour dissiper les
illusions consciencieuses, ou pour arrêter les préjugés intéressés.
L'état critique
des circonstances ne permettait pas une grande opposition à d'aussi urgentes
mesures. Un grief, toutefois, surgit de la discussion. Dans une lettre adressée
à M. le Ministre de l'Intérieur et publiée par lui, M. Desmaisières, gouverneur
de la Flandre orientale, avait dit : « II est hors de doute, d'après moi,
M. le Ministre, que la spéculation est la cause principale du haut prix
qu'ont atteint les céréales dans les derniers temps... C'est le haut commerce
me, semble-t-il, qui, ayant pu disposer, en peu de temps, de quantités
extraordinaires de blés importés, a poussé, par des (page 212) moyens qui lui sont familiers, à la hausse des
céréales. » On aurait pu demander, seulement, comment on pousse à la hausse
par l'introduction de quantités extraordinaires : l'abondance, d'habitude, ne
produit pas les hauts prix. Or, le haut commerce, contre lequel on exhumait un
reproche très vieux, mais jamais usé, avait importé, en vingt et un mois, plus
de 400,000,000 de kilogrammes de denrées alimentaires, c'est-à-dire environ
5,000,000 d'hectolitres, représentant une valeur de plus de 400,000,000 de
francs ! C'est ce que M. Loos prouva clairement. La faute était au Gouvernement
d'avoir publié, sans la découvrir, cette erreur théorique et de fait d'un de
ses fonctionnaires élevés. Quant à M. Desmaisières, il fut bientôt puni pour
l'avoir commise (Voir, Annales parlementaires, 1846-1747,
pp. 263 et suiv., la discussion sur cet incident,
soulevé par M. Osy).
Beaucoup de ces
crédits devaient servir comme remèdes temporaires à des maux, heureusement
temporaires aussi. Mais plusieurs avaient une utilité moins transitoire : tels
étaient ceux qu'on destinait à la voirie vicinale, et par-dessus tout, ceux qui
devaient aider à la fertilisation de la Campine par les irrigations. C'est à M.
Nothomb que revient l'honneur d'avoir le premier songé à l'intervention de
l'État dans cette entreprise d'un vaste avenir. Frappé des idées émises, dès
1840, par un savant et habile ingénieur des ponts et chaussées, M. Kummer, le
perspicace Ministre de l'Intérieur avait, par une dépêche du 17 mai 1843,
signalé au Département des Travaux publics l'utilité qu'il y aurait de mettre
en culture les portions de notre territoire demeurés en friche. Des études
furent faites en ce sens (Voir Mémoire de
M. Kummer, ayant pour titre : Intervention projeté du Gouvernement dans les
défrichements des bruyères de la Campine ; — Deux rapports du même
ingénieur, insérés aux Annales parlementaires, 1846-1847, pp. 142 et 168). M. de Theux, sous la pression des circonstances
difficiles, eut l'heureuse idée et l'honorable succès de (page 213) réaliser une partie de ces projets, source première de
tous les travaux de ce genre entrepris depuis. Tant il est vrai, que la
Providence, dans sa bonté, ne semble frapper les nations de privations
temporaires, que pour les pousser à de nouvelles conquêtes ! Il n'est presque
pas de progrès agricole ou industriel qui ne soit né d'une crise : le trop plein de l'Europe a peuplé l'Amérique ; le blocus
continental a fait trouver le sucre de betterave ; la maladie de la vigne les eaux-de-vies produites avec d'autres matières ; l'extension
des cultures a poussé à l'emploi du guano et des engrais artificiels. Dans le
monde moral, comme dans le monde matériel, quand un besoin se produit, une
ressource vient à naître.
Jusque-là, on
n'avait songé qu'à l'écoulement des eaux nuisibles, sans penser encore à l'emploi
des eaux utiles ; on avait saigné les terres, on ne les avait point irriguées.
Or, suivant notre conviction profonde, cet emploi artificiel de l'eau, dans un
but de fertilisation, n'en est encore qu'à son enfance. Employée pour féconder
les prairies, l'eau devrait l'être aussi pour féconder les terres, celles
surtout qu'on destine à la culture maraîchère. Nous concevons, à l'aide
d'engins portatifs coûtant peu et au moyen de conduits ou boyaux de caoutchouc
et de guttapercha, des arrosages opérés, pendant les
sécheresses, avec discernement et méthode, sur la petite culture. Les
merveilleux résultats, obtenus en Egypte et en
Lombardie, par les irrigations sur les terres arables, devraient nous
encourager vers des essais analogues. Nous entrevoyons, dans cette nouvelle
pratique agricole, la possibilité de grands progrès. Nos sociétés d'agriculture
devraient porter leurs efforts de ce côté, et, au besoin, le Gouvernement - au
risque de déplaire aux non-interventionnistes -pourrait promettre une prime à
celui qui trouverait un procédé économique et pratique pour les irrigations
artificielles. Ou nous nous trompons fort, ou il y a là de grands fruits à
recueillir. Car, il s'agit de venir en aide non seulement à de nombreux
terrains déjà mis en culture, (page 214)
mais aussi à la transformation en sol productif des 308,254 hectares de
bruyères, fanges et terrains vagues, qui font encore tache sur notre luxuriant
territoire (Voir Exposé de la situation du
royaume, 1841-1850, 1.1, p. 49). L'emploi de
l'eau, ou irrigation, et l'emploi d'une grande quantité de matières
fertilisantes, aujourd'hui déplorablement perdues, nous semblent les deux
questions, en ce moment, les plus intéressantes pour notre agriculture. L'usage
des fosses, pour recueillir le purin des étables, est loin d'être
général. Dans beaucoup de grandes villes, les déjections humaines, les lessives
des nombreuses blanchisseries sont totalement perdues. Les composts, formés
à l'aide de boues et de détritus végétal, sont à peine connus. Il y a là
d'immenses pertes de matières fertilisantes, que l'on doit remplacer par des
engrais très coûteux. Il faudrait que l'industrie privée prît à tâche l'œuvre
de réunir, à l'aide de conduits et loin des centres habités, les résidus des
égouts publics, qui aujourd'hui vont se perdre dans les rivières. Fructueuse
opération pour les entrepreneurs : immense résultat pour l'industrie agricole !
Le principe des
irrigations admis, il fallait réglementer le droit d'expropriation, nécessaire
pour les pratiquer. Ce point fut adopté, sans grandes contestations. Il n'en
fut pas de même de la question des défrichements, qui avait été remise pour
faire l'objet d'une discussion particulière. Elle fut vivement débattue et
occupa la Chambre pendant treize séances. C'est qu'aussi elle avait rencontré
une vive opposition dans le Luxembourg, province à laquelle elle s'appliquait
spécialement ; et puis, il s'agissait de la consécration d'un principe hardi,
la vente obligatoire des terrains incultes appartenant aux communes, ou, par
indivis, à des communautés d'habitants. Cela avait un peu l'odeur de la loi de désamortissement,
voté, en 1855, par les Cortès d'Espagne. Il y avait aussi des dispositions
constitutionnelles et communales, invoquées (page 215) par les opposants (Constitution,
article 108 : Loi communale, articles 75, 76, 77, 81). On produisit donc des objections très sérieuses ; mais comme tout
s'arrange, par transaction, dans notre bonne Belgique, et que le Gouvernement
admettait l'obligation de l'avis conforme de la députation permanente, cette
autorité si respectée et si paternelle, le projet eut à subir l'attaque de plus
de discours que de votes hostiles. Il y avait, d'ailleurs, longtemps déjà que
le besoin de pousser au défrichement des terres incultes avait été reconnu :
Marie-Thérèse, par un édit de 1772, avait tendu vers ce but, sans l'atteindre.
Ce qui rencontra
le plus de difficulté, ce fut cette nouvelle application du principe
d'expropriation pour cause d'utilité publique. Beaucoup de membres niaient
absolument ce droit : de là des discussions d'un caractère très élevé sur
l'étendue du droit de propriété lui-même. M. Verhaegen défendit celle-ci avec
autant de chaleur que M. F. de Mérode : M. Castiau la définit, avec une grande
hardiesse, s'appuyant sur l'érudition de Proud'hon,
tout en repoussant les principes de ce futur tribun. Quelques membres auraient
voulu qu'on se contentât du partage obligatoire, que le projet admettait
également. Nous avons rencontré peu de discussions aussi approfondies. M. de
Theux défendit le projet, purement administratif, avec cette solidité et ce
sang-froid, qui forment le fond de ses qualités oratoires.
D'ailleurs, le
reboisement était un des empêchements à la vente obligatoire. Les communes
avaient donc le choix, outre le partage qu'elles pouvaient demander, entre la
culture ou la reconstitution en bois et sapinières de leurs propriétés
incultes. Le projet prévoyait et la discussion améliora les moyens d'exécution
et les voies de procédure. Le Gouvernement pourra aliéner par adjudication publique
les biens acquis. Les sommes, à provenir des ventes faites, seront placées, (page 2016) au profit des communes, soit
sur hypothèques, soit en inscription de rentes sur l'État ou d'obligations du Trésor,
à moins qu'elles ne soient affectées au payement des dettes, à des travaux
publics, à l'acquisition ou à l'amélioration de biens immeubles.
Un crédit de
350,000 francs, qu'on venait d'accorder, formait avec celui de 150,000 francs
déjà voté, une somme de 500,000 francs, pour mesures relatives aux
défrichements, aux irrigations et à la colonisation de la Campine.
Quand on n'est
pas préoccupé, par des intérêts ou des préjugés locaux, comment ne pas voir les
principes fécondants consacrés par ce projet ? Ce qui est à tous, n'est à
personne : on y prend ce qu'on y trouve, mais on ne fait rien pour améliorer ;
aussi la loi fut-elle admise (Loi du 25 mars 1847, adoptée, à la Chambre, par 45 voix contre 12, at 6
abstentions ; au Sénat, par 22 voix contre 7, et 1 abstention. Annales
parlementaires, 1846-1847, pp. 59, 142, 168, 726 à 901, 1146 à 1263). C'était un puissant instrument pour stimuler
l'inertie des communes, mais il était indispensable de le manier d'une main
prudente.
Au milieu de
toutes ces discussions, vint le projet relatif à la fabrication de la monnaie
d'or. Nous avons dit ce que nous pensions de la convenance de l'adoption d'un
seul étalon et de l'utilité de prendre, de préférence, l'étalon d'argent (Voir t. 1, livre II, p. 122-124). Comme si le Gouvernement eût senti cette convenance
et que son intention fût seulement de donner aux Belges la satisfaction d'avoir
un peu de monnaie d'or nationale dans leur poche, il proposait de limiter cette
fabrication à vingt-cinq millions de francs. Réduite à cette faible proportion,
cette mesure ne pouvait être ni d'un grand secours pour le présent, ni d'un
grand danger pour l'avenir. Aussi, ce fut moins la mesure elle-même que le mode
d'exécution qui fut attaqué. Il s'agissait de battre des pièces de 10 et 25
francs, en or ; et des (page 217) pièces de 2 francs 50 centimes en argent. Il n'était
rien changé au titre, à la tolérance de titre ou de poids des pièces d'or : la
tolérance de poids des nouvelles pièces d'argent était fixée à 5 millièmes en
dedans et autant en dehors. Le poids assigné aux pièces d'or donna lieu à de
vives discussions. M. le Ministre des Finances avait fixé le poids, pour la
pièce de 25 francs, au chiffre de 7 grammes 870 milligrammes ; pour la pièce de
10 francs, à 3 grammes 148 milligrammes. Mais avant la discussion, il vint
spontanément modifier ces chiffres respectivement en 7 grammes 874 centigrammes
et 3 grammes 149 centigrammes, 6. Cette première concession ne radoucit pas les
critiques, M. Osy fit un usage sévère de ses connaissances pratiques, il disait
: « Je vous démontrerai que c'est une corruption digne des temps barbares. Le
nouveau système de M. le Ministre des Finances serait une spoliation faite à la
fortune publique... M. le Ministre veut introduire le système financier turc Je
suis honteux pour la Belgique de devoir combattre un tel projet. » M. le
Ministre, voulant habilement faire passer l'opposition du financier pour celle
de l'homme de parti, répliquait froidement : « Je ne m'arrêterai qu'un instant
aux considérations « demi-politiques de l'honorable membre. Je ne croyais pas
que l'or eût une couleur politique catholique ou libérale ; je ne lui
connaissais que sa couleur naturelle. » Puis il défendit son projet, pied à pied,
avec beaucoup d'habileté. Mais, après de longs débats, ne voulant pas, pour des
détails compromettre l'ensemble de la loi, peu soucieux aussi de s'exposer au
reproche exagéré de faux monnayeur dont on le menaçait, il transigea sur trois
points : il subit la limitation de fabrication à 20 millions ; il admit
l'inscription du titre et du poids sur les pièces d'or ; il éleva
respectivement le poids à 7 grammes 915.56 et à 33 grammes 166.22. Cela portait
le taux d'émission du kilogramme d'or fin à fr. 3,509-25, et il en résultait
que 379 pièces de 25 francs pèseraient 3 (page
218) kilogrammes. Tous ces résultats ne furent acquis que par des votes à
de faibles majorités. (Loi du 31 mars 1847,
adoptée, à la Chambre, par 40 voix contre 22 ; au Sénat, par 20 voix contre 6. Annales
parlementaires, 1846-1847, pp. 901 à 1025,1356 à 1373).
Le cabinet,
quoique vivement attaqué au sein comme hors du Parlement, ne manquait pas d'une
courageuse initiative. Il présenta un projet, tendant à mettre le nombre des
représentants et des sénateurs en rapport avec l'accroissement de la
population, bien qu'il n'ignorât pas que cette discussion pût, et dût même,
soulever la question délicate de la réforme électorale. Il avait été à même de
calculer, d'ailleurs, que cette augmentation par elle-même ne changeait pas
beaucoup la majorité ni les dispositions du Parlement à son égard. Dans un tel
travail, il s'agissait d'éviter les alternats, système vicieux pour les
localités et pour les individus ; et de faire une juste attribution aux nombres
fractionnaires de population. Le projet du Gouvernement atteignait, autant que
possible, le premier but ; mais il fut accusé de n'avoir pas été dressé d'une manière
parfaitement impartiale, en ce qui concerne la répartition des nouveaux membres
des deux Chambres. M. Lebeau, dans un solide discours, préconisa le système de
la préférence à donner aux fractions les plus élevées et de l'absorption des
fractions inférieures. Il s'appuya sur une statistique fort bien faite et
rendue sensible dans des tableaux d'une exactitude mathématique. Toutes les
propositions du Gouvernement furent néanmoins admises.
Mais le débat ne
tarda pas à s'élargir. M. Castiau, presque à l'insu et un peu contre le désir
de ses amis politiques, vint proposer l'adjonction des capacités. C'était comme
malgré lui qu'il se bornait à cette proposition ; car, cédant à ses généreux
instincts et dans son magnifique langage, il fit voir la convenance d'une loi
sur les incompatibilités, les dangers des circonscriptions trop étroites, (page 219) de la corruption et de la
vénalité électorales. Nous avons dit hautement que nous trouvions l'admission
des capacités une mesure rationnelle, juste et, par conséquent, admissible (Voir t. I, livre I, pp. 25-29). Mais, nous
devons ajouter que, après avoir mûrement revu les discussions du Congrès sur
l'article 47 de la Constitution et sur l'article premier de la loi électorale,
nous restons convaincu que les constituants n'ont voulu conférer l'électorat -
à tort, pensons-nous - qu'aux censitaires seuls, et que l'admission des
capacités a été écartée par le Congrès, sinon virtuellement, intentionnellement
du moins. Quoi qu'il en soit, on mit aux voix cette question : « Admettra-t-on,
au minimum du cens fixé par la Constitution, des capacités ? » Elle fut
repoussée par 48 voix contre 22 et 1 abstention. L'ensemble de la loi fut admis
par l'unanimité des 64 membres présents à la Chambre ; au Sénat, par 28 voix
contre 2 (Loi du 31 mars 1847. Annales
parlementaires de 1846-1847, pp. 1030 à 1129, 1287 à 1302).
S'il est une de
nos lois qui réclame une profonde réforme, au point de vue surtout du mode de
recrutement, c'est à coup sûr celle de la milice. Nous avons dit ailleurs ce
que nous pensions de la nécessité et de la possibilité de l'adoption d'un
système plus équitable. Pour le triomphe de cette cause, que nous aimons, nous
avons invoqué le témoignage d'administrateurs consommés et d'hommes de guerre
illustres (Voir notre
opuscule ayant pour titré : De la réforme du recrutement, etc.
Bruxelles, 1852, chez-Decq, broch.
in-8°. Nous y indiquons l'adhésion donnée à cette réforme par Louis-Napoléon,
aujourd'hui Empereur des Français ; par monseigneur Denis, archevêque de Paris
; parles généraux ducs de Nemours et d'Aumale, prince de Joinville, duc de
Montpensier ; par le maréchal Bugeaud ; par les généraux Pajol,
Aupick, Berthois, de
Lamoricière, Cavaignac, Leydet, de Ludre, Bedeau, La Fontaine, Rey, colonels Culmann et Charras ; par MM.
Thiers, Crémieux, président de Belleyme, etc., etc.).
La Chambre fut
saisie d'un projet apportant quelques (page
220) changements à cette partie de notre législation. Mais, cette fois
encore, on resta à la surface, sans aller jusqu'au fond de la question, intus et in cute : quelques
vices de forme disparurent, le mal radical resta. A
peine la section centrale osa-telle former un vœu, pour que l'on mît à l'étude
les moyens de redressement. Tel était la crainte de s'occuper sérieusement de
cette question, qu'on n'aborda pas même un changement réclamé par M. Lebeau,
depuis 1837 et qui consistait à ouvrir un recours d'appel près la Cour de
cassation, contre les décisions des députations permanentes, dans le but
d'arriver à une jurisprudence uniforme. La bigarrure des décisions variables et
contraires devait se perpétuer encore. On prescrivait, ce qui n'était pas
généralement admis en pratique, que pour la répartition du contingent entre les
provinces et les communes, on tiendrait compte à celles-ci des fractions
favorables ou défavorables de l'année précédente. On défendit à tout
fonctionnaire civil, participant à l'application des lois sur la milice, et à
tout militaire de prendre part aux opérations du remplacement, et aux bénéfices
qui peuvent en résulter. Mais au fond, la réforme se fit, non au profit du
milicien, mais contre lui. En effet, la durée du service militaire,
provisoirement portée, par la loi du 9 avril 1841, de cinq à huit ans, fut
fixée définitivement à ce dernier chiffre. Tout cela fut admis, dans les deux
enceintes, après des débats de détail et à la presque unanimité (Loi du 8 mai 1847. Annales parlementaires, 1846-1847, pp. 1136 à
1339, 1619 à 1654).
Quant à alléger,
pour les classes pauvres, la lourde charge du service militaire, il en fut à
peine question. M. Nothomb, que nul n'oserait accuser de se laisser aller à des
idées creuses ou à une sensiblerie stérile, insista seul pour le retour à plus
de justice. Il déposa même une formule de projet de loi, qui entrait dans ce
système de l'exonération des inscrits, ou le rachat, pour arriver à la rémunération
des anciens services (Annales parlementaires,
1846-1847, pp. 1192 à 1194).
Il disait : « Cette
question est digne d'occuper tout homme politique, et je dirai tout citoyen
d'un État libre. Ce n'est pas que j'aie l'intention de vous proposer le système
prussien, d'après lequel tout homme est soldat. Je regrette de ne pouvoir
vous le proposer. C'est le système le plus digne d'une nation libre, et chose
singulière, ce système n'est suivi par aucun des pays qui se disent libres par
excellence... Ce n'est pas un projet de loi que je viens présenter, c'est
seulement une idée que je mets à l'étude... Ce projet s'emboîte dans la
législation actuelle. (Ici les détails)... J'y ai longtemps pensé et ce
n'est qu'après des études, des réflexions, que je suis arrivé à croire
que tôt ou tard ce système prendra place dans notre législation. »
Et comme si cet homme d'État éminent, ce penseur profond eût craint d'être
taxé, comme tant d'autres, de faire du romantisme administratif, il ajoutait :
« Je sais qu'on peut me dire : c'est là une utopie ; mais toute idée
nouvelle est une utopie et je crois que celle-ci, si on veut l'examiner de
près, se présente moins avec le caractère d'utopie qu'on a l'air de le croire
au premier abord. » M. Lebeau disait : « En abondant jusqu'à un certain point,
dans les idées de M. Nothomb, je me demande si, au moyen d'une contribution spéciale,
basée sur le nombre des miliciens que chaque famille est appelée à fournir,
on ne pourrait pas favoriser un peu plus le recrutement volontaire... et
alléger ainsi les charges qui pèsent sur les communes et sur les familles, surtout
sur les familles pauvres, qui ne peuvent pas payer un remplaçant. » C'est
toujours, sous des formes diverses, l'idée de l'exonération volontaire,
pour arriver à la rémunération du service obligatoire. Mais toutes ces
idées fécondes s'adressaient à des esprits peu préparés à de pareilles
réformes.
(page 222) On parle sans cesse des
difficultés de cette réforme. Grande erreur et craintes futiles ! Ministres,
hommes du pouvoir, voulez-vous qu'on vous apporte une réforme toute faite -
formule pour la résoudre et argent pour la payer ? Présentez ce petit projet de
loi, un peu prussien, à vrai dire. Article unique. « A
dater du... (un an de date), la faculté de remplacement est abolie : le service
militaire sera obligatoire «our tous les désignés par
le sort, jusqu'au moment où le mode actuel de recrutement sera réformé. »
Aussitôt un cri immense, - clamor ingens, - se fera entendre dans toute la Belgique. Sous
l'impression de cette menace, adressée à tous ceux qui peuvent réaliser la
réforme, vous obtiendrez facilement ce que M. Nothomb indiquait, ce que la
justice réclame, la rémunération du service militaire. Sans aller à des
systèmes plus ou moins compliqués et que l'on ne met en avant que pour ne pas
effaroucher les timides ou les indifférents, proposez les deux ou trois millions
nécessaires pour alimenter cette caisse. Il y a gros à parier que, pour éviter
le service obligatoire, on subira le léger sacrifice pécuniaire. Et le soldat
aura sa caisse de retraite, comme l'officier la possède.
Quand nous
songeons à tout ce qu'il y a d'égoïsme et d'inégalité dans le mode actuel de
recrutement, nous en sommes à regretter qu'il n'y ait pas, en Belgique, une mistress Beecher-Stowe. Elle ferait contre la conscription
(Quand le comte d'Artois passait la frontière, au mois
de mars 1814, il ne trouvait rien de mieux pour se rallier les populations, que
de s'écrier : « Plus de conscription ! plus de droits réunis ! »), cette réduction de l'esclavage, un pendant à
son touchant ouvrage Uncle Tom 's cabin. Ce livre serait ou un applaudissement pour nos
efforts philanthropiques vers la réforme, ou un soufflet pour notre cruelle
indifférence. Si rien ne se fait, en cette matière, on sera en droit de dire :
Bourgeoisie égoïste, vous avez enlevé à la noblesse ses privilèges et vous vous
endormez dans le (page 223)
privilège. Vous avez fait en sorte que le fils du plus petit d'entre vous
puisse devenir, grâce à la diffusion de l'instruction, évêque ou cardinal,
avocat ou médecin, magistrat, député ou ministre, et cela est heureux pour vous
et pour la patrie. Mais vous oubliez qu'au-dessous de vous, dans les rangs du
peuple, il y a d'horribles souffrances et que ces souffrances sont votre crime,
parce que au moyen d'un sacrifice léger et temporaire il est en votre pouvoir
de les soulager. Si vous n'entendez pas la voix de vos entrailles, écoutez
celle de votre intérêt : si vous êtes sans compassion, ne soyez pas sans
prudence. Le réveil du peuple peut devenir le réveil du lion : et alors on vous
prendra non seulement ce qui est juste, mais ce qui est injuste ; car vous
aurez rendu le peuple féroce par vos cruautés. Si en 1849, alors qu'on
redoutait les masses, sans qu'elles fussent menaçantes ou malintentionnées, les
hommes qui occupaient le pouvoir avaient proposé la réforme du recrutement -une
telle réforme ne peut se faire sans le concours du Gouvernement - il y aurait
aujourd'hui, en Belgique, une iniquité de moins, un progrès de plus. Il nous
reviendrait la gloire d'être entrés les premiers dans cette voie de réparation
; nous aurions élevé une nouvelle barrière contre les excès populaires, parce
que nous aurions accordé aux classes inférieures ce qui est juste. Dieu seul
sait quand viendra ce redressement nécessaire, que nous appelons de toutes les
aspirations de notre âme. Puisse l'expiation n'être pas le châtiment du retard
que nous aurons mis à l'accorder. Les révolutions sont les verges avec
lesquelles la Providence frappe les gouvernants et les législateurs peu
soucieux de la droiture et de la justice. Car, comme le dit M. de Salvandy,
« l'histoire bien faite serait le tableau des justices du ciel !... » (Histoire du roi Jen Sobieski).
Ce qui nous fait
espérer le triomphe, nous ne disons pas prochain mais futur, de cette juste
cause, ce sont ces paroles par lesquelles un illustre écrivain et orateur salue
l'avènement inévitable de la démocratie pacifique : « Il va sans dire
que nous ne regardons pas comme un mal ce que certains apôtres et certains
ennemis de la démocratie révolutionnaire confondent souvent avec elle, savoir :
le progrès du droit, de l'égalité devant la loi, du bien-être et
de l'instruction du « peuple... Ce sont là les œuvres de la liberté, non
de la révolution... Grâce à la liberté, c'est par le mouvement naturel des
esprits, par la marche irrésistible des mœurs... que la lumière se fait sur une
foule de points longtemps obscurs. Ce qui a longtemps paru juste et simple se
révèle dans son iniquité réelle, et devient impossible à conserver, malgré les
clameurs des esprits attardés, malgré les résistances des intérêts compromis. »
(De Montalembert, de l'Avenir, etc., § 4, p. 38).
La Constitution
a établi la liberté de la presse sur les plus larges bases. Son article 18 est ainsi
conçu : « La presse est libre ; la censure ne pourra jamais être établie ; il
ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. »
L'article 98 porte : « Le jury est établi pour les délits politiques et de la
presse. » Peut-on imaginer une liberté plus illimitée ? Par son décret du 20
juillet 1831, le Congrès avait, comme nous l'avons vu, pris à la hâte quelques
dispositions contre les délits et crimes commis par la voie de la presse.
L'article 3 dispose : « Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué soit
l'autorité constitutionnelle du Roi, soit l'inviolabilité de sa personne, soit
les droits constitutionnels de sa dynastie... ou bien aura de la même manière injurié
ou calomnié la personne du Roi, sera puni d'un emprisonnement de six mois à
trois ans. » Pendant quinze ans, malgré l'effervescence de ces premiers temps
de notre nationalité, deux poursuites seulement avaient eu lieu, en vertu de
cet article. Non pas que les occasions eussent manqué pour en faire un plus grand
nombre, car les mauvaises passions survivent longtemps aux révolutions closes ;
mais parce que le pouvoir avait jugé, avec raison, qu'il vaut souvent mieux
couvrir par le mépris ces lâches et coupables attaques, que de les mettre en
relief par de solennels débats et parfois par d'inexplicables acquittements.
Quoi qu'il en soit, le ministère jugea, à cause de circonstances récentes, les
dispositions de ce décret insuffisantes ; comme si le jury, cette juridiction
moderne parmi nous, utile et nécessaire si l'on veut, mais impressionnable et
arbitraire dans ses décisions, avait jamais été arrêté par des textes de lois.
Une presse obscure et méchante avait publié des dessins dégoûtants et injurieux
pour le souverain. Le Ministre de la Justice avait attendu le retour du Roi,
depuis quelques mois absent, pour ordonner des poursuites, et ce fut le
lendemain de l'acquittement prononcé par le verdict du jury qu'il présenta un
projet de dispositions nouvelles. Double faute ! car c'était reporter sur le
prince la responsabilité des rigueurs législatives ; c'était manifester de la
colère contre un verdict que le jury avait émis, erronément peut-être, mais
dans son omnipotence et son irresponsabilité.
Pressé par les
observations nettement posées en section centrale et vivement reproduites en
séance publique contre l'incohérence des dispositions présentées, avec autant
de légèreté que d'imprudence, M. d'Anethan avait été amené à soumettre de
nombreux amendements. Parmi ceux-ci il y en avait qui tendaient à prescrire une
nouvelle procédure pour la répression en matière de presse ; et ainsi, le
projet, de spécial qu'il était, devenait général. Il faut bien le reconnaître,
il y a dans notre législation contre la diffamation par voie de la presse, des
lacunes et des vices palpables, qui ont été reconnus par les hommes les plus
compétents (Voir, Annales parlementaires, 1846-1847,
p. 1272, discours de M. d'Elhoungne, qui reconnaît, à la fois, et
l'impossibilité d'obtenir une prompte répression des délits et les vices de la
procédure ouverte à ceux qui intentent une action civile. Voir aussi le projet
de révision générale du Code pénal présenté, en 1834, par M. Lebeau, et un
discours de rentrée, prononcé par M. le procureur général de Bavay, devant la
Cour d'appel de Bruxelles, sur cette matière). Mais fallait-il toucher à cette partie délicate de notre législation,
d'une manière incidente et précipitée ? Voyant l'extrême répugnance que
soulevait le projet, auquel on reprochait d'entrer dans une pareille voie, le
cabinet consentit prudemment à s'abstenir de généralités et à laisser aux
dispositions à prendre leur caractère spécial d'offense envers la famille
royale. Restreint à ce point, le projet n'en excita pas moins une ardente
polémique. Plusieurs de ses dispositions les plus rigoureuses furent écartées ;
plusieurs garanties pour le prévenu furent introduites. Ainsi, on rejeta par 46
voix contre 29, cette proposition du Gouvernement : « Le coupable pourra
pendant le même temps (deux à cinq ans) être placé sous la surveillance spéciale
de la police. » On ajouta : « Les individus renvoyés devant les Cours d'assises
ne pourront être jugés dans la série commencée, que de leur consentement
; » pour empêcher le pouvoir de faire arriver l'affaire devant un
jury, dont il connaîtrait à l'avance les dispositions. Enfin, on supprima
l'amende de 100 francs à 1,000 francs qu'on voulait faire décréter « contre le
prévenu qui ne comparaît pas ou se retire avant la prononciation de l'arrêt
définitif. » Malgré tous ces adoucissements, la loi rencontra, à la Chambre,
une forte opposition (Loi du 6 avril 1847,
adoptée, à la Chambre, par 59 voix contre 20 ; au Sénat, par 24 voix contre 1
et 2 abstentions. Annales parlementaires, 1846-1847, pp. 1255 à 1339,
1376 à 1386. Pour définir le mot offense, terme nouveau dans notre
législation, le rapporteur avait dit qu'on s'en rapporterait à la jurisprudence
française. M. Castiau lui répondit : « Béranger fut condamné pour offense à
la Majesté royale, à l'occasion de la chanson de l'Enrhumé. Quel était son
crime ? Il y avait, dans cette chanson, deux lignes de points. C'est pour ces
deux lignes de points qu'il fut condamné. On considéra chacun de ces points
comme autant d'offenses à la Majesté royale. » Voir dans les œuvres
de Paul Louis Courrier les différents procès qu'il eut à soutenir sous prétexte
d'offense à la personne du Roi. « Simple discours sur la souscription de
Chambord : Pétition pour les villageois qu'on empêche de danser, etc.)
(page 227) Ceux qui repoussaient la loi
étaient-ils moins dévoués à la royauté, moins indignés des attaques qu'elle
avait subies, que ceux qui l'adoptaient ? Non, sans doute. Mais ils
regrettaient qu'on eût soulevé de tels débats : ils voyaient, avec crainte,
qu'on menaçât, pour quelques obscurs écarts, l'un des principaux instruments
des Gouvernements représentatifs. Quant à la presse elle-même, si elle peut
s'enorgueillir de trouver, en toute occasion, d'énergiques et d'éloquents
défenseurs dans le sein du Parlement, elle devrait rougir et pour elle et pour
le pays, que dans ses rangs, si infimes qu'ils soient, il se trouvât des
hommes, qui changent la noble mission de publiciste en un vil métier de
calomniateur et en une ignoble exploitation de chantage. Ce serait un individu
taré et rejeté hors de la société que celui qui donnerait à un autre individu
un coup de stylet dans le dos, la nuit et sous le masque. Et il se trouve des
hommes, embusqués dans l'ombre de l'anonyme, qui chaque jour répandent à
pleines mains l'outrage et la calomnie, semant ainsi le trouble et l'inquiétude
dans la vie privée, la discorde dans les familles ! Ce n'est plus là l'usage de
la liberté ; c'est la sauvagerie et la barbarie ; c'est transformer la plume en
poignard des bravi italiens, en carabine de la vendetta de Corse.
La presse jouit chez nous de plus de liberté et d'avantages que partout
ailleurs ; - pas de cautionnement, pas de timbre, faible droit de poste ; ne
devrait-elle pas enfin, par plus de dignité et de discrétion, élever sa mission
de propagande et de progrès jusqu'à la hauteur d'un sacerdoce ?
L'extension des
administrations centrales et l'accroissement (page 228) des dépôts d'archives modernes, avaient obligé plusieurs
départements à prendre en location divers locaux, servant de succursales. Ces
loyers s'élevaient à plus de 11,000 francs. Le Gouvernement vint proposer aux
Chambres de ratifier deux acquisitions faites par lui, pour arriver à plus de
centralisation. La première se composait du bâtiment et dépendances de la
société de librairie belge Hauman et Ce, rue du Nord,
acquis au prix de 165,000 francs et nécessitant une dépense d'appropriation de
10,000 francs : la seconde comprenait deux hôtels, rues de la Loi et de
l'Orangerie, au prix de 490,000 francs. Ce dernier achat était fait dans le but
d'y transférer les Départements de la Justice et des Travaux publics, occupant
des hôtels sur la place Royale. La Chambre ratifia les contrats provisoires, à
la condition, pour les bâtiments rue du Nord, que, par l'abandon des locaux
tenus en location, il y eût sur le prix d'achat un intérêt de 6 p. c. : pour
les hôtels Engler et Daubremé,
qu'ils servissent à réunir, dans la rue de la Loi,
tous les Départements ministériels. M. le Ministre des Finances souscrivit à
ces conditions et, après en avoir conféré avec ses collègues, il déposa devant
la section centrale la note suivante : « Le Gouvernement prend l'engagement de
transférer, rue de la Loi, les Ministères des Travaux publics et de la Justice,
dès que les circonstances le permettront, et, en tout cas, dans le terme de
quatre années moyennant l'allocation des crédits qui seront reconnus
nécessaires pour l'achat ou la construction des locaux destinés aux bureaux. »
Grouper autour du palais des Chambres législatives tous les hôtels et bureaux
ministériels, acquérir pour l'État (En 1830, l'État
ne possédait, rue de la Loi, que le palais de la Nation ; ce n'est qu'à partir
de 1832 que le Gouvernement s'est rendu acquéreur des hôtels Torrington
(Moniteur, 1834, n° 60), de Galles et Jacquelart.
En 1847, il fit l'achat des hôtels Engler
et Daubremé. Voir, Pièces
justificatives, no VI, quelques détails.) les magnifiques bâtiments qui (page
229) forment, comme le disait le rapport de M. Lebeau « un ensemble
d'architecture remarquable sous le rapport de l'unité, de l'élégance, du
grandiose ;» c'était, à coup sûr, une belle idée. Ce serait, de plus, une bonne
affaire, si le transfert des Ministères de la Justice et des Travaux publics
était effectué. Ils occupent aujourd'hui des locaux et terrains, dont on
obtiendrait de grands prix, ou auxquels on pourrait donner d'utiles
destinations. Voilà près de dix ans que le provisoire se prolonge ; c'est à
faire croire à la vérité de ce mot : « De notre temps, il n'y a que le
provisoire qui dure ! » Un particulier ou une société, quelque court d'argent
qu'ils fussent, sauraient tirer parti d'une telle situation. Il faudrait qu'à
tout prix, le Gouvernement ou les Chambres en vinssent à une solution belle à
la fois et profitable. L'achat Hauman (Loi du 8 mars 1847, adoptée, à la Chambre, par 54 voix contre 6 ; au
Sénat, par 16 contre 10. Annales parlementaires, 1846-1847, pp. 838 à
880, 994 à 1011) et l'acquisition Engler (Loi du 8 mai 1847,
adoptée, à la Chambre ; par 35 voix contre 19 et 4 abstentions, au Sénat, par
21 voix contre 9 et 3 abstentions. Annales parlementaires, 1846-1847,
pp. 1494 à 1633, 1698 à 1749) rencontrèrent,
cependant, une forte opposition, dans les deux enceintes.
Les débats et
les actes, que nous venons de mentionner, ne formèrent pas les seuls travaux
des Chambres, pendant cette session. On vota encore d'autres lois, dont nos
études ne nous commandent pas l'examen. Signalons seulement les suivantes.
Quelques lois
modifiant les droits de douane ; exportation des sucres de betterave, 2 janvier
1847 ; sortie des étoupes, 3 janvier 1847 ; sortie des sabots de bétail, etc.,
21 février 1847.
Lois réglant les
comptes définitifs des exercices 1836 à 1840, 3 mai 1847.
Loi relative au
mode d'admission et d'avancement des officiers du service de santé de l'armée
et de la marine, 10 mars 1847.
Des lois de
prorogation, ou transitoires furent aussi votées.
(page 230) Le Gouvernement avait, en
outre, déposé plusieurs projets de loi, dont la Chambre ne put aborder
l'examen. Nous devons en signaler un entre tous les autres, à cause de son
importance, celui qui organisait l'enseignement agricole à donner aux
frais de l'Etat. Ce projet était précédé d'un exposé
des motifs fortement conçu et suivi d'excellentes annexes, destinées à expliquer
et à justifier cette féconde innovation. M. de Theux y disait : « Nous désirons
que la Chambre y puise la conviction que l'intérêt public exige la
création de la nouvelle branche d'instruction professionnelle, que nous
proposons d'introduire en Belgique. » Il s'agissait de fonder un institut
agricole central et de donner au Gouvernement la faculté d'ériger une école
d'agriculture pratique dans chaque province, soit en tout dix établissements. Ces
documents forment un travail complet sur la matière ; ils renferment des
détails historiques et pratiques les plus intéressants : nous les tenons pour
une œuvre de tous points remarquable (Annales
parlementaires 1846-1847, pp. 614, 649, 674, 720). Nous n'hésitons pas à en recommander la lecture à
ceux qui aiment sincèrement l'agriculture, à ceux aussi qui, de 1849 à 1852,
n'ont cessé de battre l'alma parens frugum sur le dos de M. Rogier. Quand on relit ces
attaques, plus inintelligentes encore que passionnées, puisqu'elles ne
s'adressaient pas seulement à la mise en pratique de l'enseignement agricole,
mais à cet enseignement lui-même : quand on se rappelle que ce progrès qui
devait être, à juste titre, un glorieux Capitole pour M. le Ministre de
l'Intérieur de 1846, devint une infamante roche Tarpéienne pour M. le Ministre
de l'Intérieur de 1847, on est désolé de voir de telles fautes de la presse et
du régime représentatif, servant de risée aux ennemis de ces institutions.