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Note
d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1856, 2 tomes
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TOME 1
(page 346) La onzième session s'ouvrit le 10 novembre 1840 et fut
close le 13 avril 1841 : les Chambres ne furent donc réunies que pendant cinq
mois. Le discours du Trône, prudent et habile, appelait l'attention du
Parlement sur la nécessité de compléter l'organisation de l'enseignement public
« dans un patriotique esprit d'union et de conciliation ; » il annonçait une
loi sur les céréales et des propositions pour la création de ressources
financières ; il promettait des projets pour améliorer notre organisation
judiciaire. La commission de l'Adresse était composée, en grande partie,
d'adversaires du cabinet, et cependant elle présenta un projet dont la rédaction
était inoffensive à ce point, que l'adoption en eut lieu, en une seule séance
et à l'unanimité (Moniteur de 1840, n°323).
Nous verrons bientôt que ce calme trompeur était celui qui précède la tempête :
elle devait venir, cette fois, des régions qui, par leur nature, sont
d'ordinaire sereines et tranquilles.
Nous avons dit, plus haut, ce
qu'il advint du signe distinctif que l'on avait imaginé pour les membres de la
Chambre (Voir. T. I, liv. IV, p. 212-217).
Ce projet avait été si maltraité, que personne n'avait osé le reprendre. M
Liedts, Ministre de l'Intérieur, écrivait à M. le président qu'il mettait à sa
disposition, pour chaque représentant, un exemplaire d'une médaille d'argent,
que M. le Ministre des Travaux Publies avait fait frapper. « Elle serait comme
un signe extérieur qui servit à faire reconnaître les membres de la Chambre et,
au besoin, à leur faire ouvrir les établissements généralement fermés au public
(stations du chemin de fer, institutions d'instruction publique et des
beaux-arts, bibliothèques, musées). » L'idée était bonne et l'offre généreuse :
cependant, la lettre de M. le Ministre se terminait par un paragraphe un peu
contraire au principe : « donner et retenir ne vaut. » Il disait : « La questure
prendra, je pense, les mesures nécessaires pour qu'à l'expiration de leur
mandat, les membres de la Chambre fassent remise de leur médaille à MM. les
questeurs. » La questure fut mieux inspirée ; elle ne fit pas la
revendication. Exiger la restitution de ce signe, c'était supposer que
d'anciens membres pussent en abuser. Était-ce, d'ailleurs, trop de laisser ce
modeste souvenir à d'anciens représentants, dont un grand nombre n'ont pas tiré
d'autre profit d'un long mandat? Quand un soldat blessé quitte l'armée, on ne
le prive pas de son livret.
Une première loi sur les
Chambres de commerce, votée par la Chambre, fut rejetée par le Sénat. Un second
projet fut, cette fois, adopté à l'unanimité. Il fixait la répartition des
frais occasionnés par cette institution. Cette question de forme provoqua la
question du fond. On agita dès lors, comme on l'a fait souvent plus tard, le
point de savoir s'il ne conviendrait pas d'appliquer à la formation de ces
collèges le système électif, introduit dans presque toutes nos institutions
délibérantes et consultatives. Les partisans de ce mode disaient : Faites
nommer les membres des Chambres de commerce par les notables commerçants, comme
vous le faites (page 348) pour les tribunaux de commerce ; vous aurez une représentation
plus vraie de tous les intérêts : l'immobilité et la camaraderie n'existeraient
plus dans ces corps ; le Gouvernement y recueillerait des informations plus
sûres, parce qu'elles seraient plus indépendantes. On a admis, depuis, la
sortie forcée des deux tiers des membres, dont le mandat expire, chaque année
(un tiers du nombre total) (Arrêté royal du 10 septembre 1841) ; c'est une amélioration. Ayant fait partie d'un de ces collèges, nous
croyons que le système électif est celui qui leur conviendrait le mieux et
qu'il finira par y être introduit, comme le plus rationnel et aussi comme le
plus conforme à l'esprit de nos institutions (Voir sur
l’utilité de l’élection, C. de BROUCKERE et F. TIELEMANS, Répertoire, t. IV, p. 278). Quand la loi vint au Sénat,
la commission chargée de son examen, partagea aussi cette manière de voir, et
pour en hâter la réalisation, elle crut ne pouvoir mieux faire, que de proposer
l'ajournement de l'examen, jusqu'à ce que le Gouvernement eût présenté un
projet d'organisation. On eut toutes les peines du monde à arrêter la haute
assemblée devant cet abus de pouvoir. On lui démontra qu'elle avait le droit
d'amender, de rejeter même une loi présentée par le Gouvernement ou envoyée, déjà
votée, par l'autre Chambre ; mais qu'elle n'avait pas le droit de l'ajourner
par un vote. Les partisans de l'ajournement répondirent : mais l'autre Chambre
a laissé sans examen des lois votées ou amendées par le Sénat. On pouvait
objecter à cette récrimination que la Chambre avait peut-être négligé l'examen,
à cause d'autres travaux, mais qu'elle ne l'avait pas écarté par une décision
expresse : que, d'ailleurs, l'abus de l'une des chambres ne pouvait jamais
constituer un droit pour l'autre. Mieux inspiré, le Sénat finit par discuter et
adopter la loi (Loi du 16 mars 1841).
La loi sur le duel fournirait
à elle seule, s'il n'y en avait d'autres, une preuve suffisante de la
difficulté qui existe, pour l'introduction de dispositions législatives, par
voie d'initiative parlementaire. M. le baron de Pélichy Van Huerne avait eu le
mérite et l'honneur de présenter un projet sur la matière, le 21 septembre
1835. Il lui appartenait, à lui ancien et brave militaire, de mettre un
obstacle à des combats, offerts et acceptés plus souvent pour éviter le
reproche de lâcheté, que pour vider des différends sérieux ; sanglantes
traditions de temps moins civilisés et moins doux que ceux dans lesquels nous
avons le bonheur de vivre. Le Sénat l'admit, une première fois, par 26 voix
contre 9, le 30 décembre 1836. Acceptée, avec des amendements, par la Chambre,
à la majorité de 50 voix contre 6, elle fut définitivement adoptée par le
Sénat, à 50 voix contre 12, le 30 décembre 1840 (Loi du 8
janvier 1841. Moniteur de 1836,
n° 356, 365 ; de 1837, n°2, 3 ; de 1840, n° 59-72, 359-366. Voir Moniteur de 1836, n°178, Rapport de M. de Haussy : il contient
des détails très intéressants sur les coutumes et les lois, dans les temps
anciens).
Il a donc fallu plus de cinq
ans, pour faire entrer, dans notre Code, ces dispositions si bienfaisantes.
C'est tout à la fois un avertissement et un encouragement pour le législateur
consciencieux, qui poursuit la réalisation d'une réforme, ou d'un progrès. La
loi tend à couper le mal dans sa racine, en punissant la provocation, l'injure
provocatrice, l'excitation au duel. Elle punit celui qui aura occasionné des
blessures ou la mort par le combat, les témoins et les complices, et atteint
même le duel qui aurait lieu à l'étranger et celui qu'un étranger aurait avec
un Belge. Toutes ces dispositions avaient pour but d'arrêter de sanglantes
rencontres, la plupart du temps, provoquées par un préjugé. Depuis la
promulgation de cette loi, les duels sont devenus extrêmement rares, en Belgique.
(page 350) Preuve
nouvelle de l'influence réciproque des lois douces sur les mœurs et des mœurs
douces sur les lois. A certaines époques, une telle loi eût été impossible, ou
inefficace.
La loi sur les chemins vicinaux
est vraiment une loi importante. Beaucoup de communes n'avaient pas de plans de
leurs chemins vicinaux : de là des usurpations nombreuses, des suppressions
possibles. Le pays avait déjà, par le cadastre, des plans détaillés de tout son
territoire : les chemins y sont portés, sans indication sûre ou précise, soit
de la nature de ces chemins, soit de leur propriétaire (Note de bas de
page : La loi romaine définit les chemins vicinaux en
ces termes : « Viae vicinales sunt viœ quœ in vicis sunt, vel quœ in vicos
ducunt. » (Digeste, L. 2, § 22, lib. 43, tit. 8.)). Il importait donc, au plus haut point, d'avoir aussi des atlas
officiels de la voirie vicinale proprement dite. Il s'agissait, en effet, comme
le disait le Ministre de l'Intérieur (M. Liedts), « de mettre toutes les
communes du royaume en possession d'un titre légal de leurs chemins vicinaux,
de les mettre en possession de plans, où les droits de chacun seront indiqués,
plans qui serviraient de titres pour les communes contre les riverains et aussi
de titres aux riverains contre les communes. C'est une conception heureuse,
utile, mais utile surtout aux communes. » La dépense, qui devait en résulter,
serait supportée moitié par les communes, moitié par l'État. Le Gouvernement
chargea de ce grand travail un fonctionnaire supérieur du cadastre, M.
Heuschling, qui le confia, en sous-œuvre, à beaucoup d'employés de cette
administration. Cette vaste entreprise se fit ainsi avec plus d'unité de forme
et plus de célérité d'exécution. Elle péchait parfois, dans ses détails, soit
par manque, soit par inexactitude d'indication. Ces défectuosités secondaires
furent rectifiées par l'intervention des députations permanentes. Dans leur
ensemble, ces plans peuvent, par leur étendue et par leur utilité, figurer à côté
de ceux du (page 351) cadastre.
La réalisation de cette grande idée fait honneur au pays. Les puissants efforts
et les sommes considérables, consacrés à l'amélioration de la voirie vicinale,
n'ont fait qu'accroître l'utilité de la confection de plans spéciaux de nos
communications secondaires (Note de bas de
page : Voir Exposé de la situation du royaume. 1841-1850,
IV, pp. 238 à 245, de nombreux détails sur la voirie vicinale. La longueur de
la voirie vicinale pavée, empierrée ou ensablée était, en lieues de 5,000
mètres, avant 1830, de 299 ; de 1830 à 1840, de 309 ; de 1841 à 1850, de 1,275.
La dépense totale faite, pour la construction et l'amélioration de la voirie
vicinale, au moyen du concours du Gouvernement, des provinces, des communes et
des particuliers, a été, pendant la période 1841-1850, de 25,898,974 francs).
Cette loi comprend trente-neuf
articles, divisés en cinq chapitres : - I. De la reconnaissance et de la
délimitation des chemins vicinaux ; - II. De l'entretien et de l'amélioration ;
- III. De l'élargissement, redressement, ouverture et suppression ; - IV. De la
police ; - V. Des règlements provinciaux.
La discussion de cette loi fut
longue, car elle fut parfois suspendue, souvent retardée par des amendements et
toujours très approfondie par les deux assemblées. Le projet, introduit au
commencement de 1838, ne fut converti en loi que vers le milieu de 1841 (Note de bas de
page : Loi du 10 avril 1841, adoptée, à la Chambre, par
51 voix contre 7 ; au Sénat, par 24 voix contre 8. Moniteur de 1839, n°25 à 30
; de 1840, n°38 à 58 ; de 1841, n°62 à 86).
La loi sur la compétence en
matière civile subit, comme celle des chemins vicinaux, bien des retards, des interruptions
et des vicissitudes de discussion. Elle dut revenir à la Chambre, par suite
d'amendements introduits par le Sénat. Elle fut adoptée, dans les deux
enceintes, à la presque unanimité des voix (Moniteur de
1840, n° 121 à 134, et de 1841, n° 51 à 77).
M. le Ministre de la Justice
(Leclercq) apprécia l'esprit et (page
352) la portée de cette loi, dans les termes suivants : «
Il doit être bien entendu, d'après le rapport que la commission a soumis à la
Chambre, qu'il s'agit, non pas d'étendre, ou de modifier dans ses dispositions
essentielles la législation en vigueur, mais simplement de les ramener à leur
esprit primitif, soit en ramenant les valeurs dans les points où elles doivent
être ramenées, car la valeur monétaire est changée depuis quarante ans ; soit
en ajoutant quelques dispositions dont l'expérience a établi la nécessité, pour
empêcher qu'on n'élude les dispositions sur la compétence. »
En séance du 30 novembre 1840
(Moniteur de 1840, n°336), M. Van den Bossche fut
admis à développer une proposition, ayant pour but de frapper d'un droit de 10
centimes par franc, à partir de 1841, « les rentes et généralement toutes les
créances productives d'intérêt, hypothéquées sur les biens fonds situés en
Belgique ; celles à charge des villes, communes, établissements publics ou
sociétés créées par actions, quoique non hypothéquées, ainsi que les actions
dans lesdites sociétés, etc. Sont exemptés de l'impôt, les rentes foncières,
soit qu'elles existent en denrées ou en cens, quoique hypothéquées ; les
capitaux placés dans les caisses d'épargnes qui n'excéderont pas 2,000 francs.
»La proposition fut immédiatement prise en considération et renvoyée aux
sections. Si juste qu'elle paraisse, à la première vue, nous n'en avons plus
rencontré de trace. Elle sera descendue dans la tombe parlementaire avec son
honorable auteur.
Omnia mutantur, sed nos
mutamur in illis.
La discussion des budgets marcha
péniblement et l'on retomba, de nouveau, dans la voie vicieuse des crédits
provisoires. Sur tous, il fut proposé des réductions peu considérables, (page 353) quelques-unes
admises, d'autres rejetées ; mais chacune d'elles portait le cachet d'une
opposition aux demandes ministérielles, habilement déguisée sous le voile d'une
économie poursuivie à tout prix.
Au budget des affaires
étrangères, une réduction de 20,000 francs sur l'allocation des consuls
rétribués, institution souvent plus utile au commerce que la haute diplomatie,
fut proposée par M. de Theux. C'était comme le ballon d'essai de l'opposition.
Le chiffre du Gouvernement fut écarté par 41 voix contre 41 : celui de
l'opposition fut admis.
Le budget des voies et moyens
renfermait une demande de trois centimes additionnels supplémentaires sur le
principal de la contribution foncière. Cette proposition ne fut admise, à
la Chambre, que par 50 voix contre 24 : le Sénat eut le bon goût et le
désintéressement de ne pas la contester. Ce budget fut admis, dans les deux
enceintes, à l'unanimité des voix (Loi du 30 décembre 1840).
A la discussion du budget de
la Justice, s'éleva un débat politique fort vif et assez prolongé. La
décoration accordée à M. Lion, fonctionnaire supérieur de l'enregistrement ;
une mission diplomatique temporaire en Sardaigne, confiée à M. de Stassart,
le gouverneur destitué ; la réforme électorale, soutenue par M. Delfosse ; un
nouveau crédit demandé pour le petit séminaire de Saint-Trond ; un concours
ouvert entre tous les collèges, telles furent les bases des récriminations,
l'occasion des attaques et de la défense. M. Verhaegen proposa l'ajournement du
subside pour le petit séminaire. Cette proposition fut écartée par 50 voix
contre 24. Les partis étaient ouvertement en présence, à la Chambre ; et
pour la première fois , on y parla sans détours de libéraux et de catholiques.
En vain M. Dechamps fit-il un appel à la conciliation et à
l'abstention des discussions de parti : M. Delfosse lui répondit que cette
division existait, dans le pays, d'une (page
354) manière qui n'était pas arbitraire : qu'elle était
le résultat forcé des actes de l'ancien ministère.
Le budget de l'Intérieur
rencontra aussi une vive opposition : il fallut aller aux voix, par appel
nominal, sur beaucoup d'articles. Les allocations les plus utiles furent
contestées : 100,000 francs pour la voirie vicinale ne furent admis que par 43
voix contre 15 : la section centrale proposait le rejet des 100,000 francs,
proposés pour l'exposition de l'industrie ; ils furent cependant adoptés.
La discussion des budgets fut
interrompue par celle sur le projet de loi des pensions civiles. Après une
discussion très-approfondie et de nombreuses séances, l'ensemble de la loi fut
rejeté par 39 voix contre 34 (Note de bas de page : Moniteur de 1841, n°26 à
48. Voir notamment la discussion sur la
pension des ministres, n°28 et 29. Toutes les propositions relatives aux
pensions directes, celle même qui tendait à faire compter chaque année de
fonctions ministérielles pour cinq années de services, furent repoussées à de
très grandes majorités. Les ministres en fonctions et les anciens ministres
s'abstinrent de voter). M. Delfosse fit valoir des
arguments très forts contre la disposition accordant une pension au ministre
qui, sans avoir occupé d'autres fonctions, aurait tenu un portefeuille, pendant
deux années. M. Devaux la soutint avec beaucoup d'énergie. Nous verrons cette
pension admise, puis détruite : nous aurons à examiner ces hauts et ces bas de
la position ministérielle et à rechercher les causes de ces variations.
Dans la séance du 10 février
1841, MM. Brabant et du Bus aîné, usant de leur droit d'initiative, firent une
proposition ayant pour but d'ériger l'université catholique en personne civile
et de lui donner ainsi « le droit d'acquérir et d'aliéner des biens. » Nous
verrons, plus tard, comment cette proposition vint à être retirée (Moniteur de 1841, n° 42 et 48,
Proposition et développements).
Il ne restait plus à discuter
que le budget des Travaux Publics : (page 355) il comprenait, en ce moment, dans ses attributions l'instruction
publique. Aussi fut-il, plus encore que les autres budgets, le point de mire
des attaques de l'opposition. Celle-ci avait deux motifs secrets pour hâter la
chute du ministère : elle ne voulait pas que, sous son influence, deux grands
actes fussent consommés : l'organisation de l'enseignement et les prochaines
élections. On lui fit un procès de tendance ; car ce qu'on lui reprochait le
plus c'était l'appui qu'il recevait de quelques membres de la Chambre, c'était
surtout ce qu'il allait faire pour l'instruction publique. Les détails du
budget disparurent sous l'importance du débat politique que le cabinet n'avait
pas provoqué, mais qu'il subissait. M. Dechamps, qui prit souvent la parole,
fut le premier à se placer sur ce terrain. Il disait : « Le cabinet est devenu
un ministère d'irritation et de division pour le pays... Je pense que la
retraite du ministère importe au pays. Il est temps que la majorité se
reconstitue ; qu'un gouvernement fort arrive aux affaires afin de pacifier
le pays à l'intérieur et de consolider notre nationalité au dehors. »
II demandait la création d'un cabinet mixte. A propos de ces attaques de
l'honorable membre, un incident se produisit. M. Van Cutsem dit : « Les
Ministres sont des hommes honorables, et M. Dechamps en conviendra avec nous ;
car il doit se rappeler qu'il s'est pour ainsi dire offert à M. Rogier, pour
faire partie du cabinet qui devait se former lors de la chute de l'ancien
ministère ; ces offres ont été faites au pied du bureau du président, dans
cette enceinte même... »
M.
Dechamps : « La Chambre comprendra qu'il est
au-dessous de moi de répondre à l'accusation que m'a adressée le préopinant. Je
me contenterai de déclarer que cette imputation est complètement fausse. »
M.
Van Cutsem : « Sur mon honneur, je déclare qu'elle
est vraie ! »
Le
Ministre des Travaux Publics (M. Rogier) : « Je
dois
(page 356) ici à la loyauté de
déclarer que l’assertion.de M. Van Cutsem ne lui est pas venue de moi. » Un
grand nombre de voix : « La clôture ! la clôture. » (Moniteur
de 1841, n°63. En séance du 18 décembre 1841, n°353, M. van Cutsem
répète son affirmation ; M. Dechamps la dénie plus faiblement).
MM. les Ministres des Affaires étrangères, de la
Justice et des Travaux Publics ; MM. Devaux, Delfosse, Angillis, mirent à nu
l'inanité des reproches, l'irrégularité de ce procès de tendance. Ils
appelaient, à propos de ce budget, un vote de confiance, comme un guide et une
boussole pour la prérogative royale et non pas comme un coup d'Etat ou une
menace pour cette prérogative, ainsi que l'avait dit le député d'Ath. Ce vote
de confiance donna 49 voix pour le ministère, 39 contre et 3 abstentions. Parmi
les abstenants, se trouva M. Dumortier, qui terminait ainsi ses motifs :
« Mais comme je ne sais qui l'aurait remplacé, j'ai cru, moi qui avais
fait la motion contre le précédent cabinet, devoir m'abstenir dans les
circonstances actuelles. » Tuer deux ministères, l'un après l'autre, eût
effectivement été un procédé féroce!
Il était naturel, nous pouvons
dire constitutionnel, que le débat politique et la question de cabinet qui s'y
rattachaient, ouverts à la Chambre, fussent placés, au Sénat, sur le même terrain.
Mais l'impatience du combat était telle, au sein de l'assemblée modératrice,
qu'on n'y admit pas de pareils délais. Elle prit, pour arriver à une solution
immédiate, une voie irrégulière, à quelque point de vue que l'on se place. Le
budget des Travaux publics était en discussion depuis trois jours. Plusieurs
sénateurs avaient prononcé des discours fort vifs, dans lesquels ils avaient
demandé la modification et même la retraite du ministère, menaçant de la
provoquer par un refus du budget. Quelques-uns de leurs collègues et MM. les
Ministres leur avaient prouvé que ce serait là un acte violent, (page 356) inusité
pour une Chambre haute. Avant qu'on arrivât au vote, les opposants eurent
recours à une manœuvre, moins franche et plus extraordinaire encore que le
rejet d'un budget. Dans la séance du 16 mars 1841, 10 membres demandèrent le
comité secret. Il y fut donné communication du projet d'une adresse au Roi,
ainsi conçue :
« Sire,
« La nationalité belge a été
fondée par l'union d'opinions divergentes, réunies dans un but commun. Le
maintien de cette union peut seul permettre le développement des nombreux
éléments de prospérité que possède le royaume et garantir son existence
politique.
« Les divisions déplorables
qui se sont manifestées pendant cette session, dans le sein de la
représentation nationale, sont une preuve nouvelle de l'impuissance où se
trouvent les assemblées législatives de s'occuper des besoins réels de la
nation, lorsque les partis s'éloignent au lieu de se rapprocher.
« Une telle situation, Sire,
entrave la marche régulière de l'administration et lèse les intérêts les plus
chers à la Belgique.
« C'est sous ce point de vue
surtout que le Sénat a dû s'en préoccuper. Pouvoir essentiellement modérateur,
ses efforts tendront constamment à concilier les opinions dans l'intérêt
général.
« Le Sénat regarde comme un
devoir d'appeler l'attention de Votre Majesté sur une position qui peut faire
naître de véritables dangers ; il place toute sa confiance dans cette haute
sagesse, dans cette impartialité, auxquelles toutes les opinions se plaisent à
rendre un juste hommage. Il a la conviction que, quels que soient les moyens
que Votre Majesté croie devoir employer pour arrêter de funestes divisions, les
hommes sages et modérés viendront s'y rallier et (page 358) prêteront ainsi à la royauté,
placée au-dessus de tous les partis, l'appui nécessaire pour remplir la mission
qui lui est assignée.
« Votre Majesté peut compter
sur le dévouement inaltérable du Sénat et sur son loyal concours à vos vues
éclairées, Sire, pour la prospérité et l'union de la patrie. »
(Signé) : Le baron Dubois
de Nevele, le baron de Peuthy, Van Saceghem, le comte van der Straten de
Ponthoz, d'Hoop, le comte de Briey, le baron Dellafaille, le baron de Pélichy.
de Rouillé, le baron de Stockhem, le baron de Mooreghem.
Dans la séance du 17 mars,
l'adresse fut prise en considération par 33 voix contre 19, à l'instant même
renvoyée à une commission, puis aussitôt discutée et adoptée à la même
majorité, sans changement et malgré la question de confiance ou de cabinet
posée par le ministère (Moniteur de 1841, n°76, 77 et 78). Des membres désignés par le sort pour faire partie de la députation
s'écrièrent : « Je refuse de porter au Roi une adresse, que je crois
attentatoire aux droits de la Couronne ! » Le Roi répondit à la députation : «
Messieurs, je reçois l'adresse du Sénat, je n'ai (page 359) jamais douté de ses bonnes intentions.
J'examinerai cette adresse avec attention. » Cette réponse plus
laconique et plus sèche que celles que le Roi daigne faire d'ordinaire, aux
adresses parlementaires, prouvait déjà l'inopportunité et l'inconvenance de la
démarche du Sénat.
Nous avons, au commencement de
ces études, tâché d'établir la nécessité de l'institution du Sénat : nous avons
invoqué, à cet effet, le témoignage de grandes autorités, parce que nous
reconnaissions l'insuffisance de la nôtre. Il doit donc nous être permis de ne
pas nous taire, quand nous croyons sincèrement que le Sénat s'est écarté, cette
fois, de son but et que, ayant mission d'écarter les dangers parlementaires, il
a commis l'acte le plus aventureux qu'on puisse concevoir.
Pour excuser cette démarche,
soi-disant faite contre les partis, et qui n'était, au fond, elle-même qu'une
manœuvre de parti, on donnait dans le temps - aujourd'hui on avoue la faute -
deux raisons principales. Nous sommes, disait-on, une branche, du Parlement et
l'expression du vœu populaire, au même degré que la Chambre des Représentants :
et, par conséquent, ce que fait celle-ci, nous pouvons le faire nous-mêmes.
L'adresse, ajoutait-on, que nous avons portée au Roi était un exercice, sinon
plus légitime, du moins plus doux de notre prérogative que le refus du budget.
Autant d'erreurs que de mots ; nous allons tâcher de le prouver.
Non, le Sénat n'est pas une
branche du Parlement ou l'expression du vœu populaire, au même degré que la
Chambre des Représentants (Note de bas de
page : « L'influence prépondérante de
la Chambre des Communes, dans les affaires publiques, fut, à partir du règne de
Charles II, un fait de plus en plus évident et assuré. » (Guizot, Discours
sur l'histoire, etc., p. 75.)) : Les art. 27 et 90 de
la Constitution, d'abord, le prouvent. La Chambre des Représentants a
l'initiative du vote des recettes et des dépenses de l’Etat et du contingent de
l'armée : seule, elle a le droit d'accuser les ministres (page 360) et de les traduire devant la Cour de
cassation. Ensuite on ne conçoit pas le régime représentatif sans députés : or,
non seulement on le conçoit sans sénateurs, mais il a existé ou il existe avec
une Chambre unique, en Espagne, en Suisse, en Pologne, en Pennsylvanie. Au
Congrès, l'utilité du Sénat fut vivement contestée : on y démontra les dangers
possibles d'une Chambre haute, et un tiers des constituants vota contre
l'établissement d'une telle assemblée. Le Sénat n'est donc pas indispensable au
régime représentatif et, de plus, il diffère de la Chambre des Représentants,
quoique produit par les mêmes électeurs, par deux grands côtés - les limites
mises à l'élégibilité (Note de bas de page : «
Vainement on voudrait rendre le Sénat électif par la nation même. Le cens
élevé, prescrit par la loi pour l'éligibilité, serait un immense obstacle pour
la libre volonté nationale. D'ailleurs, de même qu'il ne peut y avoir deux peuples
dans le même peuple, ainsi, une nation ne peut avoir deux manières de se faire
représenter. » (SORIA, Philosophie du droit public, t. IX, p. 206.)) - le nombre de ses membres. Il n'y a pas, pour tout le pays, 750
éligibles au Sénat (Note de bas de page :
II y avait, en 1849, 720 éligibles au Sénat, dans les
neuf provinces ; en 1830, il y en avait 726. (exposE
De La Situation, 1841-1850, t. III, p. 26.))
réunissant les qualités d'âge et de fortune exigées par la Constitution : il y
a plus de 100,000 éligibles à la Chambre (Au
15 octobre 1846, la population au-dessus de vingt-cinq ans était de plus de
2.000,000. (EXPOSE, etc., t. II, pp. 12-13.) En défalquant de ce chiffre les
femmes, les incapables, etc., et en ne prenant que le vingtième, on arrive encore
au chiffre de 100,000 éligibles à la Chambre).
En prenant ces deux chiffres, dont l'un est exact et l'autre beaucoup
au-dessous de la vérité, on trouve que l'électeur doit choisir un sénateur,
parmi 14 éligibles ; tandis que, pour un représentant, il peut choisir entre
plus de 1,000 éligibles. Donc, pour le choix des sénateurs, l'élection
populaire est très-restreinte ; pour le choix des représentants, elle est, au
contraire, presque illimitée. La question du nombre n'est pas aussi
indifférente qu'on le pense : car elle se rattache étroitement à la question de
prérogative et de (page 361) compétence. La Chambre des Représentants se compose de 108 membres
; le Sénat de 54 seulement. Il s'ensuit, pensons-nous, que cette dernière
assemblée, n'est pas, comme quelques-uns le soutiennent, la Cour de cassation
du Parlement. Tout corps réformateur est plus nombreux que le corps dont il
casse les décisions. Voyons les faits. Le prononcé du magistrat de paix, juge
unique, est-il révisé par un seul juge? Non, mais par un tribunal, où siègent
trois juges. Le jugement du tribunal de première instance est-il porté, en
appel, devant trois conseillers? Non, mais devant une chambre de cinq
conseillers. L'arrêt d'appel va-t-il en cassation devant cinq membres de la
Cour suprême? Non, mais devant sept. Quand il y a conflit entre la Cour
de cassation et deux Cours d'appel, le tribunal souverain siège toutes
Chambres réunies. Le Sénat n'est donc pas et ne peut pas être, à cause de
l'infériorité du nombre de ses membres, le contrôleur, le réviseur de toutes
les décisions de la Chambre. Il est un corps modérateur, chargé de
mettre, en certaines circonstances, un obstacle législatif aux dangereux
entraînements de la chambre populaire : il doit servir de bouclier au pouvoir
royal, contre les périls auxquels celui-ci pourrait être exposé par l'action
directe et trop vive d'une assemblée unique. Qu'on nous permette le mot. Le
Sénat est comme le ressort de la machine représentative ; il rend les secousses
moins sensibles, les chocs moins brusques. Ses fonctions, pour être passives
plutôt qu'actives, n'en sont pas moins salutaires. Mais si le ressort est trop
mou, il se fausse : s'il est trop roide, il risque de se briser. Ces principes
posés, voyons si cette assemblée modératrice a, par son adresse au Roi, rempli
sa double mission. Ceci nous ramène à la seconde excuse donnée par sa majorité.
L'utilité, la nécessité
constitutionnelle du Sénat reposent sur cette combinaison : avec deux Chambres,
le pouvoir royal est plus couvert, sa responsabilité est moins engagée. En effet, (page 362) si les deux assemblées
viennent a être d'accord contre le ministère, le Roi n'a plus à douter : ses
ministres peuvent constitutionnellement disparaître. Si, au contraire, agissant
chacune dans sa sphère, une Chambre soutient le cabinet, tandis que l'autre le
repousse ; le Roi examine, dans sa sagesse et suivant les circonstances et les
majorités, s'il doit conserver ce cabinet, en dissolvant soit l'une ou l'autre
des deux chambres, soit toutes les deux simultanément ; ou s'il ne convient pas
plutôt de remplacer ses ministres et d'essayer, à l'aide d'hommes nouveaux, de
rétablir l'accord du Parlement. Le chef de l'État se fût trouvé dans cette
position franche et libre, si le Sénat, croyant qu'il était de son devoir de le
faire, avait attaché au budget un vote de confiance, et avait laissé passer le
chiffre, la majorité s'abstenant (si elle ne voulait pas voter contre) et
donnant pour motif de son abstention qu'elle ne pouvait confier au ministère
existant l'application des fonds votés par la minorité. De cette manière, le
service marchait, le Roi était averti constitutionnellement que la majorité du
Sénat n'avait plus confiance en ses ministres. La Couronne avait alors à aviser
dans toute la liberté et l'étendue d'action que la Constitution lui confère. Au
lieu d'exercer ainsi, légitimement parce que parlementairement, ses
prérogatives, que fait la majorité de cette assemblée? Au milieu de la
discussion d'un budget, qu'elle interrompt avec brusquerie, elle porte au Roi
une adresse obscure, peu franche, qui enchaîne la libre action de la Couronne
et reporte sur elle une plus grande responsabilité que celle que lui impose
notre Pacte fondamental.
En effet, que contient cette adresse? - « Les divisions déplorables qui se sont manifestées pendant cette session, au sein de la représentation nationale... » (Un Sénat qui va se plaindre au Roi de la conduite de l'autre Chambre!) «...sont une preuve nouvelle de l'impuissance où se trouvent les assemblées législatives de s'occuper des besoins réels de la nation, lorsque les partis s'éloignent au lieu de se (page 363) rapprocher. » A l'inconvénient d'être peu clairs, ces aphorismes joignaient celui d'être mal adressés. Quel non-sens d'aller porter ces timides doléances, ces plaintes peu viriles à un Roi qui, pendant vingt ans, avait eu sous les yeux le Parlement anglais, opérant, au milieu des divisions les plus profondes des partis, les grands progrès de civilisation européenne et d'ordre intérieur : à un Roi, qui avait entendu les bruyantes tempêtes de la réforme, qui n'avait cessé de voir les luttes acharnées des torys et des whigs ! Nos vieux sénateurs ont dû lui apparaître, en ce moment, comme des enfants parlementaires, effrayés par des fantômes. - « Une telle situation, Sire, entrave la marche régulière du Gouvernement et lèse les intérêts les plus chers de la Belgique. » Le Roi n'aurait-il pas pu répondre? Je le regrette vivement : faites, dans votre sphère, ce que les circonstances et votre devoir vous commandent. Quand je serai saisi de votre décision régulière, j'aviserai. - « Le Sénat regarde comme un devoir d'appeler l'attention de Votre Majesté (comme si le Roi n'était pas toujours attentif) sur une situation qui peut faire naître de véritables dangers... Il a la conviction que quels que soient les moyens que Votre Majesté croie devoir employer pour arrêter ces funestes divisions, etc., etc. » -Voilà donc le souverain mis en demeure « d'arrêter de funestes divisions » ; rendu responsable de la continuation de ces divisions, si elles persistaient, malgré ou à cause des moyens qu'indirectement on lui conseillait de prendre? De bonne foi, est-ce là le régime représentatif? Qu'une minorité impuissante agisse ainsi, on le comprendrait : mais une majorité! Les démarches ouvertement ou sourdement irrégulières et violentes sont l'arme forcée des minorités : les majorités ont à leur service l'instrument régulier de leur pouvoir, d'autant plus fort qu'il fonctionne dans le cercle de la légalité.
Veut-on une preuve qu'une
adresse au Roi, pour le renversement d'un ministère, est un mode irrégulier?
Qu'on se
(page 364) souvienne qu'il était
emprunté, sans qu'on s'en doutât probablement, à une assemblée et à une époque
révolutionnaires. Après la chute du ministère Necker, vint celui que présidait
M. de Breteuil. L'assemblée constituante ne goûta pas ce changement ; sur la
proposition de Mirabeau, elle adopta une adresse au Roi pour le renvoi de
ses ministres (16 juillet 1789). Le bouillant tribun avait su donner une
forme respectueuse à cet acte turbulent ; l'adresse commençait par ces mots : «
Sire, nous venons déposer, aux pieds du Trône, notre respectueuse
reconnaissance pour la confiance à jamais glorieuse que Votre Majesté nous a
montrée ; l'hommage que nous rendons à la pureté de vos intentions, à cet amour
de la justice qui vous distingue si éminemment, et qui donne à l'attachement de
vos peuples pour votre personne sacrée le plus saint et le plus durable des
motifs » (A. Amic et E. Mouttet, Orateurs politiques, t. I, p. 44). Il
était impossible de blesser la prérogative royale, avec plus de courtoisie ;
c'était, comme on dit : le coup d'un poignard à manche de velours.
Au fond, voici dans quelle embarrassante position la prérogative royale se trouvait placée, en Belgique, par l'adresse du Sénat. Le ministère au pouvoir avait remplacé un cabinet, renversé, en grande partie, par ceux qui se montraient si effrayés aujourd'hui. Ce ministère avait obtenu, sur un vote de confiance, dix voix de majorité à la Chambre ; il avait eu quatre voix contre lui au Sénat. En ne tenant compte que du nombre des voix, la majorité favorable avait été proportionnellement plus forte, dans l'une des assemblées, que la majorité défavorable, dans l'autre. Dans une telle occurrence, que devait faire le Roi? Renvoyer ses ministres? Mais ils étaient appuyés par la Chambre. Dissoudre la Chambre? Mais elle était d'accord avec le pouvoir exécutif. Dissoudre le Sénat? mais comment renvoyer une assemblée, dont la majorité (page 365) s'adresse directement à vous, en disant : « Votre Majesté peut compter sur le dévouement inaltérable du Sénat et sur son loyal concours à vos vues éclairées. » Dissoudre les deux Chambres et demander au corps électoral qui avait raison, ou des représentants tranquilles sur le sort de la patrie, ou des sénateurs inquiets « sur une position qui peut faire naître de véritable dangers. » C'était peut-être le cas : mais une dissolution générale est rarement un moyen de « rapprocher des partis qui s'éloignent, » de « concilier les opinions » et « d'arrêter de funestes divisions ». Dans un telle situation, le Roi n'avait plus toute sa liberté constitutionnelle : il accepta la démission de ses ministres. Or, dans ce cabinet, se trouvaient M. Buzen, admis à faire partie du cabinet suivant : MM. Leclercq et Liedts, jugés dignes par ce cabinet, le premier, de reprendre un des postes les plus éminents de la magistrature ; le second, de devenir gouverneur du Hainaut : M. Mercier, accepté depuis, comme un habile soutien, par le parti qui le renversait. Restaient M. Rogier, qui occupa le pouvoir, à une époque autrement dangereuse ; M. Lebeau, qui l'avait tenu, dans des circonstances autrement difficiles (Note de bas de page : Voir, Moniteur de 1841, n°156, un extrait de la Revue nationale, qui expose la théorie des pouvoirs du Sénat et qui désapprouve hautement l'adresse. Cet extrait est suivi d'un article de l'Émancipation, qui défend la démarche du Sénat).
Nous nous sommes arrêté un peu
longuement, sur cet épisode de notre Parlement, parce que, à notre sens, il
dérangeait profondément le jeu normal du régime représentatif. Nous le savons,
la faute est reconnue et avouée, depuis longtemps, par un grand nombre de ceux
qui ont commis ou conseillé cet acte irrégulier ; mais son examen rentrait dans
le cercle de nos études : nous n'avons pas cru devoir nous laisser émouvoir par
cette humble confession, en admettant même qu'elle fût accompagnée d'un
repentir sincère et du ferme propos. Devant le (page 366) tribunal de l'opinion publique, comme
devant d'autres tribunaux, l'aveu est un titre à l’indulgence, un appel à
l'admission des circonstances atténuantes, mais il ne saurait, en aucun cas,
écarter le jugement. Nous avons émis consciencieusement le nôtre. D'ailleurs,
ce n'est pas inutilement que la Providence, dans sa bonté, a donné à la fragile
humanité la mémoire en sus de l'intelligence. Car, souvent ici-bas, se
souvenir, c'est apprendre ; et, pour les institutions comme pour les individus.
la régularité de l'âge mûr n'est parfois que le redressement des erreurs de la
jeunesse.
La majorité du Sénat, en
suivant, soit spontanément, soit par excitation, cette marche
extra-parlementaire, obtint ce qu'elle voulait, la chute du ministère et, par
suite, ce qu'elle n'avait pas avoué, c'est-à-dire que les élections prochaines
fussent faites, que la discussion des lois d'enseignement fut dirigée par ses
amis portés au pouvoir. Elle n'éloigna pas ce qu'elle déclarait hautement, et
sincèrement sans doute, vouloir écarter, la lutte des partis. On peut le dire,
l'adresse du Sénat engendra les Congrès libéraux : La crise de 1841 fut la
fille de la crise de 1834 (Voir,
t.1, livre IV, p. 206, la chute du ministère du 20 octobre 1832). C'était la seconde fois, que le parti libéral, arrivé régulièrement
aux affaires, en était, pour ainsi dire, brutalement expulsé. Il avait beau y
être représenté par des hommes d'un caractère modéré et d'un incontestable
talent, il ne put résister à cette guerre, tantôt sourde, tantôt ouverte, qu'on
lui faisait, au nom de la modération et du besoin de pacifier le pays. Or,
jamais durant notre existence politique, l'agitation des partis et de l'opinion
publique, se manifestant par les discussions de la presse et les débats de la
tribune, ne fut aussi grande qu'à dater de cette époque de soi-disant
pacification. La chute du ministère de 1840 devait, disait-on, amener le calme
et la concorde ; et, en réalité, elle causa une animation fébrile et faillit
éveiller des tempêtes.
Mais n'anticipons pas sur les
faits politiques ; ils parleront eux-mêmes assez haut.
Le ministère dissous, la
chambre s'ajourna le 2, le Sénat le 7 avril : la clôture eut lieu le 13
du même mois. Cette session n'avait pas été stérile, puisqu'elle fut marquée
par l'adoption des trois grandes lois, que nous venons de signaler. Des lois
secondaires y furent aussi votées (Note de bas de page : 1841,
du 25 février, sur les distilleries ; du 24 mars,
modifiant la législation sur le roulage ; du 25 mars, sur les sucres ; du 31
mars, interprétant l'art. 139 du Code pénal ; du 31 mars, interprétant la loi
sur les ventes à l'encan ; du 31 mars, relative aux droits de transcription des
actes emportant mutation d'immeubles ; du 9 avril, interprétant celle sur les
pensions militaires ; du 10 avril, sur la pêche nationale). Mais à cause de l'incident irrégulier et dangereux, soulevé par le
Sénat, elle rappelle un si triste souvenir parlementaire que, si on le pouvait,
on la retrancherait volontiers de nos annales.
(page
321) Le 11 juin 1839, des élections avaient eu lieu dans toutes les
provinces. Il y avait coïncidence, cette année-là, entre le troisième
renouvellement partiel de la Chambre et le second renouvellement partiel du
Sénat (Note de bas de page : La série, pour la Chambre,
comprenait les provinces de la Flandre orientale, de Hainaut, de Liège et de
Limbourg : la série, pour le Sénat, comprenait les provinces d'Anvers, de
Brabant, de la Flandre occidentale, Je Luxembourg et de Namur).
A cause des changements
apportés aux circonscriptions et aux divisions électorales du Limbourg
et du Luxembourg, les élections eurent lieu, dans ces provinces, quelque temps
après les autres (16 septembre) (Note de bas de
page : D'après le décret du Congrès national, le nombre des
Représentants était de 102, celui des Sénateurs de 51. A la suite du traité de
Londres et par la loi du 3 juin 1839, il fut réduit respectivement à 95 et à 47). Par
suite de ces élections, plusieurs nouveaux membres étaient entrés à la Chambre
et au Sénat.