« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1856, 2 tomes
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TOME 1
DIXIEME SESSION (1839-1840) (gouvernement de Theux et
gouvernement Lebeau)
1. Troisième renouvellement partiel de la Chambre et deuxième du
Sénat (11 juin 1839)
(page 321) Le 11 juin 1839, des élections avaient eu lieu dans
toutes les provinces. Il y avait coïncidence, cette année-là, entre le
troisième renouvellement partiel de la Chambre et le second renouvellement partiel du
Sénat (Note de bas de page : La série, pour la Chambre, comprenait les
provinces de la Flandre
orientale, de Hainaut, de Liège et de Limbourg : la série, pour le Sénat,
comprenait les provinces d'Anvers, de Brabant, de la Flandre occidentale, Je
Luxembourg et de Namur).
A cause des changements
apportés aux circonscriptions et aux divisions électorales du Limbourg
et du Luxembourg, les élections eurent lieu, dans ces provinces, quelque temps
après les autres (16 septembre) (Note de bas de
page : D'après le décret du Congrès national, le nombre des
Représentants était de 102, celui des Sénateurs de 51. A la suite du traité de
Londres et par la loi du 3 juin 1839, il fut réduit respectivement à 95 et à 47). Par
suite de ces élections, plusieurs nouveaux membres étaient entrés à la Chambre et au Sénat.
2. Questions réglementaires et
électorales
La dixième session (1839-1840)
s'ouvrit le 12 novembre, pour durer jusqu'au 26 juin, c'est-à-dire plus de sept
mois. Mais il y eut de nombreux ajournements. Le Roi étant absent, il n'y eut
pas de discours du Trône. M. Dumortier fit la juste critique de cette troisième
infraction aux usages parlementaires. M. Angillis dit que : En 1819, le Roi
Guillaume Ier, n'ayant pas ouvert lui-même la session, avait, par arrêté royal,
chargé son ministère de faire la lecture du discours du Trône. Le cabinet,
comme pour combler ce vide, voulait donner lecture de l'exposé des motifs du
budget des voies et moyens, avant la vérification des pouvoirs et avant la
constitution du bureau définitif. Cette prétention amena une discussion sur le
règlement. La Chambre
adhéra à la demande ministérielle par 34 voix contre 20, en invoquant un
précédent. Futile motif, puisque, de ce que l'on a mal fait une fois, il ne
résulte pas que l'on doive mal faire encore. Or, il est évident que la Chambre ne pouvait rien
décider sur ce point, avant d'avoir vérifié les pouvoirs des nouveaux membres.
En effet, son règlement est formel, à cet égard ; il détermine, par ses art. 1er
à 8, l'ordre
de ses travaux, à l'ouverture des sessions et en cas de renouvellement intégral
ou par moitié. La prétention du ministère ne nous paraît pas admissible, en
présence de dispositions aussi expresses.
Une autre question plus grave,
puisqu'il s'agissait tout à la fois d'interpréter des prescriptions de la Constitution et de la
(page 323) loi
électorale, fut soulevée, à propos de la vérification des pouvoirs de la
députation de Termonde. Deux représentants étaient à élire. Au premier tour du
scrutin, un seul candidat avait atteint la majorité absolue des voix : trois
autres n'avaient pas obtenu cette majorité. Parmi ces derniers, deux avaient
réuni un égal nombre de suffrages. Il est clair, qu'il fallait ouvrir un
ballottage entre celui qui avait le plus de voix et le plus âgé des deux qui
avaient le même nombre de voix. Le bureau principal n'avait pas suivi cette
marche, tracée par l'art. 36 de la loi électorale : il fit procéder à un
ballottage intermédiaire, pour établir lequel des deux candidats, ayant le même
nombre de voix, entrerait, dans un scrutin définitif, en lutte avec celui qui
en avait obtenu le plus. C'était là évidemment une erreur. La Chambre admit le membre,
qui avait obtenu la majorité au scrutin primitif ; elle annula le restant de
l'opération. Mais alors fut soulevée la question de savoir, si cette annulation
était entière, ou si l'on ferait reprendre le ballottage de la manière dont il
aurait dû s'établir. Ce point de la compétence de la Chambre fut vivement et
brillamment débattu. MM. du Bus aîné, Dechamps et Dumortier se prononcèrent
pour la seconde alternative ; MM. Devaux, Milcamps, Dolez et H. de Brouckere
pour la première. La question fut résolue, comme il arrive dans presque toutes
les vérifications de pouvoir, par la force et d'après l'intérêt du parti ayant
la majorité, plutôt que par les principes du droit et l'esprit de la loi
électorale. Quel pouvoir la
Constitution et la loi électorale donnent-elles à la Chambre? L'art. 34 de la Constitution porte :
« Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge des
contestations qui s'élèvent à ce sujet. » C'est-à-dire au sujet du
pouvoir de l'élu et, comme le disait M. Milcamps : « La Chambre ne fait pas les
députés, elle les déclare, elle les vérifie ; elle ne les élit pas ; (page 324) elle ne
motive pas ses résolutions : c'est un jury qui déclare que le député est admis,
ou n'est pas admis. » C'est la doctrine que M. Dupin aîné avait déjà soutenue,
en ces termes : « La Chambre
ne décide jamais qu'en formule générale ; elle n'attribue pas ou ne refuse pas
ses bulletins à tel candidat, car elle abdiquerait ses fonctions, pour prendre
celles du bureau d'un collège ; elle se borne à déclarer si une élection est ou
n'est pas régulière. » L'art. 40 de la loi électorale porte : « La Chambre des Représentants
et le Sénat prononcent seuls sur la validité des opérations électorales,
en ce qui concerne leurs membres. » En d'autres termes, quand un élu se présente
devant ces assemblées, elles ont le droit de dire : l'opération qui vous a
porté ici est ou n'est pas valide ; mais elles n'ont pas le droit de
décider ce qu'il faut faire, pour qu'elle soit valide. Les Chambres font
les lois, mais ne les appliquent pas : elles vérifient des pouvoirs, mais elle
ne réglementent pas les élections. Ici, nous n'avons pas seulement pour nous la
lettre de la loi, nous avons de plus son esprit. Car, au-dessus des
raisonnements que nous venons d'établir, il y a une question essentielle. Que
doit être le député ? L'expression claire, manifeste, incontestable de la
volonté de la majorité des électeurs présents à l'élection. Qu'est-ce qu'une
annulation ? C'est la déclaration que le résultat de l'élection n'établit pas
cette expression claire, manifeste , incontestable ; qu'il y a doute sur la
volonté de la majorité ; qu'il y a lieu de la consulter de nouveau, dans toute
sa liberté. Et l'on voudrait, quand la première opération est douteuse, fixer
des règles et des limites ; restreindre la volonté des électeurs, pour la
seconde ; en d'autres termes, parce que deux cents électeurs ont été induits en
erreur, en empêcher mille de dire la vérité ! Après tout, est-ce pour les
candidats que les élections sont faites, ou est-ce pour les électeurs? Si ces
candidats sont bons, étant tous mis sur la même ligne, ils auront tous les
mêmes chances de réussir. Mais si, par (page
325) une
opération erronée, il en était entré de mauvais dans le ballottage, voici,
d'après le système que nous combattons, ce qui pourrait arriver. On forcerait
parfois, cinq mois après l'élection irrégulière qu'on annule, la majorité des
électeurs d'opter entre deux candidats choisis par une infime minorité et qui,
dans l'intervalle, se seraient rendus tout à fait indignes de l'estime et de la
confiance publiques. Ce que M. Dolez résumait très bien ainsi : « Obliger les
électeurs de voter pour deux indignes et la représentation nationale d'ouvrir son
sein à un indigne. » Il n'est pas, il ne peut pas être vrai que la lettre,
moins encore l'esprit de la
Constitution et de la loi électorale, nous forcent à de
telles énormités. Et cependant une majorité de 33 voix contre 24 et 3
abstentions régla le mode de l'élection nouvelle, en disant que le ballottage
aurait lieu entre Monsieur un tel et Monsieur un tel. Les trois membres
motivèrent ainsi leur abstention : « Que suivant eux, l'annulation étant faite,
la Chambre
avait épuisé sa compétence » : raison plus que suffisante pour se joindre
à la minorité.
C'est
ainsi que M. de Decker arriva à la Chambre. Certes, son talent et son caractère
devaient faire saluer son avènement à la vie politique par tous ceux qui
désirent un Parlement fort et honnête. Mais l'élu allait y occuper une trop
belle place, pour entrer ainsi par la petite porte (Note
de bas de page : Ceci était écrit quand M. de Decker n'était que simple
représentant. Nous n'avons pas pensé devoir y rien changer depuis qu'il est
devenu ministre. Nous faisons cette observation parce que, croyant n'avoir pas
été trop ministériel comme député, nous serions fâché de paraître le devenir
comme écrivain.)
3. Les fonctionnaires candidats aux élections
Le ministère, en échappant à
la discussion de l'adresse, n'évita pas pour cela le débat politique, qui vint
à l'occasion du budget des voies et moyens. Sa conduite pendant les élections
en fit les frais. Les pouvoirs ébranlés cherchent dans les expédients ce qui
leur manque en force et en appui : le cabinet (page 326) mutilé n'échappa pas à cette loi.
Quoique réduit et peut-être parce que réduit à trois membres, il exerça sur les
élections une pression peu usitée jusque-là. La volonté de fer de M. Nothomb
semblait l'animer de son souffle et lui imprimer sa roideur. Tous ceux qui
avaient été contraires à sa politique, tous ceux qui semblaient pouvoir le
devenir, le trouvèrent pour adversaire sur le terrain électoral. Cette
intervention gouvernementale est peu déguisée, dans un long rapport de M. de
Theux, précédant l'arrêté de destitution du gouverneur du Brabant (Moniteur
de 1839, n°169). M. le baron de Stassart fut mis à
la pension, après avoir reçu le rare honneur d'une triple élection, par
Bruxelles, Nivelles et Namur. On eût pu aussi lui frapper une médaille avec
cette inscription : « Le pouvoir le proscrit, le peuple le couronne. » (Note
de bas de page : On sait qu'en 1828 ou 1829, MM. le comte Vilain XIIII et de
Muelenaere ayant été élus à la seconde Chambre, malgré les manœuvres
gouvernementales, on fit frapper, en leur honneur, une médaille portant d'un
côté leur portrait, et de l'autre, ces mots : « Le pouvoir les proscrit,
le peuple les couronne ! » Depuis, M. de Muelenaere adhéra au message du 11
décembre et resta le candidat favori du clergé : M. Vilain XIIII demeura
constant dans ses opinions et fut éliminé du Sénat, par l'influence du clergé). M. Cools fut obligé de donner sa démission de commissaire
d'arrondissement, parce qu'il se mettait sur les rangs à Saint-Nicolas. M. de
Lehaye, procureur du roi à Gand, qui avait soutenu la réforme électorale au
conseil provincial, fut destitué par M. Nothomb, parce qu'il ne voulait pas
abandonner sa candidature. Ces trois actes furent vivement blâmés : le dernier
donna lieu à des explications personnelles très vives (Moniteur de
1839, n°341). Le ministère fit tête à l'attaque ; mais ces
incidents l'usèrent encore plus, car l'opinion publique s'en émut beaucoup.
4. Les budgets de 1840
Le terme des modifications,
introduites au régime des céréales de 1834 par la loi du 5 janvier 1839, étant
expiré, on (page 327)
porta de nouveau la main à la législation sur la matière. Cette fois, on
prohiba à la sortie les grains et farines de seigle et de froment, les pommes
de terre et leurs farines ; mais rien n'était changé au régime des droits
d'entrée. C'était un nouvel essai dans la voie des lois temporaires et
d'exception. De plus, on vota, quelque temps après, la libre entrée de l'orge (Loi
du 25 novembre 1839, qui prohibe à la sortie les grains et les pommes de
terre ; loi du 26 décembre 1839
pour la libre entrée de l'orge).
La discussion des budgets
refléta bien l'état des esprits ; il était facile d'y voir le germe
d'une opposition redoutable. Les propositions du ministère étaient moins bien
soutenues par ses amis ; les réductions plus nombreuses, les attaques plus
acerbes.
Au budget des Affaires
étrangères, M. de Theux proposa la disjonction des deux portefeuilles, à
laquelle il avait fait obstacle lui-même autrefois, et qu'aujourd'hui
l'opposition combattait à son tour, moins à cause de la création d'un sixième
département ministériel, qu'à cause de la manière dont cette proposition était
faite. A ce propos, on souleva la question, assez oiseuse, suivant nous, de
savoir, si le Roi, créant un nouveau ministère, doit faire la nomination avant
que la Chambre
ait voté les fonds, ou après. Il va de soi, que le chef de l'État, aux termes
de l'art. 60 de la
Constitution, « nomme et révoque ses ministres, » comme
il est vrai aussi qu'aux termes de l'art. 115, « chaque année, les Chambres
arrêtent la loi des comptes et votent le budget. » Que résulte-t-il de
là? Que si le Roi avait nommé un ou plusieurs ministres, les Chambres peuvent
refuser les fonds pour leur traitement : que si, d'un autre côté, les Chambres
avaient refusé les fonds, le Roi peut maintenir un ministre ancien et en nommer
de nouveaux, sans traitement et que, en agissant ainsi, chaque pouvoir
reste dans son droit. Mais quelle peut (page
328) être l'utilité pratique d'un tel débat? En demandant
les fonds nécessaires pour la création d'un sixième département ministériel,
avant la nomination du titulaire, le cabinet rendait hommage à la prérogative
parlementaire, sans pour cela, amoindrir le pouvoir royal. Car, encore une fois,
si le ministre nommé ne convenait pas à la Chambre, la majorité pouvait émettre à son égard
un vote de non-confiance, ou refuser le prochain budget de son département.
Quand on a en main de si puissantes armes constitutionnelles, à quoi sert de se
livrer à des discussions théoriques, stériles et sans issue?
Dans la discussion de ce même
budget, M. Dumortier dit, à propos du chiffre demandé pour notre légation à
Rome : « Mais il est des missions qui pourraient être simplifiées ; je
demanderai, par exemple, quel besoin nous avons d'un ministre plénipotentiaire
à la cour de Rome? La Constitution
a séparé le pouvoir civil du pouvoir spirituel ; le Gouvernement ne peut
intervenir en rien dans la nomination des évêques. Je pense donc qu’il y
aurait des économies à faire sur cette légation. Je ne veux pas faire une
motion de rappel ; mais je crois qu'un ministre plénipotentiaire à Rome est
tout à fait inutile et que, pour l'avenir, le Gouvernement fera bien de se
borner à y envoyer un simple chargé d'affaires. » (Moniteur de
1839, n°352) Nous avons eu, plus haut, l'occasion de
signaler cette position de la
Belgique à l'égard du Saint-Siège (Voir. T. I,
liv. I, p. 51).
5. Le canal de l’Espierres et le sable de mer
La discussion du budget des travaux
publics, interrompue par les vacances de la nouvelle année, fut reprise dès la
rentrée. La concession du canal de l’Espierres en fut le point saillant.
Ce projet était, sinon en apparence, du moins en réalité, présenté en
concurrence avec celui du canal de Bossuyt
à Courtrai. Jamais peut-être exécution de voies navigables ne fut
aussi ardemment poursuivie par les intérêts privés et publics, (page 329) plus
vivement discutée dans les Chambres, plus largement instruite et plus fortement
soutenue par le ministère. M. Nothomb prouva, dans cette circonstance, qu'il ne
craignait pas une lutte passionnée, parce qu'il se sentait assez fort pour la
soutenir. Le canal de l'Espierres, qu'il fit réussir, n'a pas eu, après
l'exécution, l'importance que des intérêts étrangers, aidés par la diplomatie,
avaient su lui prêter, en ce moment. Les adversaires avaient dit que ce serait
un canal impasse. Voilà près de quinze ans qu'il est construit et il n'a
pas pu toucher Roubaix, lieu de sa destination, ni se joindre au canal de ce
nom ; il n'atteindra peut-être jamais ce but. Le Hainaut n'y aura donc pas
trouvé tous les avantages qu'il en espérait ; les Flandres n'en auront pas
souffert tous les dommages qu'elles en redoutaient. Il n'en est pas moins vrai
que si, au lieu de ce canal incomplet, M. Nothomb avait fait triompher et
exécuter le canal de Bossuyt, il
eut rendu à la province qui produit la houille et aux provinces qui la
consomment un bien plus grand service, que par l'exécution d'une voie navigable
qui n'a d'utilité considérable que pour une ville étrangère, Roubaix. La
jonction de l'Escaut à la Lys,
à Courtrai, est une entreprise, satisfaisant de nombreux intérêts nationaux et
dont l'utilité n'a pu être détruite par la construction de nombreux chemins de
fer sur ce point. Dans des positions diverses, nous avons travaillé, bien des
années, à sa réalisation (Note de bas de page : Nous
avons. en 1838, écrit quelques pages pour appuyer le projet du canal de Bossuyt
: cet opuscule porte le titre de : Observations sur le projet du canal de
jonction de l'Escaut a la Lys), et nous faisons ici des vœux
ardents pour qu'un jour elle s'exécute. M. Dumortier avait demandé que l'on
soumit aux Chambres la convention relative à la concession du canal de
l'Espierres ; cette proposition fut écartée par la question préalable, qui fut
adoptée par 44 voix contre 27 (Voir pour l'affaire des canaux du l’Espierres et de Bossuyt, Moniteur de 1839, n°360,
362, 364, et de 1840, n°16 à 18).
(page 330) Au même budget, on souleva la question du sable de mer
et autre sable à fournir pour le chemin de fer et dont le prix avait été
fixé, au cahier des charges, à un taux exorbitant. On allégua, à la tribune,
que des sables, adjugés publiquement à 10 et 12 francs, avaient été fournis, en
sous-œuvre, à 3 et 4 francs. Le ministre démontra sa bonne foi : mais il ne put
empêcher que le public ne fût convaincu qu'il y avait là des abus manifestes et
coupables de l'administration. C'était comme le prélude aux scandaleuses
révélations, mises au jour par l'enquête sur l'écroulement du trop fameux
tunnel de Cumptich (Note de bas de page : Cette question du
sable de mer revint à propos d'une pétition du sieur Tack. Moniteur de 1840,
n°150 et 151. Voir, condamnation du sieur Tack par la cour d'assises du
Brabant, Moniteur de 1840,
n°332-335. La condamnation portait sur des allégations relatives aux locomotives
et non au sable.)
6. Intervention du gouvernement et du clergé dans les élections
Ce fut surtout sur le budget
de l'intérieur que se portèrent la discussion politique et les efforts de
l'opposition. Il ne fut adopté qu'après dix jours de lutte ardente (Moniteur
de 1840, n°24 à 46). A l'occasion de ce budget et de
l'admission d'un nouveau membre, on posa deux questions, aussi importantes en
elles-mêmes que délicates à résoudre : ce sont celles de l'intervention du
Gouvernement et du clergé dans les élections.
Pour la première question, il
s'agit encore une fois, des destitutions opérées sur certains candidats
fonctionnaires, de la candidature d'autres fonctionnaires tolérée et protégée
par le Gouvernement ; de l'action directe et avouée du pouvoir, par ses agents,
dans la lutte électorale. Les destitutions faites et les candidatures
favorisées furent assez faiblement défendues par les ministres. Mais le droit
et la convenance, pour l'autorité administrative, de se déployer sur le terrain
électoral trouvèrent, dans M. Nothomb, un partisan hardi, nous (page 331) pourrions dire téméraire. Ses
principes, sur ce point, - conformes, suivant lui, aux nécessités d'un pouvoir
fort ; mais, à notre sens, antipathiques aux mœurs d'un peuple impatient du
despotisme - furent si peu voilés, qu'on reprocha à l'habile ministre d'avoir
atténué, dans le Moniteur, la crudité de ses déclarations formulées à la
tribune. Tout adoucies qu'elles soient, on est effrayé encore, en les lisant,
non pour ceux contre qui elles sont faites, mais pour ceux qui osèrent les
formuler. Les élections de 1847 ont prouvé que, quelle que soit la violence de
l'action administrative et quels que soient ses auxiliaires, la volonté
populaire est plus puissante encore, quand elle a des motifs sérieux pour agir
fortement.
Mais
laissons là les faits et voyons les principes. Voici ce que dit un savant
publiciste sur l'intervention de l'administration, dans les élections :
« L'on a dit en faveur de
l'administration : Vous ne pourriez pas l'exclure de la lutte, sans être
inconséquents avec vous-mêmes ; votre théorie devient la sienne ; les règles
que vous donnez à l'élection sont le titre avec lequel elle agit ; elle est un
parti, selon la définition que vous donnez à ce mot, attendu qu'elle a son mode
particulier d'envisager l'intérêt général ; elle n'est pas une faction , parce
que l'Etat la reconnaît et la constitue. Si elle est dans la situation d'un
justiciable en présence de son juge, vous devez l'écouter ; voudriez-vous la
juger sans l'entendre? En face d'un adversaire actif et passionné, seule
n'aurait-elle pas la faculté de parler et de se mouvoir? La défense n'est-elle
pas permise à tous ? »
« L'on répond : Si
l'administration ne demandait qu'à être écoutée, il n'y aurait pas de question,
nul ne lui refuse les moyens de prosélytisme constitutionnel. Mais c'est un
justiciable qui ne se contente pas de défendre sa cause, mais qui choisit son
juge et qui domine après l'avoir choisi ; elle se présente comme un parti et
agit comme une puissance ; (page 332)
son intervention détruit l'égalité des positions et en conséquence le débat.
Elle peut trop, ou bien il faut qu'elle ne puisse rien.
« (…) Elle dit à l'oreille de chaque électeur : Concède-moi ton droit et
j'aurai soin de ton intérêt
« (…) Il est évident que, sous
notre régime, l'administration n'a d'existence que comme pouvoir ; cela est
démontré par son origine, par sa fonction, par son but. Ceci posé, nous nous
étonnons que ce même régime fasse d'un pouvoir constitutionnel un parti ; un
parti ne se constitue pas en vertu d'une loi ; il se forme dans le monde, il se
forme seul, et d'après le mouvement spontané des esprits ; si la spontanéité
lui est enlevée, il périt. »
Ces principes si vrais
trouvent, en Belgique, une objection dans cette circonstance que
l'administration, comme pouvoir temporel, doit parfois se défendre contre le
clergé, pouvoir spirituel, dont l'intervention, plus irrégulière encore dans
les élections, provoque l'intervention irrégulière du Gouvernement. Ceci nous
ramène à la seconde question qui fut traitée dans ces débats (Moniteur
de 1840, n°52-53).
M. Delfosse venait d'être nommé
représentant par le district de Liège, malgré d'incroyables efforts du clergé,
lancé dans l'arène par une circulaire émanant de l'évêché. Dans cette sorte
d'ordre du jour, signé Beckers, secrétaire de M. Van Bommel, se trouvaient les
phrases suivantes : « Monsieur le curé, j'ai l'honneur de vous informer
que... M. Hanquet... a été choisi comme candidat à la Chambre des Représentants,
et cela en opposition à M. Delfosse. Veuillez faire tous vos efforts,
afin de le faire porter par tous les électeurs ci-après désignés... Il
est inutile de vous faire remarquer que cette affaire est pour les catholiques
une affaire (page 333) d'honneur et d'un intérêt immense ; aussi
je vous prie de ne rien négliger pour faire triompher notre juste
cause, qui doit être celle de tous les hommes de bien. » M.
l'abbé de Foere vint prétendre, le catéchisme à la main, que curés et fidèles
pouvaient consciencieusement désobéir à un tel ordre. M. Delfosse cita le
fait d'un curé, qui l'avait félicité par lettre sur son élection, mais se
croyant si peu libre qu'il n'avait pas osé signer : son nom se trouvait sur un
billet séparé, qu'il priait M. Delfosse de déchirer. Ce n'était là qu'une
intervention timide du clergé ; nous la retrouverons ouverte et s'appuyant sur
les plus saintes pratiques du culte, dans des débats où la religion n'avait
aucun danger à courir et dans lesquels l'autorité ecclésiastique n'intervenait
que pour satisfaire sa soif de domination. Il va sans dire, qu'ici déjà il fut
question de sociétés secrètes, etc. M. Delfosse, et bien d'autres comme lui,
n'étaient pas maçons ; et cependant étaient désignés comme tels (Note
de bas de page : MM. Delfosse, Tesch, Orts, Loos et d'autres membres de la
gauche ne sont pas et n'ont jamais été maçons. Nous pourrions citer un grand
nombre de membres de la droite qui font, ou ont fait partie des loges
maçonniques). Et voilà que ce candidat,
que les hommes de bien devaient combattre, comme catholiques, pour
sauvegarder un immense intérêt, devient un des députés les plus éminents
du Parlement, est porté au fauteuil d'une de nos assemblées législatives, se
montre le plus ferme et le plus intrépide soutien de la royauté, en face des
terribles événements de 1848, qui firent courber tant de têtes et se fermer
tant de bouches ! Nous sommes indigné et triste, tout à la fois, en présence de
ces incidents, que nos études nous remettent sous les yeux et nous font un
devoir de signaler.
Nous ne pouvons le déclarer ni
assez souvent ni assez haut, nous croyons que les membres du clergé électeurs
doivent, comme citoyens, prendre part
aux élections : mais nous pensons que le clergé, comme corps et comme
autorité spirituelle, (page 334) doit s'abstenir
de toute immixtion dans les affaires civiles. La religion n'a rien à gagner à
se mettre ou au service ou en travers de l'autorité temporelle.
Ouvrons
l'histoire, et nous trouvons que, à toutes les époques, sous tous les régimes,
dans tous les pays, les intérêts religieux ont été sacrifiés aux intérêts
politiques. - Jules II et Alexandre VI mettent Rome en péril, parce qu'ils sont
les plus politiques des papes. - Sous Charles I", le cardinal de Richelieu
soutient les covenentaires d'Ecosse, les protestants les plus exaltés
qui aient jamais existé. - Cromwell, ardent dans sa foi, mais plus ardent
encore dans sa politique, repousse la demande de secours du prince de Condé et
des protestants de France, ses frères en religion ; et il traite avec le
cardinal Mazarin, leur persécuteur. - La catholique Espagne se ligue avec
Rohan, le chef des huguenots. - La protestante Angleterre s'allie avec les
mécontents catholiques des provinces belgiques contre l'Espagne (Voir
MATTER, Histoire des doctrines, passim). Partout les besoins et les sentiments religieux doivent céder le pas
aux nécessités ou aux convenances politiques. Après de telles leçons, toute
religion devrait se réfugier dans sa foi et dans ses temples, pour ne pas
s'exposer à rencontrer de tels mécomptes, nous pourrions dire de telles
insultes.
7. Le petit séminaire de Saint-Trond
Ces vifs débats n'empêchèrent
pas les Chambres de s'occuper des besoins matériels du pays. Pour continuer
l'œuvre des routes pavées et du chemin de fer, il fut ouvert au Gouvernement un
crédit de 12,000,000 de francs, au moyen d'une émission de bons du Trésor (Note
de bas de page : Loi du 28 décembre 1839. Voir Moniteur ; n°354, la
discussion théorique qui eut lieu, à ce propos, sur la nature et le mode
d'émission de la dette flottante).
Quand le pouvoir temporel
appelle à son secours le pouvoir spirituel, il s'oblige, envers celui-ci, à lui
payer ses services, (page 335) non seulement par des sympathies morales pour des principes ,
mais encore par la satisfaction matérielle de certaines exigences. M. de Theux
avait déjà subi cette nécessité et soldé cette dette, en présentant un crédit
pour l'augmentation du traitement et les frais d'installation du
cardinal-archevêque de Malines : il fallut s'acquitter de même envers l'évêque
de Liège, en proposant la première partie d'un crédit global de 300,000 francs,
pour le transfert du petit séminaire de Rolduc à Saint-Trond. - Ce projet, qui
avait donné lieu aux vifs débats que nous venons de mentionner, avait été
détaché du budget de l'Intérieur. Il s'agissait, prétendait-on, d'indemniser un
établissement ecclésiastique situé dans la partie cédée du Limbourg.
Ce fut en vain qu'on objecta
que c'était engager d'avance la question si difficile des indemnités, et qu'on
fit voir que des personnes ou des institutions, plus fortement lésées et moins riches,
attendaient une réparation. M. de Theux eut l'adresse de consentir à insérer au
libellé, ces mots : sans rien préjuger pour l'avenir. C'était un pont
ouvert aux timides et sur lequel les intéressés pouvaient passer encore. Les
100,000 francs furent votés par 45 voix contre 12 (Note de bas
de page : Moniteur de 1840
n° 51 à 53. L'allocation
fut votée, au Sénat, par 23 voix contre 2 et 1 abstention, après l'avènement du
ministère du 18 avril 1840, qui n'y fit pas d'opposition, Moniteur de 1840, n° 118 à 121).
8. Les enquêtes linières et commerciales
A tous ces signes d'opposition
vinrent s'en joindre d'autres. Dans les gouvernements constitutionnels, la
formation de commissions d'enquête est souvent une manifestation de blâme ou de
défiance contre le pouvoir. Celui-ci prend, parfois, cette mesure d'information
pour qu'on ne la lui impose pas : souvent, on la lui fait subir, sans qu'il le
veuille. Les intéressés de l'industrie linière, pressés par la crise
commerciale et plus encore, à leur insu, par le besoin d'une (page 336) transformation
inévitable, avaient adressé de nombreuses plaintes à la Chambre. Ils étaient
encouragés dans leurs démarches et dans leurs prétentions par une vaste
association dite pour le progrès de l'industrie linière, et dont M.
Eugène Desmet, adversaire de la nouvelle industrie, était membre. Sous le poids
des observations que ces réclamations soulevaient à la Chambre, sous l'impression
peut-être aussi des troubles qui avaient éclaté, à Gand, au mois de septembre
précédent (Voir
Moniteur de 1840, n°105
à 115. cour d'assises du Brabant, affaire des troubles de Gand), M. de Theux avait nommé, par arrêté royal du 25 février 1840, une
commission d'enquête ' « à l'effet de constater la situation linière en
Belgique et de rechercher les moyens d'encouragement et de protection
qu'il pourrait être utile d'employer dans l'intérêt de cette industrie. » (Note de bas de page : Cette commission était
composée de MM. comte d'Hane de Potter, sénateur ; Cools, représentant
; E. Desmet, représentant ; Rey aîné, membre de l'association
pour le progrès de l'industrie linière ; Constantini, secrétaire de la
caisse des propriétaires et M. Briavoinne, secrétaire. Voir les
résultats des recherches de la commission, dans le remarquable travail de M.
Briavoinne, ayant pour titre : Enquête sur l'industrie linière. Bruxelles,
1841 ; 2 vol. gr. in-4°. Cette enquête a été surtout utile aux Anglais, qui y
ont vu le fort et le faible de notre industrie linière et qui y ont trouvé une
mine féconde de moyens pratiques pour perfectionner leur culture de lin,
surtout en Irlande). Il n'y était pas dit un mot de progrès
et de perfectionnement ; et cependant M. Biolley, cette grande
autorité industrielle, avait clairement indiqué que c'était là que gisait le remède,
et qu'il fallait, pour le lin, comme on l'avait fait pour la laine, arriver à
une transformation. Il préconisa le progrès et prédit tout ce qui est
arrivé depuis. A moins d'être aveugle, il était impossible de ne pas voir la
situation véritable, après cette lucide démonstration (Voir, Moniteur de 1840, n°47 (3e
supplément), le solide discours et la lettre si vraie de M Biolley sur
l'industrie linière. — Moniteur de
1840, n°116, discours, au Sénat de M. Bonné-Maes, répondant à l'opinion émise
par le sénateur de Verviers et étalant, dans toute leur naïveté , les illusions
des partisans de la vieille méthode). Mais, à cette époque, beaucoup
de monde (page 337) était frappé de
cécité temporaire, ou atteint de myopie permanente.
Tenace dans ses résolutions,
et enhardi par ce précédent, M. de Foere, qui depuis longtemps poursuivait une
réforme de notre régime commercial, insista et parvint à faire admettre la
nomination, par la Chambre,
d'une commission d'enquête commerciale parlementaire. Introduite le 19 février
1840, sa demande n'aboutit, après bien des incidents, que le 26 mai suivant.
MM. de Theux et Nothomb n'avaient pas pu écarter cette proposition ; MM. Liedts
et Mercier durent la subir. L'arbre porte les fruits de sa greffe ; nous en
verrons sortir le système des droits différentiels.
9. Réintégration du général Vandersmissen dans l’armée
La discussion du budget de la Guerre s'ouvrit le 12 mars
1840 : le Ministère y avait creusé de ses mains sa propre tombe. Par arrêt du
29 novembre 1831, la haute Cour militaire, siégeant à Bruxelles, avait
condamné, par contumace, le général Vandersmissen, ex-commandant militaire de
la province d'Anvers, à la déchéance du rang militaire et au bannissement,
pour avoir participé à un complot, tendant à renverser le Gouvernement établi
et à faire monter le prince d'Orange sur le trône. Par arrêté royal du 15
juillet 1839, pris sur l'avis du conseil des Ministres, M. Willmar,
Ministre de la Guerre,
avait rétabli le général Vandersmissen sur les contrôles de l'armée, dans la
position et avec le traitement de non-activité, sans qu'un nouveau jugement fût
intervenu. La majorité de la section centrale avait, par l'organe de M.
Brabant, toujours ferme et courageux, déclaré : « qu'elle a vu avec regret la
conduite du Gouvernement, dans la (page
338) réintégration du sieur Vandersmissen dans l'armée » (Voir,
Moniteur de 1840, n°67, Rapport de M. Brabant ; n°73 à 75
discussions et vote). Le terrain de la discussion était trop
nettement indiqué, pour que le Ministère pût l'éviter ; il s'y plaça dès
l'abord. Tous les ministres justifièrent leur acte par des subtilités de
légistes ; ils défendirent leur cause avec l'habileté de grands et d'adroits
avocats : MM. Dumortier, Lebeau, Devaux, H. de Brouckere, Dolez, d'Huart
attaquèrent la mesure avec l'énergie de leur patriotisme indigné et de leurs
sentiments de délicatesse profondément blessés. Le cabinet rencontra peu de
défenseurs avoués et ostensibles. M. Metz voulut faire tourner la mesure au
profit des parties cédées : son discours était moins une justification des
ministres qu'un appel à une large amnistie. M. Félix de Mérode avait ainsi
terminé un premier discours : « Il m'importe assez peu que, dans cette
circonstance, le Ministère fasse ou ne fasse pas une question de cabinet de la
question qui nous occupe. Pour moi, je ne veux assumer aucune responsabilité,
en contribuant, par mon vote, à remettre un traître dans les rangs de
l'armée ; je ne veux pas me rendre complice du Ministère. Tout ce que l'on
peut dire, en pareil cas, c'est : Fais ce que dois, adviendra que pourra. »
Et cependant, M. de Mérode, par crainte de voir tomber ses amis, replaça le
traître dans les rangs de l'armée, se rendit le complice du Ministère et oublia
le vieux dicton.
M. Dumortier avait fait une
proposition impliquant un blâme ; puis, il reprit une proposition, indiquée par
M. d'Huart et ainsi conçue : « La
Chambre décide que le montant du traitement de non-activité,
alloué par le projet de budget au sieur Vandersmissen, sera retranché de
l'imputation, dans laquelle ce traitement est compris. » (Note
de bas de page : Un arrêté du 22 avril 1840 révoque l'arrêté du 15 juillet
1839 : le général Vandersmissen cesse donc de faire partie de l'armée. Voir sa
lettre à la Chambre,
dans l'Indépendant du 27 avril 1840, n°118).
Elle fut admise
(page 339) par 42 membres et
repoussée par 38 : il y eut 6 abstentions. Parmi ces dernières, celle de M.
Meeus portait dans ses motifs : « Il m'était impossible, d'après les
principes de la morale publique, de sanctionner la mise en non-activité du
général Vandersmissen. » En ce cas, pourquoi ne pas voter contre? On ne
transige pas sur des principes de moralité.
10. Chute du ministère de Theux-Nothomb
Dans la séance du 16 mars, le
Ministre de la Guerre
fit cette déclaration : « Dans la position que le ministère a prise, après le
vote que la Chambre
a émis dans la séance d'hier, vous comprendrez qu'il ne lui est pas possible de
participer à la discussion du budget de la guerre. » La Chambre accorda un nouveau
crédit provisoire et, vu la démission du ministère, elle s'ajourna. Convoquée,
d'une manière assez irrégulière, le 2 avril, elle entendit des explications sur
la crise (Moniteur de 1840, n°94), qui avait été longue, compliquée et sans
résultats. Seize membres, qui n'étaient pas les plus considérables de
l'assemblée, firent une proposition de loi ainsi conçue :
« Art. 1er. Le Roi pourra,
pendant la présente année, mettre à la pension de retraite, les officiers
placés en non-activité pour cause indéterminée, depuis la ratification du
traité du 19 avril 1839, sans que ces officiers réunissent les conditions
exigées par la loi du 24 mai 1838. »
« Art. 2. Les officiers,
pensionnés en exécution de la présente loi, ne pourront porter l'uniforme qu'en
vertu de l'autorisation spéciale du Ministre de la Guerre. »
M. de Theux, dans les
explications qu'il donna sur la crise, se prononça ainsi sur cette maladroite
tentative de bill d'indemnité : « Il est à remarquer que le vote du 14 mars est
incomplet... L'initiative prise, en ce moment, par plusieurs députés a
pour objet de fixer les conséquences de ce vote. (page 340)
Déterminées comme elles le sont dans le projet de loi, le ministère peut les
accepter...» La proposition fut développée, mais elle n'eut pas les honneurs
d'une discussion : la Chambre
ne tint plus que quelques séances, pour s'occuper de la nomination des membres
du jury d'examen et de naturalisations. Elle s'ajourna ensuite, montrant par
son indifférence combien elle s'intéressait peu au maintien du cabinet. Ainsi
échoua misérablement cette humble manœuvre ministérielle. La démission du
ministère fut acceptée le 18 avril 1840. M. Nothomb avait pris les devants, en se
faisant nommer, dès le 5 avril et avant d'avoir reçu sa démission de ministre,
envoyé extraordinaire près la
Confédération germanique.
La
chute du ministère du 4 août 1834 avait trois grandes causes ;- sa durée : il
est difficile de rester six ans au pouvoir, sans froisser bien des intérêts,
des amours-propres et des ambitions ; dans de pareilles circonstances, tous ces
adversaires n'attendent qu'une occasion favorable pour se coaliser et
satisfaire leurs rancunes et leurs vues avouées ou secrètes ; - l'objet du
conflit : ses succès antérieurs avaient enhardi le cabinet au point de ne plus
lui faire tenir compte de la juste susceptibilité de la Chambre et de vouloir
qu'elle approuvât un acte, qui pouvait amoindrir la discipline de l'armée et
qui blessait profondément le sentiment de la dignité nationale ; - enfin, la
gravité d'un de ses actes antérieurs : il est dans la nature des Gouvernements
représentatifs qu'on attribue à la faiblesse de ceux qui dirigent les affaires
les sacrifices les plus nécessaires et les plus inévitables. Or, la conclusion
du traité définitif de paix avait fortement aigri l'opinion des masses contre
le ministère. Quand on se croit mal régi, on veut changer de maîtres.
Au lieu de juger froidement
cette position et de l'accepter avec noblesse, ce cabinet eut le tort de croire
qu'il pouvait se rasseoir au pouvoir, après ce premier échec. Double erreur :
car, d'abord, dans le régime parlementaire, on ne prolonge (page 341) pas à volonté son existence
ministérielle, comme l'ont fait, dans les Gouvernements absolus, les Metternich
et les Nesselrode, fût-on même de leur taille : ensuite, après la condamnation
de la Chambre,
il n'y avait pas de dignité à garder les portefeuilles, à condition d'être
graciés ; car la grâce absout de la peine, mais elle n'efface pas la faute.
Malgré ces critiques, nous
croyons que le ministère du 4 août 1834, marquera dans nos annales
parlementaires. Fortement constitué dans le principe, il fut souvent modifié,
et M. de Theux, seul des membres primitifs, en fit partie depuis son origine
jusqu'à sa chute. Il en était devenu le chef, au bout de quelque temps ; il y
avait tenu à la fois deux portefeuilles importants et avait eu l'habileté de
réparer la perte de quelques collègues, en recrutant des auxiliaires presque
tous très capables. Ce cabinet a surmonté de grandes difficultés, et fait des
choses considérables : il a présidé à l'organisation communale et provinciale ;
à la conclusion du traité définitif avec la Hollande ; faisant cesser ainsi, l'un après
l'autre, le provisoire au dedans et le provisoire au dehors. Certes, M. de
Theux céda, parfois et à la fin surtout, à des exigences exagérées de ses amis
: mais il administra avec sagesse et prudence et se défendit toujours avec
modération. Qu'il fût un homme de parti, chacun et lui-même doivent en convenir,
ce qui ne l'empêcha pas de se conduire au pouvoir, comme depuis, dans
l'opposition, en véritable homme d'État.
11. Le quatrième ministère (18 avril 1840) et les premières résistances
Le quatrième ministère fut formé
le 18 avril 1840 ; il se composait ainsi : MM. Lebeau, aux Affaires étrangères
; Leclercq, à la Justice
; Liedts, à l'Intérieur ; Rogier, aux Travaux publies ; le général Buzen, à la Guerre ; Mercier, aux
Finances. Il était donc divisé en six Départements. A la dernière période du
ministère précédent, on avait bouleversé les attributions, fixées jusque-là
d'une manière convenable. La réunion de deux portefeuilles en une seule mam
était la cause de cette perturbation. On remit la plupart de ces attributions (page 342) à leur place naturelle.
Néanmoins, cette fois encore, on consulta quelque peu les convenances
personnelles et on attacha aux Travaux publics les lettres, les sciences, les
beaux-arts et l'instruction publique qui appartenaient et devaient appartenir -
l'instruction surtout - à l'Intérieur (Voir
les trois arrêtés du 18 avril 1840, réglant les attributions nouvelles des
divers Départements).
Ce cabinet nouveau se
présentait avec des apparences de stabilité et de durée ; d'abord, à cause des
précédents de ses principaux membres, dont quatre avaient fait partie du
Congrès ; ensuite, à cause de la capacité reconnue de chacun d'eux. Il avait,
d'ailleurs, l'avantage d'être entièrement parlementaire, M. Leclercq ayant été
élu représentant par Bruxelles ; M. le général Buzen par Louvain. Mais, dans le
monde politique, comme dans la vie ordinaire, pour réussir, être capable ne
suffit pas, il faut encore être appuyé. Devant des assemblées nombreuses,
l'autorité peut se gagner par l'empire du talent et de la probité politique ;
toutefois, si la sympathie ne vient pas s'y joindre, cette autorité est fragile
et précaire. Or, dès le principe, les ministres purent voir les répugnances et
les craintes que leur avènement avait soulevées.
La Chambre se réunit, de nouveau, le 22 avril. M. Liedts, Ministre de l'Intérieur,
donna immédiatement lecture du programme du cabinet ; la forme en était
modérée. Le ministère promettait d'accélérer l'examen des projets
d'organisation de l'enseignement primaire et moyen ; de présenter une loi
d'indemnité pour les pertes subies par suite de la révolution ; d'élargir et
d'étendre les débouchés commerciaux. La première affaire qu'il eut à soutenir
fut un acte émanant de ses prédécesseurs, c'est-à-dire l'achat de quatre mille
actions du chemin de fer rhénan. Ce projet fut adopté à la presque unanimité
des deux Chambres (Loi du 1er mai 1840).
(page 343) La demande d'un troisième crédit pour le Département de la Guerre amena un débat
politique assez vif. M. Félix de Mérode avait déjà attaqué les gouverneurs
opposants, par la publication de plusieurs lettres (Note de bas de
page : Indépendant des
17 et 19 mars 1840, n° 77 et 79, Lettres, dans lesquelles M. de Mérode
blâme l'opposition des représentants fonctionnaires et tâche de concilier son
discours hostile et son vote favorable) ; il aborda, cette fois, les
ministres, à la tribune. Il reprochait à trois membres du cabinet (MM. Rogier,
Lebeau et Mercier) d'avoir renversé un ministère comme représentants, tout en
restant fonctionnaires. MM. Lebeau et Rogier n'avaient donné leur démission de
gouverneurs que le 5 avril, alors que la chute ministérielle était irrévocable
; M. Mercier n'avait pas même offert sa démission. Nous avons déjà dit qu'en
acceptant des positions de leurs adversaires politiques, les premiers se
trouvaient dans une situation louche et équivoque. M. Rogier répondit à M. de
Mérode, moins en justifiant sa conduite et celle de ses amis, qu'en récriminant
contre le noble ministre d'État qui, lui aussi, était resté membre du conseil
des ministres, tout en votant contre les projets, auxquels des membres du
cabinet attachaient leur existence. Nouvelle preuve de la difficulté de
concilier l'indépendance du député avec les devoirs de fonctionnaire amovible.
Le débat s'inspirait évidemment
du regret que causait à quelques membres la chute du ministère précédent. M.
Dumortier le constatait de la manière suivante : « Je neveux pas prolonger une
discussion que je ne puis m'expliquer, mais qui a eu un résultat, celui de
montrer le vif regret des ministres déchus d'avoir perdu leurs portefeuilles.
(Hilarité.) » M. de Theux ne voulut pas laisser cette attaque sans réponse ; il
disait : «Quant à l'opposition de M. Dumortier à l'ancien ministère, la cause
en est connue, il l'a souvent déclaré dans ses conversations particulières. Il
blâme les négociations (page 344)
de 1838. Sans doute, l'honorable membre a plus d'une fois exprimé le regret
de n'avoir pas pris part à ces négociations... mais j'avais la conviction,
comme elle est généralement partagée, que M. Dumortier n'aurait pu, dans les
circonstances données, rendre au pays les services qu'il croyait pouvoir lui
rendre. » (Moniteur de
1840, n°117, supplément). A vrai dire, avec sa parole vive, abondante, sincère,
qu'aurait fait M. Dumortier au milieu de diplomates, dont un des oracles a dit
: « La parole a été donnée à l'homme, pour déguiser sa pensée »?
Le
Gouvernement fit ce qu'auraient dû faire ses prédécesseurs : il proposa un
projet de loi qui « abolissait et interdisait toute poursuite pour délits
politiques, commis avant le 19 avril 1839. » C'était une mesure d'amnistie
générale, qui fut facilement admise (Loi du 27
juin 1840).
12. L’emprunt de 82 millions de francs et la navigation transatlantique
L'extension qu'avait prise la
construction du chemin de fer de l'État et des routes pavées, et le chiffre
trop élevé des bons du Trésor en circulation rendaient nécessaire la mesure
d'un emprunt. Le Gouvernement s'empressa de la proposer. L'opposition qu'elle
rencontra provint de plusieurs causes : les uns, peu nombreux heureusement,
voyaient avec déplaisir les dépenses destinées à étendre la voie ferrée ; les
autres craignaient qu'en mettant autant de fonds à la disposition du
Gouvernement, celui-ci n'en fût pas assez avare ; enfin, quelques-uns
critiquaient le mode de l'emprunt. Le projet fut admis au chiffre de 82,000,000
de francs (Loi du 26 juin 1840, adoptée, à la Chambre, par 63 voix
contre 12 ; au Sénat, par 26 voix contre 4, Moniteur de 1840, n°155 à 159,
160-161, 178, 180-181).
Le Gouvernement fut autorisé (Loi
du 29 juin 1840, Moniteur, n°154-156,173-176),
non sans opposition, à consacrer une somme, qui ne pourra excéder 400,000
francs en moyenne par an, pendant quatorze années, pour favoriser (page 345) l’établissement de bateaux à
vapeur entre la Belgique
et les Etats-Unis. Voilà l'origine de la British-Queen,
que nous ne serons pas sans rencontrer sur notre route.
13. Les lois secondaires
Les Chambres portèrent au Roi
leurs félicitations, à l'occasion de l'heureuse naissance d'une princesse (Note
de bas de page : La
Princesse Marie Charlotte Amélie Auguste Victoire Clémentine
Léopoldine est née, à Laeken, le 7 juin 1840).
L'industrie était encore
souffrante : plutôt, sans doute, comme machine de guerre que comme remède, M.
de Mérode avait déposé une proposition tendant à établir l'estampille pour
les étoffes étrangères. La session était trop avancée, pour que l'on pût
aborder cette discussion : c'était un grief mis en avant contre le cabinet (Moniteur
de 1840, n°171, développement et projet de loi pour l'estampille
nationale). A ce
signe et à bien d'autres, les ministres durent reconnaître, dès ce moment,
qu'une guerre sourde se préparait contre eux.
Dans cette session, troublée
et interrompue par la crise ministérielle, les Chambres avaient encore adopté,
outre les lois de prorogation, quelques lois d'une importance secondaire : -
celle pour la refonte des monnaies provinciales (Loi du 17
février 1840) - celle sur les droits d'entrée et
de sortie des bois étrangers (Loi du 30
avril 1840) ; - celle qui fixe le taux des pensions
militaires (Loi du 27 mai 1840) ; - celle du pénitencier de Saint-Hubert pour les jeunes délinquants (Loi du 8 juin 1840) ;
— celle, enfin, qui autorise l'acquisition de quelques propriétés pour agrandir
le domaine de Laeken (Loi du 30
juin 1840).
La Chambre avait aussi repris la discussion du projet des chemins vicinaux et,
après de très-longs débats, l'avait adopté. Le Sénat l'ayant amendé, cet
important projet ne put, encore une fois, être converti en loi. Il en fut de
même de la loi sur le
(page 346) duel, due à l'initiative
de M. le sénateur baron de Pélichy : elle fut amendée par la Chambre et dut retourner à
l'autre assemblée. Le projet de compétence civile fut profondément discuté,
puis adopté par la Chambre
: le Sénat ne put pas s'en occuper, avant la clôture de la session, qui eut
lieu le 26 juin 1840.
A peine la Chambre était-elle
ajournée, que le cabinet, par des arrêtés des 21 et 28 juin 1840 , conféra des
positions importantes à trois membres de cette assemblée. M. le général Willmar
était nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près la Cour de Berlin ; M. H. de
Brouckere était nommé gouverneur à Anvers ; M. le baron d'Huart, gouverneur à
Namur. Ce dernier était, en outre, promu au grade d'officier, dans l'Ordre de
Léopold.
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