Accueil
Séances
plénières
Tables
des matières
Biographies
Livres numérisés
Bibliographie
et liens
Note
d’intention
« Du gouvernement représentatif en
Belgique (1831-1848) », par E. VANDENPEEREBOOM
Bruxelles,
Librairie polytechnique d’Aug. Decq,
1856, 2 tomes
Chapitre précédent Chapitre suivant Retour à la table des matières
TOME 1
(page 135) Le cabinet du 24 juillet 1831 , nous l'avons vu, manquait d'homogénéité, et, en
outre, lié qu'il était par les engagements que
Nous citons cet incident, d'abord comme une exception à la
marche ordinaire des crises ministérielles, où l'un des ministres titulaires
sortants signe la nomination de l'un de ses successeurs ; mais plus encore,
comme une preuve du noble caractère de l'ancien membre du Gouvernement
provisoire. Pour qui l'a observé et suivi depuis les débuts de notre
révolution, M. le comte Félix de Mérode n'est pas un homme ordinaire. On se
souvient trop de certaines boutades, inspirées par une originalité spirituelle
et par une loyale franchise ; mais on oublie trop aussi un dévouement, toujours
au service du Roi et de la patrie, dans les circonstances les plus difficiles.
L'ancien ministère était dissous par suite du remplacement de
son chef, M. de Muelenaere. Pour les nouveaux ministres, la difficulté n'était
pas de faire le siège du pouvoir, car, cette fois, la place était évacuée et
les portes ouvertes ; le vide s'était opéré en dehors de l'action du Parlement.
Mais les circonstances étaient d'une gravité extrême. M. Goblet, entré en
fondions le 18 septembre, mit tout un mois à se trouver des collègues. Dans
l'intervalle, il n'avait pas négligé les questions diplomatiques. Le 20 octobre
1832, le deuxième ministère du roi fut formé; il se composait de la manière
suivante : Justice, M. Lebeau; Intérieur, M. Rogier; Affaires étrangères, (page 137) M. Goblet, ad interim,
remplacé le 27 décembre 1833 par M. le comte Félix de Mérode ad interim;
Guerre, M. le baron Évain; Finances, M. A. Duvivier,
ad interim (Voir
Moniteur de 1832, n°296, du 24 octobre, Circulaire du ministre
de l'intérieur aux gouverneurs de province , indiquant les vues et la marche du
cabinet).
Les Chambres se réunirent, à l'époque légale, le 13 novembre
1832. La nomination de plusieurs membres à des fonctions de l'ordre judiciaire
et quelques démissions avaient rendu nécessaire un assez grand nombre
d'élections. Dès la vérification des pouvoirs, deux questions se présentèrent.
Les membres seulement confirmés dans leurs fonctions judiciaires, les ministres
seulement intérimaires sont-ils sujets à
réélection? La première question fut résolue négativement, la seconde
affirmativement. M. Duvivier, Ministre des Finances, déclara qu'il se
soumettait à une élection nouvelle : quant à M. Goblet, on alla au vote : 47
voix contre 22 décidèrent qu'il devait recevoir un nouveau mandat. Par cette résolution , la Chambre se montra conséquente avec le vote
émis à l'égard de M. de Theux. Nous avons dit alors ce que nous pensions de cette question (Voir t. I, livre II, p. 113). Ces deux décisions n'ont
pu fixer la jurisprudence de
Le discours du Trône faisait part du mariage du Roi,
événement heureux pour la nation (Le mariage du Roi avait eu lieu le 9 août 1832, au château de
Compiègne. Louise-Marie-Thérèse-Caroline-Isabelle d'Orléans, fille aînée du Roi
Louis-Philippe , était née à Palerme, le 3 avril 1812,
pendant l'exil de son père. Tristes destinées ! Ce grand Roi, chassé par une
émeute, fuit une seconde fois, vers la terre étrangère. Et, peu de temps après,
notre bonne Reine, à la fleur de l'âge, meurt, à Ostende, elle-même exilée de
sa capitale par la maladie et la souffrance ! Voir, pour les détails du mariage , THONISSEN ,
encouragements. Jugée à la lumière du temps et des événements, cette opposition
ne peut s'appeler qu'injuste et violente. Après huit jours de débats, M. Dumont
présenta un amendement renfermant cette phrase : « Au milieu des circonstances
qui nous pressent et dans l'état incomplet des négociations qui nous sont
communiquées,
Usant de son droit d'initiative, M. Gendebien présenta un
projet de loi, ayant ce double but : Voter, au nom du peuple belge, des
remercîments à l'armée française; faire disparaître le Lion de Waterloo. Quel
accueil allait faire à cette proposition l'opposition qui repoussait, naguère,
avec tant d'indignation, l'intervention française? La première partie fut (page 140) admise, à l'unanimité des
voix par
détruire un monument, qui rappelait la terrible défaite de nos puissants
alliés? Non sans doute, car ce signe matériel enlevé, le souvenir de ce cruel
revers des armes ne s'effaçait ni dans l'histoire, ni dans la tradition. Qui
donc a oublié la bataille des Eperons? Et cependant, les Français ont arraché
des voûtes de l'église de Courtrai les éperons d'or, monument de la sanglante
déroute de la chevalerie française, sous les coups victorieux des nobles et des
bourgeois, nos glorieux ancêtres. Lors de l'occupation de Paris par les armes
alliées, on allait renverser la statue et peut-être la colonne même de la place
Vendôme, ainsi que le pont d'Iéna, sans l'intervention de l'empereur de Russie,
Alexandre. Ce monarque intelligent comprenait que de tels actes de vandalisme
n'opèrent ni la réhabilitation de ceux qui veulent se venger, ni
l'anéantissement des faits accomplis. Cette loi du 31 décembre 1832 fut
complétée par celle du 10 février 1833, décernant au nom du peuple belge une
épée d'honneur au maréchal comte Gérard, général en chef de l'armée du Nord.
Il faut placer ici, comme souvenir parlementaire, une
proposition de M. Jacques ayant pour but de diviser le royaume, non pas en neuf
provinces comme l'indique l'article premier de la Constitution, mais en
vingt-neuf subdivisions. provinciales, nombre égal à
celui des arrondissements judiciaires. Il y aurait eu des commissaires du Roi
au lieu de gouverneurs (M. Jacques était commissaire de district); trois
députés provinciaux, au lieu de six; des
intendants des finances; vingt-neuf petits conseils provinciaux de quinze à
vingt membres... L'honorable membre disait, dans ses développements, qu'il
avait eu en vue la réalisation de
notables économies, une grande (page 141)
simplification administrative : il espérait même que ces nouveaux centres
administratifs seraient comme des écoles normales pour former des candidats
ministres...
résolution suivante : «
Cette division de notre territoire, en neuf cercles
administratifs, est un fait ancien, qu'on ne pouvait pas méconnaître, sans
froisser de nombreux intérêts et de longues habitudes. Le décret du 9
vendémiaire an IV divisa les provinces belgiques en neuf départements. Les
Représentants du peuple français, envoyés en mission dans notre pays, furent
chargés de déterminer les arrondissements respectifs de ces départements (Pasinomie, Introduction à la première
série, première livraison, folio XLI). Le système de M. Jacques était, d'ailleurs, quant à
la subdivision des conseils provinciaux un système bâtard. En France, il
existe, à la fois, des conseils d'arrondissement et des conseils généraux de
département : en Belgique, il n'y a que des conseils provinciaux. L'expérience
enseigne qu'une plus grande subdivision est inutile : les intérêts locaux sont
suffisamment représentés et défendus dans ces assemblées : aller plus loin,
c'est soulever des luttes de localités, sans (page 142) contre-poids; des questions de
clocher, sans contradicteurs.
Après des débats qui, cette fois, furent plus longs au Sénat
qu'à
Les Chambres eurent à s'occuper, vers cette époque, de deux projets importants, l'un relatif aux
bons du Trésor (Loi du
16 février 1833, adoptée à la Chambre, par 72 voix contre 2; au Sénat, à l'unanimité.
Moniteur, 1833, n°41-47, 48. Ibid., 1833, n°46, Lettre de M. DE FOERE sur la
dette flottante),
et l'autre devant régler le régime douanier des céréales (Loi du 18 mars 1833, adoptée à
Quant à la dette flottante, la discussion s'embrouilla à
tel point qu'après que le Ministère eut
adhéré aux modifications proposées par la section centrale,
La création des bons du Trésor ,
bons royaux, billets de l'Échiquier - dette flottante, en un mot, - peut avoir
un double but. Le premier, c'est de parer aux retards qu'éprouvent les rentrées
des impôts et des autres ressources du budget, et alors cette création se
restreint dans de faibles proportions et
n'a besoin, d'autres garanties que le produit des revenus et le (page 143) crédit de l'État. Le second,
c'est de couvrir des dépenses pour lesquelles il n'a pas été ouvert de crédit
dans les budgets, ou de faire face à une insuffisance permanente de voies et
moyens, et, dans ce cas, cette création peut prendre des proportions
considérables et exiger des garanties spéciales. C'est dans cette dernière
position que s'est trouvée la France, lorsqu'en 1814, on émit pour 700,000,000 de bons royaux, à trois ans de date et trois pour
cent d'intérêt, ayant pour garantie, outre le crédit général de l'État,
Par la loi présentée à nos Chambres, comme depuis on l'a fait
dans les circonstances difficiles, on voulait confondre les deux modes,
c'est-à-dire d'une part, aider le service de la trésorerie par un fonds de
roulement et par l'escompte de lettres de change tirées sur l'arriéré; d'autre
part, combler un découvert permanent par un emprunt déguisé, par des cédules
hypothécaires sur les ressources de l'avenir. La commission sut ramener le
projet dans les limites des vrais principes : elle admit, si on peut s'exprimer
ainsi, les bons du Trésor de service : elle écarta les bons du Trésor de
ressource. L'article premier porte : « Le Gouvernement est autorisé, pour
faciliter le service du Trésor à émettre des bons du Trésor, etc. »
Telle est l'origine de notre dette flottante, institution
nécessaire, dans tout Gouvernement constitutionnel, et qui ne devient
dangereuse, pour un petit État, que lorsqu'on s'écarte (page 144) de son application utile et lorsqu'on exagère le chiffre
de l'émission.
Le Gouvernement provisoire avait, par les arrêtés du 21
octobre et du 16 novembre 1830 et par
les dispositions du tarif du 7 novembre
suivant, prohibé la sortie et le transit des grains et des farines et suspendu
les droits à l'entrée. Le bas prix des céréales ne permettait plus de laisser
subsister cette législation : un projet fut déposé, à titre de dispositions
transitoires. Ce fut le 13 mars 1833 que s'ouvrirent les débats. Pour faire apprécier l'énorme différence des
propositions en présence, nous donnons
ici quelques chiffres. On verra ainsi, d'un seul coup d'œil, d'où l'on est
parti et où l'on est arrivé.
.
Le ministère soutint faiblement son projet, et le rétablissement du tarif en
vigueur au 30 octobre 1830, proposé par la section centrale, fut admis. L'écart
des chiffres proposés et adoptés prouve quelle était,
dès cette époque, la divergence des opinions en cette matière.
(page 145) Certes, il n'est pas de question
plus importante pour les nations, mais aussi il n'en est pas de plus controversée que celle du meilleur tarif applicable aux
céréales. On ferait une bibliothèque de tout ce qui a été écrit sur cette
matière. Heureusement que l'expérience
de plusieurs époques et de plusieurs peuples a jeté de vives, lumières sur ces
controverses ; mais il faudra encore bien du temps avant qu'elle ait éclairé
tous les esprits. Voyons, en peu de mots, ce que le passé nous enseigne.
En France, depuis Philippe le Bel, en 1304, les plus grandes
restrictions furent apportées au commerce des blés : maximum des prix,
défenses de transporter les grains d'un lieu à un autre, obligation de ne
vendre que sur les marchés, formalités vexatoires imposées aux marchands. Ce
régime fut maintenu pendant plus de quatre siècles et demi : il ne fit place à
un système moins illibéral que pendant sept ans, de 1763 à 1770; dans le cours
de cette dernière année, les anciens édits restrictifs commencèrent à revivre.
Turgot combattit ce funeste système et par ses fameuses Lettres (Lettres sur les grains, 1778, in-8.
Lettres sur les émeutes populaires occasionnées par la cherté des grains, 1768) et en maintenant, dans son
intendance de Limoges, la libre circulation des grains et, enfin, en
abolissant, en 1774, comme contrôleur général des finances, les ordonnances
prohibitives.
Mais il tomba, avec ses réformes, au bout de deux ans.
Necker, son adversaire et comme homme d'État et comme écrivain (Sur la législation et le commerce des
grains, par NECKER, Paris, 1775, in-8.), rétablit, à partir de 1788, la prohibition à la
sortie, la défense de vendre ou d'acheter hors des marchés, les primes
d'importation, les ventes forcées , les achats directs
par le Gouvernement; épuisant ainsi tout l'arsenal du régime réglementaire.
En
Au sein de
Pendant l'Empire, la prohibition à la sortie, un moment
suspendue, fut rétablie de 1811 à 1815 : le maximum exista de mai à septembre
1812 : en 1816, on accorda 5 francs par hectolitre importé.
Sous la Restauration, en 1819, l'importation du blé fut limitée,
en la combinant avec des dispositions restrictives de la libre exportation.
C'était le système de l'échelle mobile, ayant pour base le prix rémunérateur.
Malgré cette réglementation, les blés tombèrent, en 1820, à fr. 16-60; en 1825,
à fr. 14-
que, de 1821 à
Sous le Gouvernement de Juillet, les Ministres proposèrent,
le 17 octobre 1831, une loi plus libérale; mais alors, comme depuis, les
Chambres maintinrent le système protectionniste. Sous cette législation qui (page 147) établit des classes,
c'est-à-dire la division des départements par catégories, les habitants du Midi
sont obligés d'acheter à ceux du Nord ou de l'Ouest des céréales, qui leur
reviendraient à 25 et 30 pour cent meilleur marché, s'ils pouvaient en tirer de
l'étranger, par le port de Marseille. L'empire nouveau a porté peu de changements
à ce système, du moins quant à la liberté des transactions à la sortie.
En Angleterre, sous Elisabeth, Cromwell et Jacques II, il y
eut un droit d'exportation variable. Sous Guillaume III, en 1688, ce droit fut
aboli et remplacé par une prime d'exportation et par un droit plus fort à
l'importation. La reine Anne et Georges II renforcèrent cette dernière entrave,
chacun par un droit de 2 shillings.
En 1791, le prix rémunérateur fut fixé à 54 shillings par
quarter (2 hect. 90); en 1804, à 66 shillings; en 1814, à 80 shillings; en
1822, à 85 shillings. En 1828, Canning, sous l'inspiration de M. Huskisson, n'admit plus pour prix rémunérateur que 66
shillings, avec l'échelle décroissante. Ce chiffre adopté par la Chambre des
Communes, fut porté à 72 shillings par la Chambres des Lords - éternelle lutte
entre l'intérêt privé et le bien public.
Cette législation dura jusqu'à 1842, époque à laquelle les
droits à l'entrée furent notablement abaissés. Toutes ces mesures
réglementaires empêchèrent l'agriculture de se développer par le progrès mieux
qu'elle ne pouvait le faire par la protection, gênèrent le commerce, eurent une
triste influence sur le prix du pain, en cas de disette, et coûtèrent au
Gouvernement anglais des sommes énormes. Enfin, en
Et tels sont les résultats bienfaisants de ce système, non
seulement (page 148) pour la classe
ouvrière, mais pour l'agriculture elle-même, qu'aucun des puissants partis qui
se succèdent aux affaires n'oserait prendre le pouvoir avec l'intention avouée
de rétablir la protection, par l'échelle mobile ou par d'autres mesures
empruntées au système réglementaire (Ces détails sont empruntés à LÉON FAUCHER : Études sur
l'Angleterre, et à G. DE MOLINARI, au mot Céréales, Dictionnaire de l'Économie
politique par CHARLES COQUELIN).
Si nous recherchons, à présent, ce qui a existé chez nous et
dans les temps anciens et à des époques plus rapprochées, voici ce que nous
trouvons.
De 1573 à 1598, sept ordonnances (Placards de Brabant, t. I, p. 292-309) réglementent le commerce
des grains. Elles portent, sous des peines sévères, défense d'exporter les
grains, farines : l'une d'elles prohibe la sortie du pain. Dans toutes, les
marchands de grain, que l'on nomme grossiers et monopoliers,
sont rudement traités. Ils ne peuvent acheter des grains qu'aux marchés publics
et point dans le plat pays; leurs achats doivent se borner à leur provision et
à celle de leur famille; ils doivent faire à l'autorité compétente la
déclaration de ces achats pour leur subsistance (mieux valait les enfermer et
les mettre à la ration !). Les laïques comme les clercs devaient porter au
marché tout le blé qui n'était pas nécessaire à leur nourriture et à leurs
aumônes. Personne ne pouvait acheter des récoltes pendant par racines. Le
placard du 13 octobre 1598 étend toutes ces prohibitions au beurre,
volaille, bétail et autres provisions de
vivres.
Mais l'ordonnance la plus persistante est celle de 1676 (SOHET. Instituts du droit, liv. II, tit. 36). Elle n'a jamais été abolie et, en 1817, la régence de Gand
lui empruntait la disposition suivante : « Défense d'acheter au marché, plus de
deux sacs de grain pour sa provision. »
Dans l'ancien pays de Liège, un mandement de 1724, faisait
défense à tous les marchands de grain et à leurs (page 149) entremetteurs d'aller au-devant de ceux qui ont des
grains à vendre avant qu'ils aient été exposés au marché, pendant un certain
temps.
Dans le comté de Namur, « il était permis de faire le
commerce des grains, en le déclarant au mayeur; mais il était défendu à ceux
qui s'étaient ainsi déclarés d'acheter ou de faire acheter, soit à la ville ou
soit au plat pays, depuis l'Août jusqu'à Noël et d'entrer dans
Sous le Gouvernement des Pays-Bas, 1815 à 1830, le commerce
et la circulation des grains devinrent généralement libres. Cependant, en 1816,
les administrations locales prirent des dispositions restrictives. La régence
de Bruxelles porta un règlement contre l'accaparement (Voir TIELEMANS, Répertoire, etc., au
mot Accaparement, des détails intéressants sur la législation, et une
judicieuse démonstration des vrais principes, en cette matière). D'autres administrations
procédèrent non par des restrictions, mais par encouragements. La régence de
Liège, notamment, fit avec succès, en 1816, ce qu'elle avait déjà fait,. en l'an X. Elle accorda des
primes à ceux qui amenaient au marché la plus forte quantité de céréales. Le
nombre minimum pour concourir était de cent mesures, et au marché le plus
prochain, il y en eut onze cent cinquante-six.
En Belgique, depuis notre émancipation
politique, rien de plus variable que le régime des céréales. Presque
chaque année, on a porté la main à cette législation et l'on est allé du
système de la protection extrême, jusqu'à la liberté presque absolue; - de la
proposition des 21, dite loi de famine, qui imposait le froment, à l'entrée, de
fr. 4-75, quand l'hectolitre serait à 20 francs (Voir t. Il, liv. VIII), à la loi si libérale, promulguée sous le (page 150) Ministère Rogier-Frère, qui
ne soumettait les céréales qu'au droit de 50 centimes les
Les grands exemples, donnés par l'Angleterre et par
Si l'on recherche la portée utile de toutes ces mesures
gouvernementales, les résultats sociaux de toutes ces lois, n'est-on pas en
droit de dire qu'elles n'ont été qu'une longue suite de tâtonnements, suivis de
cruelles déceptions Malgré toutes les combinaisons imaginées par les pouvoirs
absolus, ou par les assemblées constitutionnelles, le système réglementaire -
qu'on l'appelle régime protecteur de l'agriculture, qu'on y mette l'étiquette
de « remède contre la disette » - ne fait que perdre du terrain ; tandis que le
système libéral avance et grandit, en dépit des obstacles. La rapidité de notre
marche nous interdit de nous arrêter plus longtemps sur cette importante
question. Nous ne citerons donc pas toutes les autorités qui ont devancé ou
commenté l'enseignement de ces faits historiques. Il nous suffira de transcrire
quelques passages de l'opinion d'un
célèbre orateur et publiciste.
Filangieri avait dit : « Une erreur, née d'une supposition fausse,
fait croire aux Gouvernements que le mouvement naturel du commerce pourrait
faire sortir d'un État une partie même de ce qui était nécessaire à sa
consommation intérieure. » (Scienza della legislazione, Napoli, 1780, liv.
II, chap. XI, p. 7)
Benjamin Constant, commentant cette pensée de l'auteur
italien, s'exprime ainsi :
« La question de l'exportation des grains est aussi délicate
qu'importante. Rien de plus facile que de tracer un tableau (page 151) touchant du malheur du
pauvre, de la dureté du riche, d'un peuple entier mourant de faim, pendant que
d'avides spéculateurs exportent les grains, fruits de ses sueurs et de ses
travaux. Il y a un petit inconvénient à cette manière de considérer les choses;
c'est que tout ce que l'on dit sur le danger de la libre exportation, qui n'est
que l'un des usages de la propriété, pourrait se dire avec tout autant de force
et non moins de fondement contre la propriété elle-même...
« Cela est tellement vrai, que les ennemis de la liberté
d'exportation ont toujours été forcés de dire, en passant, quelques injures aux
propriétaires. Linguet les appelait des monstres, auxquels il fallait arracher
leur proie sans être ému de leurs hurlements ; et le plus éclairé, le plus vertueux , le plus respectable des défenseurs du système
prohibitif (Necker), a fini par comparer les propriétaires et ceux qui
parlaient en leur faveur à des crocodiles.
« … Pour que le blé soit abondant, il faut qu'il y en
ait le plus qu'il est possible; pour qu'il y en ait le plus qu'il est possible,
il faut encourager la production. Tout ce qui encourage la production du blé
favorise l'abondance ; tout ce qui décourage cette production, appelle
directement ou indirectement la famine.
« … Il en est des grains, quant à la production, comme
de tout autre chose. L'erreur des apologistes des prohibitions est d'avoir
considéré le grain comme objet de consommation seulement, non de production.
Ils ont dit, moins on en consommera, plus il en restera; raisonnement faux, en
ce que le grain n'est pas une denrée préexistante. Ils auraient dû voir que
plus la consommation serait limitée, plus la production serait restreinte, et,
qu'en conséquence, celle-ci ne tarderait pas à devenir insuffisante pour
l'autre.
« (page 152) En
empêchant l'exportation des blés, vous ne faites donc pas que le blé nécessaire
à l'approvisionnement d'un pays reste dans ce pays; vous faites que ce superflu
ne se produit pas. Or, comme il peut arriver, par les intempéries de la nature,
que ce superflu devienne nécessaire, vous faites que
le nécessaire manque.
« … Je n'ai pas fait valoir d'autres raisonnements pour
la libre exportation, parce qu'ils ont été développés mille fois. Si le blé est
cher, on ne l'exportera pas; car, à prix égal, il vaudra mieux le vendre sur
les lieux que l'exporter...
« La nature n'est pas prodigue de ses rigueurs. Si l'on
comparaît le nombre de disettes qui ont été le résultat d'années véritablement
mauvaises avec celui des disettes occasionnées par les règlements, on se
réjouirait du peu de mal qui nous vient de la nature, et l'on frémirait du mal
qui nous vient des hommes.
« S'il y a des inconvénients à tout, laissez aller les
choses; au moins les soupçons du peuple et les injustices de l'autorité ne se
joindront pas aux calamités de la nature. Sur ces trois fléaux, vous en aurez
deux de moins, et vous aurez cet avantage que vous accoutumerez les hommes à ne
pas regarder la violation de la propriété comme une ressource : ils en
chercheront alors. et en trouveront d'autres. Si, au
contraire, ils aperçoivent celle-là, ils y recourront toujours, parce qu'elle
est la plus courte et la plus commode. » (BENJAMIN CONSTANT, Commentaire sur l'ouvrage de FILANGIERI,
Paris 1824, 2ème partie, p. 86-88.)
Franklin dit avec beaucoup de fondement : « Si le principe d'après
lequel vous prohibez l'exportation du grain est raisonnable, tenez-vous à ce
principe et poussez-le hardiment (page
153) jusqu'à ses dernières conséquences. Prohibez l'exportation de vos
draps, de vos cuirs, de vos chaussures, de vos fers, de vos produits
manufacturés de toute espèce (de vos houilles aurait-il pu dire), pour les
avoir à meilleur marché. Vous aurez certainement la satisfaction de les voir
baisser... jusqu'à ce qu'on cesse de les fabriquer (ou de les extraire). » (Lettres sur le prix du blé).
Ce sont là des vérités claires et palpables : mais que peut
la vérité contre les préjugés populaires, qui font trembler les Gouvernements
avides de pouvoir, les législateurs amoureux
de leur mandat? Ce sont les grandes discussions de la tribune, les
fortes polémiques de la presse et l'exemple des peuples plus éclairés et plus
sagement administrés qui finiront par ruiner ces funestes systèmes de
prohibition (Voir les
discussions, sur cette question, de décembre 1855. Les Ministres déclaraient à
M. Rogier avait pu croire, en transigeant sur la question des
céréales, conjurer l'orage qui le menaçait. Il n'en fut rien. La discussion du
budget de
Le ministère demanda si cette déclaration avait un caractère
de défiance et d'hostilité contre lui. On prétendit qu'on n'avait pas à lui
répondre sur ce point. Le Ministre de l'Intérieur déposa un amendement,
insignifiant en lui-même, mais auquel le Gouvernement attachait l'idée de
non-défiance; M. Rogier disait : « Il
(le ministère) vous demande, non pas un vote explicite, mais de reporter à
l'époque où le budget général des dépenses sera voté, l'expression de votre
jugement sur son système. » Cette demande fut écartée par la question
préalable; sur 73 membres présents, 45 se prononcèrent contre le cabinet, 28
pour (Moniteur de 1833,
n°96) .
Le budget fut admis à l'unanimité des voix, le 4 avril.
Sur ce vote
« Vu les difficultés qui, depuis l'ouverture de la session
législative, se sont élevées dans les rapports de
« Considérant que, par suite de ces circonstances, nos
ministres ont, à diverses reprises, offert leur démission, sans que l'on soit
parvenu à composer une administration nouvelle qui présentât des gages de
stabilité ;
« Considérant que ces difficultés semblent prendre leur
source dans la diversité des opinions sur la marche des relations extérieures ;
« Considérant que, depuis la dernière élection
générale, il s'est accompli des événements importants qui ont contribué à
l'affermissement de l'indépendance de
« Considérant que si c'est un des premiers principes du
Gouvernement représentatif que le ministère soit d'accord avec la majorité
parlementaire, il est indispensable aussi, (page 156) pour rendre l'administration possible, que cette majorité
ne soit pas incertaine, qu'une adhésion douteuse à la marche du Gouvernement
paralyse l'action de celui-ci sans offrir à
Certes, dans une pareille occurrence, une dissolution était
inévitable : il n'en est pas moins vrai que l'objet même de l'appel et l'état
des esprits pouvaient faire envisager cette mesure comme une fâcheuse
nécessité. Il était dans les destinées de notre régime représentatif de passer,
dès son début, par les plus rudes épreuves, comme ces machines dont la solidité
n'est reconnue qu'après qu'elles ont été soumises à des essais à outrance.
La seconde session législative, ouverte le 13 novembre 1832,
fut close d'elle-même le 28 avril 1833 : elle avait donc duré un peu plus de
six mois. (Pendant cette
session 1832-1833, on vota encore les lois suivantes : 1832, 8 décembre, qui
charge les députations des états de la confection des budgets provinciaux ; 30
décembre, budget des voies et moyens ; 30 décembre, application du nouveau
système monétaire à quelques branches de recettes ; 30 décembre, qui maintient
les droits d'entrée sur les fers et
fontes ; 31 décembre, admission des pièces de cinq et dix florins ; 1833,15 février, cession à la ville de Gand
du pont de
La convocation des électeurs des districts chefs-lieux de
province était fixée au 30 mai : les électeurs des autres districts étaient
convoqués au 23 mai. Nous ne voyons d'autre motif de cette disposition que la possibilité laissée
aux ministres ou à leurs adhérents, qui auraient échoué à une première
élection, de se faire nommer à une élection postérieure (M. Lebeau échoua à Huy; M. H. de
Brouckere, dans le Limbourg.). Si tel (page 157)
a été le véritable but, on ne peut s'empêcher de la blâmer hautement. La loi
électorale a fixé, à un même jour, la date des élections ordinaires, sans doute
pour que les résultats d'un scrutin ne pussent pas
avoir d'influence sur d'autres scrutins. A ce point de vue, les élections
extraordinaires devraient aussi se faire partout le même jour.
Les autres incidents de ce renouvellement furent la
destitution de quelques fonctionnaires (MM. Doignon et Desmet,
respectivement commissaires d’arrondissement à Tournai et à Alost) et l'élimination d'un ecclésiastique,
M. l'abbé de Haerne, et son remplacement par M. le doyen Wallaert, dans le
district de Roulers, où le clergé était maître du terrain électoral (Voir, dans l’Indépendant du 16 mai
1833, une lettre de M. le comte Félix de Mérode, qui démet l’assertion qu’il
aurait transmis, à M. l’évêque de Bruges, des ordres du Roi, pour l’élimination
de l’abbé de Haerne).