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d’intention
« Jules Malou (1810-1870) », par le
baron de TRANNOY
(Bruxelles,
Dewit, 1905)
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(page 1) Tout homme, a écrit Lacordaire, a sa
genèse particulière, proportionnée à son service futur dans le monde, et dont
la connaissance seule peut bien expliquer ce qu’il est.
Il faut, en effet, pour comprendre l’homme d’Etat et l’homme intime que
fut Jules Malou, le chrétien qu’il ne cessa d’être dans un siècle volontiers
sceptique, se pénétrer de la forte éducation qu’il reçut et des traditions
familiales dont il recueillit l’héritage.
Le nom de Malou s’orthographiait autrefois Malo. Il fut introduit, du
nord de
Issu d’une ancienne et notable famille originaire du bourg de
Villers-Pol, Pierre-Antoine Malou acheva ses études au collège des Jésuites à
Douai, puis s’établit à Ypres. Il y épousa, le 13 janvier 1738, Livine-Dorothée Howijn, (page 2) et fut reçu, à l’occasion de
son mariage, bourgeois de la ville. Il mourut le 22 septembre 1772, laissant
une fille et deux fils, Jean-Baptiste et Pierre-Antoine.
Ce dernier joignit à son nom celui de sa femme, Marie-Louise Riga.
Pierre-Antoine Malou-Riga avait une âme trempée à l’antique. Né à Ypres le 9
octobre 1753 (
En dépit des protestations l’empereur maintint ses exigences ; il se
produisit un vif mécontentement dans le peuple de Flandre ; les Yprois, à tort ou à raison, accusèrent leurs magistrats de
complaisance et se portèrent tumultueusement devant l’hôtel de ville en menaçant
de mort le bourgmestre. Celui-ci, terrorisé, fit en hâte prier Malou-Riga
d’intervenir et de calmer le délire populaire. Il y réussit non sans peine.
Il fallait que sa popularité fût solide pour permettre cette médiation.
Pierre Malou, dans les curieux mémoires que ses descendants ont conservés,
attribue moins à lui-même qu’à sa famille l’ascendant qu’il exerçait sur ses
concitoyens. « Ce n’est à aucune cabale que je dois cette influence, disait-il
pour se défendre contre certaines insinuations, mais à des bienfaits que le
peuple a reçus constamment de mes parents, de mes frères et de moi, (page 3) à la manière généreuse dont mes
parents ont soutenu beaucoup de familles et, enfin, au grand nombre de bâtisses
considérables auxquelles bien des ménages ont dû un abri. »
Après la défaite des Impériaux à Turnhout par le général Van der Mersch,
et le départ précipité du gouverneur autrichien, la révolution brabançonne
s’étendit à toutes les provinces belges. Un homme se trouva naturellement
désigné par les services rendus, par les gages de patriotisme qu’il avait
donnés, pour prendre la tète du mouvement insurrectionnel en Flandre :
Malou-Riga. D’un consentement unanime, il fut appelé à la direction du bureau
de la guerre et, bientôt après, au commandement général des volontaires de
West-Flandre.
Dès lors il se livra tout entier à sa mission patriotique, avec une
abnégation qui précipita sa ruine, avec un héroïsme qui brava la mort et finit
dans l’exil.
L’hôtel qu’il occupait à Ypres se transforma en arsenal. Des compagnies
entières en sortirent équipées, à ses frais, aux couleurs d’ardoise des
volontaires yprois. Enflammés par l’ardeur
belliqueuse de leur chef, les patriotes west-flamands
furent les derniers à obéir au mouvement de soumission qui se dessina dans nos
provinces après la mort de Joseph II, grâce aux dispositions conciliantes de
son frère et successeur, Léopold II. Les Yprois ont
conservé longtemps le souvenir de la fête où, au milieu d’un grand concours
populaire, l’on célébra les Etats-Belgiques-Unis
autour du chapeau de
Le 30 novembre 1790, Malou-Riga adressait aux volontaires west-flamands une dernière proclamation et des ordres de mobilisation.
Inutile effort, suivi bientôt de la soumission générale et d’une généreuse
amnistie. (page 4) Dans la crainte de représailles,
Malou s’était retiré avec les siens à Lille ; le comte de Metternich lui
signifia, au nom de l’empereur, qu’il ne serait pas inquiété ; il rentra à
Ypres, abandonna la vie publique et reprit ses affaires.
Dans la tourmente de cette vie, ce ne fut qu’une trêve de deux ans.
L’entrée victorieuse dans nos provinces des bataillons de Dumouriez, vainqueur
des Autrichiens à Jemmapes, raviva les espérances des anciens partisans de Van
der Noot et Van der Mersch.
Pierre Malou, l’un des représentants de
(page 5) Revenu à Ypres après l’échec de sa
mission, suspecté de tiédeur envers
La sécurité des siens lui commanda de fuir ; il se réfugia d’abord en
Hollande, puis à Hambourg ; ses biens furent confisqués ; le commissaire de
Sans perdre courage, laissant ses deux enfants à la garde de leur mère,
il s’embarqua, en juillet 1795, pour l’Amérique. Il s’établit d’abord banquier
à Philadelphie, puis il acheta des terres à l’endroit où s’élève aujourd’hui Princetown, dans le New-Jersey ; il comptait s’y fixer
définitivement avec sa famille, quand il apprit la mort de sa femme, décédée le
18 octobre 1797. Lorsque, quelques mois plus tard, il regagna Hambourg, il n’y
retrouva plus ses enfants, que leur oncle, le chanoine Riga, avait ramenés en
Flandre. Emigré et proscrit, il ne pouvait les rejoindre.
Alors un drame intime remua cette âme éprouvée par tant d’amertume.
Pierre Malou songea à entrer à
Quelques mois plus tard, après avoir revu ses enfants, il s’acheminait
vers
Chargé d’abord d’enseigner les langues au collège de Mohilew,
puis à Witebsk et à Orcha, le P. Malou fut envoyé au
collège de New-York, lorsqu’en 1811
Deux ans plus tard, l’évêque de New-York lui confiait l’administration
de la paroisse de Saint-Pierre, dans sa ville épiscopale.
Aucune épreuve ne devait être épargnée à cette âme d’élite. Des
accusations aussi ridicules qu’odieuses furent dirigées contre le P. Malou.
L’évêque, Mgr Connolly, circonvenu par son entourage, y ajouta trop facilement
foi. La cause fut portée en Cour de Rome et déférée à
On ne nous reprochera pas d’avoir ravivé la cendre de ce pieux héros.
Ses vertus honorent au même titre
(page 7) Cependant les deux fils de Pierre
Malou-Riga, Jean-Baptiste et Edouard Malou, avaient atteint l’âge d’homme. Rentrés
dans leur ville natale, ils s’y étaient définitivement établis, avaient
reconstitué leur patrimoine et conquis l’estime de leurs concitoyens. Edouard
Malou-Vergauwen représenta, durant de longues années, l’arrondissement d’Ypres
au Sénat ; à sa mort, en 1849, son frère aîné, Jean-Baptiste, le père de
l’évêque de Bruges et de Jules Malon, lui succéda et siégea pendant dix ans à
Jean-Baptiste-François Malou était né à Ypres en 1783. Livré à ses
seules forces au sortir de l’enfance, il avait fait de la vie un dur
apprentissage. Homme intègre, modeste, d’un mérite éprouvé, esprit très ouvert,
possédant une remarquable culture littéraire, c’était surtout un chrétien, que
la solidité des convictions arrêta sur la pente du libéralisme où s’engageait
la bourgeoisie flamande. Par son mariage avec Mlle Vandebepeereboom-Béthune,
il avait renoué des liens étroits avec la terre de Flandre.
Six enfants naquirent de leur union trois fils, Jean- Baptiste, Jules et
Victor, et trois filles.
Au foyer familial s’ouvrit l’esprit et se forma le cœur de Jules Malou.
C’était à Ypres, dans la rue Saint-Jacques, un vaste immeuble entre cour et
jardin. Ses hautes fenêtres dorment toujours sous l’arcade de leurs moulures en
coquilles, et la façade, qui ne manque pas de lignes, se rehausse encore de sa
gracieuse balustrade de ferronnerie. Aujourd’hui, la cour d’honneur, où l’on
accède par une grille étroite, sert de lieu de récréation aux
(page 8) enfants d’une école primaire, et les Soeurs
de Saint-Joseph occupent la maison.
Là grandirent en frères et en amis Jean-Baptiste et Jules Malou.
Jean-Baptiste, né le 30 juin 1809, avait un an de plus que son frère, né le 15
octobre 1810. Lorsque l’aîné atteignit dix ans, il fallut s’enquérir d’autres
maîtres que ceux qui, modestes et inconnus, donnèrent aux jeunes Malou les
rudiments de l’instruction.
Sous le règne de Guillaume Ier, il n’était guère aisé, pour les familles
catholiques, de pourvoir à l’éducation de leurs enfants. Le gouvernement, avec
une obstination bornée, s’efforçait par une série d’arrêtés de concentrer en
ses mains l’intruction de la jeunesse.
Pour se conformer aux vues de l’autorité centrale, l’administration
communale d’Ypres ouvrit un collège dont l’enseignement fut confié à des
maîtres selon le cœur du roi Guillaume. Des établissements semblables
existaient, notamment à Courtrai et à Gand.
S’il n’eût écouté que les conseils de l’intérêt, M. Malou-Vandenpeereboom n’eût pas hésité à placer ses enfants dans
l’un ou l’autre de ces établissements officiels. Il n’en fit rien, et, au
commencement d’octobre 1819, envoya son fils aîné au célèbre établissement de
Saint-Acheul, près d’Amiens, que dirigeaient les Pères Jésuites. Jean-Baptiste
y retrouva beaucoup de jeunes compatriotes, parmi lesquels ses cousins Alphonse
et Ernest Vandenpeereboom.
Pour la première fois, Jean-Baptiste et Jules Malou sont séparés ; c’est
à ce moment que prend naissance une correspondance suivie entre les deux
frères, qui ne s’interrompra qu’à de rares intervalles et se poursuivra jusqu’en
1864, au décès de l’évêque de Bruges. Jules n’avait que neuf ans ; il écrivait
à Jean-Baptiste « Je serai toute ma vie votre frère et ami. »
(page 9) Cependant, dans nos provinces, la
guerre à l’enseignement libre se poursuivait avec une intensité redoublée. Un
arrêté était intervenu, le 14 juin 1825, défendant d’ouvrir
aucune école de latin sans l’autorisation du département de l’intérieur, tandis
qu’un autre arrêté, du 14 août, interdisait d’admettre aux Universités et au
Collège philosophique de Louvain les jeunes gens qui auraient fait leurs
humanités hors du royaume.
C’était établir en fait un monopole et apporter à la liberté des
catholiques les plus odieuses vexations ; on leur laissait le choix ou bien de
désobéir à leur conscience, ou bien de sacrifier l’avenir de leurs enfants.
M. Malou-Vandenpeereboom
ne tergiversa pas. Il décida que, dès la rentrée
d’octobre 1825, Jules accompagnerait son frère à Saint-Acheul. Comme un ami
s’étonnait qu’il prît ce parti, M. Malou répondit, confiant et résolu « Je n’ai
qu’une chose à faire mon devoir ; Dieu fera le reste. »
(page 9) Saint-Acheul, au moment où Jules
Malou y arriva, était dirigé avec grand succès par le P. Loriquet. On y
enseignait les humanités et la philosophie. L’établissement ne comptait pas
moins de neuf cents élèves, dont cent et trente Belges.
Tandis que les lycées devenaient, au témoignage de (page 10) Lamennais, « d’horribles repaires du vice et de
l’irréligion », les huit petits séminaires ouverts par
L’élite de la jeunesse belge rencontrait à Saint-Acheul la fleur de la
jeunesse française, et l’influence qu’exercèrent les uns sur les autres ces
jeunes gens fut hautement salutaire. Là se cimentèrent des amitiés qui devaient
résister aux événements politiques et au recul du temps.
Jules Malou passa trois ans dans cette maison, où son frère en avait
passé huit. Il y suivit, avec beaucoup de succès, les classes de quatrième, de
troisième et de poésie. Il excellait en l’art, fort en honneur alors, de
traduire en vers latins les grands thèmes héroïques ou lyriques, aussi bien que
les événements les plus futiles de la vie du collégien. Un recueil était offert
par lui à son père, avec cette dédicace :
Hoec, pater, accipias ; nostri peperere labores ;
Carmina si placeant, crede,
beatus ero.
Il manifestait dès lors un goût, plus tard très développé, pour la géographie.
Les mathématiques aussi le passionnaient. Affectionné de ses maîtres, il ne
pouvait concevoir qu’on pût être aussi heureux dans un autre établissement. Ses
parents étaient bien décidés à l’y laisser poursuivre ses études, lorsqu’à la
fin de l’année scolaire 1828, d’inquiétantes rumeurs parvinrent à Saint-Acheul.
L’existence des huit séminaires-collèges était menacée.
C’était l’arrêt de mort de Saint-Acheul. Les élèves se séparèrent, l’âme
navrée, de maîtres tant aimés : « Quitter cette maison pour ne plus la revoir
comme je l’ai vue si longtemps, écrivait Jean-Baptiste, quitter des maîtres qui
sont proscrits au moins pour quelques années, quitter des amis et des camarades
qui pleurent sur le présent et tremblent pour l’avenir, dire adieu à ces
études, à ces classes que j’ai vu bâtir, à cet établissement que j’ai habité
pendant plus de la moitié de son existence et presque la moitié de la mienne,
voilà ce que je crains d’envisager. »
Jules Malou ne conserva pas à un moindre degré que son frère le culte de
Saint-Acheul, « cette maison, écrivait-il, que, malgré tout le bien-être possible,
je regretterai toujours ». Quelques mois plus tard, il adressait au nom des
anciens élèves une lettre au P. Loriquet, ce Jésuite qu’on a tant calomnié.
Celui-ci, très ému de ce témoignage spontané d’attachement, répondit à Jules
Malou « Je ne sais, mon cher et bien-aimé enfant, comment vous exprimer combien
j’ai été touché de votre bon souvenir et des sentiments d’affection que vous
conservez pour Saint-Acheul et pour ceux qui s’y étaient consacrés an soin de
votre enfance. Ils auraient été heureux de terminer un ouvrage que votre bonne
volonté leur rendait si facile. Dieu en a disposé autrement ; (page 12) notre devoir a été de nous
soumettre sans murmures ; mais le sacrifice a été bien adouci par la marque si
cordiale, si naïve, d’attachement que vous nous avez donnée dans un moment
pénible. J’en garderai le souvenir toute ma vie. Toute ma vie aussi je me
rappellerai que c’est à votre bon esprit, à votre bonne conduite, comme à celle
de ceux qui vous y ont précédé, que Saint-Acheul a dû la haute réputation qui
l’avait placé à la tête de tous les établissements de ce genre. » (Le
P. Loriquet à Jules Malou. Paris, 10 janvier 1829).
Privés en France de leurs maisons d’éducation, les Jésuites ne pouvaient
se transporter avec leurs élèves dans les Pays-Bas, où l’arrêté du 14 juin 1825
était toujours en vigueur. Les maîtres de Saint-Acheul se dispersèrent ;
plusieurs prirent le chemin du Collège de Fribourg, en Suisse, où beaucoup de
leurs élèves les rejoignirent.
(page 12) Rentré à Ypres, Jules Malou ne fut
satisfait que lorsqu’il eut arraché à ses parents la promesse de pouvoir
achever ses études littéraires à Fribourg, auprès de ses anciens maîtres.
L’opposition la plus vive fut sans doute celle de Mme Malou. Mère
inquiète et tendre, elle craignait une séparation prolongée ; les lettres se
feraient plus rares et les nouvelles plus reculées. Mais Jules resta le maître.
Le 15 octobre 1828, une voiture de poste s’éloignait rapidement d’Ypres,
emportant un collégien nanti d’un passeport du ministre des affaires
étrangères, baron Verstolk de Soelen,
où il était enjoint « aux amis et allié de Sa Majesté le roi des Pays-Bas de
laisser passer (page 13) M. Jules
Malou, étudiant, natif d’Ypres, allant avec ses hardes et bagages en France et
en Suisse ».
Plusieurs compatriotes, anciens élèves de Saint-Acheul, se joignirent à
Jules en cours de route. Nous ne le suivrons pas dans la narration complète
qu’il fit de son voyage, passant au galop des postiers par Lille, Cambrai,
Compiègne, Paris - où il s’arrêta quelques heures à peine - brûlant les étapes
de Dijon, Besançon, Pontarlier. Les beautés de la nature jurassique plongent
dans l’admiration le collégien flamand. Il en fait à ses parents des
descriptions d’un enthousiasme peut-être excessif, « mais dans ces lieux,
s’excuse-t-il, l’imagination est peu maîtresse d’elle-même >.
N’est-ce pas un joli morceau, que celui-ci :
« ... Je me trouvai au plus haut du Jura ; le brouillard s’était
dissipé, il fuyait derrière moi et le voile étendu sur la nature paraissait
levé à ce moment pour me faire admirer la beauté de ces lieux. J’avais à ma
droite un ravin d’une profondeur effroyable, au fond duquel roulait un torrent
que je voyais se briser contre des rochers ; sur ses bords s’élevaient des rocs
couverts de sapins ; j’avais à ma gauche, sur une ligne à peu près droite,
toute la chaîne du Jura dont le sommet était enveloppé de nuages ; la racine
des montagnes avait une couleur bleue tirant sur le gris et j’avais devant moi
le magnifique amphithéâtre de
A mesure qu’il approche de Fribourg, son impatience (page 14) grandit. La réalité
répondra-t-elle au rêve qu’il s’est forgé ? Va-t-il retrouver le cher, l’«
infortuné » Saint-Acheul, plus cher puisque persécuté, plus beau puisque
transporté en un paysage de rêve ? Mais l’y voici. « Pour le voyageur qui vient
d’Yverdun par la grand’ route de Fribourg, le
collège, écrit-il à ses parents, est la première chose qui se présente aux
regards. Bâti un peu à l’ouest de l’enceinte de la ville, sur une hauteur
taillée presque à pic, son immense façade regarde l’Orient et domine de toute
l’élévation du roc qu’elle surplombe un étang assez vaste qui s’élargit à ses
pieds. »
La première impression, dès qu’il a franchi le seuil, est de tristesse.
L’accueil qu’on lui fait est bon, quoique « d’une gravité qu’on croirait
approcher de la froideur, si on n’était prévenu ». Heureusement il retrouve un
ami de Saint-Acheul, le P. Labonde, qui s’informe
aussitôt de Jean-Baptiste. Les cours n’ont pas repris. L’immense établissement
est désert. Jules met à profit les quelques jours de liberté qui lui restent
pour explorer les alentours de Fribourg. Il en exprime, en vers latins, les
charmes à son frère Jean-Baptiste. Il fait aussi la connaissance du Recteur, le
P. Walle, un Flamand de Poperinghe.
Presque tous les professeurs d’ailleurs, sauf ceux de Saint-Acheul, sont des
Jésuites flamands. Chaque jour arrivent à Fribourg de nombreux élèves ; Jules
retrouve soixante de ses condisciples de Saint-Acheul. Au jour de la rentrée,
le collège ne compte pas moins de huit cents élèves.
C’est alors, dans cette grande maison, un spectacle réconfortant de vie
et de jeunesse, d’animation et d’entrain. La discipline est sévère, mais d’une
sévérité qui n’atteint pas la rigueur. A certains jours, le collège est en
fête, à l’occasion, par exemple, de la visite de l’évêque de Fribourg,
qu’accompagnent les avoyers du (page 15) canton ; Jules Malou leur adresse quelques strophes
gentiment enlevées. Il peint à son frère le rhétoricien qu’il est : « diligent
et paresseux, latiniste et helléniste, orateur ou plutôt discoureur et rimeur,
c’est un peu de tout cela ».
« La rime est mon plaisir ou plutôt ma folie », écrit-il à
Jean-Baptiste.
Aimer les vers, les traits
malins,
Fuir la sombre mélancolie
Si je suis fou, moi j’en
conviens,
Mes amis, c’est là ma folie
Les sujets les plus variés l’inspirent. Sa muse s’unit à celle de Byron
pour célébrer la Grèce ; Navarin lui suggère une ode ; puis c’est le printemps,
la montagne, les lacs qu’il chante tour à tour ; il s’inspire du Tasse, évoque
Tancrède et Clorinde ; il imite Anacréon, Horace,
puis les livres saints, et paraphrase les hymnes sacrées. Il dédie une ode
curieuse au P. Loriquet, en adresse une autre au cardinal de Rohan, dont la
visite à Fribourg et l’exquise bonté ont impressionné vivement les jeunes imaginations.
Puis Saint-Acheul revient encore, avec le souvenir de maîtres chéris. Le jeune
poète a, pour célébrer l’amitié, des accents du plus pur dix-huit cent trente ;
il correspond en vers avec son cousin Alphonse Vandenpeereboom
et son ami Théodore de Montpellier. Deux de ces recueils de vers subsistent,
datés l’un de 1828, Mes Distractions,
l’autre de 1829, Mes Loisirs.
L’auteur se juge lui-même en un vers de Martial, placé en exergue :
Sunt bona, sunt quœdam mediocria,
sunt mala plura.
L’éloignement du pays natal fait germer de sombres (page 16) pensées dans ce cerveau de vingt ans ; la crainte saisit
parfois notre poète de mourir sur la terre étrangère, sans avoir revu ses
parents :
Eh quoi ! Dieu tout-puissant,
faudra-t-il que je meure
Pour ton éternité mille ans ne
sont qu’une heure,
Et tu m’arrêterais au sortir du
berceau ?
Mais non, tu ne veux pas de ma
courte existence
Quand il s’allume à peine,
éteindre le flambeau.
J’ai goûté tes bienfaits,
j’espère en ta clémence,
Mais un pressentiment plus fort
que l’espérance
Déjà sous un cyprès me montre
le tombeau
II me semble le voir… et je
vais y descendre.
Pour rallumer sa gaieté, il y a heureusement les lettres de
Jean-Baptiste, pris, lui aussi, de la démangeaison de la rime. Entre ces deux
frères, séparés toute leur vie, se noue de plus en plus étroitement une amitié
faite de confiance et d’expansion, née et nourrie de la conformité de l’idéal
et des aspirations, et qui fut pour l’un et pour l’autre d’un secours, Dieu
sait combien puissant ! à tous les moments de
l’existence.
Jules Malou, que son frère Jean-Baptiste appelle « notre politicien en
herbe », n’est pas à Fribourg sans nouvelles des événements qui préparent la
révolution belge de 1830. Le Courrier des
Pays-Bas les lui apporte régulièrement. Il s’intéresse vivement au vaste
mouvement de pétitions qui est le prélude du soulèvement :
« Presque toutes les villes et beaucoup de bourgs et grands
villages, lui écrivait son père, adressent des pétitions aux Etats Généraux
pour demander la liberté de la presse par l’abrogation des arrêtés de 1815, la
liberté de l’enseignement, l’abolition de l’impôt mouture et l’insertion dans
le nouveau Code du jugement par jury ;ces pétitions se
couvrent d’un nombre immense de signatures dans toutes les villes. »
(page 17) Toutefois, à Ypres, on est peu
protestataire. « Nous avons ici un grand nombre de gens sans énergie ni
caractère, qui ne s’inquiéteraient pas que le monde fût bouleversé, pourvu
qu’ils n’en éprouvent aucune commotion ; il y a huit jours que la pétition est
déposée et il n’y a pas encore cinquante signatures. »
Cependant, à l’encontre de ses espérances, Jules Malou n’avait pas
retrouvé à Fribourg un autre Saint-Acheul. Après quelques mois, il se mit à
regretter amèrement l’insistance qu’il avait mise à se faire envoyer dans ce
grand collège froid.
Comment s’ouvrir à ses parents de cette pénible confidence sans leur
mettre dans le cœur trop de trouble et d’émoi ? Une première lettre est arrètée au passage par les « douaniers » de
l’établissement. Tant mieux ! car elle n’était pas
assez habilement conçue. Jules se remet à l’œuvre et fait parvenir à Ypres un
billet où il expose ses plaintes : il est malheureusement tombé sur un maître
qui ne l’a pas compris et ne parvient pas davantage à se faire comprendre
Le malicieux élève s’y prend adroitement à mettre les rieurs de son
côté, aux dépens de l’autorité. Le professeur, ayant un jour commis une erreur
au cours d’une (page 18) opération
algébrique, Jules s’en aperçut et s’empressa, à la grande joie de ses
condisciples, d’en faire la remarque. Rien d’étonnant à cela, d’ailleurs, quand
l’on saura que dès la rhétorique Jules Malou correspondait avec le savant
mathématicien Cauchy.
La conscience de sa supériorité le poussait à multiplier ses actes
d’indiscipline. Le P. Walle, qui lui portait un vif
intérêt, avait vainement tenté de le ramener à de meilleures dispositions. «
Son caractère opiniâtre, écrivait-il à M. Malou, l’entraîne dans certaines
circonstances à mépriser l’autorité ; il a peut-être une trop grande
connaissance de ses moyens naturels ; de là beaucoup de suffisance et de
prétention. Du reste, ses bonnes manières et son excellent cœur font son éloge.
» De plus graves récidives mettent enfin à bout de patience et d’expédients le
bon Recteur, qui se décide à écrire derechef à M. Malou pour le prier, cette
fois, ou de rappeler son fils ou d’effectuer le plus promptement possible le
voyage de Suisse ; « les intérêts de Jules y sont attachés, ainsi que
l’honneur de la respectable famille à laquelle il appartient ; tout est à
craindre pour l’avenir ».
Quel chagrin causa semblable message, lorsqu’il parvint au foyer
paisible de la rue Saint-Jacques, on le devine ; d’ailleurs deux lettres de M.
Malou nous le disent. Nulle part les qualités éminentes de cœur et de jugement
de ce digne père n’apparaissent comme au travers de l’émotion spontanée de ces
pages.
La première lettre est adressée à Jules, qui venait, en pleurant, de
confesser à ses parents ses insubordinations.
« Ta lettre, mon cher Jules, et celle que M. le Recteur a eu la
bonté de nous adresser nous ont causé une douleur aussi vive que profonde ;
elles ont arraché des larmes à ta mère.
(page 19) « Tu reconnais tes torts et
tu les avoues, mais il y a quelques mois tu les reconnaissais et les avouais
aussi.
« Quoique ton bulletin ainsi que M. le Recteur ne fassent aucune
mention de mauvais compagnons, je ne puis me persuader que cela n’y soit pour
quelque chose et, si cela est, je te conjure, même je t’ordonne de les quitter,
car je me flatte encore que tout cela ne vient pas uniquement de ton fond et ce
m’est une espèce de consolation.
« Ce que je crois y découvrir aussi, c’est une bonne dose de
présomption qui te fait aller en avant et un faux amour-propre qui t’empêche de
reculer. Mais, mon ami, quelle sotte présomption est la tienne, de vouloir
apprendre à ton professeur comment il doit faire la classe ; ton devoir se borne
à profiter autant que possible de l’instruction qu’on te donne ; la refuser est
un crime, c’est manquer à tes maîtres et c’est manquer à tes parents, c’est
même manquer à la divine Providence qui n’a pas accordé la même faveur à des
milliers de jeunes gens qui en profiteraient avec avidité, s’ils étaient dans
l’heureuse position de pouvoir en jouir.
« Rappelle-toi, mon ami, ces paroles sorties de la bouche de
Notre-Seigneur : Qui se exaltat humiliabitur.
« Dans ces paroles de vérité tu trouveras, à la fois, le remède et
la consolation. Tu as manqué à ton professeur en classe, et devant tous. Eh
bien ! mon ami, je t’engage, te supplie même, de faire
un effort et de lui faire tes excuses de la même manière. Que de mérites tu
retirerais d’une pareille action et que je serais heureux d’en être le témoin
! »
La seconde lettre est destinée au P. Walle ;
elle est plus poignante encore ; le pauvre père remercie le Recteur de Fribourg
de la longanimité dont il a fait preuve à l’égard de son fils : « Je
vous supplie d’avoir encore un peu de patience, je n’ai aucun titre pour vous
le demander, mais faites-le pour Dieu, je vous en prie, car si vous abandonniez
cet enfant, où pourrait-il trouver l’affection que vous voulez bien lui porter
et les talents qui peuvent en faire un homme et un chrétien ? »
(page 20) M. Malou ajoutait qu’il craignait
de se rendre à Fribourg. « Tel que je me connais, je suis beaucoup plus fort de
loin que de près. Si vous connaissiez, écrivait-il avec une touchante
confiance, mon peu de force et de capacité, je crois que vous seriez de mon
avis. Néanmoins, si ma lettre ne produit pas l’effet que j’en attends et si
vous jugiez qu’il est urgent que je vienne, comme la chose est de la plus haute
importance, je quitterais tout et me rendrais à votre avis. »
A la lecture de la lettre qui lui était adressée, Jules fut vivement
remué et, sous le coup du repentir, sa franche et généreuse nature reprenant le
dessus, il répondit à son père « Comment vous exprimer la peine que m’a causée
votre lettre ? Elle naît tout entière de la vôtre. Je me suis peint par la
pensée votre désolation et je me suis accusé de tous ces maux. Je reconnais
avec douleur la bonté de vos conseils, fondés sur les paroles de Celui qui est
Vérité. Je sais mieux que tout autre combien je suis loin de l’état où je
devrais être après sept heureuses années de grâces à Saint-Aeheul.
»
Mais des éducateurs comme le P. Walle et M.
Malou ne s’abusent pas sur le vrai état d’âme d’un enfant. Leur vigilance ne
fut point surprise. Ils s’aperçurent qu’au fond Jules n’avait pas abdiqué. En
effet, dans une nouvelle lettre, celui-ci s’en prenait au Recteur même et
déplorait la légèreté avec laquelle il avait demandé son envoi à Fribourg, où «
les études sont d’une nullité déplorable et les maîtres à une hauteur
inaccessible ».
Dans ces conjonctures, M. Malou n’hésita plus à partir. Il atteignit
Fribourg le 4 septembre, avec Jean-Baptiste. C’était la veille de la
distribution des prix. Malgré la crise qu’il avait traversée, Jules remportait
de brillants succès ; il obtenait le second prix d’excellence. « Si le coquin
avait voulu, il aurait été premier en tout, » (page 21) disait à
Jean-Baptiste un de ses maîtres de Saint-Acheul.
Avant de prendre une résolution pour la suite des études de Jules, M.
Malou jugea opportun d’opérer une diversion. Il fit, avec ses deux fils, un
tour de Suisse ; Théodore de Montpellier les avait rejoints ; ce ne furent plus
que joyeux rires. Lorsque M. Malou s’en revint trouver le P. Walle, Jules lui-même demanda à rester à Fribourg pour y
continuer son instruction.
La philosophie y était enseignée en latin. Une large part était réservée
aux sciences naturelles et aux mathématiques. Le professeur, le P. Veire, était un homme sec, qui ne s’échauffait qu’au
contact du syllogisme. Cependant, Jules s’en déclare très satisfait. Son ardeur
renaît ; ses qualités foncières ont repris le dessus. Des compatriotes sont
venus grossir le chiffre des Belges à Fribourg, et, parmi eux, Pierre de Decker. Les cours de philosophie comptent soixante élèves ;
au bout du second terme, Jules est classé premier.
Au mois d’avril 1830, il ne sait encore s’il se consacrera au droit ou
aux sciences ; il cherche une orientation. Afin de mûrir sa décision, il prie instamment
ses parents de le laisser encore un an à Fribourg, pour y suivre le cours de
physique, complément de celui de philosophie.
Pourquoi tant d’insistance ? Par qui Jules est-il retenu à Fribourg ?
Ses parents s’alarment. A-t-il oublié la maison paternelle, sa bonne ville
d’Ypres ? N’a-t-il plus la nostalgie des plaines de Flandre ? Pourquoi ces
lignes pétries de mystère : « Que je quitte le collège cette année, ou
seulement l’année prochaine, il n’en faudra pas moins, tôt ou tard, choisir un
état, prendre une détermination pour la vie... Ce choix est le moment (page 22) d’où dépend l’éternité. Je
voudrais donc avoir une année, qui n’est que de huit mois, pour penser plus
prochainement, plus mûrement à cette grande affaire et où le pourrais-je mieux
qu’à Fribourg ? »
Jules parle des conseils de ses maîtres ; ses parents craignent des
influences qui attirent le jeune et brillant philosophe vers le noviciat.
« Détrompez-vous, s’empresse de leur écrire Jules, vous serez les
premiers confidents de ma vocation ; il faut distinguer deux sortes
d’influences. Quand je parle de personnes influentes, cela ne veut pas dire
celles qui exerceraient sur mes jugements, sur ma manière de voir, un empire
absolu ; je ne reconnais à personne cet empire... Chacun est libre là-dessus,
dans toute l’étendue du mot liberté ; on ne peut pas plus juger pour moi et me
faire juger qu’on ne peut vouloir pour moi. Je ne reconnais donc pas pour
raisonnable une telle influence ; je suis bien éloigné de m’y soumettre et
d’agir conformément à son impulsion. Mais il est une influence d’un autre genre
: celle que possède l’avis d’un homme ou de plusieurs que l’on reconnaît comme
prudents et désintéressés, et celle-là est si éminemment raisonnable qu’il est
impossible à la raison de tout homme de s’en défendre… Tranchons le mot : vous
craignez le noviciat ; pour moi cette pensée est écartée, mise hors de
délibération et effacée de la liste des différents états sur lesquels je puis
avoir à délibérer. »
Ceux qui, au moment de s’engager en tâtonnant sur le chemin de la vie,
ont eu le bonheur de rencontrer de ces hommes prudents et désintéressés,
n’auront pas de peine à se représenter les entretiens de Jules Malou avec les
maîtres dont il aimait à prendre le conseil.
A demi rassuré, M. Malou insista cependant pour que son fils reprît,
après deux ans d’absence, le chemin (page
23) d’Ypres. Jules quitta donc Fribourg, en emportant et y laissant, malgré
les jours orageux de rhétorique, un excellent souvenir, se séparant de
camarades avec lesquels il allait conserver de bonnes relations d’amitié : le
comte Théodore du Prat, les Nicolaï, les Diesbach.
Le sage P. Walle ne le vit qu’à regret
s’éloigner sans avoir passé par le cours de physique. « Où que vous alliez et
quoi que vous fassiez, ajoutait l’excellent Recteur, toujours et partout, vous
continuerez à marcher dans la voie où vous êtes si bien entré. »
Le retour de Jules était impatiemment attendu à Ypres. « Je compte souvent,
lui écrivait sa mère, combien de semaines, combien de jours nous séparent ; je
calcule d’après les probabilités ; ce compte ne m’est pas aussi familier qu’à
vous, mais je m’occupe de vous, et c’est une occupation dont je me lasse
difficilement. »
Ce n’était pas seulement son père et sa mère, ses frères et ses sœurs
qu’il tardait à Jules de revoir, c’était encore, en la personne de
Jean-Baptiste, son confident intime. Les deux frères étaient possédés d’une
égale passion de l’étude. Pendant les années de leur séparation, ç’avait été entre eux un échange ininterrompu de
correspondances dont les discussions sur la littérature, le droit naturel, la
logique, les sciences exactes formaient le fond, alternant avec odes et
sonnets.
Jean-Baptiste se sentait attiré vers l’état ecclésiastique. Comme le
collège philosophique de Louvain était seul ouvert aux jeunes clercs, plutôt
que de s’y rendre, il (page 24)
était resté dans sa ville natale, se livrant en privé à l’étude des sciences
sacrées et profanes. Jules se promettait de s’associer aux travaux de son aîné,
de participer à sa vie studieuse, dans la paix de la vie de famille. Dans ces
dispositions, il quitta Fribourg. Au moment où il franchissait la frontière de
son pays, au mois d’août 1830, celui-ci était au matin de
Parti de Bruxelles, le mouvement insurrectionnel avait gagné rapidement
toutes les villes du pays. Partout s’organisaient des gardes bourgeoises pour
le maintien de l’ordre et la défense des libertés. A Ypres, Jean-Baptiste Malou
assura, comme lieutenant, le service de la garnison.
Le Gouvernement provisoire ayant décrété la réunion d’un Congrès
national, M. Malou-Vandenpeereboom fut élu parmi les
suppléants de cette assemblée.
L’émancipation de
Chose étrange, les jours troublés de
Dans les conversations entre les deux frères, le problème de leur
destinée dut se poser souvent. Jules se montrait indécis. Epris des
spéculations abstraites, doué aussi d’un sens pratique très délié, il possédait
des dons naturels que la formation juridique devait développer. (page 25) Poussé par son père vers l’étude
du droit, Jules se soumit à cette impulsion et trouva sa voie.
De son côté, Jean-Baptiste avait obtenu la faveur, ardemment désirée,
d’éprouver sa vocation au centre même de la catholicité.
Ce fut la douleur d’une longue séparation.
A Rome, Jean-Baptiste retrouva Théodore de Montpellier, attiré par les
mêmes affinités vers
Il préluda par un acte d’humilité à une carrière qui, en quelques
années, le mena aux plus hautes charges et aux plus éminentes dignités.
Obéissant au conseil de Mgr Boussen, évêque de
Bruges, le jeune et distingué ecclésiastique vécut quelques mois au séminaire
épiscopal, afin de se familiariser avec le clergé du diocèse. Il fut aussi
quelque temps professeur de théologie au couvent des Capucins de Bruges.
C’est là, qu’en 1836, le chanoine de Ram vint le chercher, pour lui
confier peu après la chaire de théologie dogmatique à l’Université de Louvain.
L’abbé, devenu bientôt le chanoine Malou, se consacra de toute son ardeur à ce
haut enseignement, ainsi qu’à de nombreuses et remarquables publications. Il ne
s’arracha à ces travaux qu’en 1848, pour répondre à l’appel de son évêque.
Accablé d’ans et d’infirmités, Mgr Boussen avait dû
se décharger d’une part du fardeau, devenu trop lourd, de son épiscopat. Il le
confia au chanoine Malou, qu’il eût voulu voir désigner comme coadjuteur avec
droit de succession. La mort prévint la réalisation de cet
(page 26) ultime désir. Mais
quelques semaines après le décès de Mgr Boussen, le
pape Pie IX nomma le chanoine Malou au siège épiscopal de Bruges, qu’il occupa
avec éclat durant quinze ans.