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Note
d’intention
« Notice statistique sur les
journaux belges (1830-1842). Lettre à Sir Francis J*** à Londres », par M.
J. MALOU (membre de la commission centrale de statistique)
(Bruxelles, Hayez, 1843)
(L’image de ce texte est
disponible sur le site de la bibliothèque de France, en cliquant ici)
(page 1) Bruxelles, le 15 mai 1843.
MONSIEUR,
Pendant votre récent séjour en
Belgique, vous vous êtes attaché à connaître, et vous avez apprécié les
institutions, les mœurs, les lois, les hommes politiques que la révolution de
1830 a produits. Observateur éclairé, déjà libre de préventions et d'erreurs
qui ont cours encore à l'étranger, vous avez voulu juger par vous-même tous les
faits relatifs à l'existence de cette nation nouvelle, qui a accompli de si
grandes choses au milieu de l'incertitude et des dangers dont elle était
entourée à sa naissance; mais le temps vous a manqué pour tout approfondir, et
je vous dois, car j'en ai fait la promesse, plus d'une notice statistique..
La presse périodique, les élections,
l'administration, les communes, l'industrie, pourront être tour à tour l'objet
de nos entretiens. D'autres choses
laissées à d'autres temps, nous causerons un peu, s'il vous plaît, de la presse
périodique belge.
(page 2) Je ne sais vraiment, Monsieur, comment j'ai pu prendre
l'engagement de vous parler de la presse. J'ai reçu tant de fois le conseil de
garder un silence prudent, j'ai éprouvé tant de doutes, d'hésitations et presque
de regrets, que j'ai failli vous prier de me relever d'un vœu téméraire. Vous
vous rendrez peut-être difficilement compte de ces sentiments, parce qu'en
Angleterre le gouvernement constitutionnel et la liberté de discussion,
inséparables l'un de l'autre, sont très anciens, et parce que les mœurs
politiques sont formées : la publication de tous les faits qui offrent de
l'intérêt vous paraît être de droit; c'est chose toute simple, inoffensive,
journalière; personne ne se plaint ou ne se croit blessé,
et la presse subit la loi commune. En Belgique au contraire, lorsqu'il s'agit
de constater les faits qui concernent la presse, une sorte de crainte
superstitieuse semble parfois nous arrêter : nous usons assez largement de
notre jeune liberté envers tous les pouvoirs, pour rechercher, publier et
discuter leurs actes ; nous possédons une foule de documents sur les résultats
de l'activité nationale dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel; mais la
presse, bien qu'elle occupe une place importante dans tous les pays qui
jouissent d'institutions libres, est restée jusqu'à présent en dehors de nos
recherches ; l'on n'a point constaté les conditions et le mode de son
existence, ni étudié ses développements. La statistique, science si positive et
si curieuse à la fois, n'a-t-elle point connu la richesse de cette partie de
son domaine, ou bien a-t-elle craint d'en remuer le sol?
Je ne puis m'abstenir de
tracer d'abord une rapide esquisse de la législation qui régit la presse; c'est
en quelque sorte l'atmosphère au milieu de laquelle elle se meut.
Il n'est aucun pays sur le
continent où la presse jouisse d'une liberté plus grande qu'en Belgique. Pour
fonder un journal, il ne faut pas, comme en France, donner un cautionnement et
constituer un gérant responsable. Lorsque l'auteur d'un écrit est connu et
domicilié en Belgique, l'éditeur, l'imprimeur ou le distributeur ne peut être
poursuivi.
Ainsi point de mesures
préventives; aucune disposition qui entrave ou rende difficile la libre
manifestation de la pensée; ainsi encore, lorsqu'un délit a été commis, la
responsabilité légale ne pèse pas simultanément sur tous ceux qui peuvent y
avoir pris part, mais seulement sur l'auteur, s'il est connu et domicilié en
Belgique. Le but et la portée de cette dernière disposition sont faciles à
saisir : elle affranchit l'écrivain de la censure de l'imprimeur; celui-ci,
considéré en quelque sorte comme un agent matériel, et n'étant point réputé
complice conformément au droit commun, n'a nul intérêt à s'opposer à la
publication. Le principe de la complicité des imprimeurs crée cet intérêt; il
restreint dès lors la liberté réelle de la presse. Au congrès national, toutes
les opinions se sont réunies pour consacrer (page 3) cette liberté si large, et cependant l'on se trouvait au
lendemain d'une révolution, aux prises à l'intérieur et au dehors avec
d'immenses difficultés.
La seule loi répressive qui
soit en vigueur aujourd'hui date à peu près de la même époque. Le décret du 20
juillet 1831 répute complicité d'un crime ou délit consommé ou tenté, la
provocation directe à le commettre; il punit l'attaque dirigée méchamment et
publiquement contre la force obligatoire des lois, contre l'autorité
constitutionnelle du Roi, l'inviolabilité de sa personne, les droits
constitutionnels de sa dynastie, les droits ou l'autorité des Chambres; enfin
il punit l'injure ou la calomnie contre la personne du Roi.
Le prévenu d'un délit de
calomnie contre les dépositaires ou agents de l'autorité à raison de faits
relatifs à leurs fonctions, peut prouver la vérité des faits imputés, et cette
preuve le met à l'abri de toute peine.
L'emprisonnement préalable n'a
pas lieu pour simples délits politiques ou de la presse. Les affaires sont soumises au jury.
Les prévenus ont une place
distincte de celle des accusés pour crimes (Décrets des 19 et 20 juillet 1831.
- Articles 18 et 98 de la constitution).
Il est assurément impossible
de trouver une législation plus sobre dans la définition des faits punissables,
plus libérale et plus douce dans l'application de ses principes. Ailleurs, et
l'exemple est bien près de nous, l'on a créé une foule de délits, l'on a exigé
des garanties nombreuses, établi des pénalités sévères, et quelquefois même,
l'on a pu, légalement, ne point soumettre au jury les affaires de presse.
Pendant quelques années, de
1834 à 1839, une loi de circonstance (Loi du 25 juillet 1834) a existé à côté
de la loi commune : elle avait pour objet de punir ceux qui provoqueraient le
retour de la famille déchue, qui feraient des démonstrations publiques en sa
faveur ou qui porteraient les insignes distinctifs d'une nation étrangère. Je ne crois pas que cette loi ait été une
seule fois appliquée à la presse périodique; son effet a été purement
comminatoire. Un fait bien remarquable et trop peu remarqué, c'est que la
Belgique, à peine constituée, non reconnue, ayant pour ainsi dire chaque jour à
attendre des tentatives de restauration, ait traversé cette époque sans
recourir à d'autres mesures exceptionnelles, sans faire même usage de la loi de
1834 à l'égard de ceux qui, par leurs écrits, protestaient incessamment contre
son existence; l'histoire n'offre pas d'exemples d'une telle conduite, et à
défaut d'autres preuves, celle-ci ne suffirait-elle pas pour démontrer la force
du sentiment national, la confiance qu'il avait en lui-même?
Pendant plusieurs années,
quatre journaux orangistes ont existé; un seul existe (page
4) encore. Le tableau suivant indique le nombre moyen de leurs abonnés,
l'époque de la conversion de l'un d'eux et du décès de deux autres.
La loi répressive qui forme le
droit commun n'a guère été appliquée. Voici, Monsieur, les données que j'ai pu
recueillir à cet égard. Pour les années 1830 à 1835, les crimes et délits politiques
sont confondus avec ceux de la presse dans les comptes rendus de
l'administration de la justice criminelle; les uns et les autres sont
d'ailleurs en petit nombre. En ce qui concerne les quatre années 1836 à 1839
inclusivement, j'ai puisé dans le dernier compte-rendu les éléments du tableau
qui suit :
(page 5) Ne vous hâtez pas, Monsieur, de conclure de ces chiffres que
les délits de la presse sont excessivement rares ; vous pourriez vous tromper,
mais le plus souvent l'on paraît s'être borné à répondre, comme la loi en
accorde le droit, dans les colonnes du journal auteur des imputations; quant
aux faits qui peuvent être poursuivis d'office, il semble qu'en général les hommes
qui se sont succédé aux affaires (et je suis tenté de louer cette conduite),
ont laissé au bon sens du pays le soin de faire justice de beaucoup d'écarts,
et justice a été obtenue de l'opinion publique.
Permettez-moi de vous citer, comme terme de comparaison, quelques
données puisées dans les comptes-rendus de l'administration de la justice
criminelle en France.
La législation qui régit la
presse périodique doit être considérée sous un autre rapport encore. Les
journaux sont soumis à l'impôt du timbre en Belgique, comme ils le sont dans
votre pays et en France. Le transport par la poste n'est pas gratuit.
(page 6) Aux États-Unis, où règne la liberté la plus illimitée de la presse,
le droit de timbre pour les journaux n'existe pas; mais le droit de poste est
assez élevé; l'on paye à ce titre et sans distinction de format, 5 centimes et
1/3 ou 8 centimes, selon les distances à parcourir (Discours de M. Lebeau.
Moniteur belge du 24 novembre 1838, n° 329. - De Tocqueville, De la démocratie
en Amérique, t. II, pag. 27, éd. Brux.
- Michel Chevalier, Lettres sur l’Amérique du Nord, t.1, pag.
390, éd. de Paris).
La loi du 14 décembre 1830 forme en France le
dernier état de la législation. Elle établit un droit de timbre de 6 centimes
pour chaque feuille de 30 décimètres carrés et au-dessus, de 3 centimes pour la
demi-feuille de 15 décimètres et au-des- sous. Les journaux d'un format
intermédiaire payent 1 centime en sus pour chaque 5 décimètres carrés complets.
Le droit de port est de deux centimes dans l'intérieur du département où se
publie le journal, et de 4 centimes hors des limites du département (Voir
Sirey, 1831, II, 127).
Je rappellerai, bien qu'il vous soit connu,
l'acte du parlement en date du 13 août 1836 (The statutes
at large of the united Kingdom (Guillaume IV, 6° et 7°), tom. XIV, pag. 223), par lequel le droit de timbre sur les journaux
anglais est réduit de 3 pences à 1, 1 1/2 ou 2, selon
le cadre du journal, car à la différence de la loi française, cet acte
n'établit l'impôt que sur la partie imprimée, sans compter les marges. Le
transport des journaux par la poste est gratuit dans toute l'étendue du
Royaume-Uni. Pour la Belgique, le
principe du timbre de dimension remonte à la loi du 9 vendémiaire an VI, qui
est restée en vigueur jusqu'à la loi du 21 mars 1839. Le projet présenté par le
gouvernement en 1837 (Moniteur du 16 octobre 1837) tendait à établir pour tous
les journaux, sans distinction de format, un droit de timbre de 4 centimes. Les
grands journaux auraient obtenu ainsi une réduction d'impôt égale à 40 pour
cent; la condition des autres serait demeurée à peu près la même; mais cette
proposition ne fut pas admise par la Chambre des Représentants. Un amendement,
devenu l'art. 2 de la loi nouvelle, fixa le droit ainsi qu'il suit :
- Feuille de 17 1/2 décimètres
carrés et au-dessous : 2 centimes 1/2
- Feuille au-dessus de 17 1/2
décimètres jusqu'à 25 décimètres inclusivement : 3 centimes
- Feuille au-dessus de 25
décimètres jusqu'à 32 décimètres inclusivement : 4 centimes
-Feuille d’une dimension
supérieure à 32 décimètres : 5 centimes.
La réduction du droit fut donc proportionnelle
; le dégrèvement accordé à tous les organes de la presse a été évalué à 43 % environ.
(page 7) Le droit de port par la poste est de deux centimes par feuille,
sans distinction, ni de format, ni de distance à parcourir. Le timbre nous offre, Monsieur, un moyen très
simple et assez sûr, d'étudier les principaux faits relatifs à l'existence
matérielle des journaux. Tous étant soumis à cet impôt, l'on peut, au moyen des
registres du timbre, connaître leur nombre et leur format à diverses époques ;
l'on peut constater les naissances et les décès, l'âge et la condition de
chacun d'eux, la part d'impôt qu'il supporte. La moyenne des abonnements par
province et par journal peut aussi être calculée avec assez d'exactitude, et
dès lors l'on connaît approximativement le produit des abonnements. Si, depuis un grand nombre d'années, des
renseignements complets avaient été recueillis, combien d'inductions
intéressantes l'on pourrait en tirer! Combien serait curieuse l'histoire de la
presse périodique, si, mettant en œuvre ces précieux matériaux, l'on remontait
des faits à leurs causes, si l'on rapprochait des données relatives à
l'existence matérielle des journaux, les indications nécessaires sur les
événements, les luttes, les vicissitudes qui ont réagi sur eux!
Malheureusement, je ne puis
être pour vous cet historien de la presse belge. Les renseignements qu'il m'a
été possible de réunir ne remontent pas à une date assez ancienne; ils ne
contiennent même de développements assez étendus que pour les trois dernières
années. Il faudrait d'ailleurs, pour entreprendre avec succès un travail aussi vaste,
non seulement tous les matériaux dont je n'ai qu'une faible partie; mais
posséder encore une connaissance intime des faits, car l'histoire de la presse,
ainsi entendue, comprendrait presque toute l'histoire politique d'une époque;
il faudrait enfin, tout en ayant les moyens de mettre les résultats en
évidence, se trouver à l'abri du soupçon de partialité dans l'appréciation de
leurs causes; conditions qu'il est malaisé de réunir, alors que chacun est
inévitablement classé d'après ses opinions réelles ou supposées.
Une courte notice ne sera
néanmoins pas dénuée d'intérêt.
Un mot d'abord sur les faits
relatifs à la presse en Belgique antérieurement à 1830. Le nombre total des écrits périodiques de
toute nature qui se publiaient vers 1828 dans les provinces méridionales du
Royaume des Pays-Bas, y compris le grand-duché de Luxembourg, s'élevait à peu
près à 71. La moitié seulement de ces publications étaient des journaux
proprement dits, et comme tels assujettis au timbre. Leur répartition entre les
provinces, le produit du droit de timbre en 1826 et le nombre approximatif des
feuilles timbrées sont indiqués dans l'aperçu suivant (Voir Correspondance
mathématique, par M. A. Quetelet, tom. IV, pag. 192 et 258. - Revue encyclopédique, avril 1828, tom. XXXVIII, pag. 258).
(page 8) La liberté de la presse, les institutions qui régissent l'état,
la province et la commune , devaient naturellement
avoir pour effet de multiplier en Belgique, depuis 1830, le nombre des organes
de la presse. L'activité nouvelle donnée à la vie politique, la publicité
introduite dans la gestion des affaires provinciales et communales, l'existence
de grands centres de population et par conséquent d'intérêts, la diversité même
des souvenirs, des mœurs, du langage, tout concourait à favoriser ce mouvement.
Aussi le nombre des journaux
qui n'est porté pour 1830 qu'à 34, était-il, à la fin de 1842, de 130 : il est
presque quadruplé dans l'espace de 13 années. Le tableau suivant indique par
année ou par trimestre le nombre des journaux, en les distinguant en trois
catégories, savoir : 1° politique; 2° littérature, sciences, arts, théâtres,
modes, etc.; 3° annonces.
(page 10) Le Brabant occupe donc la première place quant au nombre des
journaux. Là Flandre orientale et la province d'Anvers le suivent
immédiatement. Trois provinces, le Limbourg, le Luxembourg et Namur ne
possèdent qu'un très petit nombre de journaux.
Les écrits périodiques exempts
du droit de timbre, qui paraissent tous les mois ou moins fréquemment encore,
sont assez nombreux. Les uns, tels que la Revue
nationale, le Journal historique,
la Nouvelle Revue de Bruxelles,
s'occupent de questions politiques, de littérature et de sciences : d'autres,
tels que la Revue belge et des
recueils rédigés en flamand, sont exclusivement scientifiques et littéraires.
Je n'ai pu comprendre dans mes recherches les faits qui concernent ces
publications. Des données positives sur les conditions de leur existence
matérielle ne peuvent être fournies que par les propriétaires ou rédacteurs; je
me suis abstenu, pour plusieurs motifs, de les demander.
Quant aux journaux proprement
dits, veuillez remarquer, Monsieur, que les chiffres portés au tableau qui
précède n'ont point par eux-mêmes une valeur uniforme et absolue; ils
comprennent à la fois les journaux de grand format, principaux organes des
partis politiques, et une foule d'autres qui paraissent seulement deux ou trois
fois par semaine, et dont l'existence plus modeste est presque ignorée hors de
la localité où ils se publient.
La province de Liège ne
possède pas de journaux spécialement consacrés aux annonces; mais nulle part en
Belgique, les journaux politiques n'en contiennent un aussi grand nombre que
dans cette province.
Ma première pensée a été de
dresser, pour les journaux qui ne sont plus, une sorte de table nécrologique;
j'y ai renoncé, parce que la plupart ont à peine vécu. Cette table eût été très
longue, car, à toutes les époques, les essais de création de journaux ont été
nombreux, mais s'il est aisé de lancer un prospectus, de publier quelques
numéros, c'est une entreprise difficile et dont le succès est rare, de trouver
place au soleil de la publicité et de prendre une part suffisante au banquet
des abonnements …
Pauci quos oequus amavit
Jupiter, aut ardens evexit ad oethera virtus,
Dis geniti, potuère…
Passant sous silence
l'apparition et le décès de ces enfants mort-nés de la presse, je me suis borné
à réunir quelques données relatives à ceux des journaux politiques qui, depuis
1830 ont disparu, ou se sont transformés, après avoir eu du moins quelque temps
d'existence. Ces données font l'objet du
tableau qui suit :
(page 12) Le Courrier de la Meuse
s'est établi dans la capitale; il a pris le titre de Journal de Bruxelles.
L'Espoir et le Politique de
Liège ne sont pas morts tout entiers; la Tribune est née de leurs cendres.
L'Industrie s'est réunie au Lynx,
qui lui-même a suivi de près dans la tombe le journal dont il venait de
recueillir le faible héritage.
Vous vous étonnerez peut-être,
Monsieur, que l'un et l'autre aient pu durer en n'ayant qu'un nombre si peu
élevé d'abonnés. Ce fait d'existences artificielles pour ainsi dire, n'est pas
très rare; il peut s'expliquer diversement selon les opinions et la position du
journal, selon les circonstances où se trouvaient ses
patrons ou ses partisans. Je ne puis vous offrir de renseignements positifs à
cet égard, et n'ai pas l'intention de me livrer à des conjectures. Vainement d'ailleurs espérerait-on déduire
d'un grand nombre de faits une espèce de loi de mortalité. Les conditions
d'existence sont tellement différentes, selon la nature de la publication, les
frais qu'elle nécessite, les produits accessoires qu'elle procure, que l'on
voit s'éteindre des journaux dont la clientèle paraissait suffisante et bien
établie, tandis que d'autres, moins prospères en apparence, leur survivent
longtemps.
Un certain intérêt s'attache,
ce me semble, à connaître l'âge des journaux qui se publiaient à une époque
donnée; j'ai choisi pour vous en présenter un aperçu, la date la plus rapprochée,
le 31 décembre 1842.
Ainsi 17 journaux seulement dans tout le
royaume comptent 20 ans et plus d'existence. Quels sont les noms de ces
vétérans de la presse belge? dans quelles localités
s'impriment-ils? quelle est la date précise de leur
naissance? quelle a été depuis 1830 la moyenne de
leurs abonnés? Vous trouverez, Monsieur, la réponse à ces diverses questions,
dans le tableau qui suit :
(image à scanner)
(page 14) Un seul est donc centenaire, jamais je n'ai vu son nom mêlé
aux luttes ardentes des partis; sa vie paraît être calme comme celle d'un bon
vieillard; il parle flamand.
Un autre compte près de 80
automnes. Organe d'une opinion que l'on dit très avancée, je ne sais trop
pourquoi, il a dans ses allures la vivacité et la tumultueuse ardeur de la
jeunesse, et vraiment je me prends à douter quelquefois, tant il me semble
changé, tant il a grandi, s'il est bien le même que ce petit journal qui
paraissait à Liège, au temps des princes-évêques, apparemment sous le bon
plaisir, avec approbation et privilège de Son Altesse.
Que de pensées se pressent
dans l'esprit à la vue de ces vieilles tribunes où sont montés successivement
pour parler à la multitude, sous des régimes si différents, plusieurs
générations de journalistes! que de faits se sont
produits, que d'idées et de passions ont été agitées durant cette longue
existence!
Plusieurs autres journaux,
parmi les plus anciens, sont exclusivement ou principalement consacrés aux
annonces. Une clientèle peu étendue suffit à des publications de ce genre. Le
prix d'insertion des annonces couvre les frais de production et permet même,
dans la plupart des cas, de faire un assez grand nombre de distributions
gratuites.
Aucun des principaux journaux
de Bruxelles ne se trouve porté au tableau. Les organes de la presse, dont
l'existence se liait, pour ainsi dire, à celle du gouvernement des Pays-Bas,
étaient tombés avec lui, au moment des événements de 1830. De nouveaux
intérêts, une direction toute nouvelle imprimée aux esprits, le changement
survenu dans la position de la capitale, y produisirent naturellement une sorte
de rénovation de la presse périodique. Des journaux dont la publicité est
aujourd'hui la plus grande, les uns sont contemporains de la révolution,
d'autres sont nés à une date plus récente encore.
Déjà vous avez pu remarquer,
Monsieur, combien le nombre des journaux diffère d'une province à l'autre. Des
notions plus précises peuvent être obtenues, si l'on compare les provinces sous
le double rapport du nombre et de la dimension des feuilles timbrées, et d'une
autre part quant au produit de l'impôt. Je regrette de ne posséder ces
renseignements que pour le dernier trimestre de 1840 et pour les années 1841 et
1842; recueillis désormais avec soin, ils présenteront aussi un plus vif
intérêt, parce que des comparaisons pourront être établies entre des périodes
différentes.
J'ai résumé, dans le 1er des
tableaux qui suivent, le nombre de feuilles timbrées par trimestre dans chaque
province, en distinguant les divers formats. Le 2e tableau, corrélatif au
premier, indique de la même manière le produit de l'impôt.
(page 20) Ainsi, dans le cours de deux années, la presse périodique a
consommé 16,980,702 feuilles de papier timbré, soit,
année moyenne, en supposant qu'elle ait atteint aujourd'hui son plus grand
développement, 8,490,351 feuilles, ou par jour 23,263 (Le nombre moyen des
abonnements est beaucoup plus élevé. La différence s'explique par ce fait, que
très peu de journaux paraissent tous les jours). En 1826, la consommation des
provinces méridionales du royaume des Pays-Bas n'était évaluée qu'à 2,660,100 feuilles; elle se trouve donc plus que
triplée. Le nombre total de feuilles de
chaque catégorie varie beaucoup d'un trimestre à l'autre dans une même province
; il est cependant un fait digne d'être remarqué. Le 2° trimestre de chacune
des deux années est celui qui présente, en total, le chiffre le moins élevé; au
4e trimestre appartient le chiffre le plus fort. Ce fait tient-il à des causes
accidentelles ou bien doit-il être considéré comme normal, et dans ce cas
comment peut-il s'expliquer? L'expérience de deux années ne suffit assurément
pas pour aborder et résoudre ces questions, c'est assez de les poser aujourd'hui.
Le Brabant seul est pour plus
de moitié dans la consommation générale : le Luxembourg et le Limbourg n'y
entrent presque pour rien. L'un ne consomme pas en une année un nombre de
feuilles égal à celui qui, chaque jour, se consomme dans le royaume entier;
l'autre n'absorbe pas en un an la consommation moyenne générale de deux
jours. Le rang des provinces entre elles
sous ce rapport peut, du reste, être mieux déterminé au moyen des aperçus
suivants, puisés en partie dans les tableaux qui précèdent.
(page 22) Ce tableau indique le développement proportionnel des journaux
de chaque format. Plus tard, lorsque les mêmes faits auront été constatés
pendant un certain nombre d'années, l'on pourra reconnaître, soit pour tout le
royaume, soit pour les provinces en particulier, si les proportions changent,
et notamment si la tendance générale est vers l'augmentation ou vers la
réduction du format. Un seul journal,
celui de la province de Liège, est d'une dimension supérieure à 32 décimètres
carrés, et paye le droit de 5 centimes. Partout ailleurs, l'on paraît ne s'être
servi qu'accidentellement et en petite quantité, de feuilles de ce format.
Dans les provinces d'Anvers et
de Brabant, les feuilles frappées du droit de 4 centimes sont consommées en
plus grand nombre que celles soumises soit au timbre de 2 1/2 centimes, soit au
timbre de 3 centimes. La presse de la capitale, qui fait usage de feuilles
soumises au timbre de 4 centimes, absorbe à elle seule plus du tiers de la
consommation générale du royaume.
Le nombre de feuilles timbrées
à 3 centimes est plus fort pour la Flandre orientale et le Hainaut que celui
des autres catégories réunies. Les différences de format sont moins considérables
dans la Flandre occidentale; elles le sont moins aussi dans la province de
Liège.
Le développement de la presse
périodique est donc bien loin d'être partout dans le même rapport avec
l'importance, la population, l'activité politique ou industrielle des
provinces. L'inégalité la plus frappante concerne le Hainaut en premier lieu,
et en deuxième lieu la Flandre occidentale. Leur part, dans le mouvement de la
presse, est de beaucoup inférieure à celle que
semblerait devoir leur assigner la population de leur territoire et sa
richesse. L'influence des grandes villes est d'ailleurs sensible : les
provinces ont entre elles le même rang que leurs chefs-lieux respectifs sous le
rapport de la population. Voici en effet la population i des villes chefs-lieux
de province, à la suite des numéros d'ordre qui indiquent le rang des provinces
elles-mêmes (Population, relevé décennal 1831-1840. - Publ.
offic 1842).:
1. Bruxelles. 106,921 ;
2. Gand. 96,890 ; 3. Anvers.
79,029 ; 4. Liège. 66,464 ; 5. Bruges. 46,240 ; 6. Mons.
23,541 ; 7. Namur. 21,505 ; 8. Hasselt. 8,210 ; 9. Arlon. 4,308.
Le produit du timbre des
journaux s'est élevé à fr. 604,771 53 c. pendant les deux années 1841 et 1842,
soit, année moyenne, à fr. 302,385 76 c. En 1826 il était de fl. 53,202 ou fr.
112,596 82 c. La part des provinces est naturellement proportionnelle au nombre
et au format des feuilles timbrées : permettez-moi néanmoins, Monsieur, de
puiser encore sur ce point quelques chiffres dans l'un des tableaux qui
précèdent, afin de mieux distinguer les catégories de journaux de diverse
dimension.
(page 25) D'après les états du
timbre, il est aisé de calculer, avec assez d'exactitude, le nombre moyen des
abonnements; il suffit en effet de diviser le nombre de feuilles présentées au
timbre, par le nombre de fois que le journal paraît; l'on obtient comme
quotient la moyenne des abonnements. Le calcul, s'il était fait par trimestre,
aurait peu de valeur ; il offrirait des résultats inexplicables et contraires à
la vérité des faits, parce que le timbre n'est pas apposé jour par jour ou à
des époques fixes, mais que les intéressés présentent, selon leurs convenances
et les besoins de leur consommation, une plus ou moins grande quantité de
papier, pour être frappé du timbre. Des moyennes annuelles se rapprochent
davantage de la réalité.
Ainsi établie, la moyenne est
plutôt au-dessus qu'au-dessous du nombre effectif des abonnements, et surtout
des abonnements payés, car il existe nécessairement quelques distributions
gratuites, soit à titre d'échange avec d'autres journaux, soit aux
propriétaires, rédacteurs, collaborateurs ou correspondants : d'un autre côté,
des suppléments soumis au timbre sont parfois publiés. Je reconnais donc, (page 24) Monsieur, que certains
journaux pourront prétendre avec quelque raison qu'ils possèdent un peu moins
d'abonnés que je ne leur en assigne, d'après la perception du droit de timbre,
mais ceux qui prétendraient posséder un plus grand nombre d'abonnés feraient
implicitement l'aveu de contraventions commises au préjudice du trésor.
Il m'a paru intéressant de
grouper d'abord ces moyennes du nombre des abonnements, par années et par
provinces, sauf à considérer ensuite séparément les principaux journaux
politiques.
Voici le premier aperçu des
faits relatifs aux abonnements.
Le nombre des abonnements,
stationnaire pendant quelques années, s'est donc (page 25) accru assez rapidement dans ces derniers temps, non
toutefois dans une proportion aussi forte que le nombre des journaux.
Quelque habitué que l'on soit
à lire dans les chiffres, l'on aime à se représenter sous une autre forme qui
rende les faits plus sensibles et d'une plus facile appréciation, les quantités
différentes dont les nombres sont l'expression. Les observateurs de phénomènes
naturels figurent, au moyen de courbes, les variations du baromètre ou de
l'aiguille magnétique; j'appliquerai, si vous le voulez bien, la même méthode à
retracer les vicissitudes des abonnements, ce phénomène d'un si haut intérêt
pour la presse.
Le tableau n° 1 donne la
courbe de l'abonnement pour les provinces séparément et pour le royaume entier.
Le Limbourg et le Luxembourg n'y sont pas portés, parce que, pendant plusieurs
années, il n'existait pas de journaux dans ces provinces, et que les variations
seraient à peine sensibles si l'on voulait, au moyen de courbes, représenter
des nombres très-faibles. (Ces lignes n'ont pu être ramenées à une base commune
: elles n'indiquent donc pas la position des provinces les unes à l'égard des
autres, mais seulement les variations du nombre des abonnés dans chaque
province prise isolément et dans le royaume entier).
Aux années 1833 et 1834
correspond pour plusieurs provinces et en total pour le royaume le nombre
minimum des abonnements. Depuis 1839 au contraire la progression est
très-marquée dans la plupart des provinces.
La signification des moyennes
données pour les provinces peut, jusqu'à un certain point, être contestée. La
clientèle des journaux peut être disséminée sur le territoire de plusieurs
provinces ou même de tout le royaume, mais je n'hésite pas à poser en fait que
les grands journaux de la capitale et deux ou trois journaux
d'Anvers, sont seuls dans cette condition. Tous les autres se trouvent
presqu'exclusivement répandus, soit dans un arrondissement, soit dans une
province.
S'il en est ainsi, il devient
possible d'établir le rapport entre le nombre des abonnements et la population,
ou même jusqu'à un certain point la richesse des diverses parties du royaume.
La population peut être connue; la richesse comparative est plus difficile à
constater; la part proportionnelle de chaque province dans le payement des
impôts peut néanmoins servir de base et d'élément à un calcul
approximatif.
Dans le tableau qui suit, le
rapport entre le nombre des abonnements et la population est calculé
séparément, d'après le minimum, le maximum et la moyenne des abonnements pour
chaque province. L'impôt est mis en rapport avec cette moyenne seulement.
(Image à scanner)
(page 27) En ce qui concerne les provinces d'Anvers et de Brabant, ce
tableau ne doit être accepté, je le reconnais, que sous certaines réserves,
parce que quelques journaux qui s'y publient sont assez répandus dans d'autres
provinces. L'inégalité qui existe entre les autres n'en est pas moins
remarquable.
Il est du reste possible que
les différences soient compensées, en partie, par les abonnements aux journaux
étrangers. Ceux-ci sont timbrés à la poste au moment de la réception; j'ignore
si des renseignements ont été recueillis sur le nombre et la répartition, entre
les divers bureaux des postes , des journaux français, anglais et allemands
distribués en Belgique ; mais ces indications, que je regrette de ne pouvoir
vous donner, présenteraient assurément un vif intérêt; l'on connaîtrait entre
autres si la faiblesse relative de la presse belge dans l'une des provinces qui
touchent au territoire de la France, peut-être attribuée, du moins
partiellement, à la réception d'un grand nombre de journaux étrangers.
La conquête des abonnés, la
concurrence, s'était faite d'une manière régulière et en quelque sorte
pacifique, lorsqu'au commencement de cette année, la presse périodique a paru
se lancer dans une voie toute nouvelle. Le prospectus d'un journal de grand
format, fondé dans la capitale (Ce journal ayant commencé à paraître à la fin
de 1842, n'est point compris au nombre de ceux qui font l'objet de cette notice),
a offert à ses abonnés, outre la feuille quotidienne, un volume par semaine. Le
prix d'abonnement au journal et aux publications qui l'accompagnent est de 50
francs par année. Des révélations faites alors au public, il résulte que chaque
volume coûte environ 13 centimes. Grand a été l'émoi causé par l'apparition de
cette belle idée, non seulement parmi ceux dont un pareil mode de concurrence
pouvait léser les intérêts matériels, mais surtout parmi ceux qui se
préoccupent des intérêts moraux des populations. D'autres journaux se sont
empressés d'offrir les mêmes publications à leurs abonnés, et l'on a pu
craindre un instant qu'un demi-million de petits romans de tout genre ne fût
jeté chaque année dans la consommation. Aujourd'hui déjà le bruit est apaisé;
des distributions se font encore, mais elles paraissent être peu nombreuses, et
le doute sur leur continuation se fait jour de toutes parts.
Il est donc permis de
considérer ces faits comme un simple incident; je puis me borner à les
mentionner ici.
Jetons maintenant un coup
d'œil rétrospectif sur la fortune politique des principaux journaux qui
existaient au 31 décembre 1842; constatons, sans prétendre toutefois en
expliquer les causes, la marche progressive de quelques-uns, la décadence
ancienne ou récente de certains autres.
(page 30) Parmi les 130 journaux qui se publiaient à la fin de 1842,
force m'a été de faire un choix; j'ai réuni les noms de 30 d'entre eux dont il
m'a paru le plus curieux d'étudier la marche. Toutes les opinions et même tous
les intérêts sont d'ailleurs représentés dans cette petite phalange.
Le Moniteur belge est omis au tableau. Spécialement consacré au
compte-rendu des délibérations des chambres et à la publication des actes du Gouvernement,
doté au moyen du Budget, distribué gratuitement aux membres de la Législature
et à un grand nombre de fonctionnaires ou d'autorités, ce journal ne peut être
l'objet d'aucune comparaison avec d'autres. Il possède peu d'abonnés payants;
grave et discret comme un personnage officiel, sa position spéciale lui enlève
la plupart des conditions de succès qu'un journal peut trouver dans ses
inspirations libres, dans le talent et le goût avec lequel il affriande la
curiosité publique.
Presque tous les journaux
compris au tableau ont éprouvé, quant au nombre de leurs abonnés, de fortes
variations : quelques-uns, depuis leur naissance, ont suivi, pour ainsi dire
constamment, une marche progressive, d'autres semblent être entrés récemment ou
se trouver depuis plus longtemps dans une période d'affaiblissement.
Un autre fait encore ressort
de ce tableau, c'est qu'aucun organe de la presse ne possède de prépondérance
très marquée, aucun par l'immense étendue de sa publicité ne peut, sous ce
rapport, être comparé à certains journaux créés, soit en France, soit dans
votre pays. Un journal qui luttait au premier rang avec l'opposition
constitutionnelle et nationale, pendant les dernières années du royaume des
Pays-Bas, avait, en 1830 et en 1831, conservé une supériorité très grande sur
tous les autres; cette position si belle a été bientôt perdue. Sans doute, pour
expliquer de pareils revirements de fortune, il faut faire la part des fautes
et des erreurs dans la direction d'un écrit périodique, ainsi que des effets
d'une concurrence puissante, et de changements dans le personnel de la
rédaction ; mais, pour comprendre la dissémination des forces de la presse, il
faut aussi tenir compte des habitudes du pays et de ses institutions. Or, en
Belgique plus qu'ailleurs, parce que l'unité nationale est créée depuis peu,
les souvenirs, les habitudes des temps d'autrefois ont conservé leur empire;
dans plusieurs provinces existent de grands centres de population, d'intérêts,
d'activité industrielle ou politique; la capitale compte presque des rivales,
ou du moins elle ne possède pas, à l'égard d'autres villes, l'influence
prépondérante de Paris ou de Londres. Le régime de liberté absolue, surtout
dans de telles circonstances, doit décentraliser la presse, et par suite en affaiblir
les organes.
Des résultats analogues se
produisent dans l'Amérique du Nord. « Le nombre des écrits périodiques ou
semi-périodiques aux États-Unis dépasse toute croyance, dit M. de Tocqueville. Les Américains les
plus éclairés attribuent à cette incroyable dissémination des forces de la
presse son peu de puissance : c'est un axiome (page 31) de la science politique aux États-Unis que le seul moyen
de neutraliser les effets des journaux est d'en multiplier le nombre. Je ne
saurais me figurer qu'une vérité aussi évidente ne soit pas encore devenue chez
nous plus vulgaire. » (De la démocratie
en Amérique, t. II, p. 26, édit. de Bruxelles)
Ces paroles peuvent
s'appliquer jusqu'à un certain point à la Belgique. S'il est permis de considérer comme exactes
les données publiées récemment, sur les principaux journaux de l'Allemagne (Gazette de la presse de Leipzig, citée
par L’Émancipation, n° du 3 mai 1843);
la plupart jouissent d'un plus grand nombre d'abonnés que les diverses
catégories de journaux belges publiés soit dans la capitale, soit dans les
provinces. Ainsi :
4 journaux ont de 8,000 à
10,200 abonnés.
6 de 6,000 à 8,000 ;
7 de 3,000 à 6,000 ;
8 de 2,000 à 3,000 ;
15 de 1,000 à 2,000 ;
14 de 500 à 1,000 :
TOTAL : 54
L'on ajoute que les journaux qui ont le plus
d'abonnés en Allemagne n'ont point de caractère politique déterminé. Le plus
répandu des journaux d'opposition prononcée, la Gazette de Kônigsberg, a seulement 2,200
abonnés.
Après, cette excursion outre
Rhin, revenons, Monsieur, à nos journaux belges. Quelques croquis que je vous
adresse figurent, pour ceux qui, durant une existence assez longue, ont subi
des vicissitudes notables, la courbe des abonnements, comme je l'ai déjà
figurée pour les provinces et pour le royaume entier. (Voyez les tableaux
annexés nos 2 et 3).
La presse, qui s'alimente
exclusivement d'épigrammes ou de satires, j'allais presque dire, d'injures ou
de calomnies, ne compte en Belgique qu'un seul organe, le Méphistophélès, puisqu'il faut l'appeler par son nom. Loin d'être
en voie de progrès, ce journal, qui possédait 654 abonnés en 1832, n'en a
conservé que 203 en 1842. Aucune autre publication de ce genre n'a pu
durer.
Comme développement du tableau
qui indique pour les principaux journaux le nombre moyen des abonnements, il
m'a paru intéressant de placer en regard de leurs noms, l'indication : 1° du
format, 2° du prix d'abonnement, 3° du produit brut approximatif d'après la
moyenne de 1842, 4° de la somme payée pour droit de timbre, 5° du rapport
proportionnel du timbre au produit brut, 6° du produit brut restant après
déduction du timbre. Tel est l'objet du
tableau suivant :
(page 33) Le droit de timbre est donc, pour un grand nombre de journaux,
égal ou supérieur à 24 pour cent du produit des abonnements. Des 30 journaux
portés au tableau, 18 forment cette catégorie. Le Globe, à raison du prix peu élevé de l'abonnement, les conditions
de la publication étant d'ailleurs les mêmes que pour d'autres journaux, paye
au timbre au delà de 36 p. c. Le Journal
de Liège, qui seul fait habituellement usage de papier timbré à 5 centimes,
paye plus de 32 p. c. Les journaux qui,
par suite des conditions d'abonnement combinées avec l'impôt, payent moins de
24 p. c. sont au nombre de 12, savoir :
1° Le Patriote belge 0,22
6/10. ;
2° Le Nouvelliste de Bruges
0,22 3/10 ;
3° Le Journal du Commerce d'Anvers . 0,21 9/10 ;
4° La Gazette de Mons 0,21 3/10 ;
5° Le Journal du Limbourg 0,20
3/10
6° Le Vlaming
0.19 4/10
7° Le Commerce belge 0,19 4/10
8° Le Messager de Gand 0,18
7/10
9° Le Belge 0,16 1/10
10° Le Modérateur 0,14
11° L'Écho du Luxembourg 0,10
9/10
12° Le Méphistophélès 0,07 4/10
Le produit brut approximatif
des abonnements, déduction faite du timbre,
- pour 11 journaux n'atteint
pas 10,000 francs ;
- pour 10, il est de 10,000 à
20,000 francs.
- pour 2, de 20,000 à 30,000
francs ;
- pour 2, de 30,000 à 50,000
francs ;
- pour 5, il est de plus de
50,000 francs.
TOTAL 30.
Si j'étais journaliste, je
vous adresserais, Monsieur, pour compléter ces notions sur la presse, une copie
fidèle du compte des dépenses et des produits de mon entreprise, mais comme je
n'ai pas cet honneur, je me bornerai à indiquer quelques points principaux.
(page 34) A l'actif apparent, il faut ajouter le produit des annonces,
lequel varie selon les localités, le format, le caractère et la position du
journal. De l'actif apparent, il faut
déduire :
1° Les numéros d'échange avec
d'autres journaux, les distributions gratuites aux rédacteurs, collaborateurs,
propriétaires, etc.;
2° Les remises qu'il est
d'usage de faire aux libraires ou autres correspondants qui reçoivent les
abonnements;
3° La remise accordée assez
généralement aux cafés, lieux publics, etc. ;
4° Les frais de rédaction, de
production, les abonnements aux journaux étrangers ;
5° Les frais généraux, tels
que le loyer des locaux, l'entretien et le renouvellement du matériel; le
traitement d'employés, d'expéditeurs, de porteurs; le timbre de journaux
étrangers, les frais de correspondance, etc.
Afin de mieux juger la
position matérielle des journaux, permettez-moi d'établir un bilan fictif,
comprenant les éléments de recette et de dépense que je puis évaluer. Comme
exemple, je supposerai qu'il existe à Bruxelles un journal de grand format, au
prix de 15 francs par trimestre et jouissant de 1400 abonnés.
L'on peut conclure de cet
aperçu, que la plupart des journaux ne doivent guère laisser de bénéfices à
leurs fondateurs ou actionnaires. En effet, la position avantageuse que j'ai
supposée forme une rare exception, et dans ce cas même, tandis que toutes les
recettes figurent à l'actif, des dépenses très considérables, telles entre
autres que les frais de rédaction, ne sont point portées au passif, parce que
je ne puis les évaluer avec quelque exactitude : elles réduisent sans doute de
beaucoup le solde apparent, si même elles ne l'absorbent pas.
Indépendamment de ces
renseignements sur l'existence matérielle de la presse belge, peut-être
désirerez-vous, Monsieur, une statistique morale; quelques données (page
35) au moins sur le mérite, le caractère, le genre de polémique des principaux
journaux, sur l'esprit qui les anime; quelques classifications établies d'après
les partis dont ils se posent les organes.
Une telle œuvre est trop
vaste, trop délicate pour l'entreprendre aujourd'hui. Je ne dirai point, ce
serait manquer de franchise, que je ne possède aucun des éléments qui me
seraient nécessaires, car j'ai suivi, et depuis longtemps j'étudie la marche de
la presse en Belgique ; mais, sans parler d'autres motifs qui m'engagent à
m'abstenir, je dois reconnaître que beaucoup de documents me feraient encore
défaut, si, au lieu d'analyser des faits faciles à saisir, il me fallait
justifier auprès de vous des appréciations qui n'emportent pas avec elles-mêmes
leurs preuves. « Si j'avais la main
pleine de vérités, disait Fontenelle, je me garderais bien de l'ouvrir… » Après avoir, dans un long
entretien, oublié ce conseil prudent et
sage, il est temps, Monsieur, que je ferme la main.... du moins pour cette
fois. Agréez, etc.