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« Aperçus de la part que j’ai
prise à la révolution de 1830 » (« Mémoires »), par A. Gendebien
(1866-1867)
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D. L’ASSOCIATION NATIONALE.
VI. Gendebien chez le régent :
« Il y va de votre tête ou de la mienne ; j’ai beaucoup de vénération pour
la vôtre, mais je préfère la mienne. »
(page 188) Le lendemain, dimanche, 27 mars à 10 1/2 h. du matin,
j’allais entrer chez le Régent pour le prévenir qu’à midi, le général
d’Hooghvorst et son état-major viendraient prêter le serment, lorsque j’en vis
sortir une voiture dans laquelle étaient le général d’Hooghvorst et ses deux
aides de camp baron van Coukelberg et Charlier d’Hodoman. Je fis arrêter la
voiture et j’y entrai, croyant qu’il venait de prêter le serment.
Je lui dis : — «
Avez-vous convoqué tous les officiers pour prêter, entre vos mains, le serment
que vous venez de faire ? » — « Il n’a pas été question de serment, dit M.
d’Hooghvorst ; le Régent n’en a même pas parlé, il trouve sans doute la chose
inutile. » — « Je vous ai démontré hier la nécessité de le faire ; vous l’avez
vous-même reconnue, puisque vous m’avez fait savoir hier soir que vous le
prêteriez aujourd’hui à midi. » Je retraçai de nouveau et très énergiquement le
tableau des désordres, des crimes peut-être, qui seraient la conséquence de son
refus de prêter serment et de l’exiger de ses subordonnés
« Je vous le dis et
je vous l’affirme, si à trois heures, vous n’avez pas prêté serment, vous serez
pendu à un des deux réverbères de votre porte ; je serai impuissant à
l’empêcher. » Ses deux aides de camp aidant, il prit l’engagement de
prêter le serment à trois heures. J’exigeai sa parole d’honneur qu’il n’y
manquerait pas ; il me la donna. « C’est (page
189) désormais, entre nous, lui dis-je,
une question d’honneur, avec toutes ses
conséquences, ne l’oubliez pas, général. » Une poignée de mains bien franche,
bien cordiale, fut donnée, et je le quittai.
J’entrai chez le Régent.
« Bonne nouvelle, lui dis-je, le général d’Hooghvorst viendra à trois heures
pour prêtez serment. » — « Vous m’étonnez, il vient de sortir, il ne m’en a pas
parlé. » — « Je suis bien plus étonné que vous ne lui en ayez pas parlé. » —
« Et comment savez-vous cela? »— « C’est le général lui-même qui
vient de me le dire. »
« Il y a trois jours, je
vous ai démontré et vous avez compris et admis la nécessité du serment ; vous
avez approuvé, encouragé mes démarches pour l’obtenir; voilà trois jours que
j’y travaille. Et lorsque ma persévérance est couronnée de succès, j’apprends
de la personne même, objet de mes obsessions, que vous n’exigez pas le serment
; que vous ne lui en avez même pas parlé. Comment pouvez-vous oublier la
nécessité du serment que vous avez si bien comprise il y a trois jours ? Vous
êtes-vous de nouveau laissé circonvenir par les intrigues de Ponsonby ? Vos
éternelles tergiversations amèneront la catastrophe que je vous ai
prédite.
« Je vous le répète,
et j’affirme que si le général et son état-major ne prêtent pas le serment,
vous serez une des premières victimes de la fureur du peuple ; vous serez
pendu à un des deux réverbères de votre porte ; je laisserai faire, je serais
d’ailleurs impuissant à l’empêcher. Il en arrivera autant au général
d’Hooghvorst ; vous êtes les deux points de mire de la vigilance des bons
patriotes et des fureurs du peuple. » — « Vous en voulez donc à ma tête,
dit le Régent. »— « Non, mais il y va de votre tête ou de la mienne ; j’ai
beaucoup de vénération pour la vôtre, mais je préfère la mienne et je veux la
conserver ».
Ce langage était peu
courtois, mais le moment était décisif, il fallait sauver la situation,
emporter la position par un coup violent ! Je réussis.
Le général, lui dis-je,
vient de me promettre qu’il prêterait le serment entre vos mains, aujourd’hui à
trois heures. Faites-lui savoir que vous le recevrez à trois heures.
Le Régent fit appeler Monsieur Joseph
Vanderlinden, secrétaire au Conseil, il lui dicta la lettre suivante
« Général, je recevrai
votre serment à trois heures, si cela vous convient. »
Je fis remarquer qu’il ne
s’agissait pas de savoir si cela lui conviendrait, que c’était chose convenue
et garantie par la parole d’honneur du général.
(page 190) Dans ce moment, arrive M. Meeus, gouverneur de
Je dis à M. Meeus : « Si
l’Etat-Major de la garde civique prête serment à trois heures, il n’y aura
aucun désordre dans Bruxelles, et je crois pouvoir garantir que, dans tous les
cas,
Je dis au Régent : «
Dites à Monsieur Meeus que ce qu’il vous demande ne vous regarde pas ; qu’il
doit s’adresser au commandant de la place ; écrivez de suite au général
d’Hooghvorst pour le serment, cela est de votre compétence et très urgent ;
vous avez besoin de calme, si vous voulez le conservez, il faut fermer votre
porte à tous les importuns.»
Le Régent recommença sa
dictée et commença par dire au Général :
« Envoyez deux bataillons
à
Je déchirai la lettre et
dis à mon ami Vanderlinden : veuillez écrire, Je dictai la lettre suivante : «
Général, je recevrai votre serment et celui de votre état-major, à trois
heures, comme vous en êtes convenu avec Monsieur Gendebien. «
Je dis au Régent : « Si
vous voulez usurper les fonctions de commandant de place, ajoutez à la lettre
tout ce que vous voudrez, au sujet des deux bataillons demandés par M. Meeus.
»
La lettre ayant été
complétée par la dictée du Régent, je priai mon ami Vanderlinden de remettre
lui-même la lettre au général d’Hooghvorst, afin d’éviter tout retard et tous
prétextes d’hésitation. Ce qu’il fit, comprenant l’importance de la missive et
les dangers de la situation.
Après avoir calmé et encouragé
le Régent, je me rendis au Comité de l’Association qui se tenait au bout de la
rue Ducale, à l’imprimerie de Feuillet Dumus. « Victoire, leur dis-je en
arrivant, le Régent est avec nous, le général d’Hooghvorst et son Etat-Major
prêteront serment aujourd’hui à trois heures. Il y a parole d’honneur donnée.
Je demande encore quelques heures de patience.
Si, à quatre heures, le
serment n’est pas prêté, alors le branle-bas général commencera,
dirent-ils.