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Note
d’intention
« Aperçus
de la part que j’ai prise à la révolution de 1830 »
(« Mémoires »), par A. Gendebien (1866-1867)
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C. LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.
XLIX.
Le discours de Lebeau contre Nemours.
(page 438) Je dirai quelques
mots du discours de M. Lebeau, promoteur le plus zélé, le plus ardent de la
candidature de Leuchtenberg.
Je ne parlerai ni de la faconde ni de l'éloquence de l'avocat trop zélé,
peut-être, d'une cause dont il sut habilement faire miroiter les décevantes
séductions ? en dissimulant ou rejetant dans l'ombre les périls et les
conséquences funestes du triomphe qu'il ambitionnait et qu'il recherchait avec
plus d'ardeur que de prudence et de sagacité ;
Pour mettre en garde les lecteurs contre les séductions et les artifices
de langage de l'orateur, j'en ferai ressortir quelques excentricités et
inconséquences.
S'agit-il de la candidature de Nemours, la guerre générale est certaine,
la coalition écrasera la Belgique et la fera disparaître de la liste des
nations !!!
S'agit-il de la candidature de son client, il affirme que sa
reconnaissance par toutes les puissances est certaine, et que la guerre n'est
pas probable ; il en trouve la preuve « dans l'intervention qu'on
s'est hâté d'établir, alors que nos braves gardes civiques, ayant à
peine chassé de Bruxelles les sicaires de Frédéric, les envoyés des cinq
puissances, venaient demander, le chapeau à la main, qu'on leur fît
grâce de les écouter ! ».
La première partie est une flatterie à l'adresse de la garde civique
qu'on voulait séduire et entraîner dans le tourbillon à l'aide duquel on
voulait faire triompher la candidature de Leuchtenberg.
Ce ne sont pas les braves gardes civiques de Bruxelles qui ont triomphé
pendant les quatre journées, ce sont, au contraire, les braves prolétaires qui
les ont désarmés, parce qu'ils ne voulaient pas combattre ; ce sont les braves
prolétaires qui ont fait un héroïque usage de ces armes.
La seconde partie est quelque peu imagée, poétique même, si l'on (page 439) veut ; elle est, à coup sûr
d'une excentricité qui se concilie peu avec les prétentions de l'orateur aux
qualités d'homme d'Etat. Dire des cinq grandes puissances et de leurs
orgueilleux plénipotentiaires réunis contre nous en conférence à Londres,
qu'ils se sont présentés avec humilité à un gouvernement révolutionnaire, et
qu'ils ont demandé, le chapeau à la main, qu'on leur fît grâce de les
écouter ! c'est pousser l'excentricité jusqu'à ses plus extrêmes limites.
Ce serait, dans tous les temps, manquer grossièrement aux plus simples
convenances ; et, dans notre situation anormale, c'était nous couvrir au moins
de ridicule, sinon nous exposer aux ressentiments d'un aréopage hostile, et,
par nature, disposé à abuser de sa force
Après avoir écarté le casus belli, voici comment M. Lebeau
démontre que les Puissances reconnaîtront immédiatement le duc de Leuchtenberg. (Admirez !)
« Le duc de Nemours, c'est la guerre, parce que son élection seule
est l'abolition des traités de 1814 et 1815. C'est pour maintenir ces traités
que les Puissances travaillent sourdement en faveur du prince d'Orange.
« Avec le duc de Leuchtenberg, nous
maintenons les traités de 1814 et 1815. Nous déclarons que nous ne
voulons pas être les vassaux de la France, tout est maintenu dans le même
ordre, un homme seul est changé. L'ANGLETERRE LE COMPREND DÉJA. Les
reconnaissances arriveront de toutes parts. Un roi élu par la volonté nationale
sera plus apte à maintenir les traités de 1814 et de 1815 que
le prince d'Orange. »
Ceci n'est pas seulement excentrique ; on pourrait y voir une trahison.
Quoi ! l'Angleterre comprend déjà que Leuchtenberg,
roi des Belges, c'est la restauration des traités de 1814 et de 1815, c'est la
contre-révolution en Belgique !! C'est évidemment de connivence avec
l'Angleterre ou du moins avec Ponsonby que, pour
faire triompher son royal client, M Lebeau a accepté la condition de restaurer
les traités de 1814 et 1815 !! Quoi ! nous avons fait une révolution pour nous
affranchir des traités de 1814 et de 1815 ; nous les avons courageusement
déchirés, et pour faire triompher le candidat de M. Lebeau, nous consentirions
à les réédifier de nos propres mains ! Nous nous soumettrions au joug des
Puissances absolutistes, ennemies de toutes libertés ! Nous accepterions la
mission de gardien des places fortes hostiles à la France ! Nous consentirions
à devenir l'avant-garde dé nos plus implacables ennemis contre la France qui
nous a puissamment aidés à conquérir notre indépendance, notre liberté ! Contre
la France, notre seule amie, notre seule protectrice et sans laquelle nous
n'aurions pas eu vingt-quatre heures d'existence !
(page 440) Elle l'a bien prouvé,
au mois d'août 1831. Que serait-il arrivé si les impudents et aveugles
partisans de Leuchtenberg avaient triomphé le 3
février 1831 ! Nous serions rentrés sous le joug du roi Guillaume, de Van Maanen et de la Sainte-Alliance, ou plutôt la France ne
pouvant et ne voulant souffrir l'avant-garde de la Sainte-Alliance à soixante
lieues de sa capitale, aurait fait la guerre, nous aurait annexés et aurait
exigé le partage de la Belgique.
Voilà où nous auraient menés ces combinaisons aussi savantes que désintéressées
de nos grands hommes d'Etat. Ils n'ont pas été seulement excentriques,
absurdes, ils ont été insolents, téméraires, ingrats envers la France, leur
bienfaitrice. A l'objection qu'on leur fit que la France nous ferait la guerre,
si nous reconstituions les traités de 1814 et 1815, si nous acceptions la
mission de geôliers pour le compte de la Sainte-Alliance, ils répondaient : «
La France n'est pas en mesure de faire la guerre. » Mais quelle guerre indigne
! et de quel opprobre ne se couvrirait pas la dynastie d'Orléans ? De quelle
réprobation éclatante et dans les journaux et à la tribune ne serait pas
flétrie une si odieuse combinaison ?
« J'espère que l'égoïsme
cynique du gouvernement français sera flétri par le Parlement anglais, il
sera aussi par la France entière. »
« Nous nommerons le duc de Leuchtenberg, et le
ministère Sébastiani tombera aux huées de la
France entière. » Quelle sagesse, quelle modération, quelle aménité de
langage du haut, de la tribune d'un infiniment petit peuple qui doit son
existence au gouvernement à qui, à la face du monde entier, s'adressent ces
aménités, ces insolentes et téméraires invectives !!
Pour couronner leur œuvre de sagesse, nos hommes d'Etat ajoutent : « Si
le Cabinet français voulait nous faire la guerre, le peuple français s'y
opposerait. »
Le peuple français s'opposerait, sans doute, à la guerre que son
gouvernement ou l'étranger voudrait nous faire pour tuer notre révolution, pour
nous imposer les traités de 1814 à 1815 ! Mais jusqu'où la passion peut aveugler
les hommes d'Etat ! Ce sont ceux qui, du haut de la tribune du Congrès, à la
face de la France qui nous écoutait attentivement, ce sont eux qui venaient de
proclamer : « avec le duc de Leuchtenberg, NOUS
MAINTENONS LES TRAITÉS DE 1814 ET DE 1815 ! Nous déclarons que nous ne
voulons pas être les vassaux de la France ! »
La France heureusement ne s'est pas émue de cette politique insensée :
plus logique que nos hommes d'Etat, elle a continué à (page 441) considérer la Belgique comme sa fille aînée, comme sa
sœur, précisément parce qu'elle avait, comme elle-même, déchiré les traités de
1814 à 1815.
La France n'eût pas hésité à forcer, au besoin, son gouvernement à faire
la guerre à un prince quelconque, Leuchtenberg ou le
prince d'Orange, arrivant en Belgique, pour réaliser la politique de nos hommes
d'Etat.
Le gouvernement français n'eût pas hésité à la combattre, pour sa propre
sécurité, c'est ce qu'il a fait en 1831 et 1832, et la Belgique fut sauvée.
Si nous avions eu l'inepte lâcheté de reconstituer les traités de 1814
et de 1815 ; si nous avions accepté le funeste présent de la Sainte-Alliance ; non seulement la France ne se fût plus
opposée à la guerre, que son gouvernement eût faite pour compléter l'œuvre des
immortelles journées de juillet et de septembre. Les deux peuples
auraient, avec ensemble et d'un élan irrésistible, renversé l'œuvre de la
couardise ou de la trahison ; ils auraient démontré, une fois de plus, combien
les grands hommes d'Etat sont petits, en présence du bon sens et de l'énergie
des peuples !